3-1428/4

3-1428/4

Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

17 NOVEMBRE 2005


Proposition de résolution en vue du Conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA) des 5 et 6 décembre 2005 à Berlin


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES PAR

MME KAPOMPOLÉ


I. INTRODUCTION

La proposition de résolution nº 3-1428 a été déposée le 16 novembre 2005 et examinée par la commission au cours de sa réunion du 23 novembre 2005. Mme Joëlle Kapompolé a été désignée comme rapporteuse.

Préalablement à cette réunion, le groupe de travail « Espace » du Sénat a eu, le 17 novembre 2005, un échange de vues avec le ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique au sujet du Conseil de l'Agence spatiale européenne (ESA) au niveau ministériel des 5 et 6 décembre 2005 à Berlin. Au cours de cette réunion, on a examiné en termes généraux le contenu de la présente proposition de résolution.

II. INTRODUCTION: RÉUNION DU GROUPE DE TRAVAIL « ESPACE » DU SÉNAT, LE 17 NOVEMBRE 2005

— Exposé du ministre

Lors de la réunion du groupe de travail « Espace » du Sénat du 17 novembre 2005, M. Marc Verwilghen, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique, a, d'une part, commenté l'ordre du jour de la session du Conseil de l'ESA au niveau ministériel et, d'autre part, formulé une série d'observations.

Il a indiqué que la session organisée les 5 et 6 décembre devra jeter les bases d'une programmation à long terme de l'ESA se concentrant sur les aspects « découvertes et compétitivité ».

L'ESA devra proposer une définition claire et arrêter un point de vue unanime sur les lancements européens et l'avenir de la base de lancement de Kourou. Il faudra aussi avoir un débat sur la survie de la station spatiale internationale ISS en se posant la question fondamentale de savoir si le laboratoire de recherche européen « Colombus » pourra ou non être lancé. De plus, il faudra fixer les budgets disponibles de l'ESA qui seront affectés, pour la période 2006-2010, aux programmes obligatoires, à savoir le programme scientifique et le budget général, et les États membres seront invités à souscrire à une série de programmes spatiaux dans les domaines de l'observation terrestre, de l'exploration planétaire, des fusées porteuses, des sciences de la microgravité et des nouveaux développements technologiques.

Le Conseil ESA de Berlin s'inscrit dans le cadre d'un processus de décision en deux étapes. Comme plusieurs grands programmes tels que le GMES (« Global Monitoring for Evironment and Security »), GALILEO et l'ISS font actuellement face à des incertitudes sur les plans financier, commercial et politique ainsi qu'en matière de programmation, l'ESA a d'ores et déjà prévu une nouvelle session du Conseil au niveau ministériel pour la mi-2008, afin de pouvoir prendre les décisions complémentaires qui s'imposent à propos de ces programmes, à la lumière de toutes les informations qui seront disponibles à ce moment-là.

Pour être complet, il faut également signaler que des rencontres ont lieu entre l'ESA et l'Union européenne dans le cadre du programme spatial européen. Lors de sa prochaine réunion qui aura lieu le 28 novembre 2005, le « Conseil Espace » devra ratifier un ensemble d'orientations relatives à la mise en œuvre du programme GMES, dans la ligne des choix politiques qui auront été arrêtés par le Conseil de Berlin.

Il faut se demander à cet égard de quelle manière le secteur spatial belge devra opérer et quelles seront pour la Belgique les conséquences des diverses décisions qui interviendront.

Dans le domaine de l'Espace, les évolutions sont très importantes au plan mondial: émergence de nouveaux acteurs comme la Chine et l'Inde, réorientation de la politique spatiale des États-Unis, nouveaux partenariats potentiels (coopération avec les États-Unis ou coopération avec la Russie), polarisation des marchés (institutionnel aux États-Unis et commercial en Europe) etc. Il convient donc d'appréhender au plus près les difficultés inhérentes à ces évolutions mais aussi de saisir les diverses opportunités qui peuvent se présenter.

Sous la pression du marché commercial, la restructuration de l'industrie spatiale mondiale conduit à une réduction du nombre de grands intégrateurs « systèmes » et d'opérateurs suite à leur regroupement dans des consortiums comme ALCATEL/ALENIA, EADS, LOCKHEED MARTIN etc. et à la création d'un nombre limité de grands acteurs industriels dominants. Pour ce qui est la situation de la Belgique, il faut noter que cette restructuration des grands intégrateurs n'a pas été accompagnée d'une évolution similaire au niveau de l'industrie des équipementiers et sous-systémiers.

La position de l'Union européenne en la matière a porté le dossier spatial au plus haut niveau politique européen, soulève aussi plusieurs questions. Cette évolution n'a cependant pas permis jusqu'ici l'identification des ressources financières et des instruments qui devraient doter l'Union d'un véritable programme spatial européen. De plus, la question de la politique industrielle à mettre en œuvre pour les futurs projets va demander des réflexions approfondies dans le cadre de la définition et de la mise en œuvre de ce programme spatial européen. La sensibilisation de l'Union aux contingences de l'industrie spatiale de tous les États membres est un passage obligé pour le maintien et le développement des capacités industrielles et scientifiques dans chacun des États.

Par ailleurs, un manque de cohérence dans l'approche de la Commission européenne et de certains grands États engendre, dans une certaine mesure, des processus de décision basés sur des positions partisanes qui ne reflètent pas nécessairement l'intérêt européen global. Quoi qu'il en soit, on attend de la Commission européenne qu'elle fédère la demande institutionnelle de l'Union dans les différents domaines de ses politiques sectorielles, et par exemple dans celui de la politique de sécurité et de défense.

Pour ce qui est de l'évolution et de l'importance des moyens financiers consacrés à l'espace en Belgique, il y a lieu de souligner que, pour l'année budgétaire 2006, la contribution belge à l'ASE a été fixée à quelque 170 millions d'euros. Par rapport à 2005, il y a donc une augmentation d'environ 30 %. Le schéma convenu par le gouvernement pour récupérer les économies imposées est maintenu. Dans trois ans au plus tard, les économies réalisées précédemment seront récupérées intégralement.

Le montant dont peut disposer la délégation belge à Berlin pour engager la Belgique dans les programmes facultatifs de l'ASE et pour assurer la continuité des programmes en cours s'élève à un peu plus de 430 millions d'euros pour la période 2006-2010. Il importe de souligner que c'est le même montant que celui qui était prévu dans l'enveloppe qui fut présentée au conseil de l'ASE d'Edimbourg en 2001. C'est un élément primordial pour ce qui est de la préservation et, éventuellement, du renforcement de la position de la Belgique au sein de l'ASE, au moment même où les budgets affectés à l'espace sont mis sous pression au niveau européen. En d'autres termes, le fait de prévoir une enveloppe constante pour l'espace permet d'appuyer avec force les intentions de la Belgique en la matière.

À l'heure actuelle, quelque 70 équipes universitaires de recherche et une quarantaine d'entreprises sont actives en Belgique dans le secteur de la navigation spatiale. Les choix politiques qui doivent être faits à Berlin doivent permettre de préserver les capacités scientifiques et industrielles présentes en Belgique et de stimuler le développement de nouvelles niches technologiques.

Au niveau industriel, les entreprises doivent être encouragées à se lancer dans des segments spécifiques du marché industriel ou à se concentrer sur une activité spécialisée produisant une valeur ajoutée importante.

Au niveau des centres de recherche, on constate un certain éparpillement de la capacité scientifique, malgré le fait que certains d'entre eux jouent encore un rôle prééminent et possèdent un savoir-faire technologique de pointe qui est reconnu à l'échelle internationale (par exemple IMEC, VITO, Centre spatial de Liège). Un des grands objectifs de la politique à mener en la matière doit donc être de renforcer la coopération et de stimuler la synergie entre les universités, les centres de recherche et les entreprises, en vue d'assurer l'innovation à long terme.

Concrètement, le Belgique formulera des propositions dans des domaines comme l'observation de la terre, les télécommunications, les lanceurs, l'exploration du système solaire, la microgravité, la navigation, etc.

— Échange de vues

Au cours de l'échange de vues avec le ministre, le sénateur Luc Willems s'est penché plus en détails sur les problèmes posés par Arianespace et par le programme de lancement européen, qui viennent notamment de l'absence d'une vision à long terme et d'un suivi des systèmes actuels et qui risquent dès lors d'hypothéquer lourdement l'accès autonome de l'Europe à l'espace.

Il a également demandé quelle sera l'attitude de la Belgique et de l'Europe face aux nouvelles nations qui ont décidé d'adopter une politique de l'espace, comme la Chine, l'Inde et le Brésil.

Enfin, il a demandé dans quelle mesure une politique européenne de défense, qui soulève toutes sortes de problèmes logistiques et autres, en ce qui concerne par exemple les télécommunications et la création éventuelle d'une Agence européenne de défense, peut donner de nouvelles impulsions à une politique spatiale européenne à part entière et cohérente. Ne pourrait-elle pas constituer une alternative à un marché commercial plafonné, dans lequel il ne faut plus envisager de pouvoir réaliser des progrès considérables ?

Mme Margriet Hermans, sénatrice, a souligné que l'engagement financier que la Belgique souhaite prendre à l'égard de l'ESA confirme une fois de plus le dynamisme du secteur de l'aérospatiale. Il est dès lors extrêmement important de poursuivre sur cet élan et il faudrait que d'autres pays européens puissent être convaincus de la nécessité d'une politique spatiale européenne forte.

Le ministre a situé les efforts belges dans le cadre du Processus de Lisbonne et de la stratégie d'innovation européenne. De ce point de vue, l'engagement à l'égard de l'ESA n'est qu'un début. La route est encore longue.

En ce qui concerne Arianespace, le ministre a précisé que les règles qui devraient normalement s'appliquer en matière de concurrence et de libre marché jouent un rôle moins important en l'occurrence. Si l'Europe souhaite maintenir une capacité de lancement sur un marché international où ces règles n'ont pas cours, il faudra se mettre d'accord sur une certaine discrimination positive à l'égard du lanceur européen Ariane. Or, le Royaume-Uni, qui assure actuellement la présidence du Conseil ministériel de l'ESA, ne partage pas ce point de vue. La délégation belge devra donc insister dès le début sur le fait qu'il s'agit là d'un élément crucial pour notre pays.

Selon le ministre, l'Europe doit rechercher activement de nouvelles alliances dans le domaine de l'espace, sans toutefois négliger les anciennes. Cette démarche doit cependant aller de pair avec le respect dû à l'interlocuteur. En l'espèce, l'Inde est un partenaire à haut potentiel.

Les missions commerciales belges sont un bon moyen pour tester les possibilités de conclure de telles alliances. Notre pays s'y emploiera aussi bien lors de la prochaine mission au Brésil qu'à l'occasion de la mission en Russie dans le courant de 2006.

Sur le plan de la défense, le ministre a souligné que l'Union européenne a un rôle à jouer et doit donner à l'ESA les incitants nécessaires pour se profiler également dans ce domaine. La défense peut certainement donner de nouvelles impulsions au secteur aérospatial européen. Il faut seulement prévoir un cadre dans lequel le secteur de la défense puisse jouer son rôle.

III. DISCUSSION

— Discussion générale de la proposition

M. Willems commente la proposition de résolution qui a été déposée dans la perspective du prochain Conseil des ministres de l'ESA, qui aura lieu à Berlin les 5 et 6 décembre 2005. Les résultats de cette rencontre auront un grand impact sur la politique spatiale européenne et sur le développement de l'industrie et de la recherche scientifique belges.

L'espace a toujours été d'une importance capitale pour la Belgique. En 1975, notre pays était parmi les pays fondateurs de l'Agence spatiale européenne (ESA) et il est, en chiffres absolus, le quatrième contributeur au budget de l'ESA. Par tête d'habitant, la Belgique est même le premier contributeur aux programmes de l'ESA. Il faut remarquer qu'en 2005, la Belgique a été contrainte de réduire sa contribution pour des raisons budgétaires, mais les déclarations faites par le premier ministre au parlement fédéral, le 15 novembre 2005, à l'occasion de la fête du Roi, sont prometteuses. Il a en effet annoncé que le budget aérospatial de la Belgique serait majoré de 12 % et serait ainsi porté à 200 millions d'euros par an. L'essentiel de ce budget serait consacré à la participation belge au sein de l'ESA.

Cette contribution a eu un effet très positif sur le développement de l'industrie et de la science en Belgique, grâce au principe du « juste retour » qui est appliqué au sein de l'ESA et qui garantit que chaque euro investi par un pays dans l'ESA bénéficie à l'industrie et à la science du pays en question, sous la forme de commandes et d'une participation aux grands programmes spatiaux. Le succès a été au rendez-vous, principalement dans le cadre du développement de la capacité de lancement européenne via Ariane.

Il en résulte qu'aujourd'hui, 40 sociétés de haute technologie et 70 équipes scientifiques sont directement actives dans le secteur de l'aérospatiale en Belgique.

Il faut toutefois rester vigilant. On met actuellement en place une politique spatiale européenne dans le cadre de laquelle la Commission européenne jouera un rôle très important en tant qu'instance chargée de définir cette politique, dont l'ESA, en tant qu'agence, devra assurer l'exécution concrète.

Le risque pourrait être qu'à terme, les règles de la concurrence en vigueur au sein de l'Union européenne ne supplantent le principe du « juste retour ». Cela pourrait conduire à une intégration verticale des acteurs industriels européens dont seraient évincées les entreprises et institutions scientifiques de plus petite dimension, comme il en existe en Belgique. Cette tendance est d'ailleurs déjà perceptible. La fusion récente entre Alcatel Space et Alenia Spazio en un seul grand groupe a profondément modifié le paysage industriel en Europe. Aujourd'hui, il ne reste plus que deux grands groupes européens actifs, à savoir EADS-Astrium et Alcatel Alenia Space.

Malheureusement, le développement d'une véritable politique spatiale européenne accuse un certain retard en raison de la non-approbation de la constitution européenne qui érige l'espace au rang de compétence propre de l'Union européenne.

La résolution comprend neuf points et demande au ministre de se garder de toute naïveté lors du Conseil ministériel de l'ESA mais de défendre les intérêts belges et de valoriser au maximum, dans un nouveau contexte européen, les efforts de la Belgique dans le domaine de l'espace.

Au nom de son groupe, Mme Kapompolé soutient pleinement cette proposition qui tombe à un moment crucial. Elle prouve la nécessité d'un groupe de travail « Espace » au Sénat, chargé de suivre la politique spatiale belge.

M. Brotcorne approuve la présente proposition de résolution, qui souligne une fois encore à quel point la recherche spatiale est essentielle en Belgique.

Au nom de son groupe, M. Collas approuve le contenu de la proposition. Il se réjouit que l'accent soit mis sur les PME belges, dont plusieurs sont actives dans sa région. À cet égard, le gouvernement wallon a également reconnu l'importance de l'espace pour le développement de l'économie et a fait de ce secteur l'un des fers de lance de son plan Marshall pour la Wallonie.

Au nom de son groupe, M. Van Nieuwkerke soutient cette proposition et souscrit pleinement aux propos des intervenants précédents.

Au nom de son groupe, M. Steverlynck se réjouit du contenu de la présente proposition. Elle est un signal fort adressé au gouvernement afin que celui-ci continue à mener une politique forte en matière de recherche et développement. Par le passé, il est arrivé au gouvernement de prendre des initiatives qui n'ont pas toujours été bénéfiques pour la continuité du secteur. Il faut à tout prix éviter que cela ne se reproduise.

— Discussion des amendements déposés

Mme Kapompolé dépose un amendement visant à insérer un point 6bis dans le dispositif. Cet amendement s'inscrit dans le prolongement d'un amendement qu'elle avait déposé au nom de la délégation belge lors de la Septième Conférence interparlementaire européenne de l'Espace en juin 2005. Il demande à l'ESA d'établir des contacts étroits et de développer la coopération avec les pays émergents dans le secteur spatial, en particulier la Chine, l'Inde, le Japon et le Brésil. À cet égard, il convient aussi de promouvoir les transferts technologiques.

M. Willems approuve pleinement cet amendement car il s'inscrit totalement dans la ligne de la discussion qui a eu lieu à ce sujet au sein du groupe de travail « Espace ». De plus, il tombe à point nommé dans la mesure où le ministre organisera sous peu une mission économique au Brésil, au cours de laquelle le dossier de l'espace sera également abordé.

M. Willems dépose un amendement visant à compléter le point 5. De la sorte, on met aussi l'accent sur les PME, qui constituent en Belgique l'essentiel de l'activité industrielle en matière d'espace. À cet égard, on peut citer l'exemple de l'entreprise Verhaert à Kruibeke, une PME qui a acquis une réputation mondiale par le développement de petits satellites, comme le premier satellite belge « Proba ».

IV. VOTES

L'amendement nº 1 de Mme Joëlle Kapompolé a été adopté par 10 voix contre 2.

L'amendement nº 2 de M. Luc Willems a été adopté à l'unanimité par 12 voix.

L'ensemble de la proposition de résolution amendée a été adopté à l'unanimité par 12 voix.

Confiance a été faite à la rapporteuse pour la rédaction du présent rapport.

La rapporteuse, Le président,
Joëlle KAPOMPOLÉ. Jean-Marie DEDECKER.

Pour le texte adopté par la commission (voir doc. Sénat nº 3-1428/5)