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21 OCTOBRE 2005
La présente proposition de loi se fonde sur la constatation, navrante mais réelle, de l'échec des autorités dans la lutte contre la criminalité. Notre proposition vise à faciliter l'identification des auteurs d'infractions, en s'inspirant de ce qui existe pour les photographies d'avis de recherche diffusés par les médias ou les films diffusés à la télévision dans le cadre d'émissions de recherche. Les commerçants ou les titulaires de professions libérales victimes d'une infraction auraient le droit de rendre publiques les photos des auteurs filmés ou photographiés en flagrant délit.
Le droit à l'image est le droit de décider si l'on souhaite ou non être photographié. Sans le consentement de la personne représentée, aucune photo ne peut être prise, reproduite, publiée, communiquée au public ... Le droit à l'image s'applique uniquement aux personnes qui ne suscitent pas un intérêt public. Les personnalités publiques, telles que les hommes et femmes politiques et les personnalités du monde de la musique par exemple, sont censées avoir marqué leur consentement à la publication de leur image, pour autant qu'il s'agisse de photographies prises lors de l'exécution de leurs activités publiques. Il convient par ailleurs d'examiner dans ce cadre si la photographie a été prise à la demande de la personne photographiée elle-même. Le droit à l'image expire 20 ans après la mort de la personne représentée.
La Convention européenne du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») traite, en son article 8, du droit au respect de la vie privée. La jurisprudence considère que cette disposition protège également le droit à l'image. Il n'est pas nécessaire de prouver que la reproduction de cette image a causé un préjudice.
L'article 10 de la loi belge du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur dispose: « Ni l'auteur, ni le propriétaire d'un portrait, ni tout autre possesseur ou détenteur d'un portrait n'a le droit de le reproduire ou de le communiquer au public sans l'assentiment de la personne représentée ou celui de ses ayants droit pendant vingt ans à partir de son décès. » En vertu de ce principe, le consentement de la personne photographiée doit être demandé. Ce consentement est considéré comme implicite pour les personnes publiques et les personnes privées qui entrent temporairement dans la vie publique, pour autant que les photographies concernent la vie publique des intéressés et soient publiées dans un contexte lié à l'actualité.
D'après la jurisprudence, le fait qu'une personne se laisse photographier n'implique pas qu'elle accepte que cette photographie soit reproduite ou communiquée au public. La jurisprudence confirme également que l'on ne peut pas partir du principe que la personne représentée sur la photographie consent à ce que les négatifs soient utilisés à n'importe quelle fin: son autorisation expresse est requise pour la publication.
Pour pouvoir invoquer le droit à l'image, la personne photographiée doit pouvoir être identifiée. Le droit à l'image ne s'applique pas aux personnes photographiées de dos ou dans la foule.
Le droit à la vie privée est un droit de l'homme, qui est notamment défini dans la CEDH. L'article 8 de la CEDH dispose en effet:
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence soit prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Il est donc évident que le droit à la vie privée n'est pas absolu et qu'il n'est certainement pas illimité. La loi peut prévoir des dérogations dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, ou du bien-être économique du pays, de la défense de l'ordre public, de la prévention de faits punissables, de la protection de la santé ou de la morale, ou de la protection des droits et libertés d'autrui. Ces limitations sont nécessaires dans toute société démocratique.
La Nederlandse Platform Detailhandel (plate-forme néerlandaise du commerce de détail), qui défend les intérêts de chaînes de grands magasins et de travailleurs indépendants du secteur du commerce de détail, estime que « les commerçants doivent pouvoir publier des photos de voleurs à l'étalage sans s'exposer au moindre risque de poursuites ou de demande de réparation. Les voleurs à l'étalage sont actuellement trop protégés dans ce pays ». Cette plate-forme appelle le ministre (de la Justice), M. Donner, à apporter les modifications nécessaires à la législation relative à l'image, aux droits d'auteur et à la vie privée. Cette variante moderne du pilori doit dissuader les futurs voleurs à l'étalage et contribuer à l'arrestation des auteurs de tels faits. Si la plate-forme s'est toujours montrée réticente à l'égard de la publication de photographies de voleurs à l'étalage, elle estime aujourd'hui que la coupe est pleine.
Mme Annet Koster, secrétaire de la section « vol à l'étalage » de la plate-forme du commerce de détail, indique que « les commerçants sont dans une situation préoccupante » et que « le coût du vol à l'étalage est tout simplement exorbitant ». Elle ajoute: « Nous n'affirmons pas que le portrait de tous les voleurs à l'étalage doit être affiché dans les magasins. Parfois, cette solution présente en effet des inconvénients, par exemple en termes de représailles de la part des voleurs. Cependant, les commerçants qui optent pour cette solution ne doivent pas pouvoir être poursuivis pour autant. »
Les discussions relatives à l'affichage de photos de voleurs à l'étalage ont repris depuis qu'un commerçant de Roden a affiché dans son magasin le portrait d'une voleuse. La Justice et la police se sont immédiatement présentées chez celui-ci pour exiger qu'il fasse disparaître cette photographie. Ce dernier a cependant refusé et il a ensuite reçu de très nombreuses marques de soutien de la part de commerçants et de clients de tout le pays.
Plusieurs commerçants ont déjà testé cette solution ces dernières années. Elle s'est à nouveau avérée particulièrement efficace en Frise l'année dernière lorsque le voleur d'un ordinateur portable a restitué cet appareil après que sa photo a été affichée dans le magasin où il l'avait dérobé. Mme Koster, de la plate-forme du commerce de détail, estime que les commerçants qui affichent ce type de photographies émettent un signal clair. Elle déclare: « Nous sommes contactés par des supermarchés, des drogueries et d'autres types de magasins qui ne s'en sortent plus en raison de l'importance du coût du vol à l'étalage. Les mesures prises par la Justice et la police sont tout simplement insuffisantes. Les plaintes restent sans suite. Et les commerçants prennent donc eux-mêmes les choses en main. »
Les commerçants se sont mobilisés de plus en plus, ces dernières années, contre le vol à l'étalage. Dans une station-service de Drunen, toutes les images de surveillance ont été affichées. Une vidéothèque d'Alkmaar et un marchand de cigares d'Amsterdam ont eux aussi placé leurs espoirs dans cette technique d'identification. Le vol à l'étalage et les attaques coûtent chaque année aux entreprises néerlandaises près d'un milliard d'euros en dommages directs et en mesures de protection (« Les voleurs à l'étalage sont trop protégés — les commerçants demandent l'autorisation d'afficher leur portrait », De Telegraaf, 1er juin 2005).
Nous estimons que la situation n'est sans doute pas très différente en Belgique. Il est dès lors proposé d'autoriser les victimes d'infractions qui disposent d'une photographie de l'auteur des faits qui les concernent, à publier ladite photographie. La personne lésée remet la photographie de l'auteur aux verbalisants et fait consigner au procès-verbal qu'elle souhaite publier cette photographie. Les services de police en informent le parquet, qui dispose de quarante-huit heures pour s'opposer à cette publication. La personne lésée peut contester ce refus dans les sept jours de sa notification en s'adressant au président de la chambre du conseil. Le président de la chambre du conseil statue comme en référé.
Article 2
Cet article règle le droit de publier des photos d'auteurs d'infractions. Les personnes qui sont victimes d'une infraction et qui disposent d'une ou de plusieurs photos de l'auteur ou des auteurs de l'infraction, prise(s) avant, pendant ou après que l'infraction a été commise, peuvent publier ces photos, dénommées ci-après, comme on l'a dit, « photos d'auteurs d'infractions », et ce, en particulier, au moyen d'affiches, par voie de publication dans des revues et par mise en ligne sur internet, lorsque les auteurs ont été filmés ou photographiés en flagrant délit, à condition que ces personnes respectent le prescrit de l'article suivant. Seule la victime d'une infraction, à l'exclusion des tiers, a le droit de publier la photo de l'auteur de l'infraction. D'autre part, il n'est pas non plus exigé que la photo de l'auteur de l'infraction ait été prise par la victime elle-même.
L'alinéa 2 règle le cas dans lequel une photo de l'auteur d'une infraction représente une personne qui est manifestement mineure. Il est prévu que la disposition de l'alinéa précédent reste d'application, même si la photo de l'auteur de l'infraction représente une personne mineure.
Article 3
Cet article contient des garanties contre la publication inconsidérée de photos représentant des personnes qui auraient été filmées alors qu'elles commettaient une infraction.
Article 4
L'article 4 de la proposition de loi contient une disposition pénale. Quiconque publie des photos d'auteurs d'infractions en violation des dispositions de la loi est puni d'un emprisonnement de huit jours à un mois et d'une amende de vingt-six euros à deux cents euros, ou d'une de ces peines seulement.
La loi proposée est une loi pénale particulière à laquelle s'applique l'article 100 du Code pénal. Il est par ailleurs précisé que toutes les dispositions du livre Ier du Code pénal, y compris le chapitre VII et l'article 85, s'appliquent à l'infraction visée dans cet article. Cela signifie essentiellement que la peine peut être réduite lorsqu'il y a des circonstances atténuantes.
Article 5
Il est utile d'évaluer l'application pratique de la loi après une période suffisamment longue.
Anke VAN DERMEERSCH. Jurgen CEDER. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Les personnes qui sont victimes d'une infraction visée au livre 2, titre IX, chapitre Ier, sections Ire et II, du Code pénal et qui disposent de photos ou d'images filmées montrant le ou les auteurs de l'infraction et prises au moment où celle-ci a été commise peuvent publier ces photos, ci-après dénommées « photos d'auteurs d'infractions », par voie d'affiches, de publication dans des revues et sur internet, désigné ci-après par « l'affichage », à condition de respecter les dispositions de l'article suivant.
L'alinéa précédent est d'application même si la personne qui figure sur la photo de l'auteur de l'infraction est mineure.
Art. 3
§ 1er. La personne qui fait usage du droit qui lui est conféré par l'article précédent, ne peut en aucun cas être tenue pour responsable civilement ou pénalement, si elle a fait acter, dans le procès-verbal établi par les services de police, son intention de publier des photos de l'auteur de l'infraction. Une copie des photos de l'auteur de l'infraction est jointe au procès-verbal. Le procès-verbal contient un numéro de téléphone, un numéro de télécopie ou une adresse électronique où il est possible de joindre la victime.
Les verbalisateurs informent immédiatement le procureur du Roi de l'intention de la victime et indiquent le moment de cette notification dans leur procès-verbal.
§ 2. Le procureur du Roi peut s'opposer à la publication des photos de l'auteur de l'infraction dans les quarante-huit heures qui suivent cette notification. Il signifie alors son opposition motivée à l'intéressé par télécopie ou par courrier électronique.
L'opposition peut uniquement reposer sur la considération que les indices de culpabilité contre la personne photographiée ne sont pas suffisants.
§ 3. En cas d'opposition du procureur du Roi, l'intéressé peut s'adresser au président de la chambre du conseil dans les sept jours qui suivent la notification de l'opposition.
L'affaire est introduite par requête unilatérale déposée au greffe du tribunal correctionnel ou envoyée à ce greffe, et est instruite en chambre du conseil comme en référé, en application des règles prévues par le Code d'instruction criminelle. Le greffier notifie immédiatement la requête au procureur du Roi. La requête ne doit pas être signée par un avocat.
Le président de la chambre du conseil statue, le ministère public entendu. Son ordonnance est exécutoire par provision, nonobstant tout recours.
§ 4. Le droit d'affichage cesse dès que le coupable est arrêté et que le parquet en a informé la victime.
Art. 4
Quiconque aura publié des photographies d'auteurs d'infractions en violation des dispositions de la présente loi sera puni d'un d'emprisonnement de huit jours à un mois et d'une amende de vingt-six euros à deux cents euros ou d'une de ces peines seulement.
Les dispositions du livre Ier du Code pénal, y compris le chapitre VII et l'article 85, sont applicables aux infractions visées à l'alinéa précédent.
Art. 5
Le Roi procédera à une évaluation de la présente loi trois ans après son entrée en vigueur, le collège des procureurs généraux entendu. Le Roi fera rapport aux assemblées législatives fédérales sur cette évaluation.
10 octobre 2005.
Anke VAN DERMEERSCH. Jurgen CEDER. |