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16 SEPTEMBRE 2005
Comme le souligne la Commission européenne dans son rapport du 14 février 2005 sur l'égalité entre les femmes et les hommes (1) , « pour relever le défi du vieillissement de la population, l'Europe doit encourager les citoyens à entrer sur le marché du travail, créer des politiques pour continuer à favoriser l'emploi des femmes dans toutes les tranches d'âge, mais en particulier dans les tranches supérieures (...). Il est plus que jamais nécessaire de renforcer la position des femmes sur le marché de l'emploi, de garantir la pérennité du système de protection sociale et de créer une société fondée sur l'inclusion pour atteindre les objectifs de Lisbonne ».
Dans le même esprit, le rapport de mai 2004 du « Groupe de Haut Niveau sur l'avenir de la politique sociale dans une Union européenne élargie » révèle au point 3.1.1.2. que « dans l'Europe des quinze, 6,4 millions de femmes en âge de travailler n'exercent pas d'emploi rémunéré, bien qu'elles veuillent travailler. Si on ajoute les 6,6 millions de femmes au chômage, il est clair que le potentiel de main-d'œuvre féminine inexploité est considérable. ».
Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, et pour faire face au vieillissement de la population, les États membres de l'Union européenne se sont fixé pour 2010 des objectifs clairs en matière d'emploi: 60 % de femmes actives parmi celles en âge de travailler et 50 % de travailleurs actifs âgés de plus de 55 ans, hommes et femmes confondus.
Pourtant, le taux d'emploi des femmes, et particulièrement celui des femmes âgées de plus de 55 ans, est dramatiquement bas en Belgique: alors que l'Europe compte en moyenne 66 % de femmes inactives, elles sont 82 % en Belgique.
Si nous voulons avoir une chance d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés à Lisbonne, il est évident que nous ne pouvons continuer à exclure la problématique de l'emploi des femmes du débat sur le vieillissement de la population et de celui sur les fins de carrière. Leur situation sur le marché de l'emploi est spécifique et leur situation en matière de pensions l'est tout autant. Ces débats ne peuvent être utilement menés séparément.
La présente proposition de résolution a pour but d'encourager l'adoption de mesures permettant aux femmes une meilleure intégration sur le marché de l'emploi dans des conditions professionnelles et familiales adéquates.
Plusieurs facteurs sont à l'origine de la sous-représentation des femmes sur le marché du travail qui s'expliquent pour la plupart par le fait que l'on ne tient toujours pas compte de la spécificité de genre dans la politique d'accès à l'emploi, conduisant notre société à cautionner des inégalités pourtant injustifiables aujourd'hui entre les hommes et les femmes.
La segmentation du marché est telle que l'on retrouve les femmes essentiellement concentrées dans le secteur des services, tels que les soins de santé et les services sociaux, l'éducation, l'administration et la vente au détail, etc., et ce le plus souvent dans les fonctions les moins bien rémunérées et où les possibilités de promotion sont clairement inférieures. Cette ségrégation sectorielle entre les sexes sur le marché du travail ne s'est pas ou peu modifiée au cours des dernières années: les femmes représentent 36 % de l'effectif en filières scientifiques, mathématiques et informatiques, et 21 % en ingénierie, bâtiment et construction. Cette sous-représentation est due essentiellement à des stéréotypes éculés mais entretenus dans l'enseignement qui n'encouragent pas suffisamment les jeunes filles à se diriger vers des filières scientifiques et techniques porteuses de débouchés dans une Europe que nous voulons pourtant être « l'économie fondée sur le savoir ». Sachant que les femmes représentent la majorité des diplômés de l'Union européenne (55 %), on ne peut que conclure à un problème de mentalité, rien d'autre.
Ensuite les femmes sont trop souvent considérées par les employeurs comme une « variable d'ajustement », comme une « main-d'œuvre mobilisable »: les femmes sont majoritairement contraintes d'accepter des contrats à temps partiel. Le rapport 2004 du Conseil supérieur de l'emploi révèle que « la Belgique (...) compte 37,7 % de travailleuses à temps partiel », alors que le temps partiel ne représente que 17,7 % des emplois en moyenne en Europe.
Outre ces problèmes de ségrégation et cette participation différenciée au marché de l'emploi, il faut également souligner que les charges familiales et les tâches ménagères reposent encore quasi exclusivement sur les femmes. Elles se voient obligées d'assumer des doubles journées de travail et quand se pose la question d'un éventuel retrait de la vie active dans le couple, que ce soit à temps partiel, provisoirement ou totalement, ce sont très souvent les femmes qui font cette concession.
Après avoir interrompu leur carrière pour des raisons familiales, leur réintégration sur le marché de l'emploi, après plusieurs années d'absence, est rendue plus difficile encore.
Après 50 ans, il n'est pas rare qu'elles doivent assumer la charge de leurs petits-enfants et en même temps celle de leurs propres parents. On se retrouve alors face à ce qu'on appelle la génération de femmes dites « sandwiches », écartées purement et simplement du marché de l'emploi.
Autre facteur de précarité pour les femmes: une des caractéristiques actuelles de notre société est une augmentation du nombre de familles monoparentales, et très majoritairement du côté des femmes. Les femmes sont encore plus vulnérables face à la pauvreté lorsqu'elles vieillissent ou vivent seules avec des enfants. Celles-ci ont en effet plus encore que d'autres des difficultés financières considérables lorsqu'elles doivent faire face à des ruptures familiales. Soulignons que la Commission économique des Nations unies relève que « le profil-type du pauvre en Europe sera bientôt la femme seule, âgée de plus de 46 ans ».
Enfin l'écart de rémunération entre les sexes est toujours de 16 % en moyenne dans l'Union européenne, à travail égal ou de valeur égale. Ce taux n'a pas varié ces dernières années.
Tous ces éléments expliquent le taux d'emploi catastrophiquement bas des femmes sur le marché de l'emploi en Belgique, et plus particulièrement celui des femmes de plus de 55 ans: seules la Grèce, l'Espagne et l'Italie font moins bien que nous en la matière.
À la lumière de ces constats et de ces considérations, il est clair que si l'on n'aborde pas la situation particulière des femmes sur le marché de l'emploi, le débat sur les fins de carrière sera stérile. Si nous devons dès aujourd'hui et urgemment remédier à ce faible taux d'emploi chez les travailleuses plus âgées, cette action doit s'inscrire dans une politique globale d'intégration visant spécifiquement les femmes, et ce depuis leur formation, en passant par les problèmes de garde d'enfants et d'autres personnes dépendantes, par un aménagement des conditions de travail leur permettant de concilier sereinement vie privée et vie professionnelle.
La présente résolution vise à développer une série de mesures permettant de lutter contre les inégalités professionnelles liées au genre en s'attaquant à la précarisation de l'emploi qui en premier lieu touche les femmes.
L'inégalité entre les femmes et les hommes constitue un phénomène pluridimensionnel qu'il y a lieu d'aborder au moyen de mesures stratégiques s'inscrivant dans une politique globale.
Le défi consiste à mettre en place des politiques qui soutiennent l'égalité de traitement des femmes et des hommes dans l'éducation, l'emploi et le développement de la carrière et qui encouragent l'esprit d'entreprise, l'égalité de rémunération pour un travail égal ou de valeur égale, un partage plus équitable des responsabilités familiales et une participation équilibrée des femmes et des hommes aux processus de décision. La clef de réussite de ces politiques implique des efforts et une mobilisation des différents niveaux de pouvoirs dans notre pays. La sensibilisation des partenaires sociaux à cette dimension du genre est également indispensable.
Jihane ANNANE Nathalie de T' SERCLAES. |
Le Sénat,
A. Considérant les objectifs de la stratégie de Lisbonne que la Belgique s'est engagée à atteindre d'ici 2010 et qui prévoient un taux d'emploi des femmes en âge de travailler de 60 % et un taux d'emploi de 50 % des travailleurs âgés de 55 à 64 ans, hommes et femmes confondus, alors que ces taux sont aujourd'hui respectivement de 51 % et de 28 % dans notre pays;
B. Considérant l'article 119 du Traité de Rome, l'article 2.2 du Traité d'Amsterdam, la directive européenne 75/117/CEE du 10 février 1975 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, la recommandation 92/241/CEE du Conseil du 31 mars 1992 concernant la garde des enfants, la communication de la Commission du 17 février 1999 « Femmes et sciences », la directive 2002/73/CE sur l'égalité de genre en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail, le rapport 2005 de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur l'égalité entre les femmes et les hommes et enfin la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail;
C. Considérant les conclusions de la réunion interparlementaire sur la stratégie de Lisbonne qui s'est déroulée les 17 et 18 mars derniers au Parlement européen;
D. Considérant que le débat sur le vieillissement de la population et sur les fins de carrière ne peut être utilement mené s'il n'intègre pas la dimension de genre,
Demande au gouvernement:
I. De renforcer les mesures permettant aux travailleurs hommes et femmes de concilier vie professionnelle et vie familiale. Dans ce cadre il est indispensable de procéder à une évaluation concrète des mesures existantes en matière d'aménagement du temps de travail, afin de voir dans quelle mesure celles-ci répondent bien à l'objectif initialement recherché et de quelle manière elles sont concrètement utilisées par les hommes et les femmes.
II. Dans le cadre du comité de concertation avec les Communautés et les Régions, d'examiner conjointement le renforcement des mesures permettant un meilleur partage des tâches familiales pour conduire à une réelle parité à cet égard, notamment en:
— aménageant, conformément aux objectifs que le Conseil européen de Barcelone de 2002 a fixés pour 2010, des structures de garde d'enfants capables d'accueillir au moins 33 % des enfants âgés de moins de trois ans et 90 % au moins des enfants ayant entre trois ans et l'âge de la scolarité obligatoire;
— renforçant les services aux familles en matière d'accueil des enfants malades, d'horaires des crèches, d'accueil extrascolaire et de services d'aides aux personnes dépendantes;
— encourageant la souplesse et la diversité des services de garde d'enfants dans le cadre d'une stratégie ayant pour but d'accroître les choix et de répondre aux préférences, aux besoins et aux circonstances spécifiques des enfants et de leurs parents, tout en préservant une cohérence entre les différents services;
— favorisant une participation accrue des hommes à l'ensemble des tâches familiales et ménagères afin d'assurer un partage plus égal des responsabilités entre les hommes et les femmes. Celles-ci reposant encore quasi exclusivement sur les femmes, elles se trouvent handicapées sur le marché du travail et par la suite en termes de revenus au moment de la retraite.
III. De développer une politique visant à lutter contre les discriminations dont sont encore victimes les femmes sur le marché du travail et de promouvoir une réelle égalité professionnelle entre hommes et femmes, notamment en:
— encourageant les partenaires sociaux à procéder lors des négociations des conventions collectives à une analyse du régime de rémunération et à évaluer les informations utiles pour détecter les discriminations et identifier les mesures à prendre pour y remédier;
— augmentant le différentiel entre revenus de remplacement et revenus du travail;
— luttant contre l'effet pervers que peuvent avoir les prestations sociales liées au statut de chef de ménage sur le travail du conjoint. Lorsque les revenus de remplacement sont trop étroitement liés au revenu, le conjoint, le plus souvent la femme, n'a pas ou peu d'intérêt financier à travailler;
— soutenant activement et de manière ciblée les femmes chômeuses de plus de 50 ans dans leur recherche d'un emploi;
— supprimant les plafonds de rémunération pour les bénéficiaires de pensions de survie avec enfants à charge.
IV. De lutter contre la ségrégation sectorielle entre hommes et femmes, notamment en:
— promouvant un réel accès des femmes aux formations continues, et en priorité après une interruption de carrière;
— développant des réseaux permettant aux femmes-chercheurs, et en particulier à celles qui évoluent dans le domaine scientifique, de faire entendre leurs voix pour lutter contre l'isolement et le manque de soutien que celles-ci rencontrent individuellement dans leur branche d'activité;
— de veiller à la parité dans l'octroi des bourses du FNRS
— en concertation avec les communautés et régions, en encourageant l'orientation des jeunes filles vers des filières scientifiques et techniques et en promouvant l'enseignement des technologies nouvelles;
V. De promouvoir une gestion innovante des ressources humaines dans l'entreprise, notamment en:
— encourageant les initiatives consistant à prendre en compte l'expérience des personnes de plus de 50 ans, plutôt que de promouvoir des régimes de sortie anticipée du marché du travail;
— améliorant les conditions et l'environnement de travail des femmes de plus de 50 ans pour tenir compte de leur situation spécifique (flexibilité des horaires, santé, etc.).
VI. D'encourager l'entreprenariat chez les femmes, notamment en:
— promouvant l'esprit d'entreprise chez les femmes;
— facilitant l'accès des femmes au financement de la création et du développement de leur propre activité professionnelle;
— développant des actions de formation adaptées pour les créatrices d'entreprises;
— encourageant le coaching et le parrainage;
— soutenant la création de réseaux d'entreprenariat féminin.
VII. De procéder au plus tôt à la transposition de la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant la directive 76/207/CEE du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, et les conditions de travail.
27 avril 2005.
Jihane ANNANE Nathalie de T' SERCLAES. |
(1) COM(2005) 44.