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23 FÉVRIER 2005
Depuis octobre 1998, l'Union européenne a décidé de tenir compte des conséquences politiques suscitées par l'élection du président Khatami en 1997 : l'Union a dépassé le « dialogue critique » instauré en 1995 et instauré avec l'Iran des relations approfondies sous la forme des réunions semestrielles au niveau de la troïka qui permettent un échange de vue sur des questions générales (terrorisme, droits de l'homme et prolifération nucléaire), régionales (Irak, pays du Golfe, Asie centrale et processus de paix au Proche-Orient) et des domaines de coopération (drogue, réfugiés, énergie, commerce et investissements).
À l'heure actuelle, bien que l'Union européenne soit le premier partenaire commercial de l'Iran, il n'existe pas entre l'Union européenne et l'Iran de cadre juridique qui permettrait le développement de relations plus étroites. Le Conseil Affaires générales du 13 décembre 2004 a relancé les négociations pour la conclusion d'un accord de commerce et de coopération, négociations qui intègrent également des points relatifs au programme nucléaire civil iranien.
Malgré d'importantes ressources agricoles, minérales et fossiles, (l'Iran détient les troisièmes ressources pétrolières du monde, et la deuxième place pour les gisements de gaz et de cuivre), l'économie iranienne est stagnante. En effet, le pays vit replié sur lui-même en raison du blocus imposé par les États-Unis depuis la révolution de 1979, les infrastructures souffrent d'un sous-financement et enfin l'économie est étouffée par un excès de dirigisme et par une réglementation abondante et opaque.
L'Iran connaît une aggravation de ses problèmes économiques et sociaux, avec un taux de chômage et une inflation élevés, le poids d'une lourde dette extérieure et d'un large secteur public sclérosé, une productivité insuffisante et une faible utilisation de son potentiel industriel, une importante croissance de la population, un exil des jeunes diplômés et une pollution locale alarmante.
Le développement économique et social ainsi que l'ouverture pacifique de la société civile peuvent-ils se réaliser dans le cadre politique actuel, où coexistent des structures théocratiques et répressives avec des groupes sociaux plus démocratiques ? Les élections municipales et législatives qui se sont déroulées début 2000 et la réélection du président Khatami le 8 juin 2001 ont clairement témoigné du large soutien populaire à son programme de réformes civiles, juridiques et économiques. Après la démission de 124 députés réformateurs protestant contre l'éviction par le Conseil des Gardiens de 2500 candidats, les élections législatives du printemps 2004 ont ramené une majorité conservatrice au Parlement iranien. Celle-ci s'attache désormais à revenir sur les mesures d'ouverture prises ou préparées précédemment en matière économique ou sociétale.
Il faut reconnaître que les effets de l'action du président Khatami en matière politique et économique ont été limités par le dualisme des structures politiques formelles et informelles. Les pouvoirs limités du président et la dimension de l'opposition parlementaire rendent difficile la mise en place des mesures relatives à la société civile et l'établissement de l'État de droit, ainsi que la remise en cause de la théocratie.
L'année 2005 est une année décisive pour les pays qui entourent l'Iran : l'Afghanistan vient de se doter de son premier président élu et des élections législatives vont se dérouler au printemps, l'Irak est également entré dans un large processus électoral et va se doter d'une nouvelle constitution, le processus de paix israélo-palestinien peut enfin connaître des avancées à travers les élections en Palestine et le retrait israélien de la bande de Gaza. L'Iran a une influence directe ou indirecte dans ces trois pays : il doit donc utiliser son pouvoir d'influence pour promouvoir une issue pacifique à ses processus de transition et de stabilisation politique.
La conclusion d'un accord d'association et de coopération avec l'Iran nécessitera de la part de ce dernier de larges réformes en matière législative au niveau du marché et des investissements; il nécessitera surtout des progrès sensibles afin d'instaurer un État de droit, le respect des minorités ethniques et religieuses et des droits des femmes.
La conclusion de cet accord dépendra également du respect par l'Iran des engagements qu'il doit respecter en matière d'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire.
À la suite de la visite des ministres des Affaires étrangères français, anglais et allemands le 21 octobre 2003, Téhéran s'était engagé par écrit à signer le protocole additionnel de l'AIEA (réalisé le 18 décembre 2003), à suspendre volontairement tout enrichissement d'uranium et son retraitement, à faire preuve d'une coopération et d'une transparence totales vis-à-vis de l'AIEA en lui dévoilant avant le 31 octobre 2003 l'intégralité de ses activités nucléaires passées et présentes; lors de cette rencontre, le gouvernement iranien avait réaffirmé que les armes nucléaires n'avaient pas leur place dans la doctrine de défense de l'Iran.
Depuis cet accord, les rapports réguliers de l'AIEA ont mis en lumière le fait que l'Iran a dissimulé depuis plus d'une décennie une partie de ses activités nucléaires, qu'il a commis des infractions à ses obligations en vertu du TNP (non-déclaration de matériaux et d'installations nucléaires), qu'il a enrichi de l'uranium (activité permise par le TNP mais qui doit être notifiée à l'AIEA 180 jours à l'avance) par centrifugeuse et par laser, qu'il a séparé du plutonium, qu'il dispose du cycle pratiquement complet du combustible nucléaire, qu'il a testé des centrifugeuses avec des matières fissiles dans les ateliers de la Kalaye Electric Company, que des centrifugeuses ont continué à être assemblées et de l'uranium enrichi après l'accord du 21 octobre 2003, que des plans d'une centrifugeuse plus puissante (qui n'a d'intérêt que lorsqu'on veut produire de l'uranium enrichi de qualité militaire) ont été acquis ainsi que les aimants circulaires correspondants, que des entraves ont été mises au travail des inspecteurs de l'AIEA, que des particules d'uranium hautement enrichi ont été trouvées sur trois sites sans explications cohérentes, et que l'Iran a débuté la conversion de 40 tonnes de minerai d'uranium en hexafluoride d'uranium gazeux. Mais les rapports de l'AIEA n'ont jamais mis en lumière des preuves suffisantes pour renvoyer le dossier devant le Conseil de sécurité.
Le 14 novembre 2004, les Européens ont conclu avec l'Iran un nouvel accord dans lequel l'Iran s'engage à suspendre à nouveau et de façon provisoire l'enrichissement d'uranium, à ne pas importer ou fabriquer des centrifugeuses et leurs composantes, à ne pas fabriquer ou acquérir une arme nucléaire, en échange de quoi, les Européens sont disposés à soutenir le droit de l'Iran à utiliser l'énergie nucléaire de façon pacifique, à lui fournir un réacteur à eau légère, à garantir son accès au marché international de combustible mais avec la restitution du combustible usagé, à conclure un accord de commerce et de coopération et à soutenir la candidature de l'Iran à l'OMC. Ces négociations entre l'Union européenne et l'Iran ont débuté le 13 décembre 2004.
François ROELANTS du VIVIER. |
Le Sénat,
A. Vu les droits civils et politiques reconnus par les Conventions internationales auxquelles la République islamique d'Iran est partie; rappelant l'obligation de tous les États membres de l'ONU de promouvoir et de protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales et de s'acquitter des obligations qu'ils ont contractées en vertu des divers instruments internationaux dans ce domaine,
B. encourageant la signature et/ou la ratification par la République islamique d'Iran des instruments internationaux suivants : le Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le deuxième Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort, la Convention contre la torture et autres peines et traitements inhumains et dégradants, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans des conflits armés, et le Statut de la Cour pénale internationale,
C. vu la résolution adoptée par l'Assemblée Générale des Nations unies le 20 décembre 2004 (A/RES/59/205),
D. prenant acte des conclusions (12 janvier 2004) du rapporteur spécial (Ambeyi Ligabo) des Nations unies sur la liberté d'opinion et d'expression, et notamment le fort déclin que la liberté d'expression connaît en Iran depuis quelques années et la non-conformité du droit iranien avec des Conventions internationales auxquelles l'Iran a adhéré, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
E. considérant la résolution E/CN.4/RES/2001/17 de la Commission des Droits de l'Homme de Genève, adoptée le 20 avril 2001,
F. se déclarant vivement préoccupé par les atteintes aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales pratiquées en République islamique d'Iran, telles les exécutions publiques, les répressions et les châtiments corporels particulièrement inhumains, les arrestations arbitraires, la torture physique et psychologique dans les prisons, l'assassinat d'opposants au régime, de prisonniers politiques et d'opinion, les persécutions et les politiques de discrimination à l'encontre des femmes et des minorités religieuses ou ethniques
G. rappelant que l'Iran est un pays pluri-ethnique où les minorités représentent près de la moitié de la population et où les droits des minorités ethniques et religieuses (notamment concernant la situation des Bahaï et des Azéris) ne sont pas respectés,
H. considérant la Communication de la Commission européenne au Parlement européen du 7 février 2001, relative aux relations entre l'Union européenne et la République islamique d'Iran,
I. considérant les résolutions du Parlement européen du 11 février et du 27 octobre 2004,
J. considérant les conclusions du Conseil européen de Bruxelles des 16 et 17 décembre 2004 : « Le Conseil européen s'est félicité de l'accord intervenu le 15 novembre avec l'Iran au sujet des questions nucléaires (...). Il a souligné que le maintien de la suspension totale de toutes les activités de retraitement était indispensable à la poursuite de l'ensemble du processus (...). Le Conseil européen a confirmé ses conclusions du 5 novembre 2004 concernant la reprise des négociations relatives à un accord de commerce et de coopération, la suspension des activités susvisées ayant récemment été établie. »,
K. considérant le bilan politique du président Khatami, prenant note des premières ouvertures de la société civile, de l'introduction de règles sociales plus souples ainsi que des premières réformes visant à ouvrir le système politique iranien; mais déplorant la persistance de l'étouffement des libertés fondamentales (liberté d'opinion, d'expression et de presse), des inégalités entre les hommes et les femmes, de l'absence d'une justice indépendante et le manque de réformes économiques,
L. considérant le rôle fondamental des femmes (qui représentent 75 % des étudiants universitaires du pays) au sein de la société iranienne, ainsi que leur volonté clairement exprimée lors des dernières élections d'une démocratisation du régime; déplorant que l'Iran n'ait toujours pas adhéré à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes,
M. prenant note du message politique envoyé aux autorités iraniennes par la population civile lors des différents scrutins organisés depuis 1999; prenant note des aspirations nouvelles qui se sont exprimées démocratiquement et avec le soutien majoritaire de la population; constatant que les conservateurs disposent néanmoins de l'essentiel des pouvoirs; déplorant l'exclusion par le Conseil des Gardiens d'un nombre important de candidats aux élections générales du 20 février 2004, dont la plupart étaient des parlementaires du Front de participation, proche du président Khatami,
N. encourageant la poursuite et l'amplification du processus démocratique en République islamique d'Iran, la conclusion de relations politiques et économiques approfondies entre l'Union européenne et l'Iran; soulignant l'importance d'un dialogue continu, dense et constructif sur les droits de l'homme en Iran entre les institutions européennes et les décideurs, les différentes forces politiques et la société civile en Iran,
O. constatant que l'Iran, vu sa position géographique, devient une plaque tournante pour une part considérable des importations de drogue dans l'Union européenne,
P. constatant que l'Iran peut, à la suite de ses positions de politique étrangère arrêtées après le 11 septembre 2001, jouer un rôle positif pour la stabilité de l'ensemble de la région; appelant l'Iran à coopérer au succès du processus de paix israélo-palestinien et israélo-arabe, en rompant son soutien aux organisations recourant à des actions terroristes,
Q. considérant les tests de missiles balistiques (CHAHAB 3) d'une portée annoncée de 2 000 kilomètres,
R. considérant, à la suite des déclarations des autorités politiques iraniennes et des rapports de l'AIEA sur l'état d'avancement du programme nucléaire iranien, les soupçons qui pèsent sur l'Iran de vouloir détourner la finalité de son programme nucléaire civil afin de se doter de l'arme nucléaire,
S. considérant la résolution (GOV/2004/90) adoptée par le Conseil des gouverneurs de l'AIEA le 29 novembre 2004,
T. rappelant que l'Iran est pays membre du Traité de non-prolifération, de la Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques ou à toxines et sur leur destruction, de la Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction, qu'elle a signé le Protocole additionnel relatif au contrôle de sûreté des matières nucléaires de l'AIEA, et qu'elle doit respecter les obligations qu'ils contiennent,
invite le gouvernement à :
1. demander aux autorités iraniennes de consolider et d'étendre le respect des droits de l'homme, et d'honorer les obligations qu'elles ont librement contractées en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits l'homme auxquels elles ont adhéré;
2. demander aux autorités iraniennes de mettre un terme aux exécutions et aux lapidations, à commuer les condamnations à mort, en priorité pour les mineurs, et à abroger la peine de mort en Iran;
3. demander aux autorités iraniennes d'introduire en droit interne les mesures législatives nécessaires pour mettre un terme à la torture, à des peines cruelles, inhumaines et dégradantes; pour mettre en place les procédures judiciaires garantissant un procès transparent, juste et équitable;
4. demander aux autorités iraniennes qu'elles éliminent toutes les formes de discrimination inspirées par des motifs religieux et ethniques;
5. demander aux autorités iraniennes que des mesures soient prises pour promouvoir l'exercice plein et entier des droits fondamentaux des femmes iraniennes, et que la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et de son Protocole facultatif soient ratifiés;
6. soutenir les forces démocratiques qui œuvrent à l'intérieur du pays en faveur de l'instauration en Iran d'un État de droit, démocratique et respectueux des droits humains;
7. être attentif à ce que le développement des relations commerciales et économiques avec l'Union européenne soit lié à des progrès substantiels en matière de respect des droits de l'homme; d'œuvrer pour qu'à travers la négociation et l'application de l'Accord de commerce et de coopération avec l'UE, tout progrès sur le plan du dialogue économique aille de pair avec des progrès sur le plan du dialogue politique, dans le but de progresser sur la voie du respect des principes démocratiques et de l'État de droit;
8. promouvoir l'entrée de l'Iran à l'OMC;
9. demander aux autorités iraniennes qu'elles ratifient et mettent en œuvre les Conventions de l'ONU contre le terrorisme et son financement;
10. plaider pour que le partage des ressources pétrolières de la Mer Caspienne puisse se faire selon les règles du droit international et selon un processus négocié;
11. demander aux autorités iraniennes de ratifier le Protocole de Kyoto;
12. demander aux autorités iraniennes d'œuvrer avec l'ensemble de la Communauté internationale à la création d'un État palestinien viable, indépendant et démocratique et la fin de l'occupation des territoires, et au droit d'Israël à vivre dans la paix et la sécurité à l'intérieur de frontières internationalement reconnues; d'encourager l'Iran à reconnaître le droit à l'existence et à la sécurité d'Israël, et utiliser son influence au Proche-Orient pour dissuader les mouvements avec lesquels elle entretient des relations de recourir à la violence;
13. demande au Parlement iranien de ratifier le Protocole additionnel de l'AIEA, signé en décembre 2003, de respecter ses obligations liées à son appartenance au TNP, et de respecter la résolution (GOV/2004/90) adoptée le 29 novembre 2004 par le Conseil des gouverneurs de l'AIEA;
14. de favoriser la constitution d'une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient;
15. de favoriser le dialogue culturel entre l'Union européenne et l'Iran.
11 janvier 2005.
François ROELANTS du VIVIER. |