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25 JANVIER 2005
L'attention dont l'abus du droit d'asile est à juste titre l'objet fait parfois oublier qu'il existe encore une autre filière par laquelle l'arrêt de l'immigration est contourné massivement, à savoir celle du regroupement familial et de la constitution de famille. Selon le sociologue John Lievens (Université de Gand), qui a étudié les comportements en matière de mariage des allochtones turcs et marocains, la grande majorité des femmes allochtones ont un partenaire originaire du Maroc ou de la Turquie (68,7 % pour les Turques, 56,8 % pour les Marocaines) (1). Une enquête réalisée en 1992 par Lesthaeghe a, elle aussi, montré que 39 % des Turques immigrées en Belgique, appartenant à la catégorie d'âge de 17 à 29 ans, avaient immigré comme épouse (2).
Le rapport annuel 2000 du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR) donne un aperçu des conséquences du phénomène du regroupement familial et de la constitution de famille. Selon ce rapport, 62 816 immigrants ont été enregistrés en 1999, soit environ la moitié du nombre qui avait été recensé en 1974. L'arrêt de l'immigration avait pourtant été annoncé le 1er août 1974. Avant que le blocage de l'immigration ne soit effectif, le gouvernement avait consenti à régulariser 8 500 personnes en séjour illégal. « Pour retrouver une année « normale » où l'on a observé autant d'entrées d'étrangers qu'en 1999, il faut en fait remonter à 1966. Pour retrouver un solde migratoire identique, on doit de même remonter jusqu'à 1965. » (3).
Bien que les immigrants en provenance de l'Union européenne représentent selon le rapport environ la moitié du nombre total d'immigrés, le solde migratoire (le nombre d'entrées moins le nombre de sorties) de l'ensemble de l'Union correspond à peu près au solde migratoire des seuls Marocains. Ce sont surtout les Marocains et les Turcs qui restent chez nous, tandis que le solde migratoire des ressortissants de l'Union européenne est plus ou moins en équilibre (nombre d'entrées et de sorties à peu près équivalent chaque année). En ce qui concerne les Turcs, le solde migratoire a varié chaque année, entre 1991 et 1999, de 1 500 à 2 000 unités. En 1999, le solde migratoire a dépassé, pour ce qui est des Marocains, les 4 100 entrées nettes. « En termes d'immigration, on n'avait pas enregistré autant d'entrées de Marocains depuis 1979 et 1980. En termes de solde migratoire, on n'avait jamais enregistré un solde aussi important depuis que les Marocains sont individualisés dans les statistiques d'immigration. » (Rapport annuel 2000 CECLR, p. 135). Le CECLR confirme que la diminution du nombre d'étrangers et l'accroissement du nombre de « Belges » dans les statistiques résultent uniquement des obtentions massives de la nationalité belge. « Les migrations étrangères sont donc toujours fortes — elles augmentent quasiment chaque année depuis 1981 — mais les étrangers sont naturalisés au même rythme alors que leurs enfants se voient attribuer la nationalité belge. » (4).
C'est ainsi qu'en ce qui concerne les Marocains, on a pu noter un solde migratoire positif de 29 081 unités pendant la période 1991-1999 (5), alors que la part des Marocains dans la population étrangère de la Belgique s'est réduite de 15,8 % à 14 % au cours de la même période (6). En ce qui concerne les Turcs, on a observé un solde migratoire positif de 17 356 unités au cours de la période 1991-1999, alors que la part des Turcs dans la population étrangère s'est réduite de 9,5 % à 7,9 %. La part des étrangers dans la population totale s'est réduite de 9 % en 1991 à 8,7 % en 1999, malgré un solde migratoire positif total de 132 508 unités pendant la période allant de 1991 à 1999 et un solde des naissances positif de quelque 22 000 unités pendant la même période (7). La population étrangère a diminué, en chiffres absolus, de 8 875 unités entre 1991 et 1999. Si l'on ne se base pas sur le critère strictement juridique de la nationalité, mais si l'on tient compte de l'ensemble de la population qui est issue de l'immigration (la part de la population qui n'a pas la nationalité belge à la naissance), la population d'origine étrangère comprenait, dans ce cas, 1 314 217 personnes au 1er janvier 1998 (12,9 % de la population de la Belgique), alors que la population n'ayant pas la nationalité belge (les « étrangers ») ne comprenait « que » 903 120 personnes (8). Il ne faut pas perdre de vue à cet égard le fait que pour chiffrer la « population issue de l'immigration » dans le rapport annuel, il n'a pas été tenu compte des étrangers de la troisième génération, qui acquièrent automatiquement la nationalité belge tout en conservant leur nationalité étrangère, ni, non plus, des enfants qui sont nés après que leurs parents issus de l'immigration ont obtenu la nationalité belge.
Le nombre de regroupements familiaux n'a fait qu'augmenter sous les gouvernements Verhofstadt. En mars 2002, l'Office des étrangers, chargé de délivrer les visas en vue de regroupements familiaux, a signalé que le nombre de demandes de regroupement familial avait doublé en un semestre. Les fonctionnaires compétents devraient traiter environ 900 demandes par mois. Selon l'Office des étrangers, l'augmentation était surtout due à la campagne de régularisation et à la nouvelle législation relative à la nationalité (9).
Tout ceci a été confirmé par le ministre de l'Intérieur, M. Antoine Duquesne, devant la commission de l'Intérieur de la Chambre, le 27 mars 2002. Le ministre a du reste déclaré au sujet de l'impact de la loi instaurant une procédure accélérée de naturalisation et de la loi de régularisation du 22 décembre 1999 : « Le parlement a voulu ces deux lois. J'en assume les conséquences à mon niveau ». Il a en outre fait observer que l'acquisition de la nationalité belge est, en dernière analyse, la manière la plus simple de s'assurer une autorisation de séjour permanente et a admis qu'il existait un manque de cohérence entre, d'une part, la réglementation relative au séjour et, d'autre part, la législation sur la nationalité. « Cette législation a perturbé l'application des règles en ce qui concerne l'accès au territoire. Donc on doit se poser la question de savoir si certaines ne sont pas trop généreuses ou si d'autres ne sont pas trop sévères. Il est vrai que cela pose un problème de cohérence. »
Le 14 juin 2002, on pouvait lire dans le quotidien De Standaard que « le nombre de demandes a augmenté de quelque 30 % ces dernières semaines ». Une fois de plus, ce quotidien a mis en exergue l'impact de l'opération de régularisation. « Sans doute la campagne de régularisation constitue-t-elle l'une des causes de cette augmentation. Beaucoup de personnes qui ont été régularisées sont établies ici et veulent à présent être réunies avec leur famille. » (10) Dans sa réponse à une question orale du député Guido Tastenhoye, le ministre de l'Intérieur a fait savoir, le 27 août 2002, que le service des visas de l'Office des étrangers recevait quelque 650 demandes par mois, pour une moyenne d'environ 400 demandes par mois en 2001. Les demandes de visa en vue d'un regroupement familial proviendraient principalement du Maroc et de la Turquie.
D'un point de vue purement statistique, pour les huit premiers mois de 2002, le service des visas a reçu mensuellement 410 demandes en provenance du Maroc, 170 en provenance de la Turquie, 44 en provenance du Ghana, 33 en provenance de la Chine et 17 en provenance de l'ex-Yougoslavie. Durant la période de 2001 à juin 2003 inclus, l'Office des étrangers a délivré 15 636 visas de regroupement familial, à savoir 4 500 en 2001, 7 466 en 2002 et 3 670 au cours du premier semestre de 2003. Les étrangers qui ont recours au regroupement familial sont surtout originaires du Maroc (5 763 visas durant la période concernée) et de Turquie (2 925 visas) (11). Depuis 1995, 40 009 visas de regroupement familial ont été octroyés au total (12).
En pratique, les cas de regroupement familial, au vrai sens du terme, sont assez rares. Par « regroupement familial », nous entendons le fait qu'une famille, qui a déjà été formée avant l'émigration du premier membre de la famille arrivé en Belgique, est réunie par l'octroi aux membres de la famille restés au pays d'un droit de séjour qui leur permet de rejoindre les membres de la famille résidant déjà en Belgique. La constitution de famille, consistant pour un étranger résidant déjà en Belgique à aller chercher un conjoint dans son pays d'origine en vue de fonder une nouvelle famille, est beaucoup plus répandue que le regroupement familial sensu stricto. La grande majorité des cas dans lesquels est invoqué le fameux article 10, 4º, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers concernent des Turcs ou des Marocains, qui sont nés ou ont été élevés en Belgique, et qui font venir un futur conjoint de leur pays (et généralement même de leur région ou de leur village) d'origine. Le bourgmestre de Lokeren, Filip Antheunis (VLD), a ainsi constaté que des dizaines de jeunes Lokerenois débarquaient avec un conjoint venant du petit village turc de Peribeli (13).
Il est clair qu'il s'agit généralement de mariages forcés ou, du moins, arrangés par la famille. Du point de vue des époux, il ne peut dès lors guère être question d'un « droit » au regroupement familial, étant donné que les intéressés sont soumis à une lourde pression sociale afin de faire usage de ce « droit », sous peine d'être mis au ban de leur propre communauté. Il serait dès lors plus correct de parler du droit des étrangers de marier de force leurs enfants. De la sorte, une disposition légale créée dans un but humanitaire (préserver l'unité de la famille) est utilisée pour perpétuer des pratiques d'un autre âge, contraires aux fondements de la civilisation occidentale. L'importation de conjoints nuit en outre dans une très large mesure à l'intégration des étrangers des deuxième, troisième et quatrième générations. En effet, le processus d'intégration doit en permanence être recommencé depuis le début. Du fait qu'au moins un des époux ne maîtrise pas la langue de la région, la langue du pays d'origine devient de nouveau la langue véhiculaire au sein de la nouvelle famille. À la suite de cette situation, les enfants nés d'un tel mariage présentent des lacunes dans la connaissance de la langue et accusent un retard scolaire, et ce, même s'ils sont issus de la quatrième génération. Toute politique d'intégration, qu'il s'agisse d'une intégration sur une base volontaire ou d'une intégration « obligatoire », est vouée à l'échec et constitue un gaspillage d'argent injustifié, tant que l'on ne veillera pas à mettre en place un système sans faille pour bloquer les flux migratoires et à mettre fin à l'usage abusif du « regroupement familial ».
La présente proposition de loi vise à renforcer considérablement les conditions applicables à la migration familiale sans toutefois perdre de vue la dimension humaine de ce problème. Contrairement à ce que d'aucuns prétendent, aucune obligation internationale ne contraint la Belgique à inscrire la migration familiale dans son arsenal juridique, abstraction faite des traités bilatéraux y relatifs conclus par la Belgique avec des pays étrangers, et abstraction faite, en outre, du droit au regroupement familial prévu pour les membres de la famille des ressortissants des États membres de l'Union européenne qui exercent, ont exercé ou envisagent d'exercer une activité économique dans notre pays [cf. l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne, qui garantit la libre circulation des travailleurs et l'article 10 du règlement nº 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (14)].
L'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont l'alinéa 1er garantit notamment le droit au respect de la vie familiale, ne peut pas non plus être lu « comme s'il existait, dans le chef de l'autorité, l'obligation générale de respecter le choix de la résidence conjugale effectué par les couples mariés, et d'admettre dès lors, sur son territoire, le regroupement familial qui en découle (15) ». L'article 8 de la CEDH ne confère un droit de séjour au conjoint d'un étranger qui réside légalement en Belgique que s'il apparaît que la Belgique est le seul pays où les époux peuvent mener une vie familiale normale. Tel fut l'un des considérants sur lesquels le Conseil d'État s'est appuyé pour décider que l'article 8 de la CEDH ne dispensait pas l'étranger en séjour illégal qui épouse un(e) ressortissant(e) belge au cours de son séjour illégal de l'obligation d'être en possession des documents légitimant son séjour. Le Conseil d'État a ainsi suivi l'argumentation développée par le ministère de l'Intérieur qui, partie défenderesse dans l'affaire précitée, a présenté les arguments suivants dans son mémoire en réponse : « Au cours des premiers temps de la vie familiale (par exemple au cours de la période du regroupement familial qui suit le mariage), l'État, qui est souverain quant à la manière dont il mène sa politique d'immigration, dispose d'un large pouvoir d'appréciation. En effet, l'article 8 de la CEDH n'impose à l'État aucune obligation générale de respecter le choix du pays de la résidence conjugale effectué par les couples mariés ou d'autoriser le regroupement familial sur son territoire. La Cour estime que le refus d'autoriser le séjour du conjoint ou des enfants d'un étranger qui séjourne légalement sur le territoire ne constitue pas une violation de l'article 8 de la CEDH. Il s'en déduit que les membres de la famille ne peuvent pas tirer de l'article 8 la liberté d'établir leur résidence où ils l'entendent. Ils peuvent en effet exercer ailleurs leur droit à la vie familiale, à condition que le conjoint ou les membres de sa famille séjournant légalement dans le pays puisse(nt) suivre à l'étranger celui ou ceux qui n'a (n'ont) pas été autorisé(s) à y séjourner. « Il ne pourrait être question d'une violation de l'article 8 de la CEDH que si des obstacles sérieux empêchaient le regroupement familial dans un autre pays (16) ».
Le Conseil d'État ajoute que « le fait d'associer inconditionnellement l'exercice d'un droit à la vie privée et familiale à un droit de séjour entraînerait un contournement inadmissible des dispositions légales applicables dans le Royaume » (17). Il s'en déduit que, sauf si la Belgique est le seul pays où le lien familial peut être préservé, le droit au regroupement familial n'existe que pour autant que le législateur belge l'ait reconnu. Par conséquent, l'article 8 de la CEDH n'empêche aucunement d'abroger (partiellement) le régime de la migration familiale.
Le 3 octobre 2003, la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial a certes été publiée au Journal officiel de l'Union européenne. Elle s'applique lorsque le regroupant (l'étranger qui réside déjà légalement dans un État membre de l'Union européenne) est titulaire d'un titre de séjour délivré par un État membre d'une durée de validité d'un an, ayant une perspective fondée d'obtenir un droit de séjour permanent. L'article 4 de cette directive enjoint aux États membres d'autoriser l'entrée et le séjour au conjoint du regroupant et aux enfants mineurs du regroupant et de son conjoint. Les auteurs de la proposition de loi estiment que cette obligation constitue une limitation inacceptable du droit des États membres de fixer les règles d'accès à leur territoire et, partant, une atteinte grave à leur souveraineté nationale. À l'inverse du droit au regroupement familial découlant de la libre circulation des personnes au sein de l'Union européenne, le droit au regroupement familial créé en faveur des ressortissants de pays tiers par la directive ne prévoit aucune réciprocité. Le gouvernement belge doit dès lors mettre tout en oeuvre à l'échelon européen pour faire en sorte que cette directive soit abrogée.
L'article 2 de la présente proposition de loi supprime de l'article 10 de la loi du 15 décembre 1980 la réglementation relative au regroupement familial avec un étranger qui séjourne légalement en Belgique. Par voie de conséquence, le conjoint et les enfants mineurs d'un étranger admis ou autorisé à séjourner dans le Royaume ou d'un étranger autorisé à s'y établir ne sont plus admis de plein droit à séjourner pendant plus de trois mois dans le Royaume, mais doivent y être autorisés. Cela implique que la demande de regroupement familial, sauf dans des circonstances exceptionnelles visées à l'article 9, alinéa 3, de la loi sur les étrangers, doit être introduite à l'étranger. En vertu des articles 6 et suivants de la présente proposition de loi, les règles relatives à la migration familiale sont insérées dans un nouveau chapitre Ierbis (« Regroupement familial et constitution de famille ») du Titre II (« Dispositions complémentaires et dérogatoires relatives à certaines catégories d'étrangers ») de la loi sur les étrangers et sont distraites des dispositions générales de cette loi. On met ainsi l'accent sur le caractère exceptionnel de la procédure.
La présente proposition de loi vise à limiter le droit au regroupement familial, en ce qui concerne le conjoint d'un étranger qui séjourne en Belgique, au mariage ayant été célébré avant l'arrivée de l'étranger (regroupant) séjournant déjà en Belgique (mariage existant). Par ailleurs, les deux conjoints doivent être âgés de 21 ans au moins, et la demande d'obtention d'une autorisation de séjour d'une durée de plus de trois mois dans le Royaume doit être effectuée par le conjoint migrant dans un délai de deux ans après l'octroi au regroupant d'une autorisation de séjour illimité dans le Royaume ou de l'obtention, par le regroupant, de l'autorisation de séjour d'une durée de plus de trois mois visée à l'article 12bis de la loi sur les étrangers. En résumé, cela revient à dire que le droit au regroupement familial du conjoint d'un regroupant (mariage existant) naît dès l'instant où le regroupant est détenteur d'un titre de séjour illimité, et que ce droit ne peut être exercé que dans un délai de deux ans à compter de cet instant. Le regroupement familial ne peut en aucun cas avoir lieu si l'étranger est détenteur d'un titre de séjour d'une durée de plus de trois mois dans le Royaume, mais dont l'autorisation prévoit explicitement une limite de temps en raison de circonstances particulières, propres au regroupant ou ayant trait à la nature et à la durée de ses activités en Belgique. Nous pensons en l'occurrence aux étudiants étrangers qui, conformément à l'article 58 de la loi du 15 décembre 1980 sur les étrangers, sont autorisés à séjourner pendant plus de trois mois dans le Royaume. Ces étrangers sont en effet censés retourner dans leur pays d'origine aussitôt que les circonstances particulières en question ne sont plus d'application ou qu'il est mis fin aux activités en question en Belgique.
Si la double condition, d'une part, le fait que le regroupant était marié avant son immigration et, d'autre part, le fait que la demande de regroupement a été introduite dans les deux ans à compter du moment où le regroupant a joui d'un droit de séjour d'une durée illimitée, est remplie, il s'agit d'une autorisation de plein droit, comme celle qui est délivrée aux étudiants étrangers conformément à l'article 58 de la loi sur les étrangers. Autrement dit, si toutes les conditions légales sont remplies, le ministre de l'Intérieur ou son délégué n'a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser l'autorisation. Au cas où le mariage a été contracté après l'arrivée du regroupant en Belgique et/ou que la demande d'autorisation a été introduite après le délai de deux ans à compter du moment où le regroupant jouit d'un droit de séjour d'une durée illimitée, le ministre peut autoriser le conjoint résidant à l'étranger à séjourner plus de trois mois dans le Royaume, à condition toutefois qu'il soit établi que ce dernier est dans l'impossibilité de vivre en famille dans l'État dont il possède la nationalité ou dans lequel il a sa résidence habituelle. Étant donné que l'une des conditions requises pour que le conjoint résidant à l'étranger d'un regroupant obtienne une autorisation de séjour consiste dans le fait qu'il doit s'agir d'un mariage qui doit avoir été contracté préalablement au séjour du regroupant en Belgique, le conjoint d'un étranger de la deuxième génération, ou d'une génération suivante, n'entre pas en ligne de compte pour l'immigration, sauf si l'impossibilité précitée est démontrée. De cette manière, on évite un effet boule de neige et on augmente les chances d'intégration des étrangers qui séjournent déjà dans notre pays.
L'article 47/1, alinéa 3, de la loi sur les étrangers proposé à l'article 7 dispose que l'autorisation peut être rapportée par le ministre si le mariage est dissous par divorce dans les cinq ans de l'octroi de l'autorisation ou si la cohabitation et le ménage commun de l'intéressé et du regroupant prennent fin dans le même délai. Cette disposition a été introduite afin d'éviter qu'un mariage soit contracté dans le seul but d'obtenir une autorisation de séjour pour le conjoint qui n'est pas encore autorisé à résider en Belgique (mariage blanc). On constate en effet que les mariages contractés en vue de l'obtention d'une telle autorisation ne durent souvent pas longtemps, et ce, en raison de la fréquence importante des mariages arrangés et des difficultés d'adaptation auxquelles le conjoint immigrant est confronté. À l'heure actuelle, ce dernier peut malgré tout rester dans notre pays. Les auteurs de la présente proposition de loi entendent changer cette situation, en considérant le droit de séjour du conjoint comme un droit dérivé du droit de séjour du regroupant. Ce n'est qu'après un séjour de cinq ans (ce qui est également la durée de séjour requise pour obtenir l'autorisation d'établissement visée à l'article 15, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980), que le conjoint bénéficie d'un droit de séjour autonome. Si l'autorisation de séjour du conjoint est rapportée dans ce délai, l'autorisation de séjour de l'enfant qui a rejoint le conjoint est à son tour rapportée, conformément à l'article 47/2, alinéas 1er et 2, proposé, pour autant que l'enfant n'ait pas encore atteint l'âge de dix-huit ans (et ne bénéficie par conséquent pas encore d'un droit de séjour autonome) et que le conjoint soit la seule personne à exercer l'autorité parentale sur l'enfant. Cela peut, par exemple, être le cas si des enfants d'un mariage précédent du conjoint immigré sont venus rejoindre leur père ou leur mère.
Le droit au regroupement familial avec un étranger qui est autorisé à séjourner pour une durée illimitée est, en ce qui concerne ses enfants, en principe limité aux enfants qui n'ont pas encore atteint l'âge de douze ans, et il ne peut être exercé que si les deux parents de l'enfant séjournent en Belgique ou si le regroupant exerce seul l'autorité parentale sur l'enfant. Si ces conditions sont remplies, l'autorisation doit être accordée (autorisation de plein droit, cf. supra). Il ne peut être dérogé à la deuxième condition. Toutefois, si un enfant répondant à la deuxième condition a plus de douze ans, mais n'a pas encore atteint l'âge de dix-huit ans à la date prévue pour son arrivée en Belgique, le ministre peut accorder une autorisation si l'enfant réussit une épreuve sur la base de laquelle est vérifiée sa connaissance élémentaire de la langue ou d'une des langues de la région linguistique dont fait partie la commune dans laquelle le regroupant est inscrit au registre de la population ou au registre des étrangers. Plus l'enfant est âgé, plus il sera en effet difficile de l'intégrer dans notre société. Un regroupement familial n'est en aucun cas possible avec un étranger qui est autorisé à séjourner pendant plus de trois mois dans le Royaume, mais dont l'autorisation est explicitement limitée dans le temps en raison de circonstances particulières propres à l'intéressé ou en rapport avec la nature et la durée de ses activités en Belgique.
L'article 47/3 de la loi sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers proposé reprend en grande partie les dispositions existantes applicables aux enfants handicapés d'étrangers séjournant en Belgique, figurant à l'article 10bis de la loi précitée. Aucune exigence en matière d'âge n'est imposée si l'enfant peut fournir une attestation émanant d'un médecin agréé par le poste diplomatique ou consulaire belge indiquant qu'il ne peut, en raison de son handicap, vivre qu'à charge d'une autre personne. Cela signifie également que l'enfant ne doit subir aucune épreuve, même s'il introduit sa demande d'autorisation après qu'il a atteint l'âge de douze ans.
Il n'en demeure pas moins qu'il est également nécessaire de revoir de fond en comble le Code de la nationalité belge, qui a été instauré par la loi du 28 juin 1984 et a été assoupli à plusieurs reprises depuis lors (voir la proposition de loi instaurant le Code de la citoyenneté, déposée par MM. Bart Laeremans, Jan Mortelmans, Bert Schoofs, Mme Gerda Van Steenberge et M. Hagen Goyvaerts, doc. Chambre nº 51-1004/001). En faisant de l'acquisition de la citoyenneté belge une formalité et en supprimant toute condition d'intégration, on a permis à quelque 175 000 étrangers de devenir « Belges », et ce, rien qu'au cours de la période 2000-2002. Les parents de ces « belgicisés » bénéficient, au même titre que les parents des « Belges » autochtones, d'un droit élargi au regroupement familial en vertu de l'article 40 de la loi sur les étrangers. Non seulement le conjoint (et les enfants mineurs) du « nouveau Belge », mais également leurs descendants âgés de moins de 21 ans ou qui sont à leur charge et leurs ascendants qui sont à leur charge, ainsi que le conjoint de ces descendants et de ces ascendants, peuvent en effet se voir octroyer une autorisation de séjour. Il arrive dès lors souvent que la citoyenneté ne soit convoitée qu'en raison des avantages qui y sont liés sur le plan du droit de séjour, en d'autres termes, dans le but de contourner la réglementation relative au séjour et de faire venir en Belgique plus de parents que ne le permet le statut d'étranger. Il ne sert à rien de durcir les conditions en matière de regroupement familial avec des étrangers séjournant en Belgique si l'on ne subordonne pas en même temps l'acquisition de la citoyenneté belge par ces mêmes étrangers à une série de conditions essentielles.
Enfin, il conviendrait, dans le droit fil de la présente proposition de loi, que la Belgique dénonce les accords bilatéraux relatifs à l'occupation dans notre pays de travailleurs étrangers, qu'elle a conclus avec divers pays (voir la loi du 13 décembre 1976 portant approbation de ces accords, Moniteur belge du 17 juin 1977). Il s'agit là, toutefois, d'une prérogative royale; le législateur n'est donc pas habilité à dénoncer ces accords.
Article 2
Les règles qui régissent le regroupement familial en Belgique sont distraites de l'article 10, et dès lors des dispositions générales, de la loi sur les étrangers. Le conjoint et les enfants mineurs d'un étranger séjournant légalement en Belgique ne sont plus admis de plein droit à séjourner pour une durée illimitée, mais ils doivent y être autorisés.
Article 3
L'article 10bis de la loi sur les étrangers est abrogé. Conformément au § 1er de cet article, une autorisation de séjour est accordée de plein droit au conjoint et aux enfants mineurs d'un étudiant admis ou autorisé au séjour. Il s'agit en l'occurrence d'une extension de l'article 10, alinéa 1er, 4º, de la loi. L'autorisation de séjour provisoire accordée aux étudiants implique que l'étudiant étranger ayant terminé ses études mette les connaissances et aptitudes acquises dans notre pays au service de son propre peuple et rentre dès lors dans son pays d'origine après la fin de ses études. Or, l'ouverture d'un droit au regroupement familial pour les membres de la famille de l'étudiant peut émousser chez celui-ci l'envie de rentrer dans son pays, en particulier s'il a des enfants fréquentant l'école en Belgique.
Le § 2 de l'article 10bis actuel, qui règle le regroupement familial lorsqu'un enfant handicapé rejoint un parent séjournant en Belgique, est repris, sous une forme légèrement modifiée, à l'article 47/3 de la loi sur les étrangers, proposé à l'article 7 de la présente proposition de loi.
Article 4
En vertu de l'article 2 de la présente proposition de loi, il convient de supprimer le renvoi à l'article 10, alinéa 1er, 4º, de la loi sur les étrangers.
Article 5
Au vu de la modification de l'objet du regroupement familial des étrangers séjournant en Belgique, cette adaptation est également nécessaire. En ce qui concerne l'obtention d'une autorisation d'établissement, les conjoints migrants doivent satisfaire aux mêmes conditions que les autres étrangers.
Article 6
Les dispositions relatives au regroupement familial et à la constitution de famille sont insérées dans un nouveau chapitre du Titre II de la loi du 15 décembre 1980. Ce chapitre contient les articles 47/1, 47/2 et47/3, proposés, de la loi sur les étrangers.
Article 7
L'article 47/1 proposé contient la réglementation relative au regroupement familial et à la constitution de famille de l'étranger qui réside en Belgique, en ce qui concerne le conjoint de l'étranger. En ce qui concerne le contenu de cette législation, il suffira de se reporter à l'exposé général (lignes de force de la proposition de loi).
L'article 47/2 proposé contient la réglementation relative au regroupement familial de l'étranger qui séjourne en Belgique et de ses enfants mineurs. L'article 47/3 prévoit une réglementation particulière pour les enfants handicapés. À cet égard, il suffira également de se reporter à l'exposé général (lignes de force de la proposition de loi).
Frank CREYELMAN. Anke VAN DERMEERSCH. Yves BUYSSE. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
À l'article 10 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, modifié par les lois du 15 juillet 1996 et du 6 août 1993, sont apportées les modifications suivantes :
A) l'alinéa 1er, 4º, est abrogé;
B) les alinéas 2, 3 et 4 sont abrogés.
Art. 3
L'article 10bis de la même loi est abrogé.
Art. 4
À l'article 13, alinéa 3, de la même loi, la deuxième phrase est supprimée.
Art. 5
À l'article 15 de la même loi, les alinéas 1er, 2º, 2 et 3 sont abrogés.
Art. 6
Il est inséré, dans le Titre II de la même loi, un chapitre Ierbis contenant les articles 47/1, 47/2 et 47/3 et libellé comme suit :
« Chapitre Ierbis. — Regroupement familial et constitution de famille.
Art. 47/1. — Lorsque la demande d'autorisation de séjourner plus de trois mois dans le Royaume est introduite auprès d'un poste diplomatique ou consulaire belge par le conjoint étranger d'un étranger, le regroupant, qui est admis à séjourner plus de trois mois dans le Royaume ou autorisé à séjourner dans le Royaume pour une durée illimitée ou à s'y établir, cette autorisation doit être accordée si l'intéressé ne se trouve pas dans un des cas prévus à l'article 3, alinéa 1er, 5º à 8, et s'il est satisfait à l'ensemble des conditions suivantes :
1º les intéressés ont plus de vingt et un ans;
2º le mariage a été contracté avant l'arrivée du regroupant dans le Royaume;
3º la demande est introduite dans les deux ans de l'octroi, au regroupant, de l'autorisation de séjourner dans le Royaume pour une durée illimitée ou de l'obtention, par le regroupant, de l'autorisation visée à l'article 12bis, alinéa 3.
S'il n'est pas satisfait aux conditions visées aux 2º et 3º de l'alinéa précédent, le ministre peut autoriser l'étranger à séjourner plus de trois mois dans le Royaume, à condition qu'il ait été établi que ce dernier est dans l'impossibilité de mener une vie familiale dans l'État dont il possède la nationalité ou dans lequel il a sa résidence habituelle.
L'autorisation accordée en vertu des alinéas précédents peut être rapportée par le ministre si le mariage est dissous par divorce dans les cinq ans de l'octroi de l'autorisation ou si la cohabitation et le ménage commun de l'étranger et du regroupant prennent fin dans le même délai.
Art. 47/2. — Lorsque la demande d'autorisation de séjourner plus de trois mois dans le Royaume est introduite auprès d'un poste diplomatique ou consulaire belge par l'enfant d'un étranger, le regroupant, qui est admis à séjourner plus de trois mois dans le Royaume ou autorisé à séjourner pour une durée illimitée ou à s'établir dans le Royaume, cette autorisation doit être accordée s'il est satisfait à l'ensemble des conditions suivantes :
1º l'enfant n'a pas encore atteint l'âge de douze ans;
2º les deux parents séjournent en Belgique ou le regroupant exerce seul l'autorité parentale sur l'enfant.
S'il n'est pas satisfait à la condition visée au 1º de l'alinéa précédent, le ministre peut délivrer une autorisation pour un séjour de plus de trois mois dans le Royaume à la condition qu'au moment prévu pour son arrivée dans le Royaume, l'enfant n'ait pas encore atteint l'âge de dix-huit ans et réussisse une épreuve sur la base de laquelle est évaluée sa connaissance élémentaire de la langue ou d'une des langues de la région linguistique dans laquelle se trouve la commune où le regroupant est inscrit au registre des étrangers ou au registre de la population. Le Roi fixe les modalités relatives à l'organisation et au contenu de l'épreuve susvisée.
Si l'autorisation accordée au regroupant est rapportée en vertu de l'article 47/1, dernier alinéa, l'autorisation accordée à l'enfant qui a rejoint le regroupant est également rapportée, pour autant que l'enfant n'ait pas encore atteint l'âge de dix-huit ans et que le regroupant soit la seule personne à exercer l'autorité parentale sur l'enfant.
Art. 47/3. — Lorsque la demande d'autorisation de séjourner plus de trois mois dans le Royaume est introduite auprès d'un poste diplomatique ou consulaire belge par l'enfant handicapé d'un étranger, le regroupant, qui est admis à séjourner pendant plus de trois mois dans le Royaume ou autorisé à séjourner pour une durée illimitée dans le Royaume ou à s'établir dans le Royaume, cette autorisation doit être accordée s'il est prouvé que l'enfant est à charge de cet étranger, et fournit une attestation émanant d'un médecin agréé par le poste diplomatique ou consulaire belge indiquant qu'il ne peut, en raison de son handicap, vivre qu'à charge d'une autre personne, pourvu que le regroupant apporte la preuve qu'il dispose de moyens de subsistance et d'un logement suffisants et pour autant que ledit enfant ne se trouve pas dans un des cas visés à l'article 3, alinéa 1er, 5º à 8º.
Si l'autorisation accordée au regroupant est rapportée en vertu de l'article 47/1, dernier alinéa, l'autorisation accordée à l'enfant handicapé qui a rejoint le regroupant est également rapportée, pour autant que le regroupant soit la seule personne à exercer l'autorité parentale sur l'enfant. ».
Art. 7
La présente loi entre en vigueur le premier jour du troisième mois qui suit celui de sa publication au Moniteur belge.
26 novembre 2004.
Frank CREYELMAN. Anke VAN DERMEERSCH. Yves BUYSSE. |
(1) John Lievens dans De Standaard, 14 août 2000.
(2) Christiane Timmerman, Katrien Van Der Heyden, Youssef Ben Abdeljelil en Johan Geets, Marokkaanse en Turkse nieuwkomers in Vlaanderen, UFSIA, décembre 2000, p. 30.
(3) Rapport annuel 2000 CECLR, p. 134.
(4) Rapport annuel 2000 CECLR, p. 207.
(5) Calcul effectué sur la base des chiffres figurant dans le rapport annuel 2000 du CECLR, p. 144.
(6) Rapport annuel 2000 CECLR, p. 171.
(7) Extrapolation effectuée sur la base des données afférentes aux années 1994-1998 figurant dans l'étude Marokkaanse en Turkse nieuwkomers in Vlaanderen, UFSIA, décembre 2000, p. 21, Tableau 1b.
(8) Rapport annuel 2000 CECLR, p. 173.
(9) De Morgen, 15 mars 2002.
(10) Ann Publie, conseillère-adjointe de l'Office des étrangers, De Standaard, 14 juin 2002.
(11) Réponse du ministre de l'Intérieur, M. Patrick Dewael, à la question écrite nº 103 de M. François-Xavier de Donnéa du 18 novembre 2003.
(12) Het Laatste Nieuws, 4 décembre 2003.
(13) Het Volk, 25 octobre 2002.
(14) Les critères prévus par cet article ont été transposés dans l'article 40 de la loi du 15 décembre 1980, dont les dispositions s'ajoutent à la procédure visée à l'article 10, 4º, de la même loi.
(15) Conseil d'État, nº 104 270, 4 mars 2002, 4.2.4.1.3.
(16) Voir également Paul De Hert, Vreemdelingen, artikel 8 EVRM en de Raad van State. De rechtspraak onder de loep, in Tijdschrift voor Vreemdelingenrecht, 2002, nº 3, p. 247, qui met également en évidence que l'étranger qui souhaite fonder sa demande sur l'article 8 de la CEDH doit démontrer qu'il remplit deux conditions : qu'il a des liens suffisamment étroits avec sa famille, d'une part, et qu'il lui est impossible (ou presque) de mener une vie familiale normale dans son pays d'origine, d'autre part.
(17) Conseil d'État, nº 104 270, 4 mars 2002, 4.2.2.