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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 28 OCTOBRE 2004 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de Mme Marie-Hélène Crombé-Berton au ministre des Affaires étrangères sur «la problématique des viols de masse en République Démocratique du Congo» (nº 3-430)

M. le président. - M. Armand De Decker, ministre de la Coopération au développement, répondra au nom de M. Karel De Gucht, ministre des Affaires étrangères.

Mme Marie-Hélène Crombé-Berton (MR). - Le dernier rapport consacré par Amnesty International à la question des viols de masse en République Démocratique du Congo dévoile une situation apocalyptique face à laquelle tout mutisme est interdit.

Ce rapport nous apprend, en substance, que des dizaines de milliers de femmes sont actuellement victimes d'exactions et de tortures sexuelles. Ces exactions sont commises par les membres des multiples groupes armés, y compris les forces gouvernementales, se disputant les terres et les ressources de l'Est du Congo.

Ces femmes sont privées des soins de santé adaptés à leurs problèmes en raison, d'une part, de l'absence quasi-totale d'infrastructures médicales de qualité et, d'autre part, du prix exorbitant des soins prodigués par les rares hôpitaux disposant de services de gynécologie.

Le rapport précise enfin que le système judiciaire n'offre aucune protection à ces femmes, dès lors que le code pénal congolais ne définit pas les éléments constitutifs du viol et ignore la notion de consentement.

Amnesty clôt son rapport en invitant la communauté internationale à prendre des mesures destinées à faciliter l'accès des victimes aux soins de santé et à renforcer leur protection.

Face à cette situation, le ministre peut-il me faire savoir s'il répondra à cet appel et, plus précisément, s'il entend faire pression sur les autorités congolaises afin qu'elles adaptent leur législation pénale et y intègrent les notions de viol et de consentement ? Le ministre entend-il accorder une aide financière aux autorités congolaises afin qu'elles améliorent les structures médicales existantes et adaptent le prix des prestations indispensables au traitement des victimes ?

M. Armand De Decker, ministre de la Coopération au développement. - Je vous remercie pour cette question adressée au ministre des Affaires étrangères. Cette matière relevant à la fois de ses compétences et des miennes, je vous communiquerai donc sa réponse et, si vous me le permettez, j'y ajouterai quelques commentaires.

L'arrêt du conflit et le rétablissement de la stabilité sur tout le territoire du Congo constituent les pièces angulaires de l'engagement du ministre des Affaires étrangères en République Démocratique du Congo. Font partie de cet engagement ses efforts prioritaires pour un mandat renforcé de la MONUC et la réforme urgente de l'armée congolaise.

Le récent rapport d'Amnesty International attire notre attention sur les atrocités des violences sexuelles commises contre les femmes, les jeunes et les enfants. Il s'agit du résultat d'une situation constante de conflits et d'instabilités.

Le ministre des Affaires étrangères peut vous assurer que cette question le préoccupe particulièrement et qu'il l'a abordée lors de son dialogue avec les autorités congolaises auprès desquelles il insista sur la prise de mesures urgentes. Il exprima également cette préoccupation au niveau international.

C'est la Belgique qui est, entre autres, intervenue pour la nomination d'un expert indépendant des Nations unies pour les droits de l'homme en République Démocratique du Congo. Cet expert se penche en particulier sur la question de la violence sexuelle. C'est d'ailleurs dans ce contexte que Mme Marie-Noelle Cikuru, président du centre Olame, une des plus grandes oeuvres congolaises s'occupant de l'accueil, du traitement et de l'accompagnement de femmes victimes de violences sexuelles dans l'Est du Congo, a été reçue au ministère des Affaires étrangères lors de la journée de la femme, le 8 mars dernier, lorsque Louis Michel était encore ministre.

De plus, son oeuvre bénéficie d'une intervention de 155.600 euros sur le budget « prévention de conflits » du ministre des Affaires étrangères. Ce dernier a d'ailleurs eu l'occasion, lors de son voyage au Congo, voici quelques semaines, de rencontrer des représentants de Olame à Bukavu et de s'entretenir avec eux. La Belgique soutient également une oeuvre similaire au Rwanda.

Au-delà de cette réponse de mon collègue, je voudrais ajouter - ce qui relève de ma compétence - les éléments suivants.

Bien évidemment, les éléments que vous évoquez sont d'une extrême gravité. Malgré tout, je dirais que la pire période se serait écoulée avant que le processus de transition ne soit entamé au cours de l'été 2003, au moment où le conflit était totalement ouvert entre les différentes parties belligérantes.

Des dizaines d'hommes armés errent dans l'Est du Congo et s'y rendent coupables régulièrement de crimes sexuels extrêmement graves. C'est la raison pour laquelle le département de la Coopération au développement vient d'accorder une somme de huit millions d'euros répartie sur quatre ans à un programme conjoint du United Nations Population Fund - Fonds des Nation unies pour la population -, de l'Unicef et de la Croix-Rouge relatif à la prévention et au suivi de la violence sexuelle contre les femmes, les jeunes et les enfants au Congo, et plus particulièrement dans les provinces orientales de l'Équateur et du Manyema. Ce projet a cinq objectifs à réaliser avant 2007 : le recueil et la publication de données afin de sensibiliser à cette problématique les leaders politiques et administratifs et les chefs traditionnels, militaires et religieux ; le renforcement des centres médicaux afin d'atteindre une capacité de traitement de 25.000 victimes ; l'amélioration de l'accompagnement psychosocial de ces victimes ; l'assistance juridique aux victimes et la lutte contre l'impunité dans ce domaine ; la réintégration des victimes dans leur commune d'origine. Tels sont les points principaux de ce programme conjoint.

Je voudrais par ailleurs reprendre ce que j'ai déjà développé lors de ma prise de fonction dans un discours prononcé durant les journées diplomatiques : la protection, la défense et l'aide aux femmes et aux enfants en Afrique centrale seront des priorités de ma politique de coopération au développement.

Suite à l'assemblée générale des Nations unies de septembre dernier, je me suis rendu à New York où j'ai souhaité rencontrer les responsables du Fonds des Nations unies pour la population. Cette organisation qui est dirigée avec beaucoup de dynamisme par une femme adorable Mme Thoraya Obaid, de nationalité saoudienne a été créée à la suite de la Conférence internationale sur la population et le développement du Caire en 1994. Ce Fonds fête donc cette année son dixième anniversaire. Or les États-Unis lui ont retiré leur financement sous le prétexte que l'on s'y occupait de la santé reproductive et du planning familial dans les pays en développement, entre autres. J'ai le plaisir de vous dire que les pays européens ont compensé le retrait de l'appui financier des États-Unis et que les moyens de ce Fonds sont désormais plus importants que lorsque les États-Unis y contribuaient. Cela s'est fait essentiellement à l'initiative de Mme Agnes van Ardenne, ma collègue hollandaise que ce sujet passionne et de mon ancien collègue luxembourgeois M. Charles Goerens. J'ai décidé que la Belgique suivrait cet effort conjoint des Pays-Bas et du Luxembourg. Nous aurons donc à trois un rôle particulièrement actif dans ce domaine de la violence sexuelle, de l'agression sexuelle utilisée comme arme de guerre, avec tout ce que cela induit comme destruction de la société.

À mon initiative, la Belgique a également décidé que les politiques sectorielles de coopération avec nos dix-huit pays partenaires dans le tiers-monde feront en sorte que les politiques de santé de ces pays incluent les questions d'égalité des sexes, de réduction de la mortalité infantile, d'amélioration de la santé maternelle et de la lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria.

Ce sont là les principaux objectifs collectifs du United Nations Population Fund que nous inscrivons systématiquement dans tous nos programmes de développement, pour tous nos pays partenaires, avec, bien évidemment, une attention particulière pour une zone géographique prioritaire, la région des Grands Lacs.

Je conclus en vous confirmant que la lutte contre la violence à l'égard des femmes et des enfants sera une des priorités de mon mandat.

Mme Marie-Hélène Crombé-Berton (MR). - Je remercie le ministre de sa réponse extrêmement positive par rapport à la problématique que j'ai soulevée.