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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 15 JUILLET 2004 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de Mme Joëlle Kapompolé au ministre des Finances sur «l'absence de double degré de juridiction contre les décisions rendues par la Commission Bancaire, Financière et d'Assurances» (nº 3-362).

M. le président. - Mme Fientje Moerman, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique, répondra au nom de M. Didier Reynders, ministre des Finances.

Mme Joëlle Kapompolé (PS). - L'article 121 de la loi du 2 août 2002 qui organise un recours auprès de la Cour d'appel de Bruxelles contre les décisions de la Commission Bancaire, Financière et d'Assurances (CBFA) me pose problème.

Si l'on estime qu'en disant le droit « en première instance », la CBFA pose un acte de nature juridictionnelle, il me semble alors qu'il faille tenir compte des enseignements de la Cour d'arbitrage, repris dans l'arrêt du 10 juin 1998 dans le cadre du dossier Walgraffe.

Cet arrêt considère comme contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution toute décision d'une autorité administrative qui, d'une part, n'offre pas de garanties d'indépendance et d'impartialité que pourrait avoir un juge et, d'autre part, n'est pas récusable comme le serait un juge puisque les dispositions du Code judiciaire organisant la récusation d'un juge ne lui sont pas applicables.

On peut dire que la CBFA agit ici en qualité d'autorité administrative. Dès lors, pour une plus grande sécurité juridique, la loi aurait dû prévoir deux degrés de juridiction indépendants de la CBFA, le tribunal de première instance et la cour d'appel.

C'est d'ailleurs cette solution qui a été envisagée par le législateur lorsqu'il s'est agi de réformer le contentieux en matière fiscale, en 1999. Cette réforme a en effet consacré le principe d'une phase administrative préalable et obligatoire, la procédure contentieuse devenant dès lors successivement et nécessairement administrative et judiciaire.

Au regard de ce qui précède, la procédure actuelle rencontre-t-elle l'exigence du droit à une bonne administration de la justice, existence consacrée à la fois dans divers articles de la Constitution, dans l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et dans l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ?

N'y a-t-il pas un risque de voir se développer autour des décisions rendues par la CBFA un contentieux essentiellement procédural susceptible de diminuer la sécurité juridique nécessaire à la confiance des investisseurs, notamment des plus faibles, et d'entamer ainsi fortement le crédit de l'autorité administrative ?

Mme Fientje Moerman, ministre de l'Économie, de l'Énergie, du Commerce extérieur et de la Politique scientifique. - La CBFA agit en qualité d'autorité administrative dans l'exercice de ses missions, notamment lorsqu'elle impose une sanction à l'encontre d'une personne soumise à son contrôle. Ses décisions ne sont donc pas de nature juridictionnelle et le renvoi, dans votre demande d'explication, à l'enseignement de l'arrêt de la cour d'arbitrage du 10 juin 1998 en cause Walgraffe est par conséquent non relevant.

Pour de plus amples développements sur la distinction entre l'administration active et le juge, je me permets de vous renvoyer à l'arrêt de la cour de cassation du 11 janvier 2001 - C.00.0721.F RG - relatif à la contestation par une compagnie aérienne d'une amende infligée par l'Institut bruxellois de Gestion de l'Environnement (IBGE), amende indépendante et impartiale.

Il n'y a donc pas d'insécurité juridique créée par l'article 121 de la loi du 2 août 2002 et les craintes que vous nourrissez à cet égard sont contredites par l'enseignement de la Cour d'arbitrage elle-même.

Le point 14 des conclusions de l'avocat général précise, je cite : « en démarrant une procédure d'infliction de sanctions administratives, l'IBGE ne vide pas un litige entre deux parties en dégageant une solution en droit découlant de son application et qui a autorité de chose jugée mais, au contraire, se pose en partie qui, par un acte unilatéral, décide d'entamer une procédure de sanction contre une autre partie destinataire d'une norme juridique dont le respect relève de son contrôle et qu'à ses yeux ladite partie a enfreinte ». La Cour déclara dès lors irrecevable la requête en suspicion légitime dirigée contre l'IBGE en raison du manquement supposé au principe d'impartialité, puisque celui-ci ne constituait pas une juridiction, fût-ce extrajudiciaire, au sens de l'article 650 du Code judiciaire.

L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme s'applique aux mesures administratives pouvant être qualifiées d'accusations en matière pénale ou de contestations sur des droits et obligations à caractère civil. Encore faut-il souligner que cet article et, partant, le droit à un procès équitable, ne s'applique que devant le juge et non devant l'administration active. Autrement dit, la phase de l'infliction de la sanction ne relève pas, en soi, du procès équitable. Par contre, il doit exister un recours de pleine juridiction contre la sanction et c'est à ce niveau que les garanties prévues par l'article 6 doivent être intégralement respectées. Telle est la jurisprudence constante du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour d'arbitrage. Voir, notamment, l'article de D. Yernault intitulé « Les sanctions administratives communales et le principe de contradiction devant l'administration et le juge » paru à la page 36 de l'APT de 2002 et les références citées.

C'est dans cette perspective que le législateur a décidé de rationaliser et moderniser les voies de recours contre les décisions de la CBFA. Ces dernières sont ainsi susceptibles de recours soit devant la Cour d'appel de Bruxelles, soit devant le Conseil d'État selon la matière.

Comme souligné par la Cour d'arbitrage dans son arrêt 160/2003, la loi du 2 août 2002 a renforcé la protection juridique contre les décisions des organes de la CBFA. Le législateur a ainsi voulu protéger les droits et libertés individuels dans le cadre d'un contrôle de pleine juridiction opéré par une instance indépendante et impartiale. L'article 121 de la loi du 2 août 2002 ne crée donc pas d'insécurité juridique et les craintes que vous nourrissez à cet égard sont contredites par l'enseignement de la Cour d'arbitrage elle-même.

Mme Joëlle Kapompolé (PS). - Je remercie la ministre de sa réponse très complète et très circonstanciée.

Je vais consulter les différents arrêts et références juridiques dont elle a parlé et, à l'occasion, je viendrai éventuellement demander des explications complémentaires en espérant pouvoir interroger le ministre concerné.

M. le président. - Je vous remercie Madame Kapompolé. Je voudrais vous féliciter pour votre maidenspeech au Sénat dès la première séance suivant votre installation.

M. le président. - L'ordre du jour de la présente séance est ainsi épuisé.

La prochaine séance aura lieu le samedi 17 juillet 2004 à 15 h 00.

(La séance est levée à 18 h 35.)