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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

18 MAI 2004


Les relations de la Belgique avec l'Afrique centrale : le Burundi


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR MME THIJS


SOMMAIRE


  1. Introduction
  2. Recommandations
  3. Votes
    Annexe
    Auditions
    1. Son Excellence M. Ferdinand Nyabenda, ambassadeur du Burundi
    2. Mme Séraphine Wakana, ministre de la Planification du Développement et de la Reconstruction du Burundi
    3. Mme Lydia Maximus, AWEPA
    4. Mme Marie-France Cros, journaliste, La Libre Belgique
    5. Une délégation du Palipehutu-FNL

I. INTRODUCTION

La commission des Relations extérieures et de la Défense a décidé, le 15 octobre 2003, de soumettre à un examen approfondi la thématique des « Relations de la Belgique avec l'Afrique centrale ». À cet effet, elle a désigné les rapporteurs suivants : Mme Sabine de Bethune, MM. Pierre Galand et Patrick Hostekint et Mme Erika Thijs.

Le thème principal comporte évidemment trois volets : la République démocratique du Congo, le Rwanda et le Burundi.

Mme Erika Thijs a été désignée rapporteuse pour le volet « Burundi ».

Dans le cadre de ce volet, la commission a organisé plusieurs auditions, au cours desquelles ont été entendus Son Excellence M. Ferdinand Nyabenda, ambassadeur du Burundi, Mme Séraphine Wakana, ministre de la Planification du Développement et de la Reconstruction du Burundi, Mme Lydia Maximus, d'AWEPA, Mme Marie-France Cros, journaliste à La Libre Belgique, et une délégation du Palipehutu-FNL.

Les textes des auditions sont annexés au présent rapport.

Un projet de recommandations a été rédigé sur la base des auditions; il a été examiné et amendé au cours des réunions des 11 et 18 mai 2004.

II. RECOMMANDATIONS

Le Sénat,

1. considérant que la situation actuelle au Burundi est particulièrement grave et dangereuse, s'éloignant à nouveau d'une perspective de paix,

2. estimant que l'application de l'accord de paix d'Arusha, entériné par le Sommet régional de Dar-El-Salam est nécessaire pour le respect de la paix,

3. saluant les efforts de paix réalisés aux Pays-Bas début 2004,

4. estimant que les élections démocratiques seront un moment important pour fonder la légitimité des forces politiques démocratiques au Burundi et qu'il convient de maintenir l'agenda pour les élections,

5. considérant que le Burundi a clairement été identifié comme un pays prioritaire pour l'aide au développement fournie par le gouvernement,

6. considérant que le ministre de la Coopération au développement a organisé, avec le PNUD, une rencontre à Bruxelles afin de mobiliser l'appui de la communauté internationale en ces moments cruciaux pour la paix,

7. considérant que les résultats de ce forum sont primordiaux pour le Burundi et lui permettront de sortir du marasme politique et socio-économique dans lequel il se trouve, créé par dix années d'instabilité,

8. considérant qu'il s'agit donc pour la communauté internationale d'apporter une aide à un pays qui vit une catastrophe humanitaire,

9. considérant que les accords de cessez-le-feu qui ont été signés depuis le 7 octobre 2002 s'inscrivent tous dans le cadre de l'accord national de paix et de réconciliation signé à Arusha le 28 octobre 2000 et qui a reçu l'appui formel d'un grand nombre de cosignataires de l'Union européenne, dont la Belgique,

10. considérant qu'après les résultats positifs du forum, la priorité est de consolider les acquis d'Arusha et d'entériner son programme de réconciliation et de relance économique,

11. considérant que les populations burundaises vivent aujourd'hui un réel drame humain, estime qu'il faut renforcer les secteurs de la société civile, en particulier les organisations de femmes et de jeunes qui par leurs actions culturelles, sociales, économiques se battent pour la sauvegarde des droits élémentaires, la dignité et la paix pour les Burundais.

Recommande

1. au gouvernement belge de prendre une initiative diplomatique urgente pour amener les différentes parties à reprendre les négociations pour appliquer l'Accord de Paix d'Arusha en ce compris le FNL,

2. aux parties concernées d'accepter une trêve permettant de réunir toutes les forces civiles et militaires concernées par la situation au Burundi.

3. à l'Organisation des Nations unies et aux instances internationales impliquées au Burundi de développer leurs efforts pour obtenir un accord de paix entre toutes les parties sans exclusion,

4. aux bailleurs de fonds internationaux, à la coopération belge, et aux associations et ONG internationales d'encourager des initiatives de partenariat entre les différentes populations burundaises qui permettent de cultiver la coexistence, la paix et la sécurité pour le développement,

5. de veiller à ce que soit accordé un appui budgétaire à la balance des paiements, permettant notamment au Burundi de bénéficier du programme de facilité pour la réduction de pauvreté et pour la croissance (FRPC) du Fonds monétaire international (FMI), et à soutenir financièrement le programme national de renforcement des capacités pour une bonne gouvernance,

6. d'apporter son soutien au programme national de réhabilitation des sinistrés et des réfugiés, et ce, via un soutien au travail du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR).

7. en matière de coopération :

7.1. de promouvoir le développement rural par des stratégies visant à la relance du secteur agricole et de l'élevage à des fins d'autosuffisance alimentaire;

7.2. d'apporter son soutien aux initiatives visant à promouvoir l'accès et la qualité des services sociaux de base. De promouvoir la disponibilité accrue de services de base (éducation, santé, emploi, sécurité sociale, habitat, ...) de bonne qualité, proche de la population;

7.3. de mener des actions et de soutenir toute initiative visant a améliorer l'accompagnement des personnes infectées par le VIH/sida, de contribuer au renforcement des capacités des structures de lutte contre le VIH, d'apporter son soutien également à des campagnes de prévention;

7.4. de promouvoir la réinstallation sociale et économique des personnes sinistrées et la réhabilitation des infrastructures économiques et sociales détruites. Le gouvernement belge devrait accorder une attention particulière en ce sens aux plus défavorisés et vulnérables tels que les handicapés, les veuves, les orphelins et les enfants des rues;

7.5. de promouvoir la participation des femmes au processus de développement comme un élément déterminant. Le gouvernement belge doit soutenir toute initiative visant à développer l'accès des femmes à l'éducation et aux instances de décision, promouvoir la santé des mères et des enfants, ainsi que l'accès des femmes aux facteurs de production tels que les systèmes de crédit.

III. VOTES

Les recommandations ont été adoptées par 8 voix et 1 abstention.

Le présent rapport a été approuvé par 7 voix et 2 abstentions.

La rapporteuse, La présidente,
Erika THIJS. Anne-Marie LIZIN.

ANNEXE

AUDITIONS

1. Son Excellence M. Ferdinand Nyabenda, ambassadeur du Burundi

1.1. Exposé de Son Excellence M. Ferdinand Nyabenda

Son Excellence M. Ferdinand Nyabenda, ambassadeur du Burundi rappelle que la crise au Burundi a commencé en 1993. La nouvelle donne, qui date du 16 novembre 2003, est la concrétisation du respect du cessez-le-feu par l'acceptation du CNDD-FDD d'entrer dans les institutions. À présent que c'est chose faite, tous les ministres sont rentrés à Bujumbura, y compris les ministres d'État issus des rangs du CNDD-FDD.

Le Conseil des ministres siège cette semaine à Bujumbura, signe de l'accord pour la paix et la réconciliation conclu le 28 août 2000 à Arusha. Certes, l'accord a été long et difficile à négocier, mais l'essentiel est que ce soit porteur d'espoir. Il demeure une équation non négligeable qui se prénomme le parti hutu, le FNL, qui reste sur le pied de guerre, en dépit des appels lancés par le gouvernement et par la communauté internationale ­ au premier rang, le gouvernement belge.

Le problème majeur est la paupérisation de la population. Toutes les structures économiques affichent des indicateurs dans le rouge. Si le Burundi parvient à régler les problèmes de paix et de sécurité, le problème économique reste épineux. Son Excellence M. l'ambassadeur rappelle que son pays, parrainé par le gouvernement belge, tiendra une table ronde des bailleurs de fonds les 13 et 14 janvier 2004 à Bruxelles, visant à favoriser encore davantage la situation de paix qui s'installe et qui ne pourrait plus s'épanouir tant la situation économique est extrêmement précaire.

Sur le plan économique, le gouvernement du Burundi souhaite parler des impératifs notamment liés à la dette extérieure. Cette dette les empêche de faire appel aux institutions de Bretton Woods.

Le Burundi rend hommage à la Belgique qui l'a appuyé tant au niveau de l'aide budgétaire qu'au niveau des contributions de fonds fiduciaires, permettant l'obtention de crédits auprès de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de la Banque africaine de développement (BAD).

Les arriérés atteignent des montants tellement astronomiques que la Belgique, seule, ne pourrait aider le Burundi.

Sur le plan social, le Burundi est confronté à des problèmes énormes. Il y a eu la destruction des infrastructures, de l'habitat, etc. La guerre a tout détruit. Le pays fait face à de terribles maladies, dont la plus importante est le sida qui, à lui seul, provoque autant de morts que la guerre n'en a causés, si pas davantage.

Sur le plan des perspectives, la première tranche de la transition a été réalisée par l'ex-président Buyoya qui a respecté les clauses de l'accord.

Comme la présidente de la commission l'a annoncé, le président actuel Domitien Ndayizeye s'attelle à ce que la deuxième tranche de la transition aboutisse à des élections.

Le Burundi est conscient que plusieurs réformes sont nécessaires, notamment des réformes économiques et des réformes du corps de défense et de sécurité. À ce jour, le Burundi dispose d'environ 45 000 hommes (les forces gouvernementales) et de 20 000 hommes (les combattants rebelles). Son pays est incapable de maintenir et d'entretenir 65 000 hommes. Des réformes devraient donc être entreprises progressivement tant au niveau de l'effectif qu'au niveau de l'éducation.

Tous ces besoins brièvement résumés nécessitent un appui budgétaire énorme. Son Excellence M. Nyabenda tient à la disposition du gouvernement belge tous les montants s'y rapportant.

M. l'ambassadeur expose les orientations qui pourraient être indiquées à la communauté internationale.

Le Burundi, selon lui, mérite l'appui de la communauté internationale surtout dans le décaissement des promesses faites à Paris et à Genève, afin que la population puisse bénéficier des dividendes de la paix qui, sinon, aurait probablement été instaurée pour rien.

L'ambassadeur évoque également la réduction de la dette, à défaut de l'annulation de la dette extérieure. Comme son gouvernement a contracté des crédits intérieurs, le problème de la solvabilité de l'État se pose.

La communauté internationale pourrait aider le Burundi en incitant les investisseurs à miser sur son pays dès que la paix sera assurée, non seulement pour aider, mais aussi pour gagner. L'ambassadeur appelle ce principe le win-win.

Bref, la communauté internationale a soutenu le Burundi depuis le début de la crise et ne devrait pas l'abandonner aujourd'hui alors que des signaux positifs commencent à apparaître.

Afin d'inciter la communauté internationale à continuer son soutien au Burundi, l'ambassadeur conclut en soulignant deux atouts du Burundi.

Ces deux atouts du Burundi sont, d'abord, sa position stratégique centrale dans la région, qui pourrait mener à un processus de paix élargi, et, ensuite, ses ressources naturelles. En effet, son pays pourrait être transformé en havre de paix touristique.

M. l'ambassadeur souhaite que la communauté internationale consente à aider la gestion des ressources humaines afin de garantir une bonne gouvernance et permettre d'éviter d'éventuelles tentatives de corruption.

1.2. Échange de vues

Mme Derbaki Sbaï souhaite davantage de précisions concernant les souhaits et les demandes du Burundi, et par rapport à la communauté internationale et par rapport à la Belgique.

L'intervenante le cite : « La communauté internationale a soutenu le Burundi. Elle ne peut pas nous abandonner aujourd'hui. » et lui demande de préciser ce qu'il entend par cette déclaration. Elle souhaite appréhender de façon plus approfondie les attentes du Burundi sur le plan économique et sur le plan social.

Mme Derbaki Sbaï croit savoir qu'une stabilité s'est instaurée. Existe-t-il toujours une différence entre les populations vivant sur place ? La paix sera-t-elle basée sur les différentes populations ethniques au Burundi ?

M. Guilbert pense que les ressources humaines sont un atout très important. Il ressent très fort la volonté du Burundi de s'en sortir. Le Burundi est actuellement un des pays les plus défavorisés sur le plan économique. Ses ressources humaines demandent effectivement un appui de l'aide internationale. Il ajoute avoir expérimenté au Burundi une autre ressource importante : son administration, qui fonctionne en dépit d'une situation difficile.

Il souhaite savoir si l'accessibilité par la route de Bujumbura pose encore problème.

La problématique de la lutte contre le sida l'interpelle. Il conteste l'octroi d'un prêt de la part de la Banque mondiale en vue de combattre un tel fléau, étant donné qu'il n'est pas question de rentabilité financière, et compte tenu du plan de diminution de la dette du Burundi.

L'intervenant souhaite savoir où en est l'application de ce plan de stratégie de diminution de la dette.

Mme Durant souhaite demander l'avis de l'ambassadeur dans le cadre des recommandations de soutien éventuel que devrait formuler le Sénat au gouvernement. Elle pense tout particulièrement au projet que la Belgique a porté et financé lors de la législature précédente, qui visait, de façon ponctuelle, à prendre en charge les salaires des professeurs d'université en tout ou en partie. Ce projet porte-t-il ses fruits en matière de continuité du travail universitaire, d'une part, et, d'autre part, l'ambassadeur remarque-t-il de façon concrète des soutiens particuliers ayant un effet multiplicateur et/ou un effet de stabilisation ?

Mme Lizin demande quels sont les espoirs du Burundi et dans quels secteurs ils se placent. Quant à la table ronde annoncée par l'ambassadeur les 13 et 14 janvier 2004, dans quel contexte serat-il question du décaissement ? Est-on actuellement confronté à des actions armées importantes contre Bujumbura et les quartiers périphériques ? En Tanzanie ou ailleurs, reste-t-il des noyaux dangereux pour le gouvernement en place ? Le respect de l'accord de paix est-il complet ? Y a-t-il des milices réticentes en dehors du FDD ? La commission pourrait-elle jouer un rôle, en parallèle avec la réunion de janvier 2004, pour initier un nouveau pas vers la paix s'il reste des lieux de friction ?

Son Excellence M. Ferdinand Nyabenda précise la manière dont la Belgique pourrait tenter d'aider le Burundi qui a beaucoup souffert de la guerre. En effet, celle-ci a détruit les infrastructures économiques et tout le secteur social. Actuellement, plus de 1 200 000 personnes n'ont plus de toit, environ 800 000 personnes sont des réfugiés et environ 500 000 personnes sont déplacées, soit 20 % de la population qui survit ainsi.

Le Burundi a donc besoin d'un soutien politique et d'un appui budgétaire à tous les niveaux. Le gouvernement du Burundi est conscient que ses partenaires, dont la Belgique, ont largement contribué au processus de paix, mais cela ne suffit pas. Bien que la communauté internationale dépense beaucoup d'argent, la population burundaise continue à avoir énormément besoin d'aide. Le gouvernement estime que cet appui budgétaire relève de l'ordre de 440 millions de dollars pour une période de trois ans, située entre 2003 et 2006, et ce, si possible, sous forme de dons.

L'ambassadeur souhaite détailler ce point. Le Burundi aurait besoin de contributions immédiates au fonds fiduciaire de la dette multilatérale, qui est évaluée à 100 millions de dollars pour l'année 2003.

Il y a également 32 millions de dollars qui pourraient être débloqués annuellement entre 2004 et 2006, ce qui apporterait une solution concrète à la contrainte que constitue la composante multilatérale de la dette.

D'autres chiffres sont parlants. Le Burundi a une dette de 31,5 millions de dollars à la Banque africaine de développement (la BAD) qui a arrêté ses projets au Burundi en raison de cette dette.

Le Burundi a essayé de conclure des accords avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui ont été acceptés, notamment grâce à la bonne gestion financière qui ne débouche cependant pas en possibilité d'octroi de crédits, puisque le pays demandeur ne répond pas à certains critères, notamment le critère de la réduction de la dette extérieure. Le Burundi n'est pas éligible. C'est la raison pour laquelle son pays demande l'aide de la communauté internationale.

L'ambassadeur affirme que l'annulation ou la remise de la dette due aux créanciers bilatéraux de 14 % allègerait davantage le fardeau de la dette.

La dette intérieure est de l'ordre de 100 millions de dollars, étant donné que le gouvernement, les sociétés privées et paraétatiques ont contracté des crédits intérieurs.

Le Burundi a besoin, dans le cadre du programme de renforcement des capacités et dans le cadre d'une bonne gouvernance, d'environ 64,9 millions de dollars.

Pour le renforcement des capacités de l'administration parlementaire, il a besoin d'une coopération interparlementaire accrue pour appuyer le développement de la démocratie parlementaire, qui, pour l'instant, est encore embryonnaire.

La consolidation d'institutions nouvelles telles que le Sénat ou le Parlement au Burundi, la promotion de l'État de droit et des droits de l'homme et l'ouverture à la justice pour tous sont des aides indispensables.

Concernant la bonne gouvernance administrative, le Burundi a besoin de 5 millions de dollars.

Quant à la gouvernance économique, son pays sollicite 12,5 millions de dollars destinés à mettre sur pied une véritable planification stratégique, mais aussi une gestion macro-économique à long terme. L'aide demandée auparavant était ponctuelle et se traduisait surtout en aide humanitaire.

L'ambassadeur aborde un volet très important du point de vue de la paix : le programme d'appui au processus de réforme des corps de défense et de sécurité. Au niveau de la coopération belge, il y a une unité qui s'en occupe spécifiquement. Entretenir 65 000 hommes exige des frais énormes, tout comme la démobilisation d'autant de personnes en une fois provoquerait des coûts que le Burundi ne pourrait assumer. De toute façon, agir ainsi représenterait un danger pour la paix et la sécurité. Il faut donc prévoir des mesures d'accompagnement liées à une démobilisation progressive ­ 10 000 hommes par an ­, notamment en impliquant cette main-d'oeuvre dans la reconstruction de leur pays ravagé.

La Belgique pourrait aider le Burundi dans la réforme au niveau technique et au niveau budgétaire. Le Burundi travaille avec la Banque mondiale, mais seulement pour le volet de la démobilisation.

Le tableau reprenant les appuis budgétaires et la balance des paiements s'élève à un total de 942,8 millions de dollars. Il s'agit du montant dont il sera question à la table ronde à Bruxelles.

Mme Thijs demande un plan de développement concret.

Mme Derbaki Sbaï rejoint la question de Mme Thijs et se déclare choquée par tous les chiffres cités. Elle s'étonne et se demande si la priorité se situe vraiment dans l'aide au maintien d'une armée.

L'ambassadeur précise à nouveau que son pays ne demande pas de l'argent pour ces 65 000 hommes. Il constate tout simplement que la réforme qui les vise nécessitera énormément d'efforts pour son gouvernement.

En fait, les chiffres ont été établis par le ministère de la planification au développement, en collaboration directe avec le PNUD à Bujumbura.

Sur les 942 millions de dollars précédemment cités, la réforme de la défense n'est pas inclue. La Banque Mondiale examine la réforme de la défense. Il n'en sera donc pas question dans la demande d'aide bilatérale aux bailleurs de fonds.

De façon plus détaillée, les besoins qui se chiffrent à 942 millions de dollars incluent les arriérés à apurer en 2003 de 68,5 millions de dollars ainsi qu'une charge de la dette existante pour les échéances 2003-2006, estimée à 184,9 millions de dollars, si l'on tient compte des financements identifiés pour l'appui budgétaire et de la balance des paiements évaluée à 499,9 millions de dollars sur la période de 2003-2006.

Le déficit qui reste à combler sur cette période de trois ans se chiffre à près de 442 millions de dollars. Des documents seront transmis à la commission ultérieurement et présentés aux bailleurs de fonds lors de la table ronde de janvier 2004.

La présidente souligne que le Burundi est considéré par le PNUD comme un des pays les plus pauvres, mais avec une énorme charge de dettes, composée de créances de « pays de notre type » ou de banquiers privés. Donc, en réalité, quand M. l'ambassadeur cite des chiffres, il s'agit de financer le paiement aux « occidentaux riches ». Ce qui est proposé et ce que les bailleurs de fonds proposent, c'est de s'entraider, parce que le Burundi ne pourra jamais générer quoi que ce soit sur cette dette. En même temps, espérer que le Burundi puisse participer à des niveaux pareils est tout à fait irréaliste. Le problème de la dette paraît insurmontable. Reste comme solution, soit l'annulation, soit la prise en charge à l'issue d'une conférence des bailleurs de fonds.

Elle soutient l'idée de la réforme de la défense du Burundi et de la réintégration progressive dans le monde civil d'une partie des 65 000 hommes dont il est question ci-dessus. Il ne faut pas négliger le fait que l'armée est l'employeur public principal. Pour ce faire, il faut trouver des programmes pour relancer la création d'emplois autre que l'emploi militaire.

L'ambassadeur fait remarquer que le ministère du Plan du Burundi a des programmes et des projets économiques, mais qu'il lui manque la possibilité de financer ces programmes générateurs d'emplois, vu l'énormité de ses dettes intérieure et extérieure, accumulées en dix années de guerre civile.

Selon la maxime « les banques ne prêtent qu'aux riches », aucune banque ne prête à un pays surendetté tel que le Burundi.

L'ambassadeur informe la commission que le Burundi vient de conclure un accord avec la Banque mondiale. Celle-ci et le Fonds monétaire vont donc revenir au Burundi. Le plus grand obstacle est la BAD qui exige le remboursement total des 31,5 millions de dollars.

Le Burundi avait sur un fonds fiduciaire 6 millions de dollars. La Norvège vient de lui accorder 4 millions de dollars. Le total sur ce fonds s'élève donc à 10 millions de dollars, ce qui n'est pas assez pour renouer avec les projets de la BAD.

Son pays fait, une fois encore, appel au soutien de la Belgique pour avoir accès aux prêts de la BAD.

Le 10 octobre 2003, deux conventions ont été signées avec la Belgique :

­ l'octroi d'un appui budgétaire direct de l'ordre d'environ 400 000 euros de dons destinés au paiement des arriérés de trois mois de salaires des agents civils de l'État;

­ l'octroi de 484 370 euros pour l'appui au renforcement de la santé dans une des régions du Burundi.

Afin que les sénateurs puissent se forger leur opinion en connaissance de cause, la présidente souhaite savoir ce qui entre dans les caisses du Burundi sur une année, et si des impôts sont perçus.

L'ambassadeur confirme que les commerçants paient des impôts. Il explique que la masse monétaire ne circule pas et qu'il n'y a pas d'importation. Les impôts viennent des douanes et des bénéfices sur des réalisations. L'État demande même de payer les impôts avant de vendre, soit 4 %. On présume qu'il y aura bénéfice et le paiement s'effectue à la sortie des marchandises. Il est de notoriété publique que « trop d'impôts tue l'impôt » et que, dans ce cas, la marchandise ne circulerait plus.

Le Burundi a également vécu de l'exportation du café et du thé et aussi de l'agriculture inhabituelle, telle que les fleurs, mais c'est insignifiant. La baisse du cours du café et du coton existe bel et bien, mais c'est la production qui a chuté, passant de 32 000 tonnes par an à 8 000 tonnes en 2003. On peut expliquer ce phénomène par la canicule mais surtout par le fait que les gens ne travaillent pas les champs, vu qu'ils se sont réfugiés dans la périphérie de Bujumbura. Il s'agissait principalement de propriétés de familles qui ont été contraintes de quitter les collines.

Mme Lizin souhaiterait connaître comment l'on peut aider le Burundi.

L'ambassadeur est pleinement conscient de l'aide apportée par la Belgique. Il espère que le gouvernement belge pourra soutenir le Burundi encore plus, en le mettant sur les rails de la production, maintenant que la paix règne et que réapparaît la volonté de travailler.

Avant les événements de 1993, le peuple burundais était capable d'assurer une bonne gestion. Avec la crise, l'habitude de la corruption s'est installée, mais elle n'est pas encore généralisée. La volonté de la bonne gouvernance demeure l'une des priorités du gouvernement actuellement en place.

Mme Lizin demande si le microcrédit aiderait les familles à s'assurer un minimum vital.

L'ambassadeur répond qu'il n'y a pas de programme à cet égard. Il pense qu'un des collaborateurs du ministre des Affaires étrangères du Burundi est chargé d'étudier la façon dont des microcrédits peuvent être octroyés.

Mme de Bethune estime qu'il faut à cet effet recourir aux ONG belges qui possèdent une bonne expertise concernant les projets relatifs aux microcrédits. Notre politique étrangère belge pourrait jouer un rôle à cet égard par le biais du financement d'ONG qui travaillent dans le domaine en question.

La présidente évoque la démarche du Burundi concernant le programme de réduction stratégique de la pauvreté. La Banque mondiale demande cela impérativement pour réouvrir les crédits. Lesdits crédits doivent également faire l'objet d'un déverrouillage au Fonds monétaire. Le contenu de ce programme est évidemment l'élément clé qui permettra de trouver les réponses aux questions soulevées. Si ce programme est accepté, il est publiable et la commission pourrait prendre connaissance du contenu, proposé par le Burundi, dès que le déverrouillage sera fait. Entre le déverrouillage de ces deux institutions et le décaissement matériel des promesses faites en échange de la paix, cela porte encore sur d'autres moyens financiers.

Par exemple, M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la Belgique, peut faire appel à un budget pour des dossiers qui ne dépendent pas du déverrouillage de la Banque mondiale et du FMI (cf. la prévention des conflits).

Concernant la question des milices, M. l'ambassadeur rappelle qu'un groupe, le FNL, refuse de participer aux négociations. Le gouvernement reste ouvert et certains pays interviennent afin de convaincre le FNL de revenir à la table des négociations. Pour le moment, le FNL campe sur ses positions et ne veut dialoguer qu'avec les Tutsis, mais il ne serait pas raisonnable pour eux de continuer à refuser de discuter avec le gouvernement.

La ville même de Bujumbura est sécurisée. Il y a eu une tentative d'attaque contre Bujumbura par le FNL en juillet 2003, qui visait à protester contre la tournée du président du Burundi en Europe, mais cette agression a été repoussée. La sécurité est quasi totale sur presque toute l'étendue de la République.

L'ambassadeur souhaite répondre à la question concernant les groupes politico-ethniques appelés G7 (les Hutus) et G10 (les Tutsis). Les problèmes sont en train d'être surmontés. L'accord d'Arusha contient un partage entre 60 % pour G7 et 40 % pour G10. En ce qui concerne la sécurité, au niveau de la structure globale et des sous-officiers, il ya un 50/50; au niveau de l'état-major l'on suit la règle de 65 % pour le groupe gouvernemental et 35 % pour le groupe rebelle. Dans le futur, une Constitution de transition, dont l'ambassadeur ignore encore le contenu, verra le jour. La démocratie peut coûter très cher, mais il faut trouver une Constitution » équilibrée » pour éviter un retour à une situation de conflit.

Si la Constitution de demain consacre l'accord d'Arusha, les Burundais estimeront que ce sera la traduction de ce qui se passe actuellement. Et si les Burundais pensent qu'il faut dépasser cet accord, alors le gouvernement s'y conformera.

Concernant « le modèle du Rwanda » de ne pas considérer la notion d'ethnies, le Burundi respecte cette vision des choses.

Face à des problèmes concrets, le Burundi a préféré adopter des solutions mécaniques pour résoudre des problèmes ethniques, posés en termes politiques par pudeur démocratique.

Le Rwanda mène l'expérience que le Burundi a faite il y a 20 ans. Nier la notion d'ethnies, selon l'ambassadeur, a mené le Burundi aux événements de 1993, ce qui ne veut pas dire que l'histoire se répétera dans un autre pays.

2. Mme Séraphine Wakana, ministre de la Planification du Développement et de la Reconstruction du Burundi

2.1. Exposé de Mme Séraphine Wakana

Après dix années de crise, le Burundi se trouve dans un marasme économique profond. L'indicateur économique le plus important, la production, a chuté de 30 % depuis 1993. Ceci a un impact très important sur le revenu des ménages qui est passé de 200 dollars à moins de 100 dollars depuis 1993. La partie de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté est passée de 30 % à 70 %.

À l'heure actuelle, d'après les indicateurs de la Banque mondiale, le Burundi figure parmi les trois pays les plus pauvres de la planète. À cause de la dette extérieure (à 86 % de nature multilatérale) le gouvernement ne peut plus faire face aux charges de fonctionnement. Cela est dû au climat d'insécurité qui règne au Burundi. Les problèmes budgétaires sont imputables à la dévalorisation de la monnaie burundaise par rapport au dollar.

La montée des prix plonge la population dans une misère sans précédent. Le pouvoir d'achat s'amenuise. La situation économique a des répercussions sur le plan social : la mortalité infantile augmente et l'espérance de vie est maintenant de 48 ans. La coopération reprend au fur et à mesure que l'insécurité diminue. Ces derniers temps, une planification à court terme a été prévue parce qu'il était difficile d'asseoir les bases d'un planning à long terme.

Le gouvernement a mis en place un cadre stratégique contre la pauvreté. La consultation participative de la population a permis de dégager six axes prioritaires en matière de développement :

­ le rétablissement de la paix et de la sécurité, qui est le préalable de tout programme social;

­ la stabilisation du cadre macroéconomique qui permet de mener une politique du développement. Les plans de redressement rédigés avec le FMI et la Banque mondiale contribuent à cet objectif;

­ la reconstruction des infrastructures de base qui ont subi des destructions massives et l'accès à celles-ci;

­ la lutte contre le sida. Dans certaines régions jusqu'à 20 % de la population est atteinte. Un vaste programme de formation de la population a été mis en place à cet égard. L'accès à la médication anti-rétrovirale pose toutefois problème;

­ Le rétablissement de l'équilibre en matière de genre. Les politiques de développement n'en tiennent pas suffisamment compte.

Le financement du développement demeure une question épineuse. Il faudrait mobiliser un maximum de partenaires pour fixer les priorités. La Belgique et le Burundi vont coopérer dans le cadre d'un programme pour mobiliser le financement du développement.

Quatre thèmes ont été retenus à savoir :

­ l'appui budgétaire et à la balance des paiements. Il comprend deux volets :

· l'allégement de la dette revêt un caractère très important. Les arriérés du Burundi envers la Banque africaine de Développement (BAD) doivent être honorés avant la fin du mois de janvier 2004. Si le pays ne parvient pas à régler les arriérés, le programme avec le FMI ne peut pas être lancé;

· la dette intérieure empêche le bon fonctionnement du gouvernement burundais. L'importation des produits de base est également mise en cause par ce facteur.

­ Les accords de paix et de cessez-le-feu récemment signés prévoient la réforme de l'armée et la mise en place d'une nouvelle police. La mise en application de ces programmes et leur appui technique demande des moyens financiers importants. Une partie du volet relatif à la réforme de l'armée est déjà prise en considération par le programme régional multi-national pour la démobilisation de l'armée. Toutefois la phase de prédésarmement n'est pas prise en compte par la Banque mondiale. Cet aspect fait l'objet de négociations bilatérales.

Le financement de la phase d'intégration, surtout qui est une opération coûteuse, n'est pas encore assuré. L'armée sera progressivement dégraissée à concurrence de 10 000 hommes par an. Le départ volontaire des effectifs reste cependant la formule privilégiée. Vu la démobilisation massive de l'armée, la police doit être performante et vigilante.

­ Le retour des réfugiés constitue également un aspect important dans la mise en oeuvre des accords de paix. Il y a déjà des retours volontaires. Le nombre de réfugiés déplacés à l'intérieur du pays s'ajoute au nombre déjà élevé des réfugiés qui vivent à l'extérieur du pays. Le programme relatif au retour des réfugiés est étalé sur deux ans.

­ Le programme de renforcement des capacités pour une bonne « gouvernance » couvre l'appareil administratif, les pouvoirs législatif et judiciaire ainsi que les structures économiques. Il faut surtout bien préparer l'organisation des élections. Vu la situation chaotique du pays au niveau démographique, il est très difficile de se prononcer sur le nombre des électeurs. En dépit de ces difficultés, il est impératif que les élections se tiennent avant la fin de la période de transition en novembre 2004.

2.2. Échange de vues

M. Hostekint estime que les besoins du Burundi pour ce qui est de la reconstruction de l'infrastructure sont considérables. Selon lui, la Belgique a une dette d'honneur vis-à-vis du Burundi, parce qu'elle doit une partie de richesse à ses colonies. Il manque énormément de choses à ce pays, surtout en matière de soins de santé, un domaine dans lequel la Belgique possède une gande expertise. L'intervenant demande quelle aide la ministre attend de la Belgique à court terme.

Mme Derbaki estime que les problèmes du pays se situent surtout au niveau financier. L'oratrice demande que la ministre apporte des précisions au niveau du contenu des plans, des études et des consultations populaires. Elle souhaite également que la ministre spécifie le niveau et le type d'aide financière qu'elle attend de notre pays. Elle se rallie à l'avis de M. Hostekint qui estime que la Belgique a une dette morale envers le Burundi.

La présidente souhaite que la résolution relative au Burundi soit votée au Sénat avant la conférence des bailleurs de fonds pour le Burundi qui se tient à Bruxelles les 13 et 14 janvier 2004. Elle souhaite également savoir ce que la ministre attend exactement de notre pays.

La ministre répond que si le Burundi arrivait à régler les difficultés financières, il pourrait reprendre les programmes existants et en entamer d'autres en matière sociale. En ce qui concerne les priorités retenues, elle se réfère à son exposé introductif. L'oratrice signale que le programme de développement de la BAD est suspendu à l'heure actuelle.

L'appui budgétaire constitue au fond une aide aux projets. En matière de santé et d'éducation, le Burundi a pu maintenir un programme avec la Banque mondiale. Les études et les consultations populaires à travers le pays ont été financées par la Banque mondiale, par l'Union européenne et par l'African Capacity Building Foundation, une agence commune de la Banque mondiale et du PNUD.

Comme le gouvernement n'a pas pu atteindre l'ensemble de la population burundaise, ces consultations restent à l'heure actuelle partielles.

La ministre précise que les arriérés à la BAD demeurent la préoccupation la plus importante pour l'instant.

La présidente demande si l'OIM s'occupe des réfugiés burundais.

La ministre répond que les réfugiés sont uniquement pris en charge par le HCR de l'ONU.

La présidente estime qu'il serait intéressant de demander au HCR d'approfondir le programme relatif au retour des paysans burundais déplacés.

La ministre répond qu'au moins 60 % de la population déplacée cherche à être réinstallé. Le gouvernement entend redistribuer les terres.

Mme Derbaki et la présidente demandent s'il y a, comme au Rwanda, un programme qui garantit à la population un retour au pays sans risque de représailles.

La ministre répond qu'il y a au Burundi une Commission nationale pour les rapatriés et la réhabilitation des sinistrés. Cependant, cette commission n'est pas encore opérationnelle faute de moyens.

La présidente souhaite que la résolution relative au Burundi parlera au moins de l'appui budgétaire, la mise en place d'une « bonne gouvernance », la réforme des corps de défense et de sécurité, le retour des réfugiés déplacés et l'aide financière belge à la Commission nationale pour les rapatriés et la réhabilitation des sinistrés.

3. Mme Lydia Maximus, AWEPA

Exposé de Mme Lydia Maximus

Mme Maximus, qui est une ancienne femme politique belge, a accumulé au Burundi une expérience de près de cinq ans. Cette expérience lui a fait comprendre, d'une part, que l'Occident envisage d'une manière trop pragmatique les questions de sécurité qui se posent en Afrique et la coopération au développement au bénéfice de celle-ci et, d'autre part, qu'il tient trop peu compte, et de la manière de penser des Africains et des Burundais en particulier, et de la logique qui fonde leur manière de résoudre les problèmes.

Ce dont elle se souviendra surtout, c'est de la conviction que le pays connaîtra un jour la paix ­ il existe au Burundi un potentiel qui permet d'installer une paix durable.

Si la paix s'installe, ce sera en grande partie grâce aux efforts de réconciliation que les Burundais auront accomplis eux-mêmes, après une période de drames successifs qui ont ravagé leur pays depuis 1962 et qui ont trouvé leur source dans des affrontements entre des groupes de population qui se sont livrés à tour de rôle à des massacres sur d'autres sans que l'on n'ait jamais pu savoir s'ils avaient agi par réflexe de défense ou dans une intention génocidaire.

Tel est le grand problème du Burundi : les uns disent des autres que ce sont des génocidaires et lesdits génocidaires affirment qu'ils mènent un véritable combat politique.

Comme on n'a pas réussi à faire la part des choses en la matière, on peut dire, au vu de l'évolution qui a eu lieu récemment avant et après Arusha, que l'on assiste à une véritable réconciliation. Les Burundais ont progressé petit à petit en direction d'un dialogue et ils sont capables maintenant de regarder vers l'avenir, au-delà des difficultés qu'ils doivent résoudre.

Ils sont fermement décidés à mettre leur pays sur la bonne voie.

L'intervenante situe l'énorme problème du sida au Burundi dans le cadre général de l'insécurité qui y règne : il est l'une des conséquences de la pensée fataliste qui s'est développée dans un contexte de massacres quotidiens.

Mme Maximus a assisté personnellement à la signature de l'Accord d'Arusha. Elle regrette que l'on ait inscrit dans cet accord des délais intenables dans le cadre d'un calendrier politique extrêmement chargé (alternance à la présidence, retour d'élus, installation d'un parlement de transition, réforme de l'armée, etc.).

La réforme de l'armée constitue l'élément essentiel du processus de réconciliation globale et on doit par conséquent considérer qu'il s'agit d'une affaire non pas purement militaire mais touchant à l'ensemble de la société.

L'intervenant regrette que les parties étrangères à l'accord de paix, qui ont imposé, dans le cadre de celui-ci, des délais de réalisation des diverses étapes à franchir, n'aient pas prévu de plan de financement à l'échelon international. On a dit, après sa conclusion, que l'Afrique du Sud allait financer une grande partie de la phase transitoire, alors que ce pays ne dispose pas de moyens suffisants pour ce faire et qu'il est lui-même confronté à d'énormes problèmes sociaux.

Dans quelle mesure le fait de prévoir une aide conditionnée peut-il avoir un sens quand on sait d'emblée que le pays en question, le Burundi, est incapable, en raison du manque de moyens, de remplir les conditions qui lui sont imposées ? Le Burundi consacre tellement d'énergie à la recherche de moyens de financement de ses projets de développement et de transition qu'il n'arrive pas à prendre les mesures internes qui sont réclamées et qui sont indispensables dans un pays qui est totalement désorganisé et dans lequel aucun fonctionnaire ne touche encore un traitement suffisant pour pouvoir payer ne fût-ce qu'un loyer. Cela explique pourquoi la corruption y est un phénomène omniprésent. Les soins de santé sont réduits à zéro en raison de l'absence de moyens.

Par ailleurs, le Burundi souffre du fait que les Nations unies consacrent une attention beaucoup plus grande au Rwanda et du fait que ce pays a accaparé les services de l'ensemble des médecins burundais en leur offrant des salaires du PNUD. On a constaté récemment qu'il n'y avait plus qu'une soixantaine de médecins actifs au Burundi et qu'une partie de ceux-ci étaient des étrangers.

L'intervenante rappelle que les élections sont prévues pour le mois de novembre de cette année et que les préparatifs de celles-ci n'ont pas encore commencé. Elle déplore que les donateurs du Burundi modifient les conditions qu'ils imposent à ce pays au gré de leurs intérêts politiques variables et qu'en conséquence, les instances compétentes au Burundi soient constamment obligées de revoir leurs dossiers pour pouvoir satisfaire aux nouveaux critères qu'ils leur fixent. Les personnes qui ont le courage d'exercer une activité politique dans un pays comme le Burundi méritent beaucoup d'éloges.

4. Mme Marie-France Cros, journaliste, La Libre Belgique

4.1. Exposé de Mme Marie-France Cros

1. Moins souvent à la une de l'actualité, le cas du Burundi est néanmoins inquiétant.

2. L'accord signé en août 2000 à Arusha n'a, vous le savez, pas amené la paix puisqu'il était récusé par les combattants armés. Subissant la forte influence de la vision un peu caricaturale qu'a Nelson Mandela du problème burundais, il a en revanche cristallisé les divisions ethniques en attribuant des postes sur cette base.

3. Plus efficace est l'accord de cessez-le-feu signé il y a quelques semaines entre Bujumbura et les FDD, la principale rébellion hutue. Des négociations viennent de commencer entre le Président hutu et le dernier groupe hutu armé, le FNL; on espère qu'elles aboutiront à un cessez-le-feu également. Il faudrait que celui-ci intervienne le plus rapidement possible.

Non seulement parce que cela évitera des morts inutiles, mais aussi parce qu'il importe de couper l'herbe sous le pied à ce qui pourrait dégénérer en guerre civile entre Hutus. Les FDD, ralliés au régime, prêtent en effet main forte à l'armée de Bujumbura, dans laquelle elles sont en train d'être intégrées, pour pourchasser leurs anciens alliés du FNL. On risque évidemment quelques vengeances en retour.

Cela rappelle ce qui s'est passé durant les derniers mois de combat des FDD, au cours desquels ces dernières tuaient beaucoup plus de Hutus du Frodebu (le principal parti hutu) que de soldats de l'armée de Bujumbura.

Cela ne restera pas sans suites s'il faut attendre longtemps une véritable pacification.

Si l'on regarde d'un peu loin la décennie de guerre civile qu'a connu le Burundi, on ne peut manquer d'être frappé par le fait que la rébellion hutue se scinde sans cesse quand sa direction est cooptée au sein du système de pouvoir. Tout se passe comme si cette rébellion était un tremplin pour la bourgeoisie hutue, dont les représentants en révolte se rallient successivement à la paix dès leur accession à la table du banquet du pouvoir, alors que leurs troupes, laissées pour compte, ne sont pas satisfaites. C'est évidemment lié à l'étroitesse de la table de banquet : l'État reste le principal pourvoyeur d'un niveau de vie décent. Vus les indicateurs économiques dans la région, on doit compter avec le risque que cette situation se prolonge.

4. La présidence du Hutu Domitien Ndayizeye vient à échéance le 1er novembre. Normalement, il devrait céder la place à un président élu; des élections devraient donc avoir lieu avant cette date mais rien n'est prêt.

Il n'y a pas encore de texte sur ces élections; le retour des réfugiés est toujours en cours; la guerre perdure dans Bujumbura et sur toute la crête (du nord au sud du pays) et rien n'indique que le FNL ait intérêt à ce que cela aille vite, au contraire. De plus, il y a quelque 300 Interahamwés dans la forêt de la Kibira, qui ont dû fuir le Congo ces derniers mois. La réforme de l'armée vient seulement de commencer et il faudra encore introduire des FNL quand la paix sera signée avec eux.

Le Frodebu est favorable à des élections rapides, parce qu'il est implanté dans tout le pays, au contraire de ses rivaux hutus, le CNDD (bras politique des FDD) et le FNL, en admettant que celui-ci signe rapidement la paix.

L'Uprona, que cela arrange de voir trois partis réclamer le vote ethnique hutu, plutôt qu'un seul, estime, comme le CNDD, que le pays n'est pas prêt pour des élections. Les trois partis se seraient tout de même accordés sur le principe d'un report des élections, mais rien n'est décidé encore parce qu'on ne sait pas qui va diriger le pays pendant la prolongation de la transition.

4.2. Échange de vues

Voir le doc. Sénat 3-254/1 (annexe ­ audition de Mme Marie-France Cros).

5. Une délégation du Palipehutu-FNL composée de M. Augustin Ntawogeza, Secrétaire national aux Relations extérieures, M. Jacques Kenese et M. Ambroise Wakana

5.1. Exposé de M. Augustin Ntawogeza

Depuis la création du Palipehutu-FNL le 18 avril 1980, par Gahutu Rémy, assassiné le 17 août 1990, le FNL a lancé l'idée d'une conférence nationale à laquelle participeraient le Parti-État qu'était Uprona et l'opposition à savoir le Palipehutu-FNL ainsi que tout Burundais ayant à dire sur la politique du pays. L'objectif consistait à élaborer une plate-forme politique qui satisfasse tous les citoyens. Mais rien n'y fit.

En outre, le parti souhaite mettre un terme à l'impunité. Il estime que les auteurs des crimes de sang et des crimes de génocide doivent être poursuivis en justice. C'est pourquoi le Palipehutu-FNL demande à l'ONU de conduire une enquête impartiale pour établir les responsabilités et par conséquent saisir la Cour internationale de Justice pour divers cas qui auraient été relevés.

Par ailleurs, le Palipehutu-FNL réclame la restitution des biens par exemples les meubles et les immeubles aux ayants droit. Il revendique également le démantèlement de l'armée et autres forces de l'ordre, monoethnistes de surcroît, au profit de la nation burundaise et de toutes les régions du pays. Il demande l'instauration du multipartisme intégral. Le parti prône une démocratie dans laquelle l'homme est le centre de toute préoccupation.

Cette conviction de changement positif et profond de la politique du pays en indispose toujours plus d'un, en témoignent les réactions de la classe dirigeante.

Cette dernière veut susciter et soutenir une opposition hutue bidon afin d'anéantir le peuple opprimé représenté par le Palipehutu-FNL. Elle corrompt les dirigeants du parti en vu de son éclatement et assassine les leaders qui ne se prêtent pas à la politique dictatoriale de Bujumbura. De plus, elle persécute les militants du Palipehutu-FNL et mène des campagnes de dénigrement.

Aujourd'hui, on met en exergue les accords d'Arusha et l'entrée du CNDD-FDD dans les institutions dites de transition. La raison est tout simplement le désir de débloquer l'argent promis par les bailleurs de fonds internationaux, ce qui permet à ce parti de se doter de davantage d'armes pour anéantir ses ennemis. La paix promise n'est toujours pas au rendez-vous. Tous les accords signés sont bafoués par ceux-mêmes qui les ont conclus.

Certains pays de la région responsables des horreurs se servent de tous les moyens et se cachent derrière les processus dits de paix pour maintenir le statu quo en Afrique centrale.

Lors de la rencontre qui s'est tenue à Oisterwijk aux Pays Bas du 18 au 21 janvier 2004, le président burundais Domitien Ndayizeye avait promis au Palipehutu-FNL de tout faire pour arrêter la spirale de la violence au Burundi mais la situation s'est encore aggravée.

Lors de son congrès extraordinaire qui s'est tenu à Kigoma en Tanzanie du 18 au 21 avril 2004, le Palipehutu-FNL a réitéré sa volonté d'arrêter la guerre. Le congrès a décidé de suspendre les hostilités dans l'immédiat. Le gouvernement a taxé ce geste de manoeuvre de diversion pour s'attirer les bonnes grâces de la communauté internationale.

La coalition, à savoir l'armée et le FDD Nkurunziza ont lancé des attaques contre la population rurale autour de Bujumbura. À ce même moment, l'armée burundaise a lancé des bombes sur un quartier de la capitale pour ensuite accuser les Palipehutu-FNL d'avoir violé sa propre suspension des hostilités.

Le Palipehutu-FNL a exposé à la communauté internationale ses propositions de paix pour le Burundi et a demandé à celle-ci de s'interposer en juge impartial afin de se prononcer sur les sévices infligés à la population burundaise. Le Palipehutu-FNL demande spécialement à la Belgique, qui vient d'accorder un poste d'attaché militaire burundais à Bruxelles, de reconsidérer sa coopération militaire avec le Burundi, car le renforcement de l'appareil militaire burundais n'est pas le meilleur moyen de ramener la paix.

5.2. Échange d'idées :

M. Lionel Van den Berghe demande que l'on ne fasse pas usage de violence pour arriver à une solution.

Mme Thijs demande quels sont les points des accords d'Arusha avec lesquels le FNL n'est pas d'accord.

L'intervenante demande si le FNL veut mener des négociations avec d'autres partis au Burundi.

M. Jacques Kenese répond que tant les Hutus que les Tutsis ont souffert de l'exclusion et des massacres. Il faut dès lors un pardon mutuel pour avoir une paix durable dans le pays.

Des négociations secrètes se sont tenues mais les tentatives du Palipehutu-FNL d'y participer ont essuyé une fin de non-recevoir. Ensuite, il y a eu des négociations en Tanzanie auxquelles le Palipehutu-FNL n'était pas non plus associé. Ces pourparlers n'ont d'ailleurs pas tenu compte des vrais belligérants qui étaient présents sur le sol burundais.

Le Palipehutu-FNL ne pouvait pas approuver les accords d'Arusha. Il a cependant estimé que si le gouvernement accepte d'appliquer les préalables posés aux accords d'Arusha par le Palipehutu-FNL, un dialogue pourrait être entamé. Ces conditions portent notamment sur la libération des prisonniers politiques, la fermeture des « camps de concentration », le retour des militaires dans les camps, etc.

Le gouvernement n'a pas réagi à cette proposition. Par après le Palipehutu-FNL a oeuvré via la médiation et ensuite par le biais de la facilitation, mais toujours sans résultat. L'orateur souligne en fin que le conflit burundais prend ses racines dans l'histoire du pays.

Mme Lizin demande s'il y a des perspectives pour ouvrir une discussion plus large entre toutes les parties concernées.

Mme Thijs estime qu'un véritable cessez-le-feu doit intervenir au Burundi. Pour éviter tout désaccord avec l'armée, le Palipehutu-FNL doit fixer avec elle un domaine bien délimité.

Selon l'intervenante, il faut, pour que l'on puisse prendre en temps utile des décisions efficaces, que le Palipehutu-FNL négocie avec le gouvernement en fonction d'un calendrier.

Mme Lizin estime qu'il faut profiter d'une éventuelle trêve pour relancer les négociations au Burundi. La difficulté réside dans le fait que l'interlocuteur gouvernemental ne répond pas.

M. Ntagowogeza répond que son parti souhaite une trêve mais à certaines conditions que toutes les parties, dont l'armée, doivent respecter. Il se réfère, à cet égard, à la visite du président burundais, Domitien Ndayizeye, à son parti, qui s'est déroulée à Oisterwijck aux Pays Bas, du 18 au 21 janvier 2004.

Il explique que le Palipehutu-FNL a reçu le président pourvu qu'il accepte 4 revendications du parti, à savoir : la mise en place d'une Commission internationale d'enquête sur la mort du Nonce apostolique le 29 décembre 2003, l'arrêt de la violence au Burundi, la cessation des affrontements meurtriers entre le Palipehutu-FNL et le CNDD/FDD et la mise en route du processus de paix au Burundi.