3-683/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

13 MAI 2004


Proposition de loi modifiant la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail, en ce qui concerne la protection contre le harcèlement au travail

(Déposée par Mme Mia De Schamphelaere)


DÉVELOPPEMENTS


Le problème de la violence psychique et du harcèlement se pose fréquemment, mais notre société le sous-estime encore bien trop souvent. Le CD&V est dès lors tout à fait gagné à l'idée qu'il faut développer des solutions effectives pour ce problème.

C'est pourquoi la loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail a représenté un important pas en avant sur le plan des principes. Force est toutefois de constater que cette loi, qui a inséré de nouvelles dispositions dans la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail, manque d'efficacité et d'efficience.

Alors que la loi du 11 juin 2002 a opté pour une juridisation à l'excès des relations de travail par le biais de procédures et de mesures de protection complexes, il importe de mettre l'accent sur la nécessité de créer une atmosphère de travail excluant d'avance le harcèlement. La réglementation légale actuelle ne prévient en effet pas l'apparition du problème du harcèlement, mais elle prévoit une nouvelle procédure de plainte et une nouvelle fonction de médiation externe.

La présente proposition de loi a pour objet de corriger les points faibles de cette loi et d'offrir au travailleur une protection meilleure et plus effective contre le harcèlement, le tout dans une perspective préventive favorable à l'entreprise.

En effet, la législation actuelle, telle qu'elle a été insérée par la loi du 11 juin 2002, manque d'efficacité sur plusieurs points.

a) Inversion de la charge de la preuve

En vertu de la réglementation actuelle, l'employeur doit fournir la preuve que la plainte du travailleur n'est pas fondée. À cet égard, il suffit que le travailleur ait un sentiment subjectif de harcèlement pour qu'il puisse déposer une plainte et engager une procédure juridique. Il va de soi que pareille législation devait engendrer des abus.

Le président de la fondation « Anti-stalking Anti-mobbing (Sasam) » a, lui aussi, estimé, dans le cadre de déclarations récentes, que l'on fait parfois un usage abusif de la loi anti-harcèlement : « (traduction) Le plaignant devra, à l'avenir, rendre crédible d'une manière ou d'une autre l'affirmation selon laquelle il est harcelé » (www.sasam.be).

Nombreux sont en effet ceux qui déposent une plainte pour pouvoir bénéficier de la protection contre le licenciement qu'a instituée la loi anti-harcèlement.

b) Protection contre le licenciement

La législation actuelle devient inapplicable du fait qu'elle prévoit une période de protection extrêmement longue en faveur des travailleurs qui ont porté plainte pour harcèlement. Entre le moment du dépôt de la plainte et le jugement en dernier ressort, il est interdit de licencier la victime présumée et les personnes qui ont témoigné, sauf pour des raisons étrangères à la plainte.

Cette mesure entrave inutilement l'organisation d'une entreprise et, le cas échéant, elle la rend impossible, étant donné que les deux parties font usage de toutes les voies de droit pour obtenir gain de cause et que, du coup, les procédures peuvent durer des années. Et si l'employeur prend finalement quand même le risque de licencier le plaignant, pour une raison totalement étrangère à la plainte mais ne constituant pas un motif grave, celui-ci contestera en tout cas le motif du licenciement et le mettra en relation avec la plainte, ce qui engendrera également une longue procédure judiciaire. On peut vraiment se demander si une telle législation aide les victimes, si elle favorise de bonnes relations de travail et si elle contribue au bien-être des personnes.

c) Méconnaissance des intérêts des petites entreprises

La loi anti-harcèlement ne tient aucun compte de la différence de culture qui existe sur le terrain entre une petite et une grande entreprise. En outre, dans de petites entreprises, l'intervention obligatoire d'un conseiller en prévention peut même être contre-productive.

Il n'est pas non plus tenu compte du coût supplémentaire qu'engendre l'intervention de tels conseillers externes en prévention. En vertu de la loi actuelle, les problèmes en matière de harcèlement ne doivent pas être soumis au médecin du travail, mais doivent être résolus par un psychologue spécialement désigné à cette fin. Le médecin du travail, qui fréquente régulièrement des PME et qui connaît donc l'entreprise et ses travailleurs, ne peut pas traiter le problème. Pour pouvoir s'acquitter de la tâche en question, les services externes devront engager des psychologues supplémentaires, ce qui entraînera une augmentation des contributions à verser par les PME pour l'intervention de services de prévention externes. Ce coût est particulièrement lourd à porter pour les petites entreprises.

Les conséquences de la législation anti-harcèlement actuelle sont donc aussi particulièrement défavorables aux entreprises et elles menacent le climat entrepreneurial.

La présente proposition vise, notamment, à supprimer ces dysfonctionnements dans la législation actuelle.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Pour que la prévention puisse être efficace, il convient de prévoir une approche qui s'insère parfaitement dans les dispositions et pratiques existantes en matière de prévention, et qui respecte la logique en matière d'approche intégrée et de multidisciplinarité.

Pour mettre en place une approche préventive, il suffit dès lors de se référer, dans le chapitre spécifique concernant le harcèlement moral, aux dispositions générales du chapitre II de la loi sur le bien-être. Il en résulte que l'employeur doit, conformément aux principes généraux de prévention prévus par la loi sur le bien-être et à la section 2 de l'arrêté royal sur la politique de prévention, détecter les risques de harcèlement moral, les évaluer et, ensuite, prendre des mesures appropriées, adaptées à la nature de l'activité, à la taille de l'entreprise et au risque estimé. L'élaboration de la politique relève de la responsabilité de l'employeur qui doit s'acquitter de cette tâche en concertation avec la ligne hiérarchique, le service interne et/ou externe de prévention et de protection au travail et le comité.

En effet, il n'y a aucune raison d'insérer dans la loi sur le bien-être des dispositions particulières visant à prévenir le harcèlement moral. Au contraire, cette façon de faire ne répondrait pas à la philosophie de base de la loi sur le bien-être, qui est de réaliser une approche intégrée en matière de prévention. L'approche générale définie dans le chapitre II « Principes généraux » et le chapitre VI « Services de prévention et de protection » doit également s'appliquer au harcèlement moral. Les éventuelles dispositions plus particulières concernant les mesures à prendre devront plutôt faire l'objet d'arrêtés d'exécution et être insérées de préférence dans les arrêtés existants relatifs à la politique de prévention et aux services internes de prévention.

Par ailleurs, ces mesures doivent être adaptées non seulement à la nature des activités et à la taille de l'entreprise, mais aussi au risque estimé.

Article 3

En ce qui concerne la prévention, il y a lieu de suivre la logique de la loi relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail et des arrêtés royaux de 1998. Il n'y a dès lors pas lieu de désigner un conseiller en prévention spécifiquement compétent en matière de harcèlement moral et l'employeur ne peut certainement pas être obligé à faire appel à un service externe, sauf lorsque l'entreprise compte moins de vingt travailleurs.

Ce serait également contraire au chapitre VI « Services de prévention et de protection » et aux arrêtés royaux relatifs aux services internes et externes pour la prévention et la protection. Il y a un risque que chaque conseiller en prévention s'enferme dans sa spécialisation et qu'il y ait de ce fait, au sein d'une entreprise donnée, plusieurs conseillers en prévention s'adonnant chacun à une mission spécifique, ce qui n'engendrerait que confusion et dispersion. La désignation d'un nouveau conseiller en prévention spécifique est contraire à l'approche multidisciplinaire préconisée par la loi relative au bien-être.

L'objectif doit rester d'arriver au moins à un conseiller en prévention par employeur. Conformément à l'article 14 de l'arrêté royal relatif aux services internes pour la prévention, l'employeur détermine, compte tenu du plan global de prévention et après avis préalable du comité, les compétences qui doivent être présentes dans son entreprise ou institution et pour quelles compétences il fait appel à un service externe. Ce principe doit aussi être maintenu en ce qui concerne le problème du harcèlement moral.

Le médecin du travail peut être un bon conseiller en prévention, compte tenu du travail de pionnier accompli par de nombreux médecins du travail en matière de harcèlement psychologique.

La mission essentielle des conseillers en prévention consiste à élaborer et à mettre en ouvre une politique de prévention, y compris en matière de harcèlement. Le projet de loi ignore cet élément essentiel et assigne plutôt aux conseillers en prévention un rôle de conciliation et de remédiation. Cette mission devrait en fait être confiée à une personne de confiance ne faisant pas nécessairement partie du service pour la prévention.

Le conseiller en prévention et la personne de confiance ont donc nettement des missions différentes. La personne de confiance aurait pour tâche d'offrir au travailleur qui se plaint de harcèlement moral, l'accueil, l'aide et l'appui requis et de susciter un dialogue entre la victime et l'auteur présumé. Elle est liée par le secret professionnel.

Bien que l'éventail de leurs tâches ait un contenu différent, il faut maintenir la possibilité que ces deux fonctions soient assumées par une seule et même personne (moyennant l'accord du comité).

Il est également primordial que la personne de confiance puisse être aussi bien une personne faisant partie de l'entreprise (par exemple, celle désignée dans le cadre du harcèlement sexuel) qu'une personne étrangère à l'entreprise (par exemple, d'un service externe).

La modification proposée souligne l'approche logique de la loi sur le bien-être et de ses arrêtés d'exécution. L'employeur définit sa politique avec l'aide d'un service interne ou externe de prévention. Le comité remplit son rôle consultatif à propos de la politique préconisée (formalisée dans le plan global de prévention et le plan d'action annuel).

Article 4

Il faut éviter de compromettre la neutralité de la personne de confiance. Cette personne doit avoir la confiance tant de l'employeur que des travailleurs. Il n'est dès lors pas opportun qu'elle soit le prolongement de l'inspection dans les entreprises et qu'elle soit chargée d'informer l'inspection.

Article 5

La loi sur le bien-être et ses arrêtés d'exécution garantissent que les mesures prévues et les personnes responsables de leur mise en oeuvre figureront dans le plan global de prévention et le plan d'action annuel.

Par ailleurs, l'employeur dispose d'autres canaux de communication pour porter les mesures prises à la connaissance des travailleurs.

Par conséquent, une adaptation obligatoire du règlement de travail n'est pas indispensable, d'autant moins qu'une telle mesure serait contraire à la simplification administrative annoncée (à plusieurs reprises) par le gouvernement.

Article 6

Il convient d'éviter l'immixtion de tiers dans les relations du travail.

La seule obligation que l'on puisse imposer aux employeurs est de mener une politique de prévention et non d'intervenir de manière curative.

De plus, l'employeur n'est pas toujours en mesure de mettre fin au harcèlement moral lorsque celui-ci est commis par des personnes externes à l'entreprise.

Article 7

La modification proposée vise à faire adopter le partage de la charge de la preuve.

Le renversement de la charge de la preuve est un acte particulièrement grave, qui appelle à la circonspection. La subjectivité de la matière risque en effet de déboucher sur des accusations à la légère empêchant tout débat serein et pouvant mettre en cause l'intégrité de la personne accusée (injustement).

Ici aussi, l'esprit de la loi sur le bien-être des travailleurs, c'est-à-dire la prévention comme objectif premier, doit prévaloir, de manière à ne permettre le renversement de la charge de la preuve que si l'employeur n'a pas mené de politique de prévention.

Dans la pratique, cela signifie que la charge de la preuve est partagée entre le travailleur et l'employeur.

En effet, le travailleur devra toujours démontrer les faits qu'il dénonce en tant que victime de harcèlement moral. L'employeur devra, comme tous les autres défendeurs, apporter la preuve du contraire et devra, à cet effet, conserver tout document d'où il ressort qu'il a mené une procédure de prévention raisonnable.

Article 8

On propose d'apporter plusieurs corrections au nouvel article 32terdecies de la loi sur le bien-être au travail :

A) La modification proposée est à mettre en corrélation avec la modification proposée de l'article 32undecies (article 7 de la présente proposition).

La période de protection prévue est très longue, parce qu'elle est liée aux procédures judiciaires. Cela entraîne un accroissement de l'insécurité juridique pour l'employeur qui mène pourtant une bonne politique de prévention.

B) L'abrogation des §§ 3 et 4 vise à modifier l'obligation de réintégrer le travailleur.

Il n'est pas souhaitable de prévoir une réintégration obligatoire du travailleur en l'occurrence, étant donné que la confiance sur laquelle se fonde la relation professionnelle est ébranlée. En effet, la décision de licencier un travailleur n'est, dans de tels cas, pas prise à la légère.

L'article 32terdecies, § 7, actuel prévoit que la mesure de protection est également applicable aux travailleurs qui servent de témoins. C'est une mesure très radicale qui ne contribue pas à améliorer la protection des travailleurs contre le harcèlement moral au travail. Une telle approche a pour seul effet d'inciter certains à appréhender cette problématique avec beaucoup de légèreté pour des raisons d'opportunité.

Il ne s'agit en outre pas uniquement des témoins étayant la plainte de la victime, mais de tous les témoins intervenant dans le litige, donc également à charge et à décharge de la victime et/ou à charge et à décharge du défendeur. L'employeur risque dès lors d'être confronté à des situations impossibles. Si en outre un problème déterminé découle d'un conflit social latent, l'ensemble des travailleurs pourraient être protégés.

Il serait nettement préférable de régler la protection des témoins en garantissant l'anonymat au cours du traitement des plaintes par la personne de confiance. Il convient par conséquent de supprimer le § 7.

Mia DE SCHAMPHELAERE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 32quater, § 1er, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail, inséré par la loi du 11 juin 2002, est remplacé par la disposition suivante :

« Art. 32quater. ­ § 1er. L'employeur détermine les mesures à prendre pour protéger les travailleurs contre le harcèlement moral au travail. Ces mesures, qui doivent être adaptées à la nature des activités, à la taille de l'entreprise et au risque estimé, sont déterminées conformément aux dispositions générales du chapitre II. »

Art. 3

L'article 32sexies de la même loi, inséré par la même loi, est remplacé par la disposition suivante :

« Art. 32sexies. ­ § 1er. L'employeur désigne, après avoir pris l'avis du comité, au moins une personne de confiance en matière de harcèlement moral au travail. Cette personne de confiance fait partie du personnel de l'entreprise ou de l'institution ou d'un service externe pour la prévention et la protection.

§ 2. Si l'employeur occupe moins de vingt travailleurs, il fait appel à une personne de confiance d'un service externe pour la prévention et la protection au travail.

§ 3. Le Roi détermine les missions et les tâches de la personne de confiance. »

Art. 4

L'article 32septies de la même loi, inséré par la même loi, est remplacé par la disposition suivante :

« Art. 32septies. ­ Lorsque des faits de harcèlement moral lui sont rapportés, l'employeur prend les mesures adéquates conformément au présent chapitre. »

Art. 5

L'article 32octies de la même loi, inséré par la même loi, est abrogé.

Art. 6

L'article 32decies de la même loi, inséré par la même loi, est remplacé par la disposition suivante :

« Art. 32decies. ­ Le travailleur qui s'estime victime de harcèlement moral au travail peut intenter une procédure devant la juridiction compétente pour faire respecter les dispositions du présent chapitre.

Sans préjudice de la possibilité d'octroi de dommages-intérêts civils, la juridiction compétente peut intimer l'ordre à celui qui se rend coupable de harcèlement moral d'y mettre fin, dans le délai qu'elle fixe. »

Art. 7

L'article 32undecies de la même loi, inséré par la même loi, est remplacé par la disposition suivante :

« Art. 32undecies. ­ Si la partie défenderesse est l'employeur, la charge de la preuve qu'il n'y a pas eu harcèlement moral au travail n'incombe à l'employeur que si celui-ci n'a pas respecté les dispositions de la section 2 du présent chapitre. »

Art. 8

À l'article 32terdecies de la même loi sont apportées les modifications suivantes :

A) Le § 2 est remplacé par la disposition suivante :

« § 2. La charge de la preuve des motifs visés au § 1er incombe à l'employeur lorsque le travailleur est licencié ou lorsque ses conditions de travail essentielles sont modifiées unilatéralement dans les douze mois qui suivent le dépôt de la plainte et que l'employeur n'a pas respecté les dispositions de la section 2 du présent chapitre.

La charge de la preuve incombe également à l'employeur en cas de licenciement ou de modification unilatérale des conditions de travail essentielles après l'exercice d'une action en justice, et ce, jusqu'à trois mois après que le jugement a été coulé en force de chose jugée, pour autant que l'employeur n'ait pas respecté les dispositions de la section 2 du présent chapitre. »

B) Les §§ 3, 4 et 7 sont abrogés.

11 février 2004.

Mia DE SCHAMPHELAERE.