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Belgische Senaat

Handelingen

DONDERDAG 18 MAART 2004 - NAMIDDAGVERGADERING

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Vraag om uitleg van de heer François Roelants du Vivier aan de minister van Sociale Zaken en Volksgezondheid over «de massale opsporing van borstkanker bij vrouwen van 40 tot 49 jaar» (nr. 3-163)

M. François Roelants du Vivier (MR). - Je souhaiterais vous interroger sur un fléau qui constitue la deuxième cause de mortalité en Europe, à savoir le cancer. Si l'on évoque les décès dits « prématurés », c'est-à-dire ceux qui frappent les personnes de moins de 65 ans, le cancer est la première cause de mortalité au sein des quinze pays actuels de l'Union européenne. Bien entendu, ces chiffres concernent toutes les sortes de cancer. Pour ce qui est de la problématique du cancer du sein, l'étude en question attribue un décès sur cinq à cette maladie.

L'OMS et le Centre international de recherche sur le cancer relèvent qu'en 2000, 216.000 femmes de l'Union européenne ont été atteintes d'un cancer du sein ; plus de 79.000 d'entre elles sont décédées, faisant de cette maladie la première cause de mortalité parmi les femmes de 35 à 55 ans. Actuellement, en Belgique, environ 30.000 à 40.000 nouveaux cas de cancer sont diagnostiqués chaque année. La Belgique est d'ailleurs l'un des pays les plus touchés de l'Union européenne. Dans notre pays, 5.000 nouveaux cas de cancer du sein sont enregistrés chaque année, une femme sur douze sera atteinte de cette maladie au cours de sa vie et une femme sur vingt décédera des suites de celle-ci.

À l'heure actuelle, grâce aux dépistages systématiques de plus en plus fréquents, le taux de décès lié au cancer du sein a, bien entendu, été considérablement réduit. Selon l'OMS, ce dépistage réduirait de 35% la mortalité liée au cancer du sein chez les femmes âgées de 50 à 69 ans, et de 20% chez les femmes âgées de 40 à 49 ans. La plupart des pays de l'Union - y compris la Belgique, depuis quelques années - proposent dès lors un dépistage pour les femmes âgées de 50 à 69 ans, car la maladie est curable à 90% des cas moyennant un dépistage précoce et des soins de qualité.

Ce dépistage est essentiel, car plus tôt la maladie est détectée, plus grandes sont les chances de guérison. D'ailleurs, comme le dit le docteur Anne Vandenbroucke, « le dépistage d'une affection ne se justifie que si le traitement est plus efficace lorsqu'il est administré avant l'apparition de symptômes ». En 2000, un protocole d'accord signé entre l'État fédéral et les communautés a donné lieu à la mise en place d'un dépistage du cancer du sein par mammographie pour les femmes de 50 à 69 ans. Ce système s'inspirait du programme communautaire « L'Europe contre le cancer » et prévoyait un dépistage - mammographie - gratuit tous les deux ans pour les femmes appartenant à la tranche d'âge visée.

Le choix de la tranche d'âge concernant ce « screening » de masse s'est justifié par des considérations épidémiologiques et d'efficience, c'est-à-dire basées sur le meilleur rapport efficacité/coût. Je salue bien entendu l'instauration d'un tel dépistage de masse, mais je m'interroge toujours - j'avais également questionné votre prédécesseur à ce sujet - sur le fait qu'il ne vise que la tranche d'âge des 50-69 ans. En effet, il faut savoir que près de 30% des cancers du sein se manifestent avant l'âge de 50 ans et que la majorité de ceux-ci surviennent entre 40 et 50 ans.

D'ailleurs, lors de ma précédente demande d'explications à ce sujet, je faisais référence à de nombreuses études - réalisées un peu partout dans le monde et publiées dans les meilleures revues médicales - qui remettaient en cause la tranche d'âge choisie dans le cadre du dépistage systématique du cancer du sein. Ces études confirmaient la justification du dépistage de masse dès l'âge de 40 ans.

Je relevais notamment l'étude réalisée en décembre 2000 par la société nord-américaine de radiologie de Chicago, selon laquelle la mortalité due au cancer du sein avait diminué d'environ 30% chez les femmes âgées de 40 ans et plus qui subissaient chaque année une mammographie. L'American Cancer Society recommandait aux femmes âgées de 40 ans et plus de passer chaque année une mammographie et le National Cancer Institute leur recommandait, au choix, un examen annuel ou bisannuel à partir de 40 ans. Ces recommandations sont toujours d'actualité. Ainsi le National Cancer Institute énonçait-il récemment : « Early detection of cancer saves lives and we continue to recommend mammography for women in their 40s and older ».

Je me permettrai de vous relater des éléments plus récents. Dans un article récemment publié dans la Revue Médicale de Liège, on peut lire les conclusions d'une étude menée par Tabár et coll. Ce groupe suédois a rapporté « une réduction de mortalité par cancer du sein de 50% pour les femmes de 40 à 69 ans invitées à une mammographie de dépistage entre 1988 et 1996, par rapport à la mortalité du cancer du sein observée entre 1968 et 1977 pour les femmes de 40 à 69 ans qui n'avaient pas accès à un examen de dépistage ». Les conclusions de Tabár sont donc les suivantes : la réduction de mortalité est due essentiellement à la mammographie de dépistage, puisqu'aucune amélioration de la survie en relation avec les nouveaux traitements adjuvants - hormono- et/ou chimiothérapie - qui ont pu être proposés entre 1968 et 1996 n'est observée.

En outre, je vous relaterai les conclusions d'une étude réalisée par Mme Schillings de la Clinique Saint-Pierre à Ottignies. Selon cette étude, bien que l'incidence du cancer du sein augmente avec l'âge, le nombre absolu - soit l'incidence multipliée par le nombre de femmes de cet âge - de cancers du sein pour les femmes âgées de 40 à 49 ans est plus élevé parce que le nombre de femmes appartenant à cette catégorie est plus important. En 1995, elle relève qu'on a diagnostiqué plus de cancers du sein dans la tranche 40-49 que dans celle des 50-69 ans. Le même phénomène s'est produit au cours de l'année 1996.

Cette étude balaie également les clichés qui existent dans ce domaine. Par exemple, en ce qui concerne le critère de densité des seins, invoqué auparavant pour justifier le choix de la tranche 50-69 ans en raison de la lisibilité plus difficile des clichés sur les femmes jeunes qui ont généralement une densité des seins plus importante, l'étude avance qu'il n'existe pas de changement abrupt de la densité des seins après 50 ans. De plus, le cancer du sein chez les femmes âgées de 40 à 49 ans n'est pas différent de celui des femmes plus âgées au niveau de la taille des tumeurs, leur type histologique, l'envahissement ganglionnaire, etc., excepté le « lead time », soit le fait que la maladie connaît une évolution plus rapide. Par conséquent, « un dépistage adapté permet donc vraisemblablement de réduire la mortalité de façon identique ».

Bien entendu, je suis tout à fait conscient du budget que représente à l'heure actuelle l'instauration d'un dépistage de masse pour les femmes de 50 à 69 ans. Toutefois, la politique de santé publique nécessite des choix. Ainsi que le citait le professeur émérite de l'Université de Louvain, le docteur Mazy, « la non-prise en compte de la tranche d'âge 40-49 ans paraît uniquement motivée par une argumentation financière qui ne veut pas dire son nom ou qui est basée sur des conceptions anciennes en voie de démantèlement ». Son opinion n'a pas changé, et il estime que « si pour quelque raison, on ne veut étendre le mammotest à la décennie névralgique 40-49 ans, on pourrait à tout le moins proposer de décaler le créneau actuel aux 45-65 ou 45-69, en se basant sur un taux de fréquentation diminuant avec l'âge ».

Pour rappel, le 5 juin 2003, le Parlement européen a adopté une résolution sur le cancer du sein. Celle-ci invitait entre autres « les États membres et la Commission à faire de la lutte contre le cancer du sein une priorité en matière de politique de la santé, et à développer et mettre en oeuvre des stratégies efficaces en vue d'améliorer la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi de cette maladie, à l'effet d'assurer des soins de meilleure qualité sur tout le territoire de l'Union ».

Votre collègue de l'époque, M. Vandenbroucke, m'énonçait dans sa réponse à ma demande d'explications précédente, que le Comité de pilotage du projet resterait attentif aux consensus internationaux ainsi qu'aux données épidémiologiques. Par conséquent, disposez-vous de nouveaux éléments, compte tenu des trois années écoulées depuis ma précédente demande d'explications, qui justifieraient toujours le choix, controversé, de la tranche d'âge actuelle dans le cadre du dépistage de masse du cancer du sein ? N'y aurait-il pas lieu d'étendre le dépistage systématique du cancer du sein dès 40 ans, compte tenu de l'évolution des technologies dans ce domaine et des études menées à ce sujet, et ce en vue de sauver des vies ?

M. Rudy Demotte, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique. - Un programme organisé de dépistage du cancer du sein par mammographie a été mis en place au niveau national à la suite d'un protocole d'accord signé en 2000 entre l'État fédéral et les communautés. Le programme a démarré en juin 2001 en Communauté flamande et en juin 2002 en Communauté française et dans la Région de Bruxelles-Capitale. Le programme s'inspire des recommandations du programme « Europe against cancer » et est centré sur la qualité.

Pour assurer cette qualité, il applique les recommandations décrites dans le document Epidemiological guidelines for quality assurance in breast cancer screening de mars 2000. Dans le cadre de ce programme, la mammographie est offerte gratuitement, tous les deux ans, aux femmes âgées de 50 à 69 ans.

Le choix du groupe cible (50-69 ans) a été effectué sur la base de recommandations européennes qui préconisent le dépistage uniquement pour cette tranche d'âge et avec une fréquence de deux ans. Les recommandations européennes reposent sur les connaissances épidémiologiques actuelles et sur les preuves scientifiques d'effets bénéfiques du dépistage du cancer du sein par mammographie, limité aux femmes de 50 à 69 ans.

De nombreuses études ont démontré que le dépistage pouvait réduire la mortalité par cancer d'environ 30% à condition qu'une mammographie soit effectuée régulièrement, soit tous les deux ans, dès l'âge de 50 ans.

À l'heure actuelle, il n'existe pas de données épidémiologiques démontrant que le dépistage dans la population féminine de moins de 50 ans réduira la mortalité due au cancer du sein et les données disponibles prenant en compte les bénéfices et les inconvénients ne permettent pas non plus de recommander le dépistage par mammographie aux femmes dans la quarantaine. L'analyse des études randomisées incluant des femmes de 40 à 49 ans n'a pas permis de mettre en évidence une réduction de la mortalité due au cancer du sein au bout de sept années de suivi.

En outre, il ne faut pas oublier que le dépistage peut aussi avoir des effets négatifs. Il est dès lors indispensable de s'assurer que les bénéfices sont plus importants que les inconvénients. Malheureusement, pour les femmes jeunes, les bénéfices sont incertains et les inconvénients sont, en revanche, nombreux.

Il existe des cas faussement positifs : parmi cent femmes de moins de 50 ans qui présentent une mammographie anormale, seulement trois sont atteintes d'un cancer invasif. Parmi cent femmes de plus de 50 ans qui présentent une mammographie anormale, quatorze sont atteintes d'un cancer invasif.

Il existe également des faux négatifs : un cancer sur quatre n'est pas détecté par la mammographie chez les femmes de moins de 50 ans, contre un sur dix chez les femmes âgées de 50 à 69 ans.

Se pose également la question du « surdiagnostic » et du « surtraitement » et de ses coûts : les carcinomes in situ (DCIS - ductal carcinoma in situ) sont fréquents chez les femmes jeunes. Ils représentent plus de 40% des cancers détectés à la mammographie chez les femmes de 40 à 49 ans.

Les DCIS représentent une entité hétérogène pour laquelle la signification clinique, le pronostic et le traitement optimal sont encore mal connus. Plus de 50% des DCIS ne se transforment jamais en cancer invasif et il n'est actuellement pas possible de déterminer ceux qui auront cette évolution. Il existe donc un risque de « surtraitement » pour les femmes dont le DCIS n'évoluera pas.

Pour toutes ces raisons, il convient donc de ne pas encourager le dépistage mammographique chez les femmes de moins de 50 ans avant que les résultats des études contrôlées en cours soient disponibles et de le réaliser uniquement chez les femmes qui en font la demande après qu'elles ont été informées des bénéfices incertains et du risque d'effets négatifs.

Je me réfère à l'étude randomisée « Age Trial », en cours en Grande-Bretagne, ayant pour objectif d'étudier l'efficacité, en termes de réduction de mortalité, du dépistage par mammographie réalisée annuellement chez les femmes âgées de 40-41 ans au moment de leur entrée dans cette étude.

En revanche, dans l'étude suédoise de Tabár, dont vous parlez dans votre demande, la tranche d'âge 40-49 ans n'est pas exclusivement ciblée mais c'est le groupe 20-69 ans dans son ensemble qui a été étudié. Il faut noter que la réduction de la mortalité observée concerne le groupe dans sa totalité et qu'une partie du bénéfice est liée à des mammographies réalisées après 50 ans.

En ce qui concerne les données épidémiologiques évoquées dans votre demande d'explications, selon les chiffres du registre national, en 1998, 23% des cancers du sein se sont manifestés avant 50 ans, dont 17% entre 40 et 50 ans. L'incidence spécifique pour le groupe d'âge 40-49 était égale à 130 sur 100.000 en 1995 et à 159 sur 100.000 en 1998. Celle du groupe d'âge 50-59 était égale à 211 sur 100.000 en 1995 et à 277 sur 100.000 en 1998.

Pour ce qui est du dépistage actuellement en cours en Belgique, nous sommes confrontés à trois problèmes majeurs. Le premier est la faible participation des femmes. Selon les données diffusées par la Communauté française, la participation s'élèverait aujourd'hui à 11%. Or, afin que le dépistage soit efficace en termes de réduction de mortalité, il faudrait au moins une participation de 70%.

Le deuxième problème est l'absence de données pour l'évaluation du programme, les deux Communautés n'ayant pas encore mis ces données à la disposition du fédéral.

Le troisième problème est relatif à l'évaluation du programme de dépistage du cancer du sein, faute de budgétisation par le gouvernement précédent. À cet égard, je tiens à rappeler que le gouvernement fédéral actuel a soumis une proposition comportant l'attribution de 100.000 euros à l'ISP (Institut scientifique de Santé publique), désigné pour l'évaluation du programme au niveau national dans le protocole d'accord du 20 octobre 2000. La section d'épidémiologie de l'ISP est particulièrement indiquée pour ce travail, étant donné son expertise qui est reconnue tant à l'échelon national qu'international.

Personnellement, je pense qu'à présent, il est indispensable de tout mettre en oeuvre pour optimaliser le dépistage en cours en termes de qualité et de taux de participation et d'en réaliser l'évaluation avant d'inclure éventuellement le groupe 40-49.

M. François Roelants du Vivier (MR). - Mon intention n'était évidemment pas de dénoncer la campagne de dépistage pour la tranche d'âge 50-69. Celle-ci doit être poursuivie d'autant que le faible taux de participation nécessite des efforts de la part des Communautés pour mieux faire connaître l'importance et le bénéfice de ce dépistage. Dans notre pays, ce taux est d'environ 11% alors que la Finlande atteint 70%.

S'il faut continuer à travailler sur la tranche d'âge 50-69, il faut aussi se méfier du fait que le dépistage de masse pour cette tranche d'âge peut avoir un effet pervers. En effet, on a constaté que des femmes plus jeunes se disent que puisqu'elles ne sont pas concernées par ce dépistage de masse, c'est qu'elles ne sont pas en danger. Là aussi, il faut une campagne d'explication pour souligner l'intérêt de se soumettre, même de façon volontaire, à une mammographie bien avant 50 ans.

Nous avons entendu des explications sur les faux positifs et les faux négatifs à propos desquels il existe de nombreux désaccords dans la littérature médicale. Certaines études penchent pour aller de l'avant vers une tranche d'âge plus jeune notamment parce que d'un point de vue actuariel, les femmes plus jeunes qui sont au début de leur carrière et qui représentent pour la société un investissement important, doivent évidemment aussi être protégées en priorité. Donc il faut continuer à travailler dans cette direction de la tranche d'âge 40-49 ans. Je sais quelles sont les réticences. J'apprécie cependant que la réponse du ministre n'aie pas fait état de résistances budgétaires.