3-261/2

3-261/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

3 FÉVRIER 2004


Projet de loi portant assentiment aux Actes internationaux suivants :

1º la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée,

2º le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée,

3º le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, faits à New York le 15 novembre 2000,

4º le Protocole contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, fait à New York le 31 mai 2001


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR MME CROMBÉ-BERTON


I. INTRODUCTION

La commission des Relations extérieures et de la Défense a examiné le projet de loi portant assentiment aux Actes internationaux suivants :

1º la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée,

2º le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée,

3º le Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, faits à New York le 15 novembre 2000,

4º le Protocole contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, fait à New York le 31 mai 2001 (voir doc. Sénat, nº 3-261/1, 2003-2004) lors de sa réunion du 3 février 2004.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU VICE-PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Dans le sillage de la Conférence ministérielle mondiale sur la criminalité transnationale organisée (Naples, novembre 1994), l'Assemblée générale des Nations unies a décidé, le 9 décembre 1998, d'instituer un comité spécial sur l'élaboration d'une convention contre la criminalité transnationale organisée. Le comité devait élaborer en même temps trois Protocoles additionnels à la convention de base : un premier Protocole concernant la traite des personnes (en particulier des femmes et des enfants), un deuxième concernant la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, et un troisième concernant le trafic illicite de migrants.

1. La convention de base

La convention de base développe quelques mécanismes d'entraide judiciaire pour des crimes déterminés : participation à un groupe criminel organisé, blanchiment, et toutes les autres « infractions graves » visées par la convention. Le champ d'application de la convention se limite aux activités des groupes criminels organisés agissant en vue d'acquérir un avantage financier ou matériel. Les objectifs politiques et moraux sont donc exclus. Les actes terroristes ne relèvent pas non plus du champ d'application de la convention. Les articles concernant le blanchiment et la corruption, l'extradition et l'entraide ont été conçus de manière très détaillée.

2. Le Protocole concernant la traite des personnes

À l'origine, ce Protocole visait uniquement la lutte contre la branche de la criminalité organisée active dans la traite des êtres humains. Sous l'impulsion de la délégation belge, on y a joint un deuxième objectif, à savoir la Protection des victimes de cette traite. La structure actuelle du Protocole souligne l'équilibre entre les deux objectifs.

3. Protocole concernant les migrants

Ce protocole vise à poursuivre et sanctionner les groupes criminels organisés qui orchestrent le trafic illicite de migrants. C'est donc le trafiquant, et pas la personne qui fait l'objet du trafic, qui est visé. À l'initiative de la délégation belge, une clause de sauvegarde a été incluse dans le projet de protocole pour garantir qu'il ne sera pas porté atteinte aux conventions existantes relatives aux droits de l'homme (entre autres la Convention de Genève de 1951).

4. Le protocole concernant les armes

Ce protocole vise à incriminer la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de munitions et d'autres matériels similaires. Il prévoit également des dispositions relatives au marquage et aux licences d'exportation, d'importation et de transit d'armes à feu. Il est de ce fait d'une nature très technique. Pour certains articles relevant de l'acquis communautaire, la Commission européenne a d'ailleurs été mandatée pour négocier et parler au nom des 15 États membres.

III. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE LA VICE-PREMIÈRE MINISTRE ET MINISTRE DE LA JUSTICE

La ministre de la Justice déclare que la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée et les Protocoles additionnels sont des textes fondamentaux. L'accord de gouvernement précise qu'ils seront ratifiés sans délai.

De plus, un conseil des ministres spécial sera consacré à la problématique de la justice et de l'intérieur, où la criminalité transnationale organisée sera un sujet important.

La convention a une vocation universelle. Le texte est tellement complexe que l'on a jugé utile de rédiger une convention de base, complétée par des protocoles additionnels. À l'origine de l'initiative se trouvait le besoin d'améliorer nettement la coopération internationale en matière de répression de la criminalité transnationale organisée. Suite aux déclarations des Nations unies et aux évènements tragiques qui se sont déroulés en Italie en 1992, à savoir l'assassinat de deux juges spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée, les pays se sont rendus compte du fait que leur législation nationale seule n'était plus efficace pour réprimer ce phénomène en pleine croissance.

La convention de base a quatre buts principaux : intensifier la répression de la criminalité organisée en alignant les législations nationales pour qu'ils adoptent des standards de répression plus élevés; renforcer la coopération entre les États parties en matière d'entraide judiciaire pénale en améliorant les procédures d'extradition et l'échange d'information sur les bandes criminelles; protéger les victimes des actes de la criminalité transnationale organisée; veiller à ce que les États parties travaillent également dans le domaine de la prévention de la criminalité.

Le premier Protocole additionnel s'occupe de la problématique du trafic illicite des migrants. Ces dernières années, ce trafic est devenu le terrain de prédilection de la criminalité transnationale organisée. L'on considère même que les profits provenant de ce trafic dépassent ceux du trafic de drogues.

Le deuxième Protocole concerne la traite des êtres humains. Cette problématique est plus complexe et plus grave que le trafic illicite, puisqu'il s'agit de l'exploitation des personnes par un groupe criminel, à des fins lucratives, souvent aboutissant dans l'esclavage ou dans la prostitution.

Le troisième Protocole veut réprimer les réseaux de fabrication et de trafic illicites d'armes à feu et munitions. À cette fin, un traçage depuis la fabrication jusqu'à l'utilisation finale des armes et des munitions doit être établi. La législation doit prévoir des mesures relatives aux licences de fabrication et d'exportation.

IV. DISCUSSION

Questions des membres

M. Vandenberghe constate que la commission n'est pas en nombre. Selon lui, il est inconvenant que le Sénat vote des conventions importantes sans y consacrer une discussion politique significative.

L'intervenant regrette en outre que les actes internationaux à l'examen, qui concernent essentiellement le domaine de la justice, ne soient pas examinés en commission de la Justice.

L'intervenant rappelle que la théorie du philosophe Beccaria (1730-1794) sur l'application du principe de légalité en droit pénal marqua un progrès considérable de la culture juridique. Ce principe signifie pour l'essentiel que le législateur doit créer un cadre tel qu'il empêche toute application arbitraire du droit pénal aux citoyens.

Cela suppose une grande discipline dans la formulation de la loi répressive et une fixation précise du taux de la peine. La sécurité juridique exige une interprétation stricte du droit pénal. En conséquence, la politique en la matière doit être guidée par une grande réserve et se garder de multiplier des lois pénales qui se chevaucheraient. On ne doit pas non plus conclure des conventions internationales qui ne soient pas coordonnées. Elles ne doivent pas régler des questions de droit matériel qui pourraient susciter des conflits avec le droit pénal matériel interne.

Ces derniers mois, le Sénat a débattu de plusieurs conventions qui traitaient de la même matière, mais qui utilisaient chaque fois une terminologie différente. La commission de la Justice a ainsi examiné la réglementation européenne relative à la lutte antiterroriste et au mandat d'arrêt européen. La question de la criminalité organisée et de l'incrimination a, chaque fois, été abordée.

C'est à présent le tour de la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée.

L'intervenant peut évidemment souscrire aux objectifs intrinsèques de la convention, mais il doit constater que les normes législatives de droit pénal systématiquement votées dans notre Parlement rendent impossible une pratique correcte du droit. Il y a une absence totale de cohérence interne. On ne cesse d'utiliser d'autres définitions, d'appliquer des peines différentes et, de surcroît, on déroge au droit pénal matériel interne. Ce n'est assurément pas un progrès dans la lutte contre la criminalité organisée et cette démarche a un effet plutôt contreproductif. Tout cela est la conséquence de la politique du gouvernement violet, qui affectionne les effets d'annonce.

L'intervenant dénonce l'hypocrisie qui consiste à conclure des traités internationaux visant à lutter contre la criminalité organisée tout en recevant officiellement des chefs d'État qui se trouvent directement ou indirectement à la tête de groupes criminels.

Sur le fond, l'intervenant constate que l'article 2 de la convention donne une certaine définition de la notion de « groupe criminel organisé », alors que la commission d'enquête du Sénat sur la criminalité organisée et les commissions de la Justice de la Chambre et du Sénat ont réfléchi pendant plusieurs années avant d'insérer dans le Code pénal (article 324bis) la notion « d'organisation criminelle » dans le but de la distinguer en droit pénal matériel de celle de « l'association de malfaiteurs ».

Le Conseil d'État conteste d'ailleurs l'affirmation du gouvernement selon laquelle la convention ne nécessite aucune adaptation du droit pénal belge (cf. doc. Sénat, nº 3-261/1, p. 114). La Convention fait état d'un « groupe criminel organisé » et ne fait pas référence au modus operandi qui, conformément à l'article 324bis du Code pénal, est l'une des conditions de l'incrimination de participation à une organisation criminelle. L'approbation de la présente convention doit donc aller de pair avec une modification de l'article 324bis, sans quoi il n'y aurait plus de distinction entre la notion d'« association de malfaiteurs » et celle d'« organisation criminelle ».

Un second problème concerne le deuxième alinéa de l'article 324bis précité, qui établit une exception à l'incrimination pour la participation à des organisations « dont l'objet réel est exclusivement d'ordre politique, syndical, philanthropique, philosophique ou religieux ou qui poursuivent exclusivement tout autre but légitime ». Ce problème aussi a fait l'objet, à l'époque, à la Chambre et au Sénat, de discussions longues et approfondies. La proposition, faite par le ministre de la Justice de l'époque, de faire ressortir les activités terroristes à l'article 324bis avait été rejetée pour des raisons politiques. Les attentats du 11 septembre conduisirent ensuite à de nouveaux travaux législatifs en matière de lutte contre le terrorisme.

Étant donné que l'article 2 de la convention est à effet direct et nécessite l'adaptation du droit pénal belge, ou en inluence l'interprétation, il y a donc lieu de modifier l'article 324bis. Le droit des traités prime, en effet, les lois nationales.

L'incrimination du blanchiment d'argent, prévue aux articles 6 et 7 de la convention (point 2.3, p. 115 du doc. Sénat, nº 3-261/1), pèche également par le même manque de clarté. L'intervenant rappelle la loi sur la déclaration libératoire unique, récemment votée dans la précipitation, qui ne précise pas suffisamment quels sont les revenus « noirs » et ceux qui ne le sont pas. Cette discussion est loin d'être achevée.

L'intervenant voudrait savoir quelles réponses le gouvernement compte donner aux observations formulées par le Conseil d'État.

M. Roelants du Vivier fait remarquer que l'organisation du droit international nécessite par définition la prise en compte des avis forcément différent, et oppose par example le droit coutumier à notre droit écrit. Sans compromis l'on n'obtiendrait jamais un traité. L'intervenant rappelle que cette Convention fait suite aux résolutions des Nations unies, et que 147 États en sont signataires, dont tous les États membres de l'Union européenne. 117 États sont signataires du Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, dont tous les États membres de l'Union européenne; 112 États sont signataires du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, dont tous les États membres de l'Union européenne; 52 États sont signataires du protocole contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions, dont certains États membres de l'Union européenne. L'entrée en vigueur de la Convention et des Protocoles additionnelles est fixée après le dépôt du quarantième instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion.

L'intervenant louange la rapidité avec laquelle cette Convention, sollicitée depuis longtemps par la communauté internationale, est soumise à l'examen de la commission. Il propose donc de voter le projet de loi sans désemparer.

Mme Crombé-Berton fait remarquer que la procédure de ratification précède la transposition et les éventuelles modifications de la législation nationale.

M. Cornil partage l'avis des deux orateurs précédents. L'intervenant rappelle cependant que la loi de 1980 sur le statut de séjour des étrangers prévoit, dans l'article 77, une série de dispositions qui exemptent la personne qui agit exclusivement à des fins humanitaires ou philanthropiques. Quelle sera l'articulation de ces dispositions en vue des remarques du Conseil d'État à l'égard de la présente Convention ?

Pour ce qui concerne le trafic des êtres humains, l'intervenant demande si la Convention influera sur la possibilité, prévue par le droit belge, d'accorder un titre de séjour provisoire, voire définitif, aux victimes qui collaborent aux enquêtes policières ou judiciaires.

Mme la Présidente demande plus d'explications sur l'article 20 de la Convention, qui règle les techniques d'enquête spéciales. L'intervenante fait remarquer que certains corps de police avec lesquelles la police belge sera amené à collaborer, ne connaissent pas nos pratiques de collaboration policière. La même remarque est valable pour l'article 27, réglant la coopération entre les services de détection et de répression. L'intervenante se demande s'il n'y a pas lieu de protéger, dans certains cas, les informations obtenues grâce à cette coopération.

L'intervenante constate que le retour des migrants semble être l'objectif principal du premier Protocole additionnel, or que notre législation prévoit des dérogations en cas de collaboration des victimes. Dans le même domaine, le Conseil d'État fait remarquer qu'une disposition désignait déjà en droit interne l'autorité centrale.

L'intervenante s'inquiète avec M. Vandenberghe du flou juridique du texte, qui risque de donner des arguments aux avocats des inculpés.

Finalement, l'intervenante demande comment les mesures appropriées envers les collaborateurs et repentis mentionnées dans l'article 26 de la Convention seront mises en oeuvre.

Réponses de la ministre de la Justice

Pour ce concerne la cohérence entre le droit interne et le droit international, la ministre déclare que les traités mentionnés par M. Vandenberghe ont un champ d'application différent. Dans la transposition de ces différents instruments, le gouvernement veillera à ne pas utiliser des définitions différentes d'une même notion et à éviter tout risque de conflits entre certains articles du Code pénal.

Lors des débats préparatifs aux Nations unies, la Belgique avait effectivement proposé une définition de la notion « organisation criminelle » prenant en compte le modus operandi. Cette proposition n'a pas été agréée par l'ensemble des États négociants. Une majorité d'États craignait de créer une insécurité juridique et a donc opté pour une définition plus large.

Le gouvernement déposera un projet de loi modifiant l'article 324bis.

Pour ce qui concerne la problématique du blanchiment, le gouvernement maintient que le Code pénal répond aux exigences de la Convention.

La législation belge en matière de protection de victimes va plus loin que n'exige la Convention, et elle sera renforcée davantage, en adoptant prochainement une décision-cadre de l'Union européen qui institue le titre de séjour temporaire.

Dans le domaine des techniques d'enquêtes spéciales, une autre décision-cadre européenne a été adopté et sera transposé dans le droit interne sous peu. Cette décision-cadre veillera à régler la question de la protection des données et imposera une utilisation correcte, pour des finalités bien définies, des informations provenant des services de police.

Pour le Protocole additionnel contre le trafic illicite de migrants, l'avant-projet de loi a été complété avec la désignation de l'autorité centrale (voir doc. nº Sénat 3-261/1, p. 30).

La notion de repentis n'est pas encore intégrée dans le dispositif de transposition de cette Convention.

V. VOTES

Les articles 1er à 5, ainsi que l'ensemble du projet de loi, ont été adoptés à l'unanimité par les 8 membres présents.

Confiance a été faite à la rapporteuse pour la rédaction du présent rapport.

La rapporteuse, La présidente,
Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON. Anne-Marie LIZIN.

Le texte adopté par la commission
est identique au texte
du projet de loi
(voir doc. Sénat, nº 3-261/1 - 2003/2004)