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8 JANVIER 2004
L'arriéré judiciaire excessif auquel le justiciable belge se trouve aujourd'hui confronté est devenu intolérable. Il est indispensable de développer très rapidement un véritable plan d'action en vue de résorber cet arriéré. Mais la lutte contre les lenteurs de la Justice doit s'accompagner d'un combat tout aussi résolu contre le coût et la complexité des procédures.
Il est plus qu'urgent de fournir une réponse concrète et efficace aux citoyens qui attendent un changement radical en la matière, changement indispensable pour restaurer la confiance en la Justice.
L'accord de gouvernement du 10 juillet 2003 prévoit qu'une attention toute particulière sera portée à la justice, en accordant une priorité à l'amélioration et l'accélération de celle-ci. La présente proposition de loi s'inscrit dans cette perspective d'ensemble, en présentant une mesure dont l'objectif est de contribuer à la lutte contre l'arriéré judiciaire, le coût et la complexité des procédures.
Les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent ainsi instaurer un mode de règlement extrajudiciaire des conflits qui, sur les modèles de la médiation et de l'arbitrage, doit permettre aux citoyens de faire trancher rapidement et à moindre frais des litiges nés d'un rapport de droit et sur lesquels il est possible de transiger en dehors des prétoires, tout en garantissant aux parties les mêmes avantages qu'un règlement judiciaire : le sérieux dans l'examen des éléments du dossier et la possibilité de faire exécuter directement les décisions rendues.
Cette procédure vise en fait les petits litiges de la vie quotidienne, par exemple en matière de troubles de voisinage, en matière de consommation, de conflits locatifs, ... Ces litiges, s'ils portent souvent sur de faibles montants et s'ils sont généralement assez simples sur le strict plan du droit, n'en gâchent cependant pas moins la vie de ceux qui y sont confrontés.
Or, l'on doit constater que, pour des dossiers de ce type, l'introduction d'une procédure en justice n'apporte que rarement une réponse adéquate, en raison notamment des coûts qu'elle engendre, des démarches souvent jugées trop complexes et des délais trop longs pour obtenir une décision.
Cette situation engendre inévitablement chez les justiciables un sentiment d'incompréhension et de rejet vis-à-vis de la Justice, considérée comme inapte à fournir des réponses simples, rapides et efficaces à des problèmes concrets.
C'est pourquoi la présente proposition de loi donne aux parties la possibilité de régler leur litige dans le cadre d'une médiation extrajudiciaire, qui s'inspire des principes applicables à l'arbitrage et à la médiation familiale, existant déjà dans notre arsenal juridique.
Il ne s'agit nullement ici d'une quelconque forme de privatisation de la justice, mais d'un choix que l'on offre aux citoyens entre une procédure contentieuse classique ou une procédure de médiation, plus rapide et moins coûteuse. Si elles en sont d'accord la médiation ne peut être imposée à une partie contre son gré , les parties vont soumettre leur problème à un médiateur extrajudiciaire.
Une fois ce choix fait, il est logiquement définitif : les parties ne pourront plus introduire une demande en justice ayant le même objet. Toutefois, s'il apparaît que l'affaire dépasse le cadre d'une médiation extrajudiciaire, par exemple parce qu'elle présente des difficultés sérieuses en droit, ou parce qu'elle impose le recours à l'expertise, le médiateur, d'office, déclinera sa compétence et les parties pourront alors s'adresser au tribunal.
Le médiateur recevra les parties au palais de justice ou au siège de la justice de paix, mais dans un cadre plus convivial, moins solennel qu'une salle d'audience. Il conviendra à cette fin de prévoir un local spécialement aménagé pour les médiations, où le médiateur extrajudiciaire pourra par ailleurs bénéficier d'une assistance matérielle (secrétariat).
L'examen du dossier se poursuivra suivant une procédure dénuée de tout formalisme, donc plus simple que la procédure judiciaire ordinaire. Bien entendu, le principe du débat contradictoire est respecté. Le médiateur veillera, lors de chaque entretien, à la qualité de l'accueil des parties, mais aussi à conserver une proximité suffisante par rapport à elles, particulièrement en leur fournissant toutes les explications utiles, en des termes suffisamment simples pour être compris par chacun. Le médiateur est un amiable compositeur, qui n'est pas tenu par toute la rigueur et les formes de la procédure et du droit.
Afin de garantir la rapidité tant attendue par les citoyens, la procédure de médiation extrajudiciaire sera encadrée dans le temps : la décision devra être rendue, en principe, dans les trois mois. Les parties peuvent éventuellement convenir, de commun accord, d'octroyer un délai supplémentaire au médiateur extrajudiciaire.
La décision sera justifiée en droit et en fait. Le médiateur extrajudiciaire veillera tout particulièrement à assurer la clarté et la lisibilité de celle-ci. Pour que les justiciables puissent comprendre, et par là même admettre la décision, il est absolument indispensable que la terminologie employée soit simple, que les éléments décisifs soient suffisamment explicites et que le raisonnement suivi par le médiateur soit aisément accessible.
Une fois la décision rendue, celle-ci ne pourra plus faire l'objet d'un appel. Elle sera donc définitive et pourra être exécutée d'office.
Pour que la médiation puisse se développer correctement, il est indispensable que la personne même du médiateur extrajudiciaire suscite la confiance chez les justiciables.
Les médiateurs doivent donc être des personnes qui possèdent des qualifications juridiques certaines, attestées par une licence ou un doctorat en droit, ainsi qu'une expérience professionnelle antérieure. Les auteurs de la présente proposition de loi pensent plus particulièrement ici à des magistrats retraités, ou à des avocats, juristes d'entreprises, ... qui désirent réduire leur activité professionnelle principale et qui bénéficient ainsi d'une disponibilité accrue. Ces juristes confirmés accepteraient de faire profiter les justiciables de leur savoir et de leur sagesse. La fonction de médiateur doit donc être comprise comme un service citoyen, non comme une carrière : elle ne peut ainsi s'exercer qu'à titre complémentaire.
Le candidat-médiateur extrajudiciaire devra être agréé par le Conseil supérieur de la Justice, qui s'assurera de son expérience et de son sérieux.
Il doit bien évidemment présenter des garanties d'indépendance suffisantes et est soumis au secret professionnel.
Enfin, le coût de la procédure se limite aux honoraires et frais du médiateur, qui sont à charge des parties, mais qui sont strictement encadrés par un barème fixé par le Roi.
Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON. Antoine DUQUESNE. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.
Art. 2
Le Code judiciaire est complété par une septième partie, intitulée « De la médiation extrajudiciaire », comprenant les articles 1724 à 1738, rédigés comme suit :
« Septième partie De la médiation extrajudiciaire
Chapitre Ier De la procédure de médiation extrajudiciaire
Section 1re. Dispositions générales
Art. 1724. § 1er. Tout litige déjà né ou qui pourrait naître d'un rapport de droit déterminé et sur lequel il est permis de transiger peut faire l'objet d'une procédure de médiation extrajudiciaire.
§ 2. Lorsque le médiateur extrajudiciaire constate, au cours de la première entrevue visée à l'article 1727, que l'affaire présente une difficulté juridique sérieuse portant sur l'application d'une règle de droit ou sur l'appréciation des faits de la cause, il se déclare d'office incompétent et met immédiatement fin à la procédure de médiation extrajudiciaire.
Art. 1725. Le juge saisi d'un litige faisant l'objet d'une procédure de médiation extrajudiciaire se déclare incompétent à la demande d'une partie.
L'exception doit être proposée avant toutes autres exceptions et moyens de défense.
Section 2. Introduction de la procédure
Art. 1726. § 1er. La demande de médiation extrajudiciaire est introduite par pli recommandé adressé conjointement par les deux parties au médiateur extrajudiciaire qu'elles ont choisi de commun accord.
§ 2. Le pli recommandé contient les mentions suivantes :
1º l'indication des jour, mois et an;
2º les noms, prénoms, date de naissance, profession et domicile des parties;
3º l'objet et l'indication sommaire des motifs de la demande;
4º la signature de la ou des parties demanderesses.
Section 3. Déroulement de la procédure
Art. 1727. Le médiateur extrajudiciaire convoque les parties par lettre recommandée dans un délai de quinze jours à dater de la réception de la demande conjointe des parties.
Les parties doivent se présenter en personne.
Chaque partie a le droit de se faire assister par toute personne de son choix.
Art. 1728. Le médiateur extrajudiciaire doit donner à chacune des parties la possibilité de faire valoir ses droits et de proposer ses moyens.
Les débats sont oraux.
Art. 1729. Si, hormis le cas d'empêchement légitime, une partie régulièrement convoquée ne comparaît pas, le médiateur extrajudiciaire peut instruire l'affaire et statuer, à moins que la partie adverse n'accepte un report, qui n'excèdera pas une semaine.
Art. 1730. Le médiateur extrajudiciaire peut opérer une descente sur les lieux, entendre toute personne dont l'audition paraît utile, si elle y consent, et recevoir le serment à titre décisoire ou le déférer à titre supplétoire.
Il peut aussi, aux conditions prévues à l'article 877 du présent code, ordonner la production de documents détenus par une partie.
Art. 1731. Le médiateur extrajudiciaire dispose d'un délai de trois mois à dater de la première convocation des parties pour rendre sa décision.
La procédure de médiation extrajudiciaire prend fin si la décision n'est pas rendue dans le délai fixé à l'alinéa précédent, à moins que les parties, de commun accord, n'acceptent de proroger ce délai.
Art. 1732. La décision est justifiée en fait et en droit et comprend notamment, outre le dispositif, les indications suivantes :
a) le nom et domicile du médiateur extrajudiciaire;
b) les noms et domiciles des parties;
c) l'objet du litige;
d) la date à laquelle elle est rendue;
e) la signature du médiateur extrajudiciaire.
Art. 1733. Le médiateur extrajudiciaire notifie à chaque partie la décision par l'envoi d'un exemplaire de celle-ci par pli recommandé.
La décision a l'autorité de la chose jugée et n'est susceptible d'aucun recours.
Elle est revêtue de la formule exécutoire.
Chapitre II. Du médiateur extrajudiciaire
Art. 1734. Les juges médiateurs sont agrées par le Conseil supérieur de la Justice pour une période de trois ans.
L'agréation peut être renouvelée, après évaluation positive par le Conseil supérieur de la Justice. L'évaluation porte sur la manière dont les fonctions sont exercées par le juge médiateur, à l'exception du contenu des décisions qu'il a rendues.
Art. 1735. Peuvent seuls être agréés comme juges médiateurs :
a) les anciens magistrats des cours et tribunaux, de la Cour d'arbitrage et du Conseil d'État et des parquets;
b) les personnes, âgées de cinquante ans au moins, qui sont titulaires d'un diplôme de docteur en droit ou de licencié en droit et qui justifient d'une expérience professionnelle d'au moins vingt ans dans le domaine juridique.
Art. 1736. Le médiateur extrajudiciaire doit être indépendant et impartial à l'égard des parties.
Il ne peut connaître des litiges présentant un lien avec son activité professionnelle ou lorsqu'il entretient ou a entretenu des relations professionnelles avec l'une des parties. Dans ce cas, le médiateur extrajudiciaire est tenu de décliner sa compétence lorsqu'il reçoit la demande de médiation extrajudiciaire.
Art. 1737. Les documents établis et les communications faites au cours de la procédure de médiation extrajudiciaire sont confidentiels. Ils ne peuvent être utilisés dans une procédure judiciaire, administrative ou arbitrale ou tout autre procédure visant à résoudre des conflits et ne sont pas admissibles comme preuve, ni comme aveu extrajudiciaire.
Sans préjudice des obligations que la loi lui impose, le médiateur extrajudiciaire ne peut rendre publics les faits dont il prend connaissance du fait de sa fonction. Il ne peut être appelé comme témoin par les parties dans une procédure civile ou administrative relative aux faits dont il a pris connaissance dans le cadre de sa mission.
L'article 458 du Code pénal s'applique au médiateur extrajudiciaire.
Art. 1738. Le Roi détermine le barème fixant les honoraires et les frais forfaitaires du médiateur extrajudiciaire, le mode selon lequel le médiateur extrajudiciaire taxe la rétribution ainsi que la manière dont les parties en sont informées.
Le médiateur extrajudiciaire fixe le montant de la provision à valoir sur ses honoraires.
La provision, l'état d'honoraires et les frais du médiateur extrajudiciaire sont à charge des parties à parts égales, sauf si les parties en décident autrement. »
Art. 3
La présente loi entre en vigueur un an après sa publication au Moniteur belge.
27 octobre 2003.
Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON. Antoine DUQUESNE. |