3-427/3

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

19 DÉCEMBRE 2003


Projet de loi instaurant une déclaration libératoire unique


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES PAR MME CROMBÉ-BERTON ET M. SCHOUPPE


I. INTRODUCTION

Le présent projet de loi, qui relève de la procédure facultativement bicamérale (article 78 de la Constitution), a été déposé par le gouvernement à la Chambre des représentants le 4 décembre 2003 (doc. Chambre, nº 51-353/1) et adopté par cette dernière et transmis au Sénat le 18 décembre 2003. Le Sénat a évoqué le projet le même jour.

La commission a consacré plusieurs réunions à l'examen de ce projet, à savoir les 3, 18 et 19 décembre 2003.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DES FINANCES

Ce projet est assez simple et ne contient qu'une dizaine d'articles. Il tend à offrir aux contribuables une possibilité nouvelle de régulariser des sommes, des valeurs mobilières, des titres, etc., qui se trouvaient déjà à l'étranger avant le 1er juin 2003. Le contribuable a le choix. Ou bien il rapatrie l'argent et/ou les valeurs en Belgique. Ou bien il laisse ses avoirs à l'étranger.

De plus, il existe aussi des possibilités pour les valeurs mobilières qui ne sont pas déposées sur un compte de titres. Là aussi, ces valeurs doivent être en possession du bénéficiaire effectif avant le 1er juin 2003.

Le gouvernement a opté pour la date 1er juin 2003 comme date pivot parce qu'en matière fiscale, il y a des effets d'annonce qui entraînent des modifications de comportement du contribuable. Comme l'annonce de cette opération a été faite au mois de juin 2003, il souhaite évidemment que seuls soient régularisables des sommes, des capitaux et des valeurs dont le contribuable peut démontrer qu'il les possédait avant le 1er juin 2003.

Deuxièmement, il s'agit d'une opération qui offre de nombreuses possibilités en ce qui concerne l'impôt. Le projet de loi devrait permettre de régulariser toutes les impositions sur le plan fédéral. Il s'agit donc d'une régularisation générale, qui va de l'impôt des personnes physiques aux petites taxes fédérales, en passant par le précompte mobilier. Le projet à l'examen ne concerne d'ailleurs que des impôts fédéraux.

Pour la déclaration libératoire, le contribuable pourra présenter l'ensemble des sommes ou capitaux qui auraient dû faire l'objet de prélèvements, tels que par exemple le précompte mobilier. Ces sommes ont pu aussi faire l'objet d'une fraude en matière d'impôt des personnes physiques. Le cas échéant, le contribuable sera libéré de l'impôt des personnes physiques jusqu'aux revenus de 2001 compris. Ici aussi, c'est le même problème de date qui se pose : dès que l'on passe aux revenus de 2002, leur déclaration pouvait se faire jusqu'au 31 août 2003, c'est-à-dire au-delà du mois de juin.

La libération vaut également pour les cotisations de sécurité sociale. La démarche va donc très loin. Il s'agit d'une véritable amnistie pénale puisqu'il est logique de ne pas poursuivre pénalement le contribuable si on le libère de ses obligations en matière fiscale. De plus, il y a aussi une véritable amnistie pénale pour les opérateurs. Le projet supprime tous les risques de poursuite en matière de recèlement (article 505 du Code pénal).

Il y a aussi une forme d'amnistie en matière sociale puisqu'il n'y a pas de montants à payer en matière de sécurité sociale. Toutefois, il y a un certain montant à payer au Trésor. Il s'agira donc d'une libération ou d'une régularisation et non pas d'une amnistie fiscale. Cette dernière notion suppose une absolution dénuée de toute sanction. Ici, la sanction fiscale constistera en un prélèvement de 9 ou de 6 % sur le capital.

Si un contribuable choisit de déclarer des sommes qui se trouvent sur un compte à l'étranger et de les y laisser, le mécanisme consistera à faire une déclaration auprès du Service public fédéral Finances, sans confidentialité à l'égard de ce service.

Si, par contre, la déclaration s'accompagne d'un rapatriement en Belgique ou concerne des sommes qui ne se trouvaient pas sur des comptes et que le contribuable va placer sur des comptes en Belgique, la déclaration se fera auprès des institutions financières elles-mêmes, en toute confidentialité à l'égard du Service public fédéral Finances. Toutefois, il y aura bien un contrôle de blanchiment par la Cellule de traitement des informations financières.

Le taux de base à payer au Trésor s'élève à 9 % du capital déclaré. Il est toutefois possible de bénéficier d'un taux réduit de 6 % si le capital est investi durant au moins trois ans dans l'économie belge ou européenne. Les modalités de cet investissement seront déterminées par arrêté royal. Avant de prendre cet arrêté d'exécution, le ministre se concertera avec les institutions financières concernées.

En tout état de cause, le prélèvement sera de 9 % pour les titres au porteur et pour les valeurs mobilières qui ne se trouvent pas sur des comptes de titres. Cette exception s'explique par le fait qu'il s'agit d'instruments beaucoup plus délicats en matière de lutte contre le blanchiment ainsi qu'en matière de fraude fiscale. En outre, il n'y a pas de raison de convertir les titres au porteur en un autre investissement puisqu'ils sont déjà représentatifs soit d'une obligation, soit d'une participation dans une entreprise.

Dans cette logique de taux de 9 %, le projet prévoit l'obligation de déposer ces valeurs sur un compte de titres auprès d'une institution financière en Belgique pendant au moins trois ans.

En résumé, le projet est très simple, mais son champ d'application est beaucoup plus large que celui du projet initial, que la Chambre des représentants a modifié sur plusieurs points.

Le premier concerne les opérateurs qui pourront intervenir dans la régularisation. Seules les banques et les sociétés de bourse étaient visées. On y a ajouté les compagnies d'assurances.

La deuxième modification concerne la procédure de contrôle, qui a été simplifiée. La CBFA ne devra pas effectuer de contrôle a priori; il suffira d'une déclaration de l'institution financière à la CBFA. Cette dernière se limitera alors à un contrôle général.

En troisième lieu, le champ d'application a été considérablement étendu. Dans un premier temps, il n'était question que du rapatriement de capitaux d'un compte bancaire à l'étranger. En fin de compte, non seulement le rapatriement n'est plus obligatoire, mais la régularisation est également possible pour d'autres valeurs mobilières, sans obligation d'utiliser un compte bancaire en Belgique ou à l'étranger.

Sur ce dernier point, les évolutions résultent des avis du Conseil d'État, d'un grand nombre d'auditions d'experts et de responsables d'institutions et de l'avis de la BNB, qui était demandé sur le rendement économique.

Le Conseil d'État évoquait des discriminations possibles entre contribuables. En élargissant très fort le champ d'application, on évite évidemment grandement ce risque.

Du côté des institutions financières, notamment à l'étranger, on se plaignait de l'obligation de rapatriement, qui aurait été contraire à la libre circulation des capitaux. On permet donc maintenant de laisser les fonds à l'étranger.

Du côté des compagnies d'assurances, on pouvait se plaindre d'une concurrence difficile avec les banques, étant donné que ces dernières placent aussi des produits d'assurance et que les compagnies d'assurances placent des produits d'épargne. En élargissant les investissements autorisés aux produits d'assurance et les opérations aux assureurs, on résout aussi ce problème-là.

La Banque nationale a indiqué que l'assiette taxable de la régularisation pouvait atteindre 82 milliards d'euros dans la version déposée initialement. On pouvait estimer que l'ensemble des fonds qui auraient pu être touchés par une opération plus large était de 160 milliards d'euros.

Tout le monde a estimé qu'en termes de recettes pour l'État, il était évidemment opportun de partir de cette base beaucoup plus large.

Dans son rapport, la BNB a aussi précisé que l'effet sur la croissance d'une opération portant sur 82 milliards d'euros pourrait être déjà de 0,05 % du PIB, rien qu'à travers la consommation.

Le ministre pose en terminant la question rhétorique de savoir quel commissaire de pourrait lui proposer d'autres mesures qui auraient un effet positif sur la croissance économique tout en entraînant quelques centaines de millions d'euros de recettes fiscales supplémentaires pour l'État.

III. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU SECRÉTAIRE D'ÉTAT À LA MODERNISATION DES FINANCES ET À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE

Ce projet de loi renferme un enjeu particulier, en ce sens qu'il sera permis aux personnes en situation illégale au niveau fiscal de régulariser leur situation contre le paiement d'une pénalité de 6 ou de 9 %. Cette pénalité sera de 9 % s'ils récupèrent simplement leurs avoirs et de 6 % s'ils les investissent.

Au départ, la discussion portait surtout sur le taux de la pénalité à appliquer. Cette pénalité a coupé l'herbe sous le pied à ceux qui prétendaient qu'il s'agissait d'une « amnistie ». Le terme « amnistie » implique qu'on renonce à toutes poursuites sans contrepartie. Or, ici, il y aura bel et bien une contrepartie, sous la forme d'une pénalité, appelée DLU.

Le gouvernement belge a eu, en l'espèce, une vue proactive par rapport aux directives UE sur l'épargne et sur le secret bancaire. À l'exemple d'autres pays comme l'Irlande, l'Autriche et l'Allemagne, la Belgique opère aussi une régularisation.

Le taux tient finalement un juste milieu, lorsqu'on sait que pendant les discussions préalables des chiffres très divergents ont été mentionnés, allant de 0 à 25 %.

Suivirent alors les avis du Conseil d'État et des procureurs généraux, pour aboutir finalement au vote, en commission compétente de la Chambre, le 4 décembre 2003, d'un texte qui englobait dans l'opération les titres cachés sur le sol belge, faisant taire ainsi les critiques de discrimination.

On a aussi introduit des conditions plus techniques, dont la principale concerne la période de rapatriement de l'argent, limitée au 31 décembre 2004.

Les estimations budgétaires peuvent être considérées comme réalistes si l'on table sur un volume de 7 % de ce qui serait régularisable et se traduit par une recette de l'ordre de 850 millions d'euros. Il va sans dire que si l'on veut pouvoir mettre en oeuvre toutes les politiques prévues, il faut pouvoir compter sur les recettes correspondantes.

En ce qui concerne la morale, on peut considérer qu'elle est sauve dès lors qu'il y a une pénalité à payer. Le choix de cette régularisation est justifié si l'on sait que, sinon, l'argent dont il s'agit ne serait jamais revenu dans les caisses de l'État.

Le projet en discussion est en outre couplé avec la loi anti-blanchiment, qui a obtenu un vote unanime en commission compétente de la Chambre (doc. Chambre, nº 50 383-4). Cette loi permettra d'enrayer les dérives qu'aurait pu provoquer la loi DLU. Les deux lois précitées sont en plus indissociables du Plan global de lutte contre la fraude fiscale. Les deux projets de loi progressent dans les deux chambres, et le Plan global contre la fraude fiscale sera déposé sous peu.

Une autre crainte concerne la problématique de l'anonymat. Il y a anonymat lorsque la personne concernée respecte la procédure de la déclaration libératoire unique et que les valeurs en question reviennent dans l'économie belge.

En conclusion, on peut constater que le texte initial du projet de loi a été amélioré considérablement par le parlement.

IV. DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Louis Siquet demande quelles observations ont été soulevées dans l'avis du Conseil d'État du 11 décembre 2003.

Le secrétaire d'État répond que le Conseil a émis un avis plutôt nuancé. Le Conseil a soulevé la problématique de l'anonymat. Le Conseil s'en réfère à l'Europe et à ce que la Commission européenne pourrait en juger elle-même.

Le Conseil a également examiné la coexistence de deux taux et se demande si cela pourrait être contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. De toute façon, le système proposé est très linéaire et carré, notamment si on le compare aux systèmes en vigueur en Italie et en Irlande. Il n'y a plus de discrimination dès lors que les capitaux peuvent circuler sans aucune difficulté.

M. Hugo Vandenberghe déplore que la discussion du présent projet ait lieu presque en parallèle avec sa discussion en séance plénière à la Chambre. La commission n'est donc pas en mesure de prendre une distance suffisante par rapport au projet pour examiner de manière mûrement réfléchie les arguments avancés à la Chambre ainsi que le dernier avis du Conseil d'État.

L'intervenant consacrera toute son intervention aux implications de la déclaration libératoire unique en droit pénal, en se référant à une note du professeur R. Verstraeten, présentée à l'occasion d'une journée d'études.

Le débat de société et les commentaires sur une loi initialement dite « d'amnistie fiscale » ­ ce qu'il ne fallait pas qu'elle devienne, surtout sur le plan technique ­ se sont situés principalement sous l'angle fiscal. Les juristes, les économistes, les décideurs politiques, la presse et une grande partie de l'opinion publique se sont prononcés sur l'admissibilité éthique du principe d'une opération de rapatriement à grande échelle d'argent « noir » ou « gris », organisée par les pouvoirs publics, et, une fois ce cap franchi, sur les amendes fiscales à infliger ainsi que sur le taux de ces amendes.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que le droit fiscal est fondamentalement pénalisé en Belgique. Cette pénalisation réside dans la technique, facile pour le législateur mais condamnable du point de vue de la théorie du droit pénal, des lois pénales « en blanc », telles que l'article 449 du Code des impôts sur les revenus. Outre les infractions à caractère purement fiscal, il y a aussi la problématique de l'applicabilité de l'article 505 du Code pénal concernant le « blanchiment » ­ ou plus exactement du recel élargi ­ aux avantages patrimoniaux acquis par le biais d'infractions fiscales. La controverse qui s'est fait jour très rapidement à ce propos n'a toujours pas trouvé d'issue, si bien que l'inquiétude persiste. L'incertitude à cet égard fait que cette inquiétude doit habiter le contribuable non seulement pour ce qui est de la gestion de ses avoirs à l'étranger, mais aussi en ce qui concerne le rapatriement éventuel lui-même, d'autant que dans ce dernier cas, la « sérénité » est loin d'être acquise du côté de l'institution financière belge qui collabore à ce rapatriement et où les fonds sont replacés.

Or, cette sérénité est un aspect essentiel de tout le débat sur le caractère « libératoire » de l'opération. Le citoyen qui envisage de donner suite à l'invitation du gouvernement de déclarer les sommes qu'il a éludées à l'impôt, demande en échange la sécurité juridique, ce qui n'est que logique et justifié. Encore faut-il savoir comment le législateur, à la lumière de la pénalisation générale du droit fiscal et du droit social, fera disparaître les risques pénaux liés au projet. Selon certains auteurs, le projet viserait à un « pardon total » (voir l'article 7).

1. Nécessité d'une protection contre le droit pénal

a) Infractions fiscales

Les articles 449 du Code des impôts sur les revenus, 73 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, 133 du Code des droits de succession, 206 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe et 207 du Code des taxes assimilées au timbre pénalisent, d'un trait de plume, toute infraction auxdits Codes ou à leurs arrêtés d'exécution, qui a été commise dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire. La nonchalance, la négligence et la distraction dont le citoyen a pu faire preuve au moment de remplir ses obligations fiscales ne tombent donc pas sous le coup du droit pénal. Mais il n'est guère probable que le public visé par le présent projet de loi fasse partie de cette catégorie.

Une des règles qui prévaut en matière d'impôts sur les revenus est que le fait de ne pas déclarer des revenus mobiliers ­ et a fortiori le fait de ne pas déclarer les capitaux qui génèrent ces revenus mobiliers et qui n'ont jamais été soumis à l'impôt ­ constitue une infraction. Pour les déclarations passées, il s'agit d'une infraction parfaite. Le fraudeur risque ­ pour autant qu'il n'ait pas commis en plus un faux en écritures fiscales ­ un emprisonnement de huit jours à deux ans et une amende de 250 à 12 500 euros. Les coauteurs sont passibles des mêmes peines, tandis que les complices s'exposent, en vertu de l'article 69 du Code pénal, à une peine s'élevant aux deux tiers de la peine précitée. Si à cela s'ajoute un faux fiscal, le contrevenant peut se voir condamner à un emprisonnement d'un mois à cinq ans et à la même amende de 250 à 12 500 euros. Tous les (co)auteurs et complices ­ quel que soit leur degré de participation ­ sont en outre soumis à la sévère disposition de l'article 458 CIR qui prévoit qu'en cas de condamnation, ils seront tenus solidairement au paiement de l'impôt éludé. Il ne s'agit certes pas d'une peine, mais seulement d'une mesure à caractère civil, corollaire de la condamnation au pénal. Toutefois, cette mesure sera indéniablement ressentie par les intéressés comme une sanction (lourde).

b) Infractions sociales

Lorsque des sommes assujetties à l'impôt sur les revenus sont éludées au fisc, cela entraîne inévitablement que les cotisations sociales sur les sommes en question n'ont pas été payées non plus. Le fraudeur fiscal devient donc aussi un fraudeur social et il sera passible, à ce titre, de peines supplémentaires prévues aux articles 35 de la loi ONSS du 27 juin 1967 et 25 de l'arrêté royal nº 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, ainsi que dans leurs arrêtés d'exécution combinés à l'arrêté royal du 31 mai 1933.

c) Article 505 du Code pénal

À ce jour, la jurisprudence et la doctrine belges ne sont pas catégoriques sur la question de savoir si les fruits d'une fraude à la loi fiscale peut ou non donner lieu à un « délit de blanchiment ». Sans vouloir recommencer toute la discussion, l'on peut dire que deux objections ­ l'une de principe, l'autre davantage inspirée de la situation factuelle spécifique ­ ont essentiellement été opposées à la thèse selon laquelle tel pourrait être le cas.

Sur le plan du principe, on a montré que les impôts éludés, à quelques cas exceptionnels près, ne peuvent pas être considérés comme des avantages patrimoniaux au sens de l'article 42, 3º, du Code pénal. En empêchant l'émergence d'impôts dus, le contribuable s'enrichit évidemment, dans la mesure où il évite que son patrimoine soit grevé d'un passif supplémentaire, même si le seul avantage patrimonial qu'il en retire consiste à éviter une dette et non à acquérir un bien. Il convient aussi de remarquer que ce point de vue a été repris ni plus ni moins par le Conseil d'État dans son avis relatif la loi portant extension des possibilités de saisie et de confiscation du 19 décembre 2002. Récemment encore, une doctrine faisant autorité a soutenu qu'une fraude fiscale ne génère pas d'avantage patrimonial délictuel dès lors que l'avantage était déjà présent dans le patrimoine et qu'il ne constitue pas davantage une économie dès lors que ce ne serait le cas que si certains coûts ne devaient effectivement pas être supportés concrètement à la suite de la fraude fiscale (par exemple, les intérêts sur un crédit utilisé).

Ces arguments ne parviennent pas à convaincre l'éminent pénaliste qu'est le professeur R. Verstraeten. Rien ne permet d'affirmer que le législateur n'aurait pas voulu considérer la réalisation d'une économie ­ par le biais d'une infraction ­ comme un avantage patrimonial délictuel. D'ailleurs, le professeur Verstraeten souligne à ce propos qu'en vertu du principe d'autonomie juridique et fonctionnelle, le droit pénal ne se sent pas forcément tenu par l'acception juridique qui est donnée à certaines notions dans d'autres branches du droit. La nécessité qui est la sienne de remplir sa fonction de protection sociale empêche ainsi que la référence à des notions telles que « biens » ou « valeurs » s'y voient conférer sans plus une simple connotation de droit civil ou de droit fiscal.

Après que les juridictions inférieures ont déjà qualifié la fraude à la perception des taxes environnementales d'avantage patrimonial délictuel, la Cour de cassation vient elle aussi de juger, dans son arrêt rendu le 22 octobre 2003 et qui était attendu de longue date, que l'avantage retiré d'une fraude fiscale peut être considéré comme un avantage patrimonial au sens de l'article 42, 3º, du Code pénal. La Cour estime expressément que le juge pénal qui évalue les avantages patrimoniaux obtenus à la suite d'une infraction en application des articles 42, 3º, et 43bis du Code pénal « peut considérer que l'évitement d'un impôt constitue un tel avantage ».

Ce jugement ne tranche cependant pas encore à proprement parler la question de l'applicabilité de l'article 505 du Code pénal en relation avec ces avantages patrimoniaux. Vient en effet alors la seconde objection, selon laquelle dans la pratique, il est particulièrement difficile, pour ne pas dire impossible dans la plupart des cas, d'« identifier », de « localiser » ou « d'isoler » des impôts éludés dans le patrimoine de l'auteur de l'infraction fiscale, dans la mesure où il n'y a eu aucun flux de paiement ou de glissement dans le patrimoine. Dans la mesure où les « choses visées à l'article 42, 3º » du Code pénal, dont il est question à l'article 505 du Code pénal, supposent qu'il s'agit nécessairement d'une chose identifiable et délimitable et pas seulement d'une valeur qui ne peut pas être directement confisquée sur la base de l'article 43 du Code pénal, mais qui ne peut l'être que par équivalence sur la base de l'article 43bis du Code pénal, la thèse selon laquelle l'article 505 du Code pénal n'est pas applicable à de tels cas est défendable. Il est aussi remarquable en l'occurrence que cette fois-ci, cet argument semble à première vue trouver appui dans l'exposé des motifs de la loi portant extension des possibilités de saisie et de confiscation du 19 décembre 2002, qui précise que des avantages patrimoniaux consistant en économies de coûts, notamment en cas d'infractions fiscales, ne peuvent pas être assimilés en tant que tels à une certaine chose. On pourrait toutefois rétorquer que dans la mesure où l'article 35ter du Code pénal, inséré par la loi portant extension des possibilités de saisie et de confiscation, introduit la possibilité d'une saisie par équivalence et souhaite la voir appliquer notamment aux avantages patrimoniaux fiscaux, cela confirme la possibilité de confisquer ces avantages patrimoniaux fiscaux sur la base de l'article 43bis du Code pénal.

En attendant une jurisprudence qui tranche aussi cette question, il est un fait que, dans le projet de loi à l'examen, le législateur semble quant à lui admettre implicitement le principe de l'applicabilité de l'article 505 du Code pénal aux avantages patrimoniaux issus d'infractions fiscales « ordinaires ». En effet, dans le cas contraire, il n'eût pas été nécessaire de prévoir un « mécanisme libératoire » pour de telles infractions. L'exposé des motifs indique, en atténuant le propos, que « la législation actuelle en matière de blanchiment dissuade quiconque d'injecter des fonds non déclarés dans l'économie ».

d) Qualité d'auteur et participation punissable

Pour déterminer qui court les risques pénaux, il faut évidemment tenir compte des règles en matière de participation punissable.

Indépendamment de la qualité d'auteur (principal) du contribuable, il peut arriver que des collaborateurs d'organismes financiers rendent des services qui pourraient d'une certaine manière faire d'eux des (co-)auteurs ou des complices. Il peut s'agir par exemple de conseils relatifs à la mise en place et à la gestion de structures de sociétés étrangères. Ils actes peuvent être considérés, dans certaines circonstances ­ notamment bien sûr si l'élément moral est présent ­, comme une aide nécessaire (art. 66, alinéa 3, du Code pénal) ou, à tout le moins, utile (art. 67, alinéa 4, du Code pénal) ou comme des instructions (art. 67, alinéa 2, du Code pénal) à la commission d'infractions fiscales et de blanchiment d'argent. L'aide apportée dans le cadre d'un transfert éventuel de fonds à l'étranger sous le couvert de l'anonymat peut également constituer une participation punissable à la fraude fiscale.

e) Le rapatriement comme infraction en soi

Le fait même de ramener les fonds en Belgique ­ ce qui correspond tout de même fondamentalement au voeu du gouvernement ­ risque de constituer un délit de blanchiment. Ainsi que le Conseil d'État le fait d'ailleurs remarquer aussi, depuis la loi du 7 avril 1995, en vertu de l'article 505, alinéa 1er, 3º et 4º, du Code pénal, est punissable d'une part celui qui convertit ou transfére des avantages patrimoniaux dans le but d'en dissimuler l'origine illicite ou qui aide une personne impliquée dans la réalisation de l'infraction d'où proviennent ces choses à échapper aux conséquences juridiques de ses actes et, d'autre part, celui qui a dissimulé ou déguisé la nature, l'origine, l'emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété de ces choses alors qu'il en connaissait ou devait en connaître l'origine. Si l'élément moral de la première variante pourrait être contestée dans certains cas dans l'hypothèse du rapatriement et si la seconde variante n'est pas évidente dans ce contexte, pour l'institution financière ­ lorsqu'elle n'est ni auteur ni complice de l'infraction de base ­ c'est surtout la variante « classique » de l'article 505, alinéa 1er, 2º, du Code pénal, qui s'avère dangereuse, dès lors que celle-ci concerne notamment la possession, la garde et la détention. Cela conduit à des situations absurdes, par exemple lorsque qu'un banquier ­ souvent sans le moindre avertissement préalable de son client ­ voit transférer des fonds suspects sur un compte belge. La prise en gestion paraît peut compatible avec l'article 505, alinéa 1er, 2º, du Code pénal et le renvoi vers l'origine (étrangère) semble constituer une nouvelle infraction au sens de l'article 505, alinéa 1er, 3º, du Code pénal. La banque ne peut-elle se mettre à l'abri de sa responsabilité pénale qu'en faisant une déclaration systématique à l'autorité ? Est-elle tenue de la faire ?

Cette dernière problématique est indissociablement liée au champ d'application illimité de l'article 505 du Code pénal et au champ de tension permanent qui existe entre la législation préventive et la législation répressive sur le blanchiment. Dans le domaine de la fiscalité, l'article 3 de la loi du 11 janvier 1993 ne concerne que « la fraude fiscale grave et organisée qui met en oeuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale ». Le fait que seules ces formes de fraude fiscale doivent être dénoncées à la cellule de traitement d'information financière n'enlève rien ­ si les objections exposées ci-dessus ne sont pas retenues ­ à l'applicabilité pleine et entière de l'article 505 du Code pénal à toute forme de fraude fiscale, si minime soit-elle.

Selon le professeur Verstraeten, seul un rapatriement effectué dans le cadre d'une régularisation fiscale peut échapper à la saisine du droit pénal. Deux arguments juridiques confortent ce point de vue. D'une part, il y a le fait qu'après l'organisation et l'exécution d'une opération de régularisation, il n'y a plus à l'égard des fonds à rapatrier aucun avantage patrimonial au sens de l'article 42, 3º, du Code pénal. D'autre part, il faut considérer dans ces circonstances que le comportement matériel consistant à ramener les fonds en Belgique, même s'il répondait à la définition matérielle d'un délit de recel élargi et que la condition concernant le fait de connaître ou de devoir connaître l'origine (fiscale) frauduleuse des fonds soit remplie, serait dépourvu de l'élément infractionnel d'illicéité.

2. Le mécanisme libératoire appliqué

La question s'est posée de savoir de quelle manière le risque pénal pouvait ou devait être couvert. Que l'on n'ait pu parler d'amnistie, comme envisagé initialement au départ du projet, est compréhensible. C'eût été sinon pour le droit pénal un événement véritablement historique. Généralement, les lois d'amnistie concernent des faits punissables qui ont été commis dans des périodes troublées comme les guerres ou les grandes grèves (par exemple, la grève du 14 mai 1936 au 28 juin 1936) et pour lesquelles le législateur n'a pas jugé une répression opportune dans une perspective de pacification sociale. En l'occurrence, la situation est quelque peu différente. Le législateur reconnaît que l'objectif est que les fonds réinjectés dans l'économie aient, à terme, une incidence positive sur la croissance du produit national brut ­ et le cas échéant sur le bonheur national brut des fraudeurs ­ ainsi que sur l'augmentation consécutive des investissements et de l'emploi.

L'amnistie est une décision du pouvoir législatif qui, pour des raisons d'intérêt public, supprime, pour le passé et l'avenir, le caractère punissable de certains faits délictueux. En principe, sa portée est toutefois telle qu'elle met fin aux procédures pénales qui n'ont pas encore donné lieu à une condamnation et que les condamnations pénales déjà prononcées sont annulées ainsi que toutes les conséquences qui y étaient attachées. Autrement dit, les condamnations qui ont éventuellement déjà été prononcées sont rapportées rétroactivement. Le législateur n'a évidement pas voulu aller aussi loin que cela.

D'un autre côté, il y a lieu par ailleurs d'intervenir sur le plan législatif. L'on peut certes faire remarquer qu'il appartient, en vertu de l'article 143ter du Code judiciaire, au ministre de la Justice de définir, après avis du collège des procureurs généraux, les grandes lignes de la politique en matière pénale, y compris celles de la politique en matière de recherches et de poursuites, si bien qu'il serait parfaitement possible de mettre au point une politique de non-poursuite conditionnelle correspondant (plus ou moins) à la réglementation à l'examen. Il semble toutefois que la sécurité juridique tant souhaitée ne pourrait être garantie que très difficilement par cette voie. Des poursuites ne sont en outre pas exclues.

Quelle est, en regard du droit pénal, la méthode pénale adoptée dans le cadre du projet pour assurer la sécurité juridique ? La cause de justification et la cause de non-imputabilité ne sont en tout cas pas entrées en ligne de compte.

Le gouvernement a cherché son salut dans la catégorie des causes d'excuse absolutoires. Ce qui fait leur spécificité, c'est que, conformément à l'article 78 du Code pénal, elles ont un caractère légal, que si lorsque le juge constate les circonstances de fait auxquelles la loi confère un caractère d'excuse, il est tenu d'accorder la cause d'excuse et que celle-ci ne vaut que pour la peine, de sorte que le comportement délictuel conserve son caractère illégal.

À l'article 7, le gouvernement tente péniblement de trouver la base juridique correcte pour une application de l'article 78 du Code pénal. Cet article 7 dispose que les contribuables concernés sont « exonérés des poursuites ». Dans le résumé du projet de loi, il est dit que le contribuable bénéficie d'une « immunité pénale ». Dès l'abord, l'exposé des motifs indique pour sa part que le contribuable « est placé à l'abri de toutes poursuites pénales ». Plus loin, on parle tout à coup ­ dans un même alinéa - d'une offre « d'immunité au regard du droit pénal » et d'un « régime transitoire pour l'article 505 du Code pénal, dans la mesure où celui-ci porte sur les avantages patrimoniaux tirés d'infractions fiscales ». Immédiatement après, cependant, on dit carrément que l'on intervient sur le caractère condamnable du comportement adopté dans le passé en introduisant une cause d'excuse. On considère que, dans le passé, le législateur a toujours admis qu'en raison de circonstances spécifiques, des comportements illégitimes et répréhensibles puissent être exonérés de sanctions : « la législation pénale connaît différentes causes d'excuse, qui ont été créées en raison de leur utilité sociale ou pour des raisons de politique criminelle ».

Selon le projet à l'examen, l'utilité sociale de la contribution unique ressort des objectifs précités de la contribution : incidence positive sur le PNB et accroissement des investissements et de l'emploi.

La terminologie n'est donc pas tout à fait conséquente. Il ne semble pas être question d'un quelconque « régime transitoire de l'article 505 du Code pénal ». Lorsqu'une cause d'excuse est avancée, celle-ci agit en principe sur la structure de l'infraction en tant que fondement juridique d'une sanction. Cela s'exprime alors généralement par des formules telles que « ne sont pas punissables ». En l'occurrence, le législateur a toutefois choisi d'intervenir au niveau procédural de la possibilité de poursuivre. En d'autres termes, il s'agit d'un empêchement procédural mis à l'exercice de l'action publique, que la doctrine néerlandaise appelle cause d'exclusion des poursuites, une catégorie d'excuses absolutoires sui generis. Les causes d'exclusion des poursuites ont pour conséquence qu'un fait punissable en droit ne peut pas, ne peut pas encore ou ne peut plus donner lieu à des poursuites, et donc ne peut pas, ne peut pas encore ou ne peut plus être sanctionné. Cette formulation empêche uniquement les poursuites. Si l'on tentait d'engager une action publique, celle-ci devrait être déclarée irrecevable. Lorsque l'on est en présence d'une véritable cause d'excuse, l'action publique doit être réputée recevable et ­ si les conditions légales sont remplies ­ la chambre du conseil devra prononcer un non-lieu ou la juridiction de jugement devra prononcer un acquittement.

L'intervenant présume que le gouvernement opte donc pour la technique plus radicale des causes d'exclusion des poursuites. Ces dernières empêchent en effet qu'une action publique recevable puisse être exercée.

Il ne faut cependant pas oublier que, comme les autres excuses absolutoires, les causes d'exclusion des poursuites peuvent être assorties de conditions. Tel est évidemment aussi le cas en l'espèce. Cela veut dire qu'en cas de doute concernant les conditions d'application du mécanisme libératoire pénal, tant le ministère public que la partie civile peuvent saisir le juge d'instruction ou citer directement l'intéressé en justice, de sorte que ce sera finalement le juge pénal qui aura le dernier mot sur ­ pour commencer ­ la recevabilité de cette action pénale.

Enfin, il est à remarquer que le projet de loi ne contient ­ bien évidemment ­ aucun régime relatif à une quelconque libération civile. La mesure, cela va de soi, ne peut avoir pour seul but que de museler l'autorité en l'empêchant d'intenter des actions aux niveaux fiscal et pénal. Dans la mesure où la fraude fiscale qui a été commise produit aussi des effets civils, ces derniers ne peuvent être affectés par le régime proposé. Il ne faut en effet pas perdre de vue que des tiers ­ autres que le fisc ­ peuvent être préjudiciés par des infractions fiscales. Il peut s'agir d'actionnaires, de travailleurs ou de concurrents du fraudeur. Pensons par exemple à la situation du travailleur qui est rémunéré (en partie) par une participation aux bénéfices de l'entreprise, ou au commerçant qui subit un préjudice concurrentiel parce qu'un collègue s'est rendu coupable de fraude fiscale. Les victimes concernées peuvent toujours, même après l'opération légale visée par la loi en projet, intenter des actions en réparation. Si toutefois l'action en réparation se fonde uniquement sur une des infractions sociales ou fiscales ­ ou sur le blanchiment s'y rapportant ­ qui bénéficient de la libération pénale, il ne sera pas possible de se constituer partie civile au pénal. Le caractère accessoire de l'action civile nécessite en effet une action publique recevable. Il faudra dès lors intenter une action devant le juge civil en application de l'article 1382 du Code civil.

3. Le champ d'application du mécanisme libératoire

Quelles infractions ?

Conformément à l'article 7 du projet, sont exonérées de poursuites pénales, aux conditions examinées ci-dessous, les personnes qui se sont rendues coupables d'infractions visées :

­ aux articles 449 et 450 du Code des impôts sur les revenus 1992, aux articles 73 et 73bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, aux articles 133 et 133bis du Code des droits de succession, aux articles 206 et 206bis du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, aux articles 207/1 et 207bis du Code des taxes assimilées au timbre;

­ dans la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs et ses arrêtés d'exécution et dans l'arrêté royal nº 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants et ses arrêtés d'exécution;

­ à l'article 505 du Code pénal, dans la mesure où elles visent les avantages patrimoniaux tirés directement des infractions précitées ou les biens et valeurs qui leur ont été substitués ou les revenus de ces avantages investis;

­ aux règles relatives à la corréité et à la complicité de ces infractions.

Par conséquent ­ ainsi que cela a été énoncé de manière explicitement négative dans un avant-projet antérieur ­ sont exclues du champ d'application les personnes qui se sont rendues coupables de toute autre infraction, y compris e.a. l'infraction visée à l'article 505 du Code pénal dans la mesure où elle porte sur les avantages patrimoniaux tirés directement des autres infractions précitées ou sur les biens et valeurs qui leur ont été substitués ou sur les revenus de ces avantages investis.

La liaison aux conditions de la déclaration (voir infra) signifie tout d'abord qu'il ne peut y avoir de libération pénale pour les infractions qui ne sont pas susceptibles d'une déclaration fiscalement libératoire. Conformément à l'article 2, § 2, premier tiret, une déclaration ne produit pas d'effets si les sommes, capitaux ou valeurs mobilières proviennent de la réalisation d'opérations de blanchiment ou d'un délit sous-jacent visé à l'article 3 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux. Dès l'instant où l'une des infractions visées à cet article 3 a été commise, les sommes, valeurs ou biens qu'elle a générés ne sont susceptibles d'aucune régularisation et les auteurs ne peuvent pas non plus bénéficier de la libération pénale. Il en va de même pour ce qui est des infractions en matière de blanchiment des avantages générés.

S'il va de soi que les fonds provenant, par exemple, du terrorisme, du trafic de drogues, du trafic d'armes, du trafic de main-d'oeuvre clandestine, d'organes ou de tissus humains, de l'exploitation de la prostitution, ou de la corruption de fonctionnaires ne peuvent pas faire l'objet d'une opération de régularisation légale, l'approche adoptée soulève toutefois le problème de la définition de ce que l'article 3 précité entend par « la fraude fiscale grave et organisée qui met en oeuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale ». Dans ces cas, la libération ne peut donc jamais intervenir. L'ancrage légal de la notion en question n'en rend pas pour autant la définition plus facile. Dans l'exposé des motifs, il est précisé que « le seul fait » que les sommes, capitaux ou valeurs mobilières se trouvent actuellement à l'étranger ne suffit pas en soi à considérer que ceux-ci proviendraient d'une fraude fiscale grave et organisée au sens de l'article 3 de la loi du 11 janvier 1993.

Les maigres travaux parlementaires relatifs à la loi du 7 avril 1995 qui a instauré cette disposition nous apprennent que le caractère « grave » de la fraude fiscale peut résulter de la confection de faux documents, de la corruption de fonctionnaires et, plus encore, de l'importance du préjudice causé au Trésor et de l'atteinte portée à l'ordre socio-économique. Quant au caractère « organisé », il peut être attesté par le recours à des sociétés écrans, à des hommes de paille, à des constructions juridiques complexes ou par l'existence de comptes bancaires multiples utilisés pour des transferts internationaux de capitaux. Pour ce qui est des exemples concrets, on s'en est tenu aux inévitables carroussels TVA. Si le fraudeur-candidat-déclarant doit se contenter de cela, on pourrait comprendre que le doute le saisisse dans pas mal de cas. Le bénéficiaire du compte au noir d'une personne morale aux Antilles néerlandaises, aux îles Caicos ou Samoa est-il coupable de fraude grave et organisée ? Le législateur volontariste vient au secours du contribuable fraudeur : après la référence au carrousel TVA et l'ajout de la fraude à la TVA et aux accises au préjudice de l'Union européenne, on lit soudain dans l'exposé des motifs qu'« exclusivement pour l'application de la présente loi, les sommes, capitaux et valeurs mobilières provenant d'avoirs logés dans une structure juridique simple, comme une société patrimoniale, ne doivent pas être considérés comme étant le produit d'une fraude fiscale grave et organisée ». Dont acte. Les documents relatifs à la constitution et au fonctionnement des personnes morales étrangères qui n'ont qu'une existence fantômatique dans les pays de la'liste noire'et qui, en réalité, sont gérées intégralement en Belgique, ont déjà à plusieurs reprises été qualifiés de faux en justice; il s'agit donc de sociétés écrans, recourant parfois à des hommes de paille, et il n'est pas rare que des montants très importants soient en jeu. Cette fraude ne serait-elle pas grave et organisée au sens de l'article 3 précité ? ­ en d'autres termes, s'agirait-il d'une « structure juridique simple » ? Si telle est l'intention manifeste du législateur, il en est ainsi toutefois « exclusivement pour l'application de la présente loi ». Ici, le volontarisme semble se muer en hypocrisie législative. Cela voudrait-il dire qu'en dehors du contexte du présent projet ­ par exemple dans le cadre d'une affaire pénale ­ les personnes se trouvant dans des situations similaires pourraient se voir imputer le caractère grave et organisé de la fraude ? Cela signifie en tout cas qu'en dehors du champ d'application temporaire de la future loi, de telles structures pourront à nouveau être considérées ­ par exemple dans le cadre de la problématique de la déclaration à la Cellule ­ comme constitutives d'une fraude grave et organisée.

Hormis les sociétés patrimoniales, il reste à évaluer le poids spécifique de nombreuses autres constructions fiscales. L'on a déjà attiré très justement l'attention sur le désaccord qui régne sur pas mal de choses, y compris au sujet même de leur caractére frauduleux, comme dans le cas des « sociétés de liquidités » et des « constructions QFIE ».

Par ailleurs, en vertu de l'article 7 du projet, il ne peut davantage être question d'une quelconque libération pénale pour d'autres infractions non visées dans cette disposition ni non plus à l'article 3 de la loi préventive du blanchiment, ni pour les infractions à l'article 505 du Code pénal, dans la mesure où celles-ci concernent les avantages patrimoniaux (de remplacement) tirés de ces autres infractions ou les produits de ces avantages.

Il ne faut pas sous-estimer l'importance de cette délimitation de la libération pénale. Elle signifie que dès l'instant où il est question d'une infraction autre que la fraude fiscale « ordinaire » et la fraude sociale qui l'accompagne éventuellement, et autre que le blanchiment des avantages issus de ces avantages fiscaux indus, les possibilités de poursuites pénales sont intégralement applicables. Une rapide consultation du Code pénal montre que, dans un certain nombre de situations, le candidat déclarant (repenti ?) est loin de pouvoir avoir tous ses apaisements sur le plan pénal. De plus, le déclarant risque d'engager également la responsabilité pénale d'autres personnes.

Pensons tout d'abord aux délits d'abus de confiance (art. 491 du Code pénal) et ­ depuis le 1er janvier 1998 ­ à l'abus de biens sociaux (art. 492bis du Code pénal). Cette infraction récemment insérée dans le Code pénal punit les dirigeants de droit ou de fait des sociétes commerciales et civiles ainsi que des associations sans but lucratif qui, avec une intention frauduleuse et à des fins personnelles, ont fait, directement ou indirectement, des biens ou du crédit de la personne morale un usage qu'ils savaient significativement préjudiciable aux interêts patrimoniaux de celle-ci et à ceux de ses créanciers ou associés. Il convient de souligner que les travailleurs d'une entreprise peuvent être des « créanciers » au sens de l'article 492bis du Code pénal.

De plus, cette nouvelle définition d'infraction n'exclut pas l'infraction classique d'abus de confiance. Celui-ci se définit comme étant le détournement frauduleux, au préjudice d'autrui, de choses qui avaient été remises à une personne à la condition que celle-ci les rende ou en fasse un usage déterminé. L'administrateur d'une SA ou d'une ASBL, assimilé à un mandataire en vertu de la loi, commet l'infraction prévue à l'article 491 du Code pénal s'il détourne les possessions de la société ou de l'association qui lui avaient été confiées.

Le législateur a clairement voulu, en fin de compte, ne pas faire tomber ces infractions dans le champ d'application de la réglementation libératoire; il s'ensuit que les dirigeants de droit ou de fait de sociétés et d'associations qui, par le passé, ont transféré à l'étranger, pour des raisons fiscales, des « indemnités » à leur propre profit (article 492bis Code pénal) ou au profit d'autrui (article 491 Code pénal), mais au préjudice de la personne morale et de ses créanciers ou associés, demeurent parfaitement passibles de poursuites en Belgique. Les considérations tablant sur la prescription du fait que tout cela s'est passé il y a bien longtemps ne serviront pas à grand-chose, puisque le risque de poursuites persiste en raison de l'infraction, se prolongeant jusqu'à aujourd'hui, à l'article 505 du Code pénal par rapport aux avantages patrimoniaux découlent de ces infractions.

Peuvent également être invoquées, les infractions relatives à la faillite, et, surtout, celle prévue à l'article 489ter, 1º, du Code pénal ­ le détournement d'une partie de l'actif. Ceci peut être très important pour le petit commerçant dont le commerce est déclaré en faillite et qui a transféré une partie des avoirs à l'étranger.

Le particulier peut également être accusé d'avoir organisé frauduleusement son insolvabilité (article 490bis du Code pénal). L'organisation de son insolvabilité par le débiteur peut être déduite de toute circonstance de nature à révéler sa volonté de se rendre insolvable. La suppression d'actifs en fait bien entendu partie.

Puisque la libération pénale s'applique également au faux en écritures fiscal, il convient de souligner que, selon un arrêt très récent de la Cour de cassation (18 juin 2003), le même fait peut constituer à la fois un faux fiscal et un faux de droit commun : il y a concours idéal dans la mesure où l'auteur n'aurait pas eu pour seul but de perpétrer une infraction fiscale mais aurait eu plus largement la volonté de tromper d'autres personnes. Dès que l'intention n'est pas purement fiscale, on a donc à faire aussi dans le cadre des sociétés à des infractions à la loi du 17 juillet 1975 relative à la comptabilité des entreprises et au faux dans les comptes annuels (art. 127 Code des sociétés).

Le gouvernement a dès lors raison de ne pas vouloir appeler la loi à l'examen une loi d'amnistie. Le brave citoyen ne doit donc pas partir du principe qu'un « pardon total » est désormais en vigueur.

Quelles conditions ?

L'exonération de poursuites pénales est soumise en vertu de l'article 7 in fine du projet, à trois conditions.

a) L'auteur n'a pas, avant la date de l'introduction des déclarations, fait l'objet d'une information ou d'une instruction judiciaire du chef des infractions énoncées dans cet article.

Le législateur n'a manifestement pas voulu que le régime libératoire puisse porter atteinte à des informations ou des instructions déjà engagées et auxquelles le déclarant pourrait échapper en versant 30 deniers. Cette disposition nous paraît toutefois créer une grande insécurité.

Il en va déjà ainsi pour l'instruction judiciaire. Celle-ci est engagée à la requête du ministère public ou par constitution de partie civile, mais il n'existe aucune obligation légale d'informer les personnes éventuellement visées qu'il est procédé à une telle instruction, même pas lorsqu'une instruction in personam a été requise contre une personne déterminée. L'instruction est en principe encore et toujours secrète, en dépit des nombreux articles de presse dont l'affaire peut faire l'objet. L'article 61bis du Code d'instruction criminelle dispose seulement que le juge d'instruction procède à l'inculpation de toute personne contre laquelle existent des indices sérieux de culpabilité et que cette inculpation est faite lors d'un interrogatoire ou par notification à l'intéressé. C'est le seul cas où l'inculpé sait pertinemment qu'il fait l'objet d'une instruction judiciaire et ne peut affirmer sans excès de témérité que certains juges d'instruction procèdent à l'inculpation à un stade plutôt avancé de l'instruction. Dans d'autres cas, le candidat déclarant pourra supposer qu'il fait l'objet d'une instruction. S'il a été perquisitionné, mis plusieurs fois sur la sellette et a appris que des informations ont été demandées à des institutions financières et autres, il saura vraisemblablement à quoi s'attendre. Mais dans certains cas, il se peut qu'il reste longtemps dans l'incertitude et qu'il fasse l'objet d'une instruction judiciaire à son insu.

Ces observations valent a fortiori pour l'information. Aucune saisine du juge n'est prévue. Toutefois, dès qu'un procès-verbal est dressé par la police, celui-ci doit, en vertu de l'article 53 du Code d'instruction criminelle, être renvoyé au parquet, lequel ouvre alors systématiquement un dossier auquel il attribue un numéro de notice. La question est de savoir s'il est dès cet instant question d'une « information » au sens du projet de loi examiné aujourd'hui. Il y a certainement à strictement parler des arguments qui permettent de considérer que c'est bien le cas, même si l'affaire devait (presque) immédiatement être classée sans suite, dès lors que ce classement sans suite n'est qu'une décision de fait qui n'a pas de portée juridique et qui peut dès lors être révoquée à tout moment aux fins de procéder quand même à une enquête ou à un complément d'enquête. On aura en tout cas affaire à une « information » si le magistrat du parquet recueille des informations complémentaires, si sommaire que soit cette collecte (article 28bis du Code d'instruction criminelle).

L'information est secrète. Il ne peut être question davantage ici d'inculpations officielles et il est donc évident que les mots « faire l'objet de » utilisés par le législateur n'impliquent pas que l'intéressé ait acquis un quelconque statut officiel conformément au Code d'instruction criminelle.

Le passé récent montre qu'un certain nombre d'informations à grande échelle ­ venues à la connaissance du public ­ ont été ouvertes en matière de fraude fiscale, mettant en cause la possible situation fiscale irrégulière d'un bon nombre de citoyens. Indépendamment de la question de savoir si (certains de) ces citoyens seront finalement poursuivis, on peut difficilement nier qu'ils font ou ont fait l'objet d'une formation.

Enfin, il convient de remarquer que la loi utilise les mots « ont fait l'objet ». Cela signifie donc que si, dans le passé, une information, même sommaire, a été ouverte pour être finalement classée sans suite ­ le cas échéant sans que le contribuable n'en ait jamais été informé ­, l'exonération de poursuites pénales est également exclue par le projet.

En conséquence, cette première condition posera indubitablement des problèmes d'application.

b) Une déclaration spéciale a été faite dans les conditions prévues par la loi.

Il est évident que la majorité subordonne la « réussite » de l'opération libératoire pénale au respect des conditions légales liées à la déclaration. Cela signifie cependant que, dans la zone grise où règne l'insécurité en raison de l'un des points discutés plus haut ­ par exemple la délimitation de la « fraude grave et organisée » au sens de l'article 3 de la loi préventive relative au blanchiment de capitaux ­, le dernier mot reviendra le cas échéant au juge pénal.

Certes, l'affaire doit d'abord arriver devant le juge répressif, ce qui suppose en principe que le ministère public soit mis au courant préalablement.

L'incertitude sur ce plan se situe toutefois en amont. Les établissements de crédit et les sociétés de bourse qui peuvent recevoir les déclarations restent soumis aux obligations de la loi du 11 janvier 1993, notamment en ce qui concerne le devoir de communication à la Cellule de traitement des informations financières, s'ils estiment qu'il s'agit d'une des infractions décrites à l'article 3, lesquelles incluent donc la fraude fiscale grave et organisée. En effet, la déclaration n'est pas valable pour ces délits. Conformément à l'article 19 de la loi, lorsqu'une telle communication est faite à la Cellule, les institutions financières ne peuvent en aucun cas porter celle-ci à la connaissance du client concerné ou de tiers, ni informer ceux-ci qu'une information judiciaire pour cause de blanchiment de capitaux est en cours.

Il est donc clair que si les établissements de crédit et les sociétés de bourse accueillent, dans le cadre des déclarations, des capitaux d'une autre origine délictuelle qu'une « simple » fraude fiscale, bien qu'ils en connaissent ou dussent en connaître l'origine, ils se rendent en principe coupables du délit de recel élargi au sens de l'article 505, alinéa premier, 2º, du Code pénal. Si l'institution financière ne savait pas ou ne devait pas savoir et s'est seulement montrée imprudente ou négligente dans son jugement, il n'y a pas d'infraction à l'article 505 du Code pénal.

En tout cas, il ressort de l'article 2, § 2, du projet que le fait de procéder à une déclaration ainsi qu'à un paiement des contributions uniques n'a « aucun effet » lorsqu'il s'agit d'un délit visé à l'article 3 de la législation visant à prévenir le blanchiment ou d'un délit de blanchiment concernant les avantages en question. Dans ce cas, non seulement l'attestation délivrée n'offrira aucune protection contre une taxation éventuelle, mais l'exonération de poursuites pénales est également exclue.

Par ailleurs, la déclaration n'est inutilisable pour une communication au parquet que s'il s'agit d'infractions au droit fiscal. Dès qu'il s'agit d'un délit de droit commun, le fisc a non seulement la possibilité mais aussi le devoir, en vertu de l'article 29 du Code d'instruction criminelle, d'informer le ministère public.

Pour terminer, il convient de faire une remarque d'ordre légistique, mais qui ne semble pas dénuée d'intérêt. Il est probable que l'intention du législateur consiste à n'admettre l'exonération des poursuites pénales que dans la mesure où les impôts éludés sont déclarés. L'article 7 du projet dispose à présent que le déclarant ne sera pas poursuivi pénalement « si une déclaration spéciale a été effectuée dans les conditions de la présente loi ». Cette formulation permettrait de soutenir que le contribuable qui se limite à déclarer une partie, même très limitée, des montants soustraits au fisc, ne pourrait plus être poursuivi du chef d'aucune infraction visée par cet article, y compris pour la fraude portant sur les montants non déclarés.

c) Les montants dus en raison de cette déclaration spéciale ont été payés.

Il ne suffit pas qu'une déclaration soit faite dans les conditions légales; les montants dus doivent avoir été effectivement payés.

Quelles personnes ?

Conformément à l'article 2 du projet, la déclaration libératoire ne peut être effectuée que par une personne physique. Cependant, l'article 3, deuxième alinéa, dispose que les montants ainsi déclarés sont libres de toute obligation fiscale ou sociale tant dans le chef du déclarant et de ses auteurs que des personnes physiques ou morales desquelles ces sommes, capitaux ou valeurs mobilières ont été obtenus directement ou indirectement ou qui ont attribué ces sommes au déclarant ou à son auteur, de quelque façon que ce soit.

L'exonération pénale des délits fiscaux et sociaux vaut toutefois seulement pour les infractions commises par le déclarant et les coauteurs ou complices de ces infractions. L'article 7 octroie par contre l'exemption aux « personnes » concernées, sans faire de distinction entre les personnes physiques et les personnes morales.

D'autres personnes qui ont commis en propre un délit fiscal ou social, ou blanchi les gains de tels délits, restent donc punissables. Lorsqu'il est question de salaires et de rémunérations au « noir », les obligations sociales et fiscales dont le non-respect est pénalement sanctionné et qui reposent sur les employeurs notamment en vertu du chèque en blanc offert en matière pénale par l'article 449 du CIR, entraîneront inévitablement dans leur chef des délits sociaux et fiscaux en soi, indépendamment de la participation des bénéficiaires à une fraude fiscale vraisemblablement punissable. Avec toutes les conséquences que cela entraîne pour leur éventuelle implication comme auteur, coauteur ou complice d'autres infractions de droit commun.

Il convient également d'être attentif à la position des établissements de crédit et des sociétés de bourse qui reçoivent les déclarations et les paiements.

Lorsqu'ils reçoivent, dans le cadre de l'opération proposée, de l'argent provenant d'une « simple » fraude fiscale, ils peuvent, selon la lettre de la loi, se rendre coupables d'une infraction à l'article 505, alinéa premier, 2º, du Code pénal. Ce comportement punissable ne peut se réduire sans plus à une forme d'implication comme coauteur ou complice du blanchiment d'argent commis par le déclarant. L'institution financière perçoit elle-même l'argent et tombe donc de manière distincte sous le coup de la définition prévue par l'article 505 du Code pénal. Le projet ne prévoit pas explicitement d'exonération des poursuites pénales, mais comme la loi charge ces institutions de recevoir l'argent, l'intention du législateur peut être qualifiée de cause de justification du chef du prescrit légal au sens de l'article 70 du Code pénal, ce qui exclut un délit.

Si toutefois il ne s'agit pas d'une « simple » fraude fiscale mais d'un délit visé à l'article 3 de la loi visant à prévenir le blanchiment d'argent, la situation est moins claire. Ni la déclaration ni le paiement n'ont alors d'effet et les institutions restent soumises à l'obligation de communication. Cela signifie qu'à ce moment, l'institution peut refuser la déclaration et le paiement; elle peut aussi accepter l'opération en respectant les conditions prévues par l'article 13 de la loi visant à prévenir le blanchiment d'argent, c'est-à-dire lorsque les poursuites à l'encontre du bénéficiaire du blanchiment supposé d'argent pourraient autrement être empêchées. Dans les deux cas, la Cellule doit être informée. Les institutions financières pourraient alors invoquer l'article 20 de la loi visant à prévenir le blanchiment d'argent, en vertu duquel aucune action ne peut être intentée contre les entreprises ou personnes visées par la loi, contre leurs travailleurs ou leurs représentants, en raison d'informations fournies de bonne foi conformément aux articles 12 à 15. Durant la session 1992-1993, cette disposition fut, lors des travaux parlementaires, qualifiée de cause de justification. Comme il est question dans cet article d'une responsabilité « en raison des informations fournies », il est probable que la justification soit plutôt à rechercher dans l'article 13 de la loi, la finalité de l'article 20 étant limitée au problème de la communication elle-même.

Quelle période de temps ?

Aux termes de l'article 2, § 1er, du projet, tout contribuable peut faire une déclaration libératoire des sommes, capitaux ou valeurs mobilières qui étaient placés avant le 1er juin 2003 auprès d'un établissement de crédit ou une société de bourse étrangers à son nom ou sur un compte dont il est le bénéficiaire. Aux termes de l'article 2, § 2, troisième tiret, la déclaration et le paiement ne produisent pas d'effets dans la mesure où il s'agit des revenus professionnels des périodes imposables 2002, 2003 et 2004.

Les déclarations relatives aux revenus qui tombent en dehors du champ d'application du régime libératoire ainsi défini ne peuvent par conséquent pas non plus entraîner une dispense de poursuites pénales. Le candidat-déclarant qui prendra connaissance des travaux du Sénat et y accordera un grand intérêt, devra donc être conscient du fait que s'il révèle aussi l'existence d'autres revenus que ceux visés par la loi, les règles fiscales et pénales ordinaires restent d'application. L'on doit par conséquent s'attendre à ce que beaucoup de déclarants procèdent à une « scission » de leur patrimoine placé à l'étranger en fonction de la déclaration. Certes, l'exposé des motifs précise que l'article 2 du projet vise « l'ensemble » des sommes, capitaux ou valeurs mobilières que le déclarant possède sur un compte tenu auprès d'un établissement de crédit ou d'une société de bourse étrangers et qu'il a soustraits au fisc, mais il ne ressort pas du texte proposé qu'une déclaration ne serait pas opérante si elle ne s'appliquait qu'à une partie du patrimoine placé à l'étranger. Évidemment, seule une libération partielle est alors possible. Si le législateur veut exclure la régularisation dans de tels cas de « scission », il doit l'indiquer clairement.

L'exclusion temporelle prévue dans le projet ne porte pas sur la fraude fiscale « ancienne ». Dans de nombreux cas, le patrimoine placé à l'étranger (ou du moins une partie de celui-ci) aura été atteint par la prescription en matière fiscale. La circonstance selon laquelle le fisc ne peut plus taxer n'enlève toutefois rien aux risques pénaux.

Si l'on admet l'applicabilité de l'article 505 du Code pénal aux avantages patrimoniaux issus d'infractions fiscales, il n'existe aucun motif valable de considérer que cet article ne soit pas applicable lorsque des avantages patrimoniaux générés par la fraude fiscale, qui échappent à toute imposition à cause de la prescription, ont été reçus, possédés, gardés ou gérés, convertis ou transférés, dissimulés ou déguisés. En cas de condamnation pénale, la confiscation obligatoire de l'objet du blanchiment est réalisée conformément à l'article 505, alinéa 3. Il importe par conséquent de signaler que, sans déclaration, les fonds « prescrits » fiscalement ne pourraient pas être affectés sans problème en Belgique.

Le fraudeur pourrait en revanche échapper en théorie à l'application de l'article 505 du Code pénal tant qu'il maintient les fonds en question à l'étranger et qu'il ne pose aucun acte de blanchiment sur le territoire belge. En effet, la poursuite d'un ressortissant belge pour une infraction commise à l'étranger nécessite en principe, aux termes de l'article 7 du Titre préliminaire C.i.c., que le fait incriminé soit aussi punissable dans le pays où il a été commis. Dans nombre de pays ­ surtout ceux où des capitaux sont placés ­, le blanchiment d'avantages patrimoniaux issus d'infractions fiscales n'est pas punissable. Néanmoins, il sera difficile d'échapper à une action de blanchiment sur le territoire belge. Ainsi l'omission volontaire de déclarer l'existence d'un compte à l'étranger dans la déclaration obligatoire peut-elle être considérée comme une dissimulation ou un déguisement de l'emplacement d'avantages patrimoniaux générés par la fraude fiscale au sens de l'article 505, alinéa 1er, 4º, du Code pénal.

La menace pénale subsiste en outre aussi au niveau de l'article 449 CIR. Eu égard à l'obligation de fournir au fisc une déclaration annuelle reprenant les revenus (mobiliers), y compris ceux recueillis à l'étranger, et eu égard au caractère pénalement répréhensible de toute déclaration comportant des inexactitudes commises dans l'intention de nuire, le contribuable qui a placé son patrimoine à l'étranger se verra souvent accusé d'avoir commis une infraction sur une base annuelle. Il s'agira dans ce cas d'une « infraction continue », c'est-à-dire de plusieurs comportements de même nature ou de nature différente, qui, bien que punissables individuellement, sont réputés constituer ensemble une seule infraction sur la base de l'unité de l'intention délictuelle dans le chef de l'auteur. En pareil cas, la prescription de l'action publique ne commence à courir qu'à partir du dernier fait déclaré prouvé, étant entendu que le délai écoulé entre les divers faits ne peut être égal ou supérieur au délai de prescription, ce qui ne sera pas le cas, par définition, dans cette matière. Les risques au niveau pénal ne sont donc pas à sous-estimer.

Conclusion

Plusieurs passages du projet de loi ­ et le discours relatif à cette opération légale va dans le même sens ­ donnent à penser qu'il « va de soi que la réussite du système de la déclaration libératoire unique repose sur la confiance que les déclarants auront en ce système ». Il est nécessaire de susciter cette confiance au niveau fiscal, mais certainement aussi au niveau pénal, compte tenu des implications pénales du droit fiscal et social et du champ d'application illimité de l'article 505 du Code pénal.

L'analyse qui précède montre que la sécurité espérée risque, pour beaucoup, d'être très relative. S'il est vrai que l'utilisation d'une cause d'exclusion des poursuites a pour but d'empêcher jusqu'à l'intentement d'une action publique, l'interprétation concrète des conditions de la déclaration libératoire unique et le flou qui entoure certaines notions font naître l'incertitude.

Posent problème au niveau du droit matériel notamment la délimitation de la fraude fiscale simple et de la fraude fiscale organisée ainsi que la détection d'éventuels délits de droit commun sous-jacents, tels que l'abus de biens sociaux, l'abus de confiance ou l'insolvabilité frauduleuse. Sur le plan procédural, c'est surtout la condition de l'absence d'une instruction judiciaire ou d'une information (antérieure) qui risque de poser problème. Chaque citoyen fraudeur devra donc évaluer le système proposé par rapport à sa situation personnelle, qu'il s'agisse d'un examen de conscience, d'une froide mise en balance de ses intérêts, d'une précaution pour mettre la/les génération(s) suivante(s) à l'abri des soucis ou d'une quête de tranquillité d'esprit.

Le Sénat, en tant que chambre de réflexion, se doit donc de considérer mûrement la portée du présent texte et de se demander si le présent projet permet d'atteindre l'objectif du législateur, qui est de faire régner la confiance et la sécurité juridique.

M. Thissen rappelle que le Sénat se voit obligé de discuter un projet de loi qui n'a pas encore été voté à la Chambre et qui fait l'objet d'énormes contestations. Le projet a été soumis deux fois à l'avis du Conseil d'État qui a émis un avis fondé et argumenté. Ne pas en tenir compte aura des conséquences néfastes à l'avenir.

Le principe fondamental de cette amnistie est la confiance et la crédibilité. Or, le projet de loi à l'examen ne contient pas ces deux éléments. La seule certitude qui existe est qu'il y aura des recours en annulation devant de la Cour d'arbitrage.

Il est vrai qu'une amnistie implique qu'il n'y a pas de pénalité. Avec ce projet de loi, on se donne bonne conscience à très bon marché. Pour 6 % d'indemnité, on va pouvoir faire n'importe quoi. On pourra ramener légalement tout ce qui a été fraudé, dans des conditions que l'on ne connaîtra jamais.

Le contribuable honnête a quelques raisons de ne pas être heureux. Les 6 % doivent être mis en rapport avec un taux de taxation moyen, pour la période concernée, qui dépasse bien souvent 50 %. On fait donc un cadeau de 50 % d'impôts à tous les fraudeurs de ce pays. M. Thissen estime que l'éthique y prend un très mauvais coup. Comment veut-on que les contribuables honnêtes continuent à avoir confiance dans le système ? Comment veut-on que les administrations fiscales continuent à faire leur travail ?

Les fraudeurs, lors d'un contrôle fiscal, pourront à tout moment faire une déclaration libératoire unique. Le résultat est que le contrôle fiscal devient impossible. Cette disposition va donc créer, pour les années à venir, un climat de suspicion et de méfiance.

À propos de la répartition de la « récolte » tant espérée par le gouvernement, M. Thissen a appris qu'elle fera partie des impôts sur les personnes physiques. S'il est bien informé, l'impôt sur les personnes physiques est réparti entre l'État fédéral (60 %) et les régions (40 %). Le revenu généré par l'amnistie fiscale sera-t-il partiellement redistribué aux régions ?

Le gouvernement fédéral a décidé de ne pas se concerter avec les régions notamment pour tout ce qui concerne les impôts régionalisés et les droits de succession et a décidé pour les régions. Le gouvernement fédéral outrepasse donc ses compétences et subira les conséquences de ses actes.

M. Thissen ajoute que les grands fraudeurs, bien organisés, ne courent pas de risque d'être attrapés et continueront dès lors à frauder. La fraude est souvent commise pour échapper aux droits de succession. Les 6 % ne suffiront pas pour convaincre ceux qui veulent échapper aux droits de succession et le projet de loi n'apporte aucun remède à cette situation.

Le projet de loi souffre également d'un manque de crédibilité. Il a fait l'objet d'une série de déclarations successives ayant comme conséquence que plus personne ne sait vers quoi on va. Quelles sont les possibilités ? Quels sont les risques ?

Quelqu'un qui décide de maintenir son argent à l'étranger doit faire sa déclaration au service de la Trésorerie du SPF Finances. Qui pourrait raisonnablement croire, quelle que soit la qualité du service de la Trésorerie, qu'il y a une étanchéité totale entre les services de fiscalité et les services de la Trésorerie ? Il suffit qu'un fonctionnaire change d'affectation pour que l'information passe d'un service à l'autre. Est-ce que les fraudeurs vont courir ce risque ?

Les banques sont un des interlocuteurs privilégiés dans cette procédure. Toutefois, il leur pend une épée de Damoclès au-dessus de la tête parce que les banques prennent de grands risques. Elles vont devoir élaborer des procédures extrêmement précises et faire des appréciations sur les déclarations libératoires uniques. M. Thissen constate que la Commission bancaire a déjà pris un certain nombre de dispositions en fonction de ce qui a été annoncé et a préparé une circulaire extrêmement détaillée définissant les conditions et les obligations des banques agréées pour fonctionner dans ce système. Est-ce que le ministre des Finances a été informé du projet de circulaire et est-ce qu'il donne son aval sur la totalité de son contenu ?

M. Schouppe souligne que la déclaration libératoire unique est contraire aux principes de non-discrimination et d'égalité qui sont consacrés par les articles 10 et 11 de la Constitution. Le contribuable qui respecte les règles du droit paie en effet des impôts au taux normal, beaucoup trop élevé, alors que le taux prévu pour les « fraudeurs » est nettement plus bas.

La déclaration libératoire unique serait compensée par l'échange d'informations sur les comptes bancaires à l'étranger. Cet échange d'informations n'entrera en vigueur qu'en 2010, soit six ans après la déclaration libératoire unique.

La suppression des titres au porteur n'est pas liée à l'échange international de données bancaires, parce que cette possibilité existe déjà aujourd'hui.

L'intervenant souligne que le Bundesrat a rejeté la proposition d'amnistie fiscale, ce qui constitue, aux yeux du membre, un précédent important pour la Belgique au niveau européen.

Mme De Roeck est d'avis qu'il aurait mieux valu que le gouvernement dépose un projet de loi concernant la lutte contre la fraude fiscale. Pareil projet aurait en effet eu un meilleur résultat financier que le projet de loi à l'examen. De plus, celui-ci est contestable d'un point de vue éthique puisqu'il décerne une récompense fiscale aux fraudeurs.

V. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 1er

Amendement nº 1

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 3-427/2) visant à supprimer les articles 1 à 10 du projet de loi.

M. Schouppe renvoie à la discussion générale au cours de laquelle les auteurs ont largement expliqué les raisons pour lesquelles ils étaient opposés au principe de la déclaration libératoire unique proposée. L'intervenant se réfère pour le surplus à la justification écrite.

Article 2

Amendement nº 2

À titre subsidiaire, si l'ensemble du projet n'est pas rejeté, MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe proposent de l'amender afin de corriger les nombreuses imperfections techniques qu'il contient. Ils déposent à cet effet l'amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) visant à apporter les modifications suivantes à l'article 2 :

A) au § 1er, alinéa 1er, après le mot « déclarer » ajouter les mots « les sommes, capitaux ou valeurs mobilières dont les personnes physiques définies à l'alinéa 2 établissent, par tous moyens de preuve admis par le droit commun à l'exception des témoignages, de l'aveu et du serment, qu'elles étaient en possession de ces valeurs, avant le 1er juin 2003, pour autant qu'elles fassent la preuve qu'il peut être raisonnablement admis qu'il ne s'agit pas d'argent tel que celui visé au § 2 du présent article ».

B) au § 1er, alinéa 1er, supprimer le 1º et le 2º.

C) au § 1er, supprimer l'alinéa 4.

D) au § 1er, remplacer l'alinéa 5 par ce qui suit : « Les valeurs mobilières visées à l'article 2, 1º, a) à d), de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers doivent être déposées, au moment de l'introduction de la déclaration, sur un compte ouvert au nom du déclarant et, sauf en cas de transmission par succession, rester en dépôt sur ce compte pendant une période ininterrompue de trois ans. »

Cet amendement vise à mettre fin à une série de discriminations auxquelles la disposition à l'examen aboutit. Les auteurs renvoient pour le surplus à la justification écrite.

Amendement nº 3

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) qui vise à insérer, à l'article 2, § 1er, alinéa 1er, un 1ºbis libellé comme suit :

« 1ºbis les sommes en espèces, capitaux ou valeurs mobilières dont les personnes physiques définies à l'alinéa 2 établissent, par tous moyens de preuve admis par le droit commun à l'exception des témoignages, de l'aveu et du serment, que ces valeurs ont été conservées, avant le 1er juin 2003, par un établissement de crédit ou une société de bourse étrangers d'une manière autre que celle visée au 1º et pour autant qu'elles fassent la preuve qu'il peut être raisonnablement admis qu'il ne s'agit pas d'argent tel que celui visé au § 2 du présent article ».

M. Hugo Vandenberghe précise que cet amendement vise à mettre fin à une discrimination concernant le traitement réservé par le projet aux valeurs déposées auprès d'un établissement de crédit étranger, avant le 1er juin 2003, mais pas sur un compte et qui ne peuvent bénéficier de la déclaration libératoire.

Amendement nº 4

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) qui tend à remplacer le § 1er, alinéa 1er, 2º.

M. Hugo Vandenberghe précise que cet amendement vise à mettre fin à la discrimination frappant les sommes d'argent détenues en liquide. Il renvoie pour le surplus à la justification écrite.

Amendement nº 5

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) qui vise à insérer, au § 1er, 2º, les mots « et les produits d'assurance du type branche 21 ou branche 23 ».

Les auteurs de l'amendement voudraient savoir si ces produits d'assurance qui sont comparables aux parts d'organismes de placement collectif (article 2, 1º, d) de la loi du 2 août 2002) peuvent oui ou non faire l'objet de la déclaration visée dans la loi en projet et, dans la négative, pourquoi pas. Selon M. Hugo Vandenberghe, il est clair, à la lecture de l'article 2, que ces produits d'assurance ne relèvent pas du champ d'application de la loi en projet. On peut se poser la même question pour ce qui est des livrets d'épargne classiques.

Amendement nº 6

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) qui vise à préciser le § 1er, 1º.

Les auteurs renvoient à la justification écrite.

Amendement nº 7

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 7 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) qui vise à préciser le § 1er, alinéa 4.

Les auteurs renvoient à la justification écrite.

Amendement nº 8

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 8 (doc. Sénat nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) qui vise à mettre fin à une discrimination contenue à l'article 2, § 1er, alinéa 5, du projet. Cette disposition prévoit en effet une différence de traitement non justifiée entre les titres au porteur détenus à l'étranger et ceux qui sont détenus en Belgique.

Amendement nº 9

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) qui vise à insérer au § 2, premier tiret, la disposition suivante : « Le Roi établira, par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres, une liste de mécanismes et de procédés qui sont censés être des mécanismes et des procédés de dimensions internationales au sens de l'article 3 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ».

M. Hugo Vandenberghe souligne qu'il sera crucial pour ce qui est de l'application de la loi proposée que l'on sache exactement ce que l'on entend par les mots « fraude fiscale grave et organisée avec usage de mécanismes ou de procédés particulièrement complexes de dimensions internationales » tels que ceux qui sont visés à l'article 3 de la loi précitée du 11 janvier 1993.

À l'heure actuelle, rien ne permet de faire la clarté en la matière, pas même les travaux parlementaires préparatoires de la loi de 1993 ou les modifications qui y ont été apportées.

L'intervenant renvoie pour le surplus à son intervention dans le cadre de la discussion générale.

Amendement nº 10

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 10 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) qui vise à remplacer au § 1er, alinéa 1er, les mots « à partir du 1er janvier 2004 » par les mots « à partir de la date d'entrée en vigueur de la présente loi ».

M. Hugo Vandenberghe renvoie à l'avis du Conseil d'État qui recommande de veiller à ce que la loi en projet n'entre en vigueur que lorsque les décrets et ordonnances adéquats seront entrés en vigueur. Le système de la déclaration libératoire unique ne peut fonctionner que si l'on offre une sécurité juridique absolue au contribuable. Or, en l'absence de décrets, c'est l'insécurité juridique qui règne. L'intervenant propose de retarder l'entrée en vigueur de la loi jusqu'à ce que les régions aient adapté leur législation en matière de droits de succession. Il renvoie pour le surplus à la justification écrite.

Article 4

Amendement nº 11

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) qui vise à compléter le § 2, alinéa 1er, première phrase, par les mots « dans un placement à risque. En tout cas sont exclus un bien immobilier, une branche 21 d'assurance vie ou un dépôt d'épargne ».

M. Schouppe précise à ce propos que, pour pouvoir bénéficier du taux réduit, il faut investir dans un placement à risque, tel que des actions, des fonds de placement, un fonds de commerce, etc.

Les placements sans risque (livret d'épargne, bien immobilier, assurance-vie, etc.) ne peuvent entrer en ligne de compte.

La contribution à l'économie doit consister en un « investissement » dans une activité économique à risque.

Eu égard au principe de légalité en matière fiscale, il est recommandé d'inscrire les dispositions minimales dans la loi, d'autant plus qu'aucune condition de ratification n'est prévue.

Amendement nº 12

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 12 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1), qui tend à supprimer la dernière phrase du § 2, alinéa 1er, de cet article.

Les auteurs font remarquer qu'il est question ici de l'octroi d'une réduction d'impôt. Il est essentiel que le législateur lui-même détermine les conditions sur la base desquelles une telle réduction peut être accordée. Il est inacceptable que la notion « d'investissement » ne soit pas précisée concrètement dans la loi.

Le Conseil d'État a, lui aussi, formulé des observations importantes concernant l'application de taux différenciés sur la base de la valeur d'investissement, surtout pour les titres au porteur.

Il conviendrait que le législateur apporte lui-même des précisions en la matière.

Amendement nº 13

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 13 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1), qui tend à remplacer, au § 2 de cet article, les mots « d'aliénation » par les mots « d'aliénation, de donation ».

Les auteurs soulignent que le cas de la donation n'était pas visé dans la disposition en question.

Amendement nº 14

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 14 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1), qui tend à compléter cet article par un dernier alinéa prévoyant les règles applicables en cas de divorce.

Les auteurs estiment que cette précision est importante pour les cas de partage des sommes, des capitaux ou des valeurs mobilières à la suite d'un divorce.

Article 6

Amendement nº 15

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 15 (doc. Sénat, nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1), qui tend à remplacer cet article par la disposition suivante :

« La déclaration doit être faite auprès d'une institution financière établie au sein de l'Union européenne, agréée à cet effet par la Commission bancaire, financière et des assurances.

Les institutions visées doivent, au minimum, avoir désigné un compliance officer au niveau des organes de gestion supérieurs et mettre en oeuvre des mécanismes de prévention efficaces contre le blanchiment d'argent. »

Les auteurs soulignent que, comme l'ont montré les auditions à la Chambre, il est très important que les institutions financières mettent en place un compliance officer de haut niveau dans la lutte contre la pratique du blanchiment.

Le compliance officer est la personne qui, au sein des entreprises financières, est responsable de l'application, par exemple, de la législation anti-blanchiment. Bien que le terme de compliance officer ne figure pas à l'article 10 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, il est très courant sur le plan international. Il convient dès lors de prévoir cette désignation comme condition minimale pour pouvoir fonctionner dans le système de la DLU, tant pour les entreprises nationales que pour les entreprises étrangères.

Conformément à la proposition des auteurs d'écarter les violations manifestes de la libre circulation des capitaux et des services au sein de l'Union européenne, la déclaration et l'agrément à obtenir de la Commission bancaire, financière et des assurances est rendue uniformément applicable aux établissements financiers étrangers et nationaux. Cela signifie que les établissements étrangers devront obtenir un agrément belge s'ils veulent pouvoir fonctionner en tant qu'établissement de déclaration dans le cadre de la DLU belge.

Amendement nº 16

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent à l'article 6 un amendement (doc. Sénat nº 3-427/2, amendement nº 16, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1), qui tend à apporter à cet article des corrections techniques résultant de la suppression de la violation de la libre circulation des capitaux et des services consacrée par le droit européen.

Article 7

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 17 à l'article 7 (doc. Sénat nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1), visant à remplacer dans cet article les mots « si elles n'ont pas fait l'objet avant la date de l'introduction des déclarations d'une information ou d'une instruction judiciaire du chef de ces infractions » par les mots « si, avant la date de l'introduction des déclarations, elles n'ont pas reçu notification du fait qu'un juge d'instruction ou un juge pénal a ouvert un dossier à leur encontre ».

Les auteurs sont opposés par principe à l'opération proposée.

Mais si la DLU finit quand même par voir le jour et que l'option choisie est de l'utiliser largement et de la lier à une politique d'absence de sanction, il paraît souhaitable de reformuler la disposition. Plusieurs problèmes se posent en effet.

M. Hugo Vandenberghe renvoie à cet égard aux observations qu'il a formulées dans le cadre de la discussion générale.

Article 9

Amendement nº 18

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 18 (doc. Sénat nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1) qui propose de remplacer les mots « l'accroissement d'impôt est fixé à au moins 100 % » par les mots « l'accroissement d'impôt visé à l'article 3 est fixé à au moins 100 % ».

Le principe de légalité exige que les mesures qui ont le caractère d'une peine soient définies avec précision dans la loi.

Une disposition donnant au pouvoir exécutif toute latitude pour appliquer un accroissement d'impôt d'au moins 100 %, défie l'imagination et est manifestement contraire à la Constitution. De plus, il n'est pas requis que les mesures d'exécution soient confirmées par une loi.

L'on peut d'ailleurs se demander en outre si l'accroissement d'impôt de 100 % résistera à l'examen de conformité au principe de proportionnalité.

Il convient de remarquer enfin que la référence à « l'accroissement d'impôt » est trop lapidaire.

Article 10

Amendement nº 19

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 19 (doc. Sénat nº 3-427/2, amendement subsidiaire à l'amendement nº 1).

M. Schouppe renvoie à la justification de son amendement par lequel il entend préciser le montant exact de l'amende prévue à l'article 10.

Article 11 (nouveau)

Amendement nº 20

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 20 (doc. Sénat nº 3-427/2) qui tend à insérer un article 11 (nouveau).

M. Schouppe renvoie à la justification de son amendement par lequel il entend subordonner l'entrée en vigueur de la DLU à l'adhésion des régions au système.

Article 12 (nouveau)

Amendement nº 21

MM. Schouppe et Hugo Vandenberghe déposent l'amendement nº 21 (doc. Sénat nº 3-427/2) qui tend à insérer un article 12 (nouveau).

M. Schouppe renvoie à la justification de cet amendement qui vise à la création d'un fonds qui recueillerait le produit en question et qui le verserait de manière transparente aux régions.

Réplique du ministre

Le ministre déclare qu'il est totalement opposé aux amendements, étant donné qu'ils ne peuvent apporter aucune amélioration substantielle.

Selon le rapport de la Chambre des représentants, appuyé par les avis du Conseil d'État, des procureurs généraux et des experts, tous les arguments ont déjà été échangés.

On peut évidemment étendre le système à l'infini, mais le ministre estime que le projet doit rester limité comme prévu.

En ce qui concerne le dernier avis du Conseil d'État, il y a lieu de noter que hormis une correction de texte, il ne soulève aucune objection fondamentale et se limite à des observations ordinaires visant à améliorer le système.

Il est parfaitement exact que les droits de succession relèvent de la compétence des régions, de même que les autres impôts régionaux. Il est possible que l'on aurait pu trouver une meilleure motivation pour l'article 2, pour les effets mobiliers autres que les titres au porteur.

M. Schouppe regrette que le ministre se contente de fournir une réponse laconique, d'autant plus qu'elle ne rencontre pas les observations du Conseil d'État. En ce qui concerne l'extension de l'ensemble, les amendements indiquent qu'en agissant dans la précipitation, le gouvernement a oublié certains éléments comme les carnets d'épargne, les avoirs en espèce à l'intérieur du pays et les donations.

Pour toutes ces raisons, la mise en oeuvre de ce projet risque d'aboutir à un échec.

La situation serait plus grave encore au cas où la Cour d'arbitrage en prononcerait l'annulation. Tous les citoyens ordinaires qui auraient fait une déclaration au fisc seraient poursuivis sur la base des éléments d'une déclaration qu'ils auraient faite de bonne foi.

Afin d'éviter une ambiguïté après la déclaration de M. Schouppe, M. Zenner précise que l'article 4 n'envisage pas le cas de donations. L'article 4 parle « d'aliénation », un terme générique. Une aliénation peut être à titre onéreux ou à titre gratuit. Les donations ne sont donc pas automatiquement exclues.

Le ministre des Finances confirme l'interprétation de M. Zenner. Le ministre souligne qu'il ne sert à rien de défendre à la fois l'idée que le projet comporte des risques juridiques et, en même temps, annoncer qu'on va tout faire pour tenter une procédure en annulation devant la Cour d'arbitrage. Il comprend qu'on s'oppose au projet à l'examen, au point de vouloir répandre l'idée qu'il y a une insécurité juridique, au point même de la créer soi-même en annonçant des recours. Il n'empêche que le gouvernement veut mener à bien cette opération de déclaration libératoire unique, quelles que soient les décisions qui pourraient intervenir, y compris devant les juridictions. S'il devait y avoir des décisions juridictionnelles, l'ensemble sera adapté pour permettre la déclaration libératoire.

M. Hugo Vandenberghe estime qu'il faut encore attendre de savoir ce que les tribunaux diront de ce projet. Plusieurs personnes ont déjà annoncé qu'elles feront également appel au droit européen. Il est question non pas seulement d'une violation des droits fondamentaux garantis par la Constitution, mais aussi d'un problème politique fondamental. Les décrets doivent être adoptés par les régions et le niveau fédéral n'a aucune compétence en ce qui les concernent. L'incertitude est donc évidente et ne requiert aucune preuve. Si la question des droits de succession n'est pas réglée au niveau des régions, la loi restera inopérationnelle, d'autant plus que le gouvernement fédéral n'a aucune compétence en la matière.

VI. VOTES

Les amendements nºs 1 à 21 sont rejetés par 12 voix contre 3.

Le projet de loi a été adopté par 12 voix contre 3.

Le présent rapport a été approuvé par 11 voix et 1 abstention.

Les rapporteurs, Le président,
Marie-Hélène CROMBÉ-BERTON.
Étienne SCHOUPPE.
Jean-Marie DEDECKER.

Le texte adopté par la commission
est identique au texte
du projet de loi transmis par
la Chambre des représentants
(voir doc. Chambre, nº 51 353/9)