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17 JUILLET 2003
La présente proposition reprend le texte d'une proposition déposée précédemment à la Chambre des représentants (doc. nº 50-1268/1) et au Sénat (doc. nº 2-1164 2001/2002).
Le nombre de femmes se présentant sur le marché du travail n'a cessé de croître ces dernières années. L'emploi des femmes est en progression constante depuis les années nonante (+ 170 000 emplois), alors que l'emploi des hommes a diminué (- 100 000 emplois). Toutefois, une bonne partie des emplois occupés par des femmes sont des emplois à temps partiel ou des emplois temporaires. Malgré l'augmentation considérable observée au cours de la dernière décennie, le taux d'activité des femmes reste d'ailleurs, avec 57 %, très largement inférieur à celui des hommes, qui, en dépit d'une légère diminution au cours de la même période, s'élève à 71 %. Il s'ensuit dès lors que le taux de chômage des femmes est largement supérieur à celui des hommes : 17 % contre 10,3 %.
Les perspectives ouvertes aux allochtones sont souvent inexistantes, même lorsqu'ils ont acquis la nationalité belge. Les possibilités qui s'offrent à ces personnes en matière d'enseignement sont bien inférieures à la normale et un chômage particulièrement élevé les frappe de plein fouet. Si l'on compare le nombre de chômeurs indemnisés de nationalité étrangère au nombre d'habitants de nationalité étrangère, on constate qu'alors que le chômage affecte seulement quatre pour cent des Belges, le taux de chômage est de sept et de neuf pour cent en ce qui concerne respectivement les étrangers provenant d'autres pays de l'UE et les étrangers provenant de pays hors UE.
Nonobstant le fait que l'employeur bénéficie d'une intervention lorsqu'il adapte un poste de travail à l'intention des handicapés et malgré l'existence d'un cadre légal (articles 20 à 23 de la loi du 16 avril 1963 relative au reclassement social des handicapés) qui est déjà censé accroître les possibilités d'emploi, quasi rien n'indique, en particulier dans le secteur privé, que serait mise en oeuvre une politique visant à promouvoir la mise au travail des handicapés. Les rares chiffres dont on dispose montrent que les handicapés ont nettement moins de chances que les autres de trouver un emploi. En 1997, en Flandre, à peine 2 600 handicapés étaient occupés dans le circuit normal et environ 15 000 l'étaient en ateliers protégés, alors que l'on comptait au même moment 13 131 chômeurs indemnisés ayant des aptitudes inférieures à la normale.
On cite souvent, comme facteurs expliquant la situation dans laquelle sont confinés ces différents groupes de personnes, les déficiences et l'insuffisance de leur scolarisation. Ces facteurs ne suffisent toutefois pas à expliquer la position moins favorable de ces groupes sur le marché du travail. La discrimination y est aussi, à côté d'autres facteurs, pour quelque chose.
Cette discrimination est d'autant plus grave que ce sont surtout ces groupes qui, en plus et en raison de leurs chances relativement faibles de trouver un emploi, courent également un grand risque d'être exclus de la vie sociale sous tous ses aspects.
La réglementation actuelle en matière de lutte contre les discriminations et en matière d'égalité des chances ne paraît donc pas en mesure d'abolir toutes les barrières. La présente proposition de loi a pour principal objectif d'attirer l'attention sur la réalité de ces barrières et de stimuler une politique en matière de personnel qui passe outre à ces barrières souvent inconscientes. La loi proposée s'adresse principalement au secteur privé. L'objectif visé, à savoir l'augmentation du taux d'activité des groupes défavorisés sur le marché du travail, ne peut pas et ne doit d'ailleurs jamais relever de la seule responsabilité des pouvoirs publics.
Les mesures antidiscrimination actuelles s'avèrent insuffisantes, notamment en raison du fait qu'il n'est possible d'intenter des poursuites que si l'on peut apporter la preuve d'un comportement discriminatoire. Or il n'est pas toujours possible de prouver une inégalité de traitement. Les pratiques discriminatoires sont en général difficilement identifiables et sont bien souvent inconscientes ou involontaires. Il s'agit souvent de systèmes et de pratiques institutionnalisés de sélection, de formation ou de promotion qui désavantagent à grande échelle les membres de certains groupes. La présente proposition de loi vise à inciter les entreprises à analyser leur politique en la matière et à examiner comment elles pourraient mettre fin aux pratiques et aux systèmes discriminatoires. Cette approche permettrait également de lutter contre les discriminations par l'adoption de mesures systématiquement positives. La loi proposée doit par conséquent être aussi considérée comme complétant de manière préventive les directives européennes 2000/43/CE et 2000/78/CE qui permettront sous peu de réagir plus efficacement sur le plan du droit civil aux discriminations sur le marché du travail.
L'objectif n'est pas de charger essentiellement les pouvoirs publics de veiller à ce que les entreprises tiennent compte, dans leur politique en matière de personnel, des femmes, des personnes d'origine étrangère et des handicapés. La présente proposition de loi a précisément pour but de permettre aux associations de consommateurs, aux syndicats, aux organisations patronales et aux autres groupements sociaux de se faire une idée de la politique socialement (ir)responsable des entreprises. L'objectivation du comportement des employeurs en matière de recrutement permettra toutefois aux pouvoirs publics d'influer sur ce comportement au moyen d'incitants supplémentaires.
Ces mesures ont déjà fait leurs preuves à l'étranger, où les pouvoirs publics ont également créé un cadre légal afin de faire en sorte que la politique des entreprises en matière de personnel tienne davantage compte des réalités sociales.
Nous nous sommes dès lors inspirés, pour élaborer la présente proposition de loi, notamment de l'« Employment Equity Act », une loi canadienne, et de la « Wet stimulering arbeidsdeelname minderheden », en vigueur aux Pays-Bas. Les discriminations dont les groupes visés sont, dans les faits, victimes sur le marché de l'emploi sont dès lors moindres dans ces pays qu'en Belgique.
La présente proposition fait en outre écho au passage suivant de l'accord de gouvernement : « Le gouvernement veut également encourager les entreprises lors de l'élaboration de plans de diversité. »
Article 2
Cet article définit ce qu'il faut entendre par groupes cibles, travailleurs et employeurs. La limitation du champ d'application, en ce qui concerne les employeurs du secteur privé, à ceux qui sont tenus de publier un bilan social non abrégé présente, d'une part, l'avantage que les renseignements demandés en vertu de l'article 6 de la loi proposée peuvent être fournis sans formalités administratives supplémentaires. D'autre part, il s'agit d'entreprises qui possèdent une taille suffisante pour pouvoir mener, en matière de personnel, une politique qui reflète le paysage social.
Article 3
Cet article précise ce que l'employeur doit entendre par une politique de partage proportionnel du travail au niveau spécifique de son entreprise. L'employeur est tenu de réorienter sa politique du personnel de manière que son effectif ou bien se compose notamment d'un pourcentage de femmes, d'allochtones et de handicapés au moins proportionnel à celui qu'ils représentent par rapport à la population active totale, ou bien comprenne un pourcentage de personnes appartenant à ces catégories qui soit, compte tenu des exigences de qualifications imposées par lui, le reflet du pourcentage qu'elles représentent dans la région où il recrute normalement ses travailleurs.
Article 4
L'employeur doit élaborer, de concert avec les représentants des travailleurs, un plan décrivant la situation de départ, spécifiant ses objectifs et sa durée, désignant la ou les personne(s) responsable(s) de sa réalisation, détaillant les actions positives à mener et précisant les modalités de son évaluation et de ses éventuelles adaptations. Ce plan doit pouvoir être présenté aux services d'inspection sociale.
Article 5
L'employeur du secteur privé ne sera pas tenu de publier ce plan. Il devra cependant mentionner séparément, chaque année, lors de l'établissement du bilan social, certains renseignements relatifs à ces groupes cibles. Un tableau distinct sera inséré à cet effet dans le bilan social.
Article 6
C'est précisément parce qu'un contrôle social doit pouvoir être exercé sur les entreprises qui sont ou non attentives aux groupes défavorisés qu'il est nécessaire de pouvoir disposer de renseignements au niveau de l'entreprise. Telle est la raison pour laquelle il convient de modifier la législation existante relative au bilan social, dans la mesure où celle-ci concerne ces renseignements. Il convient toutefois de veiller en même temps à ce que ces renseignements ne portent pas atteinte à la vie privée des personnes qui sont occupées dans les entreprises.
Article 7
Les entreprises ne seront pas sanctionnées parce qu'elles mènent une politique de partage proportionnel du travail insatisfaisante, mais parce qu'elles ne respectent pas leur obligation de publication en ce qui concerne la représentation des groupes cibles au sein de l'entreprise. Étant donné que ces renseignements devront être mentionnés dans le bilan social, la non-communication de ceux-ci sera passible des mêmes sanctions que celles qui sont prévues par l'article 47 de la loi du 22 décembre 1995 portant des mesures visant à exécuter le plan pluriannuel pour l'emploi.
Article 8
Les employeurs du secteur public devront également fournir certains renseignements essentiels concernant la représentation des groupes cibles au sein du service.
Article 9
Étant donné que seuls certains employeurs du secteur public sont tenus de publier un bilan social, il faudra adopter d'autres modalités pour la publication et la communication des renseignements demandés. Il conviendra de réfléchir avec les communautés et les régions à la manière de publier ces renseignements.
Article 10
La loi proposée vise à modifier la politique du personnel dans les entreprises de manière à ce que celles-ci accordent davantage d'attention aux femmes, aux allochtones et aux handicapés. C'est précisément parce qu'il arrive souvent que des entreprises adoptent inconsciemment une attitude discriminatoire, ignorent quelles mesures ont déjà été prises en vue d'accroître les chances de ces personnes ou ignorent de quelle manière elles pourraient les atteindre plus sûrement qu'il est nécessaire de créer un point d'information où les employeurs et les représentants des travailleurs puissent faire appel à des spécialistes.
Article 11
La loi proposée vise, en instaurant un contrôle social, à inciter les entreprises à modifier leur politique du personnel. Il s'imposera donc de procéder à une évaluation de la loi.
Fatma PEHLIVAN |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Pour l'application de la présente loi, il y a lieu d'entendre par :
1º groupes cibles : les femmes, les personnes non originaires de Belgique et les personnes handicapées. Le Roi peut définir ces groupes cibles de manière plus précise;
2º travailleurs : les personnes qui effectuent un travail sous l'autorité d'une autre personne;
3º employeurs :
a) les personnes qui sont tenues de publier un bilan social non abrégé visé au chapitre IX de la loi du 22 décembre 1995 portant des mesures visant à exécuter le plan pluriannuel pour l'emploi, pour autant qu'elles occupent des travailleurs;
b) les administrations et les autres services de l'État, y compris les services qui secondent le pouvoir judiciaire, les services des gouvernements de communauté et de région, les organismes d'intérêt public relevant de l'autorité ou du pouvoir de contrôle ou de surveillance de l'État; les provinces, les communes et toutes les autres institutions provinciales ou locales visées aux articles 162, 165 et 166 de la Constitution et les organismes publics qui sont subordonnés aux communes, pour autant qu'ils occupent des travailleurs.
Art. 3
Les employeurs sont tenus de mettre en oeuvre une politique de partage proportionnel du travail en concertation avec des représentants des travailleurs.
À cet effet, les employeurs identifieront et élimineront les éléments de la politique en matière de personnel qui font obstacle à la carrière des personnes faisant partie des groupes cibles. Ils prendront des mesures positives et raisonnables en vue de parvenir à une représentation proportionnelle de ces personnes à tous les niveaux de fonctions.
Le pourcentage des personnes appartenant aux groupes cibles dans l'effectif total doit être au moins proportionnel au pourcentage qu'elles représentent soit par rapport à l'ensemble de la population active, soit par rapport aux segments de la population active dans lesquels l'employeur recrute normalement son personnel. Ces segments sont délimités sur la base des exigences de qualification imposées par l'employeur aux personnes qui n'appartiennent pas aux groupes précités et par les limites géographiques dans lesquelles les personnes qui n'appartiennent pas à ces groupes sont domiciliées.
Art. 4
L'employeur élaborera, de concert avec les représentants des travailleurs, un plan spécifiant les objectifs au sens de l'article 3 qu'il doit atteindre au cours de l'année ou des années couverte(s) par le plan. Ce plan fera l'objet d'une évaluation annuelle.
Le plan comprendra au moins :
1º une description des objectifs à atteindre, compte tenu de ce qui est spécifié à l'article 3;
2º une description des situations auxquelles il convient de remédier;
3º une description des actions positives qui sont envisagées;
4º la date d'entrée en vigueur du plan;
5º la durée du plan et les délais fixés pour sa réalisation;
6º le nom de la personne ou des personnes responsable(s) de la mise en oeuvre des actions positives énumérées dans le plan;
7º les modalités selon lesquelles il sera procédé aux évaluations périodiques et à l'évaluation finale des actions positives ainsi qu'au contrôle de l'application de ces actions et aux éventuelles corrections à apporter à celles-ci.
Ce plan doit pouvoir être présenté aux services d'inspection sociale.
Art. 5
L'employeur au sens de l'article 2, 3º, a), est tenu de déclarer dans quelle mesure les groupes cibles sont représentés dans le registre du personnel à la date de clôture de l'exercice comptable, et ce, par catégorie professionnelle, par niveau d'études et par régime de travail (occupation à temps plein ou à temps partiel), et quelle est la part des groupes cibles dans le nombre de membres du personnel ayant été engagés ou ayant démissionné.
À cet effet, les renseignements relatifs au sexe à fournir dans les tableaux I.A.2., II.A et II.B du bilan social, publiés dans l'arrêté royal du 4 août 1996 relatif au bilan social, seront supprimés et un nouveau tableau relatif à la politique de partage proportionnel du travail sera inséré. Le Roi arrête la présentation de ce tableau. L'employeur mentionnera également dans ce tableau des renseignements relatifs à la commune dans laquelle les travailleurs sont domiciliés.
Art. 6
Par dérogation à l'article 25 de l'arrêté royal du 4 août 1996 relatif au bilan social, les renseignements concernant exclusivement le partage proportionnel du travail, énumérés à l'article 5, peuvent être utilisés à des fins d'étude, d'analyse ou d'évaluation, au niveau de l'entreprise, par des fonctionnaires désignés par le ministre de l'Économie, le ministre de l'Emploi et du Travail et le ministre des Petites et Moyennes Entreprises ainsi que par le Conseil national du travail et le Conseil central de l'économie. Aucun renseignement pouvant permettre d'établir un lien avec une personne donnée ne pourra toutefois être fourni.
Art. 7
La non-communication des renseignements visés à l'article 5 est passible des mêmes sanctions que celles qui sont prévues par l'article 47 de la loi du 22 décembre 1995 portant des mesures visant à exécuter le plan pluriannuel pour l'emploi.
Art. 8
Les employeurs définis à l'article 2, 3º, b), sont tenus de déclarer dans quelle mesure les groupes cibles sont représentés dans l'effectif au 30 juin, et ce, par catégorie professionnelle, par niveau d'études et par régime de travail (occupation à temps plein ou à temps partiel), et quelle est la part des groupes cibles dans le nombre de membres du personnel ayant été engagés ou ayant démissionné. L'employeur est également tenu de fournir les renseignements concernant la commune du domicile des travailleurs.
Art. 9
En ce qui concerne les employeurs définis à l'article 2, 3º, b), le ministre de l'Emploi et du Travail, le ministre de l'Intérieur et le ministre de la Fonction publique déterminent, en concertation avec les autres niveaux :
1º le mode de présentation des renseignements visés à l'article 8;
2º les modalités et les conditions de publication des documents et d'accès à ceux-ci;
3º les sanctions applicables en cas de non-communication de ces renseignements.
Art. 10
Afin d'aider les employeurs et les représentants des travailleurs à mettre en oeuvre une politique de partage proportionnel du travail et à fournir dûment les renseignements visés aux articles 5 et 8, un point d'information sera créé au sein du ministère de l'Emploi et du Travail. Le Roi détermine la composition et les modalités de fonctionnement de ce point d'information.
Art. 11
Il sera procédé, cinq ans après l'entrée en vigueur de la présente loi, à une évaluation visant à déterminer dans quelle mesure les groupes défavorisés sont convenablement représentés au sein des entreprises.
15 juillet 2003.
Fatma PEHLIVAN. |