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11 JUILLET 2003
La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 30 avril 2002 (doc. Sénat, nº 2-1133/1 2001/2002).
L'objet de la proposition est d'instaurer une taxe, en coordination avec des décisions similaires susceptibles d'être prises par d'autres États membres de l'Union européenne, sur les mouvements internationaux de capitaux qui contribuent à déstabiliser le système monétaire et financier international.
En effet, entre 1 500 et 1 800 milliards de dollars sont échangés chaque jour sur le marché des changes. Ces transactions sont pour la plupart purement spéculatives et sont sans lien direct avec l'échange réel de marchandises, de services et ou d'investissements. Ces mouvements de capitaux volatils ont notamment pour effet de déstabiliser certaines économies entières de pays en voie de développement en provoquant de graves crises financières comme par exemple dans le Sud-Est asiatique, en Amérique latine et en Russie.
Le principe de cette taxe est celui d'une taxe de très bas niveau qui n'affecte pas les échanges de marchandises, de services et d'investissements mais qui peut jouer un rôle de frein sur les mouvements de capitaux spéculatifs. Elle pourrait dès lors contribuer, à côté d'autres mécanismes permettant de lutter contre la spéculation financière, dont le principal au niveau européen est incontestablement la mise en oeuvre de la zone euro, à une stabilisation des flux financiers et à une plus grande autonomie des États pour mener leur politique monétaire avec toutes les conséquences positives pour le développement durable des économies émergentes et des économies en retard de développement.
L'orientation d'une part importante de ce volume de capitaux, motivée par la recherche du profit immédiat, ne tient évidemment pas compte de l'état de la production et du commerce des biens et des services des pays concernés par ces transactions avec pour conséquence l'accroissement des seuls revenus du capital au détriment de ceux du travail et du développement économique global, ce qui engendre tous les mécanismes favorisant la généralisation de l'exclusion sociale et de la pauvreté.
La présente proposition vise dès lors à insérer une taxe sur les flux financiers dans le Code des taxes assimilées au timbre. Elle vise clairement à déterminer le champ d'application de l'instauration de cette taxe à toutes les opérations à terme ou au comptant, conclues, exécutées ou transitant par la Belgique et ce, quelle que soit la qualité des parties à la transaction, et à partir d'un minimum de 10 000 euros. En effet, l'objectif est de percevoir une taxe sur les échanges de capitaux significatifs et non pas sur les petites transactions des citoyens qui sont rarement opérées à des fins spéculatives.
Afin de garantir une souplesse et une adaptation rapides en fonction de l'évolution de la conjoncture internationale, la présente proposition fixe une fourchette dans laquelle le gouvernement peut fixer par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres le montant exact de la taxe.
Selon les chiffres communiqués le 9 octobre 2001 par la Banque nationale de Belgique, le chiffre d'affaires net sur les segments traditionnels du marché des changes et des produits dérivés s'est élevé en 2001 à plus ou moins 6 000 milliards d'euros. En appliquant un taux de 0,01 %, le produit de la taxe rapporterait plus de 600 millions d'euros (soit plus de 20 milliards d'anciens francs belges).
Il est proposé que les revenus de cette taxe soient entièrement affectés à la coopération au développement dans la mesure où il y a évidemment un lien entre le caractère spéculatif de ces transactions et la destructuration de certaines économies des pays en voie de développement. Compte tenu des besoins urgents de ces pays pour améliorer le bien-être de leur population et de lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, il nous paraît particulièrement opportun d'affecter le revenu de cette taxe à l'aide au développement. Le programme des Nations unies pour le développement estime à 40 milliards de dollars par an une action d'élimination des formes les plus extrêmes de pauvreté et l'accès aux structures sanitaires et éducatives de base dans les pays du tiers-monde. Cette source de revenus, qui préfigure une forme de premier impôt mondial, doit dès lors évidemment compenser les effets destructeurs de la spéculation financière.
L'article 5 de la présente proposition prévoit le champ d'application des transactions soumises à la taxe, avec une possibilité pour le Roi par arrêté délibéré en Conseil des ministres de définir des critères de localisation supplémentaires, afin que les opérateurs financiers n'éludent pas cet impôt. Mais la proposition de loi prévoit également la mise en oeuvre effective de la perception de cette taxe que lorsqu'une majorité d'États membres de la zone euro auront adopté des mesures similaires.
En effet, il est essentiel d'inscrire ces dispositions dans le cadre européen et d'autres pays comme par exemple la France sont en train de prendre des mesures s'inscrivant dans la même perspective. Seule une action concertée au niveau européen comme au niveau international permettra à terme d'enrayer les mécanismes purement spéculatifs et de sanctionner les paradis fiscaux. Ce principe progresse d'ailleurs. Des initiatives sont par exemple prises au Canada, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Suisse, au Chili et en Uruguay.
Par ailleurs, au niveau de la Belgique, outre la résolution du Sénat du 7 décembre 2000 (adoptée par 53 voix pour 1 voix contre et 8 abstentions) et celle de la Chambre des représentants du 13 juin 2000, la déclaration gouvernementale de juillet 1999, même si elle ne mentionne pas explicitement le principe de cette taxe, n'est pas inconciliable avec notre proposition. Et le Conseil supérieur des finances, dans son avis de juin 2001, ne remet pas en cause la faisabilité technique et juridique d'une telle taxe au niveau européen. Enfin, dans le cadre de la présidence belge de l'Union européenne, la Commission réalise une étude de faisabilité qui vraisemblablement se bornera à soulever les points positifs et négatifs quant à l'instauration d'une taxe de ce type.
Il s'agit pour les auteurs de la présente proposition avant tout d'une question de volonté politique. La réalisation d'une telle taxe est sur le plan technique extrêmement aisée à mettre en oeuvre compte tenu de la traçabilité des flux financiers. Il existe d'ailleurs déjà des taxes qui sont perçues sur de nombreux mouvements financiers dans le monde en particulier sur les « marchés action » à Singapour, à Hong Kong, aux États-Unis et en France. Elles ne sont d'ailleurs pas contestées parce qu'elles n'ont pas de caractère fiscal et qu'elles financent uniquement le fonctionnement des bourses.
En conclusion, il nous apparaît essentiel de prendre une initiative législative en la matière afin de tout mettre en oeuvre pour instaurer une taxe sur les mouvements spéculatifs de capitaux tant l'évolution débridée de la finance internationale a des conséquences tragiques sur les pays en voie de développement et accroît de manière considérable les inégalités entre les pays riches et pauvres.
Jean CORNIL. Philippe MAHOUX. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Le titre VII du Code des taxes assimilées au timbre, comprenant les articles 113 à 119, abrogé par la loi du 22 décembre 1977, est rétabli dans la rédaction suivante :
« Titre VII : Taxe sur les flux financiers
Art. 113. Il est instauré une taxe sur le montant brut des flux financiers.
Sont notamment soumises à cette taxe sur les flux financiers :
1º toutes les opérations visées à l'article 1er, § 1er, 4º à 7º, et au § 2 de la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placements;
2º toutes les opérations, à terme ou au comptant, en ce compris les opérations conditionnelles conclues ou exécutées en Belgique ou qui transitent par la Belgique et qui, quelle que soit la dénomination, constituent une cession, une acquisition ou un échange de devises ainsi que toute autre opération ayant pour objet, directement ou indirectement, la conversion d'une monnaie en une autre, en ce compris les opérations interbancaires, et ce quelle que soit la monnaie;
3º toutes les opérations en ce compris les engagements à terme et les opérations conditionnelles, conclues, exécutées ou transitant par la Belgique, qui ont pour objet, directement ou indirectement, l'échange, la cession ou l'acquisition d'intérêts quelle que soit la dénomination de l'opération.
La taxe est due nonobstant l'absence de livraison des actifs sous-jacents à l'opération.
Art. 114. La taxe est due, quelle que soit la qualité des parties à la transaction, à l'exception de l'État et de ses subdivisions et des personnes visées aux articles 180 à 182 du Code des impôts sur les revenus, sur toute transaction dépassant 10 000 EUR.
Art. 115. Le taux de la taxe est fixé uniformément par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres, dans une fourchette se situant entre un minimum de 0,01 % et un maximum de 0,1 %.
Art. 116. La taxe est prélevée et versée au Trésor dans les trois jours de l'opération que celle-ci ait lieu au comptant ou à terme, par les parties à la transaction ou par tout intermédiaire.
Le Roi détermine, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, les modalités et notamment les obligations à charge des parties et des intermédiaires, professionnels ou non, intervenant dans les opérations visées à l'article 113, en vue d'assurer le paiement de la taxe au Trésor.
Art. 117. L'opération est notamment localisée en Belgique, lorsque soit le lieu de négociation, le lieu d'enregistrement comptable ou le lieu de règlement de la transaction, soit le domicile, un siège de direction, d'exploitation ou d'administration ou l'établissement d'une partie ou d'un intermédiaire à la transaction se situent en Belgique.
Le Roi peut, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, définir des critères de localisation supplémentaires.
Art. 118. Le Roi, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, détermine les amendes en cas de non-respect des obligations fixées aux articles 113 à 116.
Art. 119. Les dispositions du présent titre seront d'application lorsqu'une majorité d'États membres de la zone euro auront introduit dans leur législation des mesures similaires à la taxe sur les flux financiers visée à l'article 113. »
Art. 3
Il est créé un Fonds de contribution pour la coopération au développement, lequel constitue un fonds budgétaire au sens de l'article 45 des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées le 17 juillet 1991.
Art. 4
Dans le tableau annexé à la loi organique du 27 décembre 1990 créant des fonds budgétaires, modifié pour la dernière fois par la loi du 10 août 2001, il est inséré un nouveau fonds budgétaire 32-xx, rédigé comme suit :
« Dénomination du fonds budgétaire organique :
32-XX Fonds de contribution pour la coopération au développement;
Nature des recettes affectées :
Taxe sur les flux financiers (articles 113 à 119 du Code des taxes assimilées au timbre);
Nature des dépenses autorisées :
Dépenses fédérales supplémentaires consacrées à l'aide à la coopération au développement. »
19 juin 2003.
Jean CORNIL. Philippe MAHOUX. |