3-71/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2003

11 JUILLET 2003


Proposition de loi modifiant la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale et la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d'aide sociale en vue de garantir les droits fondamentaux des personnes bénéficiant d'une aide d'un centre public d'aide sociale et notamment des sans-abri

(Déposée par MM. Jean Cornil et Francis Poty)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 22 janvier 2003 (doc. Sénat, nº 2-1435/1 ­ 2002/2003).

La loi du 7 août 1974 (1) impose comme condition d'octroi du minimex la résidence en Belgique et non dans une commune déterminée. Il en va de même en ce qui concerne l'article 3, 1º, de la nouvelle loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale. L'État fédéral et les CPAS ont donc la responsabilité de garantir l'octroi rapide du minimex indépendamment d'éventuels conflits de compétence. Il y va aussi de leur crédibilité.

Le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine est un droit constitutionnel dont la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale confie la mise en oeuvre aux CPAS en ce qui concerne l'octroi de l'aide sociale permettant à chacun de mener une telle vie. En ce domaine aussi, il y va de la crédibilité des CPAS de mettre en ouvre ce droit sans renvoyer les citoyens d'un CPAS à un autre.

Or, force est de constater que malgré les dispositions légales en vigueur et malgré une jurisprudence assez convergente des tribunaux du travail, des conflits de compétence subsistent. Ces conflits portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes bénéficiant de l'aide d'un CPAS et notamment des personnes sans-abri et subsidiairement à la crédibilité des CPAS.

1. Rappel de dispositions légales

1. « L'aide sociale octroyée à une personne sans-abri est à charge du centre public d'aide sociale de la commune de la résidence principale de l'intéressé ou, à défaut de résidence principale, l'aide sociale est à charge du centre de la commune où il manifeste son intention de résider » (article 57bis de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale).

2. « Lorsqu'une personne sans-abri sollicite l'aide sociale du centre public d'aide sociale de la commune où il se trouve, le président doit lui accorder l'aide urgente requise, dans les limites fixées par le règlement d'ordre intérieur du conseil de l'aide sociale, à charge pour lui de soumettre sa décision au conseil à la plus prochaine réunion, en vue de la ratification » (article 28, alinéa 5, de la loi du 8 juillet 1976 précitée).

3. « Toute personne peut former un recours auprès du tribunal du travail contre une décision en matière d'aide individuelle prise à son égard par le conseil du centre public d'aide sociale ou l'un des organes auxquels le conseil a délégué des attributions.

[...]

Lorsque ledit recours est introduit par une personne sans-abri, le tribunal du travail détermine, au besoin, le centre public d'aide sociale compétent, après avoir appelé à la cause le centre et sous réserve de la prise en charge ultérieure de cette aide par un autre centre ou par l'État conformément aux dispositions de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d'aide sociale » (article 71, alinéas 1er et 5, de la loi du 8 juillet 1976 précitée).

4. «§ 1er. Le centre compétent accorde, revoit ou retire le droit à l'intégration sociale sous la forme d'un revenu d'intégration, d'un emploi ou d'un projet individualisé d'intégration sociale soit de sa propre initiative, soit à la demande de l'intéressé ou de toute personne qu'il a désignée par écrit à cet effet.

Il y a lieu d'entendre par « centre compétent », le centre visé aux articles 1er, alinéa premier, 1º et 2 de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge de l'aide sociale accordée par les centres publics d'aide sociale.

S'il s'agit d'une personne sans-abri, le centre compétent est celui visé à l'article 57bis de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale » (article 18, § 1er, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale; voir aussi l'article 7, § 1er, de la loi du 7 août 1974 instituant le droit à un minimum de moyens d'existence).

5. « § 4. Lorsqu'un centre reçoit une demande pour laquelle il ne se considère pas compétent, il transmet cette demande dans les cinq jours calendrier par écrit au centre qu'il estime être compétent. Dans le même délai, il avertit le demandeur par écrit de cette transmission » (article 18, § 4, de la même loi).

6. « Pour l'application de la présente loi, il faut entendre par :

1º « centre public d'aide sociale secourant »: « le centre public d'aide sociale » de la commune sur le territoire de laquelle se trouve une personne qui a besoin d'assistance, dont ce centre public d'aide sociale a reconnu l'état d'indigence et à qui elle fournit des secours dont elle apprécie la nature et, s'il y a lieu, le montant; [ ...] » (article 1er de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d'aide sociale).

7. « Par dérogation à l'article 1er, 1º, le centre public d'aide sociale de la commune dans le registre de population ou des étrangers ou le registre d'attente de laquelle l'intéressé était inscrit à titre de résidence principale au moment de son admission dans un établissement ou chez une personne privée mentionnés ci-après, est compétente pour accorder les secours nécessaires, si l'assistance est requise :

1º lors de l'admission ou pendant le séjour d'une personne :

­ soit dans un hôpital psychiatrique;

­ soit dans un établissement agréé pour handicapés;

­ soit, s'il s'agit d'un mineur d'âge, dans un établissement pour enfants ou chez une personne privée qui l'héberge à titre onéreux;

­ soit dans une maison de repos agréée pour personnes âgées [soit dans une résidence-service ou un complexe résidentiel proposant des services, pour autant que ces établissements aient été agréés en tant que tels par l'autorité compétente];

­ soit dans un établissement, de quelque nature que ce soit, où cette personne réside obligatoirement en exécution d'une décision judiciaire ou administrative;

­ soit dans d'autres établissements déterminés par le Roi;

­ soit dans un établissement ou une institution agréé par l'autorité compétente, pour accueillir des personnes en dêtresse et leur assurer temporairement le logement et la guidance; » (article 2, § 1er, de la même loi).

8. « Les difficultés et contestations relatives à la détermination de la résidence sont tranchées par le ministre de l'Intérieur en vertu des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 23 de l'arrêté royal du 1er avril 1960.

Les autres différends auxquels donne lieu l'application des articles précédents sont tranchés par la députation permanente lorsqu'ils surgissent entre centres publics d'aide sociale d'une même province. Un recours auprès du Conseil d'État est ouvert aux centres publics d'aide sociale dans les trente jours de la notification » (article 15, alinéas 1er et 2, de la même loi).

9. « Les personnes visées au § 1er, alinéa 1er, 1º, [les Belges et les étrangers admis ou autorisés à s'établir ou à séjourner dans le Royaume, à l'exception des étrangers inscrits au registre d'attente] sont, à leur demande, inscrites à une adresse de référence par la commune où elles sont habituellement présentes » (article 1er, § 2, alinéa 1er, de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population et aux cartes d'identité et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques).

Elles peuvent être inscrites à l'adresse d'une personne physique inscrite au registre de la population ou à l'adresse du CPAS de la commune où elles sont habituellement présentes si elles sollicitent l'aide sociale au sens de l'article 57 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale ou le droit à l'intégration sociale.

2. État de la jurisprudence

Malgré la volonté du législateur de définir clairement le CPAS compétent, de veiller ainsi à ce qu'un seul CPAS soit compétent, qu'il agisse vite et que les personnes bénéficiant de l'aide de celui-ci (notamment les SDF) ne soient pas victimes de conflits de compétence, il ressort de la jurisprudence que de tels conflits de compétence continuent à mettre en présence souvent deux et parfois trois CPAS et que, dans ces cas, l'aide sociale ou le minimex ne sont pas octroyés avec la célérité voulue.

Certes, il est difficile d'apprécier le nombre de conflits de compétence mais autant les services sociaux des CPAS que les services privés en contact avec les CPAS constatent la persistance de ces conflits et l'énorme difficulté de déterminer un point de vue commun et objectif.

Il faut préciser que, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 12 janvier 1993 introduisant l'article 57bis dans la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, le Conseil d'État n'a rendu aucun arrêt en la matière et que seules les juridictions du travail se sont prononcées.

3. La doctrine

Suivant le Guide social permanent, il peut sembler étonnant de fonder le critère de compétence territoriale des CPAS à l'égard de personnes sans-abri en fonction de leur résidence principale puisque, par hypothèse, elles n'en disposent pas.

La circulaire ministérielle du 27 avril 1995 précise qu'il faut entendre par résidence principale, au sens de l'article 57bis précité, le lieu de l'inscription aux registres de la population ou des étrangers.

Les juridictions de fond appelées à appliquer ces nouvelles dispositions restent partagées. Certaines interprètent la résidence principale comme le préconise la circulaire ministérielle, d'autres s'attâchent à déterminer la résidence effective d'une personne sans-abri, en fonction du lieu où elle se trouve habituellement, c'est-à-dire le lieu de la présence physique habituelle et effective.

Pour Didier Pire (« Examen sommaire de certains aspects de la loi du 12 janvier 1993 contenant un programme d'urgence pour une société plus solidaire », Actualité du droit, 1993, p. 561), l'inscription dans les registres de la population n'est qu'un élément présomptif de la résidence ce qui peut n'être pas suffisant.

Pour Ph. Versailles (« Chez soi quelque part : vers le droit à la résidence ? », Chron, DS, 1993, pp. 165 à 176), l'inscription au registre de la population d'une commune constitue une présomption irréfragable de la résidence dans cette commune.

Pour Marie Wastchenko (« L'aide aux personnes « sans-abri » », CPAS Plus, nº 6-7/2000), les termes « résidence principale » visent le domicile légal de la personne. Autrement dit, l'inscription au registre de la population ou des étrangers.

Si l'intéressé n'a pas l'inscription au registre de population, il y a lieu de se référer au lieu où la personne manifeste son intention de résider. En vertu de l'article 28, § 1er, de la loi organique, l'aide urgente est à charge du CPAS de la commune où le sans-abri se trouve, c'est-à-dire le CPAS du lieu où la personne se trouve « physiquement » au moment où la demande d'aide urgente est introduite.

En matière d'octroi d'une garantie locative, il y a lieu d'appliquer l'article 57bis de la loi organique si la personne est sans-abri. Le CPAS compétent pour la prise en charge de la garantie locative est donc le CPAS du lieu de l'inscription dans les registres de la population ou des étrangers. À défaut d'inscription, il y a lieu de se référer au lieu où la personne manifeste l'intention de résider.

L'interprétation de la notion de résidence principale telle que précisée dans la circulaire du 27 avril 1995 correspond à un critère objectif évitant les conflits de compétence.

Lorsqu'il y a absence d'inscription il y a lieu de se référer au lieu où la personne manifeste son intention de résider. Ce critère reste une source de conflits de compétence vu son caractère subjectif et imprécis, mais correspond au moins à une notion de continuité et de cohérence sociale, ce même centre restant compétent par la suite.

4. L'objet de la présente proposition

La loi du 7 août 1974 instaurant le droit à un minimum de moyens d'existence est entrée en vigueur voici plus de vingt-huit ans. Sur bien des points, cette législation n'était plus adaptée aux profonds changements économiques et sociaux intervenus depuis cette époque. Partant de ce constat, le Parlement a adopté un projet de loi concernant le droit à l'intégration sociale.

La présente proposition de loi vise notamment à apporter les modifications nécessaires au texte précité afin de garantir les droits fondamentaux des personnes bénéficiant d'une aide de la part d'un CPAS et notamment des personnes sans-abri et conforter ainsi les mesures adoptées dans le cadre de la loi contenant un programme d'urgence pour une société plus solidaire.

Commentaire des articles

Article 2

Cette disposition vise à garantir le revenu d'intégration au taux « isolé » aux personnes bénéficiant de l'aide d'un CPAS et notamment aux sans-abri pour lesquels est mis en ouvre un projet individualisé négocié avec le CPAS ainsi que si possible une organisation sociale extérieure apportant son soutien et son expertise à l'intégration. Il faut en effet donner aux personnes bénéficiant de l'aide d'un CPAS et notamment aux sans-abri les moyens de sortir de leur exclusion.

Il convient en outre de tenir compte du fait que les sans-abri peuvent être bénéficiaires du revenu d'intégration mais aussi des autres allocations sociales résiduaires. Il est donc légitime d'apporter une aide à l'intégration par le logement aux sans-abri qu'ils soient bénéficiaires du revenu d'intégration ou d'une autre allocation sociale de base.

L'article 14, 2º, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale dispose que le revenu d'intégration annuel s'élève à 6 600 EUR pour une personne isolée. La personne isolée visée par l'article 9 de l'arrêté royal du 11 juillet 2002 étant considérée comme un sans-abri, il y a donc lieu de se référer notamment à cette définition.

Article 3

Malgré la précision apportée par l'article 57bis de la loi du 8 juillet 1976, des conflits subsistent en ce qui concerne la détermination du CPAS compétent pour accorder l'aide sociale ou le revenu d'intégration aux personnes bénéficiant d'une aide de la part d'un CPAS et notamment les personnes sans-abri. Ces conflits de compétence entre CPAS portent atteinte au droit élémentaire à vivre dans la dignité et mettent à néant l'obligation des CPAS d'apporter leur aide urgente et, dans tous les cas, dans un délai maximum d'un mois, de statuer sur la demande des intéressés.

Il est évident que des décisions d'instances juridictionnelles, qu'elles relèvent de juridictions administratives ou de tribunaux du travail, ne peuvent apporter une solution en la matière car l'urgence implique une réponse sans délai.

Cet article vise donc à donner une obligation au ministre de l'Intégration sociale de déterminer dans un délai raisonnable le centre compétent pour aider une personne bénéficiant de l'aide d'un CPAS et notamment les personnes sans-abri. Cette mesure est d'autant justifiée que le ministre dispose d'un service efficace d'inspection en matière de revenu d'intégration, qu'il peut se concerter avec les services de tutelle des CPAS organisés par les communautés et les régions et que l'exercice de cette mission permettra de détecter autant les besoins subsistants que les carences éventuelles des CPAS.

Article 4

L'effort d'intégration d'un sans-abri consenti par un CPAS doit être encouragé. Il convient d'éviter de pénaliser le CPAS actif en ce domaine qui implique généralement une charge financière plus importante que l'octroi du revenu d'intégration et un suivi social à long terme. Il est donc proposé que la subvention majorée de l'État s'étende dans ce cas sur deux ans et non plus sur une seule année.

Article 5

Partant de l'argumentation développée pour l'article 3, il convient également de modifier l'article 15 de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les CPAS.

En effet, l'intervention en urgence du ministre doit également être prévue pour les sans-abri bénéficiaires de l'aide sociale.

Jean CORNIL.
Francis POTY.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 14 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale sont apportées les modifications suivantes :

1) le § 1er, 2º, est complété par ce qui suit :

« ainsi que pour tout sans-abri qui bénéficie d'un projet individualisé d'intégration sociale »;

2) au § 3, entre les mots « revenu d'intégration » et les mots « qui perd sa qualité de sans-abri », sont insérés les mots « , d'une allocation de chômage, d'une allocation aux personnes handicapées, ou d'une garantie de ressources aux personnes âgées ».

Art. 3

L'article 18, § 1er, in fine, de la même loi est complété par l'alinéa suivant :

« À la requête d'un centre public d'aide sociale ou de la personne intéressée qui, le cas échéant, peut mandater une personne physique de son choix ou une organisation sociale dont l'objet social reprend la défense des personnes visées par la législation concernant le droit à l'intégration sociale ou l'aide sociale, le ministre qui a l'Intégration sociale dans ses attributions détermine à titre provisionnel dans un délai maximum de huit jours le centre compétent pour aider un sans-abri, sans préjudice de décisions ultérieures éventuelles des juridictions du travail, de la députation permanente ou du Conseil d'État. »

Art. 4

À l'article 41 de la même loi, les mots « d'un an » sont remplacés par les mots « de deux ans ».

Art. 5

L'article 15 de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d'aide sociale, est complété par les alinéas suivants :

« Les différends portant sur la détermination du centre public d'aide sociale secourant, du centre public d'aide sociale compétent pour secourir visé à l'article 2 et du centre public d'aide sociale chargé d'accorder l'aide sociale à un sans-abri visé à l'article 57bis de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale sont tranchés à titre provisionnel par le ministre ayant l'Intégration sociale dans ses compétences.

Le ministre détermine le centre qui accorde l'aide sociale ou le droit à l'intégration sociale au plus tard dans les huit jours de la requête introduite par la personne intéressée, une association représentative des sans-abri ou un centre public d'aide sociale. »

Art. 6

La présente loi entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.

19 juin 2003.

Jean CORNIL.
Francis POTY.

(1) La loi du 7 août 1974 instituant le droit à un minimum de moyens d'existence est abrogée par l'article 54 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale.