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9 AVRIL 2003
Comme chacun le sait, la fraude fiscale et en particulier la fraude grave et organisée, constitue un mal qui met en péril tant les finances publiques que la nécessaire solidarité entre tous les contribuables.
Ces dernières décennies ont vu se développer des courants de fraude fiscale d'une grande complexité. Qu'il s'agisse des négriers de la construction, des carrousels TVA ou des fraudes recourant à des circuits financiers fallacieux, les exemples sont légion.
Le plus souvent ces techniques frauduleuses recourent à l'interposition fictive d'hommes de paille ou de sociétés écrans ou à d'autres formes graves de simulation, afin de dissimuler l'identité réelle de leurs auteurs.
L'objectif concomitant est de soustraire aux différents créanciers, particuliers ou pouvoirs publics, les gains récoltés en fraude de leurs droits.
Ces courants de fraude s'étalent souvent sur de très longues périodes et mettent les administrations créancières dans la quasi impossibilité de réagir en temps utile par les rectifications qui s'imposent, notamment en raison de l'expiration des délais prévus en matière d'établissement de l'impôt.
Quand elles parviennent à procéder à ces rectifications, un autre problème surgit immédiatement : l'insolvabilité des hommes de paille ou des sociétés écrans.
Il est par conséquent nécessaire de permettre à l'État d'obtenir réparation du dommage qu'il subit du fait de l'organisation délibérée d'une opacité ou d'une fraude lui empêchant d'établir l'impôt dans les délais d'imposition prévus par la loi.
Pour être efficace, cette réparation doit pouvoir s'obtenir à charge du fautif réel et singulièrement lorsqu'une procédure pénale est engagée contre lui.
Le texte proposé vise aussi à réagir face à la jurisprudence développée par la Cour de cassation en matière de constitution de partie civile du Trésor.
L'on ne peut admettre que la survenance d'un délai de forclusion (par exemple, le délai d'enrôlement en matière d'impôts directs voir les articles 353 à 358 du CIR 1992) ou de prescription (par exemple, le délai de prescription en matière de TVA voir les articles 81 et 81bis du Code de la TVA) puisse faire obstacle à la constitution de partie civile.
La perte du droit d'établir l'impôt direct ou indirect résulte pourtant bien de la commission d'une infraction ou de plusieurs infractions pénales (de droit pénal commun ou de droit pénal fiscal). Une simulation recourant à des faux en écritures par exemple, peut empêcher l'administration fiscale d'établir la taxation dans les délais fixés par la législation fiscale.
On ne peut par conséquent admettre la position soutenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 8 septembre 1999 (Bongiorno et consorts), position selon laquelle l'existence d'un délai d'imposition spécifique en cas d'infraction pénale (articles 354, alinéa 2, et 358, § 1er, 3º, du CIR 1992) fait obstacle à ce que l'État belge puisse se constituer partie civile pour obtenir la réparation du dommage résultant de sa perte du droit d'enrôler l'impôt, vu l'écoulement dudit délai.
De même, la position de la Cour selon laquelle il existe une cause juridique propre (la forclusion ou la prescription) qui rompt le lien de causalité entre la faute (les infractions pénales) et le dommage (l'impossibilité pour l'administration fiscale d'établir l'imposition dans les délais légaux) ne peut être admise.
Rappelons notamment que l'auteur qui, en droit belge, a introduit la théorie de la cause juridique propre, à savoir M. H. De Page, a précisé lui-même que cette théorie ne pouvait être admise en cas de fraude (voir H. De Page, « La relation causale en matière de responsabilité civile », RCJB, 1995, pp. 192 et suivantes).
La Cour de cassation, dans un arrêt du 18 février 1986 (Pas. 1986, I, p. 749), avait d'ailleurs admis que le montant des dommages et intérêts civils soit calculé par référence au montant des impôts, amendes administratives et intérêts, tel que résultant de l'application de la loi fiscale.
Soulignons que sur base de l'observation de la pratique administrative, les cas de constitution de partie civile, pour des raisons évidentes qui tiennent au temps et aux moyens nécessaires, ne sont jusqu'à présent intervenues que dans les grands cas de fraude fiscale grave et organisée.
Jean CORNIL. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Un article 26bis, rédigé comme suit, est inséré dans le titre préliminaire du Code d'instruction criminelle :
« Art. 26bis. Sans préjudice des moyens que la législation fiscale met à sa disposition, l'État belge peut exercer l'action civile résultant d'une infraction afin d'obtenir la réparation du dommage que lui cause, notamment, la non-perception effective des impôts directs et indirects, des accroissements d'impôts, des amendes administratives, des intérêts et des frais.
L'échéance d'un délai d'imposition ou d'un délai de prescription, prévus par la législation fiscale, ne peut faire obstacle à cette constitution de partie civile. »
24 février 2003.
Jean CORNIL. |