2-1607/1

2-1607/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

9 AVRIL 2003


Proposition de loi relative à l'utilisation de logiciels libres dans les administrations fédérales

(Déposée par M. Jean-François Istasse)


DÉVELOPPEMENTS


L'usage des techniques informatiques dans les rapports entre le citoyen et l'administration connaît un développement rapide depuis quelques années. Outre l'obtention d'informations générales émanant de différents services, il est désormais possible de consulter des documents administratifs, voire même initier des procédures par le biais des réseaux.

Cette évolution constitue à l'évidence un progrès tant pour le citoyen que pour l'administration, par une plus grande disponibilité et une meilleure souplesse dans la gestion du travail.

Néanmoins, ces systèmes informatiques de communication ont été mis en place avec des logiciels propriétaires, en général les plus courants sur le marché, qui ne sont pas sans poser des problèmes d'accessibilité et de dépendance.

Dépendance du citoyen à l'égard des choix commerciaux des administrations, sous peine de perdre son droit réel à l'accessibilité des données. Dépendance aussi de l'administration à l'égard des sociétés qui dans la réalité et par l'effet des plates-formes se trouvent dans une situation de quasi-monopole.

Ceci nuit au principe d'une bonne gestion des deniers publics et peut entraîner des risques quant à la sécurité des réseaux publics. En effet, les logiciels propriétaires sont d'un usage strictement limité aux conditions explicitées dans la licence d'exploitation. Mais l'utilisateur n'est jamais en mesure de connaître effectivement le contenu intégral des programmes, les codes sources n'étant généralement pas accessibles par lui. Or, comme le rappelait une ancienne ministre de la Culture, en France, Mme Trautman, « la maîtrise des technologies entraîne nécessairement la maîtrise des contenus ».

Devant ces problèmes spécifiques et de par la volonté de plusieurs acteurs, d'abord au sein de la communauté scientifique, sont nées des initiatives de création et de promotion de logiciels libres (free software en anglais). Les logiciels libres sont des programmes qui garantissent à l'utilisateur une véritable liberté d'utilisation :

­ liberté d'exécuter le logiciel pour tous les usages;

­ liberté d'en étudier le fonctionnement et pour cela d'avoir le libre accès au code source (c'est-à-dire le programme tel que rédigé dans un langage informatique usuel et non dans sa version exécutable en langage machine);

­ liberté d'en distribuer des copies;

­ liberté de le modifier et de distribuer ces améliorations.

Certaines associations ont voulu créer une garantie sur l'appellation de logiciel libre, via le système des licences publiques (GPL par exemple) pour vérifier l'effectivité de ces conditions pour chaque logiciel. Cela n'est évidemment pas exclusif et plusieurs logiciels libres existent en dehors de ces licences publiques.

Libre ne signifie pas nécessairement gratuit ni contraire aux pratiques commerciales. Les sociétés éditrices ne peuvent tirer profit d'un droit de licence sur la conception du programme. Elle se concentrent dès lors sur le service aux utilisateurs, l'accompagnement, la maintenance, la formation.

Ces logiciels permettent à l'administration de demander des soumissions dans un cadre réellement concurrent. Cette administration a en outre la capacité de s'assurer du contenu de l'intégralité du programme et se prémunir ainsi de tous les risques quant à la sécurité des informations qui transitent sur son réseau. Le citoyen bénéficie quant à lui d'une accessibilité garantie et d'une autonomie réelle par rapport aux choix de l'administration. Tels sont les avantages du logiciel libre pour les relations administratives.

Ces avantages amènent les pouvoirs publics en Europe mais aussi en Amérique à adopter de plus en plus fréquemment de tels logiciels. Suite à des initiatives parlementaires, les adminstrations centrales en France, en Allemagne et en Angleterre ont entamé les premières démarches en vue du passage au logiciel libre. C'est également le cas au ministère des Finances de la Belgique fédérale. Au Parlement français, deux propositions sont actuellement en débat pour donner un cadre réglementaire à ces initiatives. Le Bundestag envisage également de faire fonctionner ses services dans ce sens. Le Parlement européen a mis en oeuvre un projet pilote à base de logiciels libres pour la rédaction et la transmission des procès-verbaux officiels.

C'est dans cette même philosophie que s'inscrit notre proposition de loi à la suite de la proposition de décret de la Commission communautaire française dont elle reprend les termes. Nous n'avons pas souhaité définir plus en détail les différents systèmes de licences publiques et de garanties associées qui existent actuellement. Ces normes non contraignantes, édictées pour la plupart par des associations, n'ont qu'une valeur indicative. On ne pourrait s'y limiter.

Les logiciels libres et les formats nécessairement ouverts qui leur sont associés répondent à quatre exigences fondamentales pour le bon fonctionnement de l'administration :

1º l'accessibilité garantie pour le citoyen : le citoyen a toujours accès aux services de l'administration sans nécessairement se plier aux choix commerciaux de celle-ci;

2º la sécurité des communications : par la disposition du code source, l'administration peut garantir au citoyen la stricte confidentialité des données échangées;

3º la pérennité des formats : les documents archivés sous formats ouverts peuvent toujours être convertis. Leur accessibilité n'est donc pas liée à la survie économique d'une entreprise particulière;

4º une concurrence véritable dans les marchés publics du logiciel conçus comme marché de service (adaptation des logiciels aux besoins spécifiques de l'administration, maintenance, accompagnement, formation, etc.) réellement ouverts aux petites et moyennes entreprises.

COMMENTAIRES DES ARTICLES

Art. 2

Cet article reprend la définition la plus commune des promoteurs du logiciel libre tel que reconnue et mise en pratique par les différents systèmes de licences publiques. Cette définition s'applique également aux logiciels libres qui ne sont pas protégés par de tels systèmes.

Art. 3

Cet article précise que les administrations feront usage de logiciels libres dans l'accomplissement de leurs missions pour le traitement des données tant à usage interne qu'à destination de l'extérieur. Pour la réalisation de certaines tâches spécifiques, le service fédéral compétent, le FEDICT, vérifie qu'il existe des solutions informatiques à base de logiciels libres. Au cas où celles-ci feraient défaut, l'administration est autorisée à recourir à des logiciels propriétaires. Cette exception a pour but de ne pas entraver le fonctionnement de l'administration lorsque le choix du logiciel libre est impossible.

Art. 4

Cet article vise à préserver le caractère libre des logiciels en usage dans l'administration. Cette interdiction fait partie intégrante des différents sytèmes de licences publiques. Il est néanmoins utile de l'inscrire dans la loi des logiciels libres non protégés par ce type de licence.

Art. 5

Cet article charge l'administration fédérale compétente, le FEDICT :

1º d'une mission de vérification du caractère libre des logiciels en usage dans l'administration qu'ils soient protégés ou non par un système de licence publique. Cette vérification s'effectue sur base de la définition donnée à l'article 2;

2º d'assurer l'accessibiltié de ces logiciels auprès du citoyen par la diffusion libre et gratuite des programmes, de leur code source, et des manuels explicatifs sur les sites dont il a la gestion. Ceci inclut notamment la possibilité de télécharger ces fichiers sans aucune restriction;

3º de vérifier et d'intégrer les améliorations apportées par la communauté des utilisateurs. Ceci permet tant à l'administration qu'aux citoyens de bénéficier du caractère évolutif des logiciels libres.

Jean-François ISTASSE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Pour l'application de la présente loi, il y a lieu d'entendre par :

1º « logiciel libre », tout logiciel dont la licence d'utilisation garantit à l'utilisateur les droits suivants :

a) le droit d'utilisation sans restriction du logiciel;

b) le droit d'accès, d'analyse et de modification sans restriction du code source du logiciel;

c) le droit de diffuser sans restriction le code source du logiciel et les modifications éventuelles;

2º « format de données ouvert », tout format de données pour lequel :

a) la spécification technique complète est publiée et accessible sans restriction;

b) la licence d'utilisation n'impose aucune restriction au développement et usage de logiciels pouvant manipuler des données codées dans ce format;

c) il existe au moins une implémentation de référence disponible comme logiciel libre;

3º « protocole de communication ouvert », tout protocole de communication pour lequel :

a) la spécification technique complète est publiée et accessible sans restriction;

b) la licence d'utilisation n'impose aucune restriction au développement et à l'usage de logiciels pouvant échanger de l'information par le biais de ce protocole;

c) il existe au moins une implémentation de référence disponible comme logiciel libre.

Art. 3

Les administrations fédérales utilisent exclusivement des logiciels libres, des formats de données ouverts et des protocoles de communication ouverts dans l'accomplissement de leur mission, notamment l'acquisition, le traitement, l'archivage, l'échange ou la communication de données informatisées, à l'exception de certaines tâches spécifiques pour lesquelles il n'existe pas de solutions opérationnelles à base de tels logiciels.

Art. 4

Les administrations fédérales ne peuvent en aucun cas limiter l'usage des logiciels libres, des formats de données ouverts et des protocoles de communication ouverts qu'elles utilisent, de telle sorte qu'ils ne répondent plus à la définition de l'article 2, même lorsqu'elles y apportent des améliorations ou des modifications.

Art. 5

Le service informatique compétent au niveau fédéral archive et diffuse les documents de référence et les codes sources des logiciels, des formats et des protocoles en usage dans l'administration fédérale.

Il s'assure du caractère libre des logiciels et du caractère ouvert des formats utilisés par les administraitons fédérales, au sens de l'article 2. Il vérifie et intègre au besoin les améliorations apportées aux logiciels par la communauté des utilisateurs. Il en assure également la diffusion libre et gratuite sur les sites publics dont il a la gestion.

Art. 6

Pour chacun des types de logicels en usage dans l'administration, le Roi fixe un délai de 3 ans maximum endéans lequel l'administration doit se conformer aux dispositions de la présente loi.

Chaque année, le Roi établit un rapport relatif à l'application de la présente loi et le communique au Parlement.

28 mars 2003.

Jean-François ISTASSE.