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M. Paul Galand (ECOLO). - La presse a largement fait état, ce dernier week-end, de l'appel lancé par la directrice d'une école bruxelloise, choquée par l'attitude de l'Office des Étrangers, qui a interdit à neuf de ses élèves de participer aux classes vertes organisées en France au motif que les familles des enfants concernés seraient demandeuses d'asile et donc susceptibles d'être expulsées à tout moment.
Il est évident que cette manière de procéder va à l'encontre du principe du respect de l'intérêt supérieur de l'enfant et qu'elle est en contradiction avec les conventions internationales sur le droit de l'enfant que la Belgique a ratifiées.
En outre, on peut souligner que cette procédure présente un caractère déstabilisant pour l'ensemble des élèves et pour l'encadrement pédagogique.
Quelles sont les dispositions légales sur lesquelles se base l'Office des Étrangers pour empêcher les enfants des familles de demandeurs d'asile de participer aux activités pédagogiques de leur école ?
Dans le cadre du respect de l'intérêt supérieur de l'enfant, si retour au pays il doit y avoir, ne convient-il pas de veiller à ce que celui-ci ait lieu en dehors des périodes d'enseignement et de concrétisation de projets pédagogiques ?
M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - J'ai pris connaissance de l'article de presse dont vous parlez. Mon Cabinet a également été interpellé à ce sujet par le Cabinet du ministre de l'Enseignement secondaire.
Je suis au regret de devoir vous dire qu'en l'espèce, la décision de l'Office des Étrangers est justifiée. L'analyse de la directrice de l'École Saint-Thomas de Bruxelles ne tient pas compte des impératifs de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire et le séjour des étrangers et de l'arrêté royal d'exécution du 8 octobre 1981, que moi-même et mon administration devons appliquer parce que c'est la loi.
La réglementation qui procède sur ce point d'une action commune adoptée par le Conseil de l'Union européenne prévoit, expressis verbis, un mécanisme facilitant le déplacement à l'intérieur des États membres de l'Union européenne aux élèves ressortissants de pays tiers résidant dans un État membre lors d'excursions scolaires. Une liste nominative ad hoc doit faciliter les formalités de leur voyage à condition que tous les élèves qui figurent sur la liste soient autorisés à retourner en Belgique à l'issue de leur voyage scolaire. La liste nominative, complétée par les autorités scolaires, doit donc mentionner l'identité des élèves concernés et être validée par l'Office des Étrangers qui, par la validation de cette liste, confirme, en tant qu'autorité compétente en matière d'immigration, le statut de résidents de ces élèves en Belgique, c'est-à-dire leur droit à la réadmission sur le territoire belge sans formalité.
Valider cette liste nominative signifie donc que les élèves qui y sont mentionnés ont un droit de retour, et partant, un droit de séjour, en Belgique. Si parmi eux, certains sont en séjour illégal en Belgique, la validation de la liste revient implicitement à cautionner le séjour illégal de ces élèves dont les familles ont été invitées, parfois il y a très longtemps, à quitter le territoire. Faire figurer sur cette liste des élèves en séjour illégal en Belgique serait contraire à l'esprit de la décision du Conseil de l'Union européenne qui souhaitait favoriser par cette liste la circulation en Europe d'enfants issus de pays tiers et bénéficiant d'un droit de séjour dans un État membre. Ce serait contraire aux attentes légitimes des États membres. Je n'apprécierais pas davantage que nos partenaires européens abusent du système en inscrivant sur ces listes des enfants de personnes en séjour illégal chez eux.
Or, monsieur Galand, les parents des neuf enfants dont vous parlez sont soit en séjour illégal soit sous le coup d'ordre exécutoire de quitter le territoire.
Vous me demandez enfin si, pour veiller à l'intérêt supérieur de l'enfant, les éloignements de parents en séjour illégal dont les enfants seraient scolarisés ne devraient pas être opérés en dehors des périodes d'enseignement. Selon moi, c'est aux parents eux-mêmes d'organiser leur propre retour, et celui de leurs enfants, vers leur pays d'origine lorsqu'ils ne sont plus admis au séjour en Belgique. Ce n'est que s'ils refusent d'obtempérer aux ordres de quitter le territoire qui leur ont été délivrés qu'un éloignement sous contrainte peut être organisé.
À cet égard, partageant les mêmes préoccupations que vous, j'ai demandé qu'aucune décision d'éloignement relative à des familles avec des enfants scolarisés ne soit exécutée au cours du troisième trimestre de l'année scolaire et cela, pour permettre aux enfants concernés de terminer leur année.
M. Paul Galand (ECOLO). - Je ne vous demande évidemment pas de transgresser la loi. Cependant, un travail devra être réalisé en la matière. La politique d'immigration de l'Union européenne n'est pas tout à fait au point - je me réfère aux situations dramatiques que connaissent certaines familles. Selon moi, l'Europe n'assume pas toutes ses responsabilités dans ce domaine. Tant que certaines parties du monde connaîtront une telle pauvreté, les problèmes subsisteront. Il y aura toujours des ministres de l'Intérieur qui auront le coeur déchiré par ces situations - je sais que vous êtes sensible à cette question, monsieur le ministre et je partage votre préoccupation. Un effort doit être consenti car la situation ne fera qu'empirer si aucune solution n'est apportée au problème de la pauvreté et si l'on ne mène pas une politique plus active à l'échelle européenne en matière de prévention des conflits. Cette question relève également de la responsabilité du législateur.
Je me réjouis, monsieur le ministre, que vous ayez pris des mesures autres que l'éloignement pour le troisième trimestre de l'année scolaire. Cependant, dans ce cas, je ne comprendrais pas que les élèves concernés n'aillent pas en classe verte. Sur les autres pans de la politique en matière d'immigration, mon appréciation est mitigée.
M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Je remercie M. Galand d'avoir souligné que les ministres de l'Intérieur ont aussi du coeur. Leur tâche n'est pas toujours facile et vous devez savoir, monsieur Galand, que nous discutons souvent de ces problèmes au sein du Conseil européen. Un certain nombre de conditions doivent être remplies pour pouvoir pénétrer sur le territoire de l'Union. Le risque de persécution vis-à-vis de ceux qui nous ont demandé le bénéfice de l'asile ou toute autre protection, prime sur les autres considérations.
Par ailleurs, il convient de mener une réflexion sur le problème général de l'immigration. Comme vous le savez, nous avons réalisé d'importants efforts en la matière. A l'occasion de la présidence belge de l'Union européenne, j'ai moi-même organisé une grande conférence internationale à ce sujet.
J'ajoute que nous devons malheureusement continuer à mettre en oeuvre une politique répressive parce que 90% de ceux qui arrivent sur notre territoire, bien souvent manipulés par des trafiquants d'êtres humains, introduisent des demandes abusives. Leur désespoir doit être grand lorsqu'ils doivent affronter au bout du chemin une décision d'éloignement du territoire et de retour dans leur pays d'origine.
Je suis content de vous avoir pour allié en Belgique et je vous invite à tenir ce discours au secrétaire d'État à la Coopération au développement. Il est tout à fait convaincu que ceux qui viennent sur notre territoire ne sont pas des délinquants mais des personnes qui fuient des situations de conflit - avec les risques vitaux que cela implique pour eux - ou la misère et la pauvreté et sont à la recherche d'un peu plus de bonheur.
Nous pratiquons une politique exigeante et difficile mais il est aussi de notre devoir de mener une diplomatie active afin de réduire les causes de tension dans le monde et, par une politique probablement plus généreuse en matière de coopération au développement, d'essayer de réduire les inégalités de telle manière que chacun puisse rester dans son pays d'origine en y menant une vie décente. La semaine dernière, lors du sommet informel qui s'est tenu à Veria, nous avons discuté de tous ces problèmes. Nous avons insisté sur la nécessité d'une politique globale et sur l'importance de la coopération au développement.
M. Paul Galand (ECOLO). - Une petite précision : cinq de ces enfants sont du Kosovo et d'Albanie. Par conséquent, cela ne relève pas du budget de la Coopération, qui doit être réservé pour les pays du Sud.
M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Pourquoi devrions nous nous désintéresser de ceux qui fuient la misère à l'Est, à proximité de nos frontières extérieures ?
M. Paul Galand (ECOLO). - L'Europe devrait faire plus. Depuis Schengen, l'Europe se comporte en citadelle assiégée. Je pense que ce n'est pas la bonne voie. La dignité de l'Europe et sa grandeur future appellent une autre attitude.