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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 3 AVRIL 2003 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Jean Cornil au ministre de l'Intérieur sur «l'actuelle politique menée en matière de régularisation des sans-papiers» (nº 2-1300)

M. Jean Cornil (PS). - J'ai pris connaissance, monsieur le ministre, de votre circulaire du 19 février relative à l'article 9, alinéa 3, de la loi sur les étrangers, qui permet à l'administration de régulariser, en raison de circonstances exceptionnelles, les étrangers qui souhaiteraient obtenir un titre de séjour de plus de trois mois dans notre pays.

Cette circulaire importante était très attendue tant un certain nombre de critères de régularisation n'étaient pas jusqu'à présent suffisamment précisés. Malheureusement, le texte publié au Moniteur belge ne précise pas suffisamment ces critères sur lesquels vous souhaitez appuyer votre politique, et en particulier les décisions qui seront prises par l'Office des étrangers.

De plus, cette circulaire indique aux administrations communales de ne pas transmettre à l'Office des étrangers une demande de régularisation lorsqu'il apparaît que le demandeur ne réside pas effectivement dans la commune. Nous pouvons d'ailleurs nous interroger sur les fondements d'une telle modification des compétences communales par le biais d'une circulaire et non d'une loi.

Vous rappelez fort opportunément dans la circulaire que le séjour illégal constitue un délit et qu'un fonctionnaire communal a pour obligation de le dénoncer. On peut craindre qu'un tel rappel soit une forme de dissuasion à l'égard d'étrangers en séjour illégal dont certains n'ont d'autres solutions que de demander leur régularisation. Avec ce rappel, ne risquez-vous pas de les dissuader, par une pression psychologique, de demander l'accès à cette procédure ?

Quelle est votre approche de la situation des personnes qui ont noué des attaches durables en Belgique, des personnes qui ne peuvent retourner dans leur pays d'origine pour des motifs indépendants de leur volonté, des personnes dont la procédure d'asile entamée depuis plusieurs années est toujours en cours ?

Que pensez-vous de la suggestion qui consisterait à suivre la jurisprudence des différentes chambres de la commission de régularisation qui avaient été chargées de l'application de la loi du 22 décembre 1999 organisant l'opération de régularisation des sans-papiers et qui fut un succès dont je vous remercie.

J'aurais trouvé intéressant que votre circulaire puisse s'inspirer de cette jurisprudence accumulée au fil du temps.

M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Je vous confirme qu'à ma demande, l'Office des étrangers a élaboré et fait publier une nouvelle circulaire sur l'application de l'article 9, alinéa 3 de la loi du 15 décembre 1980 destinée à remplacer la première partie de la circulaire du 15 décembre 1998 relative au même objet.

La deuxième partie de cette circulaire a en effet déjà été abrogée par la circulaire du 6 janvier 2000 relative à la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation du séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du royaume.

J'ignorais vraiment que cette circulaire était tant attendue. Par contre, la déception dont, à première vue, vous faites preuve m'étonne.

J'ai en effet constaté, comme beaucoup, que l'article 9 alinéa 3 de la loi sur les étrangers est de plus en plus utilisé comme un recours gracieux quasi automatique notamment par les demandeurs d'asile déboutés. Un nombre considérable de demandes sont d'ailleurs introduites, ce qui confirme mon analyse.

Tout en reprenant le canevas de la circulaire précédente datant de 1998, il m'a paru nécessaire de rappeler quelques points essentiels qui sont quelquefois perdus de vue.

Évidemment, ce n'est pas à vous que je dois faire ce rappel parce que vous avez connaissance de ces points.

Premièrement, l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 n'est rien d'autre qu'une règle de procédure.

Deuxièmement, la preuve de l'identité est un des éléments capitaux pour toute demande de séjour.

Troisièmement, je rappelle les conséquences qu'une loi de plus de 22 ans attache au séjour illégal des étrangers en Belgique.

En ce qui concerne les tâches de l'administration communale, la nouvelle circulaire se borne à rappeler que le bourgmestre, ou son délégué, doivent, endéans les dix jours qui suivent l'introduction de la demande d'autorisation de séjour, faire procéder à un contrôle de la résidence effective du demandeur.

Cette règle n'est pas une nouveauté parce qu'elle est reprise de la circulaire du 15 décembre 1998 précitée, première partie, point 3. Cela n'a par ailleurs rien de choquant à mes yeux puisqu'il s'agit simplement de s'assurer que les demandes de séjour des étrangers incombent aux communes territorialement compétentes à leur égard et non à d'autres communes. Par ailleurs, il n'y a rien de surprenant à vouloir s'assurer qu'un demandeur de séjour possède bien une résidence effective en Belgique.

L'innovation apportée par la nouvelle circulaire consiste en la conséquence de la constatation que le demandeur ne réside pas sur le territoire de la commune. Et, sur ce point, il y a un véritable progrès pour l'étranger.

Alors que la circulaire du 15 décembre 1998 prévoit simplement qu'à la suite du contrôle de résidence, l'administration communale doit transmettre la demande sans délai à l'Office des étrangers, en mentionnant, le cas échéant, le fait que le demandeur ne réside pas au lieu de résidence indiqué, la nouvelle circulaire prévoit que, dans ce dernier cas, le bourgmestre, ou son délégué, refuseront de prendre la demande en considération, avec, pour conséquence, que celle-ci ne sera pas transmise à l'Office des étrangers et indiquera expressément au demandeur qu'il doit introduire sa demande auprès du bourgmestre de la commune de sa résidence effective.

Cette nouvelle disposition n'est en réalité qu'une formalisation de la condition prévue par l'article 9, alinéa 3, de la loi : l'autorisation de séjour doit être demandée par l'étranger auprès du bourgmestre de la localité où il séjourne. Il ne s'agit donc pas d'une extension du rôle des administrations communales mais de la solution au problème de l'introduction, par un étranger, d'une demande d'autorisation de séjour auprès du bourgmestre d'une commune dans laquelle il ne réside pas. Ce faisant, je n'ajoute ni ne retranche quoi que ce soit à la loi.

Quant au rappel des conséquences du séjour illégal, il n'a pas pour objectif de menacer les étrangers qui se trouvent dans cette situation mais d'éclairer les personnes qui utilisent toutes les ficelles pour rester sur le territoire belge, sur des aspects moins plaisants - mais nécessaires - de la loi sur les étrangers.

La loi s'applique à toute personne qui se trouve sur notre territoire, et il est bon de rappeler à chacun les conséquences de la violation de la loi que certains pourraient encore ignorer.

Vous m'interrogez sur la politique de régularisation que je compte mener et les objectifs que je fixe à l'actuelle politique de régularisation. Mais vous savez très bien, pour avoir largement contribué au succès de cette opération - et je vous en remercie - que le seul texte législatif traitant de régularisation est la loi du 22 décembre 1999 traitant de la régularisation de certaines catégories d'étrangers.

Cette opération qui était très clairement une opération « one shot » est terminée. Les circonstances nous ayant contraints à l'époque à devoir mener cette campagne de régularisation ont très largement disparu : l'examen des demandes d'asile s'est accéléré de manière drastique et les éloignements des illégaux, à peu près en panne lorsque je suis arrivé aux affaires, sont effectués en grand nombre.

Ils n'ont jamais été aussi nombreux que ces derniers mois. Il n'est donc plus nécessaire de prévoir une nouvelle opération de régularisation, ce qui demanderait une nouvelle loi, soit un projet gouvernemental, soit une proposition de loi, puisque vous êtes candidat aux prochaines élections. Le parlement issu des élections devra se prononcer.

À coté de cela, vous savez que ce gouvernement a pris certaines mesures pour octroyer un séjour aux personnes qui ne peuvent regagner leur pays d'origine pour des raison indépendantes de leur volonté dès lors qu'elles bénéficient d'une clause de non-reconduite du Commissariat général aux réfugiés et apatrides.

Cela dans l'attente de l'adoption, par le Conseil de l'Union, d'une directive créant un véritable régime de protection subsidiaire, à ne pas confondre avec le régime de protection temporaire qui est déjà consacré par la loi. Vous savez aussi que la loi de protection temporaire, en cas d'afflux massifs de personnes déplacées, a été votée tout récemment.

Et si certains cas, réellement humanitaires, méritent une attention particulière, les personnes concernées et celles qui agissent à leurs côtés peuvent toujours les soumettre à l'Office des étrangers qui analysera, au cas par cas, l'aide qui peut être apportée à ces personnes.

Vous savez - puisque vous avez attiré mon attention sur un certain nombre de cas dignes d'intérêt - que, pour ma part, j'y suis toujours attentif. Il n'est toutefois pas question d'établir de nouvelles catégories fondées sur la jurisprudence des commissions de régularisation, comme s'il existait une loi permettant de fonder cette pratique, ce qui n'est pas le cas.

Dans tous les dossiers où un effort doit être fait, vous savez que, tant mon administration que moi-même, nous le faisons.