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De heer Marcel Colla (SP.A), corapporteur. - Ik weet niet of het vertaalbaar is, maar ik sta hier in een geestesgesteldheid die pissig is. Ik heb begrip voor de gefundeerde kritiek op de onderzoekscommissie, voor degenen die de sterke punten in het rapport benadrukken en ook voor degenen die de leemten beklemtonen.
Ik kan echter geen begrip opbrengen voor een Hoge Vergadering die voor zulk belangrijk onderwerp een plenaire vergadering organiseert op vrijdag om 14 uur. Dat bewijst immers dat men in het achterhoofd heeft dat een verplicht nummertje moet worden opgevoerd en dat het belang ervan nihil is. Ik vind dat onaanvaardbaar namens alle medewerkers, senatoren en experts die veel tijd in de onderzoekscommissie hebben gestoken.
Ofwel worden we verondersteld om vier uur alles te hebben afgehaspeld, ofwel moeten we de vergadering onderbreken omdat zeven van de negen leden van de commissie Deelname aan buitenlandse missies - waartoe ook de voorzitter, een ondervoorzitter, de twee rapporteurs en nog twee andere leden van de onderzoekscommissie behoren -, verondersteld worden genoemde commissie bij te wonen om een onderwerp te bespreken dat niets met missies te maken heeft!
Als ik in de toekomst nog over nieuwe politieke cultuur hoor spreken, zal ik aan vanmiddag denken en in een schaterlach uitbarsten. Als ik in de toekomst zal luisteren naar debatten over de zin van de Senaat, zal ik ook aan vanmiddag denken en evenzeer in een schaterlach uitbarsten.
Ik zal misschien mijn persoonlijke mening over de enquêtecommissie en haar besluiten naar voren brengen. Misschien, want ik heb geen zin om te pauzeren tussen 4 en 6 en daarna voor een helemaal lege zaal te komen spreken. Nochtans zou dat waarschijnlijk mijn laatste interventie zijn als parlementslid na 24 jaar Parlement.
In die context zal mijn verslag als rapporteur bijzonder beknopt zijn. Het verslag heeft sterke en zwakke punten, bevat een heel pak vaststellingen en aanbevelingen, onderverdeeld in verschillende hoofdstukken. Gelet op de belangstelling ben ik ervan overtuigd dat iedereen het verslag uit het hoofd kent. Als rapporteur kan ik me dan ook tevreden stellen met te verwijzen naar het verslag! (Algemeen applaus)
M. Georges Dallemagne (CDH), corapporteur. - Je voudrais à mon tour protester, comme vient de le faire mon collègue M. Colla, contre la façon dont cette matière, pourtant extrêmement importante et vis-à-vis de laquelle nous avons pris des responsabilités graves est débattue aujourd'hui. Je rappelle que notre commission d'enquête parlementaire est la seule à avoir été initiée et menée à son terme au cours de cette législature par le Sénat. Je rappelle la gravité de la situation dans la région des Grands Lacs et je ne peux que protester contre le fait que certains groupes politiques considèrent que ce débat est sans intérêt ni importance.
Certains groupes politiques sont absents, notamment le MR et Écolo. J'entends souvent ce dernier dire son intérêt pour le développement durable et pour les populations connaissant des situations de conflits, la misère et la pauvreté. Je regrette aujourd'hui que ce débat soit mené en l'absence de certains groupes politiques importants.
Je regrette aussi que l'on ait jugé utile et intéressant de mener ce débat un vendredi après-midi, alors que de nombreux parlementaires sont absents, et que l'on ait prévu une réunion importante cet après-midi également.
Comme mon collègue, je refuse de lire pendant des heures et devant une salle vide un rapport long et important, qui concerne toute une série d'informations parfois essentielles, parfois lacunaires ou encore inégales. Comme M. Colla, je me référerai au rapport écrit.
Je poursuivrai néanmoins avec des considérations plus personnelles qui me permettront de passer en revue les éléments du rapport qui me paraissent intéressants et importants ou insuffisants, voire contraires à la vérité.
Je suis heureux et il faut se féliciter que ce travail ait pu avoir lieu. À travers cette commission d'enquête parlementaire, le Sénat belge a montré son intérêt pour une guerre cruelle, pour une situation qui était et reste largement occultée, oubliée par la communauté internationale, pour la crise probablement la plus importante, avec le génocide au Rwanda, que l'Afrique ait connue depuis des décennies et pour une crise dont le nombre de victimes se compte par millions.
Je pense qu'il faut saluer l'initiative du Sénat de s'être penché sur un problème qui paraissait a priori lointain. Il faut également se réjouir d'une certaine forme de reconnaissance de l'implication de la Belgique ou de certaines entreprises belges dans ce conflit. L'intitulé de notre commission d'enquête le dit : « Au vu de l'implication de la Belgique. » Cette reconnaissance d'une certaine forme de responsabilité et d'implication, en tout cas de certains opérateurs belges, était a priori un signal bienvenu.
Je pense qu'il faut aussi se féliciter du travail qui a été accompli au cours de 70 auditions, de 15 mois de travail, de novembre 2001 à mars 2003, au cours d'une mission d'information et de travaux d'experts. Ces derniers ont aidé notre commission à se forger une opinion et à améliorer notre information concernant l'exploitation des richesses naturelles du Congo.
Je pense que le rapport que nous présentons constitue une mine d'informations, d'analyses, de constats parfois très durs sur la situation dans la région des Grands Lacs, sur les causes, les origines, les conséquences, les responsables de la situation tragique dans laquelle se trouvent les pays de la région.
Il faut aussi se féliciter que certaines des recommandations et des constatations sont clairement énoncées et que certaines d'entre elles devraient permettre de dégager des responsabilités, mais aussi des propositions d'actions.
Je pense, notamment, au fait de la reconnaissance de l'importance du rapport des Nations unies. Cela n'a pas été acquis facilement. Nous avons eu des discussions difficiles à ce sujet, mais je pense que le résultat est là et qu'il faut effectivement continuer à souligner l'importance de ces rapports des Nations unies dans la mesure où ils ont permis de démonter la manière dont le pillage des ressources naturelles du Congo et de la région des Grands lacs s'effectuait, les liens avec la guerre, avec les entreprises et avec des réseaux d'élite. Ces réseaux à la fois politiques, militaires et économiques, nationaux et internationaux.
Cet exercice a été pris par la population congolaise comme étant, enfin, le premier signal fort et net de la communauté internationale de l'attention que méritait la situation dans la région des Grands lacs. En conséquence, des sanctions pourraient être prises à l'égard de certains responsables des pillages des ressources naturelles.
Le deuxième élément important de ce rapport me semble être la responsabilité primordiale des autorités et de l'État des pays de la région, ainsi que de l'État congolais, dans la situation actuelle de son pays.
Il faut reconnaître que les autorités de ces pays, notamment celles du Congo, ont été incapables non seulement de faire respecter les lois de leur pays, mais de les respecter eux-mêmes pendant des décennies et d'être au service du bien commun. Elles ont souvent été les premiers prédateurs de l'économie de la Nation congolaise et du peuple congolais.
Cette situation - nous l'avons souligné - a été le ferment, dans bien des cas, de la déstabilisation de la situation. Elle a été le prétexte invoqué par des puissances voisines du Congo pour envahir et occuper ce pays.
J'espère que les autorités actuelles du Congo prendront connaissance de la totalité de ce rapport et qu'elles pourront s'en inspirer pour mener leur politique à l'avenir.
Je fais notamment référence au point 2.4 des Constatations et Recommandations du rapport de la commission. Je le cite : « Le harcèlement fiscal, l'insécurité juridique et bureaucratique, la multiplication de commissions secrètes découragent toutes activités, tous services ou toutes entreprises qui contribuent au développement du pays ».
Le troisième point qui me semble intéressant dans ce rapport c'est le fait que la commission souligne la gravité de la situation humanitaire. Cela me semble aller de soi, mais le point 6 des constatations générales me paraît particulièrement net et clair sur l'ampleur des violations des droits de l'homme, sur le lien entre l'exploitation des ressources naturelles, la guerre et la gravité exceptionnelle de la situation humanitaire. Aujourd'hui, nulle part dans le monde le taux de mortalité n'atteint celui enregistré en République démocratique du Congo. Dans certains villages situés le long de la ligne de front, ce ne sont pas moins d'un quart des enfants et de 10% de la population générale qui meurent chaque année.
Un élément important me semble être la recommandation 2.11 traitant de l'impunité. Je vous la cite : « La commission considère que l'impunité qui prévaut aujourd'hui en matière de violation des droits de l'homme est de nature à prolonger et à aggraver cette violation. La commission demande au gouvernement belge d'agir avec diligence auprès des partis responsables de cette violation et auprès des instances internationales compétentes, en ce compris la Cour pénale internationale, pour mettre fin à ces violations et pour que des poursuites soient engagées à l'encontre des auteurs de ces crimes. »
C'est une recommandation très forte. Nous y avons beaucoup travaillé. Nous avons eu des discussions intenses à ce sujet et je me félicite que, finalement, cette recommandation paraisse dans notre rapport.
À une époque où l'Europe estime, à juste titre, qu'il existe d'autres moyens que la guerre pour arrêter les tyrannies, alors que la guerre se poursuit depuis plus de quatre ans au Congo, que les armées ougandaises, rwandaises et burundaises viennent à nouveau de franchir les frontières de la République Démocratique du Congo et que les massacres dans l'est du Congo, plus particulièrement dans la région de l'Ituri, ont atteint un niveau de barbarie insupportable, il est grand temps que la justice des pays de la région et la justice internationale poursuivent et sanctionnent les responsables de ces crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Afin de mettre en oeuvre le point 11 de nos constatations générales, j'ai déposé, voici quelques semaines, une proposition de résolution demandant au gouvernement belge de saisir la Cour pénale internationale, comme le prévoit le Traité de Rome. Je n'ai malheureusement pas été suivi et cette proposition a été rejetée par la majorité, à l'exception notable de M. Colla que je remercie pour son soutien.
Beaucoup m'ont dit que ma proposition était bonne, intéressante, utile, et qu'elle mettait l'accent sur des points importants mais qu'elle venait trop tôt. Pour ma part, je ne le crois pas. Il me semble, au contraire, qu'il est déjà bien tard et que la question de l'impunité est aujourd'hui au centre de la résolution du conflit en République Démocratique du Congo.
Beaucoup d'instruments ont été mis en oeuvre et la diplomatie belge n'a pas été en reste pour tenter de trouver des solutions au conflit dans la région des Grands Lacs mais il faut reconnaître que la situation continue à s'aggraver. Les bruits de bottes sont là, plus que jamais, même assourdis par la guerre en Irak.
Nous disposons enfin d'instruments de justice internationale pour agir. Le procureur général vient d'être nommé à La Haye et nous disposons également d'une Cour pénale internationale pleinement opérationnelle, qui nous permet de ne pas utiliser la loi de compétence universelle belge, aujourd'hui tellement décriée, et d'utiliser cet instrument international que nous avions tous appelé de nos voeux et dont nous nous félicitions.
La Belgique a été l'un des pays fondateurs de cette justice internationale qui nous permet enfin d'exercer ce fameux droit d'ingérence, considéré comme tellement important, pour ne pas laisser se poursuivre les massacres, les hécatombes.
Aujourd'hui, nous avons la possibilité de saisir la Cour pénale internationale. Je plaide pour que nous revenions sur notre décision de ne pas utiliser cette possibilité, d'ailleurs clairement exprimée dans notre rapport. Je regrette que nous n'ayons pas osé franchir ce pas.
Enfin, je voudrais souligner les points 6.9 et 6.10 des constatations générales, particulièrement clairs et nets selon moi, et qui concernent la situation humanitaire.
Lors de nos travaux, nous n'avons pas pleinement atteint, loin s'en faut, les objectifs affichés dès le départ ni rempli les responsabilités qui étaient les nôtres.
Il faut notamment déplorer le timing. Je rappelle que j'ai déposé une demande de commission d'enquête parlementaire le 28 juin 2000. En 2000, le conflit durait déjà depuis deux ans. À l'époque, il apparaissait déjà clairement que les causes du conflit ne relevaient pas vraiment de problèmes de sécurité aux frontières mais étaient principalement liées à l'exploitation des ressources naturelles du Congo. Il y avait un rapport évident entre la poursuite du conflit et l'existence d'intérêts économiques nationaux et internationaux.
La part de responsabilité de la Belgique méritait d'être examinée quant à la persistance de ce conflit, certains opérateurs économiques n'hésitant pas à intensifier l'exploitation et le commerce du coltan, associés à des prix qui flambaient littéralement.
Il a fallu attendre un an entre le dépôt de cette demande d'enquête parlementaire et le vote au Sénat. Il a donc fallu attendre trois ans après le démarrage de la guerre. Cette commission est née au lendemain de la publication du premier rapport des Nations unies. Il a fallu attendre également cinq mois entre l'installation de la commission d'enquête et le démarrage effectif des auditions. Au terme de nos travaux, nous avons dû, pour des raisons qui peuvent, dans certains cas, être tout à fait cohérentes et légitimes, discuter de nos constats et de nos recommandations à la veille de l'échéance électorale du 18 mai, ce qui ne nous a pas permis d'avoir des échanges dénués de considérations liées à l'agenda politique.
Ce timing malheureux a été à l'origine de conclusions et de recommandations qui n'ont pas toujours été aussi tenaces et aussi courageuses que ce que nous avions espéré.
J'en viens à présent à la méthodologie de notre commission d'enquête parlementaire. Nous avons consacré beaucoup de temps à l'organisation des travaux, à la définition de nos objectifs. Nous avons longuement discuté de la manière d'utiliser certaines informations recueillies lors d'auditions à huis clos.
Dans certains paragraphes de notre rapport, les experts indiquent d'ailleurs qu'ils n'ont pas pu ou pas voulu utiliser certaines des informations recueillies à huis clos. Nous avons eu recours trop tardivement, en novembre 2002 seulement, à un spécialiste de la procédure pénale. Les auditions se sont donc parfois déroulées dans des conditions étonnantes, avec de nombreux avocats, notamment l'audition de M. Forrest.
Pendant longtemps, nous n'avons eu qu'une idée assez floue de ce que nous pouvions faire ou ne pas faire en tant que commission d'enquête parlementaire. Nous n'avons pas suffisamment utilisé nos prérogatives. Nous nous sommes trop souvent contentés d'auditionner des personnes qui, évidemment, niaient tout comportement délictueux, sans approfondir leurs argumentations.
Parfois, cela a donné l'impression que les accusations contenues dans le rapport des Nations unies n'étaient pas fondées faute de pouvoir les corroborer, ce qui soulève des questions à propos de l'intérêt des commissions d'enquête et de la manière dont elles doivent être menées.
Je regrette également un manque d'intérêt flagrant - et c'est un euphémisme - de la part du gouvernement. Nous avons, me semble-t-il, été régulièrement boycottés. Il a fallu se fâcher. Notre président a dû dire et répéter qu'il souhaitait avoir accès à certaines informations, lesquelles n'ont été communiquées qu'au compte-gouttes et très tardivement.
Je regrette notamment que nous ne disposions toujours pas d'un code de bonne conduite concernant les entreprises belges installées dans la région des Grands Lacs. Un tel code nous paraissait utile, mais nous avons renoncé à nous y atteler, forts de la promesse faite par le gouvernement de confier cette tâche à un groupe de travail. Or, ce code n'existe toujours pas.
De deux choses l'une, soit le gouvernement n'a pas jugé ce travail suffisamment important, soit - et ce serait pire encore - il n'a pas souhaité la publication d'un code de bonne conduite relatif aux activités de nos entreprises dans la région des Grands Lacs et, de façon plus générale, dans des pays en guerre ou caractérisés par la disparition de l'État de droit.
Un autre élément me paraît regrettable : la méfiance suscitée par le rapport des experts des Nations unies. Certaines critiques me semblent fondées. Nous devrions, par exemple, pouvoir disposer de certaines informations et mieux connaître la position des personnes mises en cause, mais il faut être de bon compte et reconnaître que ce rapport pose les problèmes de manière claire et nette.
Notre pays détient le triste privilège - reconnaissons-le - d'être le seul État, en dehors de l'Afrique, dont certaines entreprises - cinq au total - font l'objet d'une annexe recommandant la prise de sanctions à leur encontre. Les Nations unies estiment en effet qu'elles ont eu un comportement inadéquat en rapport avec la situation locale, avec le droit international et avec les recommandations de l'OCDE. Il serait un peu curieux que nous considérerions que ce rapport est valable, sauf en ce qui concerne les informations relatives aux entreprises belges.
Le rapport présente toutefois plusieurs lacunes. Je regrette, tout d'abord, de ne pas y trouver des indications plus claires et plus précises quant au rôle joué par certaines entreprises belges dans le financement de la guerre ou aux implications qu'a eues le conflit congolais sur leurs activités économiques.
Loin de moi l'idée que la Belgique a joué un rôle central, loin de moi l'idée que notre pays ou les entreprises belges ont été au centre du système de pillage qui a prévalu au Congo. Les responsabilités se trouvent surtout, je le répète, à l'échelon local, sur les plans politique, militaire et économique. Mais il ne faut pas nier non plus que grâce à l'exportation, à la commercialisation et à la transformation de certains produits, notamment par des entreprises belges, certaines d'entre elles ont pu, par le biais de la fiscalité et de systèmes de dessous-de-table, contribuer au prolongement et à l'aggravation de la guerre.
À l'égard de la responsabilité de certaines entreprises - et notre rapport souligne qu'il faudra poursuivre les investigations, les évaluations, et prévoir des travaux complémentaires lors de la prochaine législature - il eût été intéressant qu'en attendant des informations complémentaires, le gouvernement propose une suspension de leurs activités, au moins dans cette région.
J'en viens au problème du Katanga et notamment à la question, souvent évoquée, des activités de M. Forrest. Il y avait évidemment d'autres acteurs ; plusieurs problèmes ont été relevés au Katanga.
Pour ce qui est des activités autour du terril de Lubumbashi et du projet Luiswishi, je me félicite qu'après d'âpres discussions, la commission ait admis qu'il y avait à tout le moins présomption de conflit d'intérêts, par le fait que M. Forrest occupait à la fois la présidence de son groupe et celle du groupe de la Gécamines, lorsque ces projets étaient mis en oeuvre. M. Forrest continue à affirmer qu'il a dit toute la vérité à la commission. Il vient d'ailleurs de faire paraître de grands encarts publicitaires dans deux journaux, l'un néerlandophone et l'autre francophone, pour clamer qu'il n'avait pas menti à la commission.
Pour ma part, je prétends toujours que M. Forrest n'a pas dit la vérité. La commission, dans son ensemble, a d'ailleurs montré qu'au moins un protocole d'accord important était problématique. En outre, je reçois encore d'autres documents, notamment sur le projet STL et GTL, sur des avenants importants qui concernent ces projets...
M. Jacky Morael (ECOLO). - Monsieur Dallemagne, vous avez le droit d'exprimer des opinions, mais pas au nom de l'ensemble de la commission. Ce que vous venez de dire n'est pas exact. Par ailleurs, si vous recevez des documents, je vous demande de nous les transmettre.
M. Georges Dallemagne (CDH). - Je ne suis pas ici en tant que rapporteur, monsieur Morael. Vous n'avez pas entendu le début de mon intervention. Je m'exprime au nom de mon groupe.
M. Jacky Morael (ECOLO). - Excusez-moi.
M. Georges Dallemagne (CDH). - Effectivement, un protocole d'accord important, du 4 juin 2001, a changé fondamentalement un projet, sur les plans de l'équilibre et de l'économie. Les implications sont importantes pour la suite de ce projet signé le 4 juin 2001, alors que M. Forrest était encore à la tête de son groupe.
Je continue à recevoir des documents et je vous les transmettrai bien volontiers, monsieur Morael. Je dis simplement que nos travaux sont terminés et j'espère que ces documents seront portés à la connaissance du groupe de suivi, lors de la prochaine législature.
J'en ai par exemple un, daté du 30 juillet 1998, qui émane du cabinet de la présidence de la république, signé par le directeur de cabinet, M. Yerodia Abdulai. Ce courrier dit faire suite à une lettre du 7 juillet 1998 adressée au président de la république, par M. Forrest. Ce document indique que les fonds du projet Luiswishi pourront être consacrés aux travaux d'intérêt général, aux grands travaux publics gérés par l'entreprise EGMF. Cela donne à penser - mais j'attends que M. Forrest nous donne copie de la lettre du 7 juillet 1998 - que ces travaux ont bien été inspirés par le groupe de M. Forrest, conformément à ce que plusieurs personnes ont indiqué au cours de nos auditions.
Je continue à penser que dans le cadre de ces projets-là ont été posés des actes contraires à la conduite normale des affaires, à une gestion correcte, y compris en situation instable.
Dans la fameuse affaire du germanium qui a défrayé la chronique voici quelques mois, il est curieux de voir que le contrat STL-GTL ne fait pas mention de ce métal alors que l'on savait qu'il était présent en grandes quantités dans le terril de Lubumbashi. Et l'on sait, par ailleurs, qu'en vertu du droit international, étant donné que ce métal ne fait pas l'objet du contrat, les revenus liés à l'extraction et à l'exploitation de ce germanium doivent revenir au gouvernement et à l'État congolais. Aujourd'hui, on en est loin, puisque les partenaires du projet proposent que 5% seulement de ces revenus reviennent à la Gécamines. Ce problème n'est toujours pas tranché.
Mme Marie-José Laloy (PS). - Un accord a été signé.
M. Georges Dallemagne (CDH). - Cet accord qui a été signé omet un élément important, à savoir que le droit international prévoit que dans le cas où l'on ne parle pas de l'extraction d'un métal important, comme c'est le cas ici pour le germanium, tous les revenus liés à son exploitation et à sa commercialisation reviennent à l'État congolais. C'est vrai qu'un protocole d'accord qui présente des lacunes a été signé, mais il n'empêche pas les partenaires de référer à ce qui devrait être...
Mme Marie-José Laloy (PS). - C'est au partenaire cosignataire à prendre les choses en main.
M. Georges Dallemagne (CDH). - Oui, mais nous sommes ici pour faire des constats. Nous regrettons en l'occurrence la faiblesse du partenaire Gécamines et le fait qu'il soit incapable de faire prévaloir le droit.
Je ne peux pas non plus être d'accord avec les points 2.9 et 2.10 de notre rapport, notamment avec ce qu'il dit à propos de la décision du Ducroire concernant les projets STL-GTL.
Je continue à penser que la décision de garantie du Ducroire est difficilement compréhensible et tout à fait étonnante, et ce n'est pas M. Boutmans qui me contredira à ce sujet-là. Le Congo était un pays off cover, pour lequel une décision comme celle-là n'aurait pas dû être prise. Il n'y a pas de précédent comparable. C'est vrai que l'on a invoqué la Thaïlande mais la situation de ce pays ne ressemble en rien à celle du Congo. On a invoqué à ce sujet-là le fait que l'on avait une couverture du risque politique mais pas du risque commercial. Donc, il n'y a pas de précédent comparable.
Il y a eu de vives oppositions, notamment de la part du secrétaire d'État à la Coopération au développement, qui a indiqué à quel point il trouvait que cette décision était inopportune et qu'elle ne devait donc pas être prise. Il y a eu des oppositions au sein de l'administration du Ducroire. Toute une série de personnes se sont donc exprimées en dénonçant une décision éventuellement positive. Le dossier a évolué, il a été tordu de manière à être présentable pour entrer plus facilement dans le cadre d'une éventuelle décision positive. Il y a eu des interventions politiques. Je n'ai jamais parlé de pressions mais il y a eu des interventions. Et puis, il y a eu des couvertures de risques dont certains étaient déjà en partie éteints.
Donc, cette décision continue à être étonnante et je ne peux accepter que dans notre rapport, on estime que de ce point de vue là, il n'y a pas de problème et que cette décision est en accord total avec la politique de la Belgique en RDC. Quelle politique ? Celle de M. Michel ou celle de M. Boutmans ?
Pour ce qui est de la partie relative aux diamants, mon intervention sera moins longue et je laisserai le soin à M. Colla, qui a beaucoup travaillé sur ce point, de nous faire part de ses commentaires à cet égard. Je dirai simplement que l'on peut se féliciter de la performance de notre système. On peut partager l'idée que des responsables du Conseil supérieur du diamant et des responsables du gouvernement belge ont tenté d'améliorer notre système et de faire en sorte qu'il soit plus performant. On peut les comprendre, étant donné les accusations extrêmement graves qui pèsent sur certains commerçants de la place d'Anvers. Ces accusations sont parmi les plus graves contenues dans le rapport du panel des Nations unies : blanchiment d'argent, financement du terrorisme international, trafic...
(Voorzitter: de heer Armand De Decker.)
En tout cas, des initiatives ont été prises. Nous sommes cependant loin d'avoir un système totalement opérationnel qui permette d'éviter que le diamant de la guerre, le diamant du pillage n'arrive sur la place d'Anvers.
Je pense, au contraire, que l'on a pu montrer que des diamants continuaient à arriver en Belgique et que le système de traçabilité qu'on nous avait décrit n'était pas fiable. Souvenez-vous : on nous avait dit que l'on prenait des photos des diamants à Kinshasa, grâce à l'appui technique du Conseil supérieur du diamant, que ces diamants étaient mis sous enveloppe et que ces dernières étaient ouvertes à Anvers où l'on vérifiait s'il s'agissait des mêmes lots. Notre ambassadeur lui-même était persuadé que le système fonctionnait tel qu'il nous avait été décrit en commission.
Lorsque nous sommes allés sur place, auprès de l'organisme gouvernemental congolais qui assurait le système de certification des diamants, nous nous sommes rendu compte que cela ne fonctionnait pas de cette manière. En fait, on prend la photo de l'enveloppe et du certificat, mais pas des diamants ! On dit qu'il s'agit d'un système numérique et que les donnés sont codées, on utilise un vocabulaire qui impressionne et un code secret de cryptage qui permet d'éviter que des tiers aient accès à l'information, mais en réalité, on ne voit pas les lots de diamants.
Comment voulez-vous, dans ces conditions, que l'on puisse utiliser une méthode de traçabilité cohérente face à un système qui ne fonctionne pas de la manière dont il est décrit ?
De plus, il faut absolument se pencher d'urgence et avec toute l'énergie nécessaire sur les entreprises citées dans le rapport des Nations unies - comme d'autres commissaires, je n'ai pas du tout été convaincu par les auditions de leurs responsables -, afin que l'on connaisse la vérité au sujet de leurs activités et que l'on puisse définitivement tirer au clair les accusations dont elles font l'objet dans le cadre du rapport précité.
Ainsi, la question du contrôle plus systématique des douanes est une question extrêmement importante. On se rend compte à quel point ce contrôle est difficile et lacunaire aujourd'hui. Il suffit de voir la difficulté qu'il y a à savoir quelle fut l'importance, en termes monétaires, du casse du siècle qui eut lieu à Anvers voici quelques semaines. On se rend compte qu'il s'agit d'un marché qui est encore largement « gris » et où la transparence n'est pas encore de mise.
Dans le domaine du diamant, nous aurions dû demander un embargo sur les diamants exportés à partir de Kisangani, de l'est du Congo. Je me souviens que le Conseil supérieur du diamant, auquel j'avais fait cette proposition, n'y était pas a priori opposé. Les diamants arrivant à Anvers représentent finalement un chiffre d'affaires assez restreint. C'eut été un signal clair, sur le plan tant éthique que politique.
Je pense également qu'il y a lieu de s'interroger sur la manière dont la MIBA conduit ses affaires, sur l'implication d'Umicore dans la MIBA, sachant qu'Umicore détient encore 20% des actions de cette dernière. Nous sommes en possession de certains documents troublants concernant les liens pouvant exister entre les diamants de la MIBA, le financement d'armes de guerre et certaines banques, notamment belges. Ces faits sont suffisamment inquiétants pour qu'ils méritent une attention soutenue de la part de notre gouvernement.
Pour ce qui est de l'or, je tiens à vous faire part de mon étonnement de constater que, pendant quatre ans, M. Panju a pu, tous les quinze jours, passer la frontière belge avec un sac de sport en bandoulière dans lequel se trouvaient 25 kilos d'or, si ma mémoire est bonne. Venant de Kigali, il est passé par les contrôles aux rayons X à l'aéroport et les contrôles à l'entrée de l'avion, sans que la compagnie nationale qui l'embarquait - la Sabena à l'époque mais d'autres compagnies maintenant - ait jamais rien décelé, sans que les douanes rwandaises aient jamais rien trouvé.
Et il s'est présenté à Zaventem avec son sac plein d'or sans que personne ne lui ait jamais rien dit. Cela suscite quand même des questions très sérieuses sur l'efficacité des contrôles, par les douanes, des personnes qui proviennent de pays en guerre. Or, on peut imaginer que, si elles font des allers et retours tous les quinze jours, ce n'est probablement pas pour rendre visite à leur famille.
La tragédie et l'hécatombe se poursuivent au Congo. Les bruits de bottes dans ce pays sont assourdis par la guerre en Irak. Et les victimes de la guerre dans l'Est du Congo font sans doute partie des victimes collatérales de la guerre en Irak. En effet, aujourd'hui, les situations telles que celles de l'Ituri sont occultées par ce qui se passe au Moyen-Orient.
C'est aussi pour cette raison que nos conclusions doivent être fortes et claires. Il faut essayer d'arrêter le bain de sang et de sauver des vies humaines. Certes, le rapport présente des qualités. Certes, le travail accompli est important. Certes, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Certes, ce rapport contient une mine d'informations et de propositions. Je ne veux pas l'occulter. Mais il présente trop de lacunes et trop de faiblesses. En outre, il contient quelques contre-vérités qui me semblent importantes.
Je suis prêt à me joindre aux personnes qui ont adopté ce rapport si l'on prend en considération certains des éléments que j'ai présentés en commission et qui permettent d'être plus concret. Je déposerai une motion en ce sens. J'y mentionnerai par exemple la coopération au développement. Il ne faut plus faire de la coopération bilatérale structurelle avec des pays qui occupent militairement d'autres pays et qui pillent les ressources naturelles de ceux-ci. C'est un geste important que nous pouvons faire.
Nous devons également agir dans le domaine du commerce. Cela n'aura peut-être aucune influence sur le conflit car d'autres filières se créeront et d'autres acheteurs feront leur apparition sur le marché. Mais nous pouvons décider que nous ne pouvons plus acheter de l'or, du coltan ou des diamants dans ces conditions ou dans certaines régions du pays.
Certains opérateurs belges réalisent un travail important et positif au Congo. Nous avons nous-mêmes rencontré certains opérateurs économiques qui font en sorte que, dans certains endroits, la population a malgré tout encore accès à certains biens de première nécessité. Mais il faut aussi ne plus tolérer que, sous la prétexte d'une guerre, sous le prétexte que d'autres agissent de la sorte, sous le prétexte que l'on sera remplacé, sous le prétexte qu'on ne peut pas faire autrement, on accepte progressivement des comportements qui, d'un point de vue commercial et économique, deviennent de plus en plus intolérables. Le gouvernement n'a pas établi de code de bonne conduite. Il est pourtant impérieux de pouvoir adopter celui-ci d'urgence.
M. Forrest nous dit par exemple que nous avons été trop loin et que nous n'avons pas entendu ses arguments. Il est même venu avec une attestation du procureur général de la République et nous a annoncé qu'il avait été blanchi de toute accusation. À cet égard, je voudrais lire un court extrait de la page 14 de notre rapport : « En ce qui concerne le registre institutionnel, l'on ne peut pas parler de trois pouvoirs indépendants au Congo : le gouvernement, le parlement et le pouvoir judiciaire sont inféodés au chef de l'État ou sont des « paravents ». Le pouvoir de décision revient au chef de l'État, mais les institutions existent. »
Je voudrais répondre à M. Forrest que ce n'est pas en faisant des interventions maladroites de ce genre qu'il me convaincra que la manière dont il opère aujourd'hui constitue la bonne façon de se conduire au Congo et que l'on ne peut agir d'une manière plus convaincante du point de vue éthique et réglementaire.
Il est évident que des opérateurs comme M. Forrest ont également un impact positif en République démocratique du Congo. Mais ils devraient pouvoir se conformer davantage aux règles élémentaires du droit commercial et du droit économique. Ils doivent mieux prendre en compte la situation tragique dans laquelle se trouve aujourd'hui le Congo.
M. Eddy Boutmans, secrétaire d'État à la Coopération au développement. - Je ne vais pas répondre à l'ensemble de l'intervention de M. Dallemagne. Cependant il s'est déclaré partisan de cesser toute coopération au développement directe avec le Rwanda, quoique ce ne soit pas, je crois, une recommandation contenue dans le rapport de la commission.
J'ai discuté de cette éventualité avec de nombreuses ONG. Bien que ce ne soit pas leur position, nous pourrions éventuellement prendre une décision dans ce sens. Mais je me suis toujours opposé à octroyer une aide financière directe au type de pays dont le Rwanda est un exemple. Vous savez que certains pays et la Commission européenne n'hésitent pas à le faire sans trop se préoccuper de ce qui est fait avec cet argent. Quant à nous, nous sommes extrêmement prudents et précis dans le choix des programmes que nous finançons au Rwanda. Nos programmes concernent d'ailleurs la santé et l'éducation mais aussi la participation à l'exercice de la Gacaca que je considère comme un élément fondamental de la reconstruction de la société rwandaise et comme un préalable à la contribution du Rwanda dans la pacification de la région. Je crois que cesser de travailler avec le Rwanda, directement ou indirectement, serait donner un mauvais signal.
Je conviens évidemment qu'il faut redoubler de prudence dans l'aide au développement accordée aux pays en conflit. Lors de la présidence belge de l'UE, nous avons convoqué une conférence où les problèmes posés par l'aide à apporter dans les régions en conflit ont été posés. La conclusion de cette conférence n'est pas celle que vous venez de tirer de votre analyse.
M. Georges Dallemagne (CDH). - Je partage l'essentiel de ce que vous venez de dire. Je crois aussi qu'il faut continuer la coopération mais par le truchement d'ONG nationales, internationales ou locales. Je vous félicite d'ailleurs d'éviter l'aide directe. Il faut cependant se poser la question de l'effet de toute aide structurelle provenant du budget de l'État dans des pays comme le Rwanda qui dépensent cinq à six fois le montant de notre coopération pour l'effort de guerre.
Or, à travers cet effort de guerre, le Rwanda contribue à l'exploitation du coltan. Nous connaissons le rôle joué par le Bureau Congo rwandais dans la manière dont le coltan est exploité.
Il y a là un problème majeur. Mais il est vrai qu'il est nécessaire aussi de continuer à assurer non seulement l'aide humanitaire mais aussi une aide à plus long terme, à la démocratisation par exemple.
Je crois pourtant que nous ne formulons pas de façon suffisamment claire dans nos critères de coopération les questions de bonne gouvernance et de démocratisation, ainsi que celle du poids du budget militaire.