2-1412/3 | 2-1412/3 |
11 MARS 2003
Procédure d'évocation
Avis à rendre à la commission
des Relations extérieures
et de la Défense
Le président du Sénat a invité la commission, en application de l'article 24 du règlement, à rendre un avis à la commission des Relations extérieures et de la Défense sur le projet de loi modifiant la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignements et de sécurité et l'article 259bis du Code pénal (doc. Sénat, nº 2-1412). La commission n'a pas été saisie d'amendements éventuels relatifs à ce projet de loi.
La commission de la Justice a discuté de ce projet lors de ses réunions des 11 et 26 février et 11 mars 2003.
M. Vandenberghe formule les remarques techniques suivantes concernant le projet de loi à l'examen :
« Article 2
Le libellé de l'article 2 (« pour des motifs de sécurité et de protection de nos troupes et de celles de nos alliés ») est inhabituel.
L'intervenant pense qu'il est préférable, par analogie avec l'article 11 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité, de rédiger la disposition comme suit : « pour des motifs de sécurité et de protection des forces armées belges et alliées ».
Dans le même sens, il faudrait remplacer les mots « nos ressortissants » par les mots « les ressortissants belges ».
Article 3
L'article 3 du projet vise à remplacer l'article 42 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité par la disposition suivante : « Les informations obtenues par les moyens visés à l'article 44, ainsi que les modalités mises en oeuvre pour les obtenir, sont classifiées au moins au niveau « secret » en application de la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité. »
Cet article n'est pas applicable. L'article 42 proposé renvoie aux « informations obtenues par les moyens visés à l'article 44 ». Cette dernière disposition précise : « L'article 259bis du Code pénal est complété par un § 5, rédigé comme suit : « § 5. Les dispositions du § 1er, 1º et 2º, ne s'appliquent pas à la captation, l'écoute, la prise de connaissance ou l'enregistrement, par le Service général du renseignement et de la sécurité des Forces armées, à des fins militaires, de radiocommunications militaires émises à l'étranger. »
Or l'article 2 du projet vise à remplacer l'article 259bis, § 5, du Code pénal. Il en résulte que l'article 44 de la loi est abrogé implicitement.
L'article 42 proposé est dès lors inapplicable. En effet, les informations ne seront plus obtenues par les moyens visés à l'article 44, mais par les moyens visés à l'article 2 du projet de loi. Si le texte n'est pas corrigé, ces informations ne seront pas classifiées au niveau « secret ».
L'article 42 proposé devrait donc renvoyer soit à l'article 2 du projet de loi, soit (ce qui paraît le plus simple) directement à l'article 259bis, § 5, du Code pénal.
Il serait par ailleurs souhaitable d'abroger explicitement l'article 44 de la loi du 30 novembre 1998 et renuméroter les articles 44bis et 44ter proposés aux articles 4 et 5 du projet. L'article 44bis devenant l'article 44 et l'article 44ter devenant l'article 44bis.
L'article 3 de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité prévoit en son texte l'abréviation du « Service général du renseignement et de la sécurité des Forces armées » en « Service général du renseignement et de la sécurité » dans ladite loi. Les articles 44bis et 44ter en projet (articles 4 et 5 du projet) doivent être adaptés en conséquence.
Article 4
L'article 44bis, 1º, alinéa 2, proposé (article 4 du projet) prévoit que le ministre de la Défense prend une décision dans les 10 jours ouvrables. Il n'est cependant pas précisé à partir de quand ce délai commence à courir.
La disposition proposée manque également de précision en ce qui concerne la décision que doit prendre le ministre. Celui-ci doit probablement décider s'il autorise les interceptions. Cela n'est cependant pas précisé dans le texte en projet.
En outre, la question se pose de savoir si le ministre doit prendre une décision concernant la totalité de la liste ou concernant chaque interception individuelle. Enfin, peut-il modifier la durée prévue pour chaque interception ? L'exposé des motifs et le texte du projet ne donnent aucune indication concrète à ce sujet.
L'article 44bis, 1º, alinéa 3, proposé précise : « Si le ministre de la Défense n'a pas pris de décision ou n'a pas transmis cette décision au Service général du renseignement et de la sécurité avant le 1er janvier, ce service peut entamer les interceptions prévues, sans préjudice de toute décision ultérieure du ministre de la Défense. »
Cette disposition suscite plusieurs questions.
A. Le Service général doit-il informer le Comité permanent de contrôle des services de renseignement lorsqu'il procède à des interceptions qui n'ont pas été expressément autorisées par le ministre ? Le projet est muet sur ce point.
Le projet de loi ne devrait-il pas stipuler que le Service général est tenu dans tous les cas de communiquer les interceptions entamées au Comité permanent, et ce, même si le ministre n'a pas encore pris de décision ? À défaut, le contrôle à exercer par le Comité s'avérera incomplet. En outre, le ministre pourrait facilement court-circuiter le Comité permanent : il suffirait qu'il ne prenne pas de décision.
B. Que se passe-t-il si le ministre autorise la liste d'interceptions prévues ?
Le Service général pourra sans doute entamer les interceptions. Toutefois, le texte du projet n'en dit rien. Il paraît utile que le projet stipule explicitement que tel est bien le cas.
C. Quand le Service général peut-il entamer les interceptions ? Dès la réception de l'autorisation du ministre ou à partir du 1er janvier ? Probablement à partir du 1er janvier, mais une fois de plus le projet manque de précision sur ce point.
D. Que se passe-t-il si le ministre a pris une décision négative sans la communiquer au Service général ? Dans ce cas, le Service pourra bel et bien entamer les interceptions prévues, « sans préjudice de toute décision ultérieure du ministre de la Défense ». Le Service pourra-t-il continuer les interceptions après la communication de la décision initiale du ministre ? Une lecture littérale du projet de loi le permet. En effet, le Service ne devra tenir compte que de « toute décision ultérieure ». Il paraît néanmoins utile de stipuler que le Service devra tenir compte de toute communication ultérieure.
L'article 44bis, 1º, alinéa 4, proposé suscite également plusieurs questions :
A. Si le ministre n'est pas d'accord avec une interception de communication effectuée par le service en dehors de la liste annuelle, il peut la faire cesser. Mais, que doit-il faire s'il est d'accord ? Le projet est muet sur ce point. Selon M. Vandenberghe, il faut en conclure que le ministre ne doit pas prendre de décision autorisant l'interception s'il est d'accord.
Or, seules les décisions du ministre sont communiquées au Comité permanent. Ceci a pour conséquence que le Comité permanent ne sera informé que du fait que le ministre a fait cesser une interception. Le Comité permanent ne sera pas informé des autres interceptions, parce qu'elles peuvent être continuées sans aucune intervention de la part du ministre.
L'intervenant constate que le texte du projet et l'exposé des motifs se contredisent. En effet, l'exposé des motifs prévoit que « l'approbation » du ministre doit également être sollicitée pour les interceptions non planifiées débutées dans les cas urgents (doc. Chambre, nº 50-2059/1 p. 7). Par contre, selon le texte du projet, il ne faut pas solliciter l'approbation du ministre. Le ministre peut « faire cesser » les interceptions.
B. La dernière phrase de l'alinéa 4 proposé précise que « la décision du ministre de la Défense est communiquée au Comité permanent de contrôle des services de renseignement comme défini à l'alinéa 2 du présent article ».
Or, l'article 44bis proposé n'a qu'un seul alinéa. Il semble plus correct de renvoyer à l'alinéa 2 du 1º.
Cependant, cette correction technique ne suffit pas à éclaircir ce texte. En ce qui concerne la communication de la décision au Comité permanent, l'alinéa 2 prévoit uniquement que le Service général transmet au Comité permanent la liste annuelle, pourvue de l'autorisation du ministre de la Défense.
Qu'est-ce que cela signifie pour la communication de la décision visée à l'alinéa 4 ? Faut-il en déduire que le Service général est chargé de faire cette communication ? Cela paraît bien être le cas. Mais est-ce que la référence à l'alinéa 2 signifie aussi que la décision doit être transmise avec la liste annuelle ? L'orateur ne le pense pas, mais, dans ce cas, la référence à l'alinéa 2 est imprécise. En outre, l'alinéa 2 concerne la communication de l'autorisation du ministre, tandis que l'alinéa 4 concerne la communication de l'interdiction. Peut-on déduire du renvoi à l'alinéa 2 que le ministre peut également autoriser les interceptions visées à l'alinéa 4 ?
Il est clair que la référence à l'alinéa 2 n'est pas de nature à clarifier les choses. Si la référence à l'alinéa 2 ne sert qu'à indiquer qu'il incombe au Service général d'informer le Comité permanent, il serait préférable de le préciser dans l'alinéa 4.
L'article 44bis, 3º, prévoit : « 3º Le contrôle postérieur aux interceptions s'effectue sur base du contrôle d'un journal de bord tenu d'une façon permanente sur le lieu d'interception par le Service général du renseignement et de la sécurité des Forces armées. Le Comité permanent de contrôle des services de renseignement a toujours accès à ce journal de bord. »
La loi ne devrait-elle pas prévoir quelles informations devraient en tout état de cause être inscrites dans le journal de bord ? Par exemple l'identité de l'organisation ou de l'institution concernée, la nature de la communication interceptée, la durée de l'interception, ... ».
M. Mahoux rappelle que le projet a pour objet de permettre, dans des conditions particulières, l'écoute de communications émises à l'étranger afin d'assurer la protection de nos troupes à l'étranger. Il constate que le projet prévoit des garanties juridiques contre les risques de dérapage lors de la collecte de renseignements à l'étranger. Quelle est la fiabilité de ces garanties en ce qui concerne la personne écoutée et en ce qui concerne la nature de ce qui est écouté ?
Pour l'orateur, l'article 259bis, § 5, proposé du Code pénal (article 2 du projet) instaure une exception à l'interdiction générale d'écoute afin de permettre la captation de toute forme de communications émises à l'étranger. Comment peut-on s'assurer que cette dernière condition sera respectée avec les moyens de communication modernes tels que les téléphones portables qui ne permettent pas de connaître, au moment de l'écoute, le lieu d'émission.
Le ministre de la Défense répond que l'interception des communications peut être abordée de deux manières : soit en se focalisant sur une personne, soit en se focalisant sur une région géographique. Le gouvernement a opté pour l'approche géographique car, conformément à une exigence européenne, la demande d'interception doit mentionner la personne ou la fonction visée. Or, celle-ci est en principe située à l'étranger puisque l'exception à l'interdiction générale d'interception a pour but d'assurer la sécurité de nos troupes et de nos alliés lors de missions à l'étranger ainsi que de nos ressortissants établis à l'étranger.
L'orateur reconnaît que le critère d'émission à partir de l'étranger n'offre pas la garantie absolue que le Service général du renseignement et de la sécurité des Forces armées (SGRS) n'interceptera jamais de communications émises à partir de la Belgique. Il prend l'exemple d'un Serbe qui serait surveillé par le SGRS dans le cadre de la KFOR. Si ce Serbe se rend en Belgique, il est possible que des communications émises par l'intéressé avec un téléphone portable à partir de la Belgique soient interceptées par le SGRS. Une telle situation devrait cependant rester tout à fait exceptionnelle. Selon l'orateur, dans 99,9 % des cas, la condition d'extranéité sera remplie.
Le ministre signale par ailleurs que les écoutes opérées en Belgique par le SGRS et la Sûreté de l'État, et les garanties qu'elles impliquent au niveau de la protection de la vie privée, seront réglées dans un projet de loi séparé qui n'est pas encore déposé au Parlement. Cette problématique est cependant différente de celle visée par le projet à l'examen qui a d'autres objectifs, à savoir la protection de nos troupes et de nos ressortissants à l'étranger.
M. Istasse demande des précisions concernant le journal de bord visé à l'article 44bis, 3º, proposé de la loi du 30 novembre 1988 organique des services de renseignement et de sécurité (article 4 du projet).
Le ministre de la Défense répond que le journal de bord mentionnera les mêmes données que celles figurant dans la demande d'écoute : la définition de la personne écoutée, de l'objet de l'écoute et la mission du SGRS à laquelle se rattâche l'écoute. Toutes ces informations sont indispensables si l'on veut permettre au Comité R de descendre, à tout moment, sur les lieux de l'écoute pour contrôler que les conditions légales sont remplies.
L'intervenant signale que des contacts sont en cours avec le Comité R en vue d'arrêter un protocole qui définira les éléments nécessaires pour permettre un contrôle effectif des écoutes par le Comité R, qui en fait rapport au Parlement. D'autre part, le projet permet au Comité R de faire arrêter immédiatement toute écoute qui serait pratiquée dans des conditions qui ne sont pas conformes à la loi.
M. Mahoux demande si le contrôle de légalité effectué par le Comité R est purement formel ou si un contrôle matériel du contenu des écoutes est autorisé.
Le ministre de la Défense répond que le Comité R n'a pas de pouvoir d'appréciation de l'opportunité des écoutes. Cette opportunité est laissée à l'appréciation du pouvoir exécutif, sous contrôle du pouvoir législatif. Cependant, le Comité R est autorisé à accéder aux données matérielles (notamment les enregistrements) afin d'effectuer un contrôle sur le fond de la légalité des écoutes. C'est la raison pour laquelle le projet prévoit que les informations récoltées dans le cadre des écoutes sont classifiées « secret « afin de garantir le respect de la confidentialité de ces données.
Mme Nyssens renvoie à l'avis assez critique rendu le 28 janvier 2002 par le Conseil d'État (doc. Chambre, nº 50-2059/1). Le texte actuel est-il fort différent de celui de l'avant-projet tel qu'il avait été soumis au Conseil d'État ?
Elle demande ensuite des précisions sur la conformité du projet de loi avec les principes du droit international, avec le respect de la vie privée et plus spécifiquement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Enfin, l'oratrice souhaite savoir si les informations récoltées dans le cadre des écoutes peuvent, le cas échéant, être communiquées aux autorités judiciaires et servir éventuellement d'élément de preuve.
Le ministre de la Défense répond que le texte de l'avant-projet qui se limitait à trois articles a été profondément remanié pour tenir compte de l'avis du Conseil d'État ainsi que de l'avis rendu par la Commission pour la protection de la vie privée.
En ce qui concerne la collaboration avec les autorités judiciaires, l'intervenant rappelle que les dispositions sur l'interception des données s'insèrent dans la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité. Or, la loi organique règle la coopération entre les services, en ce compris, la coopération entre les services de renseignement et les autorités judiciaires. Le projet à l'examen n'entend pas déroger à ces principes.
À la question de la conformité du projet avec les règles de droit international, le ministre de la Défense répond qu'il est impossible d'échafauder, sur la base d'une loi belge, une construction juridiquement irréprochable par laquelle on autorise la pratique d'écoutes à l'étranger dans des pays dont le droit interne interdit de telles écoutes. Cela revient à chercher la quadrature du cercle.
L'intervenant rappelle que de nombreux pays pratiquent des écoutes à l'étranger sans régler cela de manière juridique. Il renvoie notamment aux nombreux rapports publiés sur le dossier Échelon. D'autres pays optent par contre pour l'adoption d'un cadre juridique réglant les écoutes à l'étranger tout en étant conscients que ces règles ne résistent pas à l'épreuve du droit international. Il se réfère par exemple à la loi hollandaise du 7 février 2002. Au cours des travaux préparatoires, le Parlement des Pays-Bas est arrivé à la conclusion qu'il était impossible de résoudre le problème juridique de l'autorisation des écoutes à l'étranger. Pour le ministre de la Défense, c'est un choix à opérer entre l'aspect sécuritaire et l'aspect du respect du droit international, tout en sachant qu'il n'est pas possible de rendre ces deux approches compatibles. Or, tant le rapport du Comité R que celui de la Commission d'enquête sur le Rwanda plaident pour l'autorisation d'écoutes à l'étranger même si l'on est en contravention avec les règles de droit international prises au sens strict.
M. Dubié est interpellé par les déclarations du préopinant. Faut-il en déduire que le pays où des écoutes illicites sont pratiquées peut considérer que ces écoutes constituent un acte d'espionnage et qu'il est en droit de prendre des mesures coercitives vis-à-vis des personnes qui pratiquent ces écoutes.
Le ministre de la Défense répond affirmativement. Il signale cependant qu'il existe une sorte d'entente tacite entre les États pour régler de manière pragmatique des situations dans lesquelles il est établi qu'un État procède à des écoutes sur le territoire d'un autre État. L'intéressé n'a pas connaissance de l'existence de décisions internationales tranchant un litige relatif à des écoutes pratiquées par un État sur le territoire d'un autre Ètat dont le droit national interdirait ce genre de pratiques.
Pour Mme de T' Serclaes, la situation est surréaliste. Comme de nombreux pays, la Belgique a adopté une législation stricte sur les écoutes sur son territoire afin de protéger la vie privée de ses concitoyens. Par contre, si les écoutes sont pratiquées à l'étranger dans le but de protéger nos Forces armées ou nos concitoyens, les garanties prévues ne jouent plus : on est dans la jungle des écoutes dès qu'un élément d'extranéité apparaît.
M. Dubié se demande si la Belgique est encore en mesure de protester contre le système Échelon mis en place par les Américains dès lors qu'elle pratiquerait elle-même des écoutes à l'étranger.
Mme Taelman demande s'il est possible de préciser quelles sont les remarques du Conseil d'État qui ont été rencontrées par le gouvernement lorsqu'il a adopté le texte de l'avant-projet de loi.
Par ailleurs, l'intervenante se réfère à l'avis adopté par la commission de la Justice de la Chambre (doc. Chambre, nº 50-2059/3) qui « prend acte de la finalité que poursuit le projet de loi, mais souhaite que les garanties de base, décrites dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, soient non seulement mentionnées dans l'exposé des motifs mais soient aussi, dans la mesure du possible, inscrites en tant que critères de mise en oeuvre des interceptions ». Cette remarque a-t-elle été rencontrée ?
L'oratrice comprend la nécessité de mettre en place un système d'écoute à des fins militaires. Elle signale que notre pays est le seul parmi tous les membres de l'OTAN à ne pas encore s'être doté d'un tel instrument. Cependant, comment peut-on garantir que la finalité (renseignements militaires) sera toujours rencontrée. Le contrôle prévu sera-t-il effectif et efficace ?
Le ministre de la Défense répond qu'en ce qui concerne la liste des finalités justifiant les écoutes, le projet reprend une partie des missions attribuées au SGRS à l'article 11, § 1er, de la loi du 30 novembre 1998.
M. Dubié estime que la finalité de « protection (...) de nos ressortissants établis à l'étranger » est très large. Vu la situation internationale actuelle et les risques de terrorisme dans de nombreux pays de la planète, cette disposition donne une autorisation au SGRS de pratiquer des écoutes dans une multitude de pays.
Le ministre de la Défense remarque que la règle de la proportionnalité s'applique et que le Comité R ne manquerait pas d'intervenir si le SGRS devait pratiquer des écoutes généralisées. Le Comité R préviendra le Parlement et demandera l'interruption immédiate d'écoutes qui ne sont pas ciblées.
M. Dubié rappelle les critiques formulées par le Conseil d'État qui considère que « la loi en projet se borne à donner une autorisation générale de captation, d'écoute, de prise de connaissance ou d'enregistrement. Une pareille formulation ne satisfait ni à l'exigence d'accessibilité, ni à l'exigence de prévisibilité prévue par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme » (doc. Chambre, nº 50-2059/1, p. 15). Le Conseil d'État insiste également sur la nécessité d'un contrôle effectif des activités et des services de renseignement. Or, le projet prévoit que le contrôle est diligenté par le Comité permanent R. L'orateur doute de l'effectivité d'un tel contrôle car le Comité R n'intervient qu'a posteriori et n'a pas de pouvoir de décision.
Le ministre de la Défense ne partage pas cette analyse. Il rappelle que le Comité permanent R a la possibilité d'intervenir a priori, sur la base de la liste annuelle qu'il reçoit. Dès que le Comité R est d'avis qu'une des écoutes prévues ne remplit pas les conditions légales, il peut s'y opposer bien avant que l'écoute ait débuté. Le Comité R intervient également au niveau de la responsabilité politique du ministre vis à vis du Parlement car il peut, dans ses rapports, dénoncer des écoutes abusives. Enfin, le contrôle des autorités judiciaires reste entier lorsque la loi est violée. L'orateur rappelle que le principe reste l'interdiction des écoutes et que les possibilités ouvertes par la loi doivent s'interpréter de manière restrictive.
M. Dubié estime que la loi ne sera pas violée car elle permet d'organiser des écoutes afin d'assurer la sécurité de nos ressortissants à l'étranger. La décision de procéder à des écoutes repose sur une appréciation d'opportunité sur laquelle le Comité R n'a pas à se prononcer. Dans les faits, la loi en projet donne un blanc-seing au SGRS qui n'aura aucune difficulté, pour justifier des écoutes, à se prévaloir de motifs de sécurité pour nos ressortissants à l'étranger.
Le ministre de la Défense rappelle que le SGRS ne décide rien. Il soumet une demande au ministre qui en apprécie l'opportunité. Par ailleurs, le pouvoir judiciaire a la possibilité d'apprécier in concreto si la mesure d'écoute est proportionnée par rapport à la menace évoquée.
Pour M. Dubié, il sera très difficile pour un tribunal d'apprécier a posteriori si l'écoute était proportionnée par rapport à l'objectif de sécurité.
Mme de T' Serclaes demande s'il est réellement opportun de confier un tel pouvoir d'appréciation de l'opportunité des écoutes au ministre de la Défense, d'autant que ces écoutes peuvent sortir du cadre strictement militaire. Elle constate que pour toute une série de matières, on a confié ce genre de responsabilité à des commissions indépendantes plutôt qu'au pouvoir politique.
Le ministre de la Défense répond que de nombreux pays procèdent à des écoutes à l'étranger en dehors de tout cadre légal et en l'absence de tout contrôle. Le gouvernement n'a pas retenu cette option. Il préfère mettre en place un cadre légal pour que ces écoutes à l'étranger, même si elles sont discutables au niveau du droit international, aient lieu moyennant un minimum de garanties et de contrôles. Cependant, il revient au Parlement d'apprécier l'opportunité de cette solution en opérant un choix entre l'aspect sécurité et le respect de la vie privée.
Au niveau de l'organisation des écoutes, deux pistes sont possibles :
Le pouvoir de décision quant au recours aux écoutes est attribué à une commission indépendante qui est généralement composée de représentants des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. C'est l'option retenue en Allemagne.
Le pouvoir d'appréciation de l'opportunité des écoutes est confié au pouvoir exécutif, sous le contrôle du Parlement et du pouvoir judiciaire. C'est l'option retenue en France.
La première solution pose problème au niveau du contrôle a posteriori de la décision de la commission. Chaque pouvoir étant représenté au sein de cette commission, quelle indépendance a-t-il encore pour sanctionner a posteriori une décision à laquelle il a participé. Le projet à l'examen a préféré retenir la deuxième solution qui est basée sur une séparation stricte des pouvoirs.
L'intervenant signale enfin que la commission Rwanda a clairement montré que si notre pays avait disposé d'autres moyens de renseignements, certains dérapages auraient pu être évités. Le projet à l'examen doit permettre d'éviter que de tels drames ne se reproduisent, même si son adoption ne donne aucune garantie absolue de sécurité. En vertu du principe de précaution, le gouvernement souhaite prendre toutes les mesures possibles pour s'assurer que la sécurité des troupes belges en mission à l'étranger ainsi que de nos concitoyens résidant à l'étranger est garantie. Or, une des mesures efficaces est d'offrir au SGRS la possibilité de pratiquer des écoutes à l'étranger.
La commission de la Justice
1. Prend acte du fait que la Belgique est le seul pays de l'OTAN à ne pas disposer d'une législation autorisant l'interception de communications émises à l'étranger.
2. Constate avec étonnement que l'objet du projet de loi n'est pas compatible avec les règles du droit international prises au sens strict.
3. Comprend la nécessité de légiférer en la matière moyennant la mise en place de systèmes de contrôle efficaces, tant a priori qu'a posteriori.
4. Estime que le choix des types de contrôles retenus dans le projet est le plus adéquat pour obtenir les garanties nécessaires quant au respect des conditions prévues à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
5. Insiste pour que les écoutes pratiquées par le SGRS dans le cadre de la loi en projet fassent l'objet d'un contrôle effectif par le Parlement.
6. Exprime à l'unanimité l'avis selon lequel il convient d'approuver le projet de loi nº 2-1412.
Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.
Les rapporteuses, | Le président, |
Mia DE SCHAMPHELAERE. Clotilde NYSSENS. |
Josy DUBIÉ. |