2-1410/3 | 2-1410/3 |
18 FÉVRIER 2003
Procédure d'évocation
Le présent projet de loi, qui relève de la procédure facultativement bicamérale, a été adopté à l'unanimité par la Chambre des représentants le 18 décembre 2002 et évoqué le 20 janvier 2003 par 15 sénateurs.
Le délai d'examen vient à échéance le 21 mars 2003.
La commission de la Justice a examiné ce projet de loi au cours de ses réunions des 29 janvier, 5, 11 et 18 février 2003.
Le ministre signale que le projet à l'examen a pour objet d'octroyer la qualité d'officier de police judiciaire aux fonctionnaires des administrations fiscales mis précédemment à la disposition de l'OCDEFO (Office central chargé de la lutte contre la délinquance économique et financière organisée) et à présent détachés auprès de la police fédérale. Ces fonctionnaires pourront ainsi exercer leurs missions efficacement et donc apporter une réelle plus-value aux enquêtes menées dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale.
Pour faire suite à une remarque du Conseil d'État, le gouvernement a attendu que le principe de la mise à la disposition de la police fédérale de fonctionnaires des administrations fiscales soit consacré par la loi du 13 mars 2002 avant de déposer le présent projet. Celui-ci permettra d'utiliser de manière beaucoup plus rationnelle et efficace les moyens humains disponibles pour lutter contre la fraude fiscale. En effet, l'orateur rappelle que les fonctionnaires fiscaux qui sont actuellement détachés auprès de la police fédérale doivent être doublés par des fonctionnaires de la police fédérale ayant la qualité d'officier de police judiciaire pour tout acte d'information ou d'instruction. Le projet mettra fin à cette situation et permettra aux fonctionnaires fiscaux détachés de poser en toute autonomie des actes d'instruction.
A. Remarques des commissaires
M. Vandenberghe attire l'attention des membres sur la manière peu orthodoxe dont le gouvernement a préparé ce projet.
Le projet à l'examen contient une disposition (article 3) prévoyant que la loi produira ses effets au 1er janvier 2001, ce qui correspond à une rétroactivité de plus de deux ans ! Or, l'intervenant constate que l'entrée en vigueur rétroactive n'était pas prévue dans le texte de l'avant-projet de loi soumis pour avis au Conseil d'État (doc. Chambre, nº 50-1836/1, p. 5). Le gouvernement a sournoisement ajouté cette disposition dans le texte du projet qu'il a déposé au Parlement (doc. Chambre, nº 50-1836/1), empêchant de la sorte le Conseil d'État de se prononcer sur cette question.
Pour l'intervenant, l'entrée en vigueur rétroactive d'une loi, qui attribue des compétences pénales nouvelles à certains fonctionnaires des administrations fiscales, met en péril la sécurité juridique, car des actes d'instruction posés par des fonctionnaires qui n'avaient pas la qualité d'officier de police judiciaire au moment de l'acte pourront être régularisés. Une telle solution, en l'absence de toute justification et sans garantir le respect de la sécurité juridique et des droits individuels, n'est pas admissible au regard de la jurisprudence du Conseil d'État et de la Cour d'arbitrage.
Pour M. Vandenberghe, la rétroactivité ne se justifie pas. Il dépose dès lors l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 2-1410/2) visant à supprimer l'article 3 du projet.
Selon Mme Nyssens, la loi en projet s'analyse comme une loi de procédure en matière pénale et fiscale. Dès lors, le principe général de non-rétroactivité s'applique sauf si l'on justifie de manière expresse une dérogation à ce principe. L'intervenante demande quelle est la justification du caractère rétroactif de la loi.
B. Réponse du ministre
L'entrée en vigueur de la loi en projet a été fixée au 1er janvier 2001. Cette date a été inscrite dans le projet de loi après l'approbation de la loi du 13 mars 2002 visant à mettre à la disposition de la police fédérale des fonctionnaires des administrations fiscales, loi dont la date d'entrée en vigueur est également fixée au 1er janvier 2001 et qui a donc également un effet rétroactif. La raison en est qu'en réalité, les fonctionnaires concernés étaient déjà sur place (OCDEFO); comme la police fédérale remplace l'OCDEFO depuis le 1er janvier 2001, cette loi devait dès lors produire ses effets à partir de cette date.
Initialement, l'objectif était de traiter les deux projets simultanément et donc de donner une même date d'entrée en vigueur : afin de prévoir un alignement des deux lois et donc de conférer à ces personnes la qualité d'officier de police judiciaire à partir du 1er janvier 2001 de manière à éviter tout vide juridique concernant les actes posés à partir de cette date, il a donc été prévu dans le présent projet également une entrée en vigueur à la date du 1er janvier 2001.
Pendant l'examen au Sénat du projet de loi visant à mettre à la disposition de la police fédérale des fonctionnaires des administrations fiscales, un amendement a été déposé en vue de prévoir la qualité d'officier de police judiciaire dans le présent projet (doc. Sénat, nº 2-979/2), ce qui aurait pour effet de joindre les deux projets et donc de les faire entrer en vigueur à la même date.
Entre-temps, le débat relatif au présent projet de loi a connu un important retard, allongeant en conséquence le délai d'entrée en vigueur rétroactive.
En principe, une loi entre en vigueur dix jours après sa publication, sauf si elle prévoit une autre date. L'entrée en vigueur rétroactive n'est dès lors pas un véritable problème en soi. Bien évidemment, en droit pénal, la règle veut qu'une loi pénale plus sévère ne peut entrer en vigueur rétroactivement. In casu, il ne s'agit pas de l'introduction d'une infraction nouvelle ou plus grave si bien qu'il n'est pas possible de se contenter d'invoquer ce principe. Dans cette hypothèse, la question est de savoir si la situation du prévenu sera ou non influencée défavorablement.
Pour ce qui est des lois procédurales, on applique en revanche le principe selon lequel elles s'appliquent immédiatement aux affaires pénales pendantes sauf s'il s'agit des modalités de constatation des infractions. À cet égard, la Cour de cassation a estimé que les modalités de constatation des infractions sont nécessairement régies par la législation en vigueur au moment de la constatation.
Dans le cas présent, cette problématique est toutefois purement théorique vu qu'il apparaît que les fonctionnaires fiscaux n'ont posé aucun acte requérant la qualité d'officier de police judiciaire, de sorte que les modalités de constatation ne pourront faire l'objet d'aucune contestation.
En outre, il convient de faire observer qu'un octroi rétroactif de la qualité d'officier de police judiciaire a récemment été admis pour les auditeurs du travail (article 9 du Code d'instruction criminelle).
C. Répliques des membres
Selon M. Mahoux, une entrée en vigueur rétroactive ne sert à rien. En effet, les fonctionnaires des administrations fiscales n'ont jamais posé aucun acte requérant la qualité d'officier de police judiciaire, et, s'ils n'ont jamais fait usage de cette qualité pour poser des actes, la rétroactivité serait inutile. L'intervenant se montre réticent à faire rétroagir la loi à l'examen. Il renvoie à l'article 7 de la CEDH.
M. Vandenberghe estime que la note en question ne répond pas à sa question. Comment se fait-il que la disposition relative à l'effet rétroactif n'ait pas été soumise au Conseil d'État ? En fait, elle a été insérée dans le projet, après que celui-ci eut été soumis à l'avis du Conseil d'État.
Il souligne ensuite que l'effet rétroactif a une influence en matière de droit pénal. La règle selon laquelle une loi pénale plus sévère ne peut pas entrer en vigueur rétroactivement est applicable aux lois procédurales qui ont une influence sur le droit pénal si elles permettent d'étendre la possibilité de poursuites. La réponse du gouvernement ne vaut qu'en fait. Elle ne vaut donc pas en droit.
Il renvoie enfin au point de vue du Conseil d'État et de la Cour d'arbitrage concernant la règle interdisant l'entrée en vigueur rétroactive et les dérogations à celle-ci que l'on peut prévoir moyennant une motivation formelle. Nous vivons dans un État de droit qui est fondé sur le principe de la primauté du droit. Cela signifie que les lois n'existent qu'en fonction de la prévisibilité de leur application. Le citoyen doit pouvoir se conformer à la loi. La rétroactivité non motivée porte atteinte directement à ce principe. L'intervenant estime que la disposition en question vise à accorder rétroactivement, par une voie détournée, une augmentation de traitement aux fonctionnaires en question, sans passer par l'Inspection des finances. Compte tenu de tous ces éléments, l'intervenant maintient son amendement nº 1.
Le ministre renvoie à la réponse qu'il a déjà donnée sur ce point. La raison de la rétroactivité est de servir l'uniformité avec la réforme des polices. Ces dernières années, les fonctionnaires des administrations fiscales n'ont posé aucun acte requérant d'eux la qualité d'officier de police judiciaire et la réglementation proposée n'a rien à voir non plus avec l'octroi de primes aux fonctionnaires fiscaux en question. Il demande dès lors que l'amendement soit rejeté.
Mme de T' Serclaes souscrit à l'amendement de M. Vandenberghe. Il faut user de la rétroactivité avec beaucoup de prudence. Par ailleurs, rien ne garantit qu'aucun acte requérant la qualité d'officier de police judiciaire n'a été posé. Il faut donner la priorité à la sécurité juridique.
M. Istasse demande si la suppression de la rétroactivité aurait des conséquences négatives.
Le ministre répond que la non-rétroactivité n'aurait pas de conséquences négatives en soi.
L'amendement nº 1 de M. Vandenberghe est adopté par 5 voix contre 2 et 1 abstention.
L'ensemble du projet de loi amendé a été adopté à l'unanimité des 8 membres présents.
Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.
Les rapporteurs, Meryem KAÇAR. Jean-François ISTASSE. |
Le président, Josy DUBIÉ. |