2-266 | 2-266 |
M. Michel Barbeaux (CDH). - La population des religieux se réduit, vieillit et ses besoins changent. Pendant longtemps, en raison de leur mode de vie spécifique, les communautés religieuses ont pu vivre en quasi autarcie et résoudre elles-mêmes leurs problèmes grâce à la solidarité de leurs membres. Mais la réduction de l'effectif et le vieillissement des membres viennent de plus en plus souvent à bout des efforts que ceux-ci font pour conserver leur autonomie.
Historiquement, aucun système d'assistance sociale n'a jamais été conçu sur mesure pour les communautés religieuses. Il a donc toujours fallu s'accommoder des systèmes en place, essentiellement fondés sur l'existence, ou non, du statut marital, pour les appliquer à ces citoyens qui, pour des raisons religieuses, ont choisi une forme de vie tout à fait particulière. Dans cette perspective, les membres des communautés religieuses, par définition célibataires, furent toujours considérés comme des isolés.
Tel était le cas en matière d'allocations pour handicapés et de revenu garanti aux personnes âgées. Pour ce dernier, le montant effectivement payé est diminué d'un forfait qui tient compte de l'avantage en nature résultant de la communauté : c'est un accommodement logique et équitable.
Même si cela peut, à première vue, paraître paradoxal, l'expérience a démontré que le statut social d'isolé, même accommodé, a toujours été celui qui correspondait le mieux à la situation personnelle des membres des communautés religieuses.
De plus, dans le Registre national des personnes physiques, les membres des communautés religieuses sont généralement répertoriés sous la dénomination « Communautés et homes », précisément pour les distinguer des ménages. Cette particularité leur permet de continuer à être considérés individuellement pour certaines matières, comme le sont les résidents des homes et des maisons de repos et de soins pour personnes âgées.
L'évolution sociologique a suscité la volonté politique de réformer les systèmes d'assistance sociale et de sécurité sociale pour les appliquer de façon plus équitable aux cellules familiales contemporaines : cohabitation de personnes non mariées, de sexes différents, voire du même sexe. Progressivement, les deux système furent adaptés dans ce sens.
Mais les communautés religieuses, a priori non visées par ces adaptations, sont de facto embarquées contre leur gré dans ces réformes desquelles elles deviennent les victimes chaque fois que l'on se fonde sur le principe que toute cohabitation de personnes qui forment une entité économique du simple fait qu'elles supportent en commun, principalement, les frais journaliers pour assurer leur subsistance. On se réfère alors à l'ensemble des personnes qui partagent la même résidence principale, telle qu'elle est ainsi définie dans le Registre national.
Or, la vie communautaire des religieux résulte d'un choix de vie totalement différent, fondé sur le droit constitutionnel à la liberté du culte : ici, le but premier n'est évidemment pas de cohabiter, mais bien de se rassembler pour réaliser en commun certains objectifs religieux. C'est donc vraiment un mode de vie sui generis, des règles propres à chaque communauté religieuse fixant les droits et obligations des membres.
La diversité des communautés religieuses répond d'ailleurs à la diversité des conceptions relatives à ces sujets. Si ce même principe de séparation entre l'Église et l'État interdit à ce dernier d'accorder un privilège aux religieux, il ne le dispense toutefois pas de l'obligation de reconnaître l'existence particulière de cette forme d'organisation sociale, lorsqu'il s'agit de garantir aux membres des droits comparables à ceux des autres citoyens.
Il est donc simpliste d'assimiler la forme de vie communautaire spécifique choisie par les membres d'une communauté religieuse à la cohabitation de personnes non mariées, de sexes différents ou du même sexe, visées par ces réformes.
Pour la Cour d'arbitrage, d'ailleurs, « Constitue une discrimination injustifiée, le fait de traiter de façon identique des personnes qui se trouvent dans des situations fondamentalement différentes, lorsque les moyens mis en oeuvre par la loi ne sont pas raisonnablement proportionnels au but poursuivi ».
Dans le cadre de cette demande d'explications, je voudrais revenir sur les conséquences des modifications légales précisément apportées à la GRAPA, au maximum à facturer, aux allocations pour personnes handicapées, ainsi qu'à celles qui pourraient résulter du projet de réforme du régime préférentiel pour le remboursement des soins de santé.
En ce qui concerne la GRAPA, la réforme du revenu garanti aux personnes âgées se veut une individualisation du droit mais elle se fonde sur une présomption irréfragable de solidarité financière entre toutes les personnes qui partagent une même résidence principale, au sens du Registre national. Paradoxalement, elle crée de la sorte une relation d'interdépendance entre les individus. De plus, la solidarité financière entre ces individus peut n'être que pure fiction. L'application aveugle de cette présomption aux communautés religieuses constitue, selon nous, une violation du principe de séparation entre l'Église et l'État, dans la mesure où, indirectement, l'État s'immisce dans les obligations financières des membres des communautés religieuses.
Le résultat de l'application de la GRAPA pour les religieux est évident : rares sont ceux qui sollicitent la GRAPA, d'une part, parce que les revenus de l'un ou l'autre membre avec lequel ils cohabitent leur ôtent tout simplement l'espoir de bénéficier de la GRAPA, et, d'autre part, en raison du fait que la procédure d'enquête revêt un caractère éminemment dissuasif et irrespectueux de la vie privée. L'enquête de l'administration requiert en effet de fournir une déclaration et des pièces justificatives des revenus pour chaque membre de la communauté et impose de renouveler toute l'enquête à la moindre modification affectant l'un des cohabitants : changement d'adresse ou modification des revenus, envoi en mission, décès. Or, dans les communautés religieuses, il y a toujours beaucoup de mouvement, certains retournant en mission à l'étranger, d'autres allant dans un monastère situé dans un autre pays. Ces mouvements perpétuels deviennent, en fait, ingérables, même pour l'administration. Dans de telles conditions, comment pourrait-on raisonnablement obtenir la GRAPA lorsqu'on habite dans une communauté religieuse de plusieurs dizaines de personnes, même si celles-ci, souvent âgées, disposent de revenus modestes ?
Il faut en conclure que, dans les faits, le religieux ne peut même plus bénéficier du même droit que les autres citoyens. Récemment, j'ai appris que l'ancien père abbé d'une communauté religieuse, à près de 65 ans, ne demanderait pas la GRAPA alors qu'il y aurait droit s'il était considéré comme une personne isolée. Ayant été contemplatif, ayant beaucoup travaillé à l'étranger, en particulier dans le Tiers monde, il n'a pas droit à une pension, ni à la GRAPA. Cet exemple dénote un manque de reconnaissance de la société pour l'important travail réalisé au profit de nos concitoyens ou de citoyens du Tiers monde. Je souhaitais attirer l'attention du ministre sur cette triste réalité et lui demander comment il serait possible de corriger ce qui nous apparaît être une injustice.
J'en viens à présent au deuxième problème : le maximum à facturer. Alors que pour la GRAPA la communauté religieuse est considérée dans son ensemble, l'arrêté royal d'exécution du maximum à facturer exclut de la notion de « ménage » les membres non rémunérés des communautés religieuses en les considérant individuellement.
La conséquence en est que le plafond de quotes-parts personnelles s'applique ici par personne et non par « ménage ». Un ménage composé de membres non rémunérés d'une communauté religieuse doit ainsi payer beaucoup plus de quotes-parts personnelles qu'un ménage de laïcs, pour bénéficier du maximum à facturer. Paradoxalement, la loi sur la GRAPA présume implicitement que les membres des communautés religieuses sont mutuellement solidaires en ce qui concerne leurs ressources, tandis que la loi sur le maximum à facturer nie cette même solidarité en ce qui concerne leurs dépenses de santé. Cette logique est contraire à celle de la GRAPA.
Les tentatives de faire corriger la loi sur la GRAPA ayant échoué, notamment par le rejet de l'amendement - nous en avons débattu en commission, monsieur le ministre - que j'avais déposé à ce sujet dans le cadre de la loi-programme, il semble légitime d'exiger l'application à la GRAPA de la réglementation relative au MAF : les membres non rémunérés des communautés religieuses sont considérés comme des isolés, les autres membres étant considérés de manière globale.
Il s'agit là d'une curiosité légale échappant à toute logique et qui n'est évidemment pas une solution idéale, mais qui constitue, in casu, une position de repli pour éviter que les religieux soient lésés sur tous les plans. Cette solution nous semble cependant boiteuse, car elle génère une discrimination injustifiable entre les membres des communautés religieuses, selon qu'ils ont eu ou non une activité, laquelle ne donne pas nécessairement droit à une pension de retraite. Il nous paraîtrait plus logique de considérer les membres des communautés religieuses comme les pensionnaires d'un home ou d'une maison de repos et de soins, chaque personne y étant considérée comme un isolé.
Je voudrais évoquer un troisième problème, encore plus grave que les deux précédents. Le chapitre 6 de la loi-programme votée en décembre dernier est consacré à la réforme du régime des allocations pour handicapés. On peut déduire de l'article 121, paragraphe 3, de cette loi que le principe du ménage tel qu'il figure au Registre national sera également appliqué au régime des allocations pour handicapés. S'il est évident que l'effet négatif de la loi sur la GRAPA est déjà important pour les communautés religieuses, celui de la réforme des allocations pour handicapés - plus particulièrement en ce qui concerne l'allocation pour l'aide aux personnes âgées - se traduira sans nul doute en véritable catastrophe sociale pour bon nombre de communautés religieuses, dont les membres développent des handicaps dus à l'âge.
Faute de disposer de tous les éléments nécessaires, tels que les arrêtés d'exécution, les droits acquis, les mesures transitoires, la date d'application, etc., nous ne pouvons toutefois pas encore mesurer l'impact réel de cette réforme pour les religieux. Le ministre peut-il apporter des informations plus précises à ce sujet ? Je souhaiterais qu'il soit attentif à ce problème dans l'élaboration des arrêtés royaux.
Enfin, une réforme du droit à l'intervention majorée de l'assurance soins de santé est annoncée, réforme qui se fondrait sur la notion de ménage retenue pour le MAF, c'est-à-dire que les membres non rémunérés des communautés religieuses seraient, ici, considérés comme des isolés. Si tel est le cas, ceux-ci pourront encore bénéficier du droit à l'intervention majorée, après la réforme, mais les autres membres, à revenu faible, des communautés religieuses, c'est-à-dire la majorité de l'effectif, perdraient ce droit. Or, de façon générale, compte tenu du salaire peu élevé dont ils disposaient, leur pension est relativement faible, lorsqu'ils y ont droit. Beaucoup pourraient bénéficier du régime préférentiel. J'aimerais donc obtenir davantage de précisions quant à la mise en oeuvre de cette réforme et à ses conséquences pour les membres des communautés religieuses.
Vous avez vous-même rappelé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, notamment à l'occasion d'émissions télévisées, qu'en Belgique, le coût global des soins de santé avait longtemps pu être maintenu à un niveau très favorable grâce, notamment, à l'engagement bénévole de nombreuses communautés religieuses dans les institutions de soins. Cela vaut d'ailleurs également pour d'autres secteurs de la vie sociale, tels que l'enseignement, l'encadrement des orphelins, l'aide à la jeunesse, etc. Les religieux, souvent eux-mêmes fondateurs d'institutions, travaillaient bénévolement, ou en tout cas pour un revenu très faible, et ont ainsi permis la création de services en faveur des personnes démunies de notre société.
Force est de déplorer que cet hommage ne se traduit guère en actes de reconnaissance, lorsqu'il s'agit de garantir une vieillesse décente à un groupe social qui, durant sa vie active, a grandement contribué au bien-être général. J'aimerais savoir comment de telles situations pourront être corrigées, mais je vous sais sensible à cette problématique et je vous remercie d'avance de votre réponse.
M. Frank Vandenbroucke, ministre des Affaires sociales et des Pensions. - En réponse à la demande d'explications de M. Barbeaux, je voudrais tout d'abord rappeler que les modifications introduites dans le domaine des allocations sociales qu'il a citées répondent principalement au souci d'adapter ces avantages aux évolutions de notre société. Ainsi, l'instauration de la garantie de revenus aux personnes âgées - GRAPA - a transformé une législation qui n'avait pas été fondamentalement adaptée depuis plus de trente ans. Il en est résulté une certaine individualisation du droit au revenu de base pour les personnes âgées. Quiconque partage le même lieu de résidence peut désormais, s'il satisfait aux conditions d'âge notamment, faire valoir un droit individuel indépendamment de la raison et de la nature de la cohabitation.
Des mesures de protection ont toutefois été prévues pour les bénéficiaires qui, en raison de leur état de santé, sont placés dans une maison de repos ou une maison de repos et de soins. Ces personnes pourront, comme les isolés, prétendre à un montant de base majoré de 50%. On me dit à cet égard que certaines congrégations disposent de pareilles institutions pour leurs membres et peuvent donc de ce fait avoir accès au taux majoré. Cet élément devra être vérifié.
Une autre mesure a été prise sur laquelle j'attire votre attention : la loi prévoit en effet la possibilité pour les bénéficiaires d'un revenu garanti aux personnes âgées de passer au revenu de base de la GRAPA lorsqu'il s'avère qu'un calcul en vertu de la nouvelle réglementation est plus avantageux. C'est le cas par exemple du couple marié bénéficiant d'un revenu garanti aux personnes âgées au taux de ménage ou de personnes vivant seules. Les autres ont la faculté de rester assujetties au régime du revenu garanti aux personnes âgées.
Selon les informations qui m'ont été communiquées, le droit au revenu garanti et aux avantages qui y sont associés est demeuré intact pour la quasi totalité des membres des communautés religieuses. Il s'agit précisément de 5.293 personnes qui disposent donc de droits acquis que nul ne songe à mettre en cause. Cela étant, la GRAPA, tout comme les allocations pour handicapés, relève d'un régime d'assistance destiné aux personnes qui disposent de moyens limités. Il y a donc une certaine cohérence à tenir compte des ressources résultant notamment de la situation de fait dans laquelle vivent les intéressés.
En cas de cohabitation, tous les revenus des personnes qui partagent la même résidence sont en conséquence pris en considération avant de déterminer la hauteur des droits à obtenir dans ces régimes résiduaires. Toutefois, je peux imaginer que l'application de ces dispositions légales puisse poser problème tant au niveau pratique qu'au niveau des principes. Je suis donc prêt, sur la base de données objectives, à examiner les situations particulières. Je vous propose de suggérer aux communautés éventuellement concernées de désigner un représentant qui prendrait contact avec moi afin d'examiner cette problématique en détails et de manière objective.
En ce qui concerne le maximum à facturer, je puis préciser que l'article 37decies de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, détermine, d'une part, que pour l'application du maximum à facturer social et pour l'application du maximum à facturer pour les revenus faibles et modestes, le ménage consiste, en principe, en toutes les personnes qui résident à la même adresse, comme il apparaît des données du Registre national. L'intention première du maximum à facturer était, en effet, de prendre le ménage réel comme point de départ. Le même article prévoit cependant des exceptions à ce principe, qui visent notamment les communautés religieuses, précisément parce que la notion de ménage, dans le sens de ménage réel, prise en compte pour le maximum à facturer ne peut s'appliquer à ces communautés.
Pour l'application du maximum à facturer, l'exception a pour conséquence que les revenus de ces personnes se limitent à leurs revenus propres et qu'elles peuvent remplir les conditions pour bénéficier du maximum à facturer, pour autant que ces revenus soient faibles et modestes. Cela a également pour conséquence que seront seulement pris en considération pour atteindre le plafond des interventions personnelles, les tickets modérateurs que ces personnes ont supportés personnellement.
Je ne me risque pas à vous fournir une réponse improvisée à vos questions relatives aux personnes handicapées, d'autant qu'il est peu vraisemblable que le régime des allocations pour handicapés fasse l'objet d'une réforme identique à celle qui a débouché sur la GRAPA.
Afin de dissiper tout malentendu, je précise qu'actuellement, je n'envisage pas de réforme du taux majoré ou préférentiel, appelé anciennement VIPO. L'INAMI m'a transmis une série de suggestions mais j'estime qu'il est difficile de revoir tout le système en fin de législature. Au cas où des difficultés importantes surgiraient tant en ce qui concerne la GRAPA que le maximum à facturer, je suis évidemment disposé à examiner les problèmes sur la base de données objectives et à chercher des solutions.
M. Michel Barbeaux (CDH). - Je tiens à remercier le ministre de l'ouverture dont il fait preuve pour examiner les problèmes sur la base de données objectives. Je lui communiquerai donc les noms de personnes responsables qui s'occupent de l'ensemble des problèmes sociaux des membres des communautés religieuses.
Il faudra en tout cas éviter de pousser les communautés religieuses, une fois que leurs membres deviennent plus âgés, à se transformer en maisons de repos. Cela n'aurait pas beaucoup de sens. Il est préférable qu'elles restent des communautés religieuses mais il faut veiller à ce que leurs membres ne soient pas désavantagés précisément parce qu'ils vivent dans une communauté religieuse.
Si on a longtemps glosé sur les soi-disant « caisses noires des pères blancs », estimant qu'ils avaient des richesses leur permettant de vivre, il faut bien reconnaître qu'aujourd'hui, ce n'est vraiment plus le cas. Nous ne pouvons non plus perdre de vue l'aspect de la reconnaissance du travail social important réalisé par les membres des communautés religieuses. Aussi, la société se doit de leur permettre une fin de vie dans la dignité.
-Het incident is gesloten.