2-1256/2

2-1256/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 2001-2002

25 SEPTEMBRE 2002


Proposition de loi modifiant la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire


AMENDEMENTS


Nº 1 DE M. MONFILS

Art. 5

Remplacer le § 1er de l'article 7 proposé par ce qui suit :

« § 1er. Sous réserve d'un dessaisissement en faveur d'un tribunal pénal international ayant primauté de juridiction, les juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions prévues à la présente loi :

1º lorsque l'infraction est commise sur le territoire du royaume; ou

2º lorsqu'elle est commise par un Belge; ou

3º lorsque l'auteur présumé se trouve sur le territoire du royaume; ou

4º lorsque la victime est belge ou une personne résidant en Belgique depuis au moins trois ans. »

Justification

La compétence universelle des juridictions belges dans le domaine du droit pénal humanitaire est une idée généreuse à laquelle l'auteur de l'amendement s'associe.

La générosité d'un principe ne doit cependant pas exclure la nécessité de son efficacité pratique. Or, les querelles judiciaires et juridiques soulevées à l'occasion des différents dossiers ouverts dans notre pays sur base de notre loi de compétence universelle permettent de douter de cette efficacité.

De là, assurément, a surgi le besoin de modifier la législation actuelle en atténuant peu à peu le caractère universel de la compétence des juridictions belges. La proposition initiale recourt à un système de filtrage au niveau de la recevabilité des plaintes. L'auteur du présent amendement pense, pour sa part, que ce système de filtre n'est pas adéquat et qu'il s'indique d'avantage de créer dans la loi un lien de rattachement avec la Belgique pour justifier la compétence de nos juridictions.

En effet :

­ La Belgique ne peut s'ériger, sans restriction, en gendarme du monde et permettre que des situations conflictuelles humanitaires se déroulant en terre étrangère se poursuivent sur notre territoire par juridictions belges interposées.

Outre le fait que cette situation n'est pas souhaitable, notre système judiciaire n'est manifestement pas outillé, ni sur le plan humain, ni sur le plan matériel pour mener semblables actions répressives.

Une bonne administration de la justice requière que le juge en charge du dossier puisse s'impliquer suffisamment psychologiquement, culturellement, et sociologiquement dans le litige qui lui est soumis; comment juger équitablement des personnes dont il ne partage ni la culture, ni la langue, ni les traditions, ni les moeurs, ni les systèmes politiques ?

­ L'exercice des poursuites en raison des crimes humanitaires commis à l'étranger est très accaparant en termes de moyens financiers et humains. Il faut lui réserver des équipes d'enquêteurs choisis parmi les plus expérimentés, parcourir le monde à la recherche des témoins, des preuves et des auteurs présumés. Tous ces moyens ne garantissent pourtant pas nécessairement l'efficacité des poursuites.

Or, au même moment, la justice « ordinaire » se trouve confrontée à un important arriéré judiciaire nécessitant, lui aussi, d'importantes ressources humaines et matérielles et l'utilisation de tous les cadres policiers et judiciaires disponibles.

­ L'amendement vise dès lors à baser la compétence des juridictions belges dans le domaine du droit pénal humanitaire sur l'existence d'un lien de rattachement avec la Belgique, qu'il s'agisse du territoire ou de la nationalité de l'une quelconque des parties impliquées dans les faits criminels concernés.

Le système préconisé par la loi actuelle ­ aucun lien de rattachement exigé ­ a, de l'aveu même des auteurs de la proposition, rendu indispensable le recours à un filtre. On ne pourrait donc reprocher à l'auteur de l'amendement de mettre à mal le principe de la compétence universelle alors que le fait-même d'instaurer un filtre ­ idée expressément reprise par les auteurs de la proposition ­ constitue déjà un frein à cet aspect universel.

L'auteur de l'amendement fait en outre remarquer que le filtre instauré par la proposition est inadapté : des pressions en tous genres ne manqueront pas d'être exercées sur le procureur fédéral dans un sens comme dans l'autre; le ministre de la justice, qui peut exercer un droit d'injonction positive, sera, pour sa part, interpellé de manière répétée quant à l'exercice de ce droit à l'occasion de chaque dossier ouvert.

­ Enfin, la Belgique, en se dotant de sa loi du 16 juin 1993 a incontestablement joué un rôle de pionnier dans le domaine de la répression des génocidaires et des criminels contre l'humanité. Elle a suscité un dynamisme international à l'origine de la création et de la multiplication de tribunaux internationaux spécifiques ou encore d'une Cour pénale internationale permanente. Ces juridictions supranationales prendront en charge un grand nombre de situations criminelles visées par la loi belge de sorte que la nécessité d'une compétence universelle de nos juridictions pénales, sans le moindre lien de rattachement, se fait actuellement moins pressante.

Nº 2 DE M. MONFILS

Art. 2bis (nouveau)

Insérer un article 2bis (nouveau), libellé comme suit :

« Article 2bis. ­ Il est inséré dans la même loi un article 1quater (nouveau), libellé comme suit :

« Article 1quater. ­ § 1er. Le seul fait pour une personne morale de réaliser un investissement ou de conclure un marché commercial ou économique avec ou dans un Etat où sont commis des crimes visés par la présente loi n'est pas punissable, sauf s'il est établi que, au moment de l'investissement ou de la conclusion du marché, la personne morale aurait dû, compte tenu des circonstances du moment, savoir que l'investissement ou le marché concerné pouvait contribuer directement ou indirectement à la perpétration des actes incriminés.

§ 2. L'alinéa précédent s'applique également aux activités de personnes physiques agissant pour le compte des personnes morales déployant ou poursuivant une activité économique telle que visée dans cet alinéa. »

Justification

La loi du 4 mai 1999 a instauré dans notre système juridique le principe de la responsabilité pénale des personnes morales.

Les faits incriminés par le loi du 16 juin 1993 peuvent donc être recherchés dans le chef des personnes morales elles-mêmes, autant que dans le chef de leurs dirigeants.

Il va se soi que les personnes morales ne peuvent pas revendiquer d'exonération de principe de leurs responsabilités même dans le domaine des crimes particuliers qui sont les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide.

Cependant, les premières et principales responsabilités dans ces domaines sont généralement à rechercher dans le chef des responsables politiques et militaires des pays concernés.

Or, les dossiers mis à l'instruction dans le cadre de notre loi de compétence universelle ont clairement montré que les poursuites se heurtent, dans pas mal de cas, au privilège d'immunité fonctionnelle des principaux responsables.

Il est probable que les victimes qui se heurteront à semblable immunité (dont le principe est rappelé et confirmé expressément dans la proposition de loi) auront tendance à élargir le champ des responsabilités et à se tourner alors vers les entreprises et leurs dirigeants, en tant que complices de crimes de guerre et contre l'humanité du fait de l'exercice d'une activité économique dans les lieux où les crimes ont été commis.

Il est donc essentiel de savoir exactement où commence, dans les domaines criminels concernés, le caractère criminel éventuel de l'activité économique dans les pays « à risque ».

L'amendement vise à établir cette ligne de frontière en considérant que le seul fait d'investir ou de conclure un marché économique ou commercial dans ou avec un État où sont commis de crimes visés par la loi du 16 juin 1993 ne peut pas, a priori, être considéré comme une contribution à la réalisation des crimes.

La portée de l'amendement, encore qu'elle soit essentielle pour assurer le maintien de l'activité économique belge partout dans le monde (les États politiquement stables et dont les valeurs démocratiques sont clairement affirmées constituent en effet qu'une minorité dans l'ensemble du monde), reste parfaitement compatible avec la recherche des responsabilités éventuelles dans le chef des personnes morales ou de leurs dirigeants puisque :

­ Tous les actes positifs ou omissions circonstanciées visés dans la loi du 16 juin 1993 peuvent encore être recherchés dans le chef des entreprises. Seuls l'investissement et la conclusion de marchés commerciaux sont, en tant que tels, et par principe, considérés comme non suspects. Il va de soi qu'une complicité ou une participation active aux activités criminelles, au-delà du seul investissement ou de la seule conclusion du marché, peuvent être poursuivis à charge des entreprises et de leurs dirigeants.

­ Le parquet et les parties civiles conservent en outre la possibilité de démontrer que même l'investissement ou le marché seuls ont, par eux-mêmes, un caractère criminel.

Il leur faudra toutefois démontrer que, au moment de l'investissement ou de la conclusion du marché, l'entreprise aurait dû, compte tenu des circonstances du moment, savoir que l'investissement ou le marché pouvait contribuer directement ou indirectement à la perpétration des crimes.

Cet amendement est de nature à concilier la nécessité de maintenir autant que possible une activité économique dans l'ensemble du monde tout en plaçant les entreprises devant leurs responsabilités par l'intermédiaire du pouvoir d'appréciation réservé au juge sur les circonstances du moment et les conclusions que l'entreprise en a tirées.

Philippe MONFILS.