2-1258/3

2-1258/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

4 DÉCEMBRE 2002


Projet de loi relative au renforcement de la législation contre le racisme


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR M. ISTASSE ET MME KAÇAR


I. PROCÉDURE

Le présent projet de loi, qui relève de la procédure facultativement bicamérale, a été adopté par la Chambre des représentants le 20 juillet 2002 par 106 voix contre 15 et 2 abstentions. Il a été transmis au Sénat le 23 juillet 2002 et a été évoqué le même jour par 16 sénateurs.

Le délai d'examen expire le 16 décembre 2002.

La commission de la Justice a discuté de ce projet de loi en présence de la vice-première ministre et ministre de l'Emploi lors de sa réunion du 5 novembre 2002.

La commission a décidé de consacrer une seule discussion générale au projet de loi relative au renforcement de la législation contre le racisme (doc. Sénat, nº 2-1258) et au projet de loi tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (doc. Sénat, nº 2-12).

II. EXPOSÉ DE MME LAURETTE ONKELINX, VICE-PREMIÈRE MINISTRE ET MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'ÉGALITÉ DES CHANCES

A. Projet de loi relative au renforcement de la législation contre le racisme (doc. Sénat, nº 2-1258)

Le projet de loi tendant à renforcer la législation contre le racisme vise, conformément à un objectif affiché du gouvernement et comme cela ressort de son intitulé, à améliorer la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie, en y apportant les modifications suivantes :

Il s'agit tout d'abord, dans la ligne de ce que prévoient les directives européennes, de préciser qu'une injonction de pratiquer une discrimination constitue une discrimination au sens de la loi.

Le projet propose également d'adjoindre au mot « race » l'adjectif « prétendue », de manière à bien indiquer que l'idée selon laquelle l'espèce humaine se composerait de races distinctes, est une contre-vérité sur le plan scientifique.

Actuellement, en matière d'accès au travail, seules les discriminations commises à l'égard d'une personne sont visées, non celles à l'égard d'un groupe; il est dès lors proposé de combler cette lacune, en étendant le champ d'application de l'incrimination aux discriminations commises à l'égard d'un groupe.

Le projet confie aussi à l'Inspection du travail le pouvoir de constater les infractions à la loi du 30 juillet 1981.

Des modifications sont encore proposées à la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

· Il est proposé d'ancrer dans la loi la mission du centre consistant à veiller au respect des droits fondamentaux des étrangers, et de l'investir du rôle d'Observatoire des migrations, avec pour objectif la production d'analyses permettant d'évaluer les politiques migratoires et de mener des études prospectives sur les mouvements de population.

· L'on précise que le centre est compétent pour traiter les plaintes qu'il reçoit dans les matières de sa compétence.

· En matière de discriminations commises par des fonctionnaires, le centre peut aujourd'hui, comme n'importe quel citoyen, déposer plainte auprès de l'autorité compétente. L'expertise du centre révèle cependant qu'il ne parvient pas, en ce domaine, à avoir le droit de regard sur la gravité et la portée du phénomène dans les services concernés. Il importe de pouvoir disposer des informations nécessaires sur la manière dont les autorités concernées abordent le phénomène de discrimination et si elles font, en connaissance de cause, une analyse de la discrimination supposée. Il est de ce fait proposé de préciser dans la loi que les autorités, sans qu'elles soient tenues de transmettre des données personnelles, doivent informer de manière circonstanciée le centre sur l'analyse qui est faite de la discrimination alléguée. Par cette obligation, il n'est aucunement question d'exercer une pression ni de s'immiscer dans les éventuelles procédures disciplinaires. L'objectif visé est bien de fournir au centre une vision aussi complète que possible du phénomène et de la manière concrète dont celui-ci est combattu.

Ces prérogatives sont explicitement étendues par le projet de loi au statut disciplinaire des agents de police.

· Enfin, il est prévu que le centre pourra recueillir et publier toutes données statistiques et décisions jurisprudentielles utiles à l'application des lois anti-discriminatoires. Et à cet effet, il est prévu que le ministre de la Justice communique chaque année au centre les statistiques judiciaires relatives à l'application de ces législations.

B. Le projet de loi tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (doc. Sénat, nº 2-12)

La Chambre des représentants a souhaité, eu égard à l'importance de la matière, solliciter une ultime fois l'éclairage de la section de législation du Conseil d'État. Une demande d'avis a été adressée au Conseil d'État, qui y a répondu le 4 février 2002. Dans la foulée de l'avis rendu par le Conseil d'État, une série d'amendements ont été apportés au texte.

Selon la ministre, ces amendements ne remettent nullement en cause la physionomie du texte que le Sénat avait adopté le 21 décembre 2001.

Que prévoient, pour l'essentiel, ces amendements ?

­ Tout d'abord, pour répondre au souhait du Conseil d'État d'harmoniser les différentes législations, le projet précise les champs d'application respectifs du présent projet de loi, de la loi du 30 juillet 1981 et de la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes, de manière à éviter les redites entre ces différentes législations.

Ainsi, l'on confirme que la loi du 30 juillet 1981 forme le siège du volet pénal des discriminations raciales.

Le projet tendant à lutter contre la discrimination régit pour sa part l'aspect pénal des discriminations autres que raciales et, sauf une exception, l'aspect civil de l'ensemble des discriminations; l'exception concerne la loi du 7 mai 1999, qui régit l'aspect civil des discriminations en matière d'embauche sur base du genre.

­ Par ailleurs, afin d'éviter toute discussion quant au point de savoir si les directives européennes ont été correctement transposées, le projet identifie expressément l'injonction de discriminer à une discrimination et précise, en matière d'embauche, qu'une différence de traitement ne repose sur une justification objective et raisonnable que si la caractéristique considérée (le sexe, l'âge, l'orientation sexuelle, ...) correspond à une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

­ Toujours dans la ligne des directives européennes, le projet prévoit, en matière de handicap, que l'absence d'aménagements raisonnables pour les handicapés implique qu'il y a discrimination au sens de la loi.

­ Le projet prévoit encore de supprimer l'adjectif « directe » dans la disposition incriminant pénalement l'incitation à la discrimination, vu la nécessité de réprimer également celui qui incite à commettre des discriminations indirectes.

­ La disposition concernant les rapports du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme avec les associations dotées d'un objet social comparable est reformulée.

­ Le projet veille à assurer la cohérence entre la loi relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail et le projet de loi tendant à lutter contre la discrimination.

­ Il consacre la compétence des tribunaux du travail pour les discriminations en matière d'embauche et prévoit que ces affaires sont communicables au ministère public.

­ Enfin, les dispositions érigeant le mobile abject en circonstance aggravante de certains crimes et délits sont insérées dans le Code pénal, ceci de manière à s'assurer de la bonne lisibilité des incriminations prévues.

Telle est, en ordre principal, la teneur des modifications qui ont été apportées par la Chambre au projet de loi tendant à lutter contre la discrimination. Il s'agit pour l'essentiel de corrections d'ordre technique.

III. OBSERVATIONS DES MEMBRES

M. Mahoux se réjouit de constater que le texte du projet de loi tendant à lutter contre la discrimination (doc. Sénat, nº 2-12) est le fruit d'une collaboration parfaite entre le Parlement et le gouvernement ainsi qu'entre la Chambre des représentants et le Sénat.

L'intervenant appuie toutes les modifications qui ont été apportées par la Chambre au projet tel qu'il avait été adopté par le Sénat le 21 décembre 2001. Il espère que ce projet ainsi que celui renforçant la législation sur le racisme pourront être votés rapidement.

Pour Mme de T' Serclaes, il est très heureux que la commission puisse examiner les deux projets de manière concomitante car ils sont intimement liés quant à leur objet.

Dans le projet nº 2-1258, le gouvernement propose d'élargir les compétences du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, pour en faire un Observatoire des flux migratoires. Si elle souscrit à cet objectif, l'intervenante insiste pour que l'on adapte en conséquence les moyens du centre afin qu'il puisse faire face à ses nouvelles missions.

Par ailleurs, le centre est chargé de recueillir et publier des données statistiques et les décisions jurisprudentielles pour permettre d'évaluer l'efficacité des législations contre le racisme et les discriminations.

Mme de T' Serclaes demande si les garanties nécessaires ont été prévues quant au respect de la vie privée lorsque le centre collectera toutes ces informations.

Mme Kaçar soutient avec enthousiasme les deux projets à l'examen car ils permettront, sur le terrain, de lutter plus efficacement contre le racisme et les discriminations. L'amélioration des modes de preuve et le recours aux statistiques sont de grandes avancées car il est aujourd'hui extrêmement difficile d'apporter la preuve d'un acte raciste ou d'une discrimination.

M. Vandenberghe souhaite formuler les observations suivantes concernant les deux projets à l'examen :

A. Projet de loi relative au renforcement de la législation contre le racisme (doc. Sénat, nº 2-1258)

M. Vandenberghe souligne que la raison d'être de ce projet est explicitement de proposer « différentes mesures pour remédier à une série de causes de non-application de la loi Moureaux. Il demeure en effet que trop peu de condamnations fondées sur la loi antiraciste ont été prononcées au regard du nombre de plaintes déposées ».

Le projet propose d'apporter à la loi Moureaux les modifications concrètes suivantes :

­ L'expression discrimination « en raison de la race » devient « en raison d'une prétendue race », pour indiquer que la notion de race ne correspond à aucune réalité scientifique.

­ L'expression discrimination « en raison ... de l'ascendance, de l'origine ou de la nationalité » est remplacée par « en raison ... de l'ascendance ou de l'origine nationale ou ethnique », par souci de cohérence légistique. En effet, la loi Moureaux mélange ces deux notions, par suite des diverses modifications de la loi.

­ Enjoindre de pratiquer une discrimination à l'encontre d'une personne, d'un groupe, d'une communauté, est considéré comme une discrimination (article 2-5).

­ La discrimination à l'égard d'un groupe est rendu punissable (article 4).

­ La surveillance du respect de la loi peut être assurée par des membres de l'Inspection du travail (article 6).

Le projet propose également d'apporter des modifications à la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme. Le centre se voit confier une nouvelle mission consistant à « veiller au respect des droits fondamentaux des étrangers et d'éclairer les pouvoirs publics sur la nature et l'ampleur des flux migratoires. Le centre a également pour mission de développer la concertation et le dialogue avec tous les acteurs publics et privés concernés par les politiques d'accueil et d'intégration des immigrés » (article 7).

Une triple tâche est dévolue au centre :

­ Le traitement des plaintes relatives à l'application de la législation sur les étrangers et la médiation.

­ La collecte de données statistiques et jurisprudentielles concernant l'application de la loi Moureaux et de la loi contre la discrimination ainsi que la publication de ces données.

­ Le centre peut demander à l'autorité compétente de l'aviser des résultats de l'analyse des faits qu'il transmet à cette autorité et qui constituent une infraction à la loi Moureaux ou à la loi contre la discrimination. Ces autorités doivent en informer le centre de manière motivée.

Enfin, le projet modifie également la loi du 13 mai 1999 contenant le statut diciplinaire des agents des services de police : lorsque le centre communique au Comité P ou à l'Inspection générale des services de la police fédérale et de la police locale des infractions à la loi contre la discrimination ou à la loi antiraciste, le président du Comité P ou l'inspecteur général est tenu de mener une enquête, d'informer l'autorité compétente et, le cas échéant, de saisir l'autorité disciplinaire compétente.

Le président du Comité P ou l'inspecteur général doit informer le centre des résultats de son action et des suites que l'autorité disciplinaire ou judiciaire a réservées à l'examen des faits.

M. Vandenberghe constate qu'il n'a été que partiellement tenu compte des remarques formulées par le Conseil d'État. Selon l'orateur, c'est à tort que le gouvernement n'a pas jugé nécessaire d'adapter son projet sur une série de points pour tenir compte des remarques suivantes :

­ S'agissant des adaptations apportées à la loi Moureaux, le Conseil d'État estime qu'il convient de se conformer à la terminologie des conventions internationales qui utilisent le mot « race ». Le gouvernement n'a pas donné suite à cette observation.

­ S'agissant des adaptations apportées à la loi du 15 février 1993, le Conseil d'État estime que l'accueil et l'intégration des immigrés relèvent de la politique de l'aide aux personnes et constituent essentiellement des matières personnalisables qui relèvent de la compétence des communautés. Il n'appartient pas au législateur fédéral de confier au centre des missions dans des matières communautaires. Le gouvernement n'a réservé aucune suite à cette observation.

­ Le Conseil d'État souligne dans le cadre de son avis que selon le représentant du ministre, le centre ne pourra utiliser les renseignements obtenus concernant un dossier disciplinaire dans le cadre d'une procédure civile ou pénale, le but recherché étant seulement d'exercer une « pression morale » sur les administrations.

Il est inadmissible qu'une autorité externe fasse pression sur l'autorité disciplinaire qui doit exercer son action en toute indépendance sous le seul contrôle des juridictions compétentes.

En outre, le dossier disciplinaire peut faire apparaître des faits, même non sanctionnés pénalement, commis dans le cadre de la vie privée de l'agent ou d'un tiers, dont le centre n'a évidemment pas à connaître sous peine de commettre une ingérence dans la vie privée, ce que prohibe l'article 22 de la Constitution » (doc. Chambre, nº 50-1407/001, p. 24). Le gouvernement n'a pas tenu compte de manière adéquate de cette observation.

M. Vandenberghe considère que les principes d'égalité et de non-discrimination fondent des droits fondamentaux qui revêtent une importance essentielle dans un État de droit. Son groupe politique est farouchement opposé à toute forme de discrimination illicite dont les personnes ou des groupes peuvent être victimes.

En ce qui concerne le projet de loi à l'examen, l'intervenant souscrit, pour des motifs d'ordre juridique, aux observations du Conseil d'État. Il ne voit pas pourquoi la majorité ne peut pas tenir compte de ces observations.

Il faut maintenir le mot « race » par souci de cohérence juridique avec le droit international.

S'agissant des compétences du centre dans le cadre des informations qu'il peut recevoir du Comité P, de l'Inspection générale ou de toute autre autorité compétente en cas d'infraction aux lois antidiscrimination, M. Vandenberghe souscrit aux observations du Conseil d'État.

L'article 8, alinéa 2, 10º, dispose que le centre peut « demander » à l'autorité compétente d'être tenu informé des suites réservées aux faits invoqués. Or, d'après les développements, les administrations sont obligées de s'informer sur les circonstances et le centre doit être informé des conclusions de l'enquête éventuelle et des motifs de la mise en oeuvre ou pas d'une procédure disciplinaire.

L'autorité compétente doit « motiver » ces informations relatives aux suites qui sont réservées à un fait signalé par le centre.

Bien que cette manière de procéder ait déjà subi d'importants aménagements par rapport à la manière dont elle était définie dans le projet initial qui allait beaucoup plus loin, elle ne saurait suffire.

Le seul but acceptable de ce régime est celui qui consiste à attirer l'attention des autorités administratives et disciplinaires sur le fait qu'il y a lieu de promouvoir les objectifs du centre. On peut atteindre ce but par le biais de l'information, de recommandations et de campagnes de sensibilisation et en signalant aux autorités disciplinaires les faits susceptibles de constituer des discriminations. Les autorités disciplinaires doivent par la suite pouvoir engager l'action disciplinaire en toute indépendance et sans subir aucune pression.

Pour s'assurer que le centre sera effectivement informé, on pourrait tout au plus prévoir que les administrations sont tenues de lui transmettre chaque année un rapport sur les faits éventuellement constatés qui sont porteurs d'une discrimination et sur les sanctions qui ont été infligées, sans que les informations communiquées permettent d'identifier les agents concernés.

Il semble en outre que le régime proposé, dans le cadre duquel l'identité des parties concernées doit effectivement rester secrète, manque son but, dès lors qu'un rapport fondé sur des cas concrets ne garantit aucunement cet anonymat.

Il faut se poser en outre la question générale de l'impartialité et de l'indépendance du centre, étant donné qu'il est associé à ces procédures. L'intervenant renvoie aussi à l'amendement qu'il a déposé au cours de la première discussion de la loi antidiscrimination au Sénat. Il prévoyait l'instauration d'une incompatibilité entre les fonctions de membre d'un cabinet et d'administrateur du centre. Cet amendement, qui visait à mieux garantir l'indépendance du centre par rapport au gouvernement, fut rejeté.

B. Projet de loi tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (doc. Sénat, nº 2-12)

Au cours de la discussion à la Chambre, on a demandé un nouvel avis au Conseil d'État, lequel avait déjà rendu un avis impitoyable sur la proposition originelle de M. Mahoux.

L'avis que le Conseil d'État a rendu le 30 juin 2002 était lui aussi cinglant, selon M. Vandenberghe.

La loi Moureaux contre le racisme et le projet utilisent deux définitions différentes de la discrimination. Qui plus est, la législation contre le racisme punit également celui qui pratique une discrimination dans le domaine de la fourniture de services ou de biens et en matière d'emploi, alors que le projet nº 2-12 ne sanctionne que celui qui incite à la discrimiantion fondée sur la race. Selon le Conseil d'État, de telles incohérences compromettent l'application de l'article 12 de la Constitution qui exige que les comportements incriminés soient indiqués de manière claire, prévisible et précise (doc. Chambre, nº 50-1578/002, p. 5). Par conséquent, il faut abroger la loi Moureau et insérer dans le projet nº 2-12 un chapitre qui reprendrait les dispositions spécifiques en matière de lutte contre le racisme et la xénophobie.

Le gouvernement n'a pas tenu compte, à la Chambre, de cet avis; on a toutefois ôté du projet les incriminations (incitations à ...) fondées sur la race et l'origine, pour les inclure dans la loi sur le racisme.

On n'a toutefois pas dissipé ainsi l'incohérence entre les deux définions de la discrimination. En outre, les dispositions en projet auront pour conséquence qu'une personne qui refuse de livrer une marchandise pour des raisons racistes serait punissable en application de la loi Moureaux, alors que, pour les discriminations fondées sur d'autres motifs, seule l'incitation ou la manifestation de l'intention ne serait punissable en application de la loi en projet.

Pour M. Vandenberghe, il est inacceptable qu'on puisse également punir l'auteur de la discrimination indirecte s'il ne s'en est pas rendu sciemment coupable.

Selon le Conseil d'État « l'effet discriminatoire d'un comportement ne pourrait être pris en considération que si l'agent a été conscient de sa survenance nécessaire (dol indirect) ou probable (dol éventuel), s'il est néanmoins résigné et en a accepté la réalisation plutôt que de renoncer à son comportement » (doc. Chambre, nº 50-1578/002, p. 5).

Le gouvernement n'a pas tenu compte de cette remarque. Au contraire, car, alors qu'à l'origine, on ne prévoyait l'incrimination de la discrimination directe que pour les actes posés par des agents ou officiers publics, on a adopté, à la Chambre, un amendement du gouvernement réprimant l'incitation à la discrimination directe comme l'incitation à la discrimination indirecte !

Le Conseil d'État a réitéré sa critique précédente en ce qui concene la disposition qui interdit toute forme de discrimination directe ou indirecte lors de la diffusion, de la publication ou de l'exposition en public d'un texte, d'un avis, d'un signe ou de tout autre support comportant une discrimination. Cette disposition n'est pas conciliable avec le principe de la liberté d'expression. Le gouvernement n'a pas tenu compte de cette observation.

Selon le Conseil d'État, la disposition relative au « harcèlement » est superflue, parce que le harcèlement est déjà punissable en vertu de l'article 442bis du Code pénal. En outre, l'article 442bis du Code pénal est reproduit à l'article 11 du projet, qui prévoit une peine plus lourde si le mobile du harcèlement répond à des motifs discriminatoires. Le « harcèlement discriminatoire » est donc de toute façon déjà punissable, de sorte que la disposition n'a absolument aucune utilité.

De plus, il y a confusion avec la notion de « harcèlement sur les lieux du travail » telle qu'elle est prévue dans la loi votée récemment et le « harcèlement sexuel » dont il est question dans la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail. Il n'a pas été tenu compte non plus de cette remarque.

En ce qui concerne la circonstance aggravante de « mobile discriminatoire » (motif abject) qui accompagne certaines infractions, le Conseil d'État répète qu'elle ne concerne que certains types d'infractions et que le choix des infractions retenues doit pouvoir être justifié au regard des articles 10 et 11 de la Constitution. Selon M. Vandenberghe, aucune motivation suffisante n'a été fournie à cet égard lors de la discussion à la Chambre.

Quant à l'utilisation de « données statistiques et de tests de situation », qui induit un renversment de la charge de la preuve, le Conseil d'État rappelle ce qui suit : « La recherche et l'administration des preuves doit se faire selon des procédés corrects et loyaux et dans le respect du domicile (article 15 de la Constitution), de la vie privée et familiale (article 22 de la Constitution), du secret des lettres (article 29 de la Constitution) et du secret professionnel (article 458 du Code pénal). »

Une question aussi délicate, et qui met en cause des principes constitutionnels, ne peut être abandonnée à la compétence du Roi mais doit être réglée, à tout le moins quant aux principes essentiels, par le législateur lui-même, à qui il appartient de trouver un juste équilibre entre la promotion de l'égalité et de la non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution) et les autres droits et libertés fondamentales, et de veiller ainsi à ce que les « tests de situation » ne puissent encourir le reproche de constituer des provocations ou des procédés déloyaux » (doc. Chambre, nº 50-1578/002, p. 9). La Chambre n'a pas tenu compte de cette importante observation du Conseil d'État.

En outre, la Chambre a décidé de demander l'avis du Conseil national du travail (CNT). Celui-ci a dû se prononcer sur le projet dans un délai d'urgence de 10 jours ­ un procédé qu'il a jugé inacceptable, aux termes de son avis.

Le CNT a souligné :

­ La nécessité d'une approche préventive et d'une non-judiciarisation des conflits. La prévention est totalement absente du projet. La création d'une « législation douce » (privilégiant par exemple la médiation, pour anticiper le conflit juridique) serait une démarche beaucoup plus appropriée que les propositions contenues dans le projet.

­ La nécessité d'une approche cohérente, notamment par rapport à la loi Moureaux, à la loi du 7 mai 1999, à la loi relative au harcèlement sur le lieu de travail, aux CCT nºs 25 et 38 sur l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins et sur le recrutement et la sélection des travailleurs.

Le CNT a fait les propositions suivantes :

­ conformément à l'article 6 de la directive du 27 novembre 2000, faire figurer dans le projet de loi la possibilité de prévoir que, dans certaines circonstances, des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination (prépension, travail de nuit et de jour, revenu mensuel minimum à partir de 21 ans, ...).

­ Dans le cadre de l'administration correcte de la preuve, objectiver dans le projet de loi l'exécution de tests de situation et les encadrer de manière claire.

­ Préciser que, dans les litiges concernant les matières relatives au droit du travail, outre le Centre pour la lutte contre le racisme, seules les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs peuvent ester en justice.

Le gouvernement n'a tenu compte d'aucune de ces remarques.

M. Vandenberghe signale également qu'à l'initiative du gouvernement, des points importants du projet ont été amendés.

L'orateur juge positivement le fait que les discriminations à l'égard des handicapés ont été ajoutées à l'article 2, § 3, du projet. Son groupe avait déposé, lors des débats au Sénat, un amendement visant à transposer la directive sur ce point mais la ministre n'avait, à l'époque, pas jugé opportun de retenir cette suggestion.

M. Vandenberghe peut également souscrire à l'ajout fait au § 5 de l'article 2, qui prévoit expressément qu'une différence de traitement repose sur une « justification objective et raisonnable » lorsque la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Le gouvernement a aussi interdit une autre forme de discrimination, à savoir tout comportement consistant à enjoindre à quiconque de pratiquer une discrimination à l'encontre d'une personne, d'un groupe, d'une communauté ou de leurs membres (article 2, § 7).

Il serait préférable d'aligner la formulation de la disposition autorisant les discriminations positives sur le texte de la directive (article 4).

Les discriminations fondées sur le sexe dans le cadre des relations de travail sont expressément exclues du champ d'application de la présente loi, mais transférées à celui de la loi du 7 mai 1999 (article 5).

Dans les dispositions pénales, on a supprimé les sanctions frappant les discriminations fondées sur la race, la nationalité, ... (soumises à la loi antiracisme) (article 6).

L'intervenant objecte au fait que les dispositions en projet rendent punissables non seulement les discriminations directes, mais aussi les discriminations indirectes (article 6).

La circonstance aggravante du « motif abject » n'est plus maintenue dans le projet en tant que règle générale, mais elle a été insérée dans des dispositions spécifiques du Code pénal relativement aux délits concernés (articles 7 à 14).

Les tests de situation ne doivent plus être réalisés impérativement par un huissier de justice (article 19, § 4).

Enfin, des modifications apportées au Code judiciaire rendent le tribunal du travail expressément compétent pour statuer sur les contestations relatives aux discriminations en matière de travail, même en l'absence de contrat de travail (par exemple en cas de refus d'embauche, situation qui ressortit actuellement à la compétence du tribunal de première instance) (articles 25 et 26).

Pour M. Vandenberghe, le projet de loi à l'examen n'est toujours pas acceptable, pas même dans sa forme amendée.

Il n'a pas été tenu compte des observations fondamentales formulées par le Conseil d'État dans son deuxième avis; les modifications apportées ne font qu'ajouter à l'incohérence juridique.

De plus, on fait totalement fausse route en pénalisant désormais aussi toute discrimination indirecte.

Le seul point positif est que l'amendement initial du CD&V relatif aux adaptations raisonnables pour la personne souffrant d'un handicap a su convaincre le gouvernement à la Chambre.

L'intervenant renvoie aussi aux observations formulées par le ministre de la Justice durant la première discussion au Sénat :

­ l'on ne saurait souscrire à l'option consistant à créer une loi parallèle à la loi antiracisme existante;

­ le gouvernement a opté pour une « loi générale antidiscrimination » : qu'en est-il dès lors des discriminations qui n'y sont pas visées ?

­ le Conseil d'État a souligné qu'il est inadmissible que les citoyens se voient imposer une interdiction de principe de discrimination dont le contenu concret n'est pas défini à l'avance.

M. Vandenberghe rappelle que le principe de légalité en matière pénale (article 7 de la CEDH) ne souffre aucune exception. Les justiciables doivent savoir avec précision quels sont les actes qui revêtent un caractère punissable.

La proposition de loi ne démontre en aucune manière qu'il soit socialement nécessaire, aujourd'hui, de sanctionner concrètement, au plan pénal, le non-respect de normes générales existantes. Il n'est pas davantage établi que la justice dispose des instruments lui permettant de faire respecter cette norme pénale générale.

Le projet de loi menace toujours certains principes constitutionnels, comme notamment le droit à la liberté d'expression. Le Conseil d'État a réitéré à juste titre son inquiétude concernant la disposition relative aux écrits et pamphlets. Dans ce projet, la primauté de l'égalité évince toute liberté au profit de la pensée unique.

L'intervenant précise également que l'on continue à transposer la directive de manière sélective. Il est positif d'avoir inscrit à nouveau dans le projet la distinction en matière de qualifications professionnelles dont l'objectif est légitime, mais pourquoi ne pas avoir retenu la disposition visant à ne pas considérer comme discriminatoire le fait d'exiger certaines qualifications professionnelles dans le cadre des cultes et des organisations ou communautés religieuses ?

Qui plus est, les directives se situent dans une perspective juridique beaucoup plus cohérente et offrant davantage de sécurité juridique : elles reposent sur un système fermé, dans lequel on part du principe que la discrimination directe est injustifiable, sauf si on a prévu explicitement des exceptions légales (lesquelles sont donc mentionnées dans la directive). Le projet de loi, au contraire, opte pour un système ouvert dans lequel la discrimination est interdite si elle « manque de justification objective et raisonnable ». Ce système prête à de nombreuses interprétations. L'intervenant estime que la prévisibilité requise pour satisfaire au principe de légalité n'existe pas dans un tel système.

Les règles concernant les tests de situation, qui doivent être élaborées par le Roi, ne sont pas acceptables, ainsi que le Conseil d'État l'a fait remarquer lui aussi. Le CNT également a noté que ces tests devaient avoir un caractère objectivable, qui doit être inscrit dans la loi même.

Dans quelle mesure la stricte réglementation et son renversement de la charge de la preuve, applicables à l'employeur qui licencie un travailleur, sont-ils praticables et conciliables avec le fonctionnement d'une entreprise ?

Le projet dispense le législateur de son obligation de fixer des normes et des directives claires (a fortiori nécessaires quand il s'agit d'une loi pénale); la ministre a répété à plusieurs reprises à la Chambre qu'il appartiendrait aux tribunaux d'interpréter.

Ce projet de loi ne fait que créer davantage d'insécurité juridique. Il s'agit d'une législation à finalité symbolique, un domaine dans lequel la majorité arc-en-ciel se targue d'exceller. Mais c'est une législation symbolique dangereuse.

Mme Stavaux-Van Steenberge reste convaincue que les projets à l'examen sont juridiquement mal ficelés et que les tribunaux ne parviendront pas à les appliquer.

Selon les auteurs du projet de loi tendant à lutter contre la discrimination, le but de ce texte est de définir un cadre général luttant contre toutes les formes de discriminations. Dès lors, l'oratrice ne comprend pas pourquoi une discrimination aussi fondamentale que celle basée sur les convictions politiques n'est pas mentionnée dans les bases de discrimination.

L'intervenante annonce qu'elle déposera une série d'amendements qui sont inspirés des remarques très critiques formulées par le Conseil d'État, une institution que l'on ne peut suspecter de racisme.

En ce qui concerne la notion de « prétendue race », l'intervenante pense que cette modification n'est pas de nature à faciliter l'applicabilité du texte. Par ailleurs, pourquoi ne pas suivre la logique jusqu'au bout en ajoutant le qualificatif « prétendue » à l'expression « origine ethnique » qui n'est pas non plus démontrée d'un point de vue scientifique.

En réaction à un des préopinants, M. Mahoux rappelle le point de vue de Lacordaire selon lequel, dans un régime d'inégalité, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui protège.

Pour l'intervenant, il est dès lors fondamental que la non-discrimination soit garantie dans la loi.

En ce qui concerne les craintes exprimées à propos des discriminations indirectes, l'orateur renvoie à la disposition du projet qui précise que la loi ne porte pas atteinte à la protection et à l'exercice des libertés et des droits fondamentaux qui sont mentionnés dans la Constitution et les conventions internationales.

Enfin, il se réjouit que les discriminations à l'égard des handicapés ont été intégrées dans le projet de loi. Lors du premier examen au Sénat, il y avait un accord sur le fond pour prendre en compte ce type de discriminations mais il n'y avait pas eu de consensus sur la manière de le faire. L'orateur est heureux de la formule retenue par la Chambre des représentants à laquelle il se rallie intégralement.

Mme Nyssens pense qu'il est logique de traiter dans deux projets séparés le renforcement de la lutte contre le racisme et la lutte contre les discriminations. Le législateur belge s'inscrit de la sorte dans la logique européenne car il existe deux directives invitant les États à mettre en place des outils de lutte spécifiques pour les deux problématiques.

En ce qui concerne la législation sur le racisme, l'oratrice demande si le projet de loi va plus loin que les mesures préconisées dans la directive européenne sur l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race.

Par ailleurs, en matière de lutte contre les discriminations liées à la fortune, Mme Nyssens rappelle que le Centre pour l'égalité des chances disposait d'une cellule pauvreté. Le gouvernement souhaite-t-il faire de cette cellule l'instrument politique pour lutter contre les discriminations liées à la fortune ? De même, le gouvernement allouera-t-il au Centre des moyens supplémentaires pour tenir compte des compétences nouvelles qui lui sont attribuées par le projet ?

L'intervenante pense d'autre part que les modifications apportées au projet nº 2-12 par la Chambre des représentants sont assez substantielles. Elle cite par exemple les discriminations dont sont victimes les personnes handicapées ainsi que le régime des sanctions pénales et civiles. Cela démontre l'utilité d'une deuxième lecture des textes.

Mme Nyssens demande ensuite pour quelles raisons il n'est pas possible d'arrêter, dans la loi, les principes généraux du test de situation. L'intervenante n'est pas opposée à ce mode de preuve même s'il est difficile d'en mesurer les conséquences pratiques quant à l'administration de la preuve devant la juridiction concernée : le juge est-il libre d'apprécier la valeur probante du test de situation ou est-il tenu par son résultat ? Elle comprend par ailleurs les craintes exprimées par les partenaires sociaux face à la délégation très générale qui est confiée au Roi pour fixer les modalités d'exécution du test de situation.

Elle se réfère enfin aux directives européennes qui demandent aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour aménager la charge de la preuve. Les directives précisent cependant que ces aménagements peuvent ne pas s'appliquer aux procédures dans lesquelles l'instruction des faits incombe à la juridiction ou à l'instance compétente. Comment faut-il interpréter cette exception ? Si ce contentieux vient devant les juridictions du travail, l'auditorat du travail peut-il soulever le test de situation comme mode de preuve ?

IV. RÉPONSES DE LA MINISTRE ET ÉCHANGE DE VUES

En réponse à la question concernant l'adjonction du qualificatif « prétendue » au mot race, la ministre estime qu'il s'agit d'une conséquence logique découlant de la position scientifique selon laquelle il n'existe pas de races distinctes à l'intérieur de l'espèce humaine.

Il est exact que la directive européenne 2000/43 sur l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, dans laquelle le projet trouve son fondement, utilise la notion de race sans y ajouter le qualificatif « prétendue ».

L'intervenante rappelle les conditions politiques dans lesquelles cette directive a été approuvée. Le Conseil de l'Union européenne voulait réagir rapidement à l'accession au pouvoir, en Autriche, d'un parti d'extrême droite. Pour obtenir l'unanimité sur le texte de cette directive sans y consacrer de trop longs débats, il n'a pas été possible d'entamer des discussions sur certains thèmes. C'est la raison pour laquelle le texte de la directive ne tire pas la conséquence logique de la position selon laquelle il n'y a pas de races distinctes au sein de l'espèce humaine. Cela n'empêche cependant pas un état membre de franchir ce pas.

En ce qui concerne la suggestion du Conseil d'État d'abroger la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie et d'en intégrer les dispositions dans la loi anti-discrimination, la ministre fait remarquer qu'en vingt ans, la loi Moureaux s'est fait connaître. Cela vaut également pour la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail qui commence à être connue.

Si l'on suit la remarque du Conseil d'État et que l'on fond ces législations dans une nouvelle loi tendant à lutter contre la discrimination, il faudra recommencer ab initio tout le travail pédagogique d'information, ce qui nuira à l'efficacité pratique des mesures proposées. Le gouvernement a préféré mettre en place une nouvelle loi générale tendant à lutter contre la discrimination qui coexiste avec deux exceptions :

­ pour le volet pénal des discriminations raciales, la loi Moureaux modifiée par le projet nº 2-1258;

­ pour le volet civil des discriminations à l'embauche sur le genre, la loi du 7 mai 1999.

En réponse aux questions sur les nouvelles missions du Centre pour l'égalité des chances et aux moyens qui lui sont alloués, la ministre répond que les moyens du centre ont été plus que doublés. Le conseil d'administration du centre a préparé un nouvel organigramme. La structure s'articule autour de coordinations générales. Une de celles-ci sera chargée de mettre en oeuvre la nouvelle compétence d'observatoire des flux migratoires que le projet confie au centre.

Pour la ministre, il est essentiel que le centre puisse compter sur la parfaite collaboration des administrations publiques qui ont l'obligation de communiquer au centre toutes les informations utiles à l'exécution de sa mission, notamment des statistiques judiciaires.

Mme de T' Serclaes constate que la mission d'observatoire des flux migratoires touche également aux compétences des communautés et des régions.

La ministre rappelle que la mission du centre est transversale. Elle ne s'arrête pas au champ de compétence du pouvoir fédéral. C'est la raison pour laquelle le conseil d'administration du Centre comprend également des représentants des communautés et des régions. Le centre peut s'adresser à l'ensemble des ministères compétents, tant au niveau fédéral que régional ou communautaire afin d'assurer un recueil complet des données nécessaires à la mission d'observatoire des migrations.

Le gouvernement a décidé que l'Observatoire des migrations ne serait pas logé au sein du ministère de l'Intérieur. Il a semblé préférable de le loger dans le Centre pour l'égalité des chances qui bénéficie déjà d'une expérience et d'une expertise en matière d'accueil et d'intégration des étrangers. Le rôle du Centre ne se cantonne pas à la récolte de données statistiques. Le but de l'observatoire est de développer des analyses et de formuler des propositions de modifications légales et réglementaires ou de discriminations positives que l'on peut réaliser à travers un constat sur les flux migratoires.

En réponse à la question d'un membre sur la « cellule pauvreté » du Centre pour l'égalité des chances, la ministre fait remarquer que cette cellule a été transférée, depuis un peu plus d'un an, au sein de l'administration de l'Intégration sociale.

Pour ce qui concerne le test de situation, la ministre rappelle que celui-ci ne s'applique que pour les procédures civiles. Or, la preuve peut-être administrée librement en matière civile. Ces tests existent d'ailleurs déjà dans la pratique. L'apport principal du projet, c'est de prévoir un renversement de la charge de la preuve lorsque le juge estime que le résultat du test est concluant. Ce renversement de la charge de la preuve n'est pas automatique.

M. Vandenberghe estime que le test de situation a, indirectement, des conséquences sur le plan pénal. Si, à la suite d'un test de situation, le renversement de la charge de la preuve est opéré, il appartient à la partie défenderesse de démontrer l'absence de discrimination. Si cette dernière n'y parvient pas, le juge conclura que la discrimination est établie. Or, rappelle l'intervenant, le projet prévoit une incrimination pénale de la discrimination.

En réponse à la question de l'utilisation du test de situation par l'auditorat du travail, la ministre répond que le texte du projet est clair : seules la victime de la discrimination ou certaines organisations peuvent invoquer des tests de situation. Ce mode de preuve ne peut être utilisé par le parquet.

V. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 2

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 2-1258/2) visant à remplacer, dans l'article 2, la notion de « prétendue race » par celle de « race ».

Mme De Schamphelaere confirme que les auteurs rejettent toute thèse visant à défendre l'existence de races au sein de l'espèce humaine. Cependant, elle estime qu'il est préférable de conserver, dans la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, le mot race.

Comme l'a signalé le Conseil d'État, « dans un texte de loi, surtout lorsqu'il s'agit d'une loi pénale qui s'adresse à tous les citoyens, les mots sont utilisés dans leur sens courant » (doc. nº 50-1407/001, p. 25). Par ailleurs, le terme « race » correspond à la terminologie utilisée dans toute une série de conventions internationales.

La ministre renvoie à la discussion générale sur ce point. Elle se réfère au considérant nº 6, en préambule à la directive 2000/43/CE relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, selon lequel « L'Union européenne rejette toutes théories tendant à déterminer l'existence de races humaines distinctes. L'emploi du mot « race » dans la présente directive n'implique nullement l'acceptation de telles théories ».

Le gouvernement a voulu aller plus loin que la directive en maintenant le mot race mais en y ajoutant le qualificatif « prétendue », ce qui permet de consacrer, dans la loi, le fait qu'il n'existe pas de races humaines distinctes. Selon la ministre, l'ajout du qualificatif « prétendue » est une précision qui n'est pas en contradiction avec les conventions internationales. L'intervenante demande dès lors le rejet de l'amendement nº 1.

Mme de T' Serclaes plaide pour que l'on réfléchisse à une autre terminologie (par exemple xénophobie) et que l'on adapte progressivement les conventions internationales pour y supprimer les références aux races. Cela permettrait d'indiquer plus clairement ce contre quoi l'on se mobilise plutôt que d'utiliser l'expression « prétendue race ».

Pour M. Mahoux, il est important, d'un point de vue politique, que le législateur consacre le fait que la notion de race ne repose sur aucune réalité scientifique. Par ailleurs, cela permet de considérer qu'une personne qui défend des théories tendant à confirmer l'existence de races distinctes commet un acte raciste.

Article 3

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 2-1258/2) visant à remplacer, dans l'article 3, la notion de « prétendue race » par celle de « race ».

Voir la discussion de l'article 2.

Article 4

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 2-1258/2) visant à remplacer, dans l'article 4, la notion de « prétendue race » par celle de « race ».

Voir la discussion de l'article 2.

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 2-1258/2) visant à mettre l'article 2 de la loi du 30 juillet 1981 en concordance avec les modifications que les autres dispositions du projet apportent à cette loi. Au nom des auteurs, Mme De Schamphelaere estime qu'il n'est pas logique, de maintenir, dans l'article 2 de la loi Moureaux, les notions d'« ascendance, d'origine ou de nationalité » alors que le projet à l'examen ainsi que le projet nº 2-12 mentionnent les notions « ascendance ou origine nationale ou ethnique ». L'amendement a pour but de rectifier l'oubli commis par les auteurs du projet.

Article 5

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 5 (doc. Sénat, nº 2-1258/2) visant à remplacer, dans l'article 5, la notion de « prétendue race » par celle de « race ».

Voir la discussion de l'article 2.

Article 6

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 6 (doc. Sénat, nº 2-1258/2) visant à supprimer cet article.

Au nom des auteurs, Mme De Schamphelaere rappelle que le Conseil d'État considère que « la référence aux dispositions de la loi du 16 novembre 1972 concernant l'Inspection du travail manque de clarté. (...) Il semble, dès lors, préférable de modifier l'article 1er de la loi du 16 novembre 1972 afin de viser, à l'alinéa 1er, in fine, la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie » (doc. Chambre, nº 50-1407/001, p. 26).

Le gouvernement n'ayant pas suivi cette recommandation du Conseil d'État, Mme De Schamphelaere propose de supprimer l'article 7 et d'insérer, dans un souci de cohérence, la règle attribuant une nouvelle compétence à l'Inspection sociale dans la loi du 16 novembre 1972. De la sorte, toutes les compétences attribuées à l'Inspection sociale sont regroupées dans la loi du 16 novembre 1972 concernant l'Inspection du travail. C'est l'objet de l'amendement nº 7 de M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere proposant d'insérer un nouveau chapitre IIbis dans le projet de loi (doc. Sénat, nº 2-1258/2).

La ministre répond que les missions des inspecteurs du travail sont déjà réparties dans diverses législations. C'est vrai que d'un point de vue idéal, il faudrait codifier toutes ces compétences. Cependant, inscrire la règle de compétence dans la loi où se trouve le siège du combat contre le racisme et les instruments pour le combattre répond à une certaine logique. Elle demande par conséquent de rejeter les amendements nºs 6 et 7.

Article 7

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 8 (doc. Sénat, nº 2-1258/2) visant à supprimer l'article 7.

Selon les auteurs, la disposition empiète sur les compétences des communautés. En effet, l'accueil et l'intégration des immigrés relève de la compétence de ces dernières et il n'appartient dès lors pas au législateur fédéral de confier des missions en cette matière au Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

La ministre répond que le centre est un outil à disposition tant de l'entité fédérale que des entités fédérées. C'est un outil de cohérence entre toutes les instances du pays et il est, dans ce cadre, politiquement important d'inscrire cette matière dans les compétences du centre.

Mme de T' Serclaes rappelle que l'immigration était d'ailleurs la mission initiale dévolue au Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

Article 8

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 9 (doc. Sénat, nº 2-1258/2) visant à mieux garantir l'indépendance de l'autorité disciplinaire par rapport au Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme. À cet effet, les auteurs proposent de supprimer l'obligation pour les autorités disciplinaires de devoir motiver les informations qu'elles communiquent au centre à la suite d'une dénonciation faite par ce dernier.

La ministre estime que la motivation de l'information communiquée au centre par l'autorité disciplinaire est une condition indispensable pour mener une véritable politique de lutte contre les discriminations racistes qui seraient commises par des agents de l'État. Sans motivation, le centre ne sait pas exercer son contrôle sur la manière dont l'autorité disciplinaire donne suite aux faits qui lui sont dénoncés. Enfin, il ne faut pas non plus exagérer la portée de l'obligation de motivation dans le chef de l'autorité disciplinaire. Ainsi, la ministre estime qu'une autorité qui informe le centre qu'elle n'a pas sanctionné l'agent car il n'y avait rien dans le dossier satisfait à son obligation.

Article 8bis (nouveau)

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 10 (doc. Sénat, nº 2-1258/2) visant à insérer un article 8bis. Les auteurs veulent par cet amendement que l'article 458 du Code pénal soit rendu applicable aux membres du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme.

La ministre répond que les agents du centre, qu'ils soient statutaires ou contractuels, sont tenus de respecter les principes du secret professionnel visés à l'article 458 du Code pénal. Cet amendement est dès lors superflu.

Article 10

M. Vandenberghe et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 11 (doc. Sénat, nº 2-1258/2) visant à supprimer l'article 10. Pour les auteurs, le gouvernement n'a pas tenu compte de la remarque formulée sur ce point par le Conseil d'État. Le régime proposé met en péril l'indépendance des autorités disciplinaires par rapport au Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme. Cette disposition doit dès lors être supprimée.

La ministre estime que la solution proposée concernant le suivi donné par le Comité permanent ou l'Inspection générale à propos des faits dénoncés par le centre, est équilibrée. Cela a fait l'objet d'un consensus avec les ministres compétents et les organisations syndicales qui ont été consultées.

L'intervenante précise que l'information communiquée par le Comité permanent ou l'Inspection générale est anonyme. Le secret est préservé puisque l'identité des parties concernées n'est pas communiquée au centre. Le but est de permettre au Centre de contrôler que la loi est appliquée pour les agents des services de police.

VI. VOTES

Les amendements nºs 1 à 11 sont rejetés par 10 voix contre 2.

L'ensemble du projet est adopté par 10 voix contre 1 et 1 abstention.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

Les rapporteurs, Le président,
Jean-François ISTASSE.
Meryem KAÇAR.
Josy DUBIÉ.

Le texte adopté par la commission
est identique au texte du projet de loi
transmis par la Chambre des représentants
(voir le doc. Chambre, nº 50-1407/007 ­ 2000-2001)