2-1223/3

2-1223/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2002-2003

10 DÉCEMBRE 2002


Projet de loi modifiant les articles 49, alinéa 2, et 52, alinéa 4, de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR MME TAELMAN


I. PROCÉDURE

Le présent projet de loi, qui est soumis à la procédure obligatoirement bicamérale, a été adopté par la Chambre des représentants le 27 juin 2002, par 85 voix et 31 abstentions, et a été transmis au Sénat le 28 juin 2002.

La commission de la Justice l'a examiné lors de ses réunions des 26 novembre et 10 décembre 2002, en présence du ministre de la Justice.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DE LA JUSTICE

Le ministre insiste pour que ce projet de loi soit adopté, indépendamment de la réforme prévue de la loi relative à la protection de la jeunesse, sur laquelle il n'a pas d'incidence. Outre qu'il a pour seul objet d'apporter une adaptation purement technique à la loi en vigueur, le projet à l'examen doit être adopté d'urgence afin d'assurer la sécurité publique et de garantir la sécurité juridique.

Cette urgence tient au fait qu'il convient d'éviter qu'une interprétation erronée des articles concernés de la loi, interprétation telle qu'il en a déjà été donné par le passé, ait pour effet qu'un juge de la jeunesse ou un juge d'instruction estime ne pas pouvoir prendre de mesure urgente et provisoire à l'égard d'une personne qui est majeure au moment où il est saisi de l'affaire, mais qui était mineure au moment où elle a commis le fait qualifié infraction.

Conformément à l'article 36, 4º, de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, la procédure devant le tribunal de la jeunesse commence au moment de la réquisition du ministère publique. Dans l'hypothèse où une personne, mineure lorsqu'elle a commis un fait qualifié infraction, a atteint l'âge de la majorité, non pas au cours de la procédure, mais avant le début de celle-ci, la formulation actuelle de l'article 52, alinéa 4, de la loi du 8 avril 1965 ne permet pas au juge de la jeunesse de prendre une mesure provisoire à l'égard de cette personne jusqu'à ce que celle-ci ait atteint l'âge de vingt ans.

En outre, l'article 49, alinéa 1er, tel qu'il est actuellement formulé, ne permet pas au juge d'instruction de prendre une mesure provisoire à l'égard d'un mineur qui comparaît devant lui.

Le projet de loi à l'examen apporte une réponse à ce problème d'interprétation de texte et correspond en tous points à la volonté du législateur et à l'interprétation qu'il a donnée en 1994 de ces dispositions en précisant clairement que des mesures provisoires peuvent également être prises à l'égard des personnes qui se trouvent dans la situation susmentionnée.

Le ministre souligne, en guise de conclusion, que le projet de loi à l'examen a déjà été soumis trois fois à l'avis du Conseil d'État et qu'il y a eu concertation avec toutes les communautés, en parfaite conformité avec l'article 6, § 3bis, 4º, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, tel qu'il a été modifié par la loi du 8 août 1988.

Le ministre ajoute que le problème a surgi à la suite d'un arrêt de la cour d'appel de Gand rendu à propos d'un car-jacker, qui avait commis les faits quelques jours avant sa majorité, mais avait comparu devant le juge de la jeunesse alors qu'il était déjà majeur.

La cour avait estimé qu'aucune mesure ne pouvait être prise à l'égard de ce jeune, sur la base des deux articles de la loi du 8 avril 1965 visés par le projet à l'examen.

Lors des discussions préparatoires en inter-cabinets, durant les longues discussions avec les communautés et lors de l'examen du projet à la Chambre, il n'a jamais été question de procéder, par le projet en discussion, à une réforme en profondeur de la loi sur la protection de la jeunesse, mais uniquement de clarifier la portée des deux dispositions visées, dans l'hypothèse particulière qui vient d'être décrite.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

M. Mahoux demande s'il est exact que le long amendement déposé à la Chambre par M. Van Parijs tendait à revoir l'ensemble de la législation de 1965.

Le ministre le confirme, et ajoute que le même texte a été déposé sous forme de proposition de loi.

Mme Nyssens observe que, dans le projet de loi, il est question de la « réquisition » du ministère public alors que, selon elle, il faudrait utiliser le terme « réquisitoire ». Elle dépose à cet effet les amendements nºs 3 et 4 (doc. Sénat, nº 2-1223/2).

Le ministre répond que le réquisitoire est oral (cf. les plaidoiries), tandis que la réquisition est écrite (cf. les conclusions).

La précédente intervenante demande ensuite si toute ambiguïté a été levée par rapport aux problèmes actuels d'interprétation du texte, lorsqu'il n'y a pas de réquisitoire du parquet, mais que l'on se trouve dans l'hypothèse d'une saisine directe du juge d'instruction (cas de flagrant crime ou de flagrant délit, mesure provisoire prise par le juge d'instruction et avis au juge de la jeunesse : l'avis saisit le juge de la jeunesse et lui permet de procéder à des investigations concernant la personnalité du jeune en question, sans attendre l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction). Dans cette hypothèse, le texte ne résout rien.

Enfin, les articles 2 et 3 du projet apportent des modifications aux articles 49 et 52 de la loi de 1965, mais sans en faire disparaître la référence à l'ancien article 53, abrogé dans l'intervalle.

M. Vandenberghe déclare que le projet à l'examen a une portée limitée et apporte une amélioration à la loi du 8 avril 1965. Le groupe de l'intervenant déplore qu'au cours de la présente législature, le gouvernement se soit dans une large mesure limité, en la matière, à des lois de réparation comme le projet en discussion ou à des solutions d'urgence improvisées, comme ce fut le cas avec le projet de loi « Everberg ». Chacun sait que l'ambiance sociale actuelle diffère sensiblement de celle qui existait au moment où fut adoptée la loi de 1965, et que beaucoup de gens estiment qu'une réforme fondamentale de cette législation s'impose. Il existait à ce sujet dans la majorité des avant-projets intéressants, qui, apparemment, n'ont pu être déposés à défaut de consensus.

C'est pourquoi le groupe de l'intervenant dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1223/2, amendement nº 5), tendant à remplacer les articles 2 et 3 du projet par une législation globale, car il estime qu'en cette fin de législature, les questions cruciales en matière de protection de la jeunesse doivent être abordées. Dans l'intervalle, il faut procéder par la voie de projets de loi fragmentaires, qui traduisent un compromis politique à propos de corrections de la loi de 1965, ou qui répondent à des questions exprimées depuis des années par les parquets. L'intervenant renvoie à ce sujet à la base légale d'une série de mesures alternatives et de l'élargissement du dessaisissement en faveur du juge pénal.

De même, la matière est abordée de façon ponctuelle dans certaines législations comme la loi sur le football, où s'est posée la question de la nature des mesures qui peuvent être infligées à des mineurs aux abords d'un terrain de football.

L'intervenant constate qu'en dépit du fait que les ministres de la justice successifs ont tous, au cours des dernières législatures, inscrit la revision de la législation sur la protection de la jeunesse parmi leurs priorités, rien de substantiel n'a été fait, et que l'on ne parvient pas à répondre au besoin social que constitue l'adaptation de cette législation.

Mme Nyssens demande si, dans le cadre de la discussion de ce projet, on a abordé à la Chambre la question des travaux d'intérêt général ordonnés avant jugement, comme mesure d'investigation. En effet, la jurisprudence paraît divisée sur ce point.

Mme Taelman déclare qu'elle partage pour une part les sentiments d'un précédent orateur. Le groupe de l'intervenante aurait lui aussi souhaité un débat approfondi sur le droit de la jeunesse.

Le projet à l'examen répond cependant à un besoin exprimé par les praticiens, et doit être adopté dès que possible.

Le ministre répond à Mme Nyssens que l'article 2 ne remplace que quelques mots de l'article 49, alinéa 2. L'article doit être lu dans son ensemble. Les cas de saisine d'office à l'égard de majeurs ayant commis un délit avant l'âge de 18 ans ne sont pas exclus par le texte.

En ce qui concerne les travaux d'intérêt général, il serait hypocrite de dire que, pour les majeurs, il s'agit bien d'une peine, mais que pour les mineurs, il s'agirait d'une « mesure ». Si le nombre d'heures varie, il s'agit toujours de travail non rémunéré à effectuer pendant le temps libre. Dans l'option d'un droit sanctionnel de la jeunesse, il était cohérent de considérer les travaux d'intérêt général comme des sanctions. Par ailleurs, la présomption d'innocence est applicable. Dès lors, aussi longtemps qu'un juge du fond ne s'est pas prononcé sur la culpabilité, même d'un mineur, on ne peut, dans le cadre des mesures provisoires, prendre des sanctions, même si on les déguise sous le vocable de « mesures ». Il faut pour cela un débat contradictoire et l'assistance d'un avocat.

Dans un État de droit, il faut s'en tenir à certaines règles, et il n'appartient pas au ministère public de négocier des peines.

L'intervenant renvoie à un arrêt Otman Barkani contre ministère public, rendu le 4 mars 1997, où la Cour de Cassation a estimé que le travail d'intérêt général n'était pas une mesure d'observation ni de garde, mais une décision à caractère punitif, une sanction.

Il faut rappeler qu'en 1965, le législateur a parlé d'une prestation, et non de multiples prestations étalées sur une durée plus ou moins longue.

L'article 37 de la loi de 1965 parle de mesures de garde, de préservation et d'éducation, qui ne peuvent être prises que par le juge du fond.

Par contre, dans le cadre de la procédure préparatoire, où aucun débat contradictoire n'a encore eu lieu sur la culpabilité, l'article 52 ne parle pas de préservation ni d'éducation, mais uniquement de garde.

Le juge de la jeunesse ou le juge d'instruction ne peut donc prendre, à titre provisoire, que des mesures de garde, ce qui est parfaitement conforme à la présomption d'innocence.

Quant au fait que la mention de l'article 53 subsiste dans la partie de l'article 49 non modifiée par le projet à l'examen, chacun sait que l'article 53 a été abrogé. La mention de cet article figure encore à d'autres endroits de la loi de 1965, et le but du présent projet n'était pas de porter remède à cette situation.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 1er

Cet article ne suscite aucune observation.

Articles 2 et 3

Amendement nº 5

M. Vandenberghe dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1223/2, amendement nº 5), tendant à remplacer les articles 2 et 3 par un texte général comportant 163 articles.

Il est renvoyé, à ce sujet, aux considérations émises dans le cadre de la discussion générale.

Mme Nyssens déplore une nouvelle fois que durant la présente législature, on n'ait pas réalisé la réforme de la loi de 1965, selon les principes d'une justice basée sur des garanties procédurales plus strictes, et d'une sanction réparatrice plus moderne, moins protectionnelle mais conservant une spécificité propre aux mineurs.

Amendement nº 1

Mme Nyssens dépose un amendement visant à remplacer l'article 2 (doc. Sénat, nº 2-1223/2, amendement nº 1). Cet amendement traduit les observations formulées par l'intervenante à propos de la référence à l'article 53 qui n'a pas été supprimée, et à propos des hypothèses où il n'y a pas de réquisitoire du procureur du Roi (voir supra, discussion générale).

Amendement nº 3

Mme Nyssens dépose à l'amendement nº 1 un amendement subsidiaire (doc. Sénat, nº 2-1223/2, amendement nº 3) tendant à remplacer, à l'article 2, les mots « la réquisition » par les mots « le réquisitoire » (voir supra, discussion générale).

Amendement nº 2

Mme Nyssens dépose un amendement (doc. Sénat, nº 2-1223/2, amendement nº 2) tendant à remplacer l'article 3.

Il est renvoyé à l'amendement nº 1.

Amendement nº 4

Mme Nyssens dépose à l'amendement nº 2 un amendement subsidiaire (doc. Sénat, nº 2-1223/2, amendement nº 4), tendant à remplacer, à l'article 3, les mots « la réquisition » par les mots « le réquisitoire ».

Il est renvoyé à l'amendement nº 3 à l'article 2, ainsi qu'à la discussion générale.

V. VOTES

L'article 1er est adopté à l'unanimité des 10 membres présents.

L'amendement nº 5 de M. Vandenberghe est rejeté par 8 voix contre 1 et 1 abstention.

Les amendements nº s 1 et 3 de Mme Nyssens sont rejetés par 8 voix contre 2.

L'article 2 est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Les amendements nº 2 et 4 sont rejetés par 8 voix contre 2.

L'article 3 est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

L'ensemble du projet de loi est adopté par 8 voix et 2 abstentions.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 11 membres présents.

La rapporteuse, Le président,
Martine TAELMAN. Josy DUBIE.

Le texte adopté par la commission
est identique au texte du projet transmis
par la Chambre des représentants
(voir le doc. Chambre, nº 50-1557/004 ­ 2002-2003)