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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 5 DÉCEMBRE 2002 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de Mme Magdeleine Willame-Boonen au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères sur «l'attitude de l'administration Bush envers le programme d'action de la Conférence internationale pour la population et le développement» (nº 2-915)

M. le président. - M. Rik Daems, ministre des Télécommunications et des Entreprises et Participations publiques, chargé des Classes moyennes, répondra au nom de M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères

Mme Magdeleine Willame-Boonen (CDH). - Monsieur le ministre, je suis un peu déçue, malgré toute l'estime que j'ai pour vous, de l'absence du ministre des Affaires étrangères, qui est membre du Conseil de ministres européens - c'est vraiment à ce niveau qu'il faut se placer -, alors que nous parlons de problèmes colossaux qui concernent trois milliards de personnes. L'hémicycle étant en outre quasiment désert, j'ai un peu l'impression d'être une fourmi face à quelque chose d'énorme. Si je n'avais pas la volonté de m'exprimer malgré tout, je serais restée chez moi pour faire autre chose. J'espère en tout cas que le ministre des Affaires étrangères aura préparé une réponse satisfaisante. En effet, face à cette administration Bush qui fait un peu n'importe quoi, j'aimerais obtenir une réponse complète et, surtout, « active » du ministre.

L'année 2004 verra le dixième anniversaire de l'adoption et de la signature du programme d'action de la Conférence internationale pour la population et le développement. Ce programme, signé au Caire, est le résultat de nombreux débats, discussions et négociations auxquels ont participé 179 pays dont, bien sûr, les États-Unis. Depuis lors, des efforts ont été consentis dans le monde entier pour mettre en oeuvre ce programme d'action par le biais de programmes nationaux en appui à la planification familiale, à la santé procréative et au développement.

Le programme d'action de la CIPD est un accord novateur en ce qui concerne l'amélioration de la santé des femmes dans le monde entier, mais sa signification va bien au-delà. Il confirme les droits les plus fondamentaux de la personne humaine, à savoir le droit de tous les êtres humains à décider eux-mêmes de leur propre vie. Le programme d'action vise d'ailleurs l'accès à l'autonomie des hommes, mais aussi des femmes, dans le monde entier : il s'agit d'offrir aux hommes et aux femmes une plus grande maîtrise de leur propre vie en leur donnant accès à l'enseignement, aux services de la santé procréative et de la santé sexuelle, à l'emploi, etc. Cette nouvelle approche s'avère déterminante, non seulement pour la prévention, par exemple, des maladies sexuellement transmissibles - le sida, notamment - et de la mortalité maternelle, mais aussi dans la lutte contre la pauvreté.

Cet accord est le fruit d'un consensus global difficilement réalisé, auquel ont participé des délégations de tous les gouvernements, de même que des représentants de centaines d'ONG et d'autres organisations civiles appartenant à divers milieux sociaux, religieux et politiques.

Nous sommes confrontés aujourd'hui à une menace énorme, que fait peser, sur ce consensus universel, l'un des pays les plus riches du monde. Depuis que j'ai lu le livre d'Olivier Todd consacré à ce sujet, je préfère utiliser l'adjectif « riches » plutôt que « puissants ».

Sous la présidence de George W. Bush, la politique nationale et la politique étrangère des États-Unis sont déterminées dans une large mesure par une attitude qui, non seulement, exclut l'avortement, mais s'affirme aussi contre la santé procréative et l'éducation sexuelle, et qui, en outre, limite fortement les services de planification familiale existant dans les pays avancés.

J'ai eu l'occasion de présider, en mai dernier, la délégation parlementaire relative à la santé reproductive. Nous avons, au Maroc, visité de petits villages situés au fin fond du pays et avons compris à quel point les centres de santé y étaient essentiels, sans oublier que le Maroc ne figure même pas parmi les pays les moins avancés.

Le jour même de son entrée en fonction, le président Bush a pris des décisions annonçant une évolution fort préoccupante. Ce jour-là, il a remis en place the global gag rule, qui supprimait d'office l'aide de l'USAID - l'U.S. Agency for International Development - à toute organisation travaillant dans le domaine de la santé des femmes et qui aurait pu avoir un lien avec l'avortement.

Les États-Unis ont décidé par la suite de supprimer leur contribution au FNUAP, soit 34 millions de dollars, ce qui n'a pas tardé à aggraver encore la situation des femmes dans le monde entier.

Et voilà qu'aujourd'hui, à Bangkok, à l'occasion d'une réunion préparatoire de l'Asian and Pacific Population Conference, organisée par les Nations unies, l'administration Bush a fait savoir qu'il ne lui était plus possible de maintenir son appui au programme d'action du Caire. Cette administration est même allée jusqu'à affirmer vouloir supprimer de nombreux concepts fondamentaux et toute référence dans les textes aux services de santé procréative, de droits de la reproduction et de santé sexuelle.

Chaque année, on recense dans le monde quelque 80 millions de grossesses non désirées. Chaque minute, une femme meurt des complications dues à sa grossesse. Dans les pays pauvres, la grossesse est la cause de mortalité la plus importante chez les jeunes filles de quinze à dix-neuf ans. Et voilà que Bush menace de revenir à la politique d'il y a quarante ans.

Cette attitude sape les progrès recherchés depuis si longtemps sur le plan de la santé procréative et des droits de la femme. L'expérience montre d'ailleurs que l'éducation sexuelle est un moyen efficace de prévention des grossesses non désirées et des maladies sexuellement transmissibles.

En outre, cette attitude marque le mépris pour les principes fondamentaux des accords multilatéraux. Or, comme je l'ai dit au début de mon intervention, en 1994, les États-Unis ont, eux aussi, signé le programme d'action de la CIPD. La communauté internationale ne doit et ne peut accepter qu'un seul pays décide unilatéralement de revoir un tel accord et de rouvrir le débat à ce sujet.

Bien évidemment, cette évolution nous préoccupe au plus haut point, et nous jugeons inacceptables ces mesures, décidées unilatéralement par les Américains. Il est dès lors de la plus haute importance que l'esprit et la lettre du programme d'action du Caire ne fassent pas l'objet d'un nouveau débat. La position de la Belgique à ce sujet nous intéresse donc beaucoup.

Nous demandons au ministre des Affaires étrangères et à l'ensemble du gouvernement d'adopter une position forte et sans équivoque face à l'attitude américaine. Cette position doit également être confirmée à l'échelon européen. Quelques pays européens étant également concernés - notamment la France, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne - par les négociations régionales menées dans le cadre de la CESAP, nous demandons au gouvernement belge de prendre contact avec les gouvernements de ces pays pour que l'Accord du Caire soit maintenu tel qu'il a été approuvé, en 1994, par 179 pays.

(M. Jean-Marie Happart, vice-président, prend place au fauteuil présidentiel.)

M. Rik Daems, ministre des Télécommunications et des Entreprises et Participations publiques, chargé des Classes moyennes. - Le ministre des Affaires étrangères, retenu par d'autres devoirs, vous prie d'excuser son absence. Il m'a chargé de vous communiquer sa réponse. J'y ajouterai mon expérience passée d'expert pour l'ONU.

Le gouvernement est parfaitement conscient des problèmes que vous avez soulevés. Dans toutes les conférences des Nations unies qui ont eu lieu cette année, notamment la Conférence de Madrid sur le vieillissement de la population, les sommets de Monterrey et de Johannesburg, le ministre des Affaires étrangères s'est efforcé de maintenir les acquis du langage commun agréé en matière de santé reproductive issus de la Conférence internationale pour la population et le développement qui s'est tenue au Caire, en 1994.

La diplomatie belge a utilisé tous les canaux disponibles sur le plan de la concertation européenne et les contacts bilatéraux pour oeuvrer dans ce sens, en bonne intelligence avec la société civile.

De surcroît, dans les discussions en cours à l'assemblée générale concernant le suivi des grandes conférences des Nations unies, notre gouvernement a très explicitement fait valoir une position rappelant notamment notre attachement indéfectible au maintien des acquis que j'ai mentionnés.

La Belgique comprend mal que certains pays dont les États-Unis remettent en cause certains de ces acquis qui ont pourtant fait l'objet d'un consensus difficile dans les conférences ad hoc des Nations unies. Cette remise en cause porte également atteinte à l'efficacité du système multilatéral mis en place par l'ONU. Elle est regrettable.

Enfin, le soutien de la Belgique à l'action du Fonds des Nations unies pour la population, le FNUAP, est reconnu et apprécié. Ce soutien a fait l'objet d'une mention explicite dans le discours officiel du délégué belge à la Conférence de Madrid sur le vieillissement. La Belgique a libéré, le 14 septembre, une contribution volontaire additionnelle d'1,65 million d'euros pour compenser le retrait américain, ce qui démontre notre attachement à ces acquis.

Mme Magdeleine Willame-Boonen (CDH). - Je suis convaincue que votre ancienne fonction d'expert pour les Nations unies vous rend d'autant plus conscient de l'ampleur des problèmes que j'ai soulevés.

Je n'ai cependant pas de réponse quant aux contacts que le ministre des Affaires étrangères aurait notamment avec la France, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, à cet égard. Je me suis rendue au Maroc, invitée par le FNUAP. J'aimerais savoir s'il existe des contacts bilatéraux entre pays d'Europe. Les États-Unis ont accusé, de manière tout à fait fausse, le FNUAP notamment, de provoquer une série d'avortements. Ce sont évidemment des mensonges. J'aimerais savoir si l'on oeuvre pour une sorte de cohésion européenne qui compenserait la défection américaine aussi brutale qu'injuste.

M. Rik Daems, ministre des Télécommunications et des Entreprises et Participations publiques, chargé des Classes moyennes. - Malheureusement, je ne dispose pas d'autres éléments. Je ne manquerai pas de mentionner vos questions supplémentaires au ministre des Affaires étrangères.

-L'incident est clos.