2-243

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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 21 NOVEMBRE 2002 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Questions orales

Question orale de M. François Roelants du Vivier à la vice-première ministre et ministre de la Mobilité et des Transports et au ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement sur «le naufrage du pétrolier Prestige et la sécurité maritime» (nº 2-1133)

Question orale de Mme Marie Nagy à la vice-première ministre et ministre de la Mobilité et des Transports et au ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement sur «la mise en oeuvre des dispositions Erika» (nº 2-1135)

M. le président. - Je vous propose de joindre ces questions orales. (Assentiment)

M. François Roelants du Vivier (MR). - Le ministre de l'environnement a inauguré le 7 septembre le nouveau système de lutte de la Belgique contre les marées noires, dont le matériel, représentant une dépense de 2,1 millions d'euros, permet de faire face à une marée noire de 1000 tonnes d'hydrocarbures. N'est-ce pas dérisoire par rapport aux 10.000 tonnes déjà répandues par le pétrolier « Prestige » au large de la Galice, et aux 70.000 tonnes encore dans ses cuves, mais jusqu'à quand ?

Il n'y aura jamais en mer de risque zéro. Mais on connaît les solutions pour minimiser les risques de naufrage : des bateaux modernes (à double coque pour les pétroliers), régulièrement entretenus et contrôlés, contraints de naviguer loin des côtes, placés sous surveillance aérienne, et dont les opérateurs savent qu'ils seront condamnés à payer l'intégralité des dégâts en cas de naufrage. La communauté internationale aurait les moyens d'imposer ces solutions, c'est la volonté politique qui manque. Il suffit de voir le chemin qui reste avant que soient enfin mises en oeuvre les mesures décidées par l'Union européenne après le naufrage de l'Erika.

Mes questions visent donc les paquets Erika I et II, mais aussi les obligations liées au mémorandum de Paris et à la convention MARPOL. Le paquet Erika I, adopté en décembre 2001, n'entrera en vigueur qu'en juin 2003. Cet ensemble de décisions prises au niveau de l `Union européenne prévoit le renforcement des contrôles dans les ports et l'établissement d'une liste noire de bateaux dangereux, une inspection annuelle obligatoire des bateaux jugés à risque (ils sont environ 4000), et une meilleure surveillance des sociétés de classification. Avez-vous, pour ce qui concerne notre pays, anticipé tout ou partie de ces mesures ? Lesquelles ?

Le mémorandum de Paris prévoit que les 19 États, dont les 15 de l'Union européenne, qui y ont adhéré effectuent un contrôle d'au moins 25% des bateaux qui se présentent dans leurs ports. En 2001, la Belgique inspectait 29% de ces bâtiments soit 1679 sur un total de 5789. Cette inspection était utile puisque 849 bateaux ont également été diagnostiqués avec des déficiences et 102 étaient même retenus dans nos ports jusqu'à ce que les réparations nécessaires soient achevées. Si nous faisons infiniment mieux que la France, qui n'inspecte que 9,63% des bateaux, nous sommes encore loin de l'Italie et de la Croatie, avec une performance de 40%. La presse affirme que nous sommes dans la bonne moyenne mais ne peut-on faire mieux que 29% ?

Les amendements 2001 à la convention MARPOL viennent d'entrer en vigueur. Ils visent à accélérer la mise en oeuvre de l'obligation de la double coque pour les pétroliers de plus de 30.000 tonnes, fixée au plus tard pour 2015, mais en imposant cette obligation pour les navires construits après 1996. N'y a-t-il pas moyen de donner un coup d'accélération supplémentaire à l'Organisation maritime internationale ?

Enfin, le paquet Erika II m'amène d'autant plus à vous interroger qu'il n'est pas encore adopté. Vous savez qu'il prévoit la mise en place d'une Agence de sécurité maritime, à propos de laquelle une querelle de siège fait toujours rage ; il prévoit aussi un nouveau fonds d'indemnisation, doté d'un milliard d'euros, et la mise en place d'un système d'information de navigation permettant d'interdire l'entrée des eaux européennes à un bateau dont on ignore le degré de sécurité ou la cargaison. Ce paquet est donc très important. Quels efforts déployez-vous au conseil des ministres de l'Union pour faire avancer cet ensemble de mesures ? Quoiqu'il s'agisse d'une responsabilité collective, je ne doute pas que la Belgique a un rôle éminent à jouer en cette matière. J'espère que vous le jouez.

Mme Marie Nagy (ECOLO). - Je voudrais tout d'abord féliciter M. Roelants du Vivier car, dans ce dossier - contrairement à celui de Francorchamps que nous avons traité ce matin - il montre à présent de l'empressement à soutenir les décisions européennes et souhaite que la Belgique fasse davantage que ce que l'Europe demande. Il faudrait avoir la même position dans tous les dossiers.

Mardi Matin, le « Prestige », mal nommé, navire libérien battant pavillon des Bahamas - ou, selon les sources, navire grec battant pavillon libérien - a sombré avec sa cargaison de produits pétroliers dans les eaux de l'océan Atlantique. Une région entière voit son économie, traditionnellement basée sur la pêche et l'élevage des coquillages, lourdement menacée. Des dizaines de kilomètres de côtes sont d'ores et déjà souillés et le reste de la cargaison, gisant maintenant par 3500 mètres de fond, menace, pour une période indéterminée, les côtes espagnoles, portugaises et françaises.

Jacques Chirac, lui-même, s'en est violemment pris aux responsables politiques européens et nationaux dénonçant le « laxisme avec lequel on laisse se développer des bateaux poubelles ». La commissaire européenne aux transports a annoncé qu'elle allait demander aux États membres d'accélérer la mise en oeuvre des paquets de mesures Erika I et II prises par la Communauté ou en voie de l'être à la suite du naufrage du pétrolier Erika au large des côtes bretonnes.

Vous avez beaucoup bataillé, madame la ministre, pendant la présidence belge pour que les mesures Erika I et II soient adoptées. Aujourd'hui je voudrais vous poser les questions suivantes. Quelles mesures seront prises afin d'accélérer la transposition en droit belge des dispositions européennes Erika ? Quelles mesures sont d'ores et déjà prises par la Belgique et par les pays limitrophes afin de prévenir ce type d'accidents ? Comment la classification et la lutte contre les navires poubelle s'organise-t-elle ?

Mme Isabelle Durant, vice-première ministre et ministre de la Mobilité et des Transports. - Je voudrais tout d'abord souligner que sous la présidence belge, M. Roelants du Vivier en est témoin, lors des discussions au Parlement, nous avons essayé d'avancer le plus possible sur le dossier Erika I, la finalisation de la conciliation et sur le dossier Erika II.

Les mesures décidées au niveau européen sont strictes et je souhaite qu'elles soient mises en oeuvre le plus rapidement possible. Mme de Palacio vient de répéter la même demande. J'ai immédiatement répondu à la Commission que la Belgique appliquera dès à présent le renforcement des contrôles, sans attendre la transposition de la directive prévue pour juillet 2003.

Par ailleurs, en Belgique, il n'y a aucun navire à simple coque. Notre pays est donc un « bon élève » puisque nous respectons le quota de 25% de navires contrôlés. Je pense qu'avec les mesures Erika I et II, nous contribuons à renforcer la sécurité maritime.

Je souhaite évidemment que le niveau international emboîte le pas. Le renforcement des contrôles dans nos ports permettra un meilleur contrôle des bateaux de complaisance. L'OMI a toutefois un rôle extrêmement important à jouer car le problème ne se pose pas uniquement au niveau européen. Le tout est qu'au sein de l'OMI, l'Europe s'exprime d'une même voix et pèse de tout son poids plutôt que de laisser les États membres de l'OMI faire part isolément de leur volonté d'accélérer les choses ou de les retarder. En ce qui concerne les inspections des navires étrangers qui entrent dans les ports belges, le service Port State Control respecte déjà en grande partie les mesures prévues dans les paquets dits Erika I et II, à savoir que les navires à inspecter en priorité sont les pétroliers les plus anciens.

Depuis l'an 2000, dans le cadre du Mémorandum d'entente de Paris, la Belgique participe à une campagne d'inspection renforcée sur ces navires. Douze pétroliers ont ainsi été retenus par les inspections belges. Évidemment, peu de pétroliers accostent dans les ports belges puisque les grosses raffineries se trouvent surtout du côté de Rotterdam.

En réponse à la Commissaire européenne, Mme de Palacio, qui m'interrogeait avant-hier sur l'entrée en vigueur des mesures prises pour renforcer les contrôles nationaux, j'ai donné instruction à mes services d'inspecter systématiquement les pétroliers, conformément aux modalités de la nouvelle directive et avant même sa transposition en droit belge. La transposition avance puisque le texte est actuellement soumis pour avis aux régions. Une telle démarche ne peut être efficace que si les États membres du Mémorandum d'entente de Paris appliquent leurs contrôles selon les mêmes critères. J'adresserai une demande en ce sens au Comité du mémorandum d'entente de Paris.

Sur le point de savoir s'il est possible d'améliorer le quota annuel d'inspection, qui atteint aujourd'hui 29% en Belgique, je déplore parfois une certaine hypocrisie en la matière. En effet, le nombre et la qualité des inspections réellement exécutées sont bien plus déterminants que la course au meilleur pourcentage. Les 19 États membres du Mémorandum de Paris, dont le Canada, le Japon et la Russie, ont réalisé 18.681 inspections en 2001. La Belgique en a réalisé 1.679, soit 9% de l'ensemble, ce qui la classe en troisième place en ce qui concerne le nombre d'inspections effectuées. En comparaison, la Croatie réalise un taux de contrôle de 49% des navires entrants, mais cela ne représente que 410 inspections. Dans le cadre du Mémorandum d'entente et des dispositions européennes, on peut donc conclure que la Belgique joue un rôle important dans la lutte contre les navires « sous-standard ».

En ce qui concerne la question du remplacement des simples coques par des doubles - il s'agit d'un amendement à la Convention MARPOL - la disparition des simples coques est prévue pour 2015. A l'époque de l'Erika, d'aucuns estimaient d'ailleurs ce délai déraisonnable mais, pendant la présidence belge, la Belgique est intervenue de façon active auprès de l'OMI pour raccourcir les délais initiaux qui ne prévoyaient la disparition des simples coques qu'en 2028. A notre sens, ce délai était d'autant plus déraisonnable que l'on sait que certains ports américains ont chassé les simples coques de chez eux. Si l'Europe ne prend pas de dispositions en la matière, nous deviendrons effectivement la poubelle de ceux qui ne sont plus acceptés ailleurs.

De façon pragmatique, il faut également tenir compte de la capacité mondiale pour la construction de nouveaux pétroliers et de l'approvisionnement en énergie. Tant que les énergies fossiles et polluantes seront nécessaires à l'activité économique et industrielle, il faudra évidemment de nouveaux pétroliers avec les risques qui découlent de ce type de transport. Le risque zéro n'existe pas même si tout doit être fait pour en minimiser les effets.

Je rappelle donc que le paquet Erika I avait déjà été conclu par une conciliation menée durant la présidence belge. Pour le paquet Erika II, la directive 2002/59 en matière d'information pour l'accompagnement du trafic maritime a été publiée le 5 août 2002. Mon administration a déjà entamé sa transposition. Quant à l'agence dé sécurité maritime, même si un siège officiel n'a pas encore été désigné, elle se réunira pour la première fois le 4 décembre à Bruxelles. C'est évidemment un triste signal de mettre sa première réunion sous le signe d'une catastrophe de ce genre.

La création d'un fonds d'indemnisation est actuellement reportée au niveau de l'Organisation maritime internationale en vue d'une augmentation importante des plafonds d'indemnisation actuels. Si cette démarche n'aboutit pas rapidement au résultat escompté ou si l'augmentation des plafonds n'est pas suffisante, je soutiendrai pleinement auprès du Conseil les initiatives de la Commission pour une solution européenne. L'idée a toujours été de faire pression au maximum au niveau international et, si nous n'obtenions pas gain de cause, de nous rabattre sur des solutions européennes plus contraignantes.

On peut donc conclure que dans le cadre du Mémorandum d'entente, la Belgique joue un rôle important dans la lutte contre ces navires « sous-standard ». Malheureusement, en attendant que les mesures structurelles portent leurs effets sur l'assainissement de la flotte mondiale, on ne peut que se protéger, par des contrôles renforcés, contre les sociétés poubelles qui exploitent des navires poubelle.

J'en viens à la question de M. Roelants du Vivier concernant l'effort réalisé par notre pays dans le cadre de la lutte contre une éventuelle marée noire en Belgique. Effectivement, depuis septembre 2002, la Belgique dispose de cette capacité opérationnelle. Vous soulignez, monsieur, qu'elle est insuffisante. Cette capacité existe pour les cas de pollution occasionnelle - déversement illégal - ou d'accident minimes, mais elle n'est pas suffisante pour faire disparaître des dizaines de milliers de tonnes d'une marée noire comme celle occasionnée par le « Prestige ».

En cas de catastrophe pétrolière majeure en mer du Nord, il est clair que l'aide des pays voisins sera sollicitée. C'est ce qui s'est passé pour le « Prestige » où divers pays voisins ont offert leur aide vu l'ampleur de la catastrophe. Même si les capacités combinées des États de la mer du Nord ne suffisaient pas, des contributions d'une autre provenance seraient nécessaires pour que l'on puisse lutter valablement contre le phénomène. Les solutions ne sont envisageables qu'en termes de coopération face à l'ampleur de certaines catastrophes.

En conclusion, je suis, comme tout le monde, totalement indignée par ce qui se passe, d'autant plus qu'au-delà de la catastrophe écologique dramatique qu'il représente, cet accident est aussi une catastrophe économique pour toute une région. Depuis ce qui est arrivé à l'« Erika », nous espérions ne plus voir ce genre d'images. Une série de mesures ont été décidées ; certaines sont déjà en application. À mon sens, les volontés individuelles au niveau européen ne sont pas trop contestables ; elles sont réelles même s'il faut que chacun applique plus rapidement les mesures décidées. Mais l'Europe doit également peser de tout son poids dans les enceintes internationales. Certains pavillons internationaux, des bateaux poubelle jouent sur un certain nombre d'irrégularités. Dans le cas présent, on attend les résultats de l'enquête. L'Europe doit également montrer l'exemple en matière de mesures prises à l'échelle européenne et transcrites par chaque Etat membre.

M. François Roelants du Vivier (MR). - Je remercie la vice-première ministre de sa réponse très détaillée. Je suis ce dossier depuis l'accident du « Torrey Canyon », c'est-à-dire depuis plus de trente ans. Si des progrès sont enregistrés, malheureusement, de grandes marées noires se produisent encore, d'autant plus que les pétroliers sont de plus en plus gigantesques. On ne sortira de l'équation qu'à partir du moment où des mesures techniques seront prises, par exemple la double coque, et lorsque la responsabilité des opérateurs sera engagée. Il est évident que c'est la meilleure des préventions.

Par ailleurs, il faudra absolument disposer d'une catégorie spécifique concernant certaines cargaisons. En effet, le naufrage d'un bateau de 60.000 tonnes transportant du blé ne pose évidemment pas le même problème que celui d'un pétrolier transportant 30.000 tonnes de brut. Il va dès lors falloir légiférer davantage au niveau international sur les dangers posés par certains contenus.

Enfin j'ai noté que sur les 1.679 bateaux, 849 avaient été retenus comme présentant un problème à l'exclusion des 102 bateaux retenus dans les ports. Cela montre qu'il reste du travail à accomplir et le fait d'augmenter la proportion de 29% ne pourra être que profitable.