2-1193/4

2-1193/4

Sénat de Belgique

SESSION DE 2001-2002

17 JUILLET 2002


Proposition de résolution relative à la situation alarmante régnant dans l'est du Congo sur le plan humanitaire et en matière de droit international humanitaire


TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE


Le Sénat,

A. Considérant que, d'après des rapports établis par les Nations unies et par des ONG nationales et internationales (comme Broederlijk Delen, Pax Christi, Réseau européen Congo, Human Rights Watch, Amnesty International, etc.), près de trois millions de personnes ­ principalement des femmes et des enfants ­ ont perdu la vie dans l'est du Congo à cause de l'occupation étrangère;

B. Considérant que, selon ces mêmes rapports, quelque deux millions de personnes ont été déplacées au sein des frontières de leur propre pays et que plusieurs millions de personnes risquent de mourir de malnutrition ou par manque de soins médicaux, ou d'être victimes des exactions perpétrées par des soldats nationaux et étrangers, par des rebelles et par des groupes armés qui terrorisent ou exploitent la population locale;

C. Considérant que l'accord de paix signé à Lusaka en 1999 constitue encore le fondement des futures négociations de paix ainsi que de toutes les démarches entreprises en vue de parvenir à une pacification et à une démocratisation durables de la République démocratique du Congo (dénommée ci-après « RDC »);

D. Considérant que le Dialogue intercongolais de Sun City a débouché sur un accord dont l'assise doit être étendue, le cas échéant moyennant des négociations complémentaires et un certain nombre de modifications, à toutes les parties concernées, en particulier le gouvernement rwandais et le mouvement rebelle RCD-Goma qui bénéficie du soutien de ce dernier;

E. Considérant qu'un certain nombre de pays n'ont toujours pas retiré leurs troupes du territoire congolais, au mépris de la lettre et de l'esprit de l'accord de paix de Lusaka, et que notamment et surtout le Rwanda reste fortement présent, en tant que force d'occupation, dans de vastes régions de l'est du Congo;

F. Considérant que les combats dans l'est du Congo ainsi que les attaques contre la population civile dans la région du Kivu et dans la province occidentale se poursuivent, que de nouveaux troubles ont éclaté récemment à Kisangani, dont a eu à nouveau à pâtir la population locale, et qu'il est à craindre que ces troubles soient à nouveau l'occasion, pour les rebelles du RCD-Goma et leur allié, le Rwanda, de renforcer leur emprise sur la ville et sur l'ensemble de la région;

G. Considérant qu'outre la situation humanitaire, la situation sur le plan du droit international humanitaire et des droits de l'homme est devenue dramatique et alarmante pour la population congolaise en général et pour la population civile de l'est du Congo en particulier;

H. Considérant qu'un développement et une démocratisation durables de la RDC requièrent avant tout l'établissement d'une paix durable; que, pour ce faire, la cession immédiate des hostilités, le retrait inconditionnel de toutes les troupes étrangères, le désarmement et la démobilisation des groupes armés et, enfin, la cessation complète des exactions commises à l'encontre la population civile, constituent des priorités absolues;

I. Considérant qu'en outre, la paix souhaitée ne peut être durable que si l'on prend une série de mesures spécifiques complémentaires, bénéficiant autant que possible du soutien de la communauté internationale, telles que l'instauration d'un embargo total sur les armes applicable à l'ensemble de la région, la collecte et la destruction des armes sur une grande échelle ­ en particulier, des petites armes légères, qui font le plus de victimes ­, le désarmement et la réintégration de rebelles et d'autres militaires ne faisant pas partie des nouvelles forces armées congolaises régulières, la libération immédiate de tous les enfants-soldats et le lancement d'une campagne de réinsertion sociale;

J. Considérant que l'exploitation illégale des richesses naturelles de la RDC a été qualifiée de « pillage systématique » dans un récent rapport des Nations unies; qu'il ressort du deuxième rapport des Nations unies sur cette exploitation que l'accès aux matières premières du pays, ainsi que le contrôle et le commerce de celles-ci constituent le motif sous-jacent du conflit en RDC;

K. Considérant que l'engagement de la MONUC (Mission de l'Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo), conformément à la résolution 1341 du Conseil de sécurité des Nations unies, est déjà très avancé, mais qu'il doit être renforcé sur le terrain en termes d'effectifs et de portée du mandat, notamment en ce qui concerne la protection de la population civile locale, le désarmement et la démobilisation des belligérants (avec une attention particulière pour la réinsertion des enfants-soldats), l'encadrement du retrait des troupes étrangères, la protection et la surveillance des frontières, l'arrêt et la prévention du pillage des richesses naturelles, le contrôle des embargos sur les armes, la participation à la lutte contre la contrebande d'armes, etc.;

L. Considérant que la communauté internationale, en général, et les Nations unies et l'Union européenne, en particulier, peuvent contribuer à la prévention, mais aussi, le cas échéant, à la répression des violations graves du droit international humanitaire et des droits fondamentaux de l'homme, que l'impunité dans ces domaines est toujours inacceptable et qu'il convient dès lors de mettre en place des mécanismes opérationnels permettant de constater, d'instruire et de poursuivre ces violations.

Demande au gouvernement d'intensifier les efforts déjà fournis, appuie les efforts du gouvernement en vue de parvenir à une solution pacifique au Congo et demande en particulier :

1. de continuer à mener une politique congolaise active afin de réunifier le pays et d'établir une paix durable, deux facteurs nécessaires au développement économique et social de la RDC au profit de la population congolaise;

2. d'intensifier la pression politique sur l'ensemble des parties signataires de l'accord de paix de Lusaka afin qu'elles respectent leurs engagements conformément aux dispositions de cet accord, ainsi que ceux que leur imposent le droit humanitaire international et les Conventions de Genève, tout particulièrement en ce qui concerne la protection des populations civiles dans les régions qui sont sous leur contrôle;

3. de contribuer plus activement à la consolidation et au renforcement des résultats du Dialogue intercongolais à Sun City, en élargissant l'assise de l'accord conclu ­ qui fournit une base opérationnelle pour la transition vers une pacification et une démocratisation durables ­ à l'ensemble des parties concernées et responsables, et plus particulièrement au RCD-Goma, et ce, soit en exerçant des pressions, soit en poursuivant les négociations;

4. d'exercer de réelles pressions sur tous les pays qui sont présents Congo ­ en premier lieu, le Rwanda ­ en vue d'obtenir un retrait rapide et inconditionnel de leurs troupes du territoire congolais et de les mettre formellement devant leurs responsabilités en ce qui concerne le comportement de leurs militaires envers la population civile locale; le contrôle étroit des aides financières et des aides au développement ainsi que de l'usage qui en est fait constituant à cet égard des moyens d'action possibles et envisageables;

5. de soutenir pleinement l'initiative de l'Angola visant à mettre sur pied une troupe armée africaine mixte dans le but, notamment, d'exercer des contrôles aux frontières et de préserver ainsi l'intégrité du territoire des pays concernés;

6. d'instaurer un embargo total sur les armes dans toute la région et de plaider avec ardeur auprès de la communauté internationale afin que soient prises des mesures visant à lutter activement contre le trafic d'armes et à organiser la collecte et la destruction sur une grande échelle des armes légères et des armes de poing dans la région;

7. d'agir concrètement contre l'exploitation illégalle des richesses naturelles de la RDC et contre le financement du conflit par ce biais, notamment en prenant lui-même des mesures et en incitant les Nations unies et l'Union européenne (mais également la Banque mondiale et le Fonds monétaire international) à faire preuve de plus de fermeté et à soutenir activement les enquêtes initiées dans les pays cités dans le rapport en question des Nations unies;

8. d'exiger le renforcement de la présence, et surtout du mandat, de la MONUC, en particulier en ce qui concerne la protection de la population civile locale, le désarmement et la démobilisation des belligérants (avec une attention particulière pour la réinsertion des enfants-soldats), l'encadrement du retrait des troupes étrangères, la protection et la surveillance des frontières, l'arrêt et la prévention du pillage des richesses naturelles, le contrôle des embargos en vigueur sur les armes et la participation à la lutte contre la contrebande d'armes;

9. d'inciter les diverses nations et organisations africaines ainsi que les groupements d'intérêts locaux à fournir des efforts en vue de trouver une solution durable au conflit;

10. de procéder à une analyse approfondie de toutes les aides économiques accordées aux pays impliqués dans le conflit en RDC et de la coopération avec ces pays, afin que les fonds destinés aux programmes d'aide et de développement socioéconomique ne puissent être utilisés pour financer des activités militaires ou être détournés à d'autres fins, et de demander aux autres pays et organisations internationales concernés de procéder à la même analyse;

11. d'inciter la communauté internationale et surtout l'Union européenne à augmenter et surtout à mieux coordonner l'aide humanitaire destinée à la population civile congolaise touchée et à surveiller en permanence la situation humanitaire, en accordant une attention particulière à l'accès de cette population aux centres de distribution alimentaire, à l'aide médicale et aux soins de santé;

12. de condamner le recours généralisé à des actes de violence sexuelle, qui sont commis par des soldats, des rebelles et des membres des milices des différents belligérants à l'encontre des femmes et des jeunes filles et d'accorder simultanément une aide financière, technique et politique, ou le cas échéant, de renforcer l'aide existante en faveur d'actions destinées à constater et prévenir la violence sexuelle et à protéger et accueillir les victimes;

13. de condamner ouvertement les actes d'intimidation et d'oppression dirigés contre les défenseurs des droits de l'homme, tant dans les zones contrôlées par le gouvernement de la RDC que dans les zones sous contrôle rwandais;

14. d'exhorter le président congolais, M. Kabila, à tenir pleinement ses promesses en ce qui concerne la mise en oeuvre de réformes démocratiques et le respect des droits fondamentaux et des droits de l'homme, en ce compris l'instauration d'un moratoire sur l'application de la peine de mort, la réforme de la Cour militaire et la protection des défenseurs des droits de l'homme;

15. de dégager des moyens financiers et/ou du personnel, et, le cas échéant, de les accroître en vue de renforcer le Human Rights Field Office (HRFOC) des Nations unies et la composante civile de la MONUC, en particulier en ce qui concerne la protection de l'enfance, les causes humanitaires et les droits de l'homme;

16. d'inciter le Conseil de sécurité des Nations unies à :

(1) envoyer des observateurs de la MONUC, qui devront vérifier, dans des foyers de crise tels que Kisangani, Shabunda, Minembwe et Ituri, les accusations qui sont formulées dans des rapports crédibles à l'encontre des différents belligérants concernant des agressions contre la population civile, et

(2) à combattre vigoureusement toute impunité pour les atrocités commises en RDC, en particulier, par le biais d'une commission d'experts chargée d'enquêter sur les violations graves des droits de l'homme et du droit humanitaire commises dans la RDC et de constater celles-ci; sur la base de ses constatations, cette commission pourrait également formuler des recommandations à l'intention du Conseil de sécurité, notamment en ce qui concerne la mise en place d'un mécanisme juridictionnel approprié;

17. eu égard à la nécessité de faire justice,

(1) d'étudier d'ores et déjà lui-même la manière dont la Cour pénale internationale, qui sera opérationnelle le 1er juillet 2002 et dont la juridiction est reconnue par la RDC, pourrait être sollicitée pour engager des poursuites relatives à des violations graves du droit humanitaire (génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre) en RDC ­ la commission d'experts précitée (voir le point 14) pourrait aussi jouer un rôle important à cet égard ­, et

(2) de mettre en oeuvre d'autres mécanismes juridictionnels pour juger les crimes de cette nature qui ont été commis par le passé.