2-210

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Belgische Senaat

Handelingen

DONDERDAG 13 JUNI 2002 - OCHTENDVERGADERING

(Vervolg)

Wetsontwerp betreffende de Centrale Raad der niet-confessionele levensbeschouwelijke gemeenschappen van België, de afgevaardigden en de instellingen belast met het beheer van de materiële en financiële belangen van de erkende niet-confessionele levensbeschouwelijke gemeenschappen (Stuk 2-1116) (Evocatieprocedure)

Algemene bespreking

M. Jean-François Istasse (PS), rapporteur. - L'objectif du projet soumis au vote de notre assemblée aujourd'hui est de mettre en place un cadre juridique complet relatif à la reconnaissance de la laïcité, en application de l'article 181, §2, de la Constitution.

Lors de la révision constitutionnelle de 1993, l'article 117, actuellement article 181, avait en effet été complété par un paragraphe 2 prévoyant que les traitements et pensions des délégués des organisations reconnues par la loi et qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle sont à charge de l'État. Cependant, cet article, établissant l'égalité de traitement entre les conceptions philosophiques non confessionnelles et les six cultes actuellement reconnus, n'avait toujours pas été mis en oeuvre concrètement même si, d'un point de vue pratique, une subvention à charge du budget de la Justice avait déjà été allouée au mouvement laïque. Il fallait donc combler cette lacune, ce qui est l'objet du présent projet.

Le précédent gouvernement, conscient du problème, avait déposé au Parlement, à la fin de la législature, un projet de loi relatif au Conseil central des communautés philosophiques non confessionnelles de Belgique, qui avait été adapté à la suite des discussions ayant eu lieu avec les délégués de l'Unie Vrijzinnige Verenigingen et du Centre d'Action Laïque. Ce texte n'a pu être examiné avant la dissolution des Chambres en raison des élections de juin 1999.

La discussion en commission de la Justice du Sénat s'est orientée essentiellement vers les points suivants : l'égalité de traitement entre les délégués laïques et les représentants des cultes, les interventions financières des provinces et de l'État et le rôle de l'État dans l'organisation de la laïcité.

Mme De Schamphelaere a fait remarquer que le projet prévoyait, outre la prise en charge des traitements et des pensions des délégués laïques, le maintien du régime des subventions allouées aux organisations laïques. Par ailleurs, les cultes reconnus ne bénéficient pas de telles subventions. Quelle raison objective peut justifier une telle différence de traitement alors qu'il faut rester en conformité avec l'article 181, §2, de la Constitution ?

De même, il est indiqué que le régime de pension des délégués laïques est celui du secteur public, alors que ces délégués n'ont pas le statut de fonctionnaire. Ces personnes cumuleraient les avantages du secteur public et ceux du secteur privé. Le projet créerait de la sorte une différence de traitement injustifiée en faveur des délégués laïques par rapport aux ministres des cultes reconnus.

À propos de la position sociale que le projet prévoit en faveur des délégués laïques, le représentant du ministre présent a précisé qu'il a fallu tenir compte de la situation existante sur le terrain. Certains délégués qui offrent une assistance morale non confessionnelle sont déjà en service depuis plus de dix ans et le projet ne pouvait bafouer leurs droits acquis. Le statut des délégués laïques est sui generis. Tout comme, pour des raisons historiques, il existe des différences de statut entre les cultes reconnus, le statut des représentants laïques est spécifique car leur situation de base est différente de celles des ministres des cultes. Il est dès lors normal que le traitement qui leur est réservé ne soit pas identique.

Le traitement des ministres des cultes est fixé par le législateur. Cette matière est réglée par la loi du 2 août 1974 relative aux traitements des titulaires de certaines fonctions publiques et des ministres des cultes. Afin d'assurer une parfaite transparence par rapport aux ministres des cultes, le Conseil d'État a d'ailleurs insisté pour que les échelles de traitement des délégués laïques soient également insérées dans la loi de 1974.

À la demande de Mme Nyssens, le représentant du ministre a précisé que les administrations provinciales, qui avaient été consultées lors de la préparation du projet par le gouvernement précédent, n'avaient pas été à nouveau consultées sur le projet à l'examen mais que le texte du projet ne modifiait en rien le rôle des provinces par rapport à ce qui était prévu dans le projet précédent, lequel n'avait d'ailleurs suscité aucune remarque de la part des administrations provinciales.

Quant aux subventions allouées à la laïcité par les communes, elles resteront des dépenses facultatives. Les communes ne devront plus nécessairement supporter de telles dépenses car celles-ci seront à charge des provinces.

Des interrogations ont surgi quant aux justifications des interventions financières de l'État dans la création d'un secrétariat fédéral du Conseil Central Laïque.

L'intervention de l'État dans les frais de fonctionnement du secrétariat fédéral de ce conseil instauré par le projet n'est cependant pas une nouveauté car une solution identique a déjà été prévue pour le culte musulman. Ce financement est justifié car ces deux communautés ne disposent pas de patrimoine dont les revenus permettent de couvrir les frais de fonctionnement de leur secrétariat fédéral.

D'autres intervenants, comme Mme de T' Serclaes, constatent que l'organisation des communautés philosophiques non confessionnelles, tout comme les cultes d'ailleurs, relève de la sphère privée et ils s'interrogent dès lors sur l'opportunité de l'intervention de l'État puisque que le projet prévoit que les établissements d'assistance morale du Conseil Central Laïque sont des établissements de droit public.

Pourquoi ne pas avoir permis la création d'une association privée, se demande Mme de T' Serclaes ?

Pour M. Vandenberghe, le projet pose en effet une question fondamentale concernant le rôle qu'il fait jouer à l'État dans l'organisation de la laïcité.

L'article 181, §2, de la Constitution dispose que les traitements et les pensions des délégués laïques sont pris en charge par l'État. Or, dans le projet, le gouvernement, selon lui, va beaucoup plus loin puisqu'il précise la manière dont la laïcité doit s'organiser. Le rôle du législateur devrait se limiter à la seule reconnaissance des communautés philosophiques non confessionnelles.

Pour M. Vandenberghe, il n'est pas indiqué que le législateur fixe le cadre légal au sein duquel la laïcité doit s'organiser. Ce serait une atteinte à la liberté d'association. Il a aussi insisté sur le fait que le Conseil d'État a considéré que l'État n'avait pas à s'immiscer dans l'organisation interne du mouvement philosophique non confessionnel.

Je suis personnellement intervenu en considérant que le système d'organisation de la laïcité proposé ne mettait pas en péril la liberté d'association. Les établissements provinciaux d'assistance morale chargés de la gestion des intérêts matériels et financiers de la communauté philosophique non confessionnelle seront administrés par des personnes élues par l'assemblée générale de l'établissement de la province concernée parmi les candidats qui ont posé leur candidature auprès du Conseil Central Laïque. Pour être membre de l'assemblée générale de l'établissement provincial d'assistance morale, il faut être représentant d'une association laïque qui fait partie du Centre d'Action Laïque ou de l'Unie Vrijzinnige Verenigingen.

Ce système d'élection préserve le principe constitutionnel de la protection de la vie privée. Par ailleurs, chaque association restant libre de désigner ou non des représentants à l'assemblée générale, il n'y a pas d'immixtion du législateur dans la façon dont ces associations s'organisent sur la base du cadre qui est retenu dans le projet de loi.

De surcroît, les cultes religieux reconnus ont un droit interne, tel que le droit canon, qui organise le culte. Ce n'est pas le cas pour les associations laïques ; c'est ce qu'a confirmé M. Mahoux. Il est dès lors concevable et acceptable que l'État fédéral, en concertation avec les associations laïques organisées, propose un cadre pour les communautés philosophiques non confessionnelles.

Pour le représentant du ministre, le texte de l'article 181, §2, est clair : ce sont les traitements des délégués laïques des organisations reconnues par la loi qui sont à la charge de l'État. Le Constituant a voulu limiter la prise en charge des traitements des délégués laïques aux institutions qui étaient suffisamment organisées. Il faut éviter que des fonds soient alloués à des institutions n'offrant pas une structuration suffisante. L'avis du Conseil d'État n'est donc pas partagé sur ce point. L'organisation de la laïcité telle qu'elle est proposée dans le projet répond ainsi à la ratio legis de l'article 181, §2, de la Constitution.

Enfin, lors de la discussion des amendements, nous avons eu une intéressante discussion sur la définition du libre examen et son adéquation avec la laïcité, mais tout en soulignant que d'autres conceptions philosophiques ou religieuses adhéraient aussi à ce principe.

L'ensemble du projet a été adopté par 7 voix et 4 abstentions. Le texte adopté par la Chambre n'a donc pas été modifié par votre commission.

À titre personnel, je voudrais me réjouir que ce projet de loi puisse aboutir aujourd'hui. Cela fait des années que le mouvement laïc organisé l'attend. Il assure une reconnaissance de la laïcité dans la loi, dans le prolongement de ce qui a été inscrit dans la Constitution, voici dix ans, sous un gouvernement d'une autre composition. Il faut souligner que cette reconnaissance ne modifie en rien ce qui existe pour les cultes reconnus.

Je voudrais ajouter deux éléments. Cette loi conforte la laïcité organisée. Cela ne porte en rien préjudice aux associations laïques qui souhaitent rester en dehors de cette « organisation ». La loi ne confère en effet aucun monopole. Tel est bien le sens de la liberté d'association. Personne ne s'étonne d'ailleurs qu'il existe, autour de l'Église catholique, de nombreuses associations chrétiennes non reconnues ; il en est de même pour chaque culte reconnu.

Par ailleurs, je pense que cette reconnaissance met sur un pied identique, sinon égal, du point de vue de l'État, les religions révélées et la laïcité organisée, même si les uns et les autres sont d'essence différente. C'est un moment important pour notre démocratie.

Ce chemin va dans la direction d'un État qui reconnaît la spiritualité des uns et des autres, sur un pied d'égalité. C'est une étape indispensable dans la construction d'un État réellement pluraliste et tolérant où aucun culte ne pourrait plus se prévaloir de quelque privilège que ce soit, un État qui respecterait la séparation de ses institutions et des églises et dans lequel tous les citoyens, sans distinction, pourraient se reconnaître intimement. Cet État, enfin, aurait un sens et un avenir pour chacun de ses membres, quelles que soient ses convictions philosophiques ou religieuses.

Mevrouw Mia De Schamphelaere (CD&V). - De Vlaamse christen-democraten kijken vandaag met gemengde gevoelens naar het wetsontwerp betreffende de Centrale Raad der niet-confessionele levensbeschouwelijke gemeenschappen. Het verheugt ons vanzelfsprekend dat dit project, dat vele jaren geleden onder de impuls van christen-democratische ministers van Justitie is ontstaan, nu eindelijk tot een goed einde wordt gebracht. Toch begrijpen wij niet hoe het mogelijk is dat een in se verdienstelijk project zo deerlijk misvormd en uit evenwicht kan worden gehaald. Veel van het nu voorliggende ontwerp herinnert aan de definitie die wijlen Gaston Eyskens van een dromedaris gaf, namelijk een paard dat door de Ministerraad is gejaagd.

Sta me toe om eerst te herhalen waarom de CD&V het positief vindt dat de niet-confessionele levensbeschouwelijke gemeenschappen een eigen statuut krijgen. Hoewel deze belangrijke `ideologische familie' in België pas in 1993 uitdrukkelijk in de Grondwet werd vermeld, past deze late erkenning perfect in de globale visie van de grondwetgever op levensbeschouwelijke kwesties. Zoals de grondwetgever vinden ook de Vlaamse christen-democraten de zelforganisatie van mensen op basis van de verschillende bindingen die het leven interessant maken, een goede zaak. Wij hebben er nooit een geheim van gemaakt dat wij verenigingen op sociale, levensbeschouwelijke of regionale basis niet beschouwen als een doorbreken van een mythische nationale eenheid, noch als een bedreiging voor de allerindividueelste expressie van de individuele burger, maar wel als een regelrechte verrijking van het maatschappelijke leven. Voor ons wordt het leven van de mensen rijker als zij een eigen mening hebben en nog rijker als zij die mening willen delen. Een levensbeschouwelijk engagement is voor ons dus in beginsel een goede zaak en het doet ons plezier dat de regeringspartijen voor één keer een visie met ons delen. Wij verheugen ons al op de ommezwaai die de regeringspartijen ongetwijfeld zullen laten volgen op andere domeinen, bijvoorbeeld het onderwijs en de gezondheidszorg. Het zou immers ongehoord onsamenhangend zijn wanneer deze meerderheid vandaag pleit voor een versterking van levensbeschouwelijke organisatievormen en ze morgen diezelfde, of andere, levensbeschouwelijke groepen uit het maatschappelijke leven zou drijven.

We zouden dit ontwerp bijzonder geestdriftig gesteund hebben indien het ontwerp niet ontsierd was door onevenwichten en krasse schoonheidsfouten.

De grofste scheeftrekkingen in dit ontwerp zijn het gevolg van een keuze van de minister van Justitie om de georganiseerde vrijzinnigheid een soort `inhaaloperatie' te geven. Dat is een keuze als een andere, zij het dan dat die keuze met enige coherentie moet worden uitgewerkt. Die coherentie is er niet. De minister verantwoordt zijn beleidskeuze immers door een beroep te doen op het gelijkheidsbeginsel. De `inhaaloperatie' is uitgewerkt als een `rechttrekking' van de ongelijke situatie die is gegroeid uit het feit dat de niet-confessionele levensbeschouwelijke gemeenschap pas vele jaren na de meeste erkende erediensten een eigen statuut verwerft.

Ook dat is een keuze als een andere, maar veel hangt af van de wijze waarop men bepaalde historische evoluties ervaart. Het klinkt in die omstandigheden echter op zijn minst ongeloofwaardig dat andere bepalingen van het ontwerp, die de niet-confessionele levensbeschouwelijke gemeenschap pertinent een betere behandeling geeft dan welke erkende eredienst ook, worden verantwoord door het eventuele fundamentele onderscheid tussen de erediensten en de georganiseerde vrijzinnigheid. Een dergelijke houding is voor ons onaanvaardbaar en wij zullen dan ook amendementen indienen om de grofste ongelijkheden uit dit ontwerp te lichten.

Er is nog iets merkwaardigs aan het ontwerp. Zo wordt volgens ons een gevaarlijk precedent geschapen door in artikel 7, 4º een inhoudelijke definitie te geven van de levensbeschouwelijke principes die de georganiseerde vrijzinnigheid dienen te leiden. Ik wil gerust aannemen dat deze principes dominant zijn in deze levensbeschouwing, maar vind het onaanvaardbaar dat de wetgever ter zake regels uitvaardigt. Los van de discussie over de vraag of artikel 21 van de Grondwet ook kan worden toegepast op de niet-confessionele levensbeschouwelijke gemeenschappen, hebben we het er bijzonder moeilijk mee dat een wetgever zich aanmatigt zich te mengen in een bij uitstek interne kwestie als de inhoud van een levensbeschouwelijke overtuiging. Voor zover ik weet, heeft nooit enige regering bepaald dat de financiering van een katholieke gemeenschap afhing van de instemming met de geloofsbelijdenis of dat een islamitische gemeenschap maar kan worden erkend als ze de koran op deze of gene manier interpreteert. Blijkbaar wordt nu afgestapt van deze werkwijze. De regering heeft toch wel heel bijzondere opvattingen over levensbeschouwelijke kwesties: van organisaties en instellingen verwacht ze neutraliteit, maar zelf schrikt ze er niet voor terug te bepalen wie zich al dan niet vrijzinnig mag noemen.

Er zijn dus voldoende redenen om dit ontwerp niet goed te keuren. We zouden het echter betreuren indien de onzorgvuldigheid en de betwistbare tendensen van dit ontwerp ertoe zouden leiden dat de niet-confessionele levensbeschouwelijke gemeenschappen nog langer van een statuut verstoken blijven. Daarom zullen we ons bij de globale stemming over de tekst onthouden, want we blijven er meer dan ooit van overtuigd dat de niet-confessionele gemeenschap in ons land een betere wettekst verdient.

(Voorzitter: de heer Armand De Decker.)

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Le rapporteur a bien rappelé la disposition constitutionnelle dont nous discutons la mise en application aujourd'hui, à savoir le fameux article 117, devenu l'article 181. Je me réjouis que l'on puisse inscrire l'application de cet article dans notre arsenal législatif.

Il est vrai que déjà lors de la précédente législature, un projet de loi avait été rédigé visant à mettre en oeuvre cet article 181, §2, de la Constitution. Ce texte n'avait toutefois pas pu être examiné avant la dissolution des Chambres en juin 1999. Il a servi de base à l'actuel projet de loi.

Le projet de loi avait aussi fait l'objet d'un avis du Conseil d'État le 15 juillet 1998. En relisant cet avis pour préparer mon intervention, j'ai été surprise par les critiques émises sur certaines dispositions. J'ai jugé utile de reprendre ces critiques pour que nous soyons bien conscients de la portée du projet dont nous délibérons aujourd'hui.

En effet, le projet actuel a pour seul objet de reconnaître une organisation et la reconnaissance de cette seule organisation ne préjuge pas, me semble-t-il, de l'éventuelle reconnaissance dans l'avenir d'autres organismes offrant une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle. Cela doit être souligné d'emblée. Cette précision est d'autant plus indispensable que les prérogatives confiées par le projet au Conseil Central Laïque tendent à le doter d'un monopole de fait ; il sera donc bien difficile à une organisation concurrente de se faire reconnaître à son tour. Cette remarque avait déjà été faite par le Conseil d'État lors de l'examen du projet précédent, dans son avis que je viens d'évoquer.

Il faut souligner que depuis la loi du 23 janvier 1981, différentes associations sans but lucratif, indépendantes les unes des autres, se sont constituées aux niveaux local, régional et fédéral. Il convient donc de tenir le plus grand compte de la liberté de toutes ces associations.

Le mot liberté est important, il a été utilisé à plusieurs reprises par le rapporteur. Par curiosité, j'ai relu les différentes définitions du principe du libre-examen qui est d'ailleurs explicité en tant que tel dans le projet de loi. Nous avons eu en commission de la Justice une intéressante discussion à ce propos. Ce qui caractérise le libre-examen, tant pour M. Jaumotte que pour M. Grolet, c'est l'attachement complet à la raison et à la critique personnelle en faisant fi de tout dogme. Certains, curieusement, prétendent que le rejet de tout dogme est en soi aussi un dogme. Cette critique est trop facile.

Néanmoins, j'insiste sur le mot liberté car, à l'avenir, il n'est pas exclu que la laïcité ne se présente plus comme un bloc homogène.

Je parle évidemment d'une laïcité moderne ou post-moderne qui ne se définirait plus comme réaction à un État dominé par une force chrétienne, même si c'est cette réaction qui est à l'origine du mouvement laïc et de l'université libre.

Ce projet organise, je n'irai pas jusqu'à dire un culte de la laïcité, mais une organisation très parallèle à celle d'un culte et je ne voudrais pas qu'à l'avenir, cela préjuge de libertés et de différentes morales non confessionnelles.

Comme le souligne à nouveau le Conseil d'État dans son avis du 8 octobre 2001 relatif au présent projet, « en vertu des principes constitutionnels de la liberté d'opinion et de la liberté d'association, il n'appartient pas au législateur de figer dans un texte normatif les différentes catégories de personnes qui pourront prendre part aux activités d'assistance morale non confessionnelle ni de régler la manière dont le public pourra bénéficier de cette assistance ». En conférant à la seule organisation reconnue par le projet, à savoir le Conseil Central Laïque, le privilège d'être à l'avenir celle dont dépend la reconnaissance de tout autre communauté philosophique non confessionnelle, le législateur aliène en quelque sorte sa prérogative constitutionnelle de reconnaître autant d'organisations qu'il lui paraît utile.

On peut donc se demander si l'article 4 du projet de loi qui nous est soumis ne viole pas l'article 181, paragraphe 2, de la Constitution que le présent projet est précisément censé concrétiser.

Les principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination contenus dans les articles 10 et 11 de la Constitution imposent aussi, par ailleurs, que le projet fixe clairement les critères objectifs qui seront pris en considération pour la reconnaissance des communautés philosophiques non confessionnelles. Or, ces critères sont absents du projet de loi.

Une seconde remarque concerne certaines nouvelles dispositions qui ne se trouvaient pas dans l'avant-projet de loi déposé sous l'ancienne législature et plus particulièrement celles contenues dans le titre III du projet relatif à la position sociale des délégués du Conseil Central Laïque. Dans son avis du 15 juillet 1998, le Conseil d'État précisait qu'il n'appartenait pas à l'État d'intervenir dans la nomination et dans l'installation des délégués qui ont pour mission d'offrir à la population une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle. L'État ne doit pas imposer la nature juridique du lien qui unit le délégué à l'organisation non confessionnelle reconnue. En effet, l'article 181, paragraphe 2, de la Constitution n'autorise pas l'État à s'immiscer dans l'organisation interne du mouvement philosophique non confessionnel. En fait, cela vaut aussi pour les autres cultes reconnus.

En d'autres termes, il revenait au Conseil Central Laïque de déterminer la nature juridique de la relation qu'il aura avec ses délégués dans le cadre de l'assistance morale et, dès lors, de fixer le type de rémunération et de pension dont ils bénéficieront, l'État ayant pour seul devoir la prise en charge de celles-ci.

L'État doit donc limiter son intervention à la fixation des seuils de rémunération en tenant compte des responsabilités respectives assumées par les délégués, celles-ci ayant été au préalable définies par le Conseil Central Laïque. Ces remarques soulevées par le Conseil d'État me semblent pertinentes, et cette pertinence subsiste, même si le Conseil central des communautés philosophiques non confessionnelles de Belgique a marqué son accord sur le contenu du projet.

La plupart des nouvelles dispositions du projet ne rencontrent pas cette observation.

Ainsi, l'article 49, 3º du projet dispose que les frais de fonctionnement du secrétariat fédéral du Conseil Central Laïque, lesquels sont pris en charge par l'État, comprennent notamment les indemnités dont bénéficient les délégués aux mêmes conditions que celles prévues pour les membres du personnel statutaire de l'État et qui sont prévues dans une série d'arrêtés royaux énumérés au paragraphe 3.

Il s'agit en effet des arrêtés royaux qui concernent les frais de transport, de parcours et de séjour des agents de l'État. Si, en vertu de l'article 181, paragraphe 2, de la Constitution, il revient à l'État de prendre en charge les traitements des délégués du Conseil Central Laïque, cela n'implique pas qu'il soit également tenu de prendre en charge les indemnités qui ne constituent pas le traitement proprement dit de ces délégués. Il revient à l'employeur, en l'espèce le Conseil Central Laïque, de prendre en charge ces frais dans le cadre de la relation de travail qui le lie aux délégués. C'est en ce sens que le législateur a toujours interprété l'article 181, paragraphe 2, de la Constitution.

Par ailleurs, les ministres du culte ne bénéficient pas de ces indemnités. L'article 49, 3º du projet pourrait donc également être critiqué au regard du principe d'égalité de traitement, à défaut pour le législateur de pouvoir justifier objectivement cette différence de traitement entre, d'une part, les délégués du Conseil Central Laïque et, d'autre part, les ministres des cultes reconnus.

D'ailleurs, l'article 54 du projet rend applicable aux délégués du Conseil Central Laïque l'attribution de certains congés prévus par l'arrêté royal du 19 novembre 1998 relatif aux congés et aux absences accordés aux membres du personnel des administrations de l'État, notamment le congé pour changement de résidence, le congé pour présenter sa candidature aux élections, le congé pour stage ou période d'essai, les congés de maternité, maladie, mise en disponibilité, le congé pour mission et absence de longue durée pour raisons personnelles.

Le même article leur octroie la semaine volontaire de quatre jours et le départ anticipé à mi-temps aux conditions prévues par la législation applicable dans le secteur public, ainsi que le congé et l'indemnité de promotion sociale applicables à certaines catégories de personnel de l'État. L'ensemble des législations visées s'applique généralement aux agents de la fonction publique. Or, en vertu de l'article 181 §2 de la Constitution, les délégués du Conseil Central Laïque ne peuvent être considérés comme des agents de l'État, même si leurs traitements et pensions sont pris en charge par cet État.

Leur employeur est exclusivement le Conseil Central Laïque qui doit définir la relation de travail qui s'établit entre eux. Cette relation de travail est régie actuellement par la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Il y a donc lieu de se reporter au régime social des travailleurs salariés du secteur. À nouveau, il pourrait y avoir violation de l'article 181 §2. À nouveau, il y a risque que cette disposition constitue une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, étant donné que l'État n'a jamais pris d'initiatives législatives ou réglementaires équivalentes à celles de l'article 54 du projet pour les ministres du culte.

En fait, le projet va très loin dans la réglementation du statut proprement dit de ces ministres du culte laïque.

On peut aussi citer l'article 55 du projet, lequel prévoit l'octroi, aux délégués, d'une pension de retraite à charge de l'État aux mêmes conditions et selon les mêmes modalités que les agents des ministères fédéraux, alors que les pensions des ministres des cultes reconnus font l'objet de régimes distincts.

Il aurait été à tout le moins nécessaire de vérifier si ces dispositions du projet sont compatibles avec l'article 181 §2 de la Constitution et se justifient au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 181 §1.

Que l'on me comprenne bien. Il ne s'agit pas de remettre en cause l'objectif poursuivi par le projet de loi auquel j'adhère parfaitement. Cet objectif de reconnaissance de la laïcité a été posé en 1980 ; il est grand temps de prendre la législation en application des articles de la Constitution. Depuis, les ministres de la Justice successifs ne se sont pas départis de cette attitude. Et c'est tant mieux. Nous ne pouvons que nous réjouir du fait qu'une législation consacrant l'application de ce principe devenu constitutionnel voie le jour.

Mais il reste à prouver, me semble-t-il, que ce projet de loi constitue la concrétisation effective de l'article 181 §2 de la Constitution et non sa violation. Il faut donc répondre au Conseil d'État sur les remarques qu'il a émises à ce propos.

Par ailleurs, certaines dispositions me paraissent rompre le principe d'égalité de traitement entre les délégués laïques, d'une part, et les ministres des cultes reconnus, d'autre part.

Une dernière remarque concerne l'article 68 du projet. En réalité, la loi du 23 janvier 1981, en prévoyant l'octroi d'un subside annuel alloué au Conseil Central Laïque, reconnu comme organe coordonnateur en vue de structurer l'activité laïque, a constitué une étape dans la reconnaissance de la laïcité. Les gouvernements successifs ont toujours respecté l'accord politique en vertu duquel la subvention allouée au Conseil Central Laïque est augmentée chaque année de 10%. Une exécution correcte de l'article 181 §2 de la Constitution suppose néanmoins que cette subvention soit transformée en une prise en charge directe par l'État des traitements et des pensions des délégués qui assurent l'assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle. Or, si le projet de loi à l'examen met à charge de l'État les traitements des délégués laïques, ce qui est une obligation constitutionnelle incontestable, il maintient les subventions octroyées aux organisations laïques. Cette situation ne risque-t-elle pas, à nouveau, d'engendrer une différence de traitement injustifiée entre les délégués laïques, d'une part, et les ministres du culte, d'autre part ?

Et si l'on cite souvent les avantages matériels que la loi reconnaît par ailleurs aux ministres des cultes pour justifier ces différences de traitement, il n'en reste pas moins que les demandes formulées par d'aucuns, dont moi-même en commission, concernant une mise à plat de ces avantages et une comparaison de la situation des ministres du culte à celle des futurs délégués laïques n'ont pas trouvé d'écho auprès du ministre de la Justice.

Le but de mon intervention était de m'intéresser au plus haut point à ce projet qui est enfin soumis au vote, ce dont je me réjouis. Au départ d'une analyse fine de la position sociale des délégués, certaines remarques devaient cependant être faites.