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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 28 MARS 2002 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de M. Philippe Mahoux au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères sur «la situation en Colombie» (nº 2-739)

M. Philippe Mahoux (PS). - Après la rupture des négociations de paix, il y a presque six semaines, la situation en Colombie n'a fait que se détériorer. En effet, la province du Caguan, reprise à la guérilla par l'armée colombienne, est pratiquement isolée du reste du pays. Les Forces armées révolutionnaires de Colombie se sont repliées dans la forêt où elles détiennent de nombreux otages, dont cinq parlementaires, la sénatrice Ingrid Betancourt notamment, enlevée il y a une quinzaine de jours. Sans parler de l'assassinat d'une parlementaire il y a quelques semaines.

Le conflit ne fait que s'aggraver et il faut s'attendre à une augmentation des violations des droits humains et du droit international humanitaire dans la région.

La crise risque de s'étendre jusqu'au Venezuela, avec des conséquences humanitaires catastrophiques, voire d'alimenter un plan de lutte antiterroriste afin de bénéficier de l'appui des Américains dans la région.

Monsieur le ministre, la Belgique joue-t-elle un rôle dans la protection des civils dans les zones de conflit en Colombie ? De manière générale, exerce-t-elle un contrôle en matière de respect des droits de l'homme à travers ses ambassades ? Le problème de la Colombie a-t-il été évoqué lors d'un conseil des Affaires générales européen ? Quelle est la position de la Belgique face à cette situation alarmante, voire catastrophique ?

Voici plus d'un mois, l'ancien médiateur entre la guérilla et le gouvernement, Daniel Gracia Peña, disait qu'il n'y avait pas de solution militaire à ce conflit et que si le gouvernement colombien arrivait à qualifier de terroristes les guérillas et à entraîner les Américains dans une lutte antiguérilla, alors la guérilla n'hésiterait pas à se radicaliser sous prétexte d'une guerre de « libération nationale ».

Mme Marie Nagy (ECOLO). - Je tenais absolument à me joindre à la demande d'explications de mon collègue car la situation de guerre que connaît la Colombie est trop rarement évoquée. Ce n'est que depuis l'enlèvement récent de Mme Betancourt, sénatrice et candidate à la présidence, que les médias européens, francophones en particulier, se sont décidés à rendre compte des événements dramatiques que connaît la Colombie.

L'Europe et la Belgique doivent adopter une attitude claire vis-à-vis du plan d'intervention militaire des États-Unis en Colombie, dont le coût est évalué à pratiquement 1,3 milliard de dollars. Il ne fait aucun doute que l'Europe représente l'unique espoir d'instaurer un dialogue d'un autre type que celui prévu par le plan Colombie, fait à la demande et avec l'aide du gouvernement colombien.

Je voudrais, avant de conclure, aborder le problème de la demande de protection temporaire pour des personnes qui ne sont pas directement concernées par des faits de persécution que nous avons, mes collègues MM. Cornil et Destexhe et moi-même, adressée au ministre Duquesne. Ces personnes, qui fuient la guerre civile et les exactions commises tantôt par l'armée, tantôt par les paramilitaires, tantôt par la guérilla, ne bénéficient pas de la protection de la Convention de Genève. Elles se réfugient principalement aux États-Unis et en Espagne, mais certaines arrivent aussi en Belgique. Or, l'octroi du statut temporaire à ces personnes semble soulever un problème. Je souhaiterais donc savoir, du point de vue diplomatique, ce que le ministre de l'Intérieur envisage pour répondre à cette question.

M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - La situation actuelle de la Colombie est particulièrement difficile à analyser. Il s'agit de violences soutenues, dans lesquelles interviennent de nombreux acteurs : le gouvernement colombien, les groupes rebelles d'extrême gauche, les FARC et le ELN, et les milices d'extrême droite, les AUC.

Cette multiplicité des acteurs et les particularités du théâtre où se déroule le conflit - terrain fort accidenté, végétation dense, climat pénible - font de toute tentative d'intervention sur le terrain une entreprise extrêmement périlleuse.

Vous pointez avec justesse les risques de radicalisation, qui concernent à la fois le gouvernement et l'ensemble des autres mouvements armés. De plus, la lente dégradation du processus de paix a malheureusement amené l'opinion publique colombienne à soutenir, chaque fois davantage, l'éventualité d'une militarisation du conflit.

Chaque fois que les circonstances s'y prêtaient, la Belgique s'est exprimée, appelant les parties à rechercher une solution négociée et à respecter le droit international humanitaire ainsi que les droits de l'homme. Elle a aussi plaidé pour une plus grande équité socio-économique, les énormes disparités de revenus étant analysées comme l'une des causes essentielles de la situation tragique que connaît aujourd'hui la Colombie.

Concernant l'enlèvement de Mme Betancourt, notre ambassade à Bogota a effectué une démarche auprès des autorités colombiennes. Au nom du gouvernement belge, elle a exprimé ses vives préoccupations et insisté sur la mise en oeuvre de tous les moyens disponibles afin d'obtenir la libération de Mme Betancourt dans les meilleurs délais.

Un travail de réflexion est actuellement en cours au sein de l'Union européenne concernant la situation du pays qui nous occupe et le programme d'appui de l'Union européenne au processus de paix.

Lors de la Conférence de soutien à la Colombie, tenue à Bruxelles le 30 avril 2001, 350 millions d'euros ont en effet été promis par la Commission et les États membres pour aider ce pays à opérer des réformes socio-économiques - en particulier la recherche d'alternatives à la plantation de la coca - institutionnelles, judiciaires et en matière de droits de l'homme. Il est probable qu'un repositionnement de l'Union européenne aura lieu à propos de ce programme, mais il est trop tôt pour en présumer.

Le 18 mars, la présidence espagnole de l'Union européenne a réitéré son soutien entier au peuple colombien. Elle a, une nouvelle fois, souligné sa condamnation par rapport aux assassinats, aux prises d'otages, aux extorsions et autres crimes portant atteinte aux institutions démocratiques du pays et à leurs représentants. Les autorités de sécurité et judiciaires pertinentes doivent poursuivre constamment les responsables de ces actes pour en finir avec l'impunité qui protège les réseaux de la violence en Colombie et prétend miner les fondements de sa démocratie.

M. Philippe Mahoux (PS). - Je voudrais tout d'abord remercier M. le vice-premier ministre de ces informations.

En ce qui concerne la politique européenne, et plus précisément la présidence espagnole, le sujet a-t-il été mis à l'ordre du jour du Conseil des Affaires générales ?

M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - Non, il a été débattu de manière informelle. J'en ai moi-même entretenu la présidence actuelle, avec laquelle j'ai également discuté d'autres points non prévus à l'ordre du jour.

Il m'a été répondu qu'un certain nombre de contacts se poursuivaient activement, mais que, pour des raisons évidentes, il n'était pas utile d'en faire état publiquement.

Je me trouve d'ailleurs dans la même situation que la présidence espagnole : des contacts sont en cours pour le moment à partir de notre ambassade, mais vu leur nature, il me semble préférable de ne pas les détailler publiquement.

-L'incident est clos.