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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 14 MARS 2002 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de Mme Magdeleine Willame-Boonen à la vice-première ministre et ministre de l'Emploi et au ministre des Affaires sociales et des Pensions sur «l'inspection sociale et l'inspection des lois sociales et la lutte contre la traite des êtres humains» (nº 2-740)

Mme Magdeleine Willame-Boonen (PSC). - De mai à décembre 2001, conformément à la déclaration gouvernementale, vous avez renforcé les contrôles destinés à lutter tant contre la traite des êtres humains que contre toute l'économie parallèle.

Étaient particulièrement visés les secteurs « traditionnels » du travail au noir, secteurs qui sont les plus exposés à la traite des êtres humains : la construction, l'Horeca dans le cadre des restaurants exotiques, l'agriculture et l'horticulture, la confection, le nettoyage mais aussi la prostitution qui est, dans bien des cas, le comble de l'économie souterraine.

Les chiffres qui ont été cités sont particulièrement alarmants. Ils montrent que 42,7% de travailleurs illégaux proviennent d'Asie, 30% d'Europe de l'Est et 24,2% d'Afrique.

Pourriez-vous me faire savoir quelles sont les sanctions qui ont été prises tant à l'égard des travailleurs illégaux que de leurs employeurs ?

Ensuite, ce qui me préoccupe surtout en tant que vice-présidente de la sous-commission Traite des êtres humains et prostitution, c'est que l'on ait décidé que ceux qui acceptent de collaborer à l'enquête peuvent rester en Belgique et sont hébergés par les trois associations recueillant les victimes de la traite des êtres humains.

Sur quelle définition de la traite des êtres humains vous appuyez-vous en l'occurrence ?

(M. Jean-Marie Happart, vice-président, prend place au fauteuil présidentiel.)

Ne croyez-vous pas, madame la ministre, que mettre sur le même pied les victimes des mafias russes, albanaises ou chinoises, dont le centre pour l'égalité des chances nous a parlé, victimes qui ont été obligées de se prostituer, qui ont été battues et violées, et, d'autre part, des travailleurs illégaux par ailleurs employés et payés régulièrement, risque d'encombrer les trois associations reconnues - Payoke, Pag-Asa et Suraya - qui ont pour mission de recueillir les victimes de la traite des êtres humains et de la prostitution ? En effet, ces organisations ont un nombre limité de places. J'ai peur de l'amalgame ainsi opéré entre les victimes de la traite des êtres humains livrées à la prostitution et les travailleurs illégaux en général.

Je me réjouis de la mise sur pied d'une banque de données sur la traite des êtres humains, dont les premières applications seront disponibles, nous a-t-on dit, dans quatre mois. Quel matériel a-t-il été retenu ? Est-il compatible avec celui de la police et des autres composantes de la task force annoncée il y a un an par le premier ministre et qui devrait dès lors déjà être opérationnelle ?

Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de l'Emploi. - Le protocole que le ministre des Affaires sociales et moi-même avons signé n'est pas limité dans le temps. Nous avons rendus publics les résultats de quelques mois du travail en commun de nos inspections mais nous allons évidemment continuer. Je pense que ce travail de coordination des inspections, l'une axée sur le droit du travail et l'autre sur celui de la sécurité sociale, découlait des propositions faites par les commissions parlementaires sur la traite des êtres humains. Effectivement, en travaillant de cette manière-là, nous allons au coeur même du système de la traite des êtres humains même si, comme vous l'avez très justement noté, nous débordons de ce cadre : quand on examine de près l'exploitation économique dont sont victimes les travailleurs, on découvre effectivement des victimes selon la définition de la loi du 13 avril 1995, article 1er, §1er, mais on trouve aussi des travailleurs occupés illégalement ou des travailleurs occupés légalement mais pour lesquels l'ensemble des législations sociales n'est pas respecté.

Les différents résultats des enquêtes montrent que cette coordination est efficace et qu'elle met au jour, dans certains secteurs, des filières. Quant au suivi de ces constats, je ne puis vous répondre. L'ensemble des constats est transmis aux autorités compétentes dépendant notamment du ministère de la Justice ou du pouvoir judiciaire. Nous en connaîtrons le suivi ultérieurement, un jour ou l'autre. Dans un premier temps, nous faisons des descentes, en coordination avec la police et les parquets, pour faire des constats en commun.

Seules les victimes de la traite des êtres humains sont prises en charge par les trois associations que vous avez citées. À ces victimes il est à chaque fois demandé si elles sont d'accord pour être prises en charge par ces associations. Elles sont informées de l'accompagnement et de la protection que peuvent leur apporter les associations pour lesquelles des soutiens spécifiques ont été accordés et même amplifiés dans le cadre du plan d'action nationale contre la violence.

Nous voulons effectivement constituer une banque de données concernant la traite des êtres humains pour répondre à trois objectifs : assurer un suivi systématique au niveau interdépartemental de tous les contrôles et de toutes les enquêtes sur la traite des êtres humains effectués par les services d'inspection ; rassembler et trier les informations recueillies à l'occasion de ces contrôles et, enfin, les mettre à la disposition de l'ensemble des services concernés par la traite des êtres humains, qu'il s'agisse des services d'inspection sociale, des services de police ou des services judiciaires.

Le but est de permettre un échange de toutes les informations utiles entre les différents services et d'offrir la possibilité de coordonner leurs actions.

L'objectif suivant est de permettre, par la mise à disposition des informations émanant des différents services, la réalisation tant d'analyses de risques pouvant servir de base à l'élaboration de stratégies futures que de toutes statistiques générales utiles.

Je pense que ces objectifs répondent aux voeux émis par la Task Force de constituer ce centre d'analyse et d'information du phénomène de la traite des êtres humains. On choisira un matériel en fonction des nécessités spécifiques. On a déjà investi dans du matériel qui nous permet la consultation on line sur le terrain et cela s'inscrit dans la philosophie de l'ensemble du plan e-governement.

Je pense que nous avons déjà avancé au niveau de l'efficacité des constats mais que, prochainement et avec ce centre d'analyse et de gestion des données provenant de l'ensemble des services, nous serons beaucoup plus armés pour lutter contre les filières organisées et pourrons mieux assurer la prise en charge des victimes de la traite des êtres humains.

Mme Magdeleine Willame-Boonen (PSC). - Permettez-moi de relever une ambiguïté. J'estime que parmi les victimes de la traite des êtres humains, il faut inclure les victimes de l'exploitation économique mais aussi les victimes de ce qu'on pourrait appeler l'esclavagisme sexuel. Naïvement peut-être, j'avais cru comprendre que les trois centres - pour lesquels vous avez pu dégager quelques millions - étaient surtout chargés de s'occuper des victimes de la traite des êtres humains dans le cadre de l'esclavagisme sexuel. Dès lors, je suis quelque peu inquiète s'ils doivent prendre en charge la totalité des victimes de la traite des êtres humains - notamment celles exploitées économiquement dans des ateliers clandestins et autres, que je ne sous-estime pas mais certains niveaux d'exploitation sont plus graves que d'autres -. Cela d'autant plus quand j'entends les chiffres que vous avez cités : les 9% des victimes qui concernent la prostitution sont un simple indicateur par rapport aux véritables victimes de ce secteur. Je suis donc un peu inquiète du trop grand rôle que doivent assumer ces centres par rapport à leurs moyens.

Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre de l'Emploi. - Il est dangereux de fixer des frontières, lesquelles ne sont jamais claires d'ailleurs. Le véritable esclavagisme que constitue le cas des jeunes femmes asiatiques dans les ateliers de confection se conjugue généralement avec une exploitation autre qu'économique. Le danger des frontières est de laisser passer à travers les mailles du filet du contrôle, de la répression ou de l'accompagnement, des personnes qui en ont besoin. Pour le moment, les trois associations ne nous ont pas dit que, suite à ces contrôles, la surcharge de travail était telle qu'elle nécessitait une petite révolution. Elles auront toujours besoin de moyens supplémentaires et nous tenterons de les aider et d'étendre leurs moyens. Mais je pense que des classifications et des frontières engendreraient des effets pervers.

Mme Magdeleine Willame-Boonen (PSC). - Je peux vous suivre, madame la ministre, mais la problématique de la traite des êtres humains victimes de la prostitution - sur laquelle nous nous sommes penchés pendant deux ans - mérite une attention particulière.

-L'incident est clos.