2-189

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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 7 MARS 2002 - SÉANCE EXTRAORDINAIRE

(Suite)

Hommage à MM. Tobback et Van den Brande pour leurs vingt-cinq années de mandat parlementaire et à MM. Colla, De Decker et Kelchtermans, à l'occasion de leurs vingt années de mandat parlementaire

S.A.R. le Prince Laurent, Prince de Belgique, est conduit à son banc de sénateur par M. Jean-Marie Happart, vice-président.

M. Verhofstadt, premier ministre et MM. Duquesne et Reynders, ministres, siègent au banc du gouvernement.

Introduits par MM. Devolder et Moens, questeurs, MM. Tobback, Van den Brande, Colla, Armand De Decker et Kelchtermans font leur entrée sous les vifs applaudissements de l'assemblée et prennent place dans les fauteuils qui leur sont réservés dans l'hémicycle.

M. le président. - Mesdames et Messieurs, le Sénat se réunit aujourd'hui en séance extraordinaire afin de rendre hommage à Messieurs Tobback et Van den Brande pour leurs vingt-cinq années de mandat parlementaire ainsi qu'à Messieurs Colla, De Decker et Kelchtermans à l'occasion de leurs vingt années de mandat parlementaire.

Monsieur Monfils, qui exerce également depuis vingt ans un mandat parlementaire, a dû s'excuser de ne pas pouvoir être présent à cette séance en raison d'une mission à l'étranger.

Il a plu à Sa Majesté le Roi d'envoyer le télégramme suivant :

« Je m'associe bien volontiers à l'hommage que le Sénat vous rend aujourd'hui à l'occasion de vos vingt ans de mandat parlementaire ainsi qu'à MM. Louis Tobback et Luc Van den Brande pour leur vingt-cinq ans de mandat parlementaire et à MM. Marcel Colla, Theo Kelchtermans et Philippe Monfils à l'occasion de leur vingt ans de mandat parlementaire. Il m'est très agréable de joindre à ces marques de sympathie mes vives félicitations et mes meilleurs voeux pour la santé et le bonheur de tous ainsi qu'une activité féconde au service du pays. »

M. De Croo, président de la Chambre des représentants, nous a fait parvenir le télégramme suivant :

« Au nom de la Chambre des représentants, et en mon nom personnel, je m'associe de tout coeur à l'hommage que le Sénat rend à MM. Louis Tobback et Luc Van den Brande à l'occasion de leurs vingt-cinq ans de mandat parlementaire et à MM. Armand De Decker, Marcel Colla, Theo Kelchtermans et Philippe Monfils à l'occasion de leurs vingt années de mandat. La Chambre garde un excellent souvenir de ses anciens collègues. Ces éminents sénateurs qui aujourd'hui s'épanouissent dans la haute Assemblée ont tous les racines camérales, ce dont je ne puis que me réjouir. Ils n'ont jamais ménagé leurs efforts pour apporter une fructueuse collaboration à l'activité parlementaire du pays. Je leur adresse tous mes voeux de santé et de bonheur ainsi que mes félicitations les plus chaleureuses. »

M. Alfred Evers, président du Conseil de la Communauté germanophone, présente dans un télégramme, les félicitations cordiales du Conseil aux jubilaires.

M. De Batselier, président du Parlement flamand, présente également les félicitations du Parlement aux jubilaires.

Nos collègues, Leurs Altesses Royales, le Prince Philippe et la Princesse Astrid, m'ont prié d'excuser leur absence à la présente cérémonie et m'ont chargé de féliciter les jubilaires en leur nom.

La parole est maintenant à M. Devolder, président du Collège des Questeurs.

M. Jacques Devolder (VLD). - Mesdames, Messieurs, rendre hommage à Louis Tobback constitue certes une gageure, mais aussi une aubaine. C'est une gageure, parce que Louis Tobback est un rationaliste, un homme dont les paroles, dont les mimiques, dont le comportement tout entier expriment un sens inné des réalités. Le politique Louis Tobback laisse les fioritures pour ce qu'elles sont et les minauderies ne sont pas son fort. Son nom est synonyme de réalisme, de sérieux. Louis, je vous rassure tout de suite, un hommage n'est pas une hagiographie. C'est un rite du droit coutumier parlementaire, par lequel la communauté politique donne libre cours à son estime et à sa gratitude à l'égard du héros de la fête, mais qui consiste aussi à analyser et commenter les mérites de cette personne pour glorifier cette même communauté. Grâce à votre présence, Louis, le présent hommage peut donc s'ériger en une forme de leçon de choses, ce dont devrait se réjouir le pédagogue qui est en vous.

Rendre hommage à Louis Tobback est aussi une aubaine, car rares sont les occasions où Louis reste pour ainsi dire sans défense, cloué sur son siège, tandis que l'orateur peut pendant de longues minutes, en toute liberté et en toute quiétude, s'adresser à lui sans craindre d'être constamment interrompu. Je vous rassure tout de suite, Louis, je saisirai cette occasion à deux mains.

Le menu de la présente fête nous apprend que Louis Tobback est parlementaire depuis un quart de siècle. C'est là une évaluation quelque peu indulgente : 28 ans seraient plus proches de la vérité... Heureusement que l'on procède à des évaluations et à des évocations au Sénat et que l'on peut encore y mettre les points sur les « i », car je n'ai pas trouvé trace d'un hommage qui lui aurait été rendu pour avoir siégé vingt ou vingt-cinq ans, pour être précis. Louis lui-même n'en fait pas une affaire d'État. Nous le soupçonnons d'ailleurs d'accorder un peu plus de poids à son palmarès local, dont le compteur marque déjà 37 années. Louis Tobback est en effet un municipaliste en exercice, un amant passionné des pouvoirs locaux, ce qui, dans son cas, signifie : de Louvain.

C'est là, dans le quartier populaire de Sint-Jacobs, qu'il a vu le jour, dans une « ruelle » typiquement louvaniste. Ce qui lui permet, à bon droit, de faire siennes les paroles d'Albert Camus : « Que je n'ai pas appris le marxisme dans les livres, mais dans la misère. » La lutte contre cette « misère », l'indignation face à l'inégalité sociale, la foi dans la possibilité de façonner la société, tels étaient les ressorts qui allaient propulser Louis Tobback dans une odyssée politique mémorable. Son itinéraire avait en fait déjà été jalonné par Montesquieu, ce grand social-démocrate français avant la lettre, pour lequel, entre le puissant et le faible, c'est la loi qui affranchit et la liberté qui opprime. Louis comprit très vite qu'il devait contribuer à écrire cette loi qui affranchit.

Pourtant, l'échevin et législateur en herbe n'allait pas devenir juriste. Il opta pour la philologie romane et devint professeur de français. Ce choix professionnel saute aux yeux : Louis Tobback éprouve un besoin physique d'expliquer les choses. Il le fait d'ailleurs avec verve. Louis gère un stock incommensurable de bons mots et de maximes. Sa formation sert d'ailleurs d'autres buts encore : c'est que Louis Tobback n'a pas assez d'une seule langue pour exprimer le large éventail d'opinions qu'il professe. En outre, son bilinguisme lui confère un avantage stratégique dans l'univers biculturel de la politique belge.

Louis Tobback a la magie du verbe, mais aussi la soif d'apprendre. Ses interventions parlementaires reliées pourraient fournir un aperçu succinct de l'histoire mondiale, ainsi qu'une introduction à la littérature classique. Non seulement ses adversaires politiques se voient asséner les arguments déjà pimentés en soi de Louis lui-même, mais en outre ils doivent faire face aux thèses de Sénèque ou de Bismarck. Comme il connaît bien ses classiques, Louis nous a même un jour appris des choses sur des empereurs romains qui avaient élevé leur cheval au rang de consul.

La longue marche politique de Louis Tobback commence dans la salle du conseil de la commission d'assistance publique de Louvain. Il y prend place sur les bancs de l'opposition et, nul ne s'en n'étonnera, mène une opposition dure. Virulent, énergique, dynamique. Trouve le point faible du dossier de ton adversaire, puis ouvre le feu : telle est sa devise. Mesdames, Messieurs, Louis Tobback est né un 3 mai, et il n'a pas omis de souligner qu'il partage cet honneur avec Nicolas Machiavel, qu'il qualifie lui-même de grand maître de la realpolitik.

Nous ne pouvons qu'ajouter à cela que le 3 mai est aussi la date de naissance de Sugar Ray Robinson, que beaucoup considèrent comme le plus grand champion de boxe de tous les temps, au même titre que Mohammed Ali, alias Cassius Clay. Le secret de Louis Tobback réside en un cocktail de punch verbal, d'intuition politique, de solide connaissance des dossiers et, surtout, d'indignation contenue. « Le socialisme est le don de l'indignation », a dit un jour Jos Van Eynde. À la lumière de cette définition, Louis Tobback est socialiste avec la plus grande distinction.

En 1971, il déménage au conseil communal de Louvain. Il s'approprie la fonction de premier échevin et se met directement à écrire l'histoire. Après plus de mille ans, la ville de Louvain se trouve dotée de sa première rue piétonnière commerçante. Même dans la lutte entre les usagers de la route puissants et faibles, Louis Tobback offre la liberté aux plus faibles.

En 1974, il prête serment comme représentant de la Nation. Les débuts de Louis Tobback me rappellent Bruges, et en particulier son regretté compagnon de parti, Frank Van Acker. Lorsque celui-ci se retira de la politique nationale pour devenir bourgmestre de Bruges, j'eus, en tant qu'échevin, le plaisir de travailler avec lui. Grâce à cette collaboration, je sais que Tobback et Van Acker ont nombre de traits communs. C'est ainsi qu'ils sont tous deux pris d'adoration pour leur ville natale. Par ailleurs, tous deux font preuve d'un humour impassible, qui frise parfois le sarcasme, et enfin, ils aiment tous deux les boutades saillantes, une arme redoutable qui leur permet de remettre sur la bonne voie une discussion qui risque de mal tourner.

Je me rappelle qu'un jour, on reprocha au bourgmestre Van Acker de ne pas avoir intégré davantage de femmes au conseil échevinal ; une critique à laquelle il répliqua sans sourciller : « En politique, on discute tellement souvent du sexe des anges qu'il ne me semble pas souhaitable d'élargir la discussion au sexe des échevins ». Je pense que Louis Tobback n'eût pas dit les choses autrement. En 1991, avec 17 ans de sagesse et de maturité en plus, il rejoindra notre assemblée. Mais à ce moment, Louis Tobback a déjà derrière lui dix ans de présidence de groupe et est entré dans la légende.

En 1978, il prend en effet la direction du groupe SP de la Chambre. Il serait téméraire de prétendre que c'est alors que commencent ses plus belles heures - il n'aura plus tard que trop de plaisir à devenir bourgmestre de Louvain pour les vivre - mais l'étoile du chef de groupe Tobback brillera sans doute encore longtemps au firmament de la Nation. Durant des années, il donne à l'opposition un visage et une voix. Lorsqu'il monte à la tribune, ses amis et, surtout, ses ennemis retiennent leur souffle. Le voilà donc, ce tribun du peuple qui tire sans répit à boulets rouges sur les ministres, ce jeune homme en colère qui manie la virtuosité dans ses duels de procédure avec le président de la Chambre M. Defraigne, cet orateur qui joue avec brio de tous les registres de la rhétorique, avec une légère préférence pour le ton mordant mi-ironique, mi-sarcastique. Dans les milieux gouvernementaux, le nom de Louis Tobback évoque de plus en plus le commandant qui sème la terreur. Il mène l'assaut contre les lois de pouvoirs spéciaux, la politique d'austérité et, par-dessus tout, les missiles nucléaires. Dans sa lutte contre l'installation des missiles Cruise et Pershing II, il doit finalement baisser pavillon, non avant d'avoir enrichi les Annales de la Chambre d'une des plus grandes philippiques de l'histoire de notre pays. « Monsieur Tobback fait le jeu des Soviétiques » soupire à cette occasion le jeune spécialiste de la défense du PRL, Armand De Decker.

En 1988, Louis Tobback délaisse la coupole de tir du chef de groupe pour s'installer dans le poste de pilotage de l'avion gouvernemental. Pendant six années, il gère le département de l'Intérieur. « Le pacifiste Tobback est devenu le chef des polices », constate La Libre Belgique, non sans une certaine inquiétude. C'est purement et simplement un caprice du sort, la forza del destino, devait répliquer l'amateur d'opéras Louis Tobback. Très vite, le scepticisme à l'égard du ministre Tobback fait place à un silence respectueux. Sans grand tapage, il immobilise le carrousel des Fourons. Plus importantes, toutefois, sont les révolutions qu'il met en oeuvre en droit administratif : les actes administratifs doivent désormais être motivés et l'administration elle-même devient publique. Le ministre Tobback contre le hooliganisme dans les stades de football, lance des contrats de sécurité et donne le coup d'envoi de la mère de toutes les réformes : celle des services de police. En 1995, le Roi le nomme ministre d'État. Louis Tobback, jadis signalé par d'aucuns comme un agitateur dangereux pour la sûreté de l'État, est devenu homme d'État.

Il n'y a rien d'étonnant à cela. En effet, Louis Tobback est un homme modéré. Il a un jour publié un livre sous ce titre, comme s'il voulait, après mûre introspection, partager cette constatation importante avec son peuple. Mais le politique Tobback a toujours été un pragmatique. La démocratie est l'école du compromis, a écrit le social-démocrate allemand Eduard Bernstein, et Louis Tobback lui enviera assurément cette maxime. Plutôt un compromis honorable qu'un rêve utopique ; telle est en effet la formule qui a permis au dirigeant Tobback d'enregistrer des résultats spectaculaires. Cela lui a également révélé la relativité du pouvoir. Point n'est besoin de détenir le centre du pouvoir pour réaliser ses idéaux, même si, bien entendu, cela y contribue. Un soupçon de bon sens et une pincée d'arguments rationnels mènent déjà très loin. Le rationaliste Tobback sait en effet aussi que rien n'est plus fort qu'un homme qui a raison.

En 1994, le bon sens conduit Louis Tobback à la tête du SP. La même année, les Louvanistes eux aussi se rallient aux vérités sans fard qu'il profère. Les élections pour le Parlement européen et pour le Sénat n'épargnent pas la Flandre. La popularité de Louis Tobback, qui était déjà immense dans le milieu des caricaturistes politiques et des imitateurs de voix, pénètre maintenant largement dans d'autres milieux.

Louis, vous avez un jour reconnu ne pas ambitionner de laisser des traces. Force m'est toutefois de vous confronter à la dure réalité : ces traces, elles existent. La bibliothèque parlementaire héberge dix-huit classeurs contenant des articles de presse qui retracent votre vie et vos réalisations, et la collection s'accroît encore. Les bibliothécaires seront d'ici peu confrontés à un choix cornélien : liquider soit l'Encyclopædia Britannica, soit les archives Tobback. Mais en quoi consistent les traces, Louis ? Matheus de Layens a dessiné, voici 550 ans, le splendide hôtel de ville de Louvain et la Sint-Pieterskerk. Il a laissé des traces. Mais nous ne pouvons pas tous être des Matheus de Layens, le schéma de structure d'aménagement de la Flandre ne le permet plus. De nombreuses traces de Louis Tobback n'en demeurent pas moins : la loi sur la motivation formelle, la publicité de l'administration, le tronçon piétonnier commerçant de la Diestsestraat, la nouvelle place de la gare. Certaines de ces traces s'estomperont inévitablement, mais pour d'autres, nous n'imaginons pas qu'elles puissent jamais disparaître.

Louis, votre langage subtil, votre respect des accords conclus, votre détermination, vous ont engagé dans une carrière unique, parsemée des triomphes et des déceptions qui sont propres à la vie, tant celle de l'homme d'État que celle de l'homme ordinaire. Voici plus de douze ans, vous laissiez entendre que vous aviez trouvé la paix du coeur. Nous espérons que vous avez pu la conserver et qu'elle ne vous quittera plus, même si le Stade Leuven perd dimanche contre les Francs Borains. Toutes nos félicitations, Louis, et merci.

Lorsque le Parlement flamand l'envoya, le 13 octobre 1999, au Sénat en tant que sénateur de communauté, Luc Van den Brande avait déjà une longue carrière politique derrière lui. Elle l'avait conduit à exercer non seulement des mandats dans plusieurs institutions parlementaires - le Sénat, la Chambre des représentants et le Parlement flamand - mais aussi la fonction de ministre de l'Emploi et du travail au sein du gouvernement fédéral et celle de ministre-président du gouvernement flamand.

Le fait que notre collègue Van den Brande fit preuve d'engagement social dès son plus jeune âge trouva son expression dans un exposé qu'il consacra au début des années 60, au Sint-Romboutscollege à Malines, aux nouvelles lois en matière d'assurance maladie ! Ce n'est évidemment pas un sujet que tous ses condisciples auront trouvé passionnant... L'on ne sera dès lors pas étonné d'apprendre que Luc accéda, à l'Université de Louvain, aux fonctions de président de la société de droit flamand, ce qui l'amena également à siéger au sein du conseil académique au nom de la délégation estudiantine. En tant que tel, il joua aussi un rôle dans les manifestations relatives à la flamandisation de l'Université de Louvain et l'on peut dire qu'il possédait lui-même une belle voix et qu'il avait même le don de diriger des soirées de chants d'étudiants, ce dont il témoigna encore plus tard, notamment lors d'une visite officielle en Pologne, en faisant chanter au groupe de Flamands qui l'avaient accompagné dans une taverne, successivement Onze Lieve Vrouw van Vlaanderen et l'Internationale.

Il a toutefois toujours été guidé dans ce contexte par des préoccupations sociales. Peu de gens savent qu'il a commencé sa carrière professionnelle au service juridique de la CSC à Bruxelles.

Ce large intérêt pour les problèmes sociaux, qui fut renforcé par ses expériences du barreau, le conduisit tout naturellement à s'engager en politique. Dans les années 70, Luc Van den Brande devint actif au sein des Jeunes CVP de Malines. Il se fit aussi remarquer très rapidement au niveau national et devint membre du bureau national des Jeunes CVP. Il prépara, en cette qualité, un congrès sur la participation au sein de l'entreprise. Le 17 avril 1977, Luc Van den Brande prêta serment pour la première fois en tant que représentant de la nation.

Les personnes qui connaissent ces éléments savent d'emblée quels sont les accents que Luc Van den Brande mettra dans son action politique : il oeuvrera en faveur de l'emploi - surtout celui des jeunes - d'une part, et en faveur de l'adaptation de nos entreprises aux nouvelles technologies - non sans témoigner d'un puissant réflexe flamand - d'autre part. Beaucoup de malentendus existent sur ce dernier point.

Il a toujours été fortement irrité par le fait que d'aucuns - et les médias n'ont pas été en reste à cet égard - ont trop souvent présenté cette attitude pro-flamande comme une forme de nationalisme étroit et « impur » qui oppose les peuples et les cultures et qui devait immanquablement déboucher sur la proclamation de l'indépendance de la Flandre, si ce n'est de Malines. Ceux qui connaissent un peu Luc savent toutefois que les propagandistes d'une Flandre bornée et repliée sur son autosatisfaction, qui craindrait et haïrait tout ce qui est étranger, le font frémir.

L'objectif de sa lutte, c'est un État fédéré flamand jouissant d'une grande autonomie et qui aurait tout intérêt à ce que la prospérité se développe au sein des autres États fédérés, tant à l'échelon de la Belgique qu'à celui de l'Europe. À ses yeux, ces États fédérés sont en effet les partenaires privilégiés de la Flandre. Dans le livre qu'il a publié sous le titre « Ongewone tijden. Open brief aan de Vlaming » en mars 1996, il fait référence au grand humaniste chrétien Érasme, qui est pour lui l'exemple même du régionaliste cosmopolite qu'il voudrait être.

Sa manière de voir les choses est probablement résumée au mieux dans la dernière allocution qu'il tint, le 11 juillet 1999, en tant que ministre-président du gouvernement flamand, devant le corps diplomatique international. Voici ce qu'il déclara : « On ne peut plus développer de politique intérieure sans tenir compte de ce qui se passe au niveau international ; inversement, les initiatives prises à l'étranger fournissent de nouvelles perspectives et de nouvelles possibilités à bien des Flamands. »

Par ailleurs, il se montra soucieux d'établir les fondements d'une bonne administration : « Il ne pourra y avoir de renouveau administratif en Belgique que si l'on accorde une autonomie maximale aux États fédérés qui la composent. »

Luc Van den Brande a tenu à participer aux développements de cette bonne administration pendant toutes ces années. En tant que représentant de la nation et chef du groupe CVP à la Chambre dans les années 80, il a eu l'occasion de marquer de nombreux dossiers de son empreinte. Il a tenté jusqu'au bout, à l'encontre même de la position du gouvernement de l'époque qui était pourtant dirigé par des membres de son parti, d'imposer son point de vue, notamment à propos de la question des fusées, qui agita à ce point l'opinion publique qu'elle donna lieu à plusieurs manifestations réussies contre le déploiement de celles-ci. Cette attitude ferme lui a valu le respect tant de ses amis que de ses ennemis.

Ce que moins de gens savent probablement, c'est que Luc Van den Brande avait déjà fait en 1986 une proposition poussée de réforme de nos institutions parlementaires en plaidant en faveur d'une Chambre des représentants de 150 membres et d'un Sénat de 75 membres ! Dans cette optique, le Sénat devait avoir pour mission d'organiser la concertation entre les communautés et il devait pouvoir participer directement à l'élaboration de la législation de base ou législation fondamentale. Bien que sa proposition se heurta à l'époque à de vives critiques, la réforme qu'il envisageait allait être réalisée dix ans plus tard sous une forme à peine modifiée... Il avait en quelque sorte accompli un travail de visionnaire !

En 1988, Luc Van den Brande entra au gouvernement fédéral - à l'époque on disait encore « gouvernement national » - en tant que ministre de l'Emploi et du Travail. Dans cette fonction, l'aspect social de l'engagement dont nous venons de parler se manifesta pleinement. Les initiatives qu'il prit en vue de réduire le chômage, de résoudre le problème de la fin de carrière, de mettre fin au chaos engendré par la mise au travail de chômeurs, et par la mise en oeuvre du troisième circuit de travail et du cadre spécial temporaire, comme en vue de permettre aux gens de mieux combiner leur travail et leurs obligations familiales, d'humaniser le contrôle du chômage, d'arriver à ce que l'on consacre une attention accrue aux problèmes de la sécurité au sein des entreprises, etc., sont trop nombreuses pour qu'on puisse les énumérer.

L'une des premières initiatives qu'il prit après avoir accédé au poste de ministre-président du gouvernement flamand en 1992, consista d'ailleurs à activer la concertation sociale au sein du Vlaams Economisch en Sociaal Overlegcomité, c'est-à-dire le Comité de concertation économique et social flamand. Cette concertation déboucha notamment sur l'instauration de primes d'encouragement au travail partiel. C'est une formule dont on continue à se servir pour encadrer la politique sociale.

C'est probablement avec cette dernière fonction, celle de ministre-président du gouvernement flamand, que la plupart continueront à identifier Luc Van den Brande. Car ce que l'on appelait jadis l'exécutif devint un gouvernement à part entière après la conclusion des accords de la Saint-Michel. Et un gouvernement est dirigé non pas par un président, mais par un « ministre-président ». Initialement d'aucuns froncèrent les sourcils en entendant parler de ministre-président, mais le successeur de Luc Van den Brande n'en porte pas moins toujours ce titre. Selon certaines personnes bien informées, l'idée de l'utiliser pourrait même bien avoir été d'inspiration nocturne.

Au cours des sept années pendant lesquelles il a exercé cette fonction, Luc Van den Brande a fait preuve d'un grand pouvoir d'initiative dans bien des domaines politiques : il suffit de songer au soutien aux nouvelles technologies et, notamment, aux applications en matière de télécommunications par ondes courtes et en matière de biomédecine, à l'affectation de moyens supplémentaires à la recherche scientifique, à la reconversion de secteurs économiques en difficulté, à la désignation d'ambassadeurs culturels de la Flandre, à la décision d'installer un ordinateur dans chaque classe, ...

Le projet d'avenir « Flandre - Europe 2002 », qu'il lança immédiatement après avoir pris ses fonctions de ministre-président, témoigne de ce que toutes ses initiatives étaient fondées sur une vision à long terme. Ce projet devait permettre de dessiner les contours futurs d'une Flandre démocratique viable, ne souffrant d'aucune sorte de malaise de fin de siècle. Le gouvernement flamand a également accompli un « tour des Flandres » par le biais de ce projet, en ce sens qu'il a permis, dans chaque province, à tous les intéressés d'adresser directement leurs critiques ou leurs réflexions au gouvernement. C'était la « nouvelle culture politique » avant la lettre ! Luc Van den Brande a du reste joué un rôle important dans l'octroi du titre de capitale culturelle de l'Europe à la ville de Bruges. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il ne pouvait en aucune manière oublier la ville où il avait accompli son voyage de noces !

En attendant, nous sommes en 2002, nous utilisons des euros pour effectuer nos paiements, les États fédérés ont obtenus des compétences nouvelles et nous retrouvons Luc Van den Brande au ... Sénat fédéral ! Bien qu'à son habitude il arrive de temps en temps en retard à ses rendez-vous - même lors de manifestations officielles, parce qu'il tient absolument à encore s'entretenir avec l'une ou l'autre personne ou parce qu'il ne veut rien perdre d'aucune remarque - Luc remplit son mandat de sénateur avec talent. Il est en effet un sénateur communautaire au sens propre du terme : il défend les intérêts de sa communauté au sein de l'institution qui est devenue non seulement en accord avec ses propres conceptions, mais aussi en vertu de la Constitution, une chambre de rencontre des communautés, à savoir le Sénat. Fidèle à son credo « Vlaanderen is mijn land, België is mijn staat » (la Flandre est mon pays, la Belgique l'État dans lequel je vis), il continue à plaider au Sénat pour un élargissement de l'autonomie des États fédérés et pour l'octroi à ceux-ci d'ensembles de compétences homogènes. C'est pour lui, non pas un objectif en soi, mais une possibilité d'offrir des chances nouvelles aux générations futures.

Le souci d'oeuvrer en faveur d'une bonne administration, offrant à chacun et à chacune les chances qu'il ou elle mérite, guide l'action de Luc Van den Brande depuis déjà 25 ans. L'hommage que nous lui rendons en ce jour est dès lors un hommage qu'il a plus que mérité !

M. Guy Moens (SP.A). - Monsieur le président, Monseigneur, monsieur le premier ministre, messieurs les ministres, chers collègues, toutes les paroles prononcées ici étant consignées, il importe que tout soit dit. C'est d'autant plus important que nous rendons maintenant hommage au Président de notre Sénat.

Que dire de notre Président Armand De Decker ?

Tout d'abord qu'il est né Place des Barricades à Bruxelles, mais que toute sa jeunesse se déroule à Schaerbeek, commune connue pour être un faubourg d'artistes.

Il y fréquenta l'Athénée communal baptisé « Athénée Fernand Blum » du nom d'un bourgmestre libéral très attaché à son enseignement communal laïc. Cette école le marqua beaucoup car il y apprit la vertu cardinale qui devait forger toute sa personnalité, la tolérance, et ce au contact d'une brochette de professeurs de haut niveau, parfois pittoresques, mais, en tout état de cause, très épris des valeurs humanistes.

Sur le plan familial, son père, le peintre Luc De Decker, originaire de Flandre orientale, était un artiste talentueux, reconnu et apprécié des plus grands du Royaume - nous en avons des témoignages au Palais de la Nation.

Sa mère égayait la maison de notes musicales qu'elle tirait d'un grand piano qui ornait le salon et son frère, enfin, de trois ans son aîné, commençait à écrire avec un tel talent, qu'il en est devenu académicien.

Des visiteurs très divers se pressaient tout naturellement dans cette demeure privilégiée et parmi eux, outre des écrivains et des poètes, des personnages plus graves du monde industriel, judiciaire ou de la politique nationale, dont Luc De Decker réalisait les portraits.

Ce milieu familial bilingue, fait de poésie mais aussi de rigueur, de sensibilité mais aussi d'ouverture sur la société, forgea très certainement la personnalité de l'actuel Président du Sénat.

Lorsqu'il parle de sa famille d'artistes, il a coutume de dire en boutade : « Je suis le seul qui aie mal tourné ! »

Lorsqu'il rejoint la faculté de droit de l'ULB, le jeune De Decker s'occupe davantage du Ciné-Club de l'Université et du Cercle des Étudiants Libéraux, qu'il n'est présent aux cours.

Mais deux professeurs le marqueront, paraît-il, profondément. Il s'agit du ministre Robert Henrion, qui l'initie à l'économie politique et qui entrera plus tard, en même temps que lui, à la Chambre et Jean Salmon, qui le forme au droit international public.

Car Armand De Decker est, depuis l'âge de 15 ans, passionné par la politique et plus particulièrement par la politique internationale. Il rêve de devenir diplomate comme son oncle et est au comble du bonheur lorsque son meilleur ami d'université l'introduit auprès de son grand-père : Paul-Henri Spaak.

En attendant de présenter le concours diplomatique, Armand De Decker entre au barreau de Bruxelles. Il s'y fait bien vite remarquer en remportant le prix de plaidoirie Paul Janson et en se faisant élire à la Conférence du Jeune Barreau. C'est là qu'il rencontre Jacqueline Rousseaux, qui l'épate en remportant tous les autres prix de plaidoirie.

Mais notre Président a la politique dans le sang.

À l'issue de son service militaire effectué comme officier dans les forces blindées, le jeune De Decker se met à militer de plus en plus activement dans un parti libéral bruxellois - à l'époque indépendant et en recul constant.

Il y bouscule quelque peu une vieille garde composée de Georges Mundeleer, Albert Demuyter, Norbert Hougardy et Jacques Van Offelen. C'est l'époque où le libéralisme bruxellois se portait si mal qu'André Cools disait qu'il pouvait tenir dans une cabine téléphonique.

Avec ses amis des jeunesses libérales, il secoue le cocotier et se fait ainsi remarquer par Jean Gol, député de Liège qui vient de rejoindre la famille libérale. La carrière politique d'Armand De Decker prend alors son envol. Ils décident ensemble, en 1979, de réunir les forces libérales de Bruxelles et de Wallonie, ce qui entraîne le création du Parti Réformateur Libéral.

Alors qu'il n'a que 30 ans, et aucun mandat, pas même communal, Jean Gol le fait élire secrétaire général adjoint du PRL et le charge de réanimer le libéralisme bruxellois. Le trio Gol, président, Louis Michel, secrétaire général, et Armand De Decker, secrétaire général adjoint, fait alors merveille.

Dès 1980, le PRL entre au gouvernement et le jeune De Decker entre au cabinet du ministre de la Défense nationale Charles Poswick.

C'est sans doute à cette époque que remonte l'intérêt de notre Président pour les affaires militaires.

Deux ans plus tard, en 1981, Armand De Decker est élu député de l'arrondissement de Bruxelles après un ballottage avec Luc Beyer qu'il remporte grâce à l'effet dévolutif de la case de tête, ce qui doit nous faire réfléchir...

En novembre 1981, notre Président vient d'avoir 33 ans. Son ancien professeur, Robert Henrion, devenu son chef de groupe, le propose immédiatement comme rapporteur de la loi des pouvoirs spéciaux. L'on raconte qu'il rédigea lui-même une grande part du long rapport relatif à un débat en commission qui dura des semaines, à cause notamment de la pugnacité d'une opposition menée par un certain Louis Tobback.

C'est depuis cette époque que le Président du Sénat est, paraît-il, convaincu que les lois de pouvoirs spéciaux sont davantage démocratiques que les lois-programmes que les gouvernements font voter à la hâte avant les vacances sans réel débat.

Mais comme le Parlement se voit ainsi largement museler dès son arrivée, le jeune député, se souvenant de sa formation humaniste et tolérante et de ses convictions libérales, décide alors de s'attaquer à une cause essentielle : la suppression du monopole de l'État en matière de radio, puis de télévision.

C'est en effet lui qui, tout en défendant, comme avocat, des animateurs de radios libres devant les tribunaux correctionnels, dépose à la Chambre et au Conseil de la Communauté française les textes visant la fin du monopole public, l'autorisation des radios libres et le droit pour les radios privées d'émettre de la publicité commerciale.

Le jeune député, appuyé par son parti dont il deviendra premier vice-président et président de la régionale de Bruxelles, modèle ainsi le nouveau paysage audiovisuel du pays et de la Communauté française.

Plus tard, il sera rapporteur du projet de loi qui permit la création des chaînes de télévision commerciales VTM et RTL-TVI.

Mais De Decker reste attentif à la politique étrangère et à la défense.

Au début des années 80, il est le porte-parole du PRL sur la question - très controversée - du déploiement des missiles de croisière américains en Belgique.

Mesurant l'enjeu, il multiplie les interventions, tant à la Chambre qu'à diverses autres tribunes, pour contraindre le gouvernement de respecter ses engagements vis-à-vis de l'OTAN, malgré la pression énorme des mouvements pacifistes.

Lors du vote final, avant le déploiement, Armand De Decker est frappé d'une terrible hépatite qui le cloue au lit. Comme le vote s'annonce serré, l'opposition spécule sur son absence, et ses collègues de l'époque, ici présents, doivent certainement se rappeler de son entrée livide dans l'hémicycle de la Chambre au milieu de la nuit juste avant le vote qui fut positif. Les missiles américains arriveront la même nuit. Il prétend à l'époque qu'il serait venu en civière si cela s'était avéré nécessaire.

De Decker, qui alterne les centres d'intérêt, milite à la même époque pour la dépénalisation de l'avortement, tout en restant en permanence attentif aux intérêts bruxellois dans le cadre de la réforme de l'État au point qu'André Cools le traite un jour de « Manneken Pis » en séance, ce qu'il prend pour un compliment.

On peut dire qu'Armand De Decker est taillé pour le Parlement.

Sa diplomatie et sa ténacité y sont des atouts extraordinaires. Il en connaît, en effet, aussi tous les rouages. Il fut secrétaire du Conseil de la Communauté française, puis de la Chambre, chef de groupe à la Communauté française, tant dans la majorité que dans l'opposition, chef de groupe au Conseil régional bruxellois dans l'opposition, puis président du Parlement régional bruxellois dans la majorité, fonction qu'il mit à profit pour doter l'assemblée bruxelloise d'un magnifique hémicycle.

Et pendant toutes ces années, il siégea au Conseil de l'Europe et à l'Assemblée de l'UEO, dont il fut vice-président et président de la commission de la Défense.

C'est à l'Assemblée de l'UEO. que le Président De Decker acquit une réputation internationale. Il fut en effet un réel pionnier dans le domaine de la définition d'une politique européenne de sécurité et de défense, sans laquelle, à ses yeux, l'Europe restera un nain politique. Rien ne le passionne plus que la construction européenne qu'il considère comme l'aventure essentielle de notre temps.

Tout ceci explique pourquoi on dit de lui que les lois sur le décumul ne l'enthousiasment guère. Il est vrai qu'il cumula différentes fonctions parlementaires avec talent, ce qui n'empêcha pas le quotidien Le Soir de lui attribuer un jour le prix du meilleur parlementaire.

Voilà, chers collègues, le portrait de celui qui préside aujourd'hui notre, votre Sénat.

Il aime l'Institution et la vie parlementaire, sous tous ses aspects, il y fut braconnier avant d'y devenir garde-chasse.

C'est pour cela sans doute qu'il défend le bicaméralisme avec tant de conviction.

Francophone d'origine flamande, il aime la Belgique, sans réserve, dans sa complexité et son originalité. Il est vrai que ses origines familiales le prédisposaient à l'univers parfois surréaliste où son destin l'a entraîné.

Cher Armand, je vous souhaite en tout cas une longue et fructueuse carrière dans cette Maison et ailleurs.

C'est pour moi un grand honneur que de pouvoir aujourd'hui, au nom du Sénat, rendre hommage à Marcel Colla. Prononcer un éloge est déjà en soi l'une des tâches les plus agréables qui puissent incomber à l'homme politique, mais ce plaisir est plus grand encore quand il s'agit d'honorer un homme d'une haute compétence qui ne recherche jamais lui-même la lumière des projecteurs.

Le stéréotype populaire veut pourtant que la modestie ne soit pas le fort des Anversois. Mais sur ce point, Marcel Colla est assurément atypique. Peut-être faut-il en trouver la cause dans une anecdote qui remonte aux premiers pas de notre collègue en politique. Nous sommes en 1970, l'année où il devient pour trois ans le président des Jeunes socialistes flamands. Frais émoulu en politique donc, il assiste aux funérailles d'un conseiller communal, quand Vic Thys, alors échevin de Deurne, lui lance soudain : « Cet endroit est peuplé de gens irremplaçables ; que ceci te serve de première leçon politique ».

J'ignore si le propos de l'échevin a eu quelqu'influence sur sa façon de penser, mais une chose est sûre : nous saluons aujourd'hui le bilan d'un homme pragmatique, qui préfère l'efficacité à la politique spectacle.

Si nous célébrons en ce jour les vingt ans de mandat parlementaire de Marcel Colla, c'est en fait une activité parlementaire plus longue qu'il conviendrait de saluer, car en plus d'une carrière longue et fructueuse, notre jubilaire compte aussi à son actif un record à la fois remarquable et peu enviable : celui du mandat parlementaire le plus court. C'est en effet le 10 octobre 1978 qu'il est devenu député en remplacement de M. Geldof, quelques heures seulement avant que le Premier ministre de l'époque, M. Tindemans, ne présente au Roi la démission de son gouvernement...

Mais de même que l'eau finit toujours par se frayer un chemin entre les rochers, le talent politique véritable ne manque jamais de s'imposer. Six mois plus tard, aux premières élections directes du Parlement européen, Marcel Colla devient député européen. Et le millésime est flatteur puisque l'on y retrouve les noms de François Mitterand, Willy Brandt, Jacques Delors, Jacques Chirac et, parmi les personnalités belges, ceux de Leo Tindemans, Karel Van Miert et Willy De Clercq.

En 1981, notre collègue est élu à la Chambre des représentants, où il siège dans l'opposition pendant sept ans. Il aura beau déclarer quelques années plus tard qu'il est plus à l'aise lorsqu'il peut participer à la gestion du pays, il n'est pas rare à l'époque d'entendre louer son talent d'orateur et la verve avec laquelle il développe ses arguments, y compris par la presse francophone, qui le qualifiera d'ailleurs à plusieurs reprises de « fougueux ». Mais même sur les bancs de l'opposition, Marcel Colla affiche constamment une égale honnêteté intellectuelle et c'est avec une précision de chirurgien qu'il parvient toujours à distinguer où s'arrêtent les faits et où commence l'idéologie. Cette qualité marquera toute la suite de sa carrière.

Après un bref passage au secrétariat d'État à la Politique scientifique, notre collègue devient ministre pour la première fois le 16 janvier 1989 et hérite du portefeuille des Postes, Télégraphes et Téléphones. Au terme de ces trois premières années de pouvoir exécutif, il peut d'emblée présenter un bilan impressionnant. Le socialiste Colla signe la première CCT du secteur depuis 10 ans, il réalise une extension considérable des tarifs sociaux et mène un combat mémorable pour créer la fonction de médiateur. C'est lui aussi qui, avec Jean-Luc Dehaene, est à la base de la loi sur les entreprises publiques autonomes et qui imprime à la RTT une orientation nettement internationale. C'est lui encore qui inaugure l'exercice de réflexion, difficile et toujours inachevé, sur la notion de « service public » dans le cadre d'un marché de plus en plus libéralisé.

De 1992 à 1994, il est président du groupe SP à la Chambre, avant de devenir ministre des Pensions. Le sociologue, ancien assistant et ancien professeur extraordinaire, auquel la Libre Belgique décerne désormais l'étiquette de « fougueux assagi », se révèle être un ministre extrêmement compétent dans un domaine où l'occasion lui est donnée de faire la synthèse entre ses connaissances universitaires étendues et son expérience politique. Il ne tarde pas à faire un sort à un certain nombre d'injustices en matière de pension extralégale grâce à la loi relative à la pension complémentaire des travailleurs salariés, laquelle crée le cadre juridique permettant au travailleur qui change de travail d'emporter avec lui chez son nouvel employeur l'intégralité des droits extralégaux à la pension qu'il s'est constitués précédemment.

Dans le gouvernement suivant, Marcel Colla conserve le portefeuille des Pensions, auquel vient s'ajouter celui de la Santé publique. Cette nouvelle attribution est pour lui un véritable défi. Non seulement parce qu'il entend rendre à la santé publique la place qu'elle mérite dans l'agenda politique, mais surtout parce que l'homme d'État qu'il est garde toujours à l'esprit une vision globale des choses et qu'il sait à quel point les deux compétences sont intimement liées face à un vieillissement marqué de la population. Il se trouve ainsi confronté, d'une part, à l'alourdissement de la charge des pensions et, d'autre part, à la hausse du coût des soins de santé, tout en devant garantir que la médecine puisse continuer à se développer et rester accessible à chacun. Qui plus est, il lui faut mener à bien ce périlleux exercice budgétaire avec, en toile de fond, l'obligation impérative de remplir les conditions mises à l'entrée de la Belgique dans l'Union économique et monétaire.

Une des principales caractéristiques du bon politicien est qu'il n'hésite pas à prendre les mesures qui s'imposent, fussent-elles impopulaires. Marcel Colla prend donc les mesures qui lui paraissent indispensables pour assurer la viabilité et la maîtrise des régimes légaux de pension, sans ménager ses efforts pour le faire de la manière socialement la plus acceptable. Comme toujours, il reste fidèle à son principe selon lequel un effort continu est beaucoup plus efficace que l'annonce de mesures ronflantes.

Cette ligne de conduite lui permet aujourd'hui, non sans une légitime fierté, de compter à son actif une série de réalisations dans le domaine de la santé, dont l'importance et l'actualité demeurent entières. En instituant un cadre légal ad hoc, il a mis de l'ordre dans le monde des centres de fécondation in vitro et stoppé un développement anarchique du secteur, qui n'était certainement pas de nature à promouvoir la qualité du service. Le souci d'offrir une médecine de qualité et sa grande ouverture d'esprit constituent sa marque de fabrique. Que l'on pense par exemple à l'instauration du dossier médical, à l'encouragement des cabinets de groupe ou encore au débat, sensible entre tous, sur le risque que les médecins soient un jour trop nombreux. C'est la même ouverture d'esprit qui lui a permis de concevoir un cadre légal pour l'exercice des médecines non conventionnelles.

Cependant, les préoccupations du ministre Colla ne se limitaient pas à la qualité de la médecine et à la faisabilité financière d'un régime de pension équilibré. Sa réflexion débordait souvent les limites de ses attributions et elle l'a amené, avec ses collègues de l'Agriculture et de la Justice, à prendre une série de mesures intéressantes dans la lutte contre la mafia des hormones. Une autre illustration de sa conception transversale de la santé publique est sans conteste l'élaboration du plan ozone.

Devant le peu de penchant de Marcel Colla pour la politique spectacle, la presse l'a parfois suspecté jadis de froideur, allégation que je conteste avec force et dont tous mes collègues témoigneront avec moi qu'elle est parfaitement gratuite et ne lui correspond pas le moins du monde. Nous le connaissons au contraire comme un homme qui a toujours été passionné par son sujet et nous apprécions au plus haut point d'avoir pour président de la commission des Relations extérieures et de la Défense un diplomate hors pair et un grand artisan du consensus.

Comme le disait, vers la moitié du XVIIe siècle, le jésuite espagnol Baltasar Gracián, chaque nouvelle mission est pour un talent l'occasion de se révéler et de se développer sans cesse. Ce fut donc pour moi, cher collègue, un véritable plaisir de pouvoir vous exprimer combien nous vous sommes reconnaissants de continuer à appliquer cette maxime au sein de notre assemblée après vingt années placées sous le signe de la diversité du savoir-faire.

M. Josy Dubié (ECOLO). - « Civis Romanus sum. » et, pourtant, c'est non pas dans l'histoire de la culture romaine, mais dans l'histoire antérieure de la culture grecque que nous trouvons un illustre homonyme du collègue à qui nous rendons également hommage aujourd'hui.

« Nomen est omen », c'est exact, - et je parle ici du prénom du sénateur Kelchtermans. Dans l'antiquité, le philosophe Theophraste, élève d'Aristote, succéda à celui-ci, à sa mort, à la tête de l'école péripatéticienne. Il écrivit les fameux « Caractères », qui sont constitués de toute une galerie de portraits moraux dont Huygens et La Bruyère allaient s'inspirer bien plus tard. Une formation de licencié en psychologie appliquée convenait donc très certainement au caractère plutôt calme de ce collègue que nous apprécions, dont l'objectivité analytique et le sens aigu de l'observation sont les traits positifs essentiels.

Il a su valoriser directement ces deux qualités pendant de longues années, au début de sa carrière professionnelle, dans son travail d'encadrement des jeunes et d'orientation scolaire et professionnelle. L'expérience qu'il acquit dans ce cadre lui fut sans aucun doute tout aussi utile dans l'exercice des importants mandats exécutifs qui lui furent confiés à la Communauté flamande, dans des secteurs politiques qui se situaient dans le droit fil de sa formation universitaire. Nous savons tous que cet exercice n'est pas toujours évident, dans un pays dont le paysage institutionnel est complexe et où la formation des gouvernements n'est pas à l'abri d'aléas et de contraintes politiques.

En 1985, il devint un des premiers ministres flamands de l'Enseignement et de la Formation. À l'époque, notre collègue Kelchtermans, qui était un jeune quadragénaire, avait déjà siégé quatre ans à la Chambre des représentants.

En 1991, il troqua le cuir vert pour la soie pourpre et devint membre de notre Haute Assemblée pour toute une première législature. À la suite de la réforme de 1993, il renonça, en juin 1995, au mandat de membre du Conseil flamand pour pouvoir exercer celui de ministre flamand de l'Environnement et de l'Emploi.

Le double mandat n'était en effet plus autorisé. En outre, les élus qui étaient désignés aux postes ministériels n'appartenaient plus non plus à la fois au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif. Pendant quatre ans, Theo Kelchtermans exerça les seules fonctions de ministre communautaire, alors qu'au cours des dix années précédentes, il avait combiné cette charge avec un mandat au Parlement national et un autre au Parlement flamand, accomplissant ainsi un exploit à la satisfaction de tous, grâce à ses talents de manager.

La compétence environnementale qui lui fut confiée en 1995 lui permit en fait de revenir à un secteur qu'il connaissait déjà, car il n'était pas un néophyte en matière d'emploi, et, dès le milieu de la décennie précédente, plus précisément de 1988 à 1992, il avait aussi déjà mis au service de la Communauté flamande l'expérience politique qu'il avait accumulée auparavant dans le domaine de la protection de la nature et de l'environnement en tant que membre de l'Exécutif flamand ayant compétence pour l'Environnement, la Conservation de la nature et l'Aménagement du territoire.

C'est au cours de cette première période politique que notre collègue consacra à l'Environnement que virent le jour l'audacieux plan MINA (le plan pour l'Environnement et la Nature) et le fameux VLAREM (le règlement flamand relatif à l'autorisation écologique), d'une part, et que fut lancé Aquafin, d'autre part.

C'est également à cette époque que l'on commença à contrôler les déchets en introduisant des méthodes de triage et de récupération et que l'on adopta le décret progressiste flamand sur les forêts. Au cours de son deuxième mandat en tant que ministre de l'Environnement, à la fin des années nonante, de nouvelles initiatives furent développées et la mise en oeuvre d'initiatives antérieures poursuivie et parachevée, plus précisément, celle, entre autres, des accords environnementaux conclus avec les communes en vue d'encourager la prévention des déchets et celle du décret innovateur sur l'assainissement du sol. Le ministre enrichit la vie politique flamande d'un sigle qui eut un grand retentissement dans l'opinion publique et qui a quelque chose d'obscur au sud de la frontière linguistique, à savoir le sigle MAP, qui désigne le « Mestactieplan » ou, en français, Plan d'action pour le lisier.

À la fin de 1995, le bruit courut pendant un court moment que notre collègue allait échanger son portefeuille ministériel pour une autre haute charge administrative, mais, par fidélité à ses promesses électorales, à ses collaborateurs et par attachement à la responsabilité politique renouvelée qui lui fut confiée dans le domaine en question, il resta à son poste jusqu'au bout du parcours. La parole donnée n'est pas chose vaine pour Theo Kelchtermans.

Au cours de la période qui sépara ses deux mandats de ministre de l'Environnement et qui alla de 1992 à 1995, il exerça un mandat de ministre communautaire des Travaux publics, de l'Aménagement du territoire et des Affaires intérieures. La mise en oeuvre du Schéma de structure d'aménagement de la Flandre constitua une rupture avec le passé. La sécurité routière était déjà à l'époque une de ses priorités politiques absolues.

Tout au long de sa carrière politique, le ministre et le parlementaire Kelchtermans ont montré un profil de décideur pondéré mais déterminé. Et, pourtant, « No might nor greatness in mortality Can censure 'scape », nulle puissance ou grandeur mortelle ne peut échapper à la critique.

Jamais cependant on ne l'a vu changer d'avis à la légère en des eaux politiques troubles ou sous la pression des circonstances, mais jamais non plus on ne l'a vu se cramponner à son point de vue au détriment d'autrui, même pas dans des dossiers que l'on peut qualifier de « délicats » et dont certains avaient même un impact national. Si tout orgueil lui est étranger, il n'ignore manifestement pas les vertus de la « catharsis » et il a sans doute toujours suivi à cet égard l'adage tiré de l'oeuvre du poète latin Perse : « Ne te quæsiveris extra », ne te cherche pas en dehors de toi-même.

On ne saurait oublier que, malgré toutes ces occupations exigeantes aux niveaux communautaire et fédéral, il y a eu une grande constante chez lui en ce sens que, comme beaucoup d'entre nous, notre collègue Kelchtermans est toujours resté très attaché à sa région.

Il fut conseiller communal à Peer, à partir du milieu des années septante, ensuite premier échevin, puis bourgmestre, pour ainsi dire de manière ininterrompue depuis 1980. Il manifeste plus généralement son attachement à la région qui l'a vu naître par sa volonté fervente de préserver l'unité dans la diversité des villages de nos régions rurales, qui balisent l'espace socioéconomique et paysager de notre patrimoine agricole.

En exprimant les choses de manière légèrement paradigmatique, on pourrait dire que le collègue à qui nous rendons hommage aujourd'hui est l'un des trois « ténors » de sa région et de sa génération, ténors qui ont montré, grâce au dynamisme dont ils ont fait preuve en faveur du nord du Limbourg, que le potentiel de cette région est beaucoup plus grand qu'on ne le pense dans la « lointaine Bruxelles », ce dont ses habitants sont d'ailleurs parfaitement conscients.

Au cours de la présente législature, nous avons eu le plaisir d'accueillir à nouveau Theo Kelchtermans au sein de notre assemblée et plusieurs collègues ont pu apprécier entre-temps l'affabilité dont il témoigne dans l'exercice de la présidence de la commission des Affaires sociales.

Personnellement, je me souviens avec beaucoup de bonheur du « partenariat présidentiel », dans le cadre duquel nous avons mené l'examen des propositions de loi relative à l'euthanasie et aux soins palliatifs de l'automne 1999 à l'été 2001. Nous n'avions ni l'un ni l'autre une grande expérience du rôle de président d'une commission parlementaire - c'est surtout vrai pour moi, qui venais d'entrer en politique - alors que la mission que nous nous préparions à accomplir s'annonçait longue et ambitieuse, ce qu'elle fut d'ailleurs.

En tant que président de la commission de la Justice et en tant que votre aîné, ce que je ne puis nier, je crois pouvoir dire, mon cher Theo, que si, en application du règlement du Sénat, j'étais formellement le seul président, nous n'en avons pas moins mené cette mission à bien ensemble, dans l'estime mutuelle.

En effet, bien que nous venions d'horizons différents et malgré nos nombreuses divergences de vues dans cette matière sensible, nous avons su, en concertation l'un avec l'autre, aiguiller dans un sens positif le travail d'équipe passionnant que les commissions réunies accomplirent, sans se laisser freiner ni par les frontières qui existent entre les partis, ni par la ligne de démarcation que l'on trace de manière un peu forcée entre la majorité et l'opposition.

En menant à bien l'examen de ce dossier, le Sénat a prouvé qu'il apporte une contribution importante, sinon indispensable au système politique belge.

Je tiens à rappeler, enfin, que nous portons tous deux un vif intérêt à tout ce qui concerne la défense européenne et la défense à l'échelle internationale, des matières auxquelles, comme vous le savez, s'intéresse également de très près le président de notre Assemblée. Je présume, cher collègue, que nous assisterons encore à des bouleversements dans ce domaine et qu'il se pourrait bien que nous soyons encore appelés un jour à y accomplir l'une ou l'autre mission de pionnier. N'oublions dès lors pas le sage conseil que Molière prodigua en affirmant qu'« À tous événements le sage est préparé ». Continuons par conséquent à nous intéresser aux problèmes et aux défis de ce monde et à déployer les efforts nécessaires pour résoudre les uns et relever les autres.

De heer Guy Verhofstadt, eerste minister. - Monseigneur, mijnheer de Voorzitter, geachte collega's, dames en heren. Een mens wordt ouder. Ik breng hier vandaag, als eerste minister, hulde aan vijf senatoren - in feite hadden het er zes moeten zijn - die een kwarteeuw of twintig jaar als verkozen afgevaardigde van het volk achter de rug hebben. Eén, de heer Tobback, verborg een tijd dat hij al 28 jaar in het Parlement zit. Kwatongen beweren dat hij dit bewust heeft gedaan. Misschien deed hij dat wel om zijn plaats op de lijst veilig te stellen, want na 25 jaar zijn er kapers op de kust.

En dan stel ik, bij het schrijven van deze toespraak vast, dat ik de jubilarissen allemaal persoonlijk ken, niet van op televisie of uit de kranten, maar van de vele jaren die ik zelf al in het Paleis der Natie vertoef.

De voorzitter van de Senaat moet me het maar vergeven, maar Louis Tobback had in feite in de Kamer, zijn natuurlijke biotoop, moeten worden gevierd. Hij heeft zich altijd thuis gevoeld in de Kamer van Volksvertegenwoordigers, op het strijdtoneel en de harde banken die eigen zijn aan de Kamer. Ik stel voor zijn 28-jarig jubileum hier te vieren en zijn overlijden, over vijftig jaar, in de Kamer van Volksvertegenwoordigers.

Louis Tobback was de laatste echte oppositieleider van de afgelopen eeuw, een ras dat vandaag niet meer bestaat en niet meer wordt geboren. Het is zo erg geworden dat ik de oppositie in de Kamer moet smeken om mondelinge vragen te stellen zodat ik nog eens kan antwoorden. Gelukkig is er senator Vandenberghe, die hier de taak van de Kamer heeft overgenomen.

Niet alleen Machiavelli en Sugar Ray Robinson, maar ook Louis Tobback en Charles-Ferdinand Nothomb zagen op 3 mei het levenslicht. Het is dus een vruchtbare dag voor ministers van Binnenlandse Zaken.

Louis Tobback heeft met zijn mokerslagen veel regeringen en meerderheden in gevaar gebracht. Toen ik parlementslid werd, was hij meester van het orkest. Of beter gezegd: hij was meester en orkest tegelijkertijd. Als hij op de tribune klom, kwam iedereen luisteren en lagen er aan het einde van zijn betoog lijken in het halfrond. Toen ik met hem voor het eerst de degens kruiste zaten wij in de regering, samen met een coalitiepartner die hij omschreef als een doorschijnend zeeweekdier. Zo hebben we vijftien jaar lang met elkaar kunnen bekvechten. Tobback hield ons, in zijn eentje bijna, in 1995 uit de regering met een van de sterkste electorale krachttoeren die ons land ooit heeft gekend.

Dat belet me niet om chapeau te zeggen voor zijn modeloppositie van de jaren tachtig, voor zijn solide werk op Binnenlandse Zaken, voor zijn hartstocht voor Leuven en Stade Leuven, voor zijn politieke nuchterheid en misschien nog het meest voor het feit dat hij gedurende decennia, politiek boeiend heeft gemaakt.

Luc Van den Brande ken ik nog het best van de tijd dat hij fractieleider was en vanuit de meerderheid vuurtjes stookte met interpellaties over het staaldossier en de raketten, vuurtjes die hij dan telkens weer net op tijd moest weten te blussen. Van zijn periode als minister-president van Vlaanderen is te weinig geweten hoe groot zijn verdiensten zijn voor wetenschappelijk onderzoek en technologische ontwikkeling. Dat heb ik recent ervaren toen men mij zei welke voorsprong ons land heeft inzake het breedband-aanbod, iets wat hij, met het Telenet-verhaal, zeker heeft gestimuleerd.

Ik geef toe dat ik Luc Van den Brande regelmatig heb bekritiseerd omdat hij volgens mij soms nodeloos de communautaire confrontatie zocht. Hij kon zijn hond zo moeilijk aan de leiband houden! Toch heb ik nooit begrepen waarom hij door sommigen aan de andere kant van de taalgrens zo werd gedemoniseerd voor wat een politiek standpunt als een ander was.

Ik betwijfel dat het uitsluitend toeval is dat Luc Van den Brande net in 2002 wordt gehuldigd, 700 jaar na de Guldensporenslag. Anderzijds geloof ik niet dat men achter die datum grootste complotten moet zoeken. Gewoon feliciteren voor die vijfentwintig jaar inzet en hard werken in het Parlement volstaat.

Avec les députés ayant plus de vingt ans d'expérience, je m'approche dangereusement de ma propre génération. C'est certainement le cas pour vous, monsieur le président, étant donné que vous étiez tout aussi jeune que moi au début de votre carrière politique. De nos premières années me revient à l'esprit la lutte libérale conjointe pour l'ouverture du monopole public en matière de radio et de télévision, une lutte que nous avons gagnée.

M. Moens a souligné le rôle que vous avez joué au sein du PLP de Bruxelles. Il a cité André Cools qui avait déclaré : « Ils sont si nombreux qu'ils tiennent réunion dans une cabine téléphonique ». Ce n'est pas tout à fait exact, comme peuvent en attester les annales. Cela ne s'appliquait pas au PLP bruxellois mais aux jeunes socialistes. (Rires) C'était même exagéré en ce qui concerne le PLP bruxellois puisqu'à l'époque, son seul membre était Georges Mundeleer. Il restait donc de la place dans la cabine. (Rires)

Vous avez aussi toujours été un des trop rares experts de cet hémicycle pour les questions militaires. Mais vous êtes bien sûr surtout Bruxellois, même si tout le monde sait que votre famille est originaire de la Flandre orientale. De Decker, il n'y a pas nom plus flamand ! (Rires) Apparemment, vous vous trouvez plus près de Jean-Marie qu'on ne le pensait. (Rires) Quoi qu'il en soit : mes félicitations.

Theo Kelchtermans ken ik persoonlijk het minst, vermoedelijk omdat hij al die tijd, van 1985 tot 1999, op het Vlaams niveau actief was als minister. Theo, ik denk niet dat ik overdrijf als ik u de eerste volwaardige Vlaamse minister van Milieu en Ruimtelijke Ordening noem, als het ware de founding father van beide materies.

Ik heb steeds de manier bewonderd waarop u die twee vaak boeiende maar soms saaie materies wist te vertalen in nieuwe namen en afkortingen, die steevast de klank hadden van mooie vrouwen: Aquafin, Vlarem in mindere mate, MAP dat daarnet lachend Mestuitvoerplan werd genoemd in plaats van Mestactieplan, of Mina.

Zonevreemde woningen - daar hadden we vroeger nooit van gehoord - en afvalsortering - daar hadden we nog nooit aan gedacht - zijn nieuwe begrippen die onder uw leiding in de politiek zijn binnengedrongen.

Wat u misschien nog het meest siert, is dat u, zodra u in 1999 burgemeester van Peer werd, snel besefte dat de Vlaamse overheid in haar jeugdig enthousiasme misschien te streng en te regulerend was opgetreden en dat ook openlijk toegaf. Wij liberalen wisten dat natuurlijk al lang, maar voor zoveel Limburgse nuchterheid, wil ik u bedanken. Als een van de weinigen in ons land hebt u uw stempel gedrukt op beleidsbeslissingen en beleidsdaden, waarvan nu duidelijk blijkt hoe nuttig en nodig ze waren.

Niet aan de rand van Limburg maar aan de rand van de Kempen, in Deurne, begint mijn verhaal over Marcel Colla.

Marcel, het is niet altijd gemakkelijk een rode draad in uw loopbaan te vinden, tenzij dan die van de partijsoldaat met veel nuchter Antwerps verstand, wat heel wat betekent uit de mond van een Gentenaar. Ik heb van u ook een beeld van een man die weet wat leven is, van iemand die moeilijk begrijpt waarom iedereen in het politiek milieu altijd zo opgewonden doet. Een hoffelijke heer, iemand voor wie de persoonlijke aanval niet tot het arsenaal en de politieke gebruiken mag behoren. Ook u wil ik hartelijk danken voor die twintig jaar. Gefeliciteerd voor uw bijdragen aan de Belgische politiek.

Enfin, je rends hommage à Philippe Monfils que j'ai surtout appris à connaître à la fin des années quatre-vingt quand il était ministre-président de la Communauté française. J'ai surtout apprécié ses talents d'orateur, de juriste, d'homme cultivé, d'amateur de voitures rapides et, enfin, de Liégeois. Il n'est pas présent parmi nous aujourd'hui mais je tiens à le féliciter.

On n'en finit pas de citer des formules en latin, comme il convient de le faire dans le plus vénérable de nos parlements qui, en plus, doit son nom à l'assemblée de Rome. En réalisant que, moi aussi, je suis depuis dix-sept ans membre du parlement, j'ai tendance à dire « sic transit gloria mundi ». Je vais néanmoins me limiter à : « Ad multos annos ». (Applaudissements)

M. le président. - Je prie les questeurs, MM. Devolder, Moens et Dubié de remettre aux jubilaires la médaille d'honneur qui leur est décernée par le Sénat. (Sous les vifs applaudissements de l'assemblée, les questeurs remettent aux jubilaires les médailles d'honneur.)

La parole est à M. De Decker qui parle au nom des jubilaires.

De heer Armand De Decker. - Monseigneur, Mijnheer de Voorzitter, Mijnheer de Eerste Minister, Heren Ministers van Staat, Heren Ministers, Waarde Vrienden, wat kan ik nog zeggen na zoveel lofbetuigingen? Volgens de traditie behoort de oudste onder ons het woord te nemen. Nu hebt u zelf al kunnen vaststellen dat ik de oudste niet ben.

Het is de eerste maal in twintig jaar gemeenschappelijk politiek leven dat Louis Tobback mij zijn bevoegdheid overdraagt. Wat moet ik daarvan denken?

Vorige donderdag nog heeft Louis Tobback mij gezegd: "Armand, antwoord jij maar in ons aller naam, dan horen we wat meer Frans spreken tijdens deze overwegend Vlaamse plechtigheid".

Louis Tobback heeft weliswaar Romaanse filologie gestudeerd en de Franse taal onderwezen. Bovendien draagt hij de taal van Voltaire een warm hart toe. Ik weet echter hoe subtiel Louis Tobback tewerk gaat en daarom besef ik dat die overdracht wel een andere reden moet hebben. Misschien is het wel omdat de Senaat tweemaal vergeten heeft hem te vieren.

Ce qui, à mon sens, l'amuse surtout, c'est que ce soit un francophone bruxellois, ancien président du parlement régional bruxellois de surcroît, qui, au Sénat de Belgique, en 2002, réponde et remercie aussi au nom de Luc Van den Brande !

Il faut que je sois sérieux un instant. Je ne sais si mes collègues et amis ont eu la même impression que moi pendant ces discours d'hommage ; malgré la gentillesse et le talent de MM. les questeurs, j'avais l'impression d'écouter des oraisons funèbres.

L'avantage de ce type de cérémonie, de cette variante, consiste bien évidemment dans le fait d'avoir le privilège d'y assister et donc de voir et entendre les réactions des uns et des autres à l'une ou l'autre partie de discours.

On est également forcé de réfléchir à ce qui est dit et sur le chemin parcouru. Car il est vrai qu'une carrière politique ressemble à s'y méprendre à une course d'obstacles, au cours de laquelle on doit prouver sans cesse à ses électeurs, d'une part, à ses « chers amis politiques », d'autre part, que l'on est toujours le meilleur.

L'on y connaît des échecs. L'on y connaît des moments de joie intense. L'on y mesure plus que dans toute autre activité que la roche tarpéenne est proche du Capitole.

Il est frappant, à mes yeux, qu'ils ne soient que deux ici à avoir atteint vingt-cinq ans de mandat et que nous ne sommes que quatre à fêter vingt ans de Parlement. Au rythme où évolue la fonction politique, je pense que dans quelques années, l'on fêtera ceux qui auront survécu plus de dix ans !

Aangezien dit soort vieringen steeds alludeert op het feit dat men dichter bij het einde dan bij het begin gekomen is, wil ik deze gelegenheid te baat nemen om u te zeggen dat mijn politieke loopbaan soms zeer hard, maar ook zeer boeiend geweest is en veel voldoening heeft geschonken.

In een tijd waarin de politici en de politiek steeds heviger bekritiseerd worden, wil ik, voor de jongeren die ons horen, erop wijzen dat geen leven zo verrijkend en interessant is als dat van de gedreven politicus die zijn taak ernstig opvat.

Het gewicht van het algemeen stemrecht verleent ons het recht dieper in te gaan op allerlei onderwerpen van onze keuze en biedt ons de mogelijkheid te ontmoeten wie we wensen, zowel in eigen land als in het buitenland.

Dat is volgens mij ons enige voorrecht. Het bestaat werkelijk, het is tastbaar en het maakt de enige ware rijkdom uit van ons wel bijzonder leven als politicus.

Certains parmi nous aiment le pouvoir. D'autres, les meilleurs, aiment les gens. Il est vrai que nous pouvons parfois faire évoluer les choses, plus rarement les changer ; mais nous en avons le sentiment ou l'illusion, et cela contribue à notre bonheur. Merci, MM. les questeurs, pour vos gentils compliments.

En ces circonstances un peu particulières, nous pouvons mesurer aussi la chance que nous avons de vivre dans un pays où la vie politique n'est certes pas toujours sans défaut, mais où elle se fait, en tout cas, à quelques exceptions près, entre vrais démocrates.

Je pense que les récipiendaires ici présents partageront ma volonté d'associer à cet hommage nos épouses et compagnes qui, au sens propre, partagent nos joies et nos peines, mais aussi nos collaborateurs et collaboratrices sans lesquels nous n'aurions pas eu tant d'intelligence et d'efficacité.

Merci aussi à nos amis qui nous entourent aujourd'hui, au premier ministre et aux ministres ; merci aussi à vous, Monseigneur, qui vous êtes donné la peine de venir et, ainsi, nous avez fait l'honneur de nous exprimer votre estime.

Merci enfin à vous, monsieur le vice-président Happart, d'avoir bien voulu présider cette séance, ainsi que la réception que vous allez maintenant nous offrir. (Applaudissements)

M. le président. - La prochaine séance aura lieu le jeudi 14 mars 2002 à 15 h.

(La séance est levée à 18 h 55.)