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M. le président. - Je vous propose de joindre ces questions orales. (Assentiment)
M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur, répondra au nom de M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères.
M. Jean Cornil (PS). - Il est difficile de trouver les mots pour décrire ce que j'ai vu la semaine dernière à Tel Aviv, à Ramallah, à Tulkarem et à Bethlehem.
Il est difficile de trouver les mots pour traduire l'humiliation, la souffrance, la désespérance d'un peuple, oserais-je dire de deux peuples, tant les tensions sont vives dans la région.
Jamais, depuis le 28 septembre 2000, jamais depuis la début de la deuxième intifada, il n'y a eu une telle tension, une telle violence, autant de morts en quelques jours, en quelques heures.
Nous avons eu la chance de rencontrer lundi dernier le président de l'autorité palestinienne à Ramallah, avec une délégation conduite par le CNCD et l'Association Belgique - Palestine. Le président nous a dit qu'il est temps, qu'il est impératif que l'Union européenne bouge le plus rapidement possible, faute de quoi le processus d'Oslo serait définitivement mort.
Je ne doute pas des efforts faits depuis longtemps par le gouvernement belge et le ministre des Affaires étrangères pour que la Belgique et l'UE puissent reprendre la place qui est la leur dans les pourparlers, afin de ne pas laisser exclusivement autour de la table des négociations les Américains à côté des belligérants.
Nous avons effectué hier, avec d'autres collègues, une démarche auprès de l'ambassadeur d'Espagne en Belgique. J'ai moi-même rencontré longuement ce matin l'ambassadeur d'Israël. Je voudrais que le ministre nous dise le plus précisément possible quelles sont aujourd'hui, en ces heures chaque jour plus tragiques, les initiatives que, modestement, la Belgique peut prendre au sien de l'UE pour que cesse cette situation d'oppression, de siège, de blocus qui s'aggrave chaque jour. Bien des Belges, bien des Européens considèrent que ce qui se passe là-bas est totalement intolérable. Quelles initiatives le gouvernement belge, le ministre des Affaires étrangères peuvent-ils prendre dans une Europe qui, malgré un certain nombre de condamnations de la part de la présidence espagnole, apparaît malheureusement comme divisée ?
N'est-il pas temps aujourd'hui, dans le cadre de l'accord euro-méditerranéen de coopération entre l'UE et l'État d'Israël, d'évaluer cet accord et de prendre éventuellement un certain nombre de sanctions économiques, puisqu'un certain nombre des processus économiques de l'État d'Israël sont aujourd'hui en contradiction flagrante avec les termes de cet accord ?
Aujourd'hui, tant dans la société politique que dans l'opinion publique, on considère qu'il est absolument indispensable - c'est peut-être la dernière chance - que l'UE, avec d'autres pays d'ailleurs, comme l'Égypte, la Jordanie, fasse entendre clairement sa voix pour retrouver le chemin du respect mutuel, du dialogue et de la paix.
M. Josy Dubié (ECOLO). - Comme mon collègue Jean Cornil, j'ai eu l'occasion, entre Noël et Nouvel an, de me rendre en Israël et en Palestine. J'ai pu constater comme lui combien la situation était en voie de dégradation accélérée. Je pense que le terme d'humiliation, qu'il a utilisé, est celui qui reflète le mieux la situation des populations palestiniennes aujourd'hui.
Selon une dépêche de l'AFP d'hier, « ... Le quartier général du président palestinien Yasser Arafat à Gaza n'était plus mercredi qu'un amas de ruines après les raids meurtriers menés à l'aube sur plusieurs cibles dans la ville par les forces israéliennes ».
Près d'une trentaine de personnes ont été tuées en deux jours - comme l'a dit M. Cornil, on n'a jamais dénombré un tel nombre de victimes en si peu de temps - dans ce qui apparaît de plus en plus comme une guerre mettant aux prises deux adversaires disposant de moyens militaires totalement disproportionnés.
Israël utilise en effet massivement des missiles, des hélicoptères de combat, des avions F-16 et des chars lourds contre les zones palestiniennes, soi-disant autonomes, défendues par des miliciens faiblement armés.
Je poserai cinq questions précises. L'escalade dans la brutalité de la répression dont est victime le peuple palestinien de la part de l'armée d'occupation israélienne ne nécessite-t-elle pas une réaction et une condamnation extrêmement ferme de la Belgique en l'absence, regrettable, de consensus au niveau des ministres des Affaires étrangères de l'Union Européenne ?
N'est-il pas plus que temps d'évaluer l'accord d'association entre Israël et l'Union européenne en ce qu'il comporte pour les parties, à l'article 2, le respect des droits de l'homme ?
Est-il possible de voir détruire par l'armée d'occupation israélienne, de manière quasiment systématique et sans réaction, pratiquement toutes les infrastructures civiles payées par l'Union européenne, infrastructures pour lesquelles le contribuable belge a aussi été mis à contribution ?
Est-il acceptable que des produits labellisés made in Israel et fabriqués en fait dans les colonies en Palestine, illégales au regard du droit international, puissent toujours être vendus en Belgique en violation flagrante de l'article 7 de l'Accord d'association cité plus haut ?
N'est-il pas temps d'envisager sérieusement des mesures de rétorsion économique contre Israël, dont l'Union européenne est le principal partenaire commercial ?
M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur. - Voici les réponses que le ministre des Affaires étrangères m'a prié de donner en son nom aux sénateurs Cornil et Dubié.
Je partage largement leur appréciation du caractère catastrophique de la situation.
Sous la présidence belge, le Conseil européen de Laeken des 14 et 15 décembre dernier avait adressé aux parties des demandes claires et précises : d'une part, arrêt des attaques violentes et des opérations suicides ainsi que neutralisation des mouvements terroristes palestiniens et, d'autre part, arrêt des exactions et des destructions ainsi que de l'occupation israélienne.
L'appel à une présence internationale y figure également. Pour pouvoir être concrétisée, il faut le consensus de toute la communauté internationale ainsi que des parties.
Les événements des derniers jours démontrent que l'appel lancé sous notre présidence demeurait valable. Il a été réitéré par les Conseils Affaires générales tenus les 28 janvier et 18 février.
En fait, la conviction grandit que pour obtenir un retour au calme, les parties devraient avoir la perspective d'une solution politique. Lors de la réunion ministérielle informelle de Caceres, les 8 et 9 février, la Belgique a plaidé en ce sens avec d'autres, mais le consensus des partenaires ne s'est pas cristallisé. Certains demeurent persuadés que des négociations n'ont pas de sens, n'ont aucune chance d'aboutir et pourraient même être contre-productives tant que la violence se poursuit.
Il nous faudra donc encore faire beaucoup d'efforts et jouer de toute notre influence sur les parties, conjointement avec nos partenaires américains, russes et arabes, pour faire évoluer la situation.
En ce qui concerne l'accord d'association entre l'UE et Israël, je voudrais recommander la prudence. Cet accord nous ouvre d'importantes opportunités nous permettant d'appeler Israël à se justifier sur le respect des clauses qui y sont contenues. Il nous permet de parler avec autorité parce que, justement, ces textes sont valables entre nous. À supposer que nous le dénoncions, nous perdrions un moyen de pression et donc aussi de l'influence à un moment crucial. La valeur punitive d'une dénonciation serait évidemment spectaculaire mais elle soulagerait Israël d'une contrainte que, précisément, nous nous employons à faire jouer de la manière la plus efficace possible.
En ce qui concerne la destruction d'infrastructures palestiniennes érigées avec l'aide financière de l'Union européenne, elle a été sévèrement condamnée par le Conseil Affaires générales du 28 janvier dernier. L'UE se réserve le droit de réclamer l'indemnisation des dommages causés. Cette attitude me semble parfaitement adéquate étant donné les circonstances. Exiger le remboursement immédiat équivaudrait à ouvrir une discussion sans fin sur les responsabilités proches et lointaines des destructions. Ces discussions risquent de ne pas faire avancer le processus de paix mais de faire diversion sur les problèmes réels qui se posent sur le terrain.
En ce qui concerne les produits labellisés made in Israel et originaires des territoires occupés, il est clairement établi qu'ils ne peuvent pas bénéficier des dispositions avantageuses de l'accord de libre-échange conclu entre l'UE et Israël. Israël le sait et les experts européens et israéliens recherchent la manière de mettre fin à ces flux commerciaux en fraude des règles existantes. L'UE a, par ailleurs, indiqué qu'à défaut d'une solution, elle réexaminera sa position conformément aux dispositions de l'accord d'association qui prévoient entre autres la possibilité d'un arbitrage.
Afin d'avertir les opérateurs économiques qu'ils risquent une dette douanière importante, la Commission européenne a lancé un avertissement dans le Journal officiel du 23 novembre 2001. Cet avis aux importateurs indique que les procédures de vérification engagées semblent confirmer qu'Israël a délivré, pour les produits obtenus dans les territoires qu'elle contrôle depuis 1967, des preuves d'origine qui, selon la Communauté, n'ouvrent pas le bénéfice du régime préférentiel défini dans les accords. Les importateurs sont donc informés qu'ils ont intérêt à prendre des mesures sous peine de se trouver exposés.
La Belgique, pour sa part, soutient la politique de fermeté conduite par la présidence espagnole. En Belgique et sur le plan opérationnel, il appartient à l'Administration des douanes, chargée de l'application du code douanier communautaire, de vérifier la conformité des certificats de circulation des marchandises émis par Israël.
M. Jean Cornil (PS). - Je remercie le ministre de sa réponse et j'entends bien l'argumentation du ministre des Affaires étrangères sur les inconvénients que pourrait entraîner la dénonciation de l'accord, mais la première question que j'ai posée concernait précisément l'évaluation de l'accord.
Nous reviendrons, je le pense, en commission des Affaires étrangères du Sénat, pour demander avant tout l'évaluation et voir, dans un second temps, s'il est opportun d'examiner où se situent les différentes violations des dispositions de cet accord ainsi que leurs conséquences.
M. Josy Dubié (ECOLO). - Comme l'a dit mon collègue, je crois que ni lui ni moi n'avons demandé la dénonciation de l'accord de coopération mais bel et bien, comme le prévoit l'accord, son évaluation. Il est donc temps, sur la base de l'article 2 qui le prévoit explicitement, d'évaluer cet accord en fonction du respect des droits de l'homme.
Par ailleurs, je suis heureux d'apprendre que la Belgique soutient l'attitude de fermeté adoptée par l'Espagne. Je suis extrêmement inquiet et je regrette qu'il n'y ait pas une plus grande unanimité en Europe pour adopter une attitude beaucoup plus ferme à l'égard des événements actuels.
Je note dans la réponse du ministre un élément important que j'ignorais : l'avertissement lancé par l'Union européenne aux importateurs, leur disant qu'ils risquent de sérieux problèmes s'ils continuent à importer des produits labellisés made in Israel et fabriqués dans les territoires occupés.
Il ne faut certes pas être plus catholique que le pape mais on se rend compte de l'urgence d'agir lorsqu'on apprend que plus de deux cents soldats, sous-officiers, officiers de l'armée israélienne refusent de servir en disant : « We shall not continue to fight beyond the 1967 borders in order to dominate, expel, starve and humiliate an entire people. » Nous ne continuerons pas à combattre au-delà des frontières de 1967 pour dominer, expulser, affamer et humilier tout un peuple.
Dans l'armée israélienne, des gens disent donc « ça suffit ! » Je pense que l'Union européenne aussi doit dire « ça suffit ! » et que, de manière expresse et ferme, la Belgique doit également le clamer.