2-244/22

2-244/22

Sénat de Belgique

SESSION DE 2000-2001

9 JUILLET 2001


Proposition de loi relative à l'euthanasie


RAPPORT

FAIT AU NOM DES COMMISSIONS RÉUNIES DE LA JUSTICE ET DES AFFAIRES SOCIALES PAR MMES LALOY ET VAN RIET


SOMMAIRE


Introduction

  1. Auditions de représentants du Comité consultatif de bioéthique
    1. Exposé de M. E. Vermeersch, président du Comité consultatif de bioéthique
    2. Exposé de M. Y. Englert, vice-président du Comité consultatif de bioéthique
    3. Exposé de M. Van Orshoven, vice-président du Comité consultatif de bioéthique
    4. Exposé de M. Cassiers, vice-président du Comité consultatif de bioéthique
    5. Échange de vues
  2. Présentation des propositions dont les commissions réunies étaient initialement saisies
    1. Proposition de loi relative aux problèmes de fin de la vie et à la situation du patient incurable (de M. Philippe Mahoux et Mme Myriam Vanlerberghe); nº 2-10/1
    2. Proposition de loi relative à la demande d'interruption de vie (de M. Philippe Monfils); nº 2-22/1
    3. Proposition de loi élargissant le droit de codécision du patient par l'institution d'une déclaration de volonté relative au traitement (de M. Frans Lozie et Mme Jacinta De Roeck); nº 2-86/1
    4. Proposition de loi relative à l'euthanasie (de Mme Jeannine Leduc et consorts); nº 2-105/1 et 2
    5. Proposition de loi modifiant l'arrêté royal nº 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exerce de l'art de guérir, de l'art infirmier, des professions paramédicales et aux commissions médicales (de Mme Clotilde Nyssens et consorts); nº 2-151/1
    6. Proposition de loi visant à protéger les droits et la dignité de l'homme à l'approche de la mort (de M. Hugo Vandenberghe et consorts); nº 2-160/1
    7. Proposition de résolution relative au développement d'un plan de soins palliatifs axés sur les besoins du patient (de Mme Iris Van Riet et consorts); nº 2-106/1
  3. Présentation de trois nouvelles propositions de loi déposées par six sénateurs
    1. Proposition de loi relative à l'euthanasie (de M. Philippe Mahoux et consorts); nº 2-244/1-9
    2. Proposition de loi visant à créer une commission fédérale d'évaluation de l'application de la loi du ... relative à l'euthanasie (de Mme Jacinta De Roeck et consorts); nº 2-245/1
    3. Proposition de loi relative aux soins palliatifs (de Mme Myriam Vanlerberghe et consorts); nº 2-246/1
  4. Début de la discussion générale
  5. Présentation de deux propositions de loi relatives aux soins palliatifs (nºs 2-249/1 et 2-402/1)
  6. Auditions
  7. Reprise de la discussion générale (après les auditions)
  8. Débat relatif aux soins palliatifs
    1. Audition de M. Manu Keirse, chef de cabinet du ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement et de M. Rik Thijs, conseiller de cabinet du ministre des Affaires sociales et des Pensions
    2. Échange de vues et questions suscités par l'audition de MM. Keirse et Thijs
    3. Audition de Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement et de M. Vandenbroucke, ministre des Affaires sociales et des Pensions
  9. Discussion des articles de la proposition de loi relative à l'euthanasie (de M. Philippe Mahoux et consorts); nº 2-244/1

INTRODUCTION

Les commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales ont consacré 86 réunions à la discussion de la problématique de l'euthanasie et des soins palliatifs.

Les travaux ont débuté le 20 octobre 1999 pour se terminer le 9 juillet 2001.

À l'origine, les commissions réunies étaient saisies des propositions de loi suivantes :

­ Proposition de loi relative aux problèmes de fin de la vie et à la situation du patient incurable (de M. Philippe Mahoux et Mme Myriam Vanlerberghe) (nº 2-10/1);

­ Proposition de loi relative à la demande d'interruption de vie (de M. Philippe Monfils) (nº 2-22/1);

­ Proposition de loi élargissant le droit de codécision du patient par l'institution d'une déclaration de volonté relative au traitement (de M. Frans Lozie et Mme Jacinta De Roeck) (nº 2-86/1).

Au fur et à mesure de leur dépôt, d'autres propositions de loi relatives à la problématique en discussion ont été jointes aux travaux :

­ Proposition de loi relative à l'euthanasie (de Mme Jeannine Leduc et consorts) (nº 2-105/1);

­ Proposition de résolution relative au développement d'un plan de soins palliatifs axés sur les besoins du patient (de Mme Iris Van Riet et consorts) (nº 2-106/1);

­ Proposition de loi modifiant l'arrêté royal nº 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice de l'art de guérir, de l'art infirmier, des professions paramédicales et aux commissions médicales (de Mme Clotilde Nyssens et consorts) (nº 2-151/1);

­ Proposition de loi visant à protéger les droits et la dignité de l'homme à l'approche de la mort (de M. Hugo Vandenberghe et consorts) (nº 2-160/1);

­ Proposition de loi relative à l'euthanasie (de M. Philippe Mahoux, Mme Jeannine Leduc, M. Philippe Monfils et consorts) (nº 2-244/1);

­ Proposition de loi visant à créer une commission fédérale d'évaluation de l'application de la loi du ... relative à l'euthanasie (de Mme Jacinta De Roeck, M. Philippe Monfils, Mme Myriam Vanlerberghe et consorts) (nº 2-245/1);

­ Proposition de loi relative aux soins palliatifs (de Mme Myriam Vanlerberghe, Mme Marie Nagy, Mme Jacinta De Roeck et consorts) (nº 2-246/1);

­ Proposition de loi visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs et fixant le cadre de la pratique des soins palliatifs (de Mme Clotilde Nyssens et consorts) (nº 2-249/1).

­ Proposition de loi visant à instaurer le droit à l'accès aux soins palliatifs et à améliorer la pratique des soins palliatifs (de Mme Ingrid van Kessel et consorts) (nº 2-402/1)


Avant de commencer l'examen des diverses propositions de loi déposées, les commissions réunies ont tout d'abord procédé à l'audition de quatre représentants du Comité consultatif de bioéthique : MM. Vermeersch, Van Orshoven, Cassiers et Englert.

Il convient de rappeler en effet que ce Comité a rendu deux avis en matière d'euthanasie.

Le premier avis (avis nº 1), rendu le 12 mai 1997, concerne l'opportunité d'un réglement légal de l'euthanasie. Il a fait l'objet d'un large débat tenu les 9 et 10 décembre 1997 au Sénat sur le thème de l'euthanasie (1).

Le deuxième avis (avis nº 9), rendu le 22 février 1999, concerne l'arrêt actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté.

A. AUDITIONS DE REPRÉSENTANTS DU COMITÉ CONSULTATIF DE BIOÉTHIQUE

I. Exposé de M. E. Vermeersch, président du Comité consultatif de bioéthique

M. Vermeersch fait observer que le Comité consultatif de bioéthique a, jusqu'à présent, émis deux avis concernant l'euthanasie, dans lesquels différentes propositions sont juxtaposées. En effet, la rédaction des avis visait non pas à adopter un point de vue uniforme, mais à définir le plus précisément possible les différentes opinions que l'on rencontre à ce sujet.

Avis nº 1 concernant l'opportunité d'un règlement légal de l'euthanasie

Dans cet avis, quatre propositions sont juxtaposées :

La proposition nº 1 plaide pour une modification de la loi permettant au médecin, à la demande expresse du patient, de pratiquer l'euthanasie dans le respect d'un certain nombre de conditions.

La proposition nº 2 est proche de la première du point de vue éthique, mais elle part du principe que la loi pénale reste inchangée. Le médecin qui pratique l'euthanasie peut toutefois, dans des conditions identiques à celles de la première proposition, invoquer un état de nécessité pour justifier juridiquement son acte. L'action de la justice doit être adaptée en conséquence. Cette proposition est la plus proche de la « procédure a posteriori » appliquée actuellement aux Pays-Bas.

La proposition nº 3, qui a suscité énormément d'intérêt au sein de la commission et du comité consultatif, préconise de soumettre à une procédure a priori les principales décisions médicales touchant à la fin de la vie.

Les partisans de cette proposition considèrent que toute une série de décisions médicales relatives à la fin de la vie, parmi lesquelles l'euthanasie, ne peuvent être prises qu'après une concertation éthique entre le patient, le médecin, un second médecin, qui examine notamment si le malade est réellement incurable, la famille et l'équipe soignante.

Devrait en outre participer à la concertation, une tierce personne, non-médecin, qui serait désignée par le comité d'éthique de l'hôpital en question. Il importe de préciser qu'au sein du comité consultatif, personne n'a proposé; plutôt que la consultation de cette personne, celle d'une commission ou du comité éthique lui-même.

Dans cette conception également, ce sont finalement le médecin et le patient qui décident si l'on procédera ou non à l'euthanasie. Ici aussi, il y a encore un contrôle a posteriori pour vérifier si les procédures imposées ont été appliquées correctement.

La quatrième proposition, enfin, plaide pour le maintien de l'interdiction actuelle qui frappe l'euthanasie.

Avis nº 9 concernant l'actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté

Différentes propositions ont également été formulées au sein du Comité consultatif en ce qui concerne l'arrêt actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté.

La première proposition est appuyée par les membres qui, dans l'avis nº 1, soutenaient les propositions 1 et 2. Elle plaide pour qu'il soit possible de mettre fin à la vie de personnes incapables d'exprimer leur volonté, de préférence en modifiant la loi. Cet acte ne serait toutefois possible que si le médecin :

­ est en possession d'une directive anticipée du patient allant dans ce sens, ou

­ a pris connaissance de l'opinion de la personne de confiance désignée par le patient, ou

­ en l'absence de directive anticipée et de personne de confiance, a été avisé du désir qu'ont exprimé les représentants légaux du patient. Ce dernier cas n'est possible qu'à des conditions précises et n'est pas possible si le patient a été capable d'exprimer sa volonté.

Dans toutes ces hypothèses, le médecin doit, dans l'appréciation de la situation du patient, procéder à une large concertation, non seulement avec la personne de confiance ou les représentants légaux, mais aussi avec les proches parents et l'équipe soignante.

C'est toutefois au médecin concerné, et non aux proches parents ou à l'équipe soignante, qu'il appartiendra de décider, en fin de compte, si l'on procédera ou non à l'acte.

La deuxième proposition ne juge acceptable l'arrêt actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté que dans le respect d'une procédure a priori, et uniquement chez les patients qui ont fait la demande d'un tel arrêt actif de la vie dans une directive anticipée.

Dans la première comme dans la deuxième proposition, une procédure a posteriori doit être respectée.

Les partisans de la troisième proposition plaident en faveur du maintien de l'interdiction actuelle qui frappe l'arrêt actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté.

Synthèse des avis nº 1 et nº 9

Le tableau ci-dessous confronte les deux avis.

Eerste Advies :
Euthanasie bij wilsbekwamen
­
Premier avis :
Euthanasie des personnes capables
Tweede Advies :
Levensbeëindigend handelen
bij wilsonbekwamen met
voorafgaande wilsverklaring
en/of vertrouwenspersoon
­
Deuxième avis :
Arrêt actif de la vie des
personnes incapables
avec directive anticipée
et/ou personne de confiance
Tweede Advies :
Levensbeëindigend handelen
bij wilsonbekwamen zonder
voorafgaande wilsverklaring
en zonder vertrouwenspersoon
­
Deuxième avis :
Arrêt actif de la vie
des personnes incapables
sans directive anticipée,
ni personne de confiance
Standpunt A. ­ Position A JA. ­ OUI JA. ­ OUI JA. ­ OUI
Beslissing van arts en patiënt (voorstel 1 en 2 van het eerste Advies). ­ Décision du médecin et du patient (propositions 1 et 2 du premier Avis) Beslissing bij arts met eventueel vertrouwenpersoon (voorstel 1 van het tweede Advies). ­ Décision du médecin et/ou de la personne de confiance éventuelle (proposition 1 du deuxième Avis) Op verzoek van wettelijke vertegenwoordigers (voorstel 1 van het tweede Advies). ­ Sur demande des représentants légaux (proposition 1 du deuxième Avis)
NEEN. ­ NON
Wanneer de patiënt wilsbekwaam is geweest (voorstel 1 van het tweede Advies). ­ Quand la personne a été capable (proposition 1 du deuxième Avis)
Standpunt B. ­ Position B JA. ­ OUI JA. ­ OUI NEEN. ­ NON
Mits noodtoestand en procedure a priori (voorstel 3 van het eerste Advies). ­ Moyennant état de nécessité et procédures a priori (proposition 3 du premier Avis) Mits noodtoestand en procedure a priori (voorstel 2 van het tweede Advies). ­ Moyennant état de nécessité et procédures a priori (proposition 2 du deuxième Avis) Voorstel 3 van het tweede Advies. ­ Proposition 3 du deuxième Avis)
Standpunt C. ­ Position C JA. ­ OUI NEEN. ­ NON NEEN. ­ NON
Mits noodtoestand en procedure a priori (voorstel 3 van het eerste Advies). ­ Moyennant état de nécessité et procédures a priori (proposition 3 du premier Avis) Voorstel 3 van het tweede Advies. ­ Proposition 3 du deuxième Avis Voorstel 3 van het tweede Advies. ­ Proposition 3 du deuxième Avis)
Standpunt D. ­ Position D NEEN. ­ NON NEEN. ­ NON NEEN. ­ NON
Voorstel 4 van het eerste Advies. ­ Proposition 4 du premier Avis Voorstel 3 van het tweede Advies. ­ Proposition 3 du deuxième Avis Voorstel 3 van het tweede Advies. ­ Proposition 3 du deuxième Avis

On constate que quatre points de vue peuvent se dégager dans l'ensemble de la problématique.

Le point de vue A est adopté par les membres du Comité consultatif qui ont soutenu les propositions nºs 1 et 2 de l'avis nº 2. Selon ce point de vue, l'euthanasie peut être pratiquée sans procédure a priori sur une personne capable d'exprimer sa volonté, après concertation entre le médecin et le patient, et de préférence par une modification de la loi.

L'arrêt actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté est possible s'il se fonde sur une déclaration de volonté préalable du patient ou si ce dernier a désigné une personne de confiance. La décision appartient au médecin, éventuellement de concert avec la personne de confiance.

L'arrêt actif de la vie à la demande d'un représentant légal est possible à certaines conditions, mais uniquement si le patient n'a jamais eu la capacité juridique.

Dans tous les cas, l'intervention du médecin est liée à une procédure a posteriori.

Le point de vue B est soutenu par ceux qui estiment que l'euthanasie ne peut se justifier sur le plan éthique que dans des circonstances exceptionnelles, c'est-à-dire quand il se produit un état de nécessité (troisième proposition de l'avis nº 1).

Dans cette conception, l'arrêt actif de la vie d'une personne incapable d'exprimer sa volonté qui n'a pas rédigé de directive ne peut jamais être justifié sur le plan éthique. S'il y a bel et bien une directive, on peut, dans des cas exceptionnels, procéder à l'arrêt actif de la vie si l'on peut faire valoir le principe « nécessité fait loi ».

Dans tous les cas, une procédure a priori doit être respectée.

Le point de vue C est adopté par les partisans de la troisième proposition de l'avis nº 1, qui estiment que c'est là l'extrême limite à ne pas dépasser. Selon cette conception, aucune forme d'arrêt actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté ne peut se justifier sur le plan éthique.

Ont souscrit au point de vue D, ceux qui souhaitent maintenir tel quel l'interdit légal de pratiquer l'euthanasie et l'arrêt actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté.

En conclusion, M. Vermeersch tient à souligner que dans ses avis, le Comité consultatif utilise des définitions très strictes pour désigner par exemple les notions d'euthanasie, de personnes incapables d'exprimer leur volonté, de directive anticipée, etc.

Il souligne qu'il y a au sein du Comité consultatif une parfaite unanimité concernant cette terminologie. Il recommande dès lors très instamment aux membres des commissions de s'en tenir à ces définitions dans les discussions et dans l'élaboration de dispositions légales. Cela permettrait d'éviter beaucoup de discussions inutiles.

À la demande des commissions réunies, l'orateur leur a communiqué les tableaux récapitulatifs suivants :

EUTHANASIE

AVIS 1

Proposition 1 : procédure a posteriori après modification de la loi

Proposition 2 : procédure a posteriori ­ recours à l'« état de nécessité » et action adaptée de la Justice

Proposition 3 : procédure a priori

Proposition 4 : l'euthanasie reste totalement interdite

ARRÊT ACTIF DE LA VIE DES PERSONNES INCAPABLES D'EXPRIMER LEUR VOLONTÉ

AVIS 9

Proposition 1 : procédure a posteriori après modification de la loi (ou autre réglementation)

­ directive anticipée et/ou personne de confiance

­ représentants légaux

Proposition 2 : procédure a priori

­ directive anticipée

Proposition 3 : interdiction de l'arrêt actif de la vie

SYNTHÈSE

AVIS 1 ET 9

Point de vue A : procédure a posteriori après modification de la loi (ou une autre réglementation)

­ euthanasie

­ arrêt actif de la vie (par une directive et/ou personne de confiance ou représentants légaux)

Point de vue B : procédure a priori ­ « état de nécessité »

­ euthanasie

­ arrêt actif de la vie (après directive anticipée)

Point de vue C : procédure a priori ­ « état de nécessité »

­ uniquement euthanasie

Point de vue D : interdiction légale de l'euthanasie et de l'arrêt actif de la vie

PROCÉDURES

A priori : conditions

pour l'euthanasie :

­ après une demande du patient, appréciation éthique du médecin, de la famille, de l'équipe soignante et d'une tierce personne (non-médecin) désignée par le comité éthique

­ le médecin prend la décision finale

­ contrôle social ultérieur

pour l'arrêt actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté :

­ même procédure, mais uniquement en cas de directive anticipée

PROCÉDURES

A posteriori : conditions

pour l'euthanasie :

­ souffrance insupportable

­ demande persistante

­ le médecin doit consulter un confrère

­ informer les parents et l'équipe soignante

pour l'arrêt actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté :

­ directive anticipée et/ou personne de confiance

­ si l'intéressé n'a jamais eu la capacité d'exprimer sa volonté : à la demande de représentants légaux et après consultation de l'équipe soignante

­ après l'accomplissement de ces conditions, la décision ultime incombe au médecin

Le médecin doit transmettre les données a posteriori à l'autorité judiciaire sur un formulaire prescrit

II. Exposé de M. Y. Englert, vice-président du Comité consultatif de bioéthique

L'orateur remercie la commission pour l'invitation adressée au bureau du Comité consultatif.

Cette invitation, qui témoigne d'un intérêt pour le travail très long et très ardu qui a été réalisé autour de la question de l'euthanasie, suscitera certainement, lors de la prochaine assemblée plénière du Comité, la satisfaction de tous ceux qui, quelle que soit leur position, ont consacré beaucoup d'énergie à ce dossier difficile.

L'orateur souhaite présenter brièvement la situation aux Pays-Bas, qui influence évidemment le débat de façon importante, non seulement en Belgique, mais aussi à l'échelle de la planète.

Aux Pays-Bas, l'histoire de la tolérance autour de l'euthanasie, telle que l'a définie M. Vermeersch, date du début des années 70, suite au procès d'un médecin qui avait mis fin aux souffrances de sa mère. Ce procès, qui date de 1973, est connu sous le nom de « procès de Leeuwarden ». Il s'est alors développé dans ce pays un large débat public autour du problème de l'euthanasie.

Entre 1973 et le début des années 80, un certain nombre de critères se sont développés, autour de la notion de force majeure, qui légitimaient l'intervention du médecin. On parle ici du patient conscient qui demande que l'on mette fin à ses souffrances dans le cadre d'une maladie incurable.

Ces critères sont les suivants :

­ le souhait durable et réfléchi du patient (il faut donc prendre garde aux influences de tiers, aux états dépressifs, à toutes les situations transitoires, qui doivent être évaluées);

­ une souffrance insupportable ou éprouvée comme telle (il s'agit ici tant d'une souffrance physique que d'une souffrance psychologique);

­ la présence d'un deuxième avis médical;

­ l'administration par le médecin lui-même de la substance létale, avec déclaration a posteriori.

Ces critères ont été recommandés par l'Association royale néerlandaise des médecins.

Depuis 1980, on considère qu'il s'agit d'une pratique très ouverte aux Pays-Bas.

Devant cette situation, le ministère de la Justice a demandé, au début des années 80, que toutes les déclarations soient non plus évaluées par les procureurs des différentes régions des Pays-Bas, mais envoyées au collège des procureurs généraux, afin que ceux-ci marquent leur accord sur le fait de ne pas poursuivre. Pendant les années 80, en effet, il n'y avait pas eu de poursuites.

En 1991, la justice et l'Association royale néerlandaise des médecins se sont mis d'accord sur un document de déclaration pour les euthanasies pratiquées. À l'époque, l'enquête était confiée au médecin légiste municipal, qui faisait rapport au procureur.

Depuis l'accord de 1991, on a constaté que le nombre de déclarations ne cessait d'augmenter : au début des années 90, il n'y en avait que 30 à 40, alors qu'en 1995, il y en avait environ 1 500. On estime que ce chiffre représente un peu plus de la moitié des actes actifs posés aux Pays-Bas au cours d'une année.

Une autre particularité de la situation hollandaise est que cette évolution s'est accompagnée d'une évaluation extrêmement transparente de la situation. En effet, le ministre de la Justice a commandé à l'École de santé publique de Rotterdam une étude faite en collaboration avec une équipe d'Amsterdam, publiée dans les plus grands journaux internationaux, et connue sous le nom de « rapport Van der Maas ». C'est le seul pays du monde où de telles données existent.

Les éléments essentiels qui ressortent de l'étude sont les suivants.

Tout d'abord, l'étude Van der Maas est extrêmement rigoureuse du point de vue épidémiologique. Six mille dossiers, pris au hasard, et plusieurs centaines d'euthanasies ont été analysés. Des échantillons représentatifs des médecins hollandais ont été interrogés.

Ensuite, on a procédé à une extrapolation des données à l'ensemble de la population hollandaise.

Le ministère de la Justice s'était engagé à ne prendre aucune mesure à partir des données réunies dans ce rapport.

Une particularité de la situation hollandaise, qui ne sera jamais extrapolable à la Belgique, est que c'est le procureur qui a, seul, l'initiative des poursuites. Par conséquent, il n'y a pas de poursuites s'il y a un accord des procureurs généraux en ce sens, et ce même s'il n'y a pas de légalisation.

L'étude Van der Maas montre qu'un très grand nombre de patients (environ 40 % des décès) meurent en contact avec un médecin dont les décisions ont modifié le moment du décès. Ceci est illustré par le tableau ci-après.

Incidence estimée des décisions médicales concernant la fin de vie (% du total des décès)

Décision de non-traitement 17,5
Soulagement de la douleur et des symptômes 17,5
Euthanasie et autres interventions en fin de vie 2,9
Euthanasie 1,8
Suicide assisté 0,3
Interruption de vie active sans demande explicite 0,8
Total 38,0

(Van der Maas et al., « The Lancet », 338, 14 septembre 1991.)

L'autre moitié des décès regroupe les décès inopinés, sans intervention d'un médecin.

La plupart des interventions du médecin qui peuvent amener à modifier le moment du décès sont des décisions de non-traitement (17,5 %) ou une administration de doses importantes d'anti-douleurs (17,5 %), dont on considère rétrospectivement qu'elle a modifié le moment du décès.

Ces deux pratiques médicales semblent unanimement acceptées, en tout cas au sein du Comité consultatif de bioéthique, et constituent des pratiques normales de gestion des patients en fin de vie.

2,9 % des décès sont provoqués par l'intervention active des médecins qui a précipité le moment du décès.

La plupart de ces cas sont des cas d'euthanasie au sens strict (1,8 %); le suicide assisté, au cours duquel le patient prend une préparation que le médecin a préparée à sa demande, représente 0,3 % des cas. Enfin, les interruptions de vie actives sans demande explicite représentent 0,8 % des cas. Dans ce dernier groupe, on trouve un certain nombre de personnes qui ont fait une déclaration préalable, mais, dans la situation hollandaise, ces cas sont bien distincts de l'euthanasie elle-même.

Les raisons pour lesquelles les patients demandent qu'il soit mis fin à leurs jours sont souvent multiples, ainsi qu'il résulte du tableau ci-après.

Raisons exprimées par les patients demandant l'euthanasie ou le suicide assisté (plus d'une raison par patient) (n = 187)

Perte de dignité 57 %
Douleurs 46 % Douleur seule :
10 %
Agonie qui n'en vaut pas la
peine
46 %
Dépendance des autres 33 %
Fatigue de vivre 23 %

(Van der Maas et al., « The Lancet », 338, 14 septembre 1991.)

La raison la plus fréquemment exprimée est la perte de dignité. Ensuite viennent, à égalité, les douleurs et l'agonie qui n'en vaut pas la peine, et enfin la dépendance et la fatigue de vivre.

La douleur seule n'est présente que dans 10 % des 187 demandes d'euthanasie analysées dans l'étude Van der Maas.

La douleur physique qui est, la plupart du temps, bien maîtrisable par les techniques médicales, n'est donc pas la raison principale pour laquelle les patients demandent qu'il soit mis fin à leur vie.

Aux Pays-Bas, ce sont en majorité des médecins généralistes qui sont confrontés à la fin de vie chez des patients à domicile; 62 % des généralistes ont déjà pratiqué une euthanasie ou un suicide assisté, de même que la moitié des médecins spécialistes, alors que les médecins travaillant dans les maisons de retraite ont pratiqué peu d'euthanasies (12 %), ainsi qu'il résulte du tableau ci-après.

Attitudes et pratiques des médecins hollandais face
à l'euthanasie ou au suicide assisté

Euthanasie of hulp bij zelfdoding
­
Euthanasie ou suicide assisté
Huisarts
(n = 152)
­
Médecin
généraliste
(n = 152)
Specialist
(n = 203)
­
Médecin
spécialiste
(n = 203)
RVT-
arts
(n = 50)
­
Médecin en
maison de retraite
(n = 50)
Totaal
(n = 405)
­
Total
(n = 405)
Heeft ze reeds toegepast. ­ L'a déjà pratiqué un jour 62 % 44 % 12 % 54 %
In de loop van de voorbije 24 maanden. ­ Dans les 24 derniers mois 28 % 20 % 6 % 24 %
Heeft ze nooit toegepast maar zou daar onder bepaalde voorwaarden toe bereid zijn. ­ Ne l'a jamais pratiqué mais y serait disposé sous certaines conditions 28 % 40 % 60 % 34 %
Zou zelf weigeren maar naar een collega verwijzen. ­ Ne voudrait jamais mais référerait à un confrère 6 % 9 % 26 % 8 %
Zou zelf weigeren en niet doorverwijzen. ­ Ne voudrait jamais ni ne référerait 3 % 8 % 2 % 4 %

(Van der Maas et al., « The Lancet », 338, 14 septembre 1991.)

Il s'agit clairement d'une pratique associée à des maladies extrêmement délabrantes, et non à des considérations économiques. Le nombre de médecins qui refuseraient de pratiquer l'euthanasie et ne référeraient pas à un confrère est extrêmement limité (3 % des généralistes, 8 % des spécialistes et 2 % des médecins en maison de retraite). Par ailleurs, la grande majorité de ceux qui ne l'ont jamais fait seraient prêts à le faire.

Selon l'étude Van der Maas, les médecins qui ont pratiqué une euthanasie sont ceux qui sont le plus fréquemment enclins à dire qu'ils seraient plus restrictifs pour un second cas que pour le premier, car il s'agit d'une expérience très dure, ce qui est d'ailleurs une garantie de sécurité pour le citoyen.

En outre, comme le montre le tableau suivant, la tendance des médecins à donner suite à une demande augmente avec leur expérience pratique, sans doute parce qu'ils sont plus familiarisés avec la situation du malade incurable.

Changes in Physicians' Opinions About Active Euthanasia in Relation to the Number of Years They Have Practiced Medicine

Years of Medical
Practice
No. (%) of Physicians
More
Permissive
More
Restrictive
No
Change
Total
2-9 24 (14) 24 (17) 89 (69) 137 (100)
10-19 49 (27) 25 (14) 117 (59) 191 (100)
>= 20 27 (39) 6 (9) 40 (52) 73 (100)
Total
401 (100)
100 (25) 55 (14) 246 (61)

Percentages cannot be computed directly from absolute numbers in the sample (percentages are based on weighted data).

Cette étude a été commandée une nouvelle fois cinq ans plus tard, suivant la même méthodologie de façon à évaluer l'influence de l'ouverture assez importante que représentait l'accord signé entre l'Association royale néerlandaise des médecins et le ministère de la Justice en vue de produire un document commun, et d'entraîner une certaine institutionnalisation de la tolérance qui existait pendant la décennie précédente.

Cette étude a été publiée dans le journal « New England Journal of Medicine », publication médicale la plus prestigieuse et extrêmement sévère du point de vue des critiques de méthodologie. On se référera au tableau ci-après.

Évolution des caractéristiques générales des interventions médicales en fin de vie en Hollande (1990-1995)

1990* 1995**
Aantal sterfgevallen ­ Nombre de décès 128,786 (+ 5 %)
Hebben aan hun arts de verzekering van bijstand gevraagd indien het lijden ondraaglijk wordt ­ Ont demandé à leur médecin l'assurance de leur assistance si les souffrances deviennent intenables 25,000 34,500 (+ 37 %)
Uitdrukkelijk euthanasieverzoek ­ Demande explicite d'euthanasie 8,900 9,700 (+ 9 %)
Gevallen van euthanasie ­ Euthanasies pratiquées 2,300 (1,9 %) (2,3 %) (+ 0,4 %)
Gevallen van hulp bij zelfdoding ­ Suicides assistés pratiqués 400 (0,3 %) (0,4 %) (+ 0,1 %)
Levensbeëindiging zonder uitdrukkelijk verzoek ­ Interruptions de vie non expli citement demandées 1,000 (0,8 %) (0,7 %) (- 0,1 %)

(Van der Maas et al.,
* « The Lancet », 338, 14 septembre 1991.
** « New Engl. J. Med. », 335, 28 novembre 1996.)

Il apparaît une légère évolution de la structure de mortalité aux Pays-Bas, une légère augmentation des maladies cancéreuses au cours de cette demi-décennie. Dès lors, en analysant la partie cruciale des chiffres, à savoir les euthanasies pratiquées, les suicides assistés, et les interruptions de vie non explicitement demandées, les auteurs concluent qu'il n'y a pas de modification significative de la pratique en cinq ans.

La situation décrite n'est pas très différente de celle de la Belgique : 128 000 décès par an (contre 120 000 en Belgique), des structures de population et des causes de mortalité comparables.

Par conséquent, les données receuillies aux Pays-Bas sont sans doute relativement transposables en Belgique.

L'étude fait état d'un peu plus de 2 000 euthanasies actives, 400 suicides assistés et un millier d'interruptions de vie non explicitement demandées, par an.

Cela représente donc une petite proportion des décès, mais c'est loin d'être la situation tout à fait exceptionnelle décrite par certains.

Aux Pays-Bas, l'ouverture à la tolérance a entraîné une augmentation très significative du dialogue entre les médecins et les patients. Alors qu'en 1990, 25 000 patients ont demandé à leur médecin l'assurance de leur assistance, si leurs souffrances devenaient un jour intolérables, il y en a eu 34 500 (soit une augmentation de 37 %) cinq ans plus tard, sans pour autant que le nombres de gestes actifs posés ait évolué de façon significative.

Depuis les études Van der Maas de 1990 et 1995, un autre changement a eu lieu dans la procédue hollandaise, en vue d'améliorer le « reporting », c'est-à-dire la déclaration, par les médecins, des euthanasies pratiquées. En effet, l'étude Van der Maas mentionne 2 700 cas, soit le double des cas déclarés.

C'est pourquoi on a instauré des commissions régionales qui examinent les actes d'euthanasie, et qui sont constituées d'un expert-médecin, d'un juriste et d'un expert-éthicien.

Dans la procédure actuelle aux Pays-Bas le médecin qui a pratiqué une euthanasie le signale au médecin-légiste, qui fait un rapport et envoie celui-ci, ainsi que le rapport du médecin, au procureur de la Reine et à la commission régionale de contrôle.

Celle-ci fait une enquête et donne son avis au procureur de la Reine ­ qui décide soit d'initier des poursuites, soit de classer le dossier ­ et à l'inspecteur régional de la santé, qui peut faire une démarche disciplinaire auprès de l'ordre, distincte de celle à l'égard de la justice. Une copie de l'avis de la commission régionale de contrôle est adressée au médecin, qui a l'occasion de formuler des observations et, le cas échéant, de se défendre.

L'orateur communique encore les tableaux ci-après.

Situations d'euthanasie ou de suicide assisté
rapportées par des infirmières
des soins intensifs (USA) (n = 827)

Omstandigheden
­
Circonstances
Aantal verpleegsters
­
Nombre d'infirmières
Aantal gevallen
­
Nombre de situations
n (%) totaal
­
total
in het
voorbije jaar
­
au cours de la
dernière année
Totaal. ­ Total 129 (15.6) 553 124
Niet in een instelling (ziekenhuis of andere) ­ en dehors d'une institution (hospitalière ou autre) 5 ( 0.6) 4 0
Op vraag van ­ À la demande
de patiënt ­ du patient 40 ( 4.8) 133 19
de omgeving ­ de l'entourage 72 ( 8.7) 264 67
een andere verpleegster ­ d'une autre infirmière 10 ( 1.2) 60 8
de behandelende arts ­ du médecin traitant 83 (10.0) 371 70
een andere arts ­ d'un autre médecin 25 ( 3.0) 146 30

(Asch. D.A., « New Engl. J. Med. », 334, 23 mai 1996.)

Pourcentage de médecins acceptant le principe
de l'euthanasie active (méta-analyse)

Années %
1984 31
1985 34
1987 40
1988 52
1993 54

(Kennis Y., Bull. Ordre nat. des médecins, 1994.)

Physicians' Practice and Attitudes Regarding Active Euthanasia

Variable No. (%) of Physicians
More
Permissive
More
Restrictive
No Change Total
Ever performed active euthanasia 40 (44) 29 (66) 106 (48) 175 (49)
Never performed, but would be willing under certain circumstances 47 (47) 17 (20) 99 (38) 163 (38)
Never performed and believe it not conceivable ever to do so 13 (9) 9 (14) 41 (14) 63 (13)
Total 100 (100) 55 (100) 246 (100) 401 (100)

Percentages cannot be computed directly from absolute numbers in the sample (percentages are based on weighted data).

M. Vermeersch ajoute qu'on a organisé récemment, en Flandre, une enquête approfondie sur les causes de décès, en appliquant la méthode Van der Maas qui a été décrite par le préopinant.

Les résultats de cette enquête n'ont pas encore été publiés. On dispose toutefois des données d'une étude pilote portant sur 269 décès, qui a été réalisée à Hasselt avant l'enquête.

Il ressort de cette étude pilote que, à Hasselt, le pourcentage de cas d'euthanasie s'élevait à 1,1 %, contre 1,7 % dans la première étude néerlandaise et 2,4 % dans la seconde.

L'assistance au suicide représentait 0,2 % des décès dans les deux enquêtes néerlandaises. À Hasselt, le pourcentage était de 0,7 %.

Cependant, les chiffres relatifs à l'interruption de la vie à l'initiative du médecin, en l'absence de demande du patient, sont plus étonnants. Dans la première étude néerlandaise, cette forme d'interruption de la vie représentait 0,8 % des cas. À Hasselt, ce chiffre atteignait 3 %. Cela signifie qu'à Hasselt, le nombre d'interruptions de la vie effectuées par un médecin en l'absence de demande du patient, est quatre fois plus élevé qu'aux Pays-Bas, où il existe une réglementation de l'euthanasie.

Lorsqu'on extrapole ces chiffres, on peut en déduire qu'il y a en Flandre environ 700 cas d'euthanasie ou d'assistance au suicide par an, mais qu'il y a 1 800 cas d'interruption de la vie non demandée par le patient.

Dans les développements de certaines des propositions de loi en question, on peut lire qu'on ne dispose pas de chiffres sur l'interruption de la vie. Dès que les résultats de l'étude susvisée seront publiés, on disposera de données scientifiques. Au cas où celles-ci s'inscriraient dans la ligne des résultats du projet pilote de Hasselt ­ et rien ne permet de supposer que ce ne sera pas le cas ­ le législateur ne pourrait pas les ignorer.

III. Exposé de M. Van Orshoven, vice-président du Comité consultatif de bioéthique

M. Van Orshoven résume brièvement en quoi consistent les quatre propositions qui ont été présentées dans l'avis nº 1 :

­ la première consiste à modifier le droit pénal pour accorder de facto à l'euthanasie le même statut qu'aux autres actes médicaux;

­ la deuxième consiste à autoriser l'euthanasie dans certaines conditions sans modifier le droit pénal, la décision étant prise par le médecin à la demande du patient, mais suivant une procédure a posteriori qui permet de contrôler s'il y a « état de nécessité »;

­ la troisième consiste à autoriser l'euthanasie sous certaines conditions sans modifier le droit pénal, mais en instaurant une procédure a priori, selon laquelle le médecin traitant doit consulter au moins un autre médecin et un tiers qui n'est pas médecin, d'une part, et où l'on rédige préalablement un rapport permettant un contrôle a posteriori;

­ le maintien pur et simple de l'interdit de l'euthanasie.

En ce qui concerne l'euthanasie des incapables, l'intervenant tient à être bref. Il a toujours tenu pour absolument inconcevable que l'on puisse un jour donner à autrui le pouvoir de décider que la vie d'une personne ne vaut plus rien et de tuer ensuite cette personne. Il estime que c'est totalement contraire aux droits de l'homme. Il pense de même en ce qui concerne le « testament de vie ». Comment une personne pourrait-elle en effet prévoir les circonstances dans lesquelles elle va se trouver ou ce qu'elle souhaitera à l'heure de sa mort ? Les développements de la proposition de loi de M. Monfils sont suffisamment clairs sur ce point.

Personnellement, il est de ceux qui rejettent l'euthanasie au sens propre du terme. Il estime que l'on ne peut pas, en la matière, invoquer le droit à l'autodétermination absolue ou à l'autonomie de l'individu. Nul ne vit ni ne meurt exclusivement pour soi-même.

Il n'est pas davantage convaincu par l'argument selon lequel chacun a « droit à une mort digne ». Une personne, même malade, faible ou âgée, estropiée, handicapée ou démente conserve sa dignité humaine.

À ce sujet, on fait souvent référence à la notion de souffrance indescriptible ou insupportable. Il s'agit toutefois en l'occurrence et, en particulier, compte tenu de l'état d'avancement actuel des techniques médicales, d'un pourcentage très limité de patients. À ce sujet, il se fonde sur sa propre expérience de médecin ayant accompagné des centaines de patients dans leur derniers jours.

Malgré les considérations qu'il vient d'émettre, M. Van Orshoven est d'avis que l'idée de réglementer l'euthanasie est envisageable pour autant que l'on ait la garantie absolue que l'euthanasie ne sera pratiquée qu'en ce qui concerne les patients qui la souhaitent réellement. Il faudrait par ailleurs que la règlementation de l'euthanasie que l'on adopterait mette fin à une pratique largement répandue qui consiste à provoquer la mort de patients qui n'ont rien demandé.

Il estime qu'il faudra, pour que l'on puisse atteindre ces objectifs, que la réglementation adoptée remplisse au moins trois conditions :

­ Elle devra obliger le médecin traitant à consulter un autre médecin. Ce deuxième médecin ne pourra pas être n'importe qui. Il devra, par exemple, être choisi parmi un groupe d'une dizaine de médecins spécialement habilités. Ce deuxième médecin devra déterminer, avec le médecin traitant, si les conditions objectives pour que l'on puisse pratiquer l'euthanasie sont réunies, ce qui signifie que le patient devra être atteint d'une maladie incurable et se trouver en phase terminale et qu'il devra éprouver des douleurs et des souffrances insupportables.

­ Elle devra imposer l'obligation de consulter une troisième personne qui n'est pas un médecin. Cette personne pourra être un spécialiste des questions éthiques, un psychologue, un juriste, etc. choisi également parmi un groupe déterminé à l'avance. Elle devra déterminer entre autres si le patient a reçu toutes les informations auxquelles il a droit, et juger de la volonté expresse du patient que l'on interrompe sa vie. Elle devra en outre veiller à ce que toutes les autres personnes que le patient souhaite consulter soient consultées effectivement.

Comme M. Vermeersch l'a déjà fait remarquer, il est question en l'espèce de la consultation d'individus et non pas de la consultation d'un comité éthique ou d'une commission quelconque. Il s'agit en outre d'une consultation. La décision finale d'accéder à la demande du patient est du ressort du médecin traitant.

­ Elle devra prévoir un contrôle a posteriori suffisant des préposés du pouvoir judiciaire. Ce contrôle devrait être confié de préférence à un organe collectif, qui serait chargé non pas seulement d'examiner les cas de décès résultant officiellement d'un acte d'euthanasie, mais aussi les autres cas de décès, ainsi que leurs causes.

M. Van Orshoven estime que c'est seulement lorsque ces critères de prudence seront remplis que l'on pourra garantir une protection suffisante aux personnes qui ne souhaitent pas que leur vie soit interrompue prématurément, aux patients qui souhaitent exercer leur droit à « disposer d'eux-mêmes » et aux médecins qui sont disposés à pratiquer l'euthanasie parce qu'ils se préoccupent réellement des heurs et malheurs de leurs patients. Le législateur doit également offrir la sécurité juridique nécessaire à ces personnes.

IV. Exposé de M. Cassiers, vice-président du Comité consultatif de bioéthique

Question préliminaire

Le président se réfère au compte-rendu du débat qui a eu lieu au Sénat les 9 et 10 décembre 1997.

À cette occasion, M. Cassiers a donné de l'euthanasie la définition suivante : « L'acte pratiqué par un tiers qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne suite à la demande de celle-ci ». Cette définition est-elle acceptée par les quatre membres présents du Comité consultatif ?

M. Vermeersch répond qu'elle est acceptée par tout le Comité.


M. Cassiers souhaite attirer l'attention sur la difficulté de la question, qui a pour effet que les clivages apparaissant dans l'avis du Comité ne sont pas aussi évidents qu'il y paraît. En effet, il s'agit d'un problème où personne n'est entièrement satisfait des positions qu'il prend, parce que les arguments pour et contre sont trop nombreux.

L'orateur illustre ceci en soulignant plusieurs points qui ressortent du rapport, mais dont l'importance n'est généralement pas soulignée. Ils constituent cependant des enjeux essentiels des débats que le Parlement aura à mener.

Tout d'abord, il y a deux façons de comprendre les mots « une maladie sans issue » ou « une situation sans issue ».

Pour les uns, on vise un processus terminal, où la mort interviendra de toute façon dans quelques jours, quelques semaines ou au plus tard quelques mois. On vise par exemple les cas de cancer extrêmement métastasé, de nature à entraîner une mort prochaine. Certains pensent que l'on ne peut accepter une demande d'euthanasie venant du patient que dans ce type de cas, voire, éventuellement, dans le cas d'une déclaration anticipée.

Dans une autre conception, on vise une maladie qui, comme telle, ne conduit pas à la mort, mais que le patient considère comme tout à fait intolérable. Il s'agit par exemple du jeune qui s'est cassé la colonne vertébrale dans un accident et est devenu tétraplégique.

Dans cette seconde interprétation, on viserait aussi une maladie dont l'issue mortelle est beaucoup plus lointaine, telle une démence sénile débutante, ou une sclérose en plaques.

Ces deux conceptions sont très différentes puisque, dans la première interprétation, il s'agit de hâter une mort proche, alors que dans la seconde, il s'agit de demandes d'assistance active à un suicide.

Ces deux types de situations recouvrent plus ou moins une autre sorte d'option qui, elle, concerne davantage le fond de la question, à savoir la conception que l'on a de la dignité humaine.

Cette conception se retrouve en filigrane de beaucoup de positions adoptées par les membres du Comité d'éthique.

Ainsi, pour les uns, c'est la personne atteinte elle-même qui seule peut juger de sa déchéance, alors que, pour les autres, la dignité humaine vient de ce qu'elle est conférée par les autres.

Dans cette dernière conception, un malade qui a le sentiment d'avoir perdu sa dignité pose en fait beaucoup plus la question de savoir comment on ne la lui a pas donnée, que celle de savoir s'il l'a perdue plus ou moins objectivement, parce qu'il souffre de telle maladie.

Ces deux approches ne sont pas absolument exclusives l'une de l'autre, mais accentuent davantage un aspect plutôt que l'autre.

Elles sont importantes car elles déterminent beaucoup de choix qui sont faits en la matière.

Ainsi, si l'on estime que c'est avant tout au malade lui-même de juger de la perte de sa dignité, on donnera la préférence au colloque singulier entre le patient et le médecin.

Dans la seconde approche, au contraire, on aura tendance à faire intervenir l'entourage et l'équipe soignante dans la concertation.

À plus long terme, ceux qui veulent privilégier l'avis du seul malade, et ont une approche individualiste, auront tendance à accentuer les qualités qui font que l'on est libre de sa décision, lucide, etc.

Dans l'autre position, qui considère davantage la dignité comme conférée par les autres, on est beaucoup plus sensible au fait que, si l'on ne s'en tient pas à cette position, l'on risque de poser des évaluations de perte de dignité, par exemple, pour des débiles mentaux, des personnes atteintes de démence sénile, etc.

Une autre question concerne la modification éventuelle du Code pénal. Une tendance est très sensible au fait que toute société doit impérativement poser comme principe que personne n'a le droit de mettre fin à la vie d'autrui.

Certains ­ plutôt minoritaires ­ adoptent ce point de vue pour des motifs religieux, mais d'autres pensent que ce principe est essentiel pour garantir un lien social et une sécurité, en particulier pour ceux qui sont les plus faibles et les plus vulnérables (cf. un article récent de M. Roger Lallemand qui, tout en estimant qu'il doit y avoir des exceptions, insiste fortement sur la valeur de l'argument selon lequel il ne faut pas toucher au Code pénal parce que, symboliquement, il s'agit d'une garantie dont chacun doit pouvoir bénéficier).

D'autres accentuent davantage le contexte médical dans lequel les actes sont posés, et estiment qu'il faut englober ces actes dans l'ensemble des pratiques médicales, compte tenu du rôle essentiel que jouent en tout état de cause les médecins dans la vie et la mort des gens.

C'est pourquoi les partisans de la troisième option contenue dans l'avis estiment qu'il ne faut pas modifier le Code pénal, le concept d'état de nécessité suffisant à gérer le problème.

Dans la première et la deuxième option reprises dans l'avis, on considère au contraire que la sécurité des médecins et des actes médicaux demande au contraire que l'on modifie le Code pénal.


V. Échange de vues

Un membre remercie les membres du bureau du Comité consultatif de bioéthique pour leurs exposés, et les félicite pour les nuances qu'ils y ont exprimées.

Dans un problème aussi grave, il faut éviter toute forme d'erreur par défaut et par excès, et ce d'autant plus qu'il s'agit de situations qui, par définition, ne se présentent qu'une fois, et où la victime éventuelle n'est plus là pour se faire entendre.

L'intervenant se dit frappé par l'information qui vient d'être communiquée par M. Vermeersch. Il serait intéressant d'analyser l'article du « New England » quand il paraîtra.

S'il faut s'en tenir au chiffre brut de 3 % qui est cité, on peut considérer que la situation actuelle ne protège pas le patient par rapport à des erreurs par excès. Il s'agit peut-être là d'un argument supplémentaire pour légiférer.

L'intervenant aimerait connaître le point de vue des membres du Comité consultatif à cet égard.

Une seconde réflexion fait suite à l'intervention de M. Cassiers. Selon les statistiques hollandaises mentionnées dans l'exposé de M. Englert, la motivation la plus fréquemment invoquée à l'appui d'une demande d'euthanasie est le sentiment de déchéance.

Or, seul le patient lui-même peut mesurer l'ampleur de ce sentiment, et il faut formuler des réserves quant aux considérations que l'entourage pourrait avoir sur l'évaluation de la déchéance.

C'est le patient qui ressent celle-ci, qui l'exprime, et qui la vit. Lui seul peut en avoir une évaluation tout à fait exacte, et apprécier le temps et les possibilités de communication qui restent. C'est aussi le patient qui choisit son interlocuteur.

Dès lors, indépendamment des structures de vérification de la formulation de la demande, et de la consultation d'un médecin, comment pourrait-on justifier que des tiers qui n'auraient pas été choisis par le patient s'érigent en juges du sentiment que celui-ci peut avoir de sa situation ?

Une troisième question concerne la notion de détresse. On parle souvent de la douleur physique. L'expérience montre bien que quand la prise en compte de la douleur physique est bien faite, il reste peut-être un nombre moins important de cas où cette douleur représente la raison de la demande du malade.

Se pose cependant la question de la douleur morale, exprimée de manière régulière par le patient, quand elle peut l'être.

Il s'agit ici notamment du patient en fin de vie, mais on sait aussi qu'il est difficile pour ceux qui ne sont pas victimes, par exemple, d'une maladie mentale, de comprendre ce que peut être le degré de souffrance morale de malades psychiatriques.

En effet, il est extrêmement difficile d'établir des échelles de douleur, même si on a tenté de le faire dans d'autres cas, pour la douleur physique.

Comment, en termes d'évaluation, sortir de la règle selon laquelle c'est le malade, et lui seul, qui peut exprimer la demande à quelqu'un qu'il choisit, et qui sera d'ailleurs celui qui répondra à sa demande ?

Enfin, l'intervenant soulève une question relative au deuxième avis du Comité consultatif de bioéthique, qui concerne les personnes incapables d'exprimer leur volonté.

Il paraît légitime d'exprimer des réserves sur la valeur, en continuité, de ce que l'on a appelé le « testament de vie », et qui pourrait sans doute faire l'objet d'une autre dénomination, plus précise.

Il est vrai que de telles déclarations sont faites par des personnes bien portantes, qui sont peut-être dans l'incapacité d'apprécier ce que sera la sensation de déchéance, d'évaluer le caractère relatif du temps qui reste, surtout s'il est limité, et d'évaluer à sa juste mesure ce qu'il reste comme possibilité de communication à un patient en fin de vie.

Les membres du Comité consultatif de bioéthique considèrent-ils que, en raison de ces réserves, on est en droit d'éliminer rapidement la valeur de cette déclaration préalable, formulée par des gens conscients et en pleine maîtrise de leurs facultés intellectuelles, alors que, précisément, ce qu'ils craignent, c'est de ne plus pouvoir exprimer, le moment venu, le sentiment profond qu'ils auraient de leur déchéance ?

Un autre membre relève que MM. Vermeersch et Cassiers ont insisté sur l'importance de la terminologie. L'intervenant souhaiterait disposer d'un glossaire reprenant l'essentiel des définitions nécessaires au bon déroulement des débats.

M. Vermeersch répond que toutes ces définitions figurent dans les avis, mais qu'il est diposé à les rassembler, pour la facilité.

Une membre dit comprendre que pour la clarté du débat, à la fois entre les scientifiques et entre les politiques, il est nécessaire de recourir à des définitions claires et uniformes. Toutefois, et c'est particulièrement vrai dans une matière comme celle-ci, il y a aussi la manière dont certains termes sont perçus. Pour les politiques, il ne suffit pas de s'entretenir entre soi d'une telle matière; il faut également pouvoir formuler ses points de vue et ses solutions à l'adresse du grand public.

Vu sous cet angle, le terme général « euthanasie », même défini avec précision, est très limité et la notion peut être perçue différemment en fonction de la sensiblité personnelle. Beaucoup de gens entendent par euthanasie toutes les formes d'acte ou d'absence d'acte pouvant adoucir le départ du patient. Dans le contexte international aussi, cette notion est abordée d'une manière très nuancée et on parle par exemple d'euthanasie indirecte ­ consécutive au soulagement de la douleur ­ ou d'euthanasie passive ­ désignant l'arrêt du traitement. Dans une recommandation récente, le Conseil de l'Europe fait une distinction entre les actes qui ont la mort pour conséquence et les actes qui ont la mort pour but.

La membre souligne ensuite que les intervenants ont fourni des informations détaillées sur la situation aux Pays-Bas. Il ne faudrait cependant pas perdre de vue que ce pays reste une exception sur le plan mondial. Un débat sur l'euthanasie a bien eu lieu dans un grand nombre de pays comme le Danemark, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Australie, les États-Unis et la Suisse, mais, à l'exception d'un seul État des États-Unis, on est arrivé partout à la conclusion qu'il fallait maintenir l'interdit de tuer. Au centre de cette décision, se retrouvent presque toujours les considérations relatives aux droits de l'homme et à la protection juridique.

À cet égard, la brochure néerlandaise distribuée au cours de la réunion est significative. Il ne s'agit pas d'une publication émanant des services chargés de la santé publique et visant à informer le justiciable, mais d'un document du ministère néerlandais des Affaires étrangères qui a apparemment éprouvé le besoin de justifier la réglementation néerlandaise de l'euthanasie à l'intention du reste du monde.

Peut-on donner une explication objective à la situation unique des Pays-Bas ? Cette situation est-elle due à une mentalité particulière, à des différences dans le concept de santé, à la spécificité culturelle des Pays-Bas, etc. ?

Un autre membre demande, à propos du chiffre des « euthanasies non demandées » mentionné dans les études dont il a été question, sur quelle base on peut déterminer un tel chiffre, puisqu'une réglementation existe et que des formulaires doivent être remplis.

Quant à l'étude réalisée en Flandre, sur quelle base scientifique a-t-elle été menée, puisqu'aujourd'hui, rien ne permet de distinguer une euthanasie demandée d'une euthanasie non demandée ou d'une aide au suicide ?

En ce qui concerne le second avis du Comité, et la difficile problématique du patient incapable d'exprimer sa volonté, l'intervenante suppose que les chapitres 1, 2 et 3 de cet avis, qui exposent les divers points de vue, font l'unanimité et que les divergences ne commencent qu'à partir du chapitre 4.

Par ailleurs, on a insisté sur l'importance des définitions.

S'agissant du « testament de vie » ou de la déclaration anticipée, il ne semble pas que ceux qui estiment cela suffisant pour un patient inconscient aillent fort loin dans les conditions requises pour rendre une telle déclaration « sérieuse ».

Quelles sont ces conditions, et quel poids une déclaration de ce genre peut-elle avoir ?

Enfin, s'agissant de patients incapables, M. Cassiers a distingué deux types de situations : d'une part, celle où le patient se trouve dans la phase terminale d'une maladie, et, d'autre part, celle où se trouve, par exemple, un patient gravement handicapé à la suite d'un accident. La définition de l'euthanasie qui vient d'être rappelée s'applique-t-elle aussi à ce deuxième type de cas ? Qui décide, par exemple, de débrancher un appareil ?


M. Englert insiste tout d'abord sur le fait qu'à ce stade des débats, les membres du Comité s'expriment en leur nom personnel.

En ce qui concerne la validité des données, les méthodes utilisées pour les études hollandaises sont des méthodes d'investigation épidémiologiques, qui n'ont rien à voir avec une étude des déclarations faites au ministère de la Justice. Cela permet de dire qu'une partie importante des actes posés ne donnent pas lieu à déclaration, et de montrer qu'il y a une évolution positive dans le nombre de déclarations entre 1990 et 1995, alors que le nombre de cas est stable.

Cette situation est due au fait que le ministre de la Justice s'est engagé à ne pas poursuivre, et qu'une motivation très forte existe, dans la communauté médicale hollandaise, pour participer à la description de la situation, indépendamment de l'opinion personnelle que chaque médecin peut avoir en la matière.

L'intervenant déclare qu'il est extrêmement favorable à une modification législative ­ sans avoir de préférence pour tel ou tel type de structure législative ­ en vue de créer un espace de liberté permettant, entre le patient et son médecin, une discussion ouverte sur le problème de fin de vie et, dans certaines situations, la pratique d'une euthanasie au sens strict, c'est-à-dire le fait de mettre activement fin à la vie d'un patient qui le demande, qui est conscient, et qui présente des souffrances qu'il considère lui-même comme intolérables.

Dans les positions 1 et 2 du premier avis, et la position A du second avis, dans lesquelles l'intervenant se situe, la volonté est de déplacer la responsabilité d'un tel acte, autant que faire se peut, entre les mains du patient lui-même.

Dans cette optique, le médecin joue un rôle de modérateur, de façon à éviter les décisions précipitées, et des situations inacceptables dans les deux sens. Le but est de voir améliorer l'autonomie du patient, ce qui est une évolution très constante dans la médecine occidentale depuis une quinzaine d'années, même si l'étude de M. Vermeersch a bien montré que l'on en est encore loin.

Dans cette vision des choses, en ouvrant la porte à une protection juridique, on veut précisément permettre un meilleur dialogue et, le cas échéant, permettre de poser un acte dans les meilleures conditions d'éthique, sans passer outre à la volonté du patient, dans des situations où, à l'heure actuelle, certaines décisions sont prises par le médecin de manière clandestine, souvent très tard, et probablement trop tard par rapport à ce qu'auraient voulu les patients.

L'intervenant estime qu'il existe des situations où il est éthiquement légitime de mettre fin à la vie d'un patient qui ne l'a pas demandé.

Les tenants de cette thèse ont cependant pris pour option de ne pas recommander la légalisation de ce type d'actes, pour éviter d'ouvrir la porte à des décisions arbitraires.

Mais, dans ce cas, il est très important de ne pas se limiter à l'euthanasie, et de reconnaître aussi une place à la directive anticipée, c'est-à-dire de permettre au patient qui ne veut pas vivre dans un état de coma prolongé, d'exprimer par avance son refus d'une telle situation et de demander que son médecin puisse respecter cette volonté, tout en protégeant les patients qui ne partageraient pas cette vision contre une décision qui serait prise contre leur volonté. Tel est le sens de la directive anticipée.

On voit d'ailleurs qu'aux Pays-Bas, libérer la parole permet peut-être même de diminuer le nombre d'actes, parce que le patient dispose d'une plus grande sécurité et qu'il peut établir un lien de confiance plus grand avec son médecin.

En tant que praticien, l'intervenant souhaite encore souligner trois points.

Tout d'abord, le danger du critère de « maladie terminale » réside dans son caractère flou, qui risque de mener à une insécurité de fait : à partir de quand une situation est-elle terminale ?

L'intervenant préfère pour sa part la notion de « maladie incurable », c'est-à-dire une maladie pour laquelle il n'y a plus d'espoir d'amélioration ni, a fortiori, de guérison. Ce critère, associé à celui de la souffrance intolérable, permet d'éviter des abus (ex. : un patient diabétique a, lui aussi, une maladie incurable ...).

En outre, dans les études de population menées non seulement en Belgique, mais dans beaucoup d'autres pays, on constate que les médecins sont certainement plus réticents que la population générale à l'égard d'une dépénalisation, sous quelque forme que ce soit.

En Belgique, un grand nombre d'études ont été réalisées, qui montrent que les taux de la demande de dépénalisation sont très élevés (80 à 90 %). Chez les médecins, le taux est légèrement supérieur à 50 %.

Cette réticence s'explique vraisemblablement par trois raisons : la crainte d'une bureaucratisation, la crainte de créer une insécurité par des critères insuffisamment précis, et la crainte d'être mis sous pression par une législation qui ne respecterait pas suffisamment leur autonomie. Ces trois aspects doivent être pris en compte dans une législation.

En conclusion, la notion de maladie incurable (beaucoup plus approprié que celle de maladie au stade terminal, pour autant qu'on y associe le critère de souffrance intolérable), et le passage d'une responsabilité médicale paternaliste à une autonomie du patient sont les instruments juridiques qui permettraient une ouverture du débat dans notre population, et le développement d'une culture où l'on assume sa fin de vie, culture entravée par l'illégalité actuelle des actes en question.

M. Vermeersch ajoute qu'en tant que vice-président des deux commissions qui ont émis ces avis, il peut dire clairement au moins une chose. Les praticiens, médecins et personnel soignant, quelles que soient leurs convictions, insistent sur le fait que les problèmes de la fin de vie ne peuvent s'enliser dans des procédures bureaucratiques, que ce soit en raison des diverses instances à consulter ou des documents à remplir.

À son avis, les diverses propositions de loi à l'examen renferment clairement l'amorce d'une complication administrative.

Concernant la déclaration de volonté anticipée, par exemple, la proposition nº 2-10 exige qu'elle soit contresignée par deux personnes et qu'une personne de confiance soit désignée. On peut craindre qu'en pratique, ces conditions n'empêchent les personnes isolées de bénéficier de la réglementation proposée.

Il est naturellement souhaitable de prévoir des garanties supplémentaires comme celles-ci, mais on ne peut pas les imposer par la loi. C'est pourquoi dans son avis nº 9, le Comité consultatif envisage une directive anticipée et/ou une personne de confiance, mais pas nécessairement les deux à la fois. Il faut donner à des personnes qui se trouvent dans une position de faiblesse extrême le plus de chances possible pour décider de leur propre sort.

Une autre proposition parle d'un recours au tribunal en cas de désaccord entre les médecins. Le législateur ne doit pas perdre de vue que dans l'intervalle, le patient souffre beaucoup. Si le patient estime que sa situation est insupportable ­ « je n'en peux plus » ­ la consultation d'un deuxième médecin devrait suffire pour accéder à son désir de mourir.

Pour ce qui est de la terminologie, l'intervenant souligne que le Comité consultatif utilise une définition univoque de la notion d'euthanasie qui exclut toutes les autres significations que l'on donne à cette notion : « l'acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci ». Cela signifie qu'on ne fait pas de distinction entre l'euthanasie passive et l'euthanasie active, ou l'euthanasie directe et l'euthanasie indirecte.

La première raison est que l'on considère qu'arrêter les appareils est un acte médical normal. « L'acharnement thérapeutique » est généralement considéré comme une pratique condamnable sur le plan éthique et contraire à la déontologie médicale. Par conséquent, on ne peut jamais considérer l'arrêt d'un traitement comme une euthanasie (passive).

Il en va de même pour l'administration de médicaments très puissants en vue de soulager une douleur insupportable. L'administration de tels médicaments est conforme à la déontolgoie médicale normale, même s'ils accélèrent le processus de décès. Là encore, il n'est donc pas question d'euthanasie (indirecte).

En ce qui concerne la situation dans les autres pays, M. Vermeersch souligne que l'Australie a mené une étude comparable à celle des Pays-Bas. Il en ressort que l'euthanasie est la cause de 1,7 % des décès, l'assistance au suicide représentant 0,1 % des décès et l'interruption de la vie sans demande de l'intéressé 3,5 %.

Il s'agit en l'occurrence, tout comme aux Pays-Bas et dans une enquête récente réalisée en Flandre, de données recueillies au moyen de questionnaires anonymes soumis aux médecins. Pour les États-Unis également, des chiffres sont disponibles montrant que, bien qu'interdit par la loi, l'arrêt actif de la vie est effectivement pratiquée.

En pratique, il y a donc peu de différences entre les pays. Il est difficile de dire pourquoi cette pratique a été légalisée, encadrée et contrôlée aux Pays-Bas, plutôt que dans un autre pays. Sans doute plusieurs facteurs ont-ils joué. L'important est que toutes les études réalisées montrent qu'une interdiction légale ne signifie pas que la pratique n'existe pas.

M. Cassiers déclare, à titre personnel, et en réponse à un intervenant, qu'il comprend parfaitement que le patient est seul juge de son état de détresse, et que sa demande doit être respectée.

En tant que psychiatre, l'intervenant sait cependant aussi que ce qu'une personne demande ou dit est influencé par l'ambiance, par son milieu, ses relations. Par conséquent, il lui paraît imprudent de croire que chacun fonctionne dans un état de parfaite lucidité, dans une parfaite maîtrise des idées qui lui viennent.

Il existe, à propos des soins palliatifs, de nombreuses études qui montrent que, lorsque des soins palliatifs adéquats sont dispensés (c'est-à-dire non seulement des anti-douleurs et des soins physiques, mais aussi la création d'un environnement psychologique valorisant, attentif et chaleureux), 90 à 95 % des demandes d'euthanasie disparaissent. C'est pourquoi certains, dont l'intervenant, pensent qu'il faut être vraiment attentif à la chaleur humaine que l'entourage donne.

Il ne faut pas soupçonner systématiquement l'entourage d'être mal intentionné, et de ne pas respecter le patient car, en règle générale, ce n'est pas le cas.

Il est inévitable que, quand des patients sont abandonnés à eux-mêmes, ils se désespèrent.

En tant que psychiatre, l'intervenant a entendu de nombreuses demandes de suicide. Ces demandes ne sont pas nécessairement à prendre au pied de la lettre. Il faut voir tout d'abord s'il ne s'agit pas d'un appel au secours, et une demande de chaleur humaine et de soutien affectif, qu'il faut prendre en compte.

Le danger est, dans un position trop « logique », d'accorder une valeur absolue à la demande, parfois répétée, du malade. Ainsi, il est fréquent qu'un jeune devenu tétraplégique à la suite d'un accident soit extrêmement découragé, voire désespéré, pendant plusieurs semaines.

Certaines personnes qui ont subi un deuil peuvent se trouver dans un état comparable ­ et parfois durable ­ de désespoir.

En conclusion, l'intervenant reste attaché au respect de la liberté individuelle, mais sans en faire un absolu.

M. Van Orshoven fait remarquer que les chiffres publiés sur ces matières doivent être pris pour ce qu'ils sont. Il accorde pour sa part au moins autant d'importance à une note transmise par les directeurs de plusieurs hôpitaux bruxellois dans le cadre de la préparation des avis du Comité consultatif. Il en ressort qu'un grand nombre d'interventions ayant conduit au décès des patients ont été réalisées sans que les intéressés en aient fait la demande. D'autres ont pris la décision à leur place.

Le chiffre de 3 % pour Hasselt, qui a été cité par M. Vermeersch, n'a dès lors rien d'étonnant.

La note fait état aussi de toute une série de patients, notamment dans les services de soins palliatifs, qui appellent à l'aide pour qu'on les délivre de leurs souffrances. Reste à savoir si cet appel à l'aide doit être interprété par la médecin comme une demande d'aide à mourir.

Le « je n'en peux plus » est avant tout un appel au secours. La note indique plus que clairement que la demande de mourir s'estompe en grande partie lorsque l'on fournit à ces patients l'assistance physique et psychique voulue.

Il n'empêche que dans un nombre très limité de cas, des patients continuent à réclamer sciemment que l'on mette fin à leurs jours.

C'est pourquoi, bien qu'il soit personnellement fortement opposé à cette pratique, M. Van Orshoven peut admettre que l'on adopte des règles rendant l'euthanasie possible. Mais, comme il a déjà été dit, ces règles doivent garantir qu'il ne sera mis fin à la vie d'un être humain que si l'intéressé en fait la demande expressément et en pleine conscience.

Une membre se réfère à la déclaration d'un membre du Comité consultatif, selon lequel les médecins sont réticents à répondre à une demande d'euthanasie, en raison du fait qu'il s'agit toujours d'un acte très pénible à poser.

La procédure de demande d'avis à des tiers, que certains envisagent, ne soulagerait-elle pas le médecin, en lui évitant d'être seul face à une décision aussi difficile, étant entendu que c'est lui qui prendrait la décision finale ?

La même intervenante observe que la troisième proposition du premier avis veut rendre des procédures légalement obligatoires pour un certain nombre de décisions médicales concernant la fin de vie.

Une de ces décisions serait la demande d'euthanasie. Cela signifie-t-il que les avis ont été raisonnés, de façon beaucoup plus globale, dans le cadre de l'ensemble des actes médicaux, ou uniquement dans celui des demandes d'euthanasie ?

D'autre part, n'y a-t-il pas une certaine contradiction dans le fait de faire entrer les personnes de confiance dans la procédure, et de refuser par ailleurs l'intervention de tierces personnes, pour éviter une certaine « tribunalisation » de la procédure ? En effet, la personne de confiance est aussi un tiers.

Enfin, y a-t-il des effets induits négatifs qui pourraient résulter d'une législation en la matière ? Les chiffres recueillis aux Pays-Bas semblent apporter des éléments de réponse à cet égard.

Un autre membre rappelle que M. Englert a cité deux critères qui lui paraissent être à la base d'une décision d'euthanasie, à savoir une maladie incurable, et des souffrances insupportables.

M. Englert semblait dire que la notion de phase terminale était sans intérêt; dans d'autres propositions, il est question de « maladie incurable entraînant inéluctablement le décès dans un délai rapproché ».

Si l'on supprime la notion de décès rapproché, n'y a-t-il pas un risque de revenir à l'assistance au suicide, par exemple dans le cas d'un patient atteint de sclérose en plaques, maladie dont on sait qu'elle est incurable ?

Un membre constate qu'en Belgique, le débat sur l'euthanasie a porté jusqu'ici sur les adultes, capables ou non de manifester leur volonté. Les propositions à l'examen évitent délibérément d'aborder le problème de l'euthanasie chez les mineurs.

C'est compréhensible car il s'agit d'une matière très délicate. Il semble cependant qu'aux Pays-Bas, la discussion sur le sujet s'amorce progressivement. L'on constate en effet que des patients mineurs atteints d'une affection en phase terminale demandent parfois qu'on les délivre de leur souffrance insupportable.

Quel est le point de vue du Comité consultatif sur ce problème ?

Répondant à une précédente intervenante, un membre déclare que la différence fondamentale entre la personne de confiance et les tiers qui seraient consultés est que le recours à la personne de confiance est envisagé comme solution spécifique dans le cas de personnes inconscientes, alors que le malade conscient a, par hypothèse, la liberté d'exprimer ce qu'il souhaite.

L'euthanasie est un acte ultime. Il l'est dans le temps, parce que c'est le dernier acte que l'on peut poser par rapport au patient. Il l'est aussi dans la gradation, car il ne peut être posé que lorsqu'il a été recouru à l'ensemble des autres approches.

C'est pourquoi l'intervenant considère que la problématique de l'euthanasie n'est pas liée de manière automatique à celle des soins palliatifs.

Il est certes important de développer ceux-ci, mais cela ne permet pas d'éviter d'aborder la problématique de l'euthanasie.

Enfin, ceux qui sont partisans d'une avancée significative dans le domaine de l'euthanasie sont peut-être ceux qui ont envisagé jusqu'au bout toute l'importance de l'écoute, de la prise en compte de la plainte, mais aussi de la relativisation de la plainte.

Cela vaut pour le malade, mais aussi pour l'entourage. On peut remarquer que la douleur ou la souffrance de l'entourage est parfois plus importante que celle du patient lui-même, et que l'entourage projette parfois sur le patient ce qu'il peut ressentir comme douleur.

Il est donc évident que la plainte ou la demande du malade doit être reçue, analysée et relativisée, mais il est tout aussi évident qu'elle ne peut pas être niée, y compris sous sa forme ultime de demande d'euthanasie.

Le caractère ultime de l'euthanasie tient à ce qu'elle constitue le geste ultime de solidarité et d'humanité que l'on peut poser à l'égard d'un patient pour lequel toute autre forme de solution a été épuisée.

En réponse à un précédent intervenant, M. Englert déclare qu'une insécurité importante subsisterait en retenant la notion d'état terminal, de mort rapprochée, etc.

Beaucoup des interruptions de vie que rapporte l'étude de Hasselt correspondent en réalité à une accélération de l'agonie. Dans ce cas, on manque l'un des buts essentiels d'une dépénalisation de l'euthanasie, c'est-à-dire de permettre à quelqu'un de quitter la vie en restant maître d'une situation qu'il ne veut plus subir.

Si l'on s'écarte de l'hypothèse de la maladie au stade terminal, les choses deviennent très floues. Ainsi, qu'est-qu'une fin de vie « rapprochée » ? Doit-il s'agir d'une mort prévisible dans un jour, un mois... ?

L'une des propositions définit la phase terminale comme étant le moment où la maladie n'est plus susceptible d'amélioration ou d'évolution favorable. Dans un film intitulé « Johnny s'en va-t-en guerre », on aborde le cas d'un soldat victime d'une fracture très haute de la colonne vertébrale, et qui ne peut plus communiquer que grâce à un muscle du cou, qui lui permet de s'exprimer en morse. Il demande que l'on mette fin à ses souffrances.

La personne qui se trouve dans un tel cas n'est pas dans une situation de mort rapprochée. Or, l'intervenant pense que, s'il s'agit d'une demande répétitive, que l'on a traité la dépression, qu'un contact a été établi autant que possible avec l'intéressé, mais que la demande subsiste, elle devrait pouvoir être prise en compte.

En ce qui concerne le problème de la tribunalisation, l'intervenant est personnellement très réticent à l'égard des décisions collectives, car il craint qu'en soulageant le médecin, elles ne diluent la responsabilité.

Or, la gravité de l'acte impose que la responsabilité reste entière.

De plus, la crainte des médecins est, dans le cas du recours à une structure tierce, de se voir imposer de façon plus ou moins explicite des positions avec lesquelles ils ne se sentent pas tout à fait en accord.

Quant au recours à la personne de confiance, il s'agit de substituer au patient une personne qui puisse dialoguer avec le médecin dans la situation où le patient ne le peut plus.

Cela permettrait idéalement d'expliciter la directive anticipée, qui ne peut pas prendre en compte de manière précise toutes les situations possibles.

Il s'agit de rétablir, par un intermédiaire, et de façon certes imparfaite, le colloque singulier, qui paraissait extrêmement important aux yeux des tenants des première et deuxième propositions contenues dans l'avis du Comité consultatif de bioéthique.

Enfin, en ce qui concerne le cas des enfants, l'intervenant pense qu'il n'y a que si l'on considère le geste euthanasique comme un mal qu'on l'exclut a priori pour un enfant, tout en le tolérant, le cas échéant, pour un adulte qui le demande. Si l'on considère au contraire la pratique d'une euthanasie comme le dernier geste de solidarité et de tendresse que l'on puisse poser à l'égard de quelqu'un, on ne comprendrait pas que les enfants en soient exclus.

Souvent, d'ailleurs, les enfants atteints de maladies cancéreuses, qui ont vu d'autres enfants mourir, ont développé une certaine maturité à ce sujet. D'après les cancérologues qui se sont exprimés, aux Pays-Bas mais aussi en Belgique, un nombre non négligeable de ces enfants sont parfaitement capables, mieux que les médecins, de parler de leur propre mort.

Cependant, il s'agit là d'un sujet tellement difficile et émotionnel qu'il vaut peut-être mieux ne pas vouloir tout réglementer en même temps.

M. Vermeersch, dans sa réponse à la question d'un membre concernant les éventuels effets induits d'une réglementation sur l'euthanasie, fait référence à la situation aux Pays-Bas. Les deux enquêtes nous apprennent que le nombre de cas d'euthanasie proprement dits est passé de 1,7 % en 1990 à 2,4 % en 1995. Durant cette même période, le nombre d'euthanasies non demandées par le patient a diminué de 0,8 à 0,7 %.

Il n'y a donc pas de différence substantielle dans les chiffres. Ce qui est plus important par contre, c'est que l'on soit arrivé à une plus grande transparence dans toute cette question. Nombre de demandes d'euthanasie sont rejetées après un entretien approfondi. Une nouvelle culture de l'approche des problèmes liés à la fin de vie se développe ainsi progressivement.

Cela explique sans doute pourquoi le nombre d'euthanasies sans demande de la part du patient est beaucoup plus élevé en Flandre qu'aux Pays-Bas. Grâce à une ouverture et à un dialogue accrus dans ce domaine, les médecins éprouvent moins le besoin de procéder à un acte euthanasique sans en avoir discuté avec le patient.

Par ailleurs, dans une situation telle que celle que l'on rencontre aux Pays-Bas, la discussion sur l'euthanasie entre le médecin et le patient est considérablement facilitée. Dans pareille situation, le patient peut vivre avec la promesse de son médecin que celui-ci l'aidera, sans autre discussion, à être délivré de sa souffrance s'il en fait la demande. Souvent, cette certitude a pour effet de reporter la décision d'euthanasie proprement dite.

En ce qui concerne l'euthanasie chez les enfants, il peut se rallier au point de vue de M. Englert. D'un point de vue éthique, on ne peut pas faire sans plus une distinction entre enfants capables et enfants incapables. Un mineur âgé de 15 ans sera plus autonome qu'un enfant de 7 ans et d'un point de vue éthique, il faut en tenir compte, y compris face à une demande d'euthanasie. Il importe bien évidemment aussi de tendre vers un accord maximal entre les parents et l'enfant.

Une des raisons pour lesquelles les initiatives législatives n'abordent pas cette question réside sans doute dans le fait qu'il est loin d'être évident de couler ces principes éthiques dans des textes juridiques. Il s'agit en tout état de cause d'un problème très délicat.

Enfin, l'intervenant déclare être opposé à l'utilisation du terme « terminal » lorsqu'il s'agit de fixer les conditions auxquelles l'euthanasie peut être pratiquée, parce que cela aurait pour effet d'exclure un grand groupe de patients. On a en effet connaissance de cas de patients qui souffrent très sévèrement ou qui sont paralysés gravement depuis des décennies et qui ne supportent plus leur situation, mais sans être atteints pour autant d'une maladie entraînant la mort. La société ne peut pas non plus ignorer purement et simplement la demande explicite de ces personnes.

M. Cassiers déclare être partisan de la troisième proposition contenue dans l'avis du Comité consultatif, c'est-à-dire celle qui accepte que l'euthanasie soit pratiquée dans certains cas. L'intervenant ne pense pas que cette position doive être comprise comme une tribunalisation. Les partisans de cette option sont très sensibles à l'importance des relations humaines dans tout ce que les personnes pensent et ressentent. Ils trouvent donc difficilement acceptable qu'une euthanasie soit tribunalisée à travers des structures juridiques administratives, fût-ce par le biais d'un accord du comité d'éthique de l'hôpital.

Dans cette optique, on tient à ce que ce soit le médecin qui décide, mais aussi à ce que ce dernier doive rendre compte dans le dossier de ce qu'il a pris toutes les informations, et qu'il ait eu l'occasion d'en parler avec l'entourage, de telle sorte que sa décision ne soit pas prise dans le cadre du colloque singulier, considéré comme trop étroit par rapport à l'ensemble des relations humaines d'un malade.

Par ailleurs, l'intervenant ne croit pas que le concept de « maladie incurable » clarifie tellement les choses par rapport à celui de « mort rapprochée ». L'interprétation de cette notion est en effet aussi très subjective; elle ne dépend pas seulement des techniques médicales mais aussi de la culture ambiante.

Enfin, autant l'intervenant partage la position de MM. Englert et Vermeersch sur la question des enfants, autant il estime important d'être attentif à ce que l'on crée comme culture.

Ainsi, actuellement, on considère comme relativement banal de procéder à un avortement, lorsqu'on sait que l'enfant à naître serait mongolien.

Dans certains cas, il est explicitement question de pratiquer, à la demande des parents, une euthanasie sur un nourrisson mongolien.

Dans notre culture, et avec nos critères scientifiques, un enfant mongolien est souvent considéré comme étant une souffrance intolérable pour ses parents. Cependant, l'enfant lui-même est sans doute aussi heureux qu'un autre, pour peu qu'il reçoive les soins et l'affection nécessaires.

Les partisans de la troisième proposition contenue dans l'avis, s'ils ne sont pas opposés à toute forme d'euthanasie, veulent éviter que celle-ci soit banalisée. C'est pourquoi ils sont opposés, notamment, à une modification du Code pénal. Ils estiment que, même si les médecins doivent assumer des responsabilités parfois très difficiles, ils doivent continuer à apprécier si, dans tel cas précis, ils peuvent transgresser le Code pénal en raison d'un état de nécessité.

L'intervenant ne pense pas que ce système entraîne une insécurité grave pour les médecins.

Un membre dit en tout cas se rallier aux plaidoyers des orateurs précédents pour l'adoption d'un ensemble de notions précises. Comme il y a unanimité à ce sujet au sein du Comité consultatif, il ne voit pas pourquoi la commission ne s'inspirerait pas du travail qui y a été réalisé.

Par ailleurs, il souhaite malgré tout souligner que, quelle que soit la réglementation que l'on instaurera en matière d'euthanasie, elle devra reposer sur le principe de plus parfaite liberté, tant de la part du médecin que du patient. Personne ne peut faire l'objet d'un acte euthanasique si telle n'est pas sa volonté, mais, par ailleurs, aucun médecin ne peut être contraint de mettre fin à la vie de quelqu'un.

Si, dans un tel système, on a en plus la garantie que l'euthanasie ne peut être pratiquée qu'après la consultation d'un deuxième médecin, l'intervenant se demande pourquoi d'aucuns estiment qu'il faut encore recueillir l'avis d'un tiers non-médecin. Faut-il y voir une marque de méfiance à l'égard des médecins, qui sont pourtant déjà soumis à des régles déontologiques strictes ?

Un membre se déclare très sensible à l'insistance de M. Englert sur l'autonomie raisonnée de la personne, mais aussi au rappel fait par M. Cassiers des dimensions affectives et subjectives des êtres humains. Même si, par son vécu ou ses réflexions personnelles, on peut être plus sensible à l'un ou l'autre de ces aspects, il doit y avoir une possibilité de les prendre tous deux en compte, et l'on peut supposer que les membres du Comité consultatif s'y sont efforcés.

L'intervenant demande comment on peut arriver à concilier ces deux points de vue, dans la perspective de l'élaboration d'une législation en la matière.

Un autre membre évalue positivement les deux avis du Comité consultatif, qui sont très objectifs et qui contribuent largement à rationaliser le débat sur cette question. En revanche, la prise de décisions politiques, surtout dans un tel domaine, n'est pas une activité scientifiquement neutre. Elle relève d'un choix entre des principes éthiques qui peuvent être en conflit les uns avec les autres. On peut donner la priorité soit au droit à l'autodétermination du patient soit à la dignité humaine ou au respect de la vie humaine. Dans la législation, il faudra par conséquent trancher entre ces deux principes ou essayer de les concilier.

Dans cette optique, l'intervenant souhaiterait qu'on lui dise où exactement, dans l'avis nº 1, est faite la distinction entre la première et la deuxième proposition, d'une part, et la troisième proposition, d'autre part. Si les partisans des deux premières propositions ne peuvent pas marquer leur accord sur la troisième, est-ce parce qu'ils veulent donner la priorité absolue au principe du libre arbitre ? Considèrent-ils que ce principe est bafoué par une réglementation qui prévoit qu'une série de conditions doivent être remplies avant que l'on puisse accéder au souhait du patient ?

À son avis, le respect de conditions n'est pas imposé pour limiter le libre arbitre du patient. Il est simplement question en l'espèce de mécanismes de contrôle normaux que l'on trouve également dans d'autres domaines. Il n'y a pas si longtemps encore, le corps médical estimait qu'il n'appartenait pas aux juristes de juger à qui incombait la responsabilité d'un acte médical, hormis dans les cas d'erreur grossière ou intentionnelle.

On admet généralement que, du point de vue éthique, on ne peut pas considérer l'euthanasie comme un acte médical normal. N'est-il pas normal dès lors que l'on fasse précéder une telle intervention d'une série de procédures a priori afin d'offrir une sécurité optimale au patient et de permettre un contrôle social a posteriori ? Si l'on peut considérer, comme certains le font manifestement, que les procédures de ce type constituent une menace, on peut tout autant voir en elles un ensemble de mesures d'apaisement, tant du patient que du médecin.

M. Cassiers souligne que les questions posées par les deux derniers intervenants se rejoignent. En effet, les positions nºs 1 et 2, d'une part, et la position nº 3, d'autre part, se rapprochent très fort si l'on a une vue positive des choses, de bonnes relations interpersonnelles et une médecine de qualité.

Ces positions ne divergent que dans un contexte de méfiance.

Ainsi, dans la position nº 3, on souhaite que le dossier montre que l'on connaît l'opinion de la famille sur la demande d'euthanasie et sur l'état du patient.

L'intervenant pense que les partisans des positions nºs 1 et 2 sont d'accord avec l'idée que, normalement, si les relations sont chaleureuses ou, à tout le moins, saines dans une famille, une demande d'euthanasie ne sera pas gérée sans que la famille soit informée et impliquée dans la relation avec le mourant et le médecin.

Le problème ne se pose que dans l'hypothèse, moins fréquente, où le patient a des relations assez froides, voire hostiles, avec sa famille, et craint que celle-ci ne veuille intervenir sans respecter suffisamment son avis, et, le cas échéant, n'exerce de fortes pressions psychologiques qui porteraient atteinte à la liberté du patient.

C'est pourquoi certains textes écrits au sein du Comité prévoient que la famille peut être « éventuellement » mise au courant, le cas échéant a posteriori. C'est cela qui choque les tenants de la position nº 3, qui sont plus sensibles à l'importance des relations humaines en tant que telles.

Cependant, il est vrai qu'il est impossible de rendre compte dans les lois de l'extraordinaire variété des situations et des difficultés intellectuelles (diagnostic, pronostic, ...) et affectives qui peuvent se présenter dans le contexe d'une fin de vie. C'est pourquoi il faut éviter d'aller trop loin dans les réglementations que l'on envisage.

Pour le surplus, les partisans de la position nº 3 parlent d'une procédure. Il ne s'agit pas d'une procédure devant un tribunal, mais bien de la tenue d'un dossier.

Là encore, il est plus que vraisemblable que les tenants des positions nºs 1 et 2 s'accordent avec la nécessité de tenir un dossier.

En conclusion, les positions nºs 1 et 2, et la position nº 3 se rapprochent assez fort dans des situations normales. Les divergences ne s'accusent que lorsque la situation se détériore et devient conflictuelle.

M. Englert souligne que dans la vision défendue par les positions nºs 1 et 2, le médecin est déjà le modulateur de l'autonomie du patient (cf. l'étude hollandaise, qui montre que les médecins qui ont pratiqué une euthanasie sont plus réticents à en pratiquer une autre). Comme déjà indiqué, cette autonomie n'est pas la seule valeur prise en considération. Il serait contraire à la culture médicale de considérer qu'une euthanasie est légitime au seul motif qu'elle est demandée. Une dépénalisation créerait un espace dans lequel il serait possible pour les praticiens de développer une culture d'interprétation de la demande. Il va de soi qu'un dossier médical doit être tenu. Comment, dans le cas contraire, une vérification a posteriori serait-elle possible ?

Par contre, les tenants des positions nºs 1 et 2 sont opposés à ce qu'on impose un avis extérieur autre que celui d'un second médecin, qui paraissait à tous une précaution raisonnable à titre de seconde modulation.

Cela n'empêche pas un médecin ou un patient de demander la présence de la famille, un autre avis, etc.

La différence essentielle entre les positions nºs 1 et 2, d'une part, et la position nº 3, d'autre part, est que, dans les deux premières, c'est le médecin qui est vu comme le modulateur; on lui demande un rétrocontrôle double sous la forme d'un second avis et d'une déclaration a posteriori, qui garantit qu'il assume la responsabilité de ses actes. Dans la position nº 3, on impose une autre interaction a priori.

Cependant, il est vrai que sur une série de points, ces trois positions se rejoignent.

M. Van Orshoven répond à la question d'un membre que la « troisième option » n'est en aucun cas inspirée par un sentiment de méfiance à l'égard des médecins. Ce qui est en cause, c'est qu'une telle législation dans une matière comme celle-ci ne sera acceptée par la population que si chaque patient se voit offrir une sécurité juridique absolue.

Cette sécurité juridique n'existe pas actuellement pour les patients qui souhaitent que l'on mette fin à leur vie si leurs souffrances deviennent insupportables. Une réglementation tendant à remédier à cette situation ne peut cependant pas aller à l'encontre de la sécurité juridique des patients qui ne veulent pas que l'on abrège leur vie. Des exposés antérieurs ont d'ailleurs suffisamment montré que cela n'était pas évident non plus à l'heure actuelle.

Quiconque a pratiqué l'art de guérir sait que les patients en phase terminale se trouvent dans une situation particulièrement vulnérable, et connaît les sentiments d'angoisse et de méfiance que celle-ci engendre. Il appartient au législateur de dissiper ces angoisses et de garantir que l'on n'abrégera la vie de ces patients que s'ils le veulent réellement, ce qui nécessite un minimum de procédure.

Une réglementation doit aussi apporter la sécurité juridique aux médecins. Le médecin qui, profondément touché par le sort de son patient, pratique l'euthanasie à la demande expresse de celui-ci, doit avoir la certitude qu'il ne sera pas poursuivi pour cet acte. Actuellement, il n'a pas cette garantie.

Répondant à un intervenant, le président déclare qu'il ne lui appartient pas de sanctionner l'utilisation impropre que feraient les membres des commissions réunies de tel ou tel terme.

Il rappelle que M. Vermeersch a accepté de fournir aux commissions un glossaire reprenant l'essentiel des termes techniques utiles au débat.

Une membre se demande si, outre les éléments déjà cités par MM. Englert et Cassiers, une autre différence entre les positions nºs 2 et 3 ne réside pas dans le fait que dans la position nº 3, il est encore question de l'état de nécessité.

M. Englert a évoqué le rôle de modulateur de la demande dévolu au médecin selon la position nº 2.

L'intervenante demande si, dans ce cas, on reste dans la notion jurisprudentielle classique d'état de nécessité.

M. Englert répond que l'idée est de codifier un certain nombre de critères qui permettent d'objectiver l'existence d'un état de nécessité légitimant la transgression de la règle « tu ne tueras point ».

L'intervenant ne pense pas que, de ce point de vue, on puisse mettre en évidence des différences entre les positions nºs 2 et 3.

L'évolution hollandaise a d'ailleurs été de trouver entre le ministère de la Justice et le collège des procureurs, d'une part, et les associations médicales, d'autre part, un terrain d'entente permettant de définir les critères dont la présence indiquerait l'existence d'un état de nécessité, bien que les textes hollandais n'utilisent pas exactement cette dernière terminologie.

Il est vrai que les juristes considèrent généralement que, par définition, l'état de nécessité ne peut être défini a priori et qu'il résulte de l'appréciation a posteriori du juge.

Cette critique s'applique cependant à l'égard tant de la position nº 2 que de la position nº 3.

Un membre souhaiterait disposer de l'enquête européenne qui a été réalisée sur la fin de vie dans les unités de soins intensifs (cf. le professeur J.L. Vincent, de l'hôpital Erasme, qui en a fait état dans des revues scientifiques).

M. Englert répond qu'il existe en réalité deux études, l'une de 1993 et l'autre toute récente, qui étudient les attitudes en milieu de soins intensifs, et s'intéressent plus à l'interruption des soins et au non-acharnement thérapeutique qu'au problème de l'euthanasie. Ces études démontrent que l'autonomie du patient est plus importante au Nord qu'au Sud de l'Europe.

B. PRÉSENTATION DE PROPOSITIONS DONT LES COMMISSIONS RÉUNIES ÉTAIENT INITIALEMENT SAISIES

1. Proposition de loi relative aux problèmes de fin de la vie et à la situation du patient incurable (de M. Philippe Mahoux et Mme Myriam Vanlerberghe); nº 2-10/1

Exposé introductif l'un des auteurs de la proposition de loi

L'auteur tient tout d'abord à rendre hommage à MM. Roger Lallemand et Fred Erdman, qui ont, avant lui, déposé le texte de la proposition de loi, lors de la précédente législature (doc. Sénat, nº 1-1261/1).

Le problème de l'euthanasie a fait l'objet de longues discussions, auxquelles ont participé notamment des juristes et des médecins.

Le débat s'est trouvé enrichi par la différence des points de vue exprimés, mais il s'en dégage aussi une adhésion aux mêmes valeurs.

Certains ont dit qu'il ne fallait pas céder à la précipitation en cette matière.

Il est vrai que ce débat doit être abordé avec sérénité.

Cependant, il faut tenir compte également du fait que la problématique de l'euthanasie n'est pas neuve et que l'on en discute depuis longtemps déjà.

Les travaux du Sénat au cours de la précédente législature ont eu pour mérite principal d'ouvrir la parole, non seulement dans le cadre des assemblées parlementaires, mais aussi dans tous les partis politiques et dans beaucoup l'associations. Des débats publics très nombreux ont été consacrés au sujet. Les citoyens y participent aussi, ce qui est extrêmement positif.

Pour l'auteur, même si cela peut paraître paradoxal, l'acte d'euthanasie est l'ultime acte de soigner, peut-être le plus difficile à accomplir pour le médecin.

Les auteurs de la proposition de loi sont aussi particulièrement attentifs à toute forme de dérive économique; une vision où le marché, l'argent, le coût représenteraient en eux-mêmes des valeurs leur paraît inacceptable.

Ils soulignent par ailleurs tout l'intérêt qu'ils attachent aux soins palliatifs, qui leurs paraissent insuffisamment développés dans notre pays.

Ils estiment qu'il faut tout mettre en oeuvre pour les développer davantage, c'est-à-dire faire prendre conscience de leur importance, veiller à la prise en compte de la douleur, prévoir les moyens budgétaires adéquats.

L'orateur se fit frappé par les considérations émises par les représentants du Comité consultatif de bioéthique sur les travaux d'évaluation existant déjà en matière d'euthanasie, sans qu'une loi impose une telle évaluation.

Si de tels travaux existent déjà à l'heure actuelle, il paraît souhaitable qu'au-delà du vote d'une loi dépénalisant l'euthanasie dans certaines conditions, on puisse envisager la constitution d'une commission d'évaluation, qui ferait rapport de manière régulière sur l'évolution de la situation, et qui pourrait rendre compte des situations concrètes vécues sur le terrain, après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.

L'orateur souhaite vivement que le présent débat permette de dégager un maximum de convergences entre les convictions des uns et des autres, qui paraissent également respectables.

Il faudra cependant aussi pouvoir déterminer ce qui les sépare, peut-être de façon irréductible, et se prononcer en âme et conscience.

Quant au fond, l'orateur pense qu'il faut adopter la définition de l'euthanasie donnée par le Comité consultatif de bioéthique.

L'euthanasie suppose tout d'abord une information complète du malade sur sa situation, sur le caractère de sa maladie, et sur toutes les possibilités de prise en charge, de quelque nature qu'elles soient, c'est-à-dire non seulement de nature thérapeutique, mais aussi sous la forme de soins palliatifs.

Ce dernier terme vise non seulement le traitement de la douleur, mais également la prise en charge du vécu psychologique souvent douloureux de la fin de vie.

Il faut aussi pouvoir expliquer au patient quelles possibilités existent en matière d'euthanasie. Celle-ci doit être possible lorsqu'il existe un état de souffrance ou de détresse constante et insupportable, qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique incurable, et que le médecin ne peut apaiser.

Un autre médecin doit être consulté sur le caractère incurable de la maladie.

Il devrait s'agir d'un praticien qui ne soit pas lié directement à la situation, et qui puisse ainsi avoir plus de distance par rapport à la situation concrète envisagée.

Il faut aussi s'assurer d'une demande formulée à plusieurs reprises par le patient. Il s'agit là d'un élément fondamental et évidemment indispensable.

Il faut en outre que soient mis par écrit l'ensemble de l'évolution du cas, et le caractère réitéré des demandes.

En effet, le fait que la décision à prendre in fine résulte du colloque singulier entre le malade et le médecin n'empêche nullement que les demandes réitérées, la nature de la maladie, son caractère incurable, les personnes consultées, ... soient transcrits au jour le jour. Il doit résulter de cette transcription que le patient a été écouté et pris en charge, et que toutes les précautions ont été prises.

Enfin, il faut, à la demande du patient, s'informer, discuter avec la famille, l'entourage, l'équipe soignante ...

Ce serait une grave erreur que d'exclure un tel dialogue.

Mais il faut que la décision résulte de façon quasi-irréductible de la demande expresse du patient.

L'orateur estime en effet qu'il ne convient pas, pour une décision aussi grave, de diluer des responsabilités qui sont à prendre entre patient et médecin.

Quant à la déclaration anticipée (terminologie préférable à celle de « testament de vie »), l'orateur pense que la volonté manifestée de terminer ses jours de manière décente est légitime, et qu'elle ne pourra peut-être plus s'exprimer, au dernier moment, par un patient inconscient et incapable. Le refus de la déchéance, de l'incommunication paraît lui aussi légitime.

La proposition envisage dès lors une déclaration anticipée selon laquelle, dans les cas ultimes, le signataire souhaite qu'il soit mis fin à ses jours, et délègue une personne pour le remplacer au moment ultime.

L'orateur pense toutefois qu'il peut être difficile pour une personne bien portante d'envisager ce que sera sa situation dans de tels moments.

C'est pourquoi il est d'avis que la déclaration anticipée doit être faite devant témoin, et renouvelée de façon régulière.

En ce qui concerne la procédure, elle est nécessaire, même s'il n'est pas souhaitable de « procéduraliser » l'euthanasie.

La procédure consiste tout d'abord en l'obligation, au moment du décès résultant de la pratique d'une euthanasie, d'effectuer, non seulement à l'état civil, mais aussi auprès du procureur du Roi, une déclaration reprenant l'identité, l'affection, la procédure suivie, les personnes consultées, la date et l'heure du décès.

En effet, il est fondamental qu'à la fois, la mort par euthanasie soit considérée comme une mort naturelle (notamment pour ce qui concerne la problématique des assurances), et qu'il y ait une déclaration au parquet.

Il n'existe évidemment aucune obligation pour aucun médecin de répondre positivement à une demande d'euthanasie.

L'éthique impose cependant que si un praticien refuse cette demande d'euthanasie, pour des raisons qui lui sont propres et qui sont respectables, il en informe le patient.

Ces raisons peuvent avoir trait à l'état du patient lui-même, ou encore aux convictions philosophiques ou religieuses personnelles du médecin.

Enfin, la proposition de loi prévoit qu'en ce qui concerne les femmes enceintes porteuses d'un enfant viable, l'euthanasie ne serait pas autorisée.

Les auteurs de la proposition de loi estiment important que l'on procède par la voie d'une modification du Code pénal, si l'on veut sortir de la situation actuelle. Il a déjà été souligné qu'il convenait d'éviter les erreurs par excès et celles par défaut, dans une matière où, par définition, la victime n'est plus en mesure de se faire entendre.

À l'heure actuelle, il s'agit d'erreurs par défaut, parce qu'un nombre très important de médecins ne veulent pas prendre cette responsabilité ultime, mais aussi, parfois, d'erreurs par excès que l'on ne peut contrôler, et que la loi à venir devrait permettre de réduire (cf. les 3 % d'euthanasies pratiquées sans la demande du patient, évoquées dans l'étude de Hasselt).

La loi nouvelle devrait donc entraîner une amélioration significative de la situation actuelle, sur les plans humain et éthique.

Enfin, il faudra modifier le Code civil en ce qui concerne la délivrance du permis d'inhumer, y compris la mention dans les registres de l'état civil qu'il s'agit d'une mort par euthanasie.

Pour conclure, l'orateur souligne qu'en ce qui concerne le douloureux problème de l'euthanasie, l'on pourrait avoir tendance, dans une enceinte parlementaire, à théoriser.

Le fruit du travail parlementaire sera un texte de loi, avec tout ce qu'il peut comporter de rigueur, voire de sécheresse, mais aussi d'inintelligibilité.

Il faut, au-delà de ce travail parlementaire, avoir à l'esprit tous ceux et toutes celles qui souffrent et se sentent abandonnés.

Si l'on souhaite avancer dans cette problématique, c'est précisément pour pouvoir les aider davantage par tous les moyens ­ multiples ­ qui existent et qui comprennent notamment une dépénalisation de l'euthanasie.

L'orateur souhaite vivement que grâce au présent débat, dans la plus large convergence possible, en marquant les divergences s'il y a lieu, on puisse procéder à une avancée significative.

On aurait ainsi fait un grand pas en avant, tant sur le plan parlementaire que sur le plan humain.


2. Proposition de loi relative à la demande d'interruption de vie (de M. Philippe Monfils); nº 2-22/1

Exposé introductif l'auteur de la proposition de loi

L'orateur se réjouit de la tenue du présent débat, car, jusqu'ici, aucune action parlementaire dans ce domaine ne pouvait intervenir si, préalablement, il n'y avait pas consensus au sein de la majorité gouvernementale.

Cette volonté de bloquer le débat ne s'est pas cantonnée au seul domaine de l'euthanasie. C'est tout le secteur bioéthique qui a été frappé par cette paralysie parlementaire.

Le résultat en est que, par exemple, aucune décision n'est intervenue en ce qui concerne le point de savoir s'il faut on non ratifier la Convention européenne de bioéthique.

Aucun débat n'a été sérieusement entrepris, ou, à tout le moins, mené à son terme sur un certain nombre d'éléments fondamentaux, comme la recherche sur les embryons, la thérapie germinale, etc.

La situation a cependant changé, et le débat parlementaire est maintenant possible, au terme duquel des décisions pourront être prises selon les règles de la majorité.

En matière d'euthanasie, la situation peut être résumée d'une phrase lapidaire : l'euthanasie est interdite, mais elle est pratiquée. Les chiffres récents présentés par le Comité consultatif de bioéthique ont bien montré que le nombre d'euthanasies pratiquées dans notre pays était sensiblement analogue au chiffre relevé aux Pays-Bas, pays où, on le sait, l'acte d'euthanasie n'est pas poursuivi s'il respecte un certain nombre de conditions.

Mais, à la différence des Pays-Bas, il semblerait qu'en Belgique, ce soient les interruptions de vie sans demande du patient qui soient plus nombreuses (4 fois plus qu'aux Pays-Bas).

Cette situation démontre les risques présentés par la clandestinité dans laquelle s'opèrent les euthanasies dans notre pays. Dans un tel système de secret, d'illégalité, l'on n'a aucune assurance que les choses se passent de manière digne et sans abus.

Ainsi, par exemple, l'on n'a actuellement aucune assurance que les demandes d'euthanasie soient faites en respectant un certain nombre de conditions qui font l'objet d'un consensus chez les divers auteurs, comme la maladie incurable entraînant des souffrances insupportables. L'on n'a pas davantage l'assurance qu'un véritable dialogue a eu lieu entre le patient et le médecin, et que la demande d'euthanasie n'était pas formulée sous le coup d'un désespoir qui, peut-être, eût pu être apaisé si un tel colloque avait eu lieu.

L'on n'a pas l'assurance que, dans certaines circonstances, l'euthanasie ne serait pas pratiquée avec une arrière-pensée économique.

Il n'est pas sûr non plus que l'euthanasie soit toujours pratiquée par un médecin, et que l'interruption de vie n'entraîne pas certaines difficultés au niveau successoral ou financier.

En résumé, la clandestinité amène nécessairement à se poser un certain nombre de questions sur ce qui se passe réellement dans ce domaine.

De surcroît, d'un point de vue plus juridique, il est étonnant que certains souhaitent maintenir la situation actuelle ­ c'est-à-dire la clandestinité de l'euthanasie ­ alors que, si les chiffres sont exacts, il faudrait considérer qu'on transgresse sciemment, 3 000 fois par an, l'interdiction de tuer prononcée par le Code pénal.

Et si, demain, le parquet décidait d'intervenir, et de mettre en prison un médecin qui aurait transgressé l'interdit pénal ?

Faudra-t-il attendre une nouvelle affaire Peers pour qu'enfin, comme il l'a fait après de nombreuses années et sous le coup du drame que l'on sait, le Parlement se penche sur le problème de l'euthanasie ?

Pourquoi changer le système actuel ?

On dit parfois qu'il ne faut pas légiférer en matière d'euthanasie.

On oublie que la loi existe déjà, puisque le Code pénal réprime les homicides.

Il faut donc être logique.

Soit il existe au Parlement une majorité pour estimer que donner la mort, même à la demande d'un patient, et dans certaines conditions, est toujours, ou presque toujours, considéré comme une violation de l'interdit du Code pénal.

Dans ce cas, il faut évidemment poursuivre ceux qui pratiquent l'euthanasie dans la clandestinité.

Soit il faut considérer que cette interdiction ne se justifie pas dans certaines circonstances, et il faut alors légiférer pour déterminer avec le plus d'exactitude possible les circonstances dans lesquelles donner la mort n'est pas considéré comme une infraction à la loi pénale.

Certains ont voulu voir dans les propositions sur l'euthanasie déposées par les parlementaires une forme de passivité, voire même de lâcheté par rapport à la situation actuelle.

Il s'agirait simplement de couvrir légalement ce qui est actuellement une illégalité. En réalité, le problème ne se présente pas de cette façon.

Si, avec d'autres, l'orateur a déposé une proposition en matière d'euthanasie, c'est parce qu'il croit que, dans certaines circonstances (maladie grave incurable, souffrances insupportables, ...), il convient de prendre en compte l'autonomie de la personne humaine.

Depuis fort longtemps, un débat s'est engagé sur les fondements de toute éthique.

Le Comité consultatif de bioéthique rappelle d'ailleurs que deux positions sont en présence.

D'une part, celle selon laquelle « la condition humaine est fondée sur l'intersubjectivité, c'est-à-dire sur le caractère irréductible de la relation de tout homme à l'autre. On ne peut échapper à la « loi » de cette relation, fondatrice de tout lien social ­ c'est à dire de toute éthique comme de tout droit. Même l'autonomie, tant revendiquée par les partisans de l'euthanasie trouve là sa propre condition de possibilité. C'est pourquoi un geste comme le geste euthanasique est contraire au fondement de toute humanité. »

D'autre part, celle selon laquelle, « à côté de la valeur de la défense de la vie se sont développées d'autres valeurs comme la qualité de la vie, le respect de la dignité humaine, le désir de ne pas souffrir inutilement, etc. Dans une société pluraliste, les conflits de valeurs sont tranchés par l'autonomie de l'agent, sous la seule condition que le choix opéré par celui-ci ne porte pas atteinte aux membres de la société qui penseraient autrement. Or, le choix euthanasique répond manifestement à cette condition. Une société pluraliste se doit de créer les cadres indispensables à la réalisation de ce choix dans des conditions où la dignité humaine est intégralement respectée. »

Le débat sur ces conceptions ­ autonomie de la personne comme valeur absolue ou comme élément d'intersubjectivité ­ ne sera évidemment jamais vidé. Dans toute société humaine, on retrouve d'ailleurs des partisans de l'une ou de l'autre attitude.

Même au sein du Comité consultatif de bioéthique, des divergences de vue extrêmement profondes se sont manifestées, qui ont finalement abouti à la détermination de quatre positions.

La responsabilité de l'homme politique est évidemment de trancher. En conscience, chaque parlementaire doit prendre attitude.

Pour sa part, l'orateur se rallie à l'une des positions contenues dans l'avis du Comité consultatif de bioéthique, à savoir que, dans une société démocratique, la loi ne peut interdire un acte qui ne constitue pas un danger, au moins potentiel, pour autrui ou pour la société.

La loi doit garantir explicitement le droit de tout individu à disposer de lui-même, de sa vie, et de vivre selon ses convictions propres, dans le respect de celles des autres.

C'est dans cette mesure que l'auteur de la proposition de loi souhaite que la loi pénale soit modifiée, afin de considérer qu'il n'y a ni crime, ni délit, lorsque l'interruption de vie est le résultat d'un acte posé par un médecin, à la demande d'une personne, en cas de maladie incurable causant des souffrances insupportables.

Il semble maintenant que le débat est mûr pour être mené à son terme.

Depuis des années, des propositions ont été déposées, et la population elle-même a pris conscience du problème.

Au Sénat, un débat extrêmement approfondi a eu lieu. Une vingtaine de personne ont été entendues. Le Comité consultatif de bioéthique vient d'être à nouveau entendu par les présentes commissions réunies.

Il appartient maintenant à celles-ci d'aborder le problème sur un plan concret, comme cela se passe pour tous les sujets, dans une assemblée parlementaire.

Si l'on aborde plus concrètement les conditions d'une loi autorisant l'euthanasie, il faut que le texte soit suffisamment précis pour ne pas ouvrir la porte à n'importe quel acte ou n'importe quelle manipulation.

À cet égard, si la définition de l'euthanasie a été adéquatement donnée par le Comité consultatif de bioéthique, il faut préciser que cet acte ne peut être posé qu'à la demande du patient, en cas de maladie incurable, entraînant des souffrances insupportables.

Le débat apportera certainement des éclaircissements sur ces dernières notions.

Tous les témoignages montrent clairement que plus souvent qu'on ne le croit, la demande d'euthanasie est formulée par un patient, non en raison de sa souffrance physique, mais parce que sa souffrance morale est insupportable. Il s'agit d'une atteinte à sa dignité.

L'auteur de la proposition de loi n'a jamais voulu, dans le débat sur l'euthanasie, faire état de témoignages concrets qu'il a reçus.

Cependant, de nombreuses interventions, y compris celles qu'on peut lire dans les médias, montrent bien que l'état de détresse morale est parfois tel qu'il amène l'intéressé à demander un acte d'euthanasie.

Un point très délicat est celui de savoir si, dans les critères, il faut ajouter le fait que le décès doit intervenir dans un délai rapproché, ou que la demande doit être formulée dans la phase terminale d'une maladie.

Là encore, les avis reçus montrent clairement que la notion de phase terminale, à supposer même qu'on puisse la définir de façon plus ou moins précise, crée de nombreuses difficultés par rapport à certaines demandes qui ne pourraient pas être rencontrées, alors même que, manifestement, la détresse y est extrême, et la volonté d'en finir avec elle est évidente et a été affirmée à de multiples reprises par le patient.

L'orateur entendra les interventions des autres membres sur ce point, afin de voir comment on pourrait s'orienter vers un consensus avec les auteurs des autres propositions.

Par ailleurs, il est évident qu'on ne peut considérer la demande d'euthanasie comme un simple acte administratif.

Il est question d'un patient qui souffre, et d'un médecin qui s'efforce de le soigner et qui arrive au bout des possibilités de la médecine.

C'est bien la raison pour laquelle le colloque entre le patient et le médecin est essentiel.

Mais on peut aussi considérer qu'une demande d'euthanasie est un appel au secours, qui demanderait d'autres solutions qu'une réponse purement médicale de mettre fin à la vie du patient.

C'est la raison pour laquelle, dans sa proposition, l'orateur suggère que la demande d'euthanasie soit exprimée deux fois, séparées par un délai pendant lequel le patient a la possibilité de s'entretenir avec la ou les personnes de son choix.

Si, à la seconde fois, il maintient son point de vue, la procédure peut se déclencher.

L'orateur rappelle que, pour lui, la décision d'euthanasie appartient fondamentalement au patient.

Dans cette mesure, il ne lui paraît pas souhaitable d'aboutir à une sorte de contrôle social de la volonté du patient, en entourant la décision à prendre d'une foule d'avis plus ou moins officiels, qui finiraient par se substituer, en fait sinon en droit, à la volonté du patient.

C'est son autonomie, sa responsabilité, et c'est lui qui, en dernière analyse, est maître de son destin.

Il doit, bien sûr, recevoir des informations sur le caractère incurable de sa maladie; il faut lui donner toutes les possibilités, et lui expliquer tous les moyens qu'il est possible de mettre en oeuvre afin d'éviter que sa souffrance soit insupportable.

Le patient doit aussi pouvoir s'adresser à toutes les personnes qu'il juge utile de consulter. Mais, en dernière analyse, ce sont sa vie et sa mort qui sont en cause, et c'est à lui que revient la décision.

En ce qui concerne la déclaration anticipée de volonté, la proposition présentée par l'orateur au Sénat, voici quelques années, n'est faisait pas mention.

Dans l'état des réflexions de l'époque, il lui paraissait difficile d'admettre qu'un jeune rédige un testament de vie que l'on ressortirait de nombreuses années plus tard, pour décider de la manière dont on va traiter son cas.

Depuis lors, la réflexion a été poursuivie. Il paraît possible de considérer que ce testament de vie doit être renouvelé tous les cinq ans, et que l'on pourrait remettre en cause la désignation d'un éventuel mandataire tous les cinq ans également, de sorte que la volonté de l'intéressé soit réellement avérée. En effet, il est évident qu'en cette matière, l'on ne raisonne pas à vingt ans comme à soixante.

Enfin, certains ont demandé de lancer un débat sur le problème des incapables en relation avec l'euthanasie.

Pour l'orateur, ce débat, aussitôt ouvert, doit être refermé.

Aucune indication, dans la forme d'un testament de vie émanant d'un mineur d'âge, ne pourrait pour lui être prise en compte.

De surcroît, il n'est évidemment pas question d'autoriser l'euthanasie, sous quelque forme que ce soit, pour des personnes qui ne sont pas capables d'exprimer leur volonté, notamment les personnes souffrant d'un handicap mental.

L'euthanasie vise les personnes majeures, capables d'exprimer leur volonté, ou ayant rédigé une déclaration d'intention, indiquant la manière et les conditions dans lesquelles il serait mis fin à leur vie, pour autant que l'on ait la garantie que cette déclaration reflète réellement la volonté persistante de la personne.

La proposition de loi ne vise pas les soins palliatifs, non parce que l'auteur porte un jugement négatif sur ce système de soins, mais parce qu'il estime que l'attitude visant à essayer d'opposer l'euthanasie aux soins palliatifs n'est pas la bonne.

Selon lui, ces soins sont complémentaires à la procédure d'euthanasie.

Il ne peut être question d'imposer à la personne demanderesse d'euthanasie de passer d'abord par un système de soins palliatifs.

Là encore, c'est l'autonomie du patient qui doit prévaloir.

Cependant, les soins palliatifs peuvent offrir une possibilité d'adoucir les souffrances physiques et/ou psychologiques d'une personne.

C'est pourquoi l'orateur trouverait logique qu'indépendamment des propositions de loi sur l'euthanasie, une autre proposition de loi soit mise au point, qui détermine les règles d'organisation et de fonctionnement de ces systèmes de soins palliatifs.

En ce qui concerne le traitement judiciaire des décisions d'euthanasie, la proposition de l'orateur, comme d'autres, a choisi la voie du transfert a posteriori, au procureur du Roi, du dossier contenant les informations exigées. Si aucun problème ne se pose, le dossier sera classé. Dans le cas contraire, il y aura poursuite.

L'orateur se dit néanmoins sensible à la réflexion de certains collègues, qui envisageraient la création d'une commission d'évaluation composée de personnes compétentes (juristes, médecins, ...). Il ne paraît pas possible de créer une commission quasi-juridictionnelle, ce qui risquerait de causer de sérieux problèmes.

Par contre, on pourrait étudier la possibilité de mettre au point un système analogue à celui mis en place pour l'évaluation de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse.

Enfin, des éléments évoqués dans d'autres propositions, comme les garanties sur le plan financier, la liberté des médecins, etc., interviendront sans doute dans la discussion.

L'orateur a souhaité quant à lui s'en tenir, dans le cadre du présent exposé, aux éléments fondamentaux du problème.

En conclusion, il déclare que le dossier lui paraît mûr.

Chacun aura l'occasion, dans le cadre de la discussion qui va s'ouvrir, de faire valoir ses arguments et de déposer ses amendements.

Ensuite, comme dans toutes les assemblées parlementaires démocratiques, chacun devra prendre ses responsabilités devant sa propre conscience et devant l'opinion publique.

Pour sa part, l'orateur l'a déjà fait voici cinq ans, en déposant une proposition de loi, et continuera dans cette voie.


3. Proposition de loi élargissant le droit de codécision du patient par l'institution d'une déclaration de volonté relative au traitement (déposée par M. Frans Lozie et Mme Jacinta De Roeck); nº 2-86/1

Exposé introductif d'une des auteurs

L'intervenante souhaite tout d'abord remercier le groupe de personnes qui ont contribué à l'élaboration de la proposition de loi et, plus particulièrement, MM. Jo Cuyvers et Eddy Boutmans, qui ont intégré dans le texte, respectivement, les aspects éthiques et juridiques du problème.

Elle constate que l'euthanasie est devenue un sujet dont on peut débattre au sein de la société. En partie à cause de l'évolution de la médecine, un grand nombre de familles sont confrontées à ce problème. Par ailleurs, il ressort d'une émission diffusée récemment à la télévision que 47 % des enfants de 11 à 12 ans connaissent la signification du mot.

En outre, les médecins se trouvent dans une situation très équivoque. Lorsqu'ils souhaitent accéder à une demande d'interruption de la vie parce qu'ils se préoccupent de la situation de leur patient, ils ne peuvent le faire qu'en enfreignant sciemment la loi. De plus en plus, on estime que c'est là une situation intenable.

Par conséquent, il existe une justification sociale pour non seulement poursuivre le débat qui est en cours depuis longtemps, mais aussi pour parvenir à un résultat.

La proposition à l'examen prévoit une définition stricte de la notion d'euthanasie. L'euthanasie n'est pas :

­ laisser le patient mourir de mort naturelle sans plus intervenir sur le plan thérapeutique lorsque de telles interventions sont devenues inutiles;

­ l'administration d'anti-douleurs puissants visant à soulager la souffrance du patient et pouvant indirectement accélérer sa mort.

Dans l'optique de la proposition, il s'agit là de deux manières d'agir qui relèvent de la déontologie médicale normale et ne nécessitent donc pas de réglementation particulière.

L'euthanasie suppose une intervention active de la part du médecin, par laquelle il est mis fin à la vie du patient, à sa demande expresse.

Dans le texte, l'ancienne expression « testament de vie » a été remplacée par la notion de « déclaration de volonté ». Le but est de souligner que le choix de mettre fin à la vie appartient en définitive au patient, mais que son choix doit être élaboré dans le cadre d'une relation de confiance entre lui et le médecin. Ce dernier ne peut en effet jamais être obligé d'accéder au souhait du patient de mettre fin à ses jours. Si le médecin traitant, pour des raisons morales ou pour d'autres raisons, ne peut ou ne veut accéder à la demande du patient, il devra avertir à temps un collègue qui pourra le remplacer.

Il est essentiel à cet égard que le patient soit informé de manière précise sur sa situation. Élaborer des règles sur la manière dont cette information doit être communiquée est malaisé. En effet, elle est déterminée en fonction de la situation individuelle et dans le contexte de la relation de confiance entre le patient et le médecin. Le fait que le médecin doit tenir compte autant que possible de la situation personnelle du patient n'empêche pas que le droit du patient à l'information, par exemple au sujet de la question de savoir si sa maladie est ou non sans issue, est légalement obligatoire.

Dans l'optique de la proposition, une déclaration de volonté peut être rédigée uniquement par une personne majeure et capable, mais cette personne peut la rédiger à n'importe quel moment, y compris lorsqu'elle est en parfaite santé. Cela implique bien entendu que le patient peut retirer ou modifier sa déclaration à tout moment. En effet, l'attitude d'une personne de 25 ans vis-à-vis de la souffrance ou de la mort peut changer à mesure que cette personne prend de l'âge.

De plus, la modification de la déclaration de volonté n'est possible qu'à la condition que le patient soit pleinement conscient. Par conséquent, il n'est pas possible de la changer lorsque la personne est démente sénile ou lorsqu'elle est dans le coma. On doit en effet partir du principe que l'élaboration d'une déclaration de volonté est le résultat d'une réflexiuon approfondie, d'un cheminement mental que le patient a accompli.

Le fait que la déclaration de volonté concerne avant tout le médecin et son patient ne signifie pas qu'il ne faut pas prévoir un cadre légal et respecter certains critères de prudence.

Tout d'abord, il est crucial que la déclaration de volonté s'inscrive dans une politique de soins palliatifs et d'accompagnement de la mort. Des progrès ont été enregistrés dans ce domaine, mais il y a encore beaucoup à faire dans plusieurs domaines, par exemple pour la formation du personnel médical. La question de la fin de la vie ne sera posée que lorsque toutes les possibilités en la matière auront été épuisées.

L'intervention du législateur est nécessaire pour combattre les abus éventuels. Une déclaration de volonté ne peut être rédigée que par une personne qui, non seulement est pleinement consciente de la décision qu'elle prend, mais en outre est parfaitement informée des conséquences possibles. Le médecin peut informer son patient sur la possibilité de rédiger une déclaration de volonté, mais il va de soi que cette déclaration ne peut jamais être imposée.

La déclaration doit être rédigée en trois exemplaires. Le médecin qui traite normalement le patient en conserve un. Le patient lui-même en conserve bien entendu un autre. De la sorte, on pourra exécuter sa volonté (et retrouver son médecin habituel) dans les cas où il serait traité par un autre médecin ou se retrouverait dans un hôpital qu'il ne connaît pas.

L'exécution de la déclaration doit elle aussi être assortie des garanties nécessaires. Elle n'est possible qu'après la consultation d'un deuxième médecin. Celui-ci doit confirmer par écrit que la situation du patient est sans issue. Il pourra éventuellement être appelé à exécuter la déclaration si le médecin traitant est confronté in extremis à un problème de conscience.

Il est fondamental que la décision définitive sur l'exécution, quelle qu'elle soit, soit prise par le patient et lui seul.

Enfin, les dispositions modifiant la législation sur les assurances ont également leur importance. Dans ce domaine, on ne doit en effet pas faire de distinction entre l'exécution d'une déclaration de volonté et une mort naturelle.

Une fois la déclaration exécutée, le médecin rédige un rapport détaillé, qu'il transmet au procureur du Roi. Celui-ci doit notamment disposer de toutes les données pour vérifier si les procédures prévues ont été suivies et les droits du patient respectés.

Partant de ces rapports, le procureur du Roi remet annuellement un rapport au ministre de la Justice sur les déclarations de volonté qui ont été exécutées et les contestations auxquelles elles ont éventuellement donné lieu. Le ministre de la Justice adresse à son tour un rapport aux commissions parlementaires compétentes ainsi qu'au Comité consultatif de bioéthique. Cette procédure doit permettrre, d'une part, d'exercer un contrôle permanent sur la politique qui est menée et, d'autre part, d'apporter éventuellement des correctifs à la législation.

L'intervenante conclut que les quatres propositions de loi qui sont inscrites à l'ordre du jour sont très proches. Il s'ensuit que les chances de parvenir enfin à un résultat concret dans ce domaine sont meilleures que jamais. Toutefois, elle juge qu'il est de la plus haute importance que dans ce débat, chacun ait la possibilité de formuler son point de vue, avant que les textes législatifs ne soient mis aux voix.


4. Proposition de loi sur l'euthanasie (de Mme Jeannine Leduc); nº 2-105/1

4.1. Exposé introductif de l'auteur de la proposition de loi

L'intervenante souhaite à son tour rendre hommage aux personnes qui ont préparé ce débat durant des années. Cette problématique n'est pas neuve. Il y a 20 ans, elle a pu voir, dans sa propre famille, la manière dont un patient a dû être abandonné à son sort parce que les médecins concernés ne pouvaient pas prendre leurs responsabilités.

La proposition de loi qu'elle a déposée avec d'autres repose sur deux principes :

­ lorsque la vie n'est plus une vie et que la souffrance, tant physique que psychique, est devenue indescriptible et insupportable, une mort douce doit pouvoir être envisagée;

­ rien n'est plus personnel que la mort et la décision doit revenir au malade qui a le droit d'être totalement informé sur son état de santé.

Le souhait d'euthanasie peut être formulé dans un testament de vie ou en exprimant, pendant une maladie en phase terminale, sa volonté d'être délivré d'une souffrance insupportable.

Le débat sur l'euthanasie n'est pas nouveau. Il y a quelques années déjà, notamment au Sénat, on a pu constater à quel point les opinions s'étaient rapprochées sur ce point. Cependant, on constate encore que nos médecins, que ce soit ou non à la demande du patient, mettent fin à des vies dans la clandestinité et dans une zone grise du point de vue juridique. La situation actuelle est empreinte d'une forte hypocrisie. Chacun sait que cela arrive mais on en parle le moins possible.

Inutile de dire qu'une telle situation est extrêmement lourde à supporter pour les médecins qui procèdent à cet acte par compassion pour leur patient.

Celui qui connaît la réalité médicale connaît aussi l'impuissance des patients en phase terminale qui, à cause de la douleur, ont perdu le contrôle de leurs fonctions vitales. Ces patients doivent évidemment pouvoir recourir au maximum aux soins palliatifs. Toutefois, lorsque ceux-ci ne leur apportent plus rien et que la vie n'est plus une vie, la vie du patient doit pouvoir être abrégée si celui-ci le demande expressément.

C'est pourquoi il est indispensable que l'on arrive, à court terme, à une réglementation légale claire et applicable qui fasse une distinction, dans notre législation, entre, d'une part, l'homicide, et, d'autre part, l'euthanasie pratiquée par un médecin sur un patient en phase terminale qui la réclame expressément et de façon mûrement réfléchie parce qu'il ne peut plus endurer ses souffrances.

L'intervenante aborde ensuite plus en détails le texte de la proposition de loi. Tant les avis du Comité consultatif de bioéthique que les autres ouvrages traitant de ce problème soulignent l'importance d'une terminologie précise. Qu'est-ce que l'euthanasie, qu'entend-on par patient en phase terminale ... ? On trouve ces définitions à l'article 2.

La proposition concerne seulement les patients majeurs et les mineurs émancipés capables. Les auteurs ne contestent pas que d'autres mineurs en phase terminale d'une maladie puissent également souhaiter l'euthanasie. Ils trouvent cependant que cette mantière très délicate n'est pas suffisamment clarifiée à l'heure actuelle pour faire l'objet d'une travail législatif.

Les personnes atteintes de démence ne peuvent pas davantage faire de testament de vie ou exprimer la volonté qu'il soit mis fin à leur vie.

Dans le « testament de vie » ou la « déclaration anticipée » comme d'autres l'appellent, une personne fait savoir, avant de se trouver dans un état terminal, que le médecin qui la traitera à ce moment peut procéder à une forme d'euthanasie. Elle le fait dans la perspective du moment où elle ne sera plus capable de manifester sa volonté.

Il va de soi que le testament de vie peut être révoqué à tout moment.

Tout patient qui n'a pas fait de testament de vie peut, lorsqu'il est en phase terminale, demander au médecin que sa vie soit abrégée. Cette volonté est, comme l'exécution du testament de vie, soumise à des conditions strictes. Elle doit être exprimée par écrit. Si c'est impossible en raison de l'état du patient, elle doit être exprimée oralement en présence de deux témoins indépendants. Le médecin dresse un acte de cette déclaration orale, lequel est contresigné par les deux témoins.

L'exécution du testament de vie ou de la manifestation de la volonté est encore subordonnée à une série d'autres conditions. Elle doit être confirmée dans les 48 heures par le patient; un deuxième médecin doit confirmer que le patient se trouve dans une phase terminale; un dossier médical doit être établi, lequel contiendra toutes les pièces justificatives requises, etc.

Lorsque le patient n'est pas en état de confirmer sa volonté ou son testament de vie, une procédure spéciale encore plus sévère est appliquée.

L'euthanasie ne peut pas être pratiquée sur des patientes enceintes d'un enfant viable.

Comme les autres propositions qui ont été déposées, ce texte respecte la liberté de conscience du médecin. Aucun médecin ne peut être contraint de pratiquer l'euthanasie.

Du point de vue juridico-technique, un patient dont la vie est abrégée dans le respect des critères définis dans la proposition est considéré comme étant décédé de mort naturelle. L'acte de décès stipule cependant que la vie de l'intéressé a été abrégée à sa demande.

Dans le Code pénal est inséré un article 417bis précisant les conditions dans lesquelles l'euthanasie, pratiquée à la demande d'un patient en phase terminale, n'est pas considérée comme un crime ou un délit.

Outre les conditions de base qui doivent être remplies pour pratiquer l'euthanasie, cet article stipule explicitement les neuf critères de prudence qui doivent être pris en considération. Le neuvième critère prévoit de transmettre le rapport du médecin à une commission d'évaluation. De cette manière, les auteurs disposent d'un organe quelque peu comparable à la commission actuelle qui veille au respect de la législation en matière d'interruption de grossesse. Cette commission est composée d'un nombre égal de médecins et de juristes et doit respecter les équilibres idéologiques.

La commission d'évaluation a une mission générale en ce qui concerne l'enregistrement des traitements et le rapport aux autorités publiques. Parallèlement, elle peut décider, à la majorité des deux tiers, de transmettre un dossier à la justice lorsqu'on soupçonne que les critères de prudence n'ont pas été respectés. Cependant, il est évident que la commission fonctionne de façon autonome. Elle ne peut être une instance d'appel pour, par exemple, les personnes qui s'estimeraient lésées par l'euthanasie.

Outre cette proposition, le groupe de l'auteur a déposé une proposition séparée sur les soins palliatifs. Un des critères de prudence en matière d'euthanasie est, d'ailleurs, d'avoir une concertation approfondie avec le patient sur les possibilités qui existent en ce domaine. Comme d'autres intervenants l'ont déjà déclaré, les soins palliatifs, quelle que soit leur importance, ne suffisent pas pour délivrer tous les patients de leurs souffrances insupportables.

L'intervenante conclut en disant que ce débat a été préparé minutieusement les années précédentes. Toutes les données permettant de parvenir à un résultat sont connues et les présentes propositions indiquent que la volonté d'aboutir est également réelle. Elle espère dès lors que le Sénat prendra ses responsabilités et qu'il ne renverra pas une nouvelle fois ce problème aux calendes grecques en consultant de nouveau toutes sortes d'instances.

4.2. Commentaires de MM. Vankrunkelsven et Van Quickenborne sur leurs amendements nºs 1 à 3 à la proposition de loi relative à l'euthanasie nº 2-105/1

Un des auteurs fait remarquer que son groupe attache également une grande importance aux soins palliatifs mais que, dans le même temps, il est conscient que cette forme d'assistance ne peut résoudre tous les problèmes ni offrir une réponse à toutes les questions qui se posent au sujet de la fin de la vie, à savoir qu'elle ne permet pas toujours de soulager les souffrances extrêmes de certains patients.

Ceux qui ont des contacts réguliers avec des médecins savent que la législation actuelle les place devant un sérieux problème de conscience. Lors des contacts étroits qu'ils ont avec le patient, ils peuvent avoir la conviction que celui-ci souhaite que sa vie soit abrégée pour être délivré de ses souffrances. S'ils sont prêts, en âme et conscience, à exaucer ce voeu, ils enfreignent toutefois sciemment la loi. Par conséquent, ce problème justifie certainement une modification de la loi.

Il estime que, parmi les cinq propositions de loi déposées en ce sens, la proposition nº 2-105/1 a le plus de chances de faire l'objet d'un consensus entre les membres. Le texte est équilibré et détaillé. En outre, il contient un certain nombre de critères de prudence qui garantissent que les droits du patient sont totalement respectés. Malgré ces critères de prudence qui doivent assurer la sécurité juridique, la proposition insiste fortement sur la relation de confiance qui doit exister entre le médecin et le patient.

C'est pourquoi les auteurs des amendements ont décidé de prendre cette proposition comme base de travail et d'y déposer des amendements. Bien que les auteurs marquent, globalement, leur accord sur les objectifs de cette proposition, ils souhaitent quand même fixer certaines priorités.

C'est ainsi qu'ils estiment que la problématique de l'euthanasie n'est pas suffisamment développée en ce qui concerne les personnes incapables de manifester leur volonté. Lors de la discussion, il s'est avéré que certains groupes souhaitent, en tout cas dans un premier temps, exclure cette question du débat. Toutefois, la commission ne peut ignorer sans plus les problèmes des personnes incapables de manifester leur volonté. Cette problématique devrait au moins être abordée dans les documents explicatifs et il faudrait indiquer qu'il est nécessaire de légiférer.

Article 4

MM. Vankrunkelsven et Van Quickenborne déposent les amendements nº 1, A à F, à l'article 4 (doc. Sénat, nº 2-105/2).

Un des auteurs fait observer que les amendements A et B s'inspirent de la proposition de loi nº 2-86/1 de M. Lozie et Mme De Roeck. Ils concernent la désignation d'une personne de confiance qui doit veiller à l'exécution du testament de vie lorsque le patient n'est plus capable de le faire lui-même. La désignation d'une telle personne est une mesure logique, a fortiori lorsque le patient aboutit chez un médecin étranger qui n'a pas connaissance du testament de vie.

Il estime que les amendements C, D et E sont très importants. À l'article 4, paragraphes 1er et 2, de la proposition de loi, en plus de l'euthanasie au sens strict du terme ­ « l'euthanasie délibérée, pratiquée par une personne autre que l'intéressé, à la demande de ce dernier » ­, on mentionne encore deux autres pratiques médicales qui, en fait, sont totalement distinctes de cette problématique, à savoir l'administration d'analgésiques puissants susceptibles d'abréger la vie et l'interruption d'un traitement dans certaines circonstances. Les amendements visent à ne pas mentionner ces deux pratiques dans la proposition de loi.

L'administration d'analgésiques susceptibles d'abréger la vie est actuellement considérée comme un acte médical correct tant sur le plan de l'éthique que de la déontologie. Faire figurer ce type de traitement dans une législation sur l'euthanasie et le subordonner à une volonté expresse du patient constituerait un recul. Cela signifierait qu'il ne correspond plus à la bonne pratique médicale lorsqu'il ne satisfait pas à toutes les conditions particulières prescrites en matière d'euthanasie.

L'administration d'analgésiques puissants fait partie de l'orthothanasie, l'ensemble des mesures que le médecin peut prendre pour adoucir la mort. Il est inopportun, et d'ailleurs impossible, d'extraire l'ensemble de cette matière de la déontologie médicale et de la régler dans la loi.

Cette remarque vaut également pour l'interruption du traitement médical lorsque celui-ci devient inutile. La logique suivie par les auteurs de la proposition est compréhensible : lorsqu'un patient peut demander, sous certaines conditions, que sa vie soit abrégée par une intervention active, on doit pouvoir, a fortiori, interrompre le traitement à sa demande.

Ici aussi, il s'agit d'une pratique médicale normale. De plus, l'acharnement thérapeutique est de plus en plus considéré comme étant contraire à la déontologie médicale. Extraire ces actes de la déontologie et les faire relever d'une loi sur l'euthanasie constituerait dès lors un recul. Le patient doit toujours avoir le droit de refuser une thérapie et la confirmation légale de ce droit n'a pas sa place dans une réglementation sur l'euthanasie.

Les soins palliatifs sont actuellement reconnus comme une thérapie médicale. Au sens strict, la disposition voudrait dire que le patient n'a pas le droit de passer aux soins palliatifs.

C'est la raison pour laquelle il est préférable que les dispositions en question soient simplement supprimées. Les amendements offrent une alternative en imposant au médecin d'envisager tout acte thérapeutique en fonction d'une bonne mort (amendement D) et de se concerter avec le patient sur tout acte thérapeutique (amendement E).

Cette dernière disposition serait plus à sa place dans une législation plus générale réglant les droits des patients. Trop souvent, des traitements sont entamés sans réelle concertation avec le patient, ou même sans qu'il en soit informé.

L'amendement F a trait au paragraphe 4 de l'article qui règle l'euthanasie pour les patients qui ne sont plus en mesure de confirmer leur testament de vie ou leur volonté. Si le médecin traitant et les deux médecins désignés n'arrivent pas à un accord, un troisième médecin doit être désigné dans les 24 heures. L'amendement précise que ce médecin dispose d'un délai de 24 heures pour rendre son avis. Ceci doit garantir au patient le droit à une procédure rapide.

Article 9

L'amendement nº 2 de MM. Vankrunkelsven et Van Quickenborne tend à supprimer cet article (doc. Sénat, nº 2-105/2).

Un des auteurs fait observer que, par l'insertion d'un article 397bis dans le Code pénal, les auteurs de la proposition de loi ont vraisemblablement voulu de nouveau confirmer expressément que l'euthanasie qui n'est pas pratiquée dans le respect des critères de prudence définis à l'article 417bis demeure punissable en tant que meurtre ou assassinat.

À son avis, cette disposition est superflue étant donné que les articles 392 et suivants décrivent et sanctionnent suffisamment le meurtre et l'assassinat.

Article 10

À propos de l'amendement nº 3, A, B, C et D, déposé par MM. Vankrunkelsven et Van Quickenborne (doc. Sénat, nº 2-105/2), l'un des auteurs déclare qu'il peut marquer son accord sur une modification du Code pénal en vue de dépénaliser l'euthanasie. L'article 417bis proposé n'exclut toutefois pas que l'euthanasie légalement autorisée, pratiquée dans le respect des critères de prudence imposés, soit poursuivie en tant qu'infraction.

C'est pourquoi l'amendement A propose de remplacer les mots « ni crime ni délit » par les mots « pas d'infraction ».

L'autre auteur précise que les amendements B, C et D se rapportent aux critères de prudence imposés au médecin. Ceux-ci sont importants, mais ils ne peuvent entraîner une insécurité juridique due au fait qu'ils sont quasiment inapplicables. Le douzième critère stipule qu'il faut indiquer de façon détaillée les personnes avec qui la concertation a eu lieu. Toutefois, dans la pratique, le médecin aura des contacts avec tout l'entourage du patient : famille, personnel soignant, ... En demandant au médecin qu'il renseigne les noms et fonctions de toutes ces personnes et qu'il enregistre leur avis, on le place dans une situation quasiment impossible et incertaine en ce qui concerne les conséquences juridiques éventuelles. Cela peut dès lors être une raison de ne pas accéder au souhait d'euthanasie du patient.

C'est pourquoi l'amendement D remplace ce passage par l'obligation plus générale de prouver qu'il y a eu concertation avec les personnes qui soignent le patient et, éventuellement, avec la famille.


5. Proposition de loi modifiant l'arrêté royal nº 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice de l'art de guérir, de l'art infirmier, des professions paramédicales et aux commissions médicales (de Mme Clotilde Nyssens et consorts); nº 2-151/1

Exposé de l'un des auteurs de la proposition de loi

La proposition de loi qui vient d'être déposée a été affinée au cours des derniers jours grâce à une série d'acteurs de terrain (médecins, personnel infirmier, ...) qui ont contribué à enrichir le texte.

Les développements en sont relativement longs, afin de resituer le problème, non seulement dans un cadre pénal, mais aussi dans un cadre beaucoup plus large de justice et de santé.

Le groupe dont l'oratrice fait partie souhaite vivement que ce second aspect soit pris en compte autant que le premier, car il estime qu'en amont du Code pénal se posent des problèmes de santé publique, et que l'on touche non seulement à la problématique importante de l'euthanasie, mais aussi à toutes les situations de fin de vie, vécues dans nos établissements hospitaliers et à domicile.

C'est pourquoi le groupe dont l'oratrice fait partie souhaite engager un vrai dialogue avec l'ensemble des partis, car il trouve inutile de susciter un clivage archaïque entre des idéologies que certains pouvaient qualifier de dogmatiques.

Il préfère aborder cette problématique par le biais du patient, du mourant et des personnes qui l'entourent (pour ceux qui en ont la chance, en soins palliatifs et continus, et pour ceux qui en ont moins, avec un médecin, dans le cadre actuel d'un colloque singulier).

Les principes qui sous-tendent la proposition sont les suivants.

Il s'agit tout d'abord du respect, en toutes circonstances, de la dignité de l'homme.

Il existe, il est vrai, différentes conceptions de cette dignité, qui entraînent des conséquences diverses.

Les auteurs de la proposition estiment que la personne humaine doit être envisagée dans sa totalité, non seulement dans sa dimension rationnelle et affective au moment où il rédige une éventuelle déclaration anticipée, mais aussi dans sa dimension humaine, affective, sociologique, au moment de sa mort.

Il est tout à fait différent d'envisager, en tant que bien portant, le moment de notre fin de vie, ou d'être confronté réellement à cette situation où, tous, nous craindrons deux choses : souffrir, et faire l'objet d'acharnement thérapeutique.

C'est pourquoi la proposition débute par un chapitre consacré aux soins palliatifs et continus, en y insérant des dispositions qui relèvent de la déontologie médicale, et traitent, d'une part, de l'acharnement thérapeutique, et d'autre part, de l'abandon thérapeutique.

Les auteurs de la proposition ont été alarmés notamment par des médecins, qui ont attiré l'attention sur le fait que le législateur ne doit pas se cantonner au rôle de bien portant qui légifère au sujet d'autres qui ne le sont pas, mais qu'il doit aussi avoir égard à la situation de fragilité et de faiblesse où se trouvent les personnes en fin de vie, qui raisonnent nécessairement différemment.

L'oratrice se dit particulièrement impressionnée par l'article du professeur Felice Dassetto, récemment paru dans Le Soir, et où l'auteur mettait en garde contre le risque d'élaborer une législation qui se retournerait contre les plus faibles.

Le groupe dont l'oratrice fait partie insiste pour que la dimension sociale du problème soit prise en compte. En effet, il paraît clair que la condition économique et sociale du patient n'est pas sans incidence sur la façon dont on le traite.

Ainsi, certains étrangers, les personnes appartenant au Quart-Monde n'ont pas droit à la parole. Cet aspect des choses devrait être pris en compte dans la réflexion.

Les auteurs de la proposition souhaiteraient aussi, au nom d'un principe de vigilance et de précaution à l'égard des générations futures, ne pas aboutir à un texte qui abîmerait notre humanité.

Il serait regrettable que la Belgique soit le premier pays en Europe, voire dans le monde, à dépénaliser une matière aussi complexe et sensible que celle de l'euthanasie.

Le groupe de l'oratrice est demandeur d'un débat à mener sans tarder, mais les conclusions n'en sont pas encore connues.

Les auteurs de la proposition ont refait récemment le tour de certains acteurs de terrain, et ont également procédé à une étude de droit comparé.

Ainsi, en France, pays laïque, un consensus s'est dégagé, au terme d'une réflexion philosophique approfondie, pour ne pas légiférer dans le cadre du Code pénal, et pour aborder plutôt la question sous un autre angle.

Au Canada, un long débat a eu lieu au Sénat, au départ, là encore, d'une demande de la population qui, à 80 %, souhaitait qu'on légifère en matière d'euthanasie.

Au terme de leur réflexion, les sénateurs canadiens ont, tous groupes politiques confondus, conclu que l'euthanasie n'était que la partie visible de l'iceberg, et que l'on touchait en fait à la problématique plus large de la fin de vie, à la manière dont on vit la mort dans notre société, à la santé publique, aux relations entre patient et médecin.

Ils ont dès lors estimé qu'il était trop tôt pour légiférer.

Le groupe dont l'oratrice fait partie n'a nullement pour objectif de retarder les débats, et a donc déposé une proposition, pour tenter de faire rentrer la problématique dans un cadre juridique.

Il est vrai que l'état de nécessité est une catégorie juridique floue, mais ce flou comporte un aspect positif, car il permet de répondre aux nécessités d'une société complexe et évolutive.

La proposition de loi a un cadre original, qui présente une grande similitude avec celui de la proposition nº 2-160/1.

Le texte s'insère dans l'arrêté royal nº 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice de l'art de guérir.

La volonté politique est d'indiquer par là que l'on touche à un problème de santé publique et privée, et qu'une approche strictement pénale serait extrêmement réductrice.

Il s'agit de donner des directives et une certaine modernité aux relations entre médecin, équipe soignante et patient.

Comme déjà indiqué, le premier chapitre est relatif aux soins palliatifs et continus.

Ce dernier terme a une portée plus large, et a été suggéré par certains médecins, pour indiquer qu'il faut s'efforcer de prendre le patient en charge le plus tôt possible, dès qu'il souffre d'une maladie grave, et de lui offrir un accompagnement complet, qui ne se limite pas à l'administration de soins strictement médicaux, mais qui prenne en compte la personne dans sa totalité.

Les soins palliatifs concernent plus spécifiquement la phase terminale. L'article 36bis proposé reprend uniquement la définition de ce que l'on entend actuellement par soins palliatifs dans la pratique.

L'article 36ter consacre un droit subjectif à des soins palliatifs et continus de qualité, que le patient pourra invoquer, et qui favorisera le développement d'une véritable politique en la matière.

Sans doute faudra-t-il légiférer davantage sur la question des soins palliatifs, même si, à partir du 1er janvier 2000, de grands progrès seront faits dans le remboursement des forfaits en la matière, notamment en ce qui concerne les soins à domicile.

Les auteurs de la proposition de loi veulent insister sur la formation des professionnels. Ils se sont aperçus que, si une partie de ces professionnels sont prêts à s'inscrire dans une dynamique en cette matière, parce qu'ils jouent un rôle de pionniers, certains médecins sont encore peu familiarisés avec les soins palliatifs, et sont demandeurs de la formation d'équipes modernes et pluridisciplinaires.

En cette matière, les principes non seulement d'équité mais aussi d'égalité (considérée tant du point de vue du patient que de celui des structures et des équipes) doivent être respectés.

Le chapitre IIIter est intitulé « Fin de vie », pour indiquer qu'au cours de cette nouvelle législature, d'autres dossiers éthiques seront probablement abordés, la réflexion actuelle n'étant qu'une étape vers une discussion plus large relative à l'ensemble de la problématique de la fin de vie.

Dans ce chapitre, l'article 36quater proposé reprend un article qui figure actuellement dans les codes de déontologie médicale, et selon lequel il appartient au médecin d'assister le patient pour soulager ses souffrances tant morales que physiques et préserver sa dignité.

L'article 36quinquies a deux volets.

Le paragraphe premier proscrit l'acharnement thérapeutique, sans préjudice, bien évidemment, de la liberté thérapeutique.

Cet article tend à répondre à la crainte exprimée par certains patients, qui craignent d'être victimes d'un tel acharnement, pour des motifs de rentabilisation du matériel médical.

Le second paragraphe vise au contraire l'abandon thérapeutique. Là encore, il s'agit de répondre à la préoccupation exprimée par certains patients, que ce soit à domicile ou à l'hôpital, qui se plaignent de ne pas être traités, d'être abandonnés à eux-mêmes, parfois même pour les choses les plus simples.

L'article 36sexies consacre la position actuelle du groupe auquel appartient l'oratrice sur les demandes d'euthanasie.

On vise ici uniquement la demande exprimée par un patient conscient.

L'article établit, sous les littera a) à f), une série de conditions procédurales minimales, que le médecin doit respecter avant de faire droit à une demande d'euthanasie.

Il s'agit bien ici du règlement procédural a priori visé dans la position 3 décrite dans l'avis du Comité consultatif de bioéthique.

Les auteurs de la proposition estiment que des dispositions régissant les relations entre patient et médecin ont davantage leur place dans un texte relatif à l'art de guérir que dans le Code pénal.

Les conditions procédurales sont les suivantes :

­ la demande doit avoir été formulée de façon expresse et sans équivoque par le patient lui-même; en effet, si l'avis de la famille revêt une grande importance, on sait aussi que celle-ci n'est pas toujours sur la même longueur d'ondes que le patient;

­ le médecin doit établir un lien privilégié avec le patient afin de s'entretenir avec lui au sujet de sa demande d'euthanasie; on rejoint ici l'idée du colloque singulier, reprise dans d'autres propositions. Si beaucoup de médecins le font, d'autres, selon certains patients, ne prennent pas le temps de le faire, n'en ont pas l'habitude, ou ne savent pas comment aborder la problématique de la fin de vie. Des efforts de formation seraient nécessaires en la matière;

­ le patient doit être informé. Les auteurs de la proposition n'ont pas voulu reprendre dans celle-ci tous les droits des patients (cf. l'avant-projet de loi existant à ce sujet lors de la précédente législature), car il s'agit d'une problématique fort large. Cependant, les auteurs de la proposition se déclarent prêts à joindre cette question au débat, si les commissions le souhaitent. Par ailleurs, ils désirent souligner la nécessité d'informer le patient sur les possibilités de prises en charge palliatives existantes;

­ le médecin doit ensuite s'assurer de la détermination réelle et personnelle du patient à ce qu'il soit mis fin à ses jours;

­ en cas de volonté persistante du patient, le médecin doit recueillir l'avis d'un médecin tiers, de l'équipe soignante, et éventuellement des proches.

Les auteurs de la proposition sont en effet convaincus que le médecin doit pratiquer une éthique de la discussion, et avoir la modestie de prendre des avis, qui seront du reste non-contraignants (personnel infirmier, confrère, comité d'éthique, ...).

Au terme de toutes ces démarches, le médecin apprécie la demande du patient au regard du caractère irréductible et insupportable de la souffrance (le second de ces deux termes revêtant un aspect plus subjectif), du caractère incurable de sa maladie (ce qui n'est pas toujours aisé à apprécier), et du pronostic d'un décès à brève échéance (cette échéance étant laissée à l'appréciation du médecin).

Le médecin qui accepte d'intervenir dans ces circonstances exceptionnelles est présumé se trouver en état de nécessité.

On répond ainsi au souci de sécurité juridique, exprimé dans la position nº 3 de l'avis du Comité consultatif de bioéthique.

Un état de nécessité est avant tout une situation que le médecin apprécie.

Il s'agit d'un concept bien connu des cours et tribunaux, mais aussi des médecins.

La présomption établie par la proposition ne change pas grand-chose par rapport au droit commun, puisqu'en matière pénale, c'est au plaignant ou au ministère public que revient la charge de la preuve.

Cependant, l'appréciation de l'état de nécessité n'est pas aisée. C'est pourquoi les auteurs de la proposition ont introduit la notion de « médecin de référence ».

Lorsque le médecin pratique l'acte d'euthanasie, il ne transmet pas le dossier qu'il a constitué directement au parquet, dont on sait qu'il est généralement surchargé.

Le but est de créer un interface entre les médecins et la justice, les rapports entre eux étant de plus en plus tendus.

Ainsi, au cours de la précédente législature, on a connu le problème du secret professionnel en matière de délinquance sexuelle, et le dossier de la libération conditionnelle.

On a pu percevoir le malaise que ressentent les médecins, les psychologues, les assistants sociaux à l'égard de la justice, parce qu'ils ne savant pas s'ils sont réellement partenaires de celle-ci, ou si leurs rapports avec elle obéissent à une autre logique.

La notion de « médecin de référence » a été proposée également dans le cadre de l'aménagement du secret professionnel. Elle n'existe pas à l'heure actuelle, le Code judiciaire ne prévoyant que les experts près les tribunaux; les médecins légistes sont choisis sur une liste déposée près les cours et tribunaux, sans autre forme de réglementation.

Le médecin de référence figurerait sur une liste reconnue par les tribunaux. On pourrait, par arrêté royal, prévoir ultérieurement une agréation garantissant une formation particulière en matière de fin de vie.

Ce médecin vérifierait, sur base du dossier, que les conditions de fond et de forme ont été respectées.

Ensuite, conformément au droit commun, il enverrait un certificat à l'officier d'état civil (article 77 du Code civil). On ne changerait donc rien aux dispositions actuelles sur l'inhumation.

En ce qui concerne l'article 5 de la proposition, il prévoit des peines d'amende pour les médecins qui ne respectent pas les conditions de forme, sans préjudice des sanctions pénales existant en matière d'homicide.

En effet, dans l'art de guérir, toute obligation que l'on impose à un médecin est sanctionnée.

L'appréciation de l'état de nécessité demeure quant à elle dans le volet pénal.

Enfin, l'article 6 de la proposition concerne l'entrée en vigueur. À cet égard, on pourrait créer, comme le suggèrent certains, une commission d'évaluation comparable à celle créée en matière d'interruption volontaire de grossesse.

Les auteurs de la proposition ont été impressionnés par les argument développés par les docteurs Markstein et Clumeck dans la carte blanche publiée dans Le Soir du 9 décembre 1997, et par une intervention récente du docteur Clumeck lors d'un débat télévisé.

Ces praticiens insistaient sur le caractère complexe et évolutif de la matière, et suggéraient de prévoir une période probatoire.

La proposition fixe cette période à trois ans; au terme de celle-ci, on pourrait évaluer la législation nouvelle, au départ de toutes les informations qu'auraient centralisées les médecins de référence, et déterminer s'il faut adapter cette législation.

La méthode moderne consistant à légiférer par le biais de lois provisoires est de plus en plus appliquée, notamment dans les pays anglo-saxons, qu'il s'agisse ou non de matières éthiques.

Bien d'autres débats éthiques que celui de l'euthanasie attendent le législateur dans les années à venir.

Celui-ci doit avoir le souci de ne pas s'enfermer dans une législation figée.


6. Proposition de loi visant à protéger les droits et la dignité de l'homme à l'approche de la mort (de M. Hugo Vandenberghe et consorts); nº 2-160/1

Exposé introductif de l'auteur principal de la proposition de loi

L'intervenant fait remarquer que les problèmes relatifs à l'approche de la mort sont abordés d'une façon cohérente et générale dans la proposition de loi soumise. La réduction de cette problématique à la question de savoir dans quelle mesure le Code pénal doit être modifié est une approche trop limitée pour saisir la complexité de tous les problèmes qui surviennent à la fin de la vie.

Dans cette matière, le discours purement pénal est l'expression d'une vision purement politico-mécanique où la complexité de la vie est par trop réduite à la simple question suivante : le tabou séculaire « tu ne tueras point » doit-il être levé ?

En adoptant un tel point de vue réducteur, on pourrait donner l'impression que l'euthanasie est surtout une soupape de sécurité aux problèmes précis qui se posent lors d'une pénurie de soins.

C'est pourquoi le chapitre Ier de la proposition de loi vise à faire reconnaître les soins palliatifs comme un droit fondamental pour tous. Il est compréhensible que le patient qui endure les formes de souffrances les plus extrêmes demande l'euthanasie. Toutefois, la dépénalisation de l'euthanasie pourrait être un argument facile pour ne plus devoir faire les efforts maximums en vue de garantir un éventail de soins complet à l'approche de la mort. C'est pour cette raison que la proposition opte pour une autre voie : celle du droit absolu aux soins palliatifs.

Les soins palliatifs sont un sujet assez récent, dont on a beaucoup parlé sans aller plus loin. La politique y afférente est cependant très difficile à mettre en oeuvre, entre autres en raison de problèmes de répartition de compétences. La proposition veut mettre fin à cette situation en reconnaissant en premier lieu le droit fondamental de chacun de recourir à de tels soins. Le Roi a été chargé d'élaborer, dans un délai de deux ans, un système complet d'assistance en la matière. Cela implique entre autres que ces soins ne soient pas seulement organisés dans les hôpitaux mais également dans les MRS et les soins à domicile.

L'intervenant souligne que ces dispositions n'ont nullement pour but de reporter aux calendes grecques le débat sur l'euthanasie. Elles s'appuient sur la conviction que la loi pénale est indispensable pour protéger la vie humaine mais totalement insuffisante pour assurer une fin de vie digne au patient.

Il poursuit en disant qu'une législation portant sur des problèmes éthiques est toujours établie au départ de prises de positions éthiques qui peuvent évidemment être différentes. Le point de départ de cette proposition est que la vie humaine a une valeur autonome, qui n'est pas déterminée par un jugement individuel propre. Ce principe est également exprimé à l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. »

Celui qui estime que le législateur doit être attentif à certaines situations concrètes ne peut pas éluder ce principe de base.

On oppose souvent à cette conception l'autonomie de la personne humaine, sur base de laquelle chaque personne devrait pouvoir disposer d'elle-même. Le droit à l'autodétermination n'est cependant jamais formulé en tant que tel. Un principe général d'autodétermination est, certes, reconnu et se trouve à la base d'une série de droits de l'homme. Une caractéristique de ces derniers, qui expriment l'autonomie individuelle, réside dans le fait que cette autonomie peut être limitée en fonction du droit.

Par conséquent, le principe de l'autodétermination ne signifie pas que la société doive purement et simplement accéder à chaque demande de l'individu concernant sa propre vie. Cela mènerait à des situations sociales très peu souhaitables. Ce principe implique que l'individu intervienne de façon autonome dans le processus décisionnel relatif à sa personne, qui doit être pris au sérieux et auquel la société doit répondre.

Que signifie cela par rapport à une réglementation légale possible au sujet des problèmes de fin de vie imminente ? Étant donné que la loi se situe au niveau normatif et non au niveau des faits, elle présente toujours une dimension éthique et ne peut pas simplement être une confirmation de situations de fait. La loi ne peut pas davantage se limiter à la simple reproduction de principes éthiques, mais elle doit tenir compte de la complexité de la société. Elle ne peut pas être étrangère aux situations de fait et aux convictions existant dans une société.

Il faut en permanence confronter la loi à la réalité.

Les chiffres relatifs aux causes de décès, auxquels il a déjà été fait référence, peuvent donner une indication de la situation réelle en Belgique, mais ils ne sont pas un reflet fiable de la réalité. Contrairement aux Pays-Bas, la Belgique ne dispose toujours pas d'un système objectif et contraignant d'enregistrement des causes de décès. Les données pour notre pays fournissent, certes, une indication, mais elles sont, en tout état de cause, le résultat d'une estimation subjective.

Ces quelques éléments n'empêchent pas que l'on puisse actuellement accepter, à la demande ou non du patient, qu'il soit mis fin à la vie de manière active. Le principe de l'autodétermination exige en tout cas que le patient sache ce qui lui arrive, qu'il puisse donner son avis, que le processus décisionnel médical soit plus transparent pour toutes les décisions médicales prises à l'approche de la fin de vie. Le législateur ne peut absolument pas faire abstraction de ce problème très important et se limiter à une réglementation de l'euthanasie, qui n'est qu'un élément très limité de la question.

La garantie de cette transparence dans le traitement médical à l'égard du patient en phase terminale est l'objectif le plus important du deuxième chapitre de la proposition de loi.

L'intervenant souligne qu'il n'a pas l'intention de donner des leçons de morale mais que, dans le plus grand respect des points de vue de chacun, il souhaite défendre sa conception. Le principe du « colloque singulier » entre le médecin et le patient est un élément important de notre médecine. Cette dernière ne peut fonctionner si la société n'a pas confiance dans le corps médical. Cette confiance ne peut cependant pas être illimitée. On constate que les pouvoirs publics ont élaboré un vaste système de contrôle du comportement des médecins en matière de prescriptions dans le cadre de l'assurance soins de santé, sans rencontrer de grande résistance.

Toutefois, dans un domaine important comme les décisions à prendre à l'approche de la fin de vie, d'aucuns estiment que tout contrôle des actes médicaux est totalement inadmissible. En respectant sur ce plan, et pas seulement en matière d'euthanasie, des exigences minimales de concertation et de contrôle, toute la matière serait non seulement beaucoup plus transparente, mais sortirait également du domaine des tabous.

C'est pour cette raison aussi que, dans la proposition, une réglementation légale de l'euthanasie pour les personnes incapables d'exprimer leur volonté n'a pas été retenue. Ce rejet ne signifie pas que l'on ne puisse pas être sensible à certaines situations concrètes. On ne peut cependant exiger du législateur qu'il réponde par oui ou par non à chaque question qui lui est posée dans une telle matière. La complexité de cette matière est trop méconnue. Le législateur peut, certes, créer un cadre général qui offre un maximum de sécurité juridique, en fin de vie également, lorsque le patient est en position d'extrême faiblesse.

Selon l'intervenant, il est absurde d'attribuer une reconnaissance légale au testament de vie. La problématique des personnes incapables d'exprimer leur volonté s'inscrit dans le cadre des dispositions du deuxième chapitre de la proposition. Si le patient, pleinement conscient, a, par écrit, émis un souhait ou désigné une personne de confiance, ce sera pour le médecin traitant un élément à prendre en compte lorsque l'intéressé se trouvera dans un état comateux et qu'il faudra prendre des décisions au sujet du traitement à lui administrer pour le maintenir en vie.

C'est différent de l'élaboration d'un système réglant de manière rigide l'interruption de vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté.

Dans la proposition de loi, comme dans une série d'autres textes dont nous disposons, l'euthanasie est abordée sous l'angle de l'état de détresse. Cette approche coïncide avec la troisième proposition formulée par le Comité consultatif de bioéthique qui fait remarquer ­ et le fait est important ­ que l'examen de la proposition 3 avait mené à un rapprochement entre plusieurs partisans et adversaires de la disposition d'interdiction relative à l'euthanasie.

Il est normal que le législateur, lorsqu'il doit prendre des décisions dans le domaine éthique, soit confronté à différentes conceptions. Il est illégitime que, lors de la prise de décision, il se prononce purement et simplement en faveur de l'une de ces conceptions et repousse l'autre. Il lui appartient, certainement dans de telles matières, de chercher à obtenir une adhésion maximale de la population à l'égard de la réglementation concernée. Cela implique que les différentes conceptions circulant au sein de la population soient autant que possible intégrées à la réglementation.

Partant de ce point de vue à la lumière de l'avis du Comité consultatif de bioéthique, on peut, à certaines conditions et dans des situations déterminées, reconnaître un état de détresse pour pratiquer l'euthanasie à la demande du patient.

Dans le chef du patient, on peut parler d'état de détresse en cas de souffrance insupportable qui ne peut être soulagée et qui est le motif de la demande persistante d'euthanasie. Une approche strictement légaliste du droit pénal ne peut offrir de réponse à une telle question. C'est pourquoi il faut prévoir la possibilité d'opter pour une solution fondée sur l'équité. La reconnaissance de l'état de détresse existe déjà depuis plusieurs siècles dans notre système juridique.

Le recours à l'état de détresse n'est possible, dans l'optique de la proposition, qu'en respectant des conditions minimales, tant avant qu'après l'acte. Celles-ci doivent offrir au patient la sécurité juridique nécessaire et rendre possible un contrôle a posteriori. Ce contrôle implique entre autres que le dossier soit examiné par un expert agréé en médecine légale, avant d'être transmis au parquet.

Les quatrièmes et cinquième chapitres ont pour but de moderniser la législation belge en matière de déclarations de décès. Le système d'enregistrement actuel date de 1804 et est totalement dépassé. Cette problématique est évidemment plus large que la question de l'euthanasie, mais ici aussi la législation ne remplit pas complètement son rôle sur le plan de la protection de la vie privée.

L'intervenant conclut en disant que la déclaration du gouvernement stipule que les problèmes éthiques doivent faire l'objet d'un débat parlementaire serein. Le groupe auquel appartient l'intervenant a clairement indiqué dès le début de cette législature qu'il ne souhaitait pas jouer son rôle de parti d'opposition d'une matière simplement négative. Par conséquent, le groupe collaborera activement, de façon à aboutir à un consensus en cette matière. Il espère pouvoir y retrouver dans une large mesure les principes exposés ci-dessus.


7. Proposition de résolution relative au développement d'un plan de soins palliatifs axés sur les besoins du patient (de Mme Iris van Riet et consorts); nº 2-106/1

Les auteurs de la proposition de résolution demandent au gouvernement d'élaborer un plan de soins palliatifs axés sur les besoins du patient en phase terminale et prenant en compte toutes les formes de soins (soins à domicile, centres de jour, réseaux de soins palliatifs, associations de soins palliatifs et unités de soins palliatifs) de manière, précisément, à répondre aux besoins du patient.

La proposition de résolution doit être lue en corrélation avec la proposition de loi sur l'euthanasie (doc. Sénat nº 2-105/1).

Afin que le respect de la volonté du patient et le droit de s'éteindre dans la dignité soient garantis au maximum, il faut, d'une part, créer un cadre légal en ce qui concerne l'euthanasie et, d'autre part, élaborer un système de soins palliatifs. La demande impliquant une intervention euthanasique ne peut résulter d'une carence du système de soins palliatifs, mais elle continuera à être formulée, même en présence d'un système de soins palliatifs étendu et de qualité. Les pouvoirs publics doivent éviter que des patients n'optent pour l'euthanasie parce qu'ils ne peuvent bénéficier de soins de qualité. Le respect de la volonté du patient ne peut être garanti que si les deux options existent en parallèle et si l'offre de soins palliatifs répond aux besoins du patient.

Une des missions essentielles incombant aux pouvoirs publics dans le domaine des soins de santé est de parvenir à une adéquation entre les besoins de la population et l'offre de services. Il n'en va pas autrement en ce qui concerne les soins palliatifs. Les besoins sont en effet connus. On sait que plus de 70 % des personnes souhaitent mourir chez elles, alors que 70 % des gens meurent dans des hôpitaux et seulement 3 % dans des unités spécifiques de soins palliatifs. Seulement 20 % des mourants peuvent bénéficier d'un accompagnement à domicile.

Bon nombre d'initiatives ont été prises par le passé, tant au niveau fédéral qu'au niveau des communautés, en matière de soins palliatifs. Récemment encore, le gouvernement a décidé d'accorder, à partir du 1er janvier 2000, une aide financière pour les patients en phase terminale qui bénéficient de soins à domicile. L'arrêté royal qui sera pris prochainement prévoit l'octroi d'une intervention forfaitaire, d'un montant de 19 500 francs pour trente jours, pour les médicaments, les produits de soins et les dispositifs médicaux destinés aux patients bénéficiant de soins palliatifs à domicile. Cette intervention pourra être accordée deux fois.

Ces diverses initiatives donnent parfois l'impression, erronée, que l'organisation des soins palliatifs est optimale dans notre pays. À y regarder de plus près, on s'aperçoit toutefois que les initiatives actuelles présentent encore de nombreuses lacunes :

­ le vieillissement de la population, l'augmentation du nombre de cancéreux et de sidéens et la progression des maladies chroniques entraînant une dégradation rapide de l'état des patients exigeront que soit étoffée l'offre en matière de soins palliatifs;

­ le financement des initiatives existantes pèche actuellement par un manque de continuité. Certaines initiatives ne subsistent que grâce à la philanthropie, alors que d'autres sont contrariées dans leur mise en oeuvre en raison d'un soutien financier insuffisant;

­ il ressort des statistiques relatives à la mortalité que sur les 102 215 personnes qui sont décédées en 1990, 60 427 sont mortes à l'hôpital, 12 401 dans une maison de retraite et 25 269 chez elles. Une autre étude montre que la majorité des patients souhaitent mourir chez eux, alors que, dans la pratique, il s'avère que seule une faible minorité des patients arrivés en phase terminale peut bénéficier d'une aide aux mourants à domicile. À l'heure actuelle, le patient qui est soigné à domicile subit un préjudice financier par rapport à celui qui bénéficie de soins hospitaliers. Si l'on veut garantir la liberté de choix du patient, il convient d'affecter davantage de moyens aux soins palliatifs à domicile. Le manque de préparation des dispensateurs de soins, l'insuffisance de l'aide apportée à la personne qui dispense les soins de proximité et le manque de services de gardes-malades constituent également des entraves aux soins palliatifs.

L'accompagnement des mourants est une mission essentielle de la médecine, même si elle est souvent négligée. Il va de soi qu'il est nécessaire, pour assurer la qualité des soins palliatifs, que les médecins et le personnel infirmier bénéficient d'une formation et d'un recyclage dans le domaine de l'analgésie.

Il convient non seulement d'adopter une approche interdisciplinaire des soins palliatifs dispensés aux cancéreux, mais également d'accroître l'expertise dans le domaine des soins palliatifs dispensés dans le cadre d'autres maladies en phase terminale, telles que la démence, et dans le domaine de la pédiatrie palliative.

Les compétences en matière de soins palliatifs étant réparties entre l'autorité fédérale et les communautés, la mise en oeuvre d'une politique élaborée en matière de soins palliatifs suppose une collaboration approfondie entre les différents niveaux de pouvoir concernés. C'est pourquoi la proposition de résolution demande au gouvernement de prendre les initiatives nécessaires à la conclusion d'un accord de coopération entre l'État fédéral et la Communauté française, d'une part, et entre l'État fédéral et la Communauté flamande, d'autre part, dans le domaine des soins palliatifs.

La proposition de résolution demande également au gouvernement de développer un plan de soins palliatifs, afin de permettre l'élaboration d'une politique axée sur les besoins du patient dans le domaine des traitements palliatifs.

Il convient donc qu'un plan de soins palliatifs définisse une approche cohérente de l'accompagnement de la fin de vie. S'il faudra, dans ce cadre, harmoniser entre elles toutes les formes de soins, il faudra, avant tout, les moduler en fonction des besoins du patient.

Ce n'est qu'alors que l'on pourra parler de soins sur mesure et de « respect du libre choix du patient ».

Pour memorie

C. PRÉSENTATION DE TROIS NOUVELLES PROPOSITIONS DE LOI DÉPOSÉES PAR SIX SÉNATEURS

1. Proposition de loi relative à l'euthanasie (de M. Philippe Mahoux et consorts); nº 2-244/1

Exposé introductif de l'auteur principal de la proposition de loi

La proposition de loi s'inscrit dans un ensemble de trois propositions traitant respectivement de l'euthanasie, de la création d'une commission d'évaluation sur l'application de la loi nouvelle, et des soins palliatifs.

Il est nécessaire que ces trois propositions, dont les six auteurs assument la responsabilité de façon égale, soient déposées en même temps et qu'elles forment un ensemble.

Il paraît en effet à leurs auteurs qu'en ce qui concerne plus particulièrement l'euthanasie et les soins palliatifs, une approche n'est pas opposable à l'autre.

C'est l'ensemble de ces propositions de loi qui, dans la problématique des maladies incurables, souhaite apporter la solution la plus humaine, qui assure à la fois la sécurité juridique maximale, la liberté du patient, et le fait que, dans ces circonstances difficiles, si la volonté du patient se manifeste dans ce sens, l'ensemble des intervenants puissent à la fois exprimer leur opinion et intervenir, afin que les soins prodigués soient les meilleurs possibles.

Si c'est le patient qui, en définitive, prend la décision, tout, dans les propositions de loi, indique que l'ensemble de ceux qui entourent le malade seront concernés par la décision.

La problématique de l'euthanasie fait depuis longtemps l'objet de discussions au niveau du Sénat.

De nombreux intervenants ont été entendus au cours du débat public tenu lors de la précédente législature. Des représentants du Comité consultatif de bioéthique ont été réentendus par les présentes commissions réunies, sur l'ensemble des problèmes relatifs aux propositions de loi déposées.

Si l'ensemble des partis de la majorité et certains partis de l'opposition ont voulu aborder ces problèmes de manière ouverte, il est apparu, après analyse de toutes les propositions de loi déposées sur le sujet, des convergences mais aussi des divergences fondamentales, malgré le chemin parcouru par certains.

Il y a lieu de souligner que les trois dernières propositions de loi déposées ont fait l'objet de réactions venant de représentants de partis, et non de parlementaires.

Ces réactions faisaient état de politisation, alors que les propositions en question ont été déposées au Parlement après un débat autour des convergences existant entre les propositions défendues par les six auteurs.

En effet, les auteurs des trois propositions de loi se sont entendus, à la fois dans le cadre d'une avancée en matière de soins palliatifs et en matière d'euthanasie, sur la volonté que, si le patient atteint d'une maladie incurable, présentant des souffrances physiques ou une détresse qu'on ne peut soulager, exprime de façon réitérée une demande d'euthanasie, le médecin puisse répondre à cette demande.

Les auteurs des trois propositions ont souhaité que, si telle était la volonté du patient, d'autres personnes soient associées au processus, ce qui sera le cas si les conditions optimales sont réunies. C'est pourquoi, même si les auteurs des trois propositions de loi restent convaincus que c'est le patient qui décide, avec le médecin auquel il a adressé la demande, le texte prévoit que le médecin doit s'assurer que le malade a eu l'occasion de s'entretenir avec l'ensemble des personnes de son entourage, y compris, le cas échéant, l'équipe soignante.

En outre, si le patient exprime la volonté que certaines personnes soient consultées, le médecin a l'obligation de le faire.

Cependant, une fois encore, c'est le malade qui est maître de sa décision, exerçant en cela sa liberté et sa responsabilité, puisque c'est lui qui est le mieux placé pour apprécier la situation où il se trouve, même si celle-ci peut ­ et, s'il le souhaite, doit ­ être éclairée par son entourage.

En ce qui concerne la sécurité juridique, les auteurs des trois propositions estiment que, lorsqu'une euthanasie est pratiquée dans le respect des conditions, il convient de dépénaliser l'acte ainsi posé. Il s'agit en effet d'assurer une véritable sécurité juridique, non seulement pour le patient, mais aussi pour le médecin, en lui permettant de répondre à la demande qui lui est adressée.

La sécurité juridique est également assurée par la déclaration obligatoire au procureur du Roi, et par l'obligation pour le médecin de consigner dans un dossier l'ensemble des étapes qui ont été franchies.

Quelle sécurité résulterait de l'inscription dans un texte de la notion d'état de nécessité, surtout s'il s'agit d'un texte relevant de l'art de guérir ?

Les trois propositions ont de l'euthanasie et des soins palliatifs une approche qui se veut respectueuse de l'ensemble des opinions, y compris de l'opinion de celles et ceux qui pensent que l'euthanasie doit être dépénalisée et peut être pratiquée, et de la volonté des malades qui la demandent.

En effet, la liberté de conscience de l'ensemble des intervenants est parfaitement respectée par les trois propositions.

Le médecin est libre d'accepter ou non la demande du malade, même si, dans ce dernier cas, il doit, en temps utile, informer le malade de son refus.

Mais un médecin ou une équipe soignante pourraient aussi mettre certaines conditions à la réponse qu'il(s) accorde(nt) au malade.

Les trois propositions tendent en effet à offrir la solution la plus ouverte, y compris en termes de pratiques.

En ce qui concerne la problématique des malades inconscients, les trois propositions indiquent clairement que le malade inconscient est celui qui ne peut pas exprimer sa volonté et qui ne peut pas être ramené à la conscience.

La problématique des mineurs pose quant à elle des problèmes extrêmement douloureux, même s'il n'y a pas, en la matière, de gradation dans la douleur.

Les auteurs des trois propositions de loi n'ont pas voulu la régler ici.

En ce qui concerne les patients inconscients, la position des auteurs des trois propositions est la suivante : quand un individu aura considéré, au cours de son existence, que s'il se trouve dans une circonstance où il ne peut exprimer sa volonté, et qu'il a rédigé une déclaration anticipée selon laquelle, dans telles circonstances ­ décrites dans la proposition de loi sur l'euthanasie ­, c'est une autre personne ­ clairement et préalablement désignée par lui ­ qui s'exprimera en son nom, on se trouvera dans les mêmes circonstances qu'à l'égard d'un patient à même d'exprimer sa volonté.

On a cependant pris en compte le fait que l'on ne raisonne pas nécessairement de la même manière, selon que l'on est malade ou bien portant et que, d'autre part, au cours de l'existence, la personne que l'on mandate peut changer.

C'est pourquoi les auteurs ont prévu que la déclaration doit être renouvelée tous les cinq ans. Pour être valable, elle doit avoir été rédigée dans les cinq ans qui précèdent. D'autre part, les mandataires peuvent être multiples, et un ordre pourra être établi entre eux.

Il paraît essentiel aux auteurs des trois propositions de loi que la liberté fondamentale et existentielle de chaque individu de déterminer ce qu'est sa vie soit respectée, dans le respect, bien évidemment, de la liberté d'autrui.

Le système qu'ils proposent permet de respecter cette volonté, à la fois pour les patients conscients, qui peuvent s'exprimer personnellement, et pour les patients inconscients, qui le font par l'intermédiaire de la personne qu'ils ont choisie anticipativement.

Que de chemin parcouru depuis les résistances exprimées, il n'y a pas si longtemps, dans les hôpitaux, les associations, les églises, ..., à propos de la problématique de l'acharnement thérapeutique et de celle des soins palliatifs.

Que d'énergie n'a-t-il pas fallu déployer pour aboutir à des situations qui rendent à chaque individu sa liberté, et la possibilité de voir sa volonté rencontrée, et pour faire considérer l'acharnement thérapeutique comme un déni d'humanité, et les soins palliatifs comme une chose souhaitable.

Que de chemin parcouru par rapport à une forme de sacralisation de la douleur, où s'opposaient, d'une part, l'argument d'autorité et la référence à une transcendance, et, d'autre part, une société rendant à l'homme toute sa valeur, où l'humanisme ­ au sens philosophique du terme ­ reprend toute sa place, où l'individu assume pleinement ce qu'est son destin, dans une volonté de solidarité, mais aussi de révolte par rapport à la condition qui lui est faite dans la nature, et au nom d'une loi qui dépasse l'homme lui-même.

L'orateur se réfère à cet égard à l'ouvrage d'Albert Camus, intitulé L'homme révolté. Cet auteur développe un humanisme qui, à la fois, aurait fait le deuil de la transcendance, et aurait pris conscience, parce qu'il s'agit d'une démarche de solidarité, de la nécessité de prendre en compte la situation de ses semblables.

Il semble à l'orateur que le contenu des trois propositions de loi est en adéquation avec la philosophie développée dans l'ouvrage précité : volonté de résister et de se révolter par rapport à ce que certains considèrent comme la fatalité, et par rapport à des conditions qui seraient imposées à tous les individus, quelles que soient leurs convictions, au nom d'un impératif supérieur qu'ils ne partagent pas nécessairement; volonté de partager autant que faire se peut la souffrance et la détresse de ceux et celles qui se trouvent dans ce type de situations, même s'il est un endroit au-delà duquel on ne peut plus accompagner, c'est-à-dire la mort, qui nous renvoie à notre destin individuel; jusqu'au dernier moment, volonté à la fois de respecter la liberté et la responsabilité de tout un chacun, l'opinion des uns et autres de façon tout à fait pluraliste, et d'aider son semblable au maximum des possibilités dont on dispose.

Pour conclure, l'orateur souligne une fois encore que les propositions déposées constituent un tout.

D'autres intervenants diront le souci de leurs auteurs du développement des soins palliatifs, considérant qu'il s'agit de l'une des réponses possibles à des demandes différenciées, que ce soit par leur contenu ou par le moment auquel elles s'expriment.

Les soins palliatifs se développent. Des efforts ont été faits en la matière, mais ils sont encore insuffisants.

Les auteurs ont voulu qu'un texte de loi impose à l'exécutif l'obligation d'instaurer ces soins partout où ils peuvent l'être.

Il leur paraît fondamental que les soins palliatifs, comme l'euthanasie, puissent être accessibles à tous, dans une société où la valeur que constitue l'égalité rejoint les principes de liberté et de solidarité.


2. Proposition de loi visant à créer une commission fédérale d'évaluation de l'application de la loi du ... relative à l'euthanasie (de Mme Jacinta De Roeck et consorts) (nº 2-245/1)

Exposé introductif de l'auteur principal de la proposition de loi

L'intervenante signale que cette proposition de loi est liée à la proposition de loi nº 2-244/1 qui vient d'être exposée.

Tout le monde conviendra que, si la Belgique adopte une réglementation pour l'euthanasie, celle-ci ne sera pas fixée pour l'éternité. Elle devra continuellement être évaluée, corrigée et adaptée aux nouvelles circonstances sociales.

Ces missions seront confiées à une commission d'évaluation fédérale, laquelle aura pour tâche principale de suivre et d'évaluer, de la manière prescrite, la mise en oeuvre pratique de la loi sur l'euthanasie.

La première mission de la commission consistera à élaborer un formulaire d'enregistrement qui sera anonyme et, pour une grande part, dépersonnalisé. Le document indiquera :

­ l'année et le mois du décès;

­ si le patient est décédé en institution ou à domicile;

­ la province du décès;

­ la nature de la maladie dont souffrait le patient;

­ le sexe et l'âge du patient.

Le document n'est pas anonyme seulement en ce qui concerne le patient, puisque le nom du médecin n'y figure pas non plus. Il va de soi que la commission d'évaluation doit respecter cet anonymat. Les discussions se déroulent à huis clos et ont un caractère confidentiel. Tout ceux qui prennent part à la discussion doivent en respecter le secret.

La composition de la commission est, sinon identique, du moins dans une certaine mesure comparable à celle de la Commission nationale d'évaluation de la loi du 3 avril 1990 concernant l'interruption de grossesse. Elle est composée de 16 membres qui sont désignés en tenant compte de la parité linguistique, et chaque groupe linguistique comporte un nombre égal d'hommes et de femmes. Huit membres sont docteurs en médecine, dont quatre au moins sont professeurs dans une université belge. Quatre sont professeurs de droit ou avocats. Le dernier groupe de quatre membres, mais certainement pas le moins important, provient de milieux chargés de la problématique des patients incurables.

La commission établit un rapport tous les deux ans. Elle rassemble d'abord toutes les données statistiques. Sur la base de celles-ci, elle évalue la mise en oeuvre de la loi et, enfin, elle émet des recommandations en vue de l'adaptation éventuelle de la législation elle-même ou de son exécution. Pour remplir ces tâches, la commission peut recueillir toutes les informations utiles auprès de divers services publics et institutions.

Le rapport est rédigé à l'intention des Chambres législatives qui, dans les six mois, le soumettent à un débat.

L'intervenant estime essentiel que ce débat ait lieu à des intervalles réguliers. Cela doit garantir une remise en question constante de la loi sur l'euthanasie et l'adaptation de celle-ci si nécessaire.


3. Proposition de loi relative aux soins palliatifs (de Mme Myriam Vanlerberghe et consorts); nº 2-246/1

Exposé introductif de l'auteur principal de la proposition de loi

L'intervenante signale que les auteurs ont choisi de traiter le problème des soins palliatifs dans une proposition de loi distincte, pour souligner qu'ils estiment que cette matière est aussi importante que celle de l'euthanasie. Après avoir été complètement informé, le patient doit pouvoir décider librement du traitement qu'il souhaite.

Cela implique que les soins palliatifs à domicile ou à l'hôpital doivent s'entendre comme un droit du patient. La garantie d'un tel droit et d'un accès identique de tous les patients n'est possible que si l'offre et la mise en pratique de cette forme de soins sont fortement développés.

Ces principes sont exprimés dans le texte, qui comprend trois volets :

­ assurer à tous les patients un droit aux soins palliatifs;

­ obliger les pouvoirs publics à libérer les moyens nécessaires pour mettre ce droit en oeuvre dans toutes les régions du pays et pour toutes les couches sociales;

­ assurer au patient un droit absolu à l'information sur sa situation et sur les possibilités existant en matière de soins et de traitements.

Il est essentiel que les soins palliatifs soient définis comme une mission légale, non seulement du corps médical mais aussi des pouvoirs publics. Il incombe à ces derniers de garantir au patient un droit absolu à ce type de soins.


D. DÉBUT DE LA DISCUSSION GÉNÉRALE

Une intervenante déclare que le débat qui s'entame en commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales du Sénat sur base de plusieurs propositions de loi relatives à l'euthanasie est la suite logique d'un certain nombre de débats menés depuis plusieurs années autour de cette question.

Cette délicate question, en ce qu'elle touche à la vie et à la mort de tout un chacun, fait l'objet de débats animés, et pas seulement dans notre pays. Débats à ce point délicats que, seuls parmi les pays européens, les Pays-Bas, et encore sans toucher directement à l'interdit affirmé dans la loi pénale, ont « légiféré » sur cette question.

Dans notre pays, bien que le débat date de plusieurs années (la première proposition de loi déposée à ce propos date de 1986), ce n'est que récemment, notamment suite à la mise sur pied du Comité consultatif de bioéthique, qu'il a pris une certaine ampleur. Le Comité consultatif de bioéthique a rendu à la demande des présidents de la Chambre et du Sénat deux avis relatifs à cette question. Le premier, relatif à la fin de vie des patients capables d'exprimer leur volonté, date du 12 mai 1997; le second, relatif à l'arrêt actif de la vie des personnes incapables d'exprimer leur volonté, date du 22 février 1999.

Pour sa part, le Sénat a consacré deux journées à cette question, les 9 et 10 décembre 1997. Ce premier débat parlementaire a essentiellement porté sur l'avis nº 1 du Comité consultatif de bioéthique. Un certain nombre de choses intéressantes y ont été dites.

Dans le cadre de la discussion générale relative aux propositions de loi actuellement déposées, l'intervenante souhaite aborder les points suivants :

1. De la nécessité de bien définir ce qu'est (et donc n'est pas) l'euthanasie.

2. Euthanasie et soins palliatifs : deux aspects indissociables du débat sur la fin de vie.

3. Doit-on nécessairement modifier le Code pénal pour répondre aux demandes d'euthanasie ?

4. « Encadrer » les actes médicaux de fin de vie, une autre approche d'un même débat ?

5. La nécessité d'un débat ouvert et serein et la liberté de conscience pour chaque parlementaire.

1. Bien définir ce qu'est « l'euthanasie »

Avant toutes discussions relatives à l'euthanasie, il convient de bien définir ce qu'est, et donc ce que n'est pas l'euthanasie. Il règne trop d'ambiguïté dans la tête de beaucoup de gens, pour que l'on puisse se passer d'une définition claire.

L'intervenante pense qu'il faut se rallier ici à la définition qu'en donne de manière unanime le Comité consultatif de bioéthique, à savoir : « L'euthanasie est un acte pratiqué par un tiers qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci. » Pour le Comité d'éthique, « l'accent mis dans la définition sur l'intention de mettre fin à la vie, impose de distinguer l'euthanasie proprement dite d'autres actes posés par un médecin tels que l'administration de calmants ou d'analgésiques qui entraînent le risque d'abréger la vie, ou l'arrêt de traitements médicaux vains ».

Il doit donc être bien clair que les actes médicaux visant à soulager la souffrance du patient, même s'ils ont pour conséquence d'abréger la vie du patient, ne sont pas des actes d'euthanasie, de même que l'arrêt de traitements curatifs lorsque ceux-ci ne se justifient plus (acharnement thérapeutique). Quel que soit le texte qui serait adopté, il doit être clair à ce sujet. À la lecture des différentes propositions de loi, cela ne paraît pas évident. Il faudra donc y veiller dans la discussion des différents textes.

2. Euthanasie et soins palliatifs : ne pas dissocier les deux

Lorsque l'on aborde le problème de l'euthanasie, on ne peut pas le dissocier de la problématique des soins continus et palliatifs, de leur qualité et de la possibilité pour tout un chacun d'y avoir accès, de même que d'une réflexion approfondie sur la manière dont fonctionne dans le concret, sur le terrain, au jour le jour, le rapport médecin/patient, médecin/équipe soignante, patient/famille et entourage.

À cet égard, l'intervenante voudrait reprendre à son compte une partie de l'éditorial du nº 5 de juin 1999 du périodique du Comité consultatif de bioéthique, lorsqu'il y est affirmé : « Chacun conviendra que la mort est un moment des plus intimes qui soient, moment que la personne, même entourée de l'affection de ses proches, doit affronter pour elle-même.

Moment qu'elle vit forte ou faible de ses croyances en un au-delà et/ou de ses certitudes.

Moment enfin où elle laisse derrière elle des proches plus ou moins meurtris, avec eux aussi, leurs propres croyances, leurs propres certitudes et leur aptitude plus ou moins grande à vivre l'absence d'un être cher.

Une société qui se veut humaniste ne se doit-elle pas de garantir à chacun de vivre cette étape de la vie en toute sérénité ? Le débat en matière de fin de vie devrait ainsi dans l'idéal permettre que soient effectivement réunies les conditions propices à cette sérénité le moment venu.

L'existence généralisée d'un accès à des soins appropriés (palliatifs ou continus), l'absence de soucis naissant de la prise en charge de leur coût, l'encadrement psychologique du patient et de ses proches, la formation du personnel médical et de soins à l'accompagnement du mourant, sont autant d'éléments indispensables à cette sérénité. Les membres du comité sont unanimes à cet égard. »

Pour l'intervenante, dissocier le débat sur l'euthanasie d'une réflexion sur la manière dont le patient en fin de vie est considéré, sur ce qu'il vit et ressent profondément à l'approche de cette phase inévitable de la vie, sur ce que la société lui offre comme aide et soutien, comme écoute approfondie à ce moment-là, est une forme d'abandon de la société à l'égard des plus vulnérables et des moins autonomes d'entre eux.

Réfléchir à la signification profonde d'une demande d'euthanasie par un malade est indispensable et doit être l'objet d'une écoute attentive. Derrière une telle demande s'en cachent parfois bien d'autres qu'il faut savoir décoder.

Le débat sur l'euthanasie doit aborder ces questions, au risque de voir l'euthanasie être considérée comme une réponse facile d'un État qui, aujourd'hui déjà, a tendance à vouloir rationner l'offre de soins face aux coûts de plus en plus importants de la médecine et des soins, particulièrement chez les personnes âgées. Ne soyons pas naïfs. Qu'on le veuille ou non, la dimension économique, la question des coûts des soins de santé n'est pas absente de tels débats. Nous devons être très clairs à ce sujet : quels sont les moyens que la société accepte de mettre en oeuvre pour assurer à chaque patient une fin de vie la plus sereine possible, comme le rappelle le Comité consultatif de bioéthique lui-même ?

La lettre reçue récemment des docteurs Markstein de Brugmann et Bouckenaere de Saint-Michel est suffisamment explicite à cet égard.

3. Doit-on modifier la loi pénale pour rencontrer les demandes d'euthanasie ?

Plusieurs des propositions actuellement déposées ont choisi la voie de la modification de la loi pénale pour pouvoir rencontrer les demandes d'euthanasie. On peut légitimement se demander si c'est la bonne voie, et ce d'autant plus que ce n'est pas la voie choisie jusqu'ici par nos voisins hollandais, ni par la plupart des membres du Comité consultatif (positions 2, 3 et 4). La note reçue récemment le souligne bien : seuls les tenants de la position 1 proposent une modification de la loi pénale en tant que telle. Il y a là au moins matière à réflexion pour le législateur.

Il n'est pas inutile de rappeler ici la portée de la loi pénale, à l'instar de nombreux professeurs et praticiens du droit pénal. Ceux-ci rappellent que la loi pénale a notamment pour fonction d'assurer le respect d'un ordre moral et social, de valeurs fondamentales comme le respect des droits de l'homme, de la liberté individuelle, le respect de l'intégrité physique et psychique de chaque être humain. C'est ainsi qu'en son titre VIII du livre II, notre Code pénal garantit le respect de l'intégrité d'autrui sous le libellé « Des crimes et délits contre les personnes », plus précisément aux articles 393 à 397.

La loi pénale, en ce qu'elle punit celui qui donne la mort, veut ainsi assurer la protection de toute vie humaine. Elle donne une indication claire de ce que la société considère comme un droit inaliénable de chaque être humain, à savoir la protection absolue de son intégrité physique.

Rappelons aussi le code de déontologie médicale qui date de 1992, et qui prévoit en son article 95 : « Le médecin ne peut provoquer délibérément la mort d'un malade ni l'aider à se suicider. » On peut se demander ce que deviendrait cette disposition si notre droit pénal venait à être modifié.

L'intervenante voit là, pour le moins, une contradiction majeure qui devrait être soulevée auprès de ceux qui, en 1992, ont été à la base de la rédaction de cet article du code de déontologie médicale, situé dans le chapitre intitulé « Vie finissante ».

Cependant, en édictant la règle, le législateur a également accepté que des circonstances exceptionnelles puissent se produire, qui non seulement rendent la sanction pénale inopportune mais peuvent même donner à l'acte posé un caractère licite et conforme au droit.

La possibilité pour les infractions d'être objectivement justifiées s'exprime à travers les trois causes générales de justification que sont l'état de nécessité, la légitime défense et l'autorisation de la loi.

Ajoutons à cela que chez nous, le ministère public bénéficie du pouvoir d'apprécier l'opportunité des poursuites, et ce même lorsqu'une juridiction de jugement est saisie. Cela permet également au ministère public de ne pas poursuivre lorsque, manifestement, la situation ne le justifie pas.

Plusieurs des propositions de loi actuellement déposées en matière d'euthanasie ont emprunté la voie de la réglementation, c'est-à-dire de la définition des circonstances dans lesquelles l'acte de tuer peut être justifié, en prévoyant toutes l'ajout d'un article 417bis à la section 4 intitulée « De l'homicide, des blessures et des coups justifiés » du titre VIII (Des délits et crimes contre les personnes).

Cette voie paraît délicate à plusieurs égard.

D'abord, elle touche à un principe essentiel dans une société, qui est la garantie du respect de l'intégrité physique de chaque être humain. Ce droit est non seulement garanti par notre droit pénal mais également par de nombreuses conventions internationales comme la Convention européenne des droits de l'homme, tout particulièrement en son article 2.

Ensuite, il paraît difficile, voire quasiment impossible, de rencontrer dans un texte de loi de cette nature la diversité et la complexité des situations qu l'on peut rencontrer chez les personnes en fin de vie.

Soit les exceptions seront trop étroites, et un certain nombre de situations qui devraient être éventuellement justifiées ne pourront pas l'être. Soit la définition est trop large, et les risques de dérives sont trop grands. Dans un article récent tout à fait remarquable, et publié dans la revue Louvain de novembre 1999, Roger Lallemand lui-même reconnaît : « Il y aura toujours des cas limites qui ouvriront le débat de conscience. Ils sont difficilement définissables par une norme. Nous le sentons au plus profond de nous : la loi ne pourra jamais, à elle seule, régler de façon satisfaisante la pratique de la mort. »

Un tableau comparatif des propositions qui a été dressé montre bien la difficulté de l'exercice. Les uns parlent d'un malade en phase terminale (proposition nº 2-105/1), d'autres de maladie incurable entraînant le décès dans un délai rapproché et causant des souffrances insupportables, (proposition nº 2-22/1), d'autres encore d'état de détresse ou de la souffrance physique d'un malade incurable (proposition nº 2-10/1), pour ne citer que quelques exemples.

Il est évident que chacune de ces dispositions pose question, et qu'aucune ne parviendra à englober l'ensemble des différentes situations qui peuvent se présenter et qui pourraient justifier un acte d'euthanasie.

Quoi qu'on fasse, toute formule réglementaire constituera inévitablement au regard du fait à appréhender une « cotte mal taillée », sans jamais pouvoir circonscrire et atteindre réellement et exclusivement les seules hypothèses visées.

On le voit, le recours à une règle générale est particulièrement périlleux dans une matière où l'on touche à un droit fondamental de chaque être humain.

Il est intéressant à ce propos de relire également les débats menés au Sénat les 9 et 10 décembre 1997, et plus particulièrement les interventions de M. Jules Messine, par ailleurs seul spécialiste de droit pénal parmi les intervenants du Comité de bioéthique.

« Dans le cas de l'euthanasie comme pour toute autre infraction, l'auteur peut ne pas être puni s'il démontre l'existence légale d'une cause de justification. On connaît ainsi le cas d'un médecin qui n'a jamais été attrait devant la cour d'assises alors qu'il y avait eu constitution de partie civile, le ministère public ayant estimé son acte excusable.

Cette construction juridique a l'avantage de poser avec force le principe du respect de la vie d'autrui tout en tempérant ses conséquences par des causes de justification et par la faculté pour le ministère public de décider de ne pas poursuivre (...). »

En réponse aux questions posées par un membre de l'assemblée, Mme Mayence-Goossens, M. Messine précise : « ... c'est précisément la raison pour laquelle je propose de ne pas modifier la loi. Il est vrai que l'état de nécessité ne figure pas dans le texte mais a été développé par la jurisprudence et confirmé par la Cour de cassation. Mon propos est d'essayer de sécuriser la relation entre le patient et son médecin en objectivant la cause de justification. La mise à mort d'une personne suppose que celui qui commet l'acte rende compte à la société.

... La question est de savoir s'il faut légiférer ou non. Je vois personnellement un double inconvénient.

La loi va autoriser de tuer un être humain et cela dans des circonstances dont les nuances échapperont toujours au législateur. »

Aux yeux de l'intervenante, le recours aux causes de justification, et plus particulièrement à la notion « d'état de nécessité », paraît dès lors plus approprié pour rencontrer la diversité et la complexité des cas d'espèce. C'est une notion bien connue de notre jurisprudence et que connaissent aussi tous les systèmes de droit européen. On retrouve même dans le droit allemand et le droit autrichien cette notion définie dans le code pénal lui-même.

Comme pour toute infraction, celui qui, aux yeux de la loi pénale, commet un meurtre ne sera pas puni si, à ce moment, il était justifié. Le recours à cette cause de justification que représente l'état de nécessité permet d'éviter que la rigueur de la loi ne soit appliquée dans des situations où elle ne doit manifestement pas l'être. Cela peut parfaitement être le cas pour le médecin qui, en âme et conscience, et après avoir longuement pesé les différents éléments en présence, décide de répondre positivement à la demande d'euthanasie exprimée par son patient.

Rappelons aussi que les poursuites pour euthanasie ont été extrêmement rares, pour ne pas dire inexistantes, dans notre pays. Où serait dès lors l'urgence à modifier notre Code pénal en cette matière ?

4. Faut-il dès lors ne pas légiférer du tout ?

Au vu des limites même du droit pénal qui, quelle que soit la voie empruntée, ne pourra pas répondre à l'ensemble des situations concrètes de la réalité quotidienne, on peut se demander si la question de l'euthanasie ne doit pas d'abord être abordée par un autre biais : celui de l'écoute du patient dans le cadre d'un véritable dialogue interdisciplinaire.

À l'instar des tenants des positions 2 et 3 du Comité de bioéthique, l'intervenante estime que c'est dans un dialogue où le patient est au centre des préoccupations que doivent s'analyser et se traiter les demandes d'euthanasie.

La question de la modification de la loi pénale devient alors secondaire puisque ce n'est pas le médecin que l'on cherche à sécuriser ici, mais bien le dialogue entre le patient et le médecin que l'on veut mettre en avant.

Pour l'intervenante, il est clair que ce type de dialogue est fondamental et qu'il doit être la clé de voûte de toute législation en la matière, qu'on décide de modifier la loi pénale ou non.

Cette approche permet de garantir au mieux que la demande d'euthanasie formulée par un malade sera écoutée et traitée avec toute la rigueur et le sérieux nécessaires à un acte aussi grave. Tous médecins ou soignants, membres des équipes d'accompagnement, savent bien que les demandes d'euthanasie recouvrent bien d'autres demandes, et que c'est d'abord à celles-ci qu'il faut répondre parce qu'un homme ou une femme, même malade, paralysé, ou en fin de vie, reste un être humain à part entière, qui a droit à être écouté et entendu dans ce qu'il a vraiment à dire.

Et à cet égard, on est encore loin du compte. Combien d'hommes ou de femmes souffrants sont écoutés et entendus pour ce qu'ils sont vraiment ? C'est une manière de traiter les patients qui doit être remise en cause. Que sont-ils aujourd'hui, particulièrement dans les hôpitaux, face à une médecine toute puissante et des équipes soignantes surchargées ?

Pour certains, le dialogue médecin/patient, c'est le colloque singulier et lui seul. L'intervenante ne partage pas ce point de vue, parce qu'elle ne croit pas à l'égalité du dialogue patient/médecin. Allongé dans un lit, souffrant ou affaibli, le patient n'est pas en position d'égal à égal avec le médecin. Ceci est une fiction d'intellectuels. Face à la demande réitérée d'un patient, le médecin doit pouvoir se concerter avec l'équipe soignante, les proches, prendre du recul par rapport à sa propre perception de la situation du patient, par rapport à ses propres inhibitions. Mais il est évident qu'en définitive, c'est le seul médecin qui prend la responsabilité d'un acte d'euthanasie. Personne ne peut prendre à sa place la décision de répondre à la demande d'euthanasie d'un patient.

5. La liberté de conscience en matière d'éthique

Dans sa déclaration d'investiture, le gouvernement a très clairement indiqué qu'un tel débat devait pouvoir se dérouler dans une atmosphère ouverte et libre.

Il importe, rappelle le ministre de la Justice dans sa note de politique générale, que « l'on prenne pour principe que chaque membre du Parlement puisse se prononcer librement en son âme et conscience sur cette question ».

C'est pour que l'on puisse répondre à cette préoccupation que l'intervenante souhaite que la discussion qui s'entame sur ce sujet difficile puisse se faire en toute clarté et sérénité. Elle souhaite que chacun des collègues qui aura à se prononcer sur cette difficile question puisse le faire en toute connaissance de cause. Elle voudrait que l'on prenne le temps d'un débat approfondi sur cette question, que l'ensemble des questions de fond qui doivent être posées puissent l'être, et qu'aucune ne soit éludée.

Il ressort des travaux du Sénat des 9 et 10 décembre 1997 que beaucoup se posaient la question de la nécessité d'une législation en la matière. L'intervenante pense que beaucoup de collègues continuent à se poser cette même question, même si plusieurs textes sont aujourd'hui sur la table.

La note reçue des docteurs Markstein et Bouckenaere suggère de travailler par phases, sur la base d'une bonne analyse de la situation sur le terrain, et en se donnant le temps de travailler sur les mentalités dans le monde médical. Cette approche paraît intéressante. C'est un peu celle des Pays-Bas, qui ont privilégié une approche « pragmatique et procédurale » du problème, sans se lancer d'emblée dans une modification de leur Code pénal.

Quoi qu'il en soit, le débat sera difficile parce qu'il pose des questions difficiles. Ce n'est évidemment pas une raison pour ne pas le mener. L'intervenante souhaite néanmoins que ce débat puisse se faire dans la plus grande transparence possible, et sur ce point, elle n'a pas ses apaisements. Les débats sont à huis clos. Certains semblent croire aux vertus du huis clos, mais elle-même ne partage pas ce point de vue. Elle estime qu'il s'agit d'un débat trop important pour qu'il soit en quelque sorte confisqué par les seuls politiques. Les parlementaires ont d'ailleurs reçu un certain nombre de prises de position de la société civile, ce qui est une bonne chose.

L'intervenante espère que tout au long du débat, on aura l'occasion d'écouter ceux et celles qui sont confrontés au quotidien aux demandes d'euthanasie, afin que ce débat soit branché sur la réalité, et non une discussion où des tendances philosophiques et idéologiques s'affronteraient, pour on ne sait quelle victoire de l'un sur l'autre. Cela ne correspond en rien à la réalité de terrain, où l'on trouve côte à côte des personnes provenant d'horizons idéologiques ou philosophiques différents. De la même manière, au Comité consultatif de bioéthique, des rapprochements ont pu être opérés entre personnes venant d'horizons différents. L'intervenante espère qu'au sein des présentes commissions, il sera possible de travailler de la même manière.

Un membre souhaite s'exprimer sur les trois dernières propositions de loi qui viennent d'être déposées, tout en rappelant les positions du groupe auquel elle appartient, positions qui ont été traduites en une proposition de loi.

L'intervenante rappelle que son groupe vient de déposer une seconde proposition de loi, relative aux soins palliatifs.

L'intervenante s'interroge sur le rapport existant entre les propositions de loi qui viennent d'être commentées. Compte tenu des contacts qu'il a eus, sans doute comme beaucoup d'autres parlementaires, avec le terrain, le groupe auquel appartient l'intervenante a des observations à formuler sur la manière dont les propositions seront discutées, et sur l'ordre chronologique dans lequel elles le seront.

En ce qui concerne tout d'abord la proposition de loi relative à l'euthanasie, si l'on considère les demandes d'euthanasie, qui sont de l'ordre de ± 10 % des décès, on sait que le nombre des demandes persistantes tombe à 1 ou 2 % quand elles sont correctement décodées.

C'est pourquoi il semblerait préférable d'examiner en premier lieu les textes relatifs aux soins palliatifs et continus. Chaque groupe politique devrait se prononcer sur la chronologie de la discussion et du vote des différents textes.

Le lien entre l'euthanasie et les soins palliatifs est évident et étroit.

Il y a différentes manières d'envisager les soins palliatifs. La culture palliative varie selon les établissements et le type de soins prodigués (à domicile ou en milieu hospitalier, en maison de repos, etc.).

Il serait intéressant que les différentes philosophies existant en la matière puissent être exposées dans le cadre des auditions à venir.

La deuxième observation concerne l'option selon laquelle on procède par la voie d'une modification du Code pénal.

Le groupe auquel appartient l'intervenante maintient pour sa part sa volonté de ne pas modifier le Code pénal, non pour des raisons de technique juridique ou législative, mais parce qu'une telle modification lui paraît dangereuse, l'interdiction de tuer devant rester un point de repère fondamental dans notre société.

Il s'agit de l'un des quelques grands repères symboliques, sans doute traditionnels, mais qui sont des balises importantes, de moins en moins nombreuses, dans une société civile et politique en pleine mutation.

Le souhait de préserver l'interdit de tuer s'inspire de raisons sociologiques et anthropologiques, indépendantes de conceptions philosophiques ou religieuses.

Trop de personnes s'inquiètent de possibles dérapages. L'expérience étrangère montre qu'il serait imprudent de toucher au Code pénal : mis à part l'Oregon, aucun État n'a procédé à une telle modification, même pas les Pays-Bas.

D'autres manières de réglementer la matière sont possibles, et notamment une modification de l'arrêté royal relatif à l'art de guérir.

Beaucoup d'États, et notamment la Suisse, ont agi par le biais de la déontologie médicale. Il serait intéressant de demander aux médecins, qui seront directement confrontés au problème, par quel biais il leur paraît préférable de travailler.

Un autre point paraît choquant dans la proposition relative à l'euthanasie : il s'agit du champ d'applications du texte proposé.

On se situe dans un débat relatif à la fin de vie. Le groupe auquel appartient l'intervenante pensait que la discussion était limitée à ce sujet, et estimait qu'il fallait s'en tenir aux cas où la mort était prévisible à brève échéance.

Or, le champ d'application de la proposition de loi a été considérablement étendu, puisqu'il vise non seulement des situations de fin de vie, mais aussi les malades incurables qui ne seraient pas en phase terminale.

En outre, les motifs que peuvent invoquer les patients sont eux aussi extrêmement larges, puisqu'il peut s'agir de patients en état de souffrance ou de détresse physique ou psychique.

Ces termes pourraient donner lieu à des demandes d'euthanasie que l'on n'aurait pas imaginées, voici quelques mois, au départ des textes déposés : ainsi, un patient dépressif, en état de détresse morale, pourrait demander l'euthanasie.

Cela pose problème, même si l'on ne peut ignorer l'étendue des souffrances et détresses psychiques existant dans notre société. Les suicides de jeunes en sont une illustration dramatique. Mais un champ d'application aussi large constitue un message insupportable à l'égard de beaucoup de personnes malades ou handicapées, comme en témoigne le courrier suscité par le texte proposé. Ce texte paraît trop audacieux, et comporte un risque de banalisation.

Trop de personnes l'ont déjà interprété comme une autorisation de demander à mourir ou de faire droit à une telle demande, à l'égard de personnes vulnérables.

C'est pourquoi le groupe auquel appartient l'intervenante souhaiterait vivement que le champ d'application du texte soit restreint, l'euthanasie devant rester un acte exceptionnel fondé sur des motifs plus restrictifs (souffrance insupportable, caractère incurable de la maladie, pronostic de décès à brève échéance).

En ce qui concerne le rôle du médecin, il est vrai que le texte semble entourer davantage celui-ci que ne le faisaient les précédentes propositions de loi, mais le médecin n'en reste pas moins seul face à la demande d'euthanasie.

Le texte prévoit la consultation d'un collègue indépendant, non pas sur la demande d'euthanasie, mais sur le caractère incurable de la maladie.

L'intervenante estime que, par comparaison avec la proposition de loi déposée par son groupe, le texte ne renforce pas suffisamment la concertation du médecin avec l'équipe soignante (y compris, le cas échéant, un délégué du comité d'éthique), ni la consultation des proches.

Le risque existe que le médecin reste seul face à la demande d'euthanasie, et qu'il ne détienne de ce fait un pouvoir trop grand par rapport au malade.

Le texte opte sans surprise pour un contrôle a posteriori, alors que le groupe de l'intervenante est plutôt favorable à un contrôle a priori.

En outre, le texte mentionne une prise en charge palliative, mais passe sous silence l'obligation d'assistance morale du médecin et du personnel soignant. Or, la dimension de l'accompagnement et de l'aide psychique au patient en fin de vie paraît fondamentale, dans le cadre tant des soins palliatifs que, si ceux-ci s'avèrent inopérants, dans celui de l'euthanasie.

Cet élément devrait figurer explicitement dans la loi future, et devrait être encouragé par le biais de la formation des médecins et des infirmières.

L'intervenante souligne à cet égard que, contrairement à ce que certains ont cru pouvoir déclarer, la souffrance doit, à ses yeux, être soulagée autant que faire se peut, et que le groupe dont l'intervenante fait partie ne s'inspire nullement d'une idéologie selon laquelle la souffrance serait valorisée, et par conséquent devrait être acceptée. Notre pays accuse en matière d'accompagnement de la fin de vie un retard par rapport à d'autres, comme le Canada. Dans ce dernier pays, un débat semblable au nôtre a eu lieu, mais la voie de la dépénalisation a été abandonnée, et l'accent a été mis sur le développement d'une culture palliative.

Il serait intéressant que les commissions réunies puissent, si elles disposent du temps nécessaire, entendre un représentant canadien sur le sujet.

En ce qui concerne la déclaration de volonté anticipée du patient, elle présente un lien évident avec la problématique des patients inconscients. Il s'agit d'un point sur lequel il serait utile d'avoir un éclairage de la part des spécialistes de terrain.

L'intervenante se réfère aux travaux menés par le Sénat lors de la précédente législature, ainsi qu'à des éléments de droit comparé.

Dans quelques États où le principe d'une déclaration de volonté anticipée existe (cf. l'Oregon et la Suisse, où aucune réglementation n'existe en matière d'euthanasie, mais où la déontologie médicale accepte le principe d'une telle déclaration), il n'est pas évident que cela facilite toujours la tâche du médecin.

Des médecins américains soulignent à cet égard qu'une déclaration anticipée peut parfois mettre le médecin en difficulté, compte tenu du caractère évolutif de la maladie, de l'attitude du patient, de l'entourage, voire même du mandataire.

Chacun peut, bien entendu, mettre sur papier ses dernières volontés.

Le groupe auquel appartient l'intervenante souhaiterait cependant que la déclaration de volonté anticipée du patient ne constitue qu'un élément d'appréciation, et non une preuve définitive, juridiquement acceptée, de la volonté du patient.

La proposition de loi prévoit que la déclaration de volonté anticipée est valable si elle a été établie moins de cinq ans avant le début de l'incapacité. Ce délai paraît trop long, compte tenu de l'évolution parfois très rapide de la personne en fin de vie.

Un éclairage sur les déclarations de volonté anticipée serait souhaitable, notamment en consultant les médecins qui pourraient avoir une expérience en la matière, et en examinant la situation des pays où une telle déclaration existe.

La proposition de loi opte pour un contrôle a posteriori. L'intervenante exprime des doutes sur l'efficacité d'un tel système, qui pourrait s'avérer purement formel, d'autant plus que certains médecins ont déjà déclaré que la loi nouvelle n'aurait pas d'incidence sur leurs pratiques.

Par ailleurs, le texte ne prévoit aucune sanction spécifique en cas de non-respect des conditions procédurales.

La proposition déposée par le groupe de l'intervenante s'insérait dans le texte relatif à l'art de guérir; elle prévoyait, outre le maintien des dispositions pénales existantes, des dispositions pénales spécifiques sanctionnant chaque obligation procédurale à respecter.

Ne faudrait-il pas trouver un moyen ­ non nécessairement pénal ­ pour sanctionner la manière dont le médecin a procédé ?

Par ailleurs, ne faudrait-il pas, dans la loi en préparation, parler explicitement de la lutte contre l'acharnement et l'abandon thérapeutiques ?

La majorité des demandes d'euthanasie exprimées surviennent en effet après un acharnement ou un abandon thérapeutiques, ou procèdent de la crainte de ceux-ci.

Un texte explicite serait donc souhaitable sur ce point, mais le cadre du Code pénal semble inadéquat.

Enfin, l'intervenante répète que son groupe préférerait que l'on traite de toutes les situations de fin de vie dans un seul texte, qui ne s'insérerait pas dans le Code pénal.

En effet, il s'agit essentiellement de problèmes de santé publique.

Le droit pénal a ses limites, et est maladroit à cerner ce type de problématique.

Il risque de figer la situation, de bouleverser des repères symboliques, et d'avoir un effet négatif sur l'inconscient collectif.

À l'heure où, dans nombre de matières, on s'efforce de préserver le lien social, et de garder quelques mécanismes d'aide et d'accompagnement et quelques points de repère pour les générations futures, le texte proposé paraît dangereux.

Les textes internationaux nous le rappellent, de même que la situation dans les pays voisins : il est hautement symbolique de toucher au Code pénal. Il faut éviter la banalisation qui risque de s'ensuivre.

Chacun sait que des euthanasies sont pratiquées, et que ces pratiques doivent être contrôlées. Il est des cas où l'euthanasie peut et doit être permise. Le groupe auquel appartient l'intervenante a voulu poser un geste symbolique, en déposant une proposition de loi en la matière, ce qui n'était pas anodin. Il veut aboutir à une loi qui évite les dangers suscités par le texte beaucoup trop large qui vient d'être déposé.

En ce qui concerne la deuxième proposition de loi, qui traite de la commission d'évaluation, il est vrai qu'elle instaure un système comparable à celui appliqué en matière d'IVG.

Le groupe auquel appartient l'intervenante croit certes à un contrôle de la société sur les pratiques, mais souhaiterait un contrôle différent. Il ne croit pas que la commission d'évaluation dont la création est envisagée soit un outil adéquat, car il s'agit d'un instrument de nature essentiellement politique.

Il serait préférable de créer un organe de contrôle où les médecins seraient davantage partie prenante, et de prévoir un mécanisme d'évaluation plus temporaire.

Une loi temporaire, qui serait remise sur le métier dans quelques années, paraît une solution plus intéressante, car il est peu probable que les recommandations de la commission d'évaluation permettront de modifier la loi ou de l'améliorer.

L'expérience de la commission d'évaluation en matière d'IVG montre en effet que le système livre certes des éléments statistiques intéressants, mais ne permet pas de revenir sur une disposition fondamentale du Code pénal.

L'intervenante s'interroge également sur la manière dont les documents seront transmis par les médecins à la commission d'évaluation.

L'expérience hollandaise montre en effet que les médecins n'ont pas changé fondamentalement leurs pratiques suite aux dispositions nouvelles, et l'on voit mal pourquoi les médecins belges seraient plus audacieux, en transmettant leurs documents à une commission de nature, non médicale, mais politique.

Enfin, la proposition de loi relative aux soins palliatifs suscite quelques remarques générales. Ce texte paraît très large et très vague, et mériterait d'être précisé.

Il s'agit d'une matière difficile à cerner, car plusieurs niveaux de pouvoirs (fédéral, régional, communautaire) y sont impliqués.

Il n'est dès lors pas facile pour un non-spécialiste de comprendre les diverses réglementations, notamment sociales, applicables.

Il serait préférable d'élaborer une proposition de loi-cadre reprenant non seulement tous les principes que l'on veut voir développer à l'avenir dans nos soins palliatifs (droit d'accès, égalité de traitement, financement structurel, ...), mais aussi, de façon beaucoup plus concrète, ce qui se passe actuellement.

Une nouvelle réglementation est en vigueur depuis le 1er janvier 2001; le milieu des soins palliatifs a déjà fait savoir que, selon lui, l'arrêté ne va pas assez loin dans le financement et le forfait journalier.

La proposition devrait donc comporter un volet relatif aux principes.

Il faudrait éviter de déléguer au Roi l'ensemble de la matière, qui est fondamentale et, aux yeux de l'intervenante et de son groupe, première par rapport au texte sur la dépénalisation de l'euthanasie.

L'intervenante conclut en indiquant que son groupe a déposé un texte en la matière, qui est assez long, parce qu'il reprend à la fois ce qui existe, et ce qui peut être amélioré. Il sera commenté ultérieurement.

Un sénateur estime que les soins palliatifs sont une matière trop importante que pour l'aborder comme un complément à la réglementation sur l'euthanasie. Cette matière exige un cadre propre et il n'est dès lors pas souhaitable qu'elle soit traitée par l'insertion de quelques articles dans une loi réglant l'euthanasie.

Les soins palliatifs sont d'ailleurs en premier lieu une question de moyens financiers et de personnel ainsi que de formation. Les pouvoirs publics ne peuvent pas partir du principe que cette matière peut être réglée par l'insertion d'une série de grands principes dans la loi.

Lors d'une réunion précédente, l'intervenant s'est dit partisan d'une réglementation légale en matière d'euthanasie, qui garantisse la sécurité juridique nécessaire tant aux médecins qu'aux patients.

Une telle réglementation n'est cependant acceptable que si une série de critères de prudence sont prévus. Compte tenu de cela précisément, son groupe a choisi de déposer des amendements à la proposition de loi nº 2-105/1, laquelle offre les meilleures garanties en la matière.

L'intervenant est dès lors fort déçu que ce texte ait été écarté au profit de la proposition de loi nº 2-244/1, déposée par les présidents des groupes de la majorité. On ne peut se départir de l'impression qu'il s'agit d'un texte composé à la hâte, dans lequel une série de critères de prudence ont été négligés et dont la clarté laisse à désirer.

C'est pourquoi il espère que la discussion de ce texte demeure tout à fait ouverte. Si ce n'est pas le cas, il se verra obligé de réintroduire sous son propre nom la proposition de loi nº 2-105/1, avec une série d'adaptations définies dans des amendements déposés précédemment (voir document Sénat nº 2-105/2).

L'intervenant souhaite ensuite énumérer dix lacunes concrètes de la proposition de loi nº 2-244/1.

1. La notion « terminal » ne figure plus dans le texte. Il est exact que cette notion est difficile à définir, mais on ne résout rien en utilisant plutôt des termes comme « maladie grave et incurable », avec lesquels on s'aventure en terrain glissant. Quelle est par exemple la différence entre une maladie chronique habituelle et une « maladie grave et incurable » ? Le terme « terminal » ne doit pas nécessairement signifier que le patient n'a plus que quelques jours à vivre. Il est tout à fait possible de définir cette notion et la commission doit s'y employer.

2. Une série de critères de prudence figurant dans la proposition de loi nº 2-105/1 ont purement et simplement été éliminés. Ainsi, la notion « de plein gré » ne figure plus dans le texte. Une partie des objections à l'égard d'une réglementation de l'euthanasie est inspirée par la crainte que le patient soit mis sous pression par son entourage ou qu'il demande l'euthanasie parce qu'il se sent une charge pour ce dernier. C'est la raison pour laquelle le législateur doit imposer au médecin l'obligation d'examiner si la demande d'euthanasie n'est pas inspirée par de telles considérations. Le médecin et le patient doivent arriver ensemble, sans la moindre pression de l'extérieur, à la conclusion qu'il n'y a aucune autre possibilité d'atténuer la souffrance insupportable du patient.

3. Le texte prescrit que l'avis d'un deuxième médecin doit être demandé. On ne précise cependant pas ce qu'implique exactement cette obligation, ce qui a pour conséquence que cet avis devient une simple formalité. Il est théoriquement possible que ce deuxième médecin donne son avis sans même avoir vu lui-même le patient. Aux Pays-Bas, par exemple, le deuxième médecin doit examiner le patient et s'assurer du caractère insupportable et sans issue de la maladie.

4. L'expression de la volonté peut être constatée par le médecin, simplement sur la base d'une conversation avec le patient, même si celui-ci est capable de faire connaître son avis par écrit. De plus, lors de cette déclaration orale de volonté, aucun témoin ne doit être présent. Il suffirait que le médecin indique dans le formulaire d'enregistrement que le patient a demandé l'euthanasie. C'est inacceptable. Dans un tel système, comment peut-on vérifier a posteriori si une série de critères de prudence ont été respectés ?

5. La proposition de loi précise bien que l'euthanasie n'est possible qu'à la suite d'une demande persistante du patient, mais ne dit pas comment doit se manifester ce caractère persistant. Le moins que l'on puisse demander dans ce contexte est qu'une déclaration de volonté ou une expression de volonté soit formellement confirmée avant que l'euthanasie soit pratiquée. Cette confirmation devrait également s'effectuer par écrit ou en présence de témoins. La proposition de loi nº 2-105/1 prévoyait à cet effet une formule claire et disposait que, si le patient était incapable de confirmer sa volonté, ce n'était pas un, mais deux médecins qui devaient être consultés.

Il est important que l'euthanasie se déroule suivant une procédure comprenant plusieurs phases, chacune d'elles étant sérieusement contrôlée.

6. La plupart des propositions déposées précédemment prévoyaient une réglementation particulière pour les femmes enceintes. Il est incompréhensible qu'elle ne figure pas dans le présent texte. Lorsqu'une patiente porte un enfant viable, celui-ci doit pouvoir venir au monde. Cela ne doit pas nécessairement signifier que la période de grossesse est entièrement terminée. Puisqu'il s'agit d'un enfant viable, un accouchement peut être provoqué.

7. La proposition de loi nº 2-105/1 prévoyait une commission d'évaluation qui devait veiller au respect des critères de prudence. La commission instituée par la proposition nº 2-245/1 n'a encore pour mission que de rassembler des données statistiques et de formuler des recommandations à l'intention des pouvoirs publics. Il est indispensable de créer une commission de contrôle, comprenant de représentants des groupes professionnels concernés et composée de façon équilibrée sur le plan idéologique, qui aurait pour mission d'évaluer toutes les euthanasies actives, de manière conséquente et homogène, selon des règles clairement déterminées. Un système d'évaluation reposant exclusivement sur des plaintes occasionnelles auprès de tribunaux est totalement insuffisant pour aboutir à une jurisprudence sur laquelle on peut s'appuyer.

8. Le rapport établi par le médecin doit rendre une telle évaluation possible. En plus de la nature de la maladie, il faudrait également pouvoir y indiquer la nature de la souffrance et les raisons pour lesquelles la souffrance est sans issue. En outre, des copies de la déclaration de volonté, de l'expression de volonté et de la confirmation de celle-ci devraient y figurer, de même que d'autres données dont ressortirait le caractère persistant de la demande d'euthanasie.

9. La proposition de loi nº 2-86/1 prévoyait la désignation d'un mandataire chargé de veiller à l'exécution de la déclaration anticipée, si le patient se trouvait par exemple dans un hôpital étranger. Cette méthode de travail est souhaitable. Dans la proposition de loi nº 2-244/1, ce mandataire devient cependant un interlocuteur du médecin et participe à la prise de décision. Il ne peut en être question. Le mandataire doit certes indiquer au médecin qu'il y a une déclaration anticipée mais la décision revient au médecin. Ce texte fait peser une pression inacceptable sur le mandataire.

10. Selon la proposition de loi, l'euthanasie est enregistrée comme une mort naturelle. Il est cependant nécessaire, notamment dans le cadre des études épidémiologiques, que l'on puisse retrouver dans les statistiques sur les causes des décès, les affections dont les patients souffraient.

L'orateur conclut en disant qu'il n'est pas opposé à une réglementation qui permet l'euthanasie dans certains cas. Il faut cependant qu'une telle réglementation soit assortie de critères de prudence sévères empêchant tout abus. Partant de ce point de vue, il considère que certaines propositions de loi déposées antérieurement sont préférables au texte discuté actuellement.

Par conséquent, l'orateur déposera des amendements qui reflètent les dix remarques qu'il vient de formuler à propos de cette proposition de loi.

Un membre déclare que l'on peut tout d'abord se demander pourquoi cette question de l'euthanasie et des soins palliatifs se pose aujourd'hui à notre société, mais aussi dans d'autres pays. Nous vivons une époque tout à fait nouvelle, notamment sur le plan démographique, où le temps de la vie s'allonge de façon impressionnante, et où plusieurs générations coexistent.

Le temps qui reste à vivre après la fin des activités professionnelles s'allonge également, et se passe parfois dans des conditions de bonne santé, mais parfois aussi, durant de longues périodes, dans des conditions de santé aléatoires de fragilité physique, parfois de diminution des capacités intellectuelles, d'exclusion sociale et de solitude.

Nos sociétés ne sont pas suffisamment organisées pour prendre en compte la révolution énorme qui découle de cette situation.

C'est dans ce contexte que s'inscrit le débat sur l'euthanasie et les soins palliatifs.

À titre personnel, l'intervenant n'est pas opposé à répondre de manière positive à des demandes d'euthanasie.

Néanmoins, la question ne se pose pas, comme on l'a dit parfois, en termes d'alternative entre soins palliatifs et euthanasie.

Il serait d'ailleurs inquiétant qu'il en soit ainsi.

En tant que médecin, l'intervenant considère que la lutte pour la vie, contre la maladie, la souffrance et la mort est l'un des motifs premiers de l'action d'un médecin.

Pour lui, le fait de donner la mort à quelqu'un, même s'il peut le concevoir dans certains cas exceptionnels, constitue un échec.

La question majeure aujourd'hui est de pouvoir donner une réponse humaniste, allant dans le sens de la dignité des personnes, et qui, avant tout, préserve la vie dans des conditions de qualité acceptables.

C'est pourquoi le droit aux soins palliatifs, défendu aujourd'hui par tous les groupes politiques, paraît extrêmement important.

Encore faut-il que cette défense ne soit pas seulement incantatoire. Il faut se donner les moyens pour que l'accès égal aux soins palliatifs soit effectif.

Un second élément important est que l'essentiel de la demande d'euthanasie ne vient pas, selon les échos recueillis auprès de certains médecins et associations de médecins, de personnes gravement malades, mais de personnes très âgées et bien portantes, qui expriment par là leur détresse, leur solitude, leur impression de ne plus être considérées comme des personnes à part entière ayant un rôle à jouer dans notre société.

Le troisième point concerne le fait que l'on ne retrouve pas, dans le dernier texte déposé, la notion de « fin de vie ».

L'intervenant estime qu'il s'agit là de l'une des questions les plus cruciales du débat actuel.

Se baser uniquement sur la souffrance et la détresse ne permet pas d'éviter des dérapages et une interprétation extrêmement large, même si telle n'est pas l'intention des auteurs du texte.

Qu'est-qu'une détresse ou une souffrance insupportable ? S'agit-il du jugement extérieur qu'un tiers porte, ou de celui de la personne elle-même ? Dans quelle mesure la souffrance sera-t-elle prise en compte, et selon quels critères précis ?

Dans la société actuelle, 15 à 20 % de la population souffrent d'un handicap. Certaines de ces personnes peuvent éprouver une détresse insupportable uniquement en raison du regard que la société en général et les bien-portants portent sur leur handicap.

Un autre point concerne l'avis à demander par le médecin confronté à une demande d'euthanasie réitérée.

On peut comprendre que certains veuillent faire dépendre la décision d'euthanasie du seul colloque singulier entre le patient et le médecin.

Mais cette conception des choses a évolué dans tous les aspects de la médecine aujourd'hui.

Dès lors, pourquoi n'évoluerait-elle pas pour l'un des actes les plus importants que le médecin ait à poser à l'égard du patient, à savoir l'acte d'euthanasie ?

L'intervenant ne voit pas comment on pourrait se passer de l'avis d'un confrère, mais aussi de celui du personnel soignant paramédical, qui joue un rôle fondamental dans les soins en fin de vie.

Nombre d'infirmières, de kinésithérapeutes ont dit à quel point leur rôle était finalement déterminant, puisqu'en fin de vie, il s'agit moins d'administrer des thérapeutiques que de pouvoir aider, entourer, soigner, apaiser le malade.

Il ne s'agit nullement là d'une tribunalisation, mais bien d'une manière de faire qui est conforme au simple bon sens et à la pratique médicale actuelle.

Au vu des opinions de médecins et de membres du personnel infirmier qu'il a pu recueillir, l'intervenant ne pense pas que ceux-ci soient rassurés, sur le plan de la sécurité juridique, par les mesures proposées aujourd'hui.

Celles-ci, au contraire, les inquiètent. Ils considèrent que la procédure a posteriori constitue une épée de Damoclès, qui les empêcherait de poser les actes qu'ils estimeraient devoir poser.

L'intervenant ne croit pas davantage que cette procédure engendre une sécurité juridique pour le patient. Comment permettra-t-elle en effet d'éviter à coup sûr des euthanasies pour raisons sociales ou économiques ? Il suffira de ne pas déclarer l'euthanasie, comme l'ont dit certains médecins, qui pourraient continuer à la pratiquer dans la clandestinité.

En ce qui concerne les malades inconscients et la déclaration anticipée, l'opinion de l'intervenant n'est pas définitivement établie. Aussi aimerait-il pouvoir entendre des praticiens et des éthiciens sur ces sujets.

En ce qui concerne l'évaluation de la future législation, l'intervenant estime que le système d'une loi provisoire est utile en matière éthique, pour apprécier s'il y a lieu de modifier son jugement, et, le cas échéant, pour améliorer le texte.

La commission d'évaluation ne paraît pas constituer un outil très adéquat pour évaluer l'impact de la législation sur l'euthanasie en Belgique, puisqu'il s'agit avant tout de rassembler certaines données statistiques.

On ne pourra notamment pas voir, d'après les données transmises à cette commission, quelle est l'importance des euthanasies pratiquées en dehors de la loi.

L'intervenant se demande dès lors, si la commission d'évaluation est créée, s'il ne faudrait pas revoir les instruments dont elle dispose, afin d'avoir réellement une évaluation globale de l'évolution de la pratique de l'euthanasie dans notre pays.

Un autre membre se réjouit que le débat de fond ait enfin commencé et observe qu'à une seule exception près, l'ensemble des interventions qui ont eu lieu jusqu'à présent montrent bien le fossé profond séparant les propositions présentées par les six auteurs, et la position des groupes démocrates-chrétiens.

Cela démontre aussi l'inanité du reproche fait aux auteurs des trois propositions de ne pas avoir pris de contact avec les auteurs des propositions de ces groupes.

De profondes divergences subsistent notamment sur les points suivants : modification du Code pénal, champ d'application du texte, rôle du médecin, problème du patient inconscient, évaluation de la future législation.

Le précédent intervenant a déclaré que, selon lui, le problème de l'euthanasie se posait maintenant en raison de l'allongement considérable de la durée de la vie, et de l'incapacité de notre société à gérer cette situation.

L'intervenant estime pour sa part que la cause est ailleurs; outre le fait que la médecine a fait des progrès considérables, une prise de conscience a eu lieu de ce que, peut-être pour des raisons de confort individuel, mais aussi en raison d'une certaine idée de leur autonomie individuelle et de leur dignité, certaines personnes ne veulent plus souffrir physiquement ou moralement, et demandent qu'il soit mis un terme à cette situation.

Jusqu'à présent, l'intervenant s'est toujours efforcé de ne pas faire état des cas individuels dont il pouvait avoir connaissance, mais d'autres orateurs l'ont fait.

Il renvoie aux déclarations de certains patients qui se sont exprimés dans la presse. Ainsi, une personne handicapée de 45 ans exposait avoir lutté pendant 20 ans dans une situation de déchéance physique particulièrement difficile, et demandait que l'on adopte d'urgence une loi en matière d'euthanasie, afin de lui permettre de mourir dans la dignité.

Il y a des moments où, quelles que soient les possibilités de la médecine, une personne doit pouvoir décider souverainement de son choix de mort.

Fondamentalement, et au-delà des problèmes techniques, la question est de savoir si l'on admet que la personne a une autonomie totale de décision par rapport à sa vie et à sa mort ou si, au contraire, un élément collectif de contrôle social doit intervenir dans le choix individuel exercé par une personne privée.

Récemment, un philosophe, parlant de l'évolution de la société au-delà de l'an 2000, rappelait que l'être humain est « un génie individuel mais un crétin collectif », alors que dans le monde des fourmis, c'est l'inverse.

Nous vivons dans une société individualiste, ce qui comporte certains inconvénients, mais doit être pris en compte.

Ne pas accepter le principe de l'autonomie constitue bel et bien une forme d'interdit social, bien que certains s'en défendent. Cette position, si elle est parfaitement honorable, n'est pas celle défendue par les six auteurs des trois propositions de loi.

En ce qui concerne le lien entre celles-ci, et l'ordre chronologique de leur discussion, on sait qu'il s'agit, là aussi, d'un point fondamental de divergence.

Certains considèrent en effet les soins palliatifs comme une sorte de phase préalable à l'euthanasie.

Tel n'est pas le point de vue des auteurs des trois propositions de loi.

À leurs yeux, il s'agit d'un élément complémentaire. Ils souhaitent offrir aux malades le choix le plus large de possibilités, et veulent dès lors discuter de l'euthanasie et des soins palliatifs, sans toutefois que ces derniers constituent, du point de vue chronologique, le premier point.

Si les travaux des commissions réunies progressent de façon satisfaisante, les trois propositions seront présentées et discutées ensemble en séance plénière. Il ne faut donc pas imaginer de manoeuvre par laquelle on voterait la proposition relative à l'euthanasie, en renvoyant à une date indéfinie le vote de la proposition sur les soins palliatifs.

L'intervenant constate par ailleurs que le problème est bien réel. Même les représentants de l'opposition l'ont affirmé : on pratique des euthanasies. Quel que soit leur nombre, elles sont illégales et pourraient être réprimées.

Que l'on songe au précédent de l'avortement, où il a fallu des drames humains pour que le Parlement se décide à intervenir, contraint, en quelque sorte, par le parquet, qui avait voulu faire un exemple.

Il faut éviter que la même situation se répète en matière d'euthanasie.

Il semble donc que le moment est venu de légiférer en la matière, d'autant que le gouvernement a laissé aux parlementaires la possibilité de discuter de tous les problèmes éthiques, sans vision majoritaire, qui imposerait son point de vue. C'est là un élément fondamentalement nouveau de la problématique.

La constatation que des euthanasies se pratiquent constitue aussi une réponse aux inquiétudes de ceux qui craignent que la législation envisagée ne permette pas d'éviter des euthanasies pour des raisons économiques ou sociales.

L'intervenant souligne qu'à l'heure actuelle, on n'a aucune garantie sur la manière dont les euthanasies sont pratiquées, à l'égard de quels patients, après avoir ou non interrogé ceux-ci, et pour quels motifs on les pratique.

L'intervenant préfère dès lors un système où les choses se passent dans la clarté. Une loi est donc nécessaire. Elle permettra d'éviter les dérapages que certains semblent imputer aux propositions déposées, mais dont le risque est bien plus grand dans la situation actuelle.

En ce qui concerne le choix de modifier ou non le Code pénal, les six auteurs considèrent qu'il s'agit là d'une question de sécurité juridique.

L'intervenant estime que la notion d'état de nécessité figurant dans les propositions des groupes démocrates-chrétiens n'en offre aucune. En outre, la faire figurer dans une loi n'apporterait rien puisque, conformément au droit commun, le juge peut toujours l'appliquer.

Il ne s'agit pas, dans la proposition de loi des six auteurs, de faire disparaître du Code pénal l'interdit de tuer.

Il s'agit d'un cas particulier, où l'on détermine que, lorsque la mort est administrée en suivant un certain nombre de prescrits bien précis, et dans des cas eux aussi très précis, il n'y a ni crime ni délit. Le procureur du Roi qui reçoit le dossier et estime que le prescrit légal n'a pas été respecté peut poursuivre, conformément au droit commun.

En ce qui concerne le champ d'application du texte, il est vrai qu'il est relativement large, mais l'intervenant ne voit pas comment on pourrait expliciter davantage la définition que donne la proposition de loi.

Il lui paraît important de viser la souffrance morale, à côté de la souffrance physique, parce que personne ne peut se mettre à la place de quelqu'un dont la dignité est atteinte par la maladie.

À titre personnel, l'intervenant ne se permettrait jamais de porter un jugement sur une personne qui pourrait encore vivre un certain temps mais qui refuse de le faire, en raison de l'état de détresse morale ou de perte de dignité physique où elle se trouve.

Lorsqu'il était ministre des Affaires sociales, l'intervenant a pu approcher beaucoup de situations de détresse; il souligne que l'on ne peut s'imaginer ce que représente celle-ci.

Il arrive un moment où, quelle que soit l'aide qu'on peut leur proposer, certaines personnes se trouvent au-delà de tout cela, et formulent une demande que, personnellement, l'intervenant se sent incapable de ne pas respecter.

En ce qui concerne la notion de « phase terminale », l'intervenant admet qu'elle pose problème. Elle figurait d'ailleurs dans le texte initial qu'il avait déposé en 1995.

L'intervenant a été ébranlé par les auditions des représentants du Comité supérieur de bioéthique qui ont mis en évidence le fait que cette notion ne recouvrait pas grand-chose.

En effet, on ne saurait la limiter aux quelques heures ou jours qui précèdent le décès.

S'il s'agit des quelques mois précédant le décès, sur base de quels critères la déterminer de façon plus précise ?

Enfin, n'y a-t-il pas des détresses plus graves que celle d'une personne qui se trouve aux portes de la mort ? L'intervenant renvoie à l'exemple déjà cité de cette personne de 45 ans qui luttait depuis 20 ans contre une maladie incurable, qui n'en pouvait plus, estimant qu'elle se détruisait, et n'osait même plus se montrer.

Quant au fait que ce serait l'attitude des autres qui serait déterminante, l'intervenant souligne que la situation a considérablement évolué, et que la Belgique peut s'enorgueillir d'un grand respect des personnes en difficulté.

Pourquoi ne pas accepter, si on a la garantie que telle est bien la volonté de la personne, la demande d'euthanasie qui n'est pas formulée en phase terminale, mais bien dans le cadre d'une maladie incurable, lorsque l'intéressé, après avoir lutté pendant des années, ne veut plus poursuivre le combat ?

L'intervenant a donc abandonné la notion de « phase terminale », car il ne voyait pas sur quelle base opérer une discrimination entre les patients en fin de vie, et ceux qui ne l'étaient pas, mais dont la détresse était aussi grande, sinon plus.

L'intervenant insiste une fois encore sur le fait que le système envisagé repose sur la volonté des personnes, et que nul n'est obligé ni de demander l'euthanasie, ni de répondre à une telle demande.

Par conséquent, le sentiment que la législation future permettrait d'« éliminer » contre leur gré une série de personnes est absurde et faux.

Quant au rôle du médecin, la proposition de loi est fondée, une fois encore, sur l'autonomie du patient et sur son colloque singulier avec le médecin.

L'intervenant a le sentiment que l'on est allé assez loin en ce qui concerne ce colloque. On a eu le souci de permettre au patient d'exprimer clairement sa volonté, et d'avoir la garantie que ce qu'il avait exprimé correspondait à sa volonté profonde.

À cet égard, il lui semble que l'article 3 donne toutes les garanties voulues. Les six auteurs ne veulent pas de contrôle a priori proposé par les groupes démocrates-chrétiens. Ils ne veulent pas « sociétaliser » l'autonomie individuelle, ni que la décision de quelqu'un soit suspendue à un tel contrôle, dont on sait, en Belgique, ce qu'il peut advenir, surtout si la personne qui demande l'euthanasie est relativement connue. On finirait par débattre en public de la question de savoir s'il faut ou non donner suite à sa demande.

Il est vrai que le deuxième médecin qui doit, selon la proposition, être consulté, pourrait, en théorie, rendre un avis par téléphone. Cependant, il doit communiquer son avis au patient. Il est peu vraisemblable qu'il se prononce sans avoir revu le dossier médical, sans s'être entretenu avec son confrère, sans avoir pris, le cas échéant, d'autres contacts, et sans avoir probablement aussi vu le patient.

C'est une véritable consultation sérieuse sur la situation du patient qu'envisage la proposition de loi.

En ce qui concerne les soins palliatifs, il faut souligner que les auteurs des propositions de loi ont, contrairement à ce que certains ont prétendu, écouté les opinions formulées par d'autres, et y ont réfléchi.

À l'origine, certaines propositions ne parlaient pas des soins palliatifs parce que leurs auteurs estimaient que ce débat n'était pas nécessairement lié à celui de l'euthanasie.

Après avoir entendu certains arguments développés, notamment par les démocrates-chrétiens francophones, il a paru utile aux auteurs de la proposition de légiférer également en la matière. La proposition des six auteurs relative aux soins palliatifs n'est pas moins développée que le chapitre consacré au même sujet dans la proposition nº 2-151/1 de Mme Nyssens et consorts.

Il est difficile de développer davantage le sujet, car on touche à des matières relevant de la sécurité sociale, et il est rare qu'une proposition de loi énumère des montants financiers, des taux de remboursement, etc., qui sont généralement déterminés par arrêté royal.

D'autre part, les soins palliatifs touchent à des matières communautaires et régionales (médecine préventive, prévention morale, etc.).

Le législateur fédéral doit veiller à se maintenir dans sa sphère de compétences, mais rien ne l'empêche d'exprimer le souhait que les législations communautaire et/ou régionale soient modifiées.

En ce qui concerne le patient inconscient, il existe également des divergences entre la proposition des six auteurs et la position des démocrates-chrétiens francophones et néerlandophones.

L'intervenant estime que le système de la déclaration anticipée, tel qu'il est maintenant réglé par le texte proposé, est satisfaisant.

Initialement, il n'y était pas favorable parce que la déclaration n'était pas entourée de suffisamment de garanties. On a maintenant prévu un délai de cinq ans, ce qui permet de s'assurer que la déclaration a été faite dans les mêmes conditions, notamment d'âge, que celles où le déclarant est devenu inconscient. Ici encore, la liberté du médecin est totale. Il peut parfaitement refuser de pratiquer l'euthanasie.

Quant au problème du contrôle, la proposition opte pour la communication a posteriori du dossier au procureur du Roi. Ce système de contrôle a paru plus clair et précis que celui d'une commission de contrôle, qui aurait eu le visage d'une sorte de juge d'instruction, sans être vraiment juridictionnelle.

Après débat, les six auteurs ont jugé préférable, d'une part, de confier au procureur du Roi le soin de vérifier si les choses s'étaient déroulées conformément à la loi, et d'autre part, de créer une commission d'évaluation, pour suivre l'évolution de cette matière délicate.

Cette commission d'évaluation ne fait nullement office de juge d'instruction, puisque les documents lui sont transmis anonymement. Elle permettra à l'opinion publique, à travers les parlementaires, de suivre l'évolution de la matière.

Ce système paraît préférable à celui d'une loi provisoire qui, même si elle est bonne, deviendrait caduque après quelques années, ce qui imposerait en tout état de cause de tenir un nouveau débat. Il appartiendra aux parlementaires, s'ils l'estiment nécessaire au vu des travaux de la commission d'évaluation, de prendre leurs responsabilités en déposant des propositions de modification de la loi.

Quant aux auditions préconisées par une précédente oratrice sur une série de points, l'intervenant répète qu'il faudra apprécier, au cours de la discussion, si tel ou tel point précis mérite des éclaircissements. Cependant, il est des questions de nature fondamentalement politique ­ telle la question de la modification du Code pénal ­ pour lesquelles les auditions n'apporteront rien et où il incombe à chaque parlementaire de prendre ses responsabilités.

Un membre se déclare satisfait de ce que la notion de « phase terminale » n'ait pas été retenue dans le texte déposé par les six auteurs.

De nombreux exemples montrent en effet que, lorsque la personne souhaite mettre un terme à sa vie parce qu'elle estime que sa dignité n'est plus respectée, on ne se situe pas nécessairement en phase terminale, mais plutôt dans un cas de maladie incurable telle que la sclérose latérale amyotrophique ou une paralysie générale.

Dans ces cas, il faut admettre que c'est le patient qui est le mieux à même d'apprécier s'il souffre de manière excessive ou pas.

Par ailleurs, l'intervenant partage assez largement les observations formulées par un précédent orateur.

En lisant l'article 3, on ne voit pas comment l'ensemble des garanties prévues s'inscrivent dans le cadre d'un minimum de procédure à respecter.

L'intervenant serait dès lors partisan d'une reformulation assez large de cet article, par l'ajout d'un certain nombre d'éléments.

Le premier serait l'exigence d'un accord écrit du patient, ou du recours à des témoins, lorsque l'accord écrit ne peut être recueilli.

En effet, on ne voit pas comment s'exprime la « volonté réitérée » du patient, en dehors du colloque singulier.

Un second point concerne précisément le colloque singulier qui, dans un cas aussi grave que celui de l'euthanasie, paraît un peu limité.

L'intervenant est partisan d'un recours, non à un seul autre médecin, mais à un collège de trois médecins.

D'une part, en effet, au vu de l'évolution des techniques médicales, et certainement s'il s'agit d'une maladie grave, la prise en charge se fait souvent par plusieurs médecins.

D'autre part, un collège de trois médecins serait plus à même de vérifier le caractère incurable de la maladie et la volonté du patient.

Mais il ne s'agit pas de consulter l'équipe soignante ou d'autres personnes, qui n'ont pas à être impliquées dans la décision. En la matière, deux choses sont à vérifier : le caractère incurable de la maladie, et la libre volonté du patient.

Par ailleurs, l'intervenant n'est pas favorable à l'article 5 de la proposition, et au contrôle a posteriori par le parquet. D'une part, ce dernier ne paraît pas équipé pour un tel contrôle, et, du reste, on ne voit pas comment il pourrait l'exercer, si l'article 3 n'est pas adapté dans le sens qui vient d'être indiqué.

D'autre part, en tant que juriste, le procureur ne dispose pas des compétences pour apprécier la validité de l'acte qui a été posé. Il devrait dès lors recourir à des experts, ce que l'on a précisément voulu éviter.

De plus, le procureur peut toujours être saisi d'une plainte, conformément au droit commun.

Par ailleurs, l'épée de Damoclès que constitue le contrôle a posteriori par le parquet risque de limiter considérablement les interventions des médecins, car ceux-ci n'ont aucune indication sur la manière dont le parquet contrôlera la légitimité et la légalité de l'acte d'euthanasie.

Peut-être le contrôle a posteriori pourrait-il être confié à l'Ordre des médecins.

Enfin, la commission d'évaluation paraît une bonne chose.

Pour conclure, l'intervenant constate que c'est bien la notion de « libre arbitre » et de « libre détermination » qui constitue le point de divergence essentiel entre les thèses qui s'expriment en matière d'euthanasie.

Personnellement, ce sont les lettres de malades parues dans Le Soir, La Libre Belgique et la brochure éditée par l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui l'ont convaincu.

Les soins palliatifs ne peuvent pas être une réponse, dans un certain nombre de cas, à la demande d'euthanasie.

Personnellement, s'il se trouvait, en tant que malade, dans une situation où il souffrirait et estimerait sa dignité affectée, il n'accepterait pas qu'une équipe de soins palliatifs ou une structure de soins quelconque interfère dans la décision qu'il aurait librement prise.

Il y a, sur ce point, une opposition d'opinions insurmontable et irréductible qu'il faut accepter.

En ce qui concerne le climat présidant aux travaux, un autre intervenant souligne que, pour le législateur, les phénomènes de la souffrance et de la détresse inapaisable, et le processus de mort vécu par un être humain, ne peuvent être vécus anticipativement, et sont dès lors, pour une part, impossibles à appréhender pleinement.

Vis-à-vis de ces phénomènes, nos révoltes sont impuissantes, et nos certitudes éventuelles inopérantes. C'est pourquoi l'intervenant tente d'avancer dans le débat avec mesure et modestie, avec le plus d'attention possible pour les arguments des uns et des autres, et surtout avec une écoute privilégiée pour les témoignages des personnes qui souffrent de maladies incurables, des travailleurs de la santé qui sont à leur chevet, et des proches de ces patients.

Il faudrait qu'ils puissent un tant soit peu ressentir que ce qu'ils vivent, leurs angoisses et leurs espérances, n'auront pas été trop éloignées du présent débat, et que les difficultés intrinsèques des questions à l'ordre du jour auront été abordées à partir d'eux et de leur témoignage.

Cela paraît important pour que l'approche que le Sénat fait des questions d'accompagnement de fin de vie et d'euthanasie soit une contribution à réintroduire la mort comme liée à la vie, et comme limite inhérente au pouvoir curatif de la médecine, et non comme échec systématique de celle-ci.

La préoccupation de partir avec modestie des divers vécus de patients, de soignants et de familiers, et de réfléchir au contexte culturel et socio-économique d'aujourd'hui vise aussi à éviter une approche de l'euthanasie qui, insidieusement, en ferait, à l'instar de l'acharnement thérapeutique, l'autre face du refus d'accepter les limites de la médecine ou de la vie, ou du refus d'accepter, par l'exécution d'un acte exclusivement technique d'anticipation, qu'in fine, la vie s'échappe par la mort, quelle que soit la puissance de nos moyens d'action.

Il semble à l'intervenant que les travaux du Sénat sous la législature précédente ont déjà eu le grand mérite de ne pas réduire le débat à une opposition simpliste entre une réprobation de toute euthanasie comme meurtre camouflé et une approbation de l'euthanasie comme la bonne façon de mourir dans la dignité, en cas de maladie incurable et grave.

En termes de société, il ne peut y avoir de mise en avant d'une bonne façon de mourir. Chacune est personnelle.

Les travaux du Sénat avaient également permis de s'écarter de clivages prédéterminés, et de rassembler une documentation abondante dont la seule prise de connaissance, pour un nouveau parlementaire, représente déjà, rien qu'en temps, un investissement important.

L'intervenant en appelle donc à une certaine compréhension de la part des collègues qui ont déjà pu participer à tous ces travaux.

Cependant, dans les débats bioéthiques, où chacun est appelé à se prononcer en liberté de conscience, il souhaite qu'un certain processus de maturation puisse se faire. Ceci est d'ailleurs dans la logique de ce que l'on fait pour placer le patient, ses paroles, ses modalités de relation aux autres, sa liberté de conscience, au centre de ce débat, et pour veiller à lui assurer le plus possible de compréhension, de respect, de qualité de soins, et d'adéquation de traitement.

En ce qui concerne le débat philosophique, un précédent orateur a bien situé l'option prioritaire, à savoir l'autonomie de la personne, qui doit être respectée.

Un autre membre a insisté sur l'importance d'interdits fondateurs dans une société, en l'occurrence l'interdit de tuer.

L'intervenant se demande s'il n'existe pas une option, qui se situe à un autre niveau.

Il s'agirait non pas de s'interroger sur la bonne option philosophique sur la façon de vivre sa mort, mais sur la procédure démocratique qui assure une place à chaque option, qui respecte cette option et qui ne contredise pas le fonctionnement démocratique et les droits de l'homme qui en résultent.

À ce sujet, les travaux de personnes comme Claude Lefort ont été extrêmement éclairants. Selon cet auteur, « la spécificité de la démocratie est que, pour la première fois dans l'histoire, le lieu du pouvoir s'y présente comme un lieu vide ».

L'auteur veut dire qu'il n'y a plus de vérité absolue qui puisse dire quelle est la bonne façon de se conduire, et que la règle démocratique est alors qu'il y ait une place respectée pour chacune des options philosophiques.

La tentative qui est faite ici est que la loi puisse garantir cela, et ce dans un moment crucial pour chacun de nous, celui de la fin de notre existence.

Il faudrait aussi s'entendre sur ce qu'est l'interdit du meurtre qui, aux yeux de l'intervenant, ne s'identifie pas avec l'euthanasie.

Peut-être, en démocratie, est-ce moins l'interdit qui est fondateur que la garantie que les différentes options puissent trouver leur place.

Quant à la qualité juridique des textes, il faut avoir à l'esprit que ceux-ci seront lus dans le monde entier.

À cet égard, l'intervenant a entendu avec intérêt les observations formulées par un sénateur et dont certaines rejoignent celles de la Ligue des droits de l'homme, qu'il conviendrait de communiquer aux membres des commissions réunies.

De façon plus précise, l'intervenant aborde le problème de la demande, et de la façon dont celle-ci est entendue. Il lui paraît que la question n'est pas aussi simple qu'elle peut le paraître, même si la demande est réitérée.

Des garanties et des précisions dans le texte sont donc extrêmement importantes.

L'intervenant renvoie à l'ouvrage de Guy Haarscher, intitulé Le fantôme de la liberté, où l'auteur montre la difficulté pour l'être humain d'arriver à savoir ce qu'est sa propre volonté par rapport à lui-même, et que le type d'écoute nécessaire pour que cela puisse advenir n'est pas non plus une question aussi simple qu'il y paraît.

Dans ce livre, le philosophe développe ce qu'est, à ses yeux, l'interprétation, le décodage de l'expression d'un autre être humain.

Il conclut : « L'attitude normale consiste à se situer de nouveau à la bonne distance entre la fausse rationnalité paranoïaque et le chaos schizophrénique, à tenter d'interpréter les quelques signes dont on dispose pour se forger une image du monde, et à toujours rechercher d'autres signes qui permettent avec quelque vraisemblance de distinguer un sens d'un autre, l'amour de l'indifférence, ou de faire la distinction entre la nécessaire lenteur de la justice, pesant précautionneusement le pour et le contre, et le renvoi des investigations aux calendes grecques. »

Dès lors, pour préciser les textes proposés (par exemple sur le point de savoir si deux ou trois autres médecins devront être consultés), quelques auditions, en fin de débat, seront nécessaires.

Un autre membre ne peut que se réjouir de la tournure que prend cette discussion. On pose des questions sur les textes proposés tant du point de vue de la philosophie générale que sur des points concrets. Ces questions et remarques émanent de tous les groupes politiques. Cela prouve bien qu'il est possible de mener un débat constructif.

Plusieurs orateurs ont déjà, à juste titre, mis l'accent sur la nécessité de mettre en place un bon système de soins palliatifs. La mise en place d'un tel système, accessible à tous, coûtera beaucoup d'argent et implique la libération de moyens importants tant au niveau fédéral qu'au niveau des communautés. Cela doit être réalisé.

Il n'en reste pas moins vrai qu'il subsistera toujours des cas ­ espérons qu'ils soient le moins nombreux possible ­ où les soins palliatifs n'apportent pas de solution aux souffrances du patient. Une réglementation claire en matière d'euthanasie est nécessaire pour faire face à ces cas-là. Il faut régler cette question de manière légale afin de garantir au patient qui est en fin de vie que sa volonté sera respectée. Personne ne doute du fait qu'à l'heure actuelle, des médecins mettent fin à des vies sans que le patient l'ait demandé. Une étude récente indique que cela concerne plus de 2 % des décès.

Actuellement, on pratique simplement une politique de tolérance en matière d'euthanasie qui ne permet pas au patient de faire valoir ses droits. On ne peut considérer que ces textes font fi des droits du patient. Au contraire, ils ont pour objectif explicite d'insérer dans le droit pénal, certains critères de prudence réglementant des pratiques qui sont actuellement en usage sans aucun contrôle.

L'intervenante est personnellement d'avis que limiter la réglementation sur l'euthanasie aux patients en phase terminale est une conception trop étroite. Dans la proposition de loi nº 2-86/1, on parle donc de patients qui se trouvent « dans une situation sans espoir du point de vue médical ». On peut concevoir la souffrance comme un processus de purification mais ce n'est certainement pas le cas pour tout le monde. Les patients qui n'ont aucun espoir de guérison et souffrent beaucoup, ont droit à une mort digne.

L'intervenante déclare qu'elle a été quelque peu indignée par la demande formulée il y a peu, d'organiser des auditions sur les patients incapables d'exprimer leurs volontés. Cette catégorie est parfaitement définie juridiquement, il ne peut y avoir de doute à ce sujet. En outre, dans aucune des propositions déposées, il n'est question d'euthanasie pour les personnes incapables d'exprimer leurs volontés. Il y a aussi un consensus dans la société, pour considérer qu'il est prématuré d'élargir le débat sur l'euthanasie à cette catégorie. Il faut pour ce faire que d'autres choses soient d'abord clarifiées.

Enfin, en ce qui concerne les remarques d'un des orateurs précédents, l'intervenante dément que la proposition de loi nº 2-244/1 ait été élaborée dans la précipitation et sans beaucoup de concertation. Il n'empêche que le texte est cependant perfectible. Pour sa part, elle est d'avis que la discussion reste ouverte et que les amendements déposés devront être examinés et débattus en profondeur.

Un membre précise que son intervention est faite à titre personnel.

Le médecin pratiquant aujourd'hui une euthanasie, c'est-à-dire qui donne la mort à une personne à la demande de celle-ci, se rend coupable du crime de meurtre, voire d'assassinat si, en toute logique, la préméditation est retenue à son encontre.

En effet, le consentement de la victime ne constitue jamais une cause de justification proprement dite : les lois pénales étant d'ordre public, il n'est pas permis d'y déroger par des conventions particulières (2) ! Cela va de soi ...

Or, les auteurs d'euthanasie sont, actuellement, rarement poursuivis, et encore moins condamnés. Il faut constater d'emblée que l'existence même de la législation répressive actuelle fausse le rapport entre le médecin et le malade et entraîne, dans les faits, une inégalité devant la mort.

La quasi-absence de poursuites ou de condamnations est due en effet à l'attitude du pouvoir judiciaire, qui tend à considérer actuellement que les médecins auteurs d'euthanasie agissent sous l'emprise de l'état de nécessité.

Que recouvre cette notion ? Est-elle une réponse pertinente ? Son action au présent cas correspond-elle à l'évolution des esprits dans notre société ?

L'intervenant rappelle que l'état de nécessité n'est pas pris en considération par le Code pénal comme une cause générale de justification. Il est mentionné de manière éparse dans celui-ci ou dans des lois particulières qui en font une circonstance exclusive de criminalité (3). Encore cette mention est-elle particulière, puisqu'elle fait de l'absence de nécessité une condition d'existence de l'infraction. Depuis sa réforme en 1992, le Code pénal français en fait formellement une cause de justification objective (4), et l'avant-projet de Code pénal rédigé par Robert Legros prévoit de le consacrer également (5).

Actuellement, en Belgique, ce sont donc la doctrine et la jurisprudence qui reconnaissent de façon explicite cette cause de justification, considérée comme le « remède ultime » apporté à la rigidité de la loi dans les circonstances exceptionnelles et fatalement imprévisibles où le respect de l'interdit entraînerait un dommage objectivement inacceptable (6). Celui, cas extrême, où la prolongation de la vie constituerait un mal plus grand pour la personne humaine que la mort elle-même.

Si l'existence et l'acceptation de cette construction doctrinale et jurisprudentielle ne font plus l'objet de controverses, son fondement et sa nature soulèvent toujours certaines hésitations.

Deux conceptions se sont longtemps opposées : l'une, défendue essentiellement par la jurisprudence, assimilait l'état de nécessité aux notions de contrainte ou de force majeure (7); l'autre, soutenue surtout par la doctrine moderne, y voit une notion autonome (8).

Paul Foriers a bien montré la différence entre les deux concepts : dans la contrainte morale, la solution est dictée à l'agent, alors que dans l'hypothèse de l'état de nécessité, l'agent se voit obligé de délibérer. Sous l'empire de la nécessité, l'agent choisit librement et volontairement, sa volonté n'est nullement annihilée.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 13 mai 1987 (9), a consacré cette solution. Le fondement de l'état de nécessité n'est donc pas l'article 71 du Code pénal, dans une quelconque version « atténuée », mais bien un principe général plus large.

La Cour se prononçait sur un pourvoi contre un arrêt de la cour d'appel de Liège qui exprimait clairement que le défendeur « avait été contraint de faire un choix entre deux valeurs », et avait estimé devoir « accorder la primauté » à l'une d'elles. Ce choix, dit la cour d'appel, « ne pouvait que recevoir l'adhésion de la conscience sociale, qui constitue un des supports de la règle pénale ».

La Cour de cassation a approuvé l'arrêt prononcé en appel, disant pour droit que « l'état de nécessité allégué par le défendeur ne pouvait être écarté dès lors que, eu égard à la valeur respective des droits en conflit et en présence d'un mal grave et imminent pour autrui, le défendeur avait pu estimer qu'il ne lui était pas possible de sauvegarder, autrement qu'en commettant les faits qui lui sont reprochés, un intérêt général plus impérieux qu'il avait le devoir ou qu'il était en droit de sauvegarder avant tous les autres ».

Désormais, il est donc généralement admis que l'état de nécessité est une situation où l'auteur, en pleine possession de son libre-arbitre, choisit, entre deux impératifs contradictoires, la ligne de conduite qu'il doit suivre.

Il s'agit donc d'une cause de justification dite « objective », qui rend l'acte licite, bien qu'il corresponde aux éléments légaux d'une incrimination, et non une cause de non-imputabilité qui supprime la faute au sens pénal dans le chef de l'agent.

Le juge a donc actuellement un rôle primordial et exclusif dans l'appréciation de l'existence même de l'état de nécessité : il doit apprécier la « mise en balance » des valeurs en conflit à laquelle a procédé une personne qui a commis un acte d'euthanasie.

Pour ce faire, le magistrat fait référence évidemment à la loi et aux textes fondateurs. Mais, au-delà, il doit cerner une échelle de valeurs communes beaucoup plus large, échelle qui est tributaire d'une certaine philosophie et d'une conception du monde qui lui est personnelle.

Cette responsabilité, il est normal que le magistrat l'assume dans des cas exceptionnels. Ceux que le législateur, qui ne peut tout prévoir, n'a pas pu régler formellement.

Faut-il continuer à charger les juges de traduire seuls les évolutions de la « conscience sociale » sur des sujets aussi fondamentaux, et qui touchent à l'intégrité physique et à la dignité des personnes ? L'intervenant ne le pense pas. Le recours à l'état de nécessité peut-il être érigé, comme il l'est aujourd'hui, en solution jurisprudentielle unique aux problèmes liés à la fin de vie ? L'intervenant ne le pense pas. Le législateur doit-il se dérober à la responsabilité, qui lui appartient, de traduire dans la loi, la volonté de la majorité du corps social sur la pratique de l'euthanasie dont l'existence n'est niée par personne ? Une troisième fois, l'intervenant ne le pense pas !

Il ne peut donc que se réjouir de voir tous les partis démocratiques estimer que le législateur doit intervenir. Et la plupart, sinon toutes les propositions de loi, semblent d'accord pour reconnaître que dans certains cas, la solution extrême que représente l'euthanasie doit être rendue licite par la loi.

Si la société accepte l'euthanasie dans sa grande majorité, le législateur a le devoir de traduire ce choix dans la loi et de fixer les conditions dans lesquelles la société est prête à accepter cette pratique. Il n'est donc pas question de laisser aux seuls médecins cette responsabilité, responsabilité que les magistrats évalueraient sans indication de la loi.

Certains prétendent pouvoir régler la question en fixant de simples repères au juge, indiquant dans la réglementation les éléments qui permettent de cerner l'état de nécessité.

L'intervenant ne pense pas que ce soit opportun. Au contraire, il estime que c'est dans le Code pénal, lui qui est porteur de l'interdit fondamental de tuer, que notre société doit à présent inscrire le droit de la personne à disposer de son propre corps jusqu'au moment ultime de la mort. Toute autre solution lui paraît hypocrite et conservatrice, parce que ne répondant pas franchement et réellement au problème de société posé. C'est pourquoi il partage et soutient entièrement les propositions de loi présentées par les six chefs de groupe de la coalition de l'arc-en-ciel.

Ce faisant, il ne croit pas qu'il faille entamer la portée des articles 417 et suivants du Code pénal, qui subsisteront après l'adoption de cette nouvelle loi, ne l'oublions pas. On entend, en réalité, préciser les conditions très strictes dans lesquelles ces articles ne s'appliqueront plus en cas d'euthanasie, parce qu'on se trouvera dans une situation, balisée par la loi, où l'auteur de celle-ci sera justifié.

L'intervenant tient à dire que selon lui, la notion d'état de nécessité continuera à s'appliquer, le cas échéant, pour des circonstances non réglées par la loi en discussion. Il se risque à dire que ceci concerne les cas où la personne n'a pas déclaré préalablement sa volonté et n'est pas ou n'est plus capable de le faire. L'état de nécessité doit pouvoir continuer à s'appliquer, le cas échéant, selon l'éthique et la conscience des médecins et sous le contrôle judiciaire dans le respect du droit commun.

Mais on aura rendu à la notion d'état de nécessité son statut d'exception. Elle ne pourra plus intervenir, comme c'est le cas aujourd'hui, presque « automatiquement » dans de très nombreux cas.

En outre, en cas de contestation, le rôle du juge sera, selon cette conception, de vérifier si les conditions édictées par le nouvel article 417bis sont réunies, auquel cas on se trouvera bien dans un cas d'euthanasie admis par le corps social. Dans le cas contraire, le droit commun aurait à s'appliquer. En dehors des règles qui vont être fixées, le consentement seul n'est pas suffisant : personne ne peut consentir à être tué !

Selon l'intervenant, on ne crée pas une exception nouvelle à l'interdit fondamental de tuer. Au contraire, on formalise dans la loi, de la manière qu'il convient de rendre la plus rigoureuse possible, la notion jurisprudentielle d'état de nécessité, sur laquelle on continue en réalité à s'appuyer. Les conditions, fixées dans la loi, garantiront, le cas échéant, un contrôle juridictionnel dont l'effet dissuasif ne doit pas être sous-estimé.

Ce faisant, on pense pouvoir assurer une sécurité juridique beaucoup plus solide. D'abord aux médecins qui le voudront en conscience, et qui n'agiront plus dès lors dans la crainte, toujours présente actuellement, de poursuites judiciaires à leur encontre, si tel magistrat le décide subitement et arbitrairement, pour quelque motif que ce soit. Mais aussi aux demandeurs d'euthanasie qui trouveront dans les conditions et les modalités d'application de la loi le strict respect de leur propre volonté et la garantie que celle-ci ne sera pas détournée pour des motifs inacceptables, grâce au contrôle judiciaire toujours possible.

C'est le principe mérite des propositions présentées par Philippe Mahoux, avec la référence que font tous les membres du groupe auquel appartient l'intervenant, aux propositions qui étaient celles à l'origine, notamment, de Roger Lallemand et de Fred Erdman. Ce faisant, l'intervenant pense que la loi nouvelle reflètera mieux l'état moral qui prévaut actuellement dans la société belge, sans l'abaisser d'aucune façon. Peu importe ce qui se fait ou ne se fait pas ailleurs.

Il ne sera certes jamais possible d'éviter tous les abus. Mais l'intervenant pense que ceux-ci seront moins graves et bien moins nombreux que ceux qui sont commis aujourd'hui clandestinement, malgré la loi répressive, à cause de l'insuffisance de contrôle, de l'absence de concertation obligatoire, de l'utilisation de moyens inadéquats pour provoquer une mort douce et rapide. Ce qui entraîne, en définitive, une inégalité intolérable devant la mort !

L'intervenant ajoute enfin que ce raisonnement juridique, qui se traduira bientôt, il l'espère, dans la loi, respecte entièrement les conceptions philosophiques et religieuses de chacun, patients et médecins. En particulier, les convictions de ceux qui croient que la vie n'appartient pas à l'homme qui en bénéficie. Nul ne sera ainsi poussé à commettre ou subir un acte qui serait contraire à sa conscience. Mais également, grâce à la loi libératrice, nul n'aura plus le pouvoir d'imposer à tous les autres ses conceptions dogmatiques.

Un autre membre renvoie à sa précédente intervention, au cours de laquelle elle avait évoqué un certain nombre d'éléments, et fait part de sa perplexité, face au débat qui débute aujourd'hui. Un élément neuf justifie sa nouvelle intervention, à savoir le dépôt, par certains parlementaires de la majorité, d'une proposition conjointe ou plus exactement, de trois propositions formant un tout, et destinées à cheminer ensemble. Les auteurs avaient précédemment déposé des propositions distinctes allant, il est vrai, dans le même sens (puisque toutes optaient pour une modification du Code pénal), même si des nuances parfois importantes étaient contenues dans les diverses propositions.

L'intervenante souhaite formuler certaines observations et questions par rapport aux 3 propositions nouvelles qui viennent d'être déposées.

Il est bon que celles-ci, qui concernent respectivement l'euthanasie, les soins palliatifs, et la création d'une commission d'évaluation, soient traitées ensemble, car ces divers sujets doivent, selon l'intervenante, faire l'objet d'un débat commun.

Pour fournir un travail de qualité dans une matière aussi difficile, il faut tout d'abord un débat approfondi sur chacun des éléments contenus dans les propositions, débat qui doit aller bien au-delà des clivages philosophiques et idéologiques, et se préoccuper avant tout de ce que la loi future pourra apporter par rapport aux problèmes réels et concrets rencontrés par les personnes en fin de vie.

Le débat devrait également revêtir une dimension pédagogique. Il s'agit de bien définir ce que l'on vise exactement lorsqu'on parle d'euthanasie, de soins palliatifs, d'acharnement thérapeutique, d'arrêt de traitement etc.

L'intervenante constate en effet, dans les discussions avec des collègues non membres des commissions réunies ou avec d'autres personnes non professionnelles, qu'il existe une énorme confusion à cet égard. Nombreux sont ceux qui parlent de ce qu'ils ont vécu, de ce qu'ils ressentent comme patients, dans des situations qui peuvent être extrêmement différentes, et ne touchent pas nécessairement à l'euthanasie en tant que telle, mais plutôt aux relations entre le patient et son médecin, et à la volonté de voir, dans ces relations, les droits du patient respectés, notamment dans le cadre des hôpitaux. Ce point est essentiel, et c'est probablement l'un des éléments qui ont amené un débat sur le point plus précis de l'euthanasie.

Toute la difficulté vient du fait que l'on touche là à un autre volet du problème, ce que l'on pourrait qualifier de « droits du patient » par rapport au médecin.

L'intervenante croit avoir compris que l'intention des auteurs des 3 propositions est de ne pas entrer dans ce débat, faute de quoi d'autres actes que l'euthanasie devraient également être visés par le texte. Ce point mériterait d'être clarifié.

Il serait aussi intéressant de faire l'inventaire des points de convergence et de divergence entre les différents points de vue exprimés.

Il semble y avoir un large consensus sur le fait que les soins palliatifs doivent devenir un droit pour chaque patient, et qu'il est nécessaire de développer ces soins dans notre pays, ce qui est loin d'être le cas actuellement.

Lorsque la question des soins palliatifs sera abordée, il faudrait discuter de ce qui existe dans notre pays, de l'état actuel de la législation, des moyens que l'on peut dégager. Le débat sur les soins palliatifs en amène un autre, sur une certaine conception de la médecine, sur la manière dont on considère le patient comme une personne à soigner de manière continue.

Ce n'est pas parce qu'à un moment donné, on doit constater que les soins curatifs deviennent inopérants, que le médecin doit se désintéresser du patient et considérer qu'il n'est plus de son ressort.

Une évolution importante se fait à cet égard dans le domaine de la médecine, où l'on considère qu'à aucun moment, on ne peut abandonner son patient lorsqu'on doit constater que sa maladie elle-même n'est plus curable. Ce qui s'est fait jusqu'ici en matière de soins palliatifs, a amené à une réflexion dans les hôpitaux, et nous force à réfléchir à une meilleure organisation de la médecine, notamment par la formation, bien que celle-ci ne soit pas, sur le plan institutionnel du ressort du législateur fédéral. À cet égard, la proposition pose des problèmes sur lesquels l'intervenante reviendra ultérieurement. Il faudra en tout cas, d'une manière ou d'une autre, rendre les communautés et les régions conscientes du travail qu'elles ont à effectuer en la matière.

Il faut souligner aussi que la pratique médicale commence à évoluer, mais c'est loin d'être le cas dans tous les hôpitaux (cf. la lettre envoyée par les infirmières du CHU de Brugmann, indiquant les problèmes rencontrés dans nos hôpitaux, et qui suscitent la réaction du citoyen à l'égard de la médecine).

Quant à la proposition de loi elle-même relative à l'euthanasie, on peut constater une évolution importante, sur un certain nombre de points, par rapport aux propositions de loi initiales, en ce qui concerne le champ d'application, la procédure, le contrôle, etc.

La première question concerne la notion de « phase terminale », que l'on trouvait dans deux des propositions initiales, et qui ne figure plus dans la proposition conjointe.

L'intervenante estime qu'il s'agit là d'une évolution importante, qui pose problème parce qu'elle ouvre de manière beaucoup plus large qu'avant le champ d'application de l'éventuelle modification de la loi pénale.

L'intervenante souhaiterait également une plus grande clarté par rapport à la définition que l'on donne de l'euthanasie. D'une certaine manière, en élargissant le champ d'application, ne risque-t-on pas de glisser vers l'aide au suicide, qui ne doit pas être confondue avec l'euthanasie ?

Un deuxième point concerne la souffrance physique et psychologique. À cet égard, on note aussi un élargissement des textes initiaux, puisqu'il est maintenant question d'état de détresse.

L'intervenante n'aperçoit pas la pertinence, dans le contexte de l'euthanasie, de cette dernière terminologie, qui a été utilisée en matière d'avortement.

L'intervenante estime personnellement, en dépit du parallèle que l'on établit souvent entre les deux débats, qu'ils sont de nature fondamentalement différente.

Tous les auteurs de propositions font référence au caractère incurable de la maladie, et aux souffrances insupportables, inapaisables et constantes. L'état de détresse, considéré dans le cadre d'une telle maladie, paraît une manière trop subjective d'appréhender l'état de souffrance physique et psychique du patient.

Si l'on considère l'ensemble des propositions déposées, indépendamment de la façon de procéder qu'elles proposent, toutes font état, outre le caractère incurable de la maladie, de souffrances insupportables, inapaisables et constantes. Toutes considèrent qu'il doit s'agir d'une demande mûrement réfléchie, persistante et réitérée du patient. Les convergences sont importantes, et doivent pouvoir être prises en considération dans le cadre du débat.

Un troisième point concerne la problématique du statut des capables et des incapables, des personnes conscientes et inconscientes, des majeurs et des mineurs.

Il s'agit là de problèmes extrêmement délicats, que les auteurs des propositions de loi initiale réglaient de manière très différente.

Ils méritent un débat approfondi, où l'on doit se reposer les questions fondamentales que se sont posées ceux qui, au départ, entendaient limiter le champ d'application de la loi aux patients conscients. Car le problème des patients inconscients obéit à une autre logique que celui des patients conscients, et les règles régissant les seconds ne peuvent, par définition, s'appliquer aux premiers. Il se pose donc, en premier lieu, un problème d'égalité de traitement entre patients conscients et patients inconscients. Le même problème se pose à propos de la différence entre les patients capables et les patients incapables sur le plan juridique.

Enfin, en ce qui concerne la distinction entre majeurs et mineurs, la proposition fait référence aux mineurs non émancipés.

L'intervenante estime qu'il faut mettre tous les mineurs sur le même pied, et que sur le plan éthique, une discrimination fondée sur l'émancipation ne se justifie pas en l'occurrence.

Pour le patient inconscient, la proposition de loi prévoit le système de la déclaration anticipée.

On introduit cependant une chose dont il n'est pas question pour le patient conscient; à l'alinéa premier, on parle d'une déclaration anticipée dans laquelle le patient indiquerait ses préférences ou ses objections pour certains types de prise en charge médicale.

L'intervenante estime que l'on ne se trouve plus là dans le champ d'application de l'euthanasie proprement dite, mais dans celui, plus général, des droits du patient.

On sort donc du cadre de la définition donnée par le Comité de bioéthique. L'on va au devant de nombreuses difficultés pour tous les actes pratiqués quotidiennement par les médecins, et difficiles à poser, qui ne sont pas des actes d'euthanasie, mais qui relèvent de la responsabilité médicale : autres actes de fin de vie, de soins intensifs, etc.

Le système de la déclaration anticipée peut, il est vrai, rassurer et soulager beaucoup de gens, parce que ceux-ci peuvent par ce biais faire part de leurs volontés au sujet de leur fin de vie.

Cependant la déclaration est faite dans des conditions non nécessairement identiques à celles où se trouvera le patient lorsqu'il s'agira de l'appliquer.

Or, le patient inconscient est privé du droit de se rétracter.

Dès lors, l'intervenante considère que la déclaration anticipée, telle qu'elle est envisagée, ne peut constituer pour le médecin qu'un élément parmi d'autres, et ne peut jamais avoir une valeur absolue à l'égard d'un patient inconscient.

En ce qui concerne le rôle d'un mandataire, l'intervenante n'est pas opposée à l'idée qu'une tierce personne puisse défendre les intérêts du patient, mais le problème est de savoir quel contenu juridique on donne à la notion de mandataire.

La question du dialogue pourra être approfondie dans le cadre de la discussion des articles. Aux yeux de l'intervenante, s'agissant de décisions aussi difficiles, le dialogue doit être le plus large possible.

Cependant, et chacun semble s'accorder sur ce point, la décision finale revient évidemment au patient, qui réitère sa demande, et au médecin, qui l'accepte ou non.

Il n'est pas question que ce dialogue soit, de quelque manière, un tribunal, comme certains le redoutent.

Il doit permettre aux uns et aux autres de prendre du recul par rapport à la situation, et d'entendre la demande du patient. À cet égard, il serait nécessaire d'avoir une discussion sur la manière concrète d'entendre et de décoder cette demande.

Une série de problèmes plus techniques se posent également à propos de certains articles.

Ainsi, la rédaction de l'article 8, qui insère un article 417bis dans le Code pénal, pose problème, au regard notamment de ce qui figure à l'article 3.

Il n'est pas certain que la terminologie utilisée dans ces deux articles soit identique. De plus, l'intention est-elle vraiment d'exclure du champ d'application de la loi pénale les faits visés aux articles 395 (parricide) et 396 (infanticide) du Code pénal ?

Enfin, un élément fondamental n'est pas repris dans l'article 417bis proposé : il s'agit de la condition selon laquelle une euthanasie ne peut être pratiquée qu'à la demande du patient. Tout dépend évidemment de la manière dont on conçoit la disposition à insérer dans le Code pénal : soit il s'agit d'une disposition très générale faisant référence à tous les critères figurant à l'article 3, soit il s'agit d'un article très précis, où tous les éléments essentiels, dont la volonté du patient, doivent se retrouver.

Enfin, en ce qui concerne la question du contrôle et de l'évaluation, il s'agit de deux éléments indispensables.

En matière de contrôle, plusieurs voies ont été explorées.

Les six auteurs de la proposition nouvelle ont opté pour la transmission du dossier au procureur du Roi, qui peut demander le dossier médical.

En termes de sécurité juridique, ce système pose question, car certains procureurs demanderont peut-être systématiquement communication du dossier médical, tandis que d'autres se contenteront du premier dossier, dont les indications seront sans doute limitées.

Quant à la commission d'évaluation, les données qui sont demandées paraissent insuffisantes à l'intervenante, si l'on veut réellement faire une évaluation qui puisse, le cas échéant, faire évoluer la législation ultérieurement.

À cet égard, le contrôle prévu par le système hollandais, et le contenu de la première proposition déposée par Mme Leduc et consorts paraissent ­ aux yeux de l'intervenante ­ plus efficients que ce que prévoit la proposition conjointe.

En conclusion, l'intervenante pense qu'en dehors des clivages résultant de la méthode de travail choisie ­ modification du Code pénal ou de l'arrêté royal relatif à l'art de guérir ­ il existe des éléments communs aux diverses opinions exprimées.

Il est en tout cas nécessaire de mener un débat de fond sur les questions essentielles qui se posent. À cet égard, l'un des mérites de la proposition conjointe est peut-être de faciliter la discussion, en rassemblant en un seul texte divers éléments, ce qui fait mieux ressortir les points à discuter.

L'intervenante souhaite pouvoir mener un débat serein et constructif, au-delà des clivages idéologiques et philosophiques.

Quelles que soient les conclusions de ce débat, et quoi que l'on puisse penser à titre personnel de la manière de traiter le problème de l'euthanasie, il est important que la discussion puisse avoir lieu, car on n'a jamais intérêt à évacuer les questions éthiques, comme on a pu le faire dans le passé.

Il s'agit de questions que les citoyens posent et se posent, et il est de la responsabilité des parlementaires de les traiter.

Un membre fait remarquer que certains commissaires se sont mis autour de la table pour élaborer une proposition commune, non dans le but de bloquer le débat mais au contraire pour faciliter la discussion sur une matière qui préoccupe les personnes depuis très longtemps.

Elle ne peut s'empêcher de dire qu'elle a été blessée par certaines déclarations de la presse qui caricaturent la proposition et suggèrent qu'il s'agit d'une banalisation de la mort. Quand on se donne la peine d'analyser les textes, on voit bien que ce n'est pas le cas.

Les auteurs de la proposition ont l'intention d'élaborer une réglementation claire et transparente en matière d'euthanasie qui se fonde sur trois préoccupations :

­ aider les patients qui endurent des souffrances insupportables et demandent d'être soulagés par l'euthanasie;

­ garantir que la volonté de ces patients sera respectée et empêcher les abus;

­ offrir la sécurité juridique aux médecins qui sont disposés à accéder à la requête persistante du patient.

La proposition de loi essaie de répondre à ces trois objectifs de la manière la plus correcte possible. Cependant, si d'autres membres estiment qu'elle présente des lacunes, il va de soi qu'il faut en discuter et qu'il faut pouvoir insérer des amendements qui sont dans l'intérêt du patient.

Dans la logique de la proposition, l'euthanasie est possible à la demande d'un patient majeur ou d'un mineur émancipé qui est capable et conscient. La demande doit être expresse, univoque, mûrement réfléchie et persistante. Le patient doit se trouver dans une situation de détresse et de souffrance persistante et insupportable qui ne peut être soulagée et qui est la conséquence d'une affection grave et incurable due à une maladie ou à un accident.

L'intervenante explique que le concept de « détresse » a donné lieu à des réactions. Personnellement, elle estime qu'il doit être maintenu. On parle de détresse quand la souffrance est insupportable mais aussi lorsque la déchéance de la condition humaine est telle que l'on perd toute dignité; bref, quand la vie n'est plus une vie. C'est notamment pour cela qu'on a opté pour la suppression du mot « terminal ». Il est possible qu'un patient ait encore un certain temps à vivre mais que son état l'empêche de vivre dignement et qu'il demande tout de même qu'on mette fin à ses jours. La société doit aussi respecter cette requête.

Elle tient à souligner une nouvelle fois que l'euthanasie ne peut être pratiquée qu'en cas de demande persistante du patient et que la proposition de loi n'impose aucune obligation au médecin. Cependant, si le médecin, à la suite d'une demande répétée de son patient et après avoir consulté un deuxième médecin indépendant et tenu compte des critères de prudence, décide de pratiquer l'euthanasie, il ne sera plus punissable.

Le deuxième médecin qui est consulté, doit pouvoir juger en toute autonomie et être suffisamment qualifié pour pouvoir se prononcer sur l'état de souffrance du patient.

Il va de soi que le médecin doit informer le patient sur tous les aspects de sa maladie et sur les possibilités qui existent dans le domaine des soins palliatifs. Pour les auteurs des propositions, il ne peut y avoir de doute sur le fait que tous les patients doivent pouvoir avoir accès aux soins palliatifs, même ceux qui ne peuvent actuellement les payer et surtout ceux qui veulent passer leur fin de vie à domicile, dans leur propre environnement.

Comme d'autres membres de la commission l'ont fait remarquer, il reste beaucoup de travail à accomplir dans ce domaine tant au niveau des moyens disponibles qu'en matière de formation des médecins et du personnel infirmier.

Une autre partie de la proposition de loi suscite des discussions : celle qui a trait à la déclaration anticipée. Cette déclaration doit être écrite et signée. On n'en tient compte que si elle est rédigée ou confirmée moins de cinq ans avant le moment où la personne ne peut plus exprimer sa volonté. On critique souvent la déclaration anticipée en invoquant qu'il est difficile d'imaginer à l'avance les circonstances du décès. La personne qui rédige une déclaration peut cependant y expliquer clairement dans quelles circonstances et à quelles conditions, certains traitements médicaux peuvent être appliqués. La rédaction de la déclaration peut d'ailleurs se faire en concertation avec son médecin.

Si un patient ayant rédigé une déclaration anticipée n'est plus conscient, il faut d'abord tenter de le ramener à l'état de conscience. Si on n'y parvient pas, il faut maintenir la possibilité de mettre en oeuvre la déclaration. On ne peut obliger personne à attendre la fin dans des circonstances dégradantes, contre sa volonté. Il va de soi qu'en cas de mise en oeuvre de la déclaration anticipée, tous les critères de prudence énumérés à l'article 3 doivent être respectés.

L'intervenante conclut en disant que, quoi qu'on ait pu dire récemment au sujet de cette proposition de loi, l'intention des auteurs consiste uniquement à permettre d'aider les patients en situation de souffrance extrême, à les protéger des abus et à offrir la sécurité juridique nécessaire aux médecins qui accèdent à cette requête. Il va de soi qu'il faut pouvoir discuter des amendements qui sont dans l'intérêt du patient.

Un sénateur se réfère à ses amendements 1 à 4 (doc. Sénat, nº 2-244/2) qui reflètent les observations qu'il a émises lors de la dernière réunion au sujet de la proposition de loi nº 2-244/1. Il se réjouit que les auteurs de cette proposition soient ouverts aux initiatives susceptibles d'améliorer le texte.

Il se demande cependant dans quelle mesure des auditions de représentants des groupes professionnels concernés peuvent encore être organisées. Il y a, par exemple, des signaux émanant des associations de médecins qui déclarent, d'une part, qu'elles sont demandeuses d'une réglementation légale de l'euthanasie mais qui, d'autre part, laissent entendre que la déontologie médicale actuelle permet l'euthanasie. Cette attitude est équivoque mais on pourrait aussi y voir une manière subtile d'engager le débat. Les commissions doivent y donner suite.

Il fait ensuite remarquer qu'il y a incontestablement un grand fossé entre la proposition de loi nº 2-244/1, d'une part, et les idées émises par les représentants des autres partis d'opposition, d'autre part.

Les avis divergent notamment quant à la question de savoir si la réglementation de l'euthanasie doit se faire par le biais d'une modification du Code pénal, comme le prévoit la proposition de loi nº 2-244/1. Les groupes démocrates-chrétiens souhaitent que la réglementation se fonde sur la notion d'état de nécessité et que la loi pénale reste inchangée.

Personnellement, il a l'impression qu'il s'agit d'une question de nature symbolique. Quand on évalue concrètement les critères de prudence, par exemple dans la proposition nº 2-160/1 de M. Vandenberghe et consorts, elles ne semblent pas plus sévères que celles imposées dans la proposition de loi nº 2-244/1.

C'est pourquoi, il plaide pour que la discussion porte avant tout sur des questions de fond, à savoir sur les critères de prudence à prendre en considération en cas d'euthanasie. À la lumière des réponses fournies à ce sujet, on peut examiner quelle est la meilleure manière d'insérer ces garanties dans le système juridique.

Un autre membre fait remarquer que, dans la déclaration du gouvernement fédéral du 14 juillet 1999, on peut lire que, pour les questions éthiques comme l'euthanasie, le Parlement doit pouvoir assumer pleinement ses responsabilités.

Pour les membres des commissions réunies, cela signifie que chacun doit pouvoir assumer pleinement ses responsabilités en tant que membres du pouvoir législatif. Chacun doit d'ailleurs les assumer. En effet, le processus décisionnel n'est pas encore achevé. On n'a pas conclu d'accord de gouvernement sur l'euthanasie; il n'y a pas eu de concertation intercabinets. Chaque groupe, chaque sénateur peut donc participer au processus décisionnel librement, sans contrainte. Pour parvenir à des décisions sages, tout processus démocratique suit des procédures qui permettent la discussion et le dialogue.

Elle espère que dans ce débat exceptionnel et important, on fera preuve de suffisamment d'ouverture intellectuelle pour relever pleinement le défi de la discussion et du dialogue.

Elle se doit cependant d'ajouter que, jusqu'à présent, elle n'a pas toujours eu l'impression qu'il y avait une volonté dans les commissions de mener un réel débat. Les remarques relatives à des soi-disant manoeuvres de retardement, à des temps de paroles trop longs et à des auditions inutiles ont parfois laissé supposer le contraire. La présomption que l'on veut échapper au débat au sein des organes du Sénat, a été confirmée par la publication dans la presse de la proposition de six groupes de la majorité et ce juste avant les congés, au moment où une réunion des commissions avait été annulée. Même après avoir pris connaissance du commentaire de cette proposition, bien des questions quant à ses objectifs restent sans réponses. Quel est le statut de cette proposition, est-elle soutenue par tous les groupes de ses signataires, par tous les membres de ces groupes ?

Que signifient les déclarations du premier ministre et de M. Geysels sur les possibilités d'amendements ?

Quel est le statut des propositions de loi déposées antérieurement par les groupes de la majorité ? Sont-elles écartées ? Ou constituent-elles toujours un élément du débat ?

L'intervenante souligne qu'elle n'était pas sénatrice lors de la législature précédente et que c'est le cas de nombreux autres commissaires. Ils doivent exercer leur fonction de législateur en ne tenant pas uniquement compte du travail d'étude et de réflexion qui a déjà été accompli mais en se basant aussi sur le contexte social, médical et international d'aujourd'hui et non sur celui d'il y a quatre ans.

En tant que juriste socialement engagée, elle s'est toujours intéressée aux fondements de la philosophie du droit et aux fondements de la société.

Elle s'est donc intéressée au débat sur l'euthanasie lorsqu'en 1993, pour la première fois dans l'histoire démocratique, le Parlement néerlandais a voté une réglementation sur l'euthanasie et elle a rassemblé depuis lors pas mal de documentation et d'articles du monde entier sur la pratique de l'euthanasie aux Pays-Bas.

Elle estime donc que les questions qu'elle veut présenter aujourd'hui ne sont, par conséquent, pas irréfléchies. Elle les a préparées depuis des années en toute sincérité. Personne ne peut nier que les règles qui définissent comment et par qui la mort peut être donnée, relèvent des valeurs les plus fondamentales d'une société.

La première indication importante de la gravité de ce débat est la situation exceptionnelle qui serait celle de notre pays s'il légalisait l'euthanasie. Il n'y a que peu de responsables politiques ou de commentateurs de la rue de la Loi qui ont conscience des répercussions qu'aurait une éventuelle légalisation de l'euthanasie en Belgique. On a même affirmé au sein de cette commission qu'il ne fallait pas se référer à d'autres pays mais que nous devions nous occuper de nous-mêmes. La lutte ou le consensus idéologique interne à la Belgique accapare tellement notre attention que nous ne nous rendons pas compte qu'une dépénalisation attirera l'attention de la presse mondiale. Il s'agirait en effet d'un cas unique dans la communauté universelle, en ce début du troisième millénaire.

Il est en effet frappant de constater que, dans notre culture politique, le débat sur l'euthanasie est mené dans le contexte du conflit entre libres-penseurs et croyants. Or, un débat politique sur l'euthanasie ne peut évidemment pas porter sur la philosophie de vie personnelle ou sur les conceptions religieuses individuelles. Un débat sur l'euthanasie porte par essence sur le contenu de notre État de droit et sur la question de savoir comment garantir et maintenir la protection juridique de chacun. Dans la plupart des autres pays, les problèmes éthiques ne sont pas discutés comme chez nous, dans un contexte de conflit entre les conceptions religieuses et non religieuses, mais les décisions découlent du sentiment collectif du droit et encouragent la capacité de solidarité des personnes.

Depuis 1993, les Pays-Bas pratiquent une politique de tolérance dans certaines circonstances bien définies, mais même dans ce pays, l'interdit pénal n'a pas été levé. Dans de nombreux pays démocratiques, un débat ouvert a déjà été mené sur la fin de vie; ce fut notamment le cas au Danemark, en Grande-Bretagne, au Canada, en Suisse et en Australie. Partout, on a abouti à la même conclusion : un État de droit ne peut tolérer que l'on donne volontairement la mort, même s'il s'agit de « donner la mort médicalement, sur demande » ­ les termes habituellement utilisés pour désigner l'euthanasie.

Le Conseil de l'Europe qui est l'instance qui fait autorité pour veiller au respect des droits de l'homme sur notre continent a pris le 25 juin de cette année, une recommandation intitulée « Protection des droits de l'homme et de la dignité des malades incurables et des mourants ». On y demande aux pays européens de prendre des mesures visant à mieux protéger les mourants et à garantir leur dignité d'être humain. La recommandation donne la priorité aux soins palliatifs et souligne que, bien que des traitements antidouleur puissent exceptionnellement contribuer à abréger la vie, on ne peut jamais autoriser d'acte médical visant à donner la mort. L'autorité de cette recommandation a déjà été contestée au sein de ces commissions parce que peu de membres de l'assemblée étaient présents lors du vote. Mais on a travaillé près de deux ans à l'élaboration de ce texte et on en a débattu longuement dans les commissions compétentes du Conseil de l'Europe.

En outre, le contenu de la recommandation est simplement l'expression de la vision protectrice de la fin de vie qu'ont les différents pays européens.

On reproche aussi souvent à cette recommandation de refléter le poids important de l'Allemagne au niveau européen, notamment et surtout en ce qui concerne les questions éthiques. En raison de son passé encore traumatisant, ce pays ferait preuve aujourd'hui de trop de circonspection dès qu'il s'agit de la protection de la vie humaine. Mais est-ce erroné de prendre au sérieux ce que la génération allemande actuelle a à nous dire ? Est-ce erroné, après les drames que notre continent a vécus au cours du siècle écoulé, que de rappeler que le respect de la vie humaine est un principe fondamental de toute démocratie ?

Bien sûr, on peut rétorquer qu'en tant que nation démocratique, nous sommes toujours politiquement autonomes et que, dans de nombreux domaines, notamment en ce qui concerne le contenu de notre droit pénal, nous pouvons décider seuls. C'est effectivement le cas. Il se peut que nous soyons confrontés dans notre société belge à des situations très spécifiques. Il se peut aussi que nous soyons le premier pays au monde à avoir identifié un nouveau problème de société et instauré une législation adaptée. Mais comme je l'ai déjà dit, la problématique de la fin de vie a déjà été mise à l'ordre du jour de nombreux parlements et assemblées.

On ne peut pas dire que les soins de santé soient qualitativement plus mauvais chez nous que dans les autres démocraties occidentales. Au contraire, la Belgique dispose d'un vaste réseau d'institutions de soins et d'hôpitaux; il y a quasi-pléthore de médecins et tout le monde y bénéficie d'un accès égal à l'assurance maladie. C'est par conséquent chez nous que devrait se faire sentir le moins le besoin de tuer par nécessité. Pourtant, la plupart des propositions qui nous sont soumises visent à déplacer certaines limites et à dépénaliser le fait de donner la mort volontairement dans un cadre médical déterminé.

Les représentants démocratiquement élus n'ont, en effet, pas de compte à rendre à la communauté internationale mais seulement à la société qui est la leur. Cependant, quiconque prend, à l'égard de notre société, la responsabilité de lever l'interdit de tuer, doit au moins expliquer pourquoi les risques humains que ressentent d'autres démocraties nous seraient épargnés. En effet, toutes les démocraties du monde sont actuellement bien conscientes des risques que comporte une loi sur l'euthanasie qui fait reculer les limites.

Les principales objections qui se sont fait jour dans les processus de décisions démocratiques en Europe et dans le monde peuvent être résumées en trois points :

1. Une légalisation de l'euthanasie remet en question l'universalité des droits de l'homme. Si les personnes humaines peuvent décider de leur propre dignité, l'égalité de tous les hommes n'ira plus de soi. La valeur que l'on attribue aux malades et aux mourants et la considération que l'on a pour eux, dépendront très rapidement de conceptions subjectives et culturelles de la qualité de la vie.

2. Une légalisation exerce en outre une pression morale injustifiée sur les malades et les mourants qui sont devenus tributaires des soins et des possibilités d'autrui. Les malades eux-mêmes sont amenés à se demander s'ils peuvent encore imposer aux autres la charge de leur existence.

3. Une légalisation de l'euthanasie implique, enfin, des médecins, des soignants, des pharmaciens et des hôpitaux, en un mot l'ensemble du secteur des soins de santé, dans des actes ayant la mort pour finalité. La perception sociale et l'intégrité sociale des soins de santé sont ainsi menacées.

L'intervenante estime que si un petit pays comme le nôtre courait seul ces risques humains importants, cela témoignerait ou bien de myopie, ou bien d'arrogance.

La première question à laquelle devra répondre notre société à l'occasion d'une légalisation de l'euthanasie est celle de l'inclusivité du concept des droits de l'homme. Jusqu'à présent, l'appartenance au genre humain va de soi pour tous car elle est liée à la qualité d'être humain. La dignité humaine est donc une notion ontologique. La dignité humaine n'est en effet pas fonction d'une qualité de vie interprétée subjectivement mais de l'existence même en tant qu'être humain.

La population ne se livre évidemment pas quotidiennement à une réflexion philosophique sur ce qui fait d'un homme un homme mais elle est sous-tendue par l'intuition humaine que l'existence de chacun est sacrée.

Il convient de ne pas décrier ou réfuter cette intuition humaine naturelle en la considérant comme étant un sentiment émotionnel ou religieux. Car cette intuition humaine pourrait un jour constituer la base indispensable d'un État de droit, ainsi que d'une aptitude inclusive inconditionnelle à la solidarité et d'un respect inconditionnel pour l'unicité de chaque concitoyen.

Si, à la suite d'une légalisation de l'euthanasie, l'intuition sociale du caractère sacré de la personne humaine est brisée, la société se trouve sur une pente glissante. Il apparaîtra particulièrement rapidement que cette pente glissante n'est pas un rêve anxieux mais peut devenir une réalité brutale. Des médecins, des juristes et des sociologues du monde entier ont déjà constaté que la réglementation formelle en vigueur aux Pays-Bas depuis 1993, loin d'apporter la clarté, a davantage encore estompé les normes. En dépit des critères de prudence établis par le ministre de la Justice de l'époque, la pratique médicale est tellement dévoyée que l'euthanasie est pratiquée sur des jeunes filles souffrant d'anorexie et sur des patients psychiatriques.

La levée de l'interdit social de tuer des êtres humains touchera en outre également rapidement les personnes qui n'ont pas demandé la mort. Certains groupes politiques qui ont déposé des propositions radicales aux personnes incapables de manifester leur volonté, ont déjà adopté des textes de congrès déclarant que des personnes qui ne demandent pas à mourir, comme les bébés présentant des malformations, peuvent être concernées par l'acte consistant à donner intentionnellement la mort. Si l'interdit social de tuer des êtres humains est levé et si l'euthanasie devient un acte médical normal, le nouveau climat, propice au franchissement des limites, permettra de discuter de tout, y compris de la sélection des êtres humains. La sélection devient possible dès lors que le droit à la vie n'est plus justifié par l'existence en elle-même mais bien par des conceptions sur la qualité de vie et la dignité humaine. Pourtant, le jugement relatif à ce qui est conforme à la dignité humaine et ce qui ne l'est pas est toujours subjectif et est, en outre, le reflet d'une culture et d'une époque.

L'on est, par exemple, à juste titre stupéfaits face au meurtre de filles nouveau-nées en Inde. Les parents indiens n'agissent pourtant de la sorte que parce qu'ils estiment qu'aucune « qualité de vie » n'est permise aux filles sans dot.

La dignité humaine doit donc évidemment être liée à la qualité d'être humain. Des lois ne peuvent mettre en cause le caractère sacré de la vie humaine car si celui-ci n'est plus établi, ce sont les plus vulnérables qui sont les premiers éliminés.

Le deuxième risque réside dans la pression morale et sociale que fait peser une loi légalisant l'euthanasie sur les épaules des malades et des mourants.

Chacun connaît les maladies de notre société, le stress, la course contre la montre, la dépression, une perte de qualité de vie, trop de précipitation et trop peu de temps à consacrer à ce qui est véritablement important, comme les rencontres, la tendresse et la sécurité. Cette société trop pressée fait apparaître de nouvelles menaces pour les hommes. Certaines personnes sont presque naturellement soutenues par leur milieu familial et y sont en sécurité. Mais de plus en plus de personnes sombrent dans l'isolement et doivent, pour tout contact humain, ravir un peu du temps bien rare des autres. C'est précisément dans ce climat où le temps est devenu la plus grande convoitise, que la légalisation de l'euthanasie est proposée.

Le membre suppose que les autres membres de ces commissions ont probablement lu, eux aussi, avec attention les lettres adressées par le personnel soignant à propos des propositions examinées. Les infirmiers et infirmières de l'hôpital Brugman écrivent qu'ils constatent actuellement que l'organisation de l'hôpital n'offre plus d'espace et de temps pour permettre de vraiment être à l'écoute des personnes gravement malades et des patients sans défense. Ils sont dépourvus des possibilités d'évaluer objectivement et sereinement la demande d'euthanasie et de proposer d'autres solutions en cas de « demande par désespoir ». Ils n'ont pas les possibilités de sauvegarder le véritable respect dû au malade.

L'étude approfondie menée aux Pays-Bas a fait apparaître que la demande d'euthanasie est plus souvent motivée par une souffrance morale due à la solitude, à l'isolement et à la dépendance que par la souffrance physique. La productivité de l'hôpital, qui ne permet plus de libérer du temps pour le malade, n'est pas le seul élément, les familles sont, elles aussi, engagées dans une course contre la montre. Les familles se sentent davantage brusquées que par le passé. Au travail, les prestations doivent être plus importantes que jadis. Le « havre » que représente, selon le professeur Elchardus, la mère de famille dans la course contre le temps, a disparu. Les relations au sein des familles, qu'il s'agisse de la famille nucléaire ou de la famille au sens large, subissent la pression du temps. Le dernier livre du spécialiste de la thérapie relationnelle, Alfons Vansteenwegen, qui s'est rendu célèbre par son ouvrage « Liefde is een werkwoord » (« L'amour est un verbe »), est intitulé « Liefde vraagt tijd » (« L'amour demande du temps »).

Dans ce climat, la nouvelle menace sociale qui pèse sur les personnes gravement malades est que leur mort ne prenne pas trop de temps. Tout doit aller vite, non seulement la vie mais aussi la mort. Est-ce peut-être pour cela que, dans la proposition radicale nº 2-244/1, la phase terminale a été biffée des conditions nécessaires ? La mort ne saurait être assez rapide car nous n'avons plus le temps de prendre congé avec tendresse et sans hâte. Une loi légalisant l'euthanasie ne libérera pas la mort de la pression du temps, au contraire.

Les personnes âgées et malades ne craignent pas seulement d'exiger trop des possibilités sociales de leurs enfants; lorsque la maladie se prolonge, les ressources financières des familles sont aussi fréquemment évoquées.

On peut donc se demander si une loi légalisant l'euthanasie pourra empêcher que les patients gravement malades soient soumis à une pression morale et que des sentiments d'inutilité motivent leur demande à mourir.

Le troisième risque concerne l'intégrité sociale et la perception sociale de nos soins de santé. Les partisans de la légalisation soulignent parfois qu'ils veulent offrir une plus grande sécurité juridique aux médecins qui pratiquent l'euthanasie. Mais tant les syndicats médicaux que l'Ordre national des médecins déclinent cette sécurité juridique. Ils considèrent que la dignité et la déontologie de leur profession ont bien plus de valeur que l'éventuelle sécurité juridique.

En effet, une légalisation de l'euthanasie aura une incidence considérable sur l'éthique médicale. Une légalisation signifie que le fait de donner intentionnellement la mort devient un acte médical normal et même une forme d'aide sociale. Les médecins qui ne souhaitent pas y participer ne pourront plus faire appel qu'à leur propre conscience et plus à l'éthique médicale. Une fois que l'acte consistant à donner la mort fera partie de la pratique médicale, il faudra également s'attacher à l'exécuter de la manière la plus efficace. Cela implique que l'acte euthanasique devra être enseigné et appris, que l'industrie pharmaceutique devra se consacrer au développement d'ethanasiants efficaces, qu'une euthanasie pratiquée consciencieusement peut conduire à une responsabilité professionnelle, en résumé, que l'acte consistant à donner la mort devient une partie de la discipline médicale.

Les médecins belges ne sont pas les seuls à s'opposer au glissement qui se dessine dans l'éthique médicale. L'association médicale mondiale s'est prononcée en ce sens dans la Déclaration de Madrid de 1987. Le serment d'Hippocrate est, pour ces médecins, universel et intemporel. Les médecins et les acteurs de la santé sont non seulement préoccupés par leur intégrité professionnelle mais aussi par la perception sociale de leur travail.

Une étude particulièrement intéressante du professeur Elchardus a récemment fait apparaître que la société duale se manifeste déjà par un fossé socioculturel chez les élèves de l'enseignement secondaire. Les élèves de l'enseignement secondaire général et ceux de l'enseignement secondaire professionnel vivent dans des mondes tout à fait distincts. Les élèves du professionnel sont culturellement plus faibles, moins capables de se défendre socialement et particulièrement stricts sur le plan éthique. Si, par exemple, 76 % des jeunes de l'enseignement secondaire général estiment que l'euthanasie pratiquée à la demande du patient est parfois justifiée, 31 % seulement des jeunes de l'enseignement secondaire professionnel partagent cette opinion. Cette divergence de vues montre bien que les personnes socialement plus faibles éprouvent une plus grande méfiance à l'égard des médecins et des hôpitaux. Ils se sentent moins en sécurité et moins protégés par notre système de soins de santé que les personnes qui sont capables de se défendre et de s'affirmer dans le dialogue avec leurs médecins. Une loi légalisant l'euthanasie renforcera naturellement encore ce sentiment d'insécurité et de manque de protection sociale.

Enfin, les médecins redoutent qu'en raison de la pression budgétaire sur les soins de santé, de la prochaine vague de vieillissement et de la raréfaction croissante des soins, l'euthanasie personnellement souhaitée évolue vers une euthanasie socialement souhaitée. Ou comme l'a dit récemment un représentant d'une association néerlandaise de patients : « La dignité de la mort sera repoussée au second plan. À la question : « Quand le moment de mourir dignement est-il arrivé ? » se substituera une nouvelle question : « Quelle est la valeur d'une mort à point nommé ? »

Le membre déclare qu'elle se réjouit de pouvoir parler ici ouvertement et attend la même ouverture des autres membres. Elle aimerait que les auteurs de la proposition lui disent comment ils veulent éviter les risques précités que représente une loi légalisant l'euthanasie pour notre société et pourquoi ils pensent que notre société précisément est immunisée contre ces risques humains.

En conclusion de sa première intervention, elle souhaite encore apporter une contribution philosophico-littéraire. L'inspiration lui est venue au cours d'une digression philosophique d'un autre membre, la semaine dernière. Cela commence par une lettre fictive.

Qui tire des enseignements de l'histoire de l'humanité ?

« Chers compatriotes,

Nous, représentants démocratiquement élus, avons pu constater que la vie que doivent mener ou endurer beaucoup d'entre vous, est au fond absurde. C'est pourquoi nous osons, au terme d'une longue réflexion, proposer la mort comme solution à l'existence inutile.

Chacun d'entre vous pourra, en temps voulu, faire usage de cette solution. Nous, représentants démocratiquement élus, élaborerons des procédures pour que tout puisse se dérouler proprement sur le plan médical et qu'aucun reproche ne puisse être adressé à aucun de vos proches.

Nous savons que vous n'êtes pas encore tous convaincus du caractère absurde de l'existence que nous menons mais nous pensons que chacun sera un jour amené à faire l'expérience de l'absurdité de la vie. C'est pourquoi nous vous demandons avec insistance d'établir d'ores et déjà un testament de vie pour que chacun sans exception puisse profiter de la mort comme solution à la vie.

Nous espérons que vous êtes conscients de la chance unique que nous vous offrons. Nulle part ailleurs au monde, les gens ne peuvent faire le choix de cette efficacité particulière. Soyez convaincus que nous n'avons pas agi à la légère mais que nous avons seulement recherché la solution la plus adéquate à la vie que vous menez.

Ne nous oubliez pas,

Signé,

Vos représentants démocratiquement élus. »

Le membre s'excuse pour le ton satirique de cet écrit mais les mots sont sortis spontanément de sa plume en séance, comme on le dit dans le jargon parlementaire. Lorsque la proposition relative à l'euthanasie, qui est soutenue par des membres des six groupes de la majorité, a été justifiée par des arguments philosophiques lors de la première présentation, elle se réjouissait d'une telle limpidité idéologique. Ce que l'on pressentait intuitivement depuis longtemps déjà apparaissait maintenant en pleine lumière. Ce qui préoccupe les esprits tatillons qui ont inspiré la proposition, ce n'est nullement les soins concrets à apporter aux malades et aux mourants mais bien le droit personnel à la mort.

La proposition relative à l'euthanasie a été étayée, dès le premier examen parlementaire, par des références à l'existentialisme français qui a fait florès dans les années soixante. Cela lui a rappelé, à ce moment, les lectures scolaires obligatoires du cours de français et les personnages de pièces de théâtre et de romans qui n'étaient reconnus authentiques que lorsqu'ils avaient accepté pleinement l'inanité de leur existence.

La dépénalisation de l'acte consistant à mettre intentionnellement fin à la vie, la suppression de la phase terminale parmi les conditions nécessaires, l'élargissement de la souffrance physique à un état de nécessité personnellement vécu, tous ces glissements juridiques montrent que la dernière proposition relative à l'euthanasie vise à introduire sans grands détours le droit à la mort dans notre société. La proposition rend la mort contraignable pour quiconque voit son désespoir personnel traduit en termes médicaux.

Cette proposition a bien sûr d'emblée suscité un émoi dans la société. Les gens ne veulent, en effet, pas être gouvernés par des lois qui mettent en doute le sens de leur existence.

Les cénacles fermés des libres penseurs de notre pays n'ont-ils rien de mieux à nous offrir que leur angoisse paralysante et funeste face à l'existence ? Existe-t-il des libres penseurs capables d'expliquer comment conserver le sens de la vie en société si le sens de la vie même est mis en doute politiquement ? Que vaudront encore la tendresse, le respect, l'esprit de communauté et la solidarité si l'on peut tout aussi bien mettre fin à l'existence pénible et solitaire ?

L'intervenante explique qu'au début du siècle passé, une grande et puissante culture européenne était tombée sous le charme du « Bilanz-Selbstmord ». Des romanciers et des philosophes présentaient la mort volontairement choisie comme un acte humain authentique, posé après avoir dressé le bilan de sa propre existence. Quelques décennies plus tard, le nouveau régime de ce pays décida de ne plus laisser aux gens le sens de dresser ce bilan subjectif. Il semblait plus simple d'établir objectivement et au nom du peuple le bilan des vies. Le genre humain réagit de toutes ses forces et lorsque ce régime fut vaincu et anéanti, une déclaration solennelle et universelle fut rédigée. Tous les êtres humains, blancs et noirs, hommes et femmes, malades et en bonne santé, riches et pauvres, seraient égaux pour toujours. Plus personne, homme, pays, régime, ne pouvait en douter. Il va de soi que cette déclaration solennelle ne fut pas mise en oeuvre immédiatement mais chacun comprit que l'avenir de l'humanité ne pouvait plus passer que par la mise en oeuvre de cette déclaration.

L'échange croissant d'images, de paroles et d'idées à l'échelon mondial a également fait prendre concrètement et quotidiennement conscience du fait que l'avenir dépendait de nous tous.

Le membre conclut que, selon certains spécialistes, ce siècle passé s'est terminé un an trop tôt par une fête célébrant l'an 2000, beau chiffre rond. Pendant vingt-quatre heures, nous nous sommes salués d'un geste de la main, de Sidney à Honolulu. Les grandes villes brillaient de l'éclat des nombreux feux d'artifice mais les modestes petites flammes de l'Afrique faisaient également partie de l'événement. La marée humaine qui se saluait d'un geste de la main semblait avoir compris : nous sommes le genre humain, nous nous équilibrons mutuellement, pour toujours, espérons-le.

Aujourd'hui pourtant, au début du siècle nouveau, deux petits pays en bordure de la mer du Nord n'ont pas bien compris l'histoire de l'humanité. Ils remettent à nouveau en question ce qui semblait naturellement acquis au siècle passé. La marée humaine se saluant d'un geste de la main ferait mieux de tenir ces deux petits pays à l'oeil.

Un autre membre déclare que l'argument tiré des droits de l'homme et opposé aux auteurs des propositions conjointes est irrecevable, même s'il part peut-être d'un sentiment profond. Chacun est libre, en effet, d'imaginer l'autre comme il a envie qu'il soit. En tout état de cause, cela ne correspond pas à la réalité.

Par ailleurs, chacun est libre d'avoir ses propres références, qu'elles soient dans des textes sacrés ou dans des textes profanes, qu'elles soient d'ordre philosophique ou religieux.

La caricature qui a été faite de l'auteur que l'intervenant a cité, inciterait peut-être ce dernier à renvoyer à sa lecture, y compris dans ce qu'elle peut avoir de profondément humaniste. Il souligne la manière dont cet auteur envisage le dépassement de l'absurde philosophique, à ne pas confondre avec l'appréhension que chacun peut avoir, à un moment ou à un autre, de sa propre existence ­ y compris dans les moment où il considère de manière individuelle qu'indépendamment d'une recherche de sens à sa propre existence et à celle de l'humanité, qui va dans le sens des droits de l'homme, il considère précisément que sa vie, sur la plan individuel, n'est plus une vie digne.

Il a été fait allusion, et ce n'est sans doute pas par hasard, au fait que la proposition conjointe permettrait d'aller à l'encontre de la volonté manifestée par d'aucuns, et irait dans le sens d'une aliénation. Or, le respect de la liberté et de la volonté individuelle constitue la base de la proposition de loi, qui vise précisément à la désaliénation.

Une telle présentation des choses, qui relève à la fois de l'anathème et de la caricature, ne permet pas un dialogue, ni un débat serein.

Il y a désinformation et procès d'intention dans les propos qui viennent d'être tenus sur ce qui paraissait être, pour une large part des membres des commissions réunies, une adhésion à des valeurs d'humanisme.

Enfin, ce n'est sans doute pas non plus par hasard qu'il a été fait mention à plusieurs reprises d'une « légalisation » de l'euthanasie, alors qu'il s'agit naturellement d'une dépénalisation de celle-ci, si elle est pratiquée dans les conditions largement décrites dans la proposition, afin d'assurer une sécurité juridique, non seulement aux médecins, mais surtout à l'ensemble des patients, ce qui, dans une prise en charge globale de la société, est encore plus important.

Un membre déclare que le droit de chaque patient de pouvoir accéder aux soins palliatifs peut s'exprimer, en d'autres termes, comme le devoir de solidarité de la société.

Le travail consistant à approcher, d'une part, la volonté de l'être humain face aux derniers moments de son existence et le respect de sa manière d'appréhender l'existence et, d'autre part, une loi de solidarité qui doit garantir à tous l'accès aux soins palliatifs, paraît assez équilibré.

Il faudrait faire ressortir clairement des débats que ce que l'on cherche à approcher, c'est l'accompagnement en fin de vie, et l'apaisement des souffrances et des détresses. Le but poursuivi n'est chez aucun auteur de supprimer la vie, même si on peut aboutir à ce résultat.

Un autre membre évoque tout d'abord la question de la sécurité juridique. À cet égard, il faut constater que les médecins sont plutôt inquiets de ce qui est proposé aujourd'hui, et considèrent de façon quasi-unanime que leur sécurité juridique n'est pas assurée.

La procédure a posteriori et le fait de transmettre un dossier au procureur du Roi leur semble en effet constituer une épée de Damoclès, et constitue pour eux un véritable problème.

Bon nombre d'entre eux disent que, si une telle disposition devient loi, ils seront tentés de contourner celle-ci dans la pratique, ce qui aboutit naturellement à ne plus garantir non plus la sécurité juridique dans le chef des patients.

Les pratiques risquent dès lors de sortir du cadre légal, et l'on n'évitera pas les euthanasies pour des motifs sociaux ou économiques, comme il semble s'en pratiquer actuellement.

Il s'agit, non d'une considération philosophique ou idéologique, mais d'une question de simple bon sens.

C'est pourquoi la proposition de Mme Nyssens et consorts prévoyait de transmettre le dossier à un médecin-légiste.

Une autre piste pourrait par exemple être trouvée dans l'exemple hollandais.

Une deuxième considération concerne l'idée exprimée par certains, et selon laquelle il existerait en quelque sorte une alternative entre soins palliatifs et euthanasie.

Aux yeux de l'intervenant, cette conception paraît à la fois très théorique, assez choquante, et extrêmement inquiétante sur le plan de l'accès aux soins.

En réalité, il s'agit de pouvoir prodiguer des soins continus, et, à travers la mise en place de soins palliatifs effectifs, de pouvoir rendre aux personnes leur dignité, éviter la souffrance, et faire en sorte d'éviter autant que possible l'acte d'euthanasie, qui paraît, aux yeux de l'intervenant, devoir rester tout à fait exceptionnel.

Les médecins rapportent effectivement qu'il le devient, lorsqu'on répond correctement à la demande en matière de soins palliatifs. De façon générale, l'intervenant insiste sur la nécessité, lorsqu'on discute de ce type de problème, de se placer du point de vue des patients, de leurs demandes et de leurs droits.

D'où l'intérêt d'entendre des professionnels, afin de mieux cerner la réalité du terrain.

Une autre question souvent posée est celle de l'antagonisme qui existerait entre l'autonomie et le respect de la vie. L'intervenant se dit, à titre personnel, surpris par cette manière de poser le problème.

En effet, l'euthanasie lui paraît être fondamentalement un acte d'interdépendance, un acte social, un geste d'humanisme et de compassion, qui ne se pose pas en termes d'autonomie mais de relations humaines.

Il s'agit de savoir comment on continue à tenter d'améliorer la vie en société, comment on perçoit les notions de dignité et de souffrance, et comment cela se traduit en gestes.

L'intervenant se dit également frappé par l'avis rendu par le Conseil national de l'Ordre des médecins, même s'il lui paraît y avoir une certaine contradiction à vouloir déclarer d'emblée que la déontologie médicale suffirait, et qu'il n'y aurait pas nécessité à légiférer.

L'avis insiste sur la question, qui ne semble pas être réglée pour les médecins, de l'acharnement thérapeutique et des soins palliatifs, et sur le fait que les patients ne paraissent pas rassurés à ce sujet.

Le constat paraît exact, que la crainte des patients soit de l'ordre de l'imaginaire ou de la réalité. Cet élément paraît fondamental. Il rejoint notamment les préoccupations des infirmiers, et notamment de ceux de l'hôpital Brugmann, qui ont écrit aux parlementaires. Selon eux, les questions de soins palliatifs et d'acharnement thérapeutique sont loin d'être réglées. Ils demandent, en quelque sorte un moratoire avant le vote d'une loi sur l'euthanasie, pour que ces questions reçoivent une meilleure réponse que celle qui est faite aujourd'hui.

Il semble donc y avoir là un ordre de priorités, dont les travaux du législateur doivent tenir compte.

En ce qui concerne la disparition de la notion de phase terminale dans la proposition conjointe, l'intervenant déclare qu'elle suscite son inquiétude.

On peut, bien sûr, objecter à cette notion qu'il peut y avoir des souffrances et des détresses plus grandes dans les maladies incurables « au long cours », en dehors d'une phase terminale.

Le problème est de savoir si l'on peut légiférer dans un domaine qui ouvre la porte à des interprétations qui peuvent très bien ne pas être celles du législateur aujourd'hui.

On confond parfois aussi donner la mort et se donner la mort, alors qu'aux yeux de l'intervenant, il s'agit là de deux débats fondamentalement différents, puisque le suicide n'est pas pénalement punissable.

L'intervenant formule encore deux remarques générales.

Il observe que les travaux sont malgré tout gênés par le fait que les commissions réunies n'aient pas pu procéder à l'audition des professionnels de terrain. Il aimerait savoir comment s'organiseront les auditions prévues à la fin de la discussion générale.

En outre, il trouve qu'il serait intéressant de pouvoir aborder de façon plus systématique les nombreuses questions posées, qui n'ont pas encore pu être approfondies.

Une intervenante précédente déclare également qu'elle estime que ce débat doit être mené dans la sérénité et dans le respect de l'opinion d'autrui. Il n'empêche que tous les membres doivent avoir le droit d'exposer complètement leurs arguments et de poser les questions qu'ils jugent importantes.

Ce qui la fascine particulièrement dans ce débat, c'est que, manifestement, l'évolution de la pensée relative aux droits de l'homme se déroule différemment en Belgique et aux Pays-Bas et dans les autres pays. Si elle a quelque peu défié les auteurs de ces propositions, c'est précisément afin d'obtenir une réponse à la question de savoir quelle est la nécessité de s'écarter, dans notre société, du consensus éthique que le reste du monde juge toujours intangible.

Elle a, par ailleurs, voulu attirer l'attention sur l'angoisse indéfinissable que ce débat éveille chez les personnes les plus vulnérables de notre société. La commission ne peut ignorer purement et simplement cette question.

Un membre déclare qu'au cours de la précédente législature, elle a suivi avec beaucoup d'intérêt, certes à une certaine distance, les débats relatifs à l'euthanasie au Sénat. Ces débats justifiaient un certain optimisme quant à l'issue du dossier. Un consensus semblait en effet se dégager, par-delà les différents partis et conceptions sociales, à propos de ce que l'on appelait la « troisième proposition », formulée dans l'avis du Comité consultatif de bioéthique.

C'est pourquoi le groupe auquel elle appartient s'est présenté comme interlocuteur dans ce débat et a déposé une proposition de loi s'appuyant sur cette troisième option. Comme c'est aussi le cas pour d'autres dossiers, la communication avec les différentes couches sociales est extrêmement importante dans cette matière. Au sein de ces commissions, un accord s'est dégagé à propos du sens à donner au concept d'euthanasie. Ce concept reste pourtant des plus imprécis et confus pour beaucoup de personnes qui contribuent, à leur tour, à l'inquiétude que ressentent de larges couches de la population à l'égard de ce dossier.

Les différentes propositions déposées ici ont en tout cas une caractéristique commune : elles tentent d'apporter une réponse à la question d'une fin de vie digne pour les patients en phase terminale.

On ne peut que se réjouir que toutes les propositions accordent une place essentielle aux soins palliatifs. Chacun, dans ce débat, doit toutefois être bien conscient que la Belgique n'est pratiquement nulle part dans ce domaine. Tant en ce qui concerne le volume de l'offre que le niveau qualitatif et la coordination, il reste un long chemin à parcourir. La proposition de résolution nº 2-106/1, qui est à l'ordre du jour, a également été déposée au Parlement flamand. On ne peut, en effet, qu'espérer que l'examen de cette proposition de résolution soit entamé le plus rapidement possible car il reste également un long chemin à parcourir au niveau des communautés.

La garantie d'une offre de soins palliatifs à part entière ne suppose pas seulement le dégagement de moyens financiers et matériels considérables. De nombreux médecins reconnaissent également qu'ils ne sont pas suffisamment familiarisés à cette forme d'aide qui n'a été intégrée que récemment dans le programme des études de médecine.

L'intervenante cite alors une des fondatrices des soins palliatifs en Belgique, soeur Léontine : « L'expérience montre que dans les premiers jours suivant une admission, certains malades traversent une phase de crise et déclarent que c'est assez, qu'ils ne veulent plus vivre et espèrent que « cela » ne durera plus longtemps. Mais nous constatons tout autant que ces demandes et plaintes disparaissent peu à peu lorsque, grâce à des soins adaptés, le malade retrouve un peu de confort physique et se sent compris et soutenu. Il convient de découvrir quelle est la demande plus profonde qui se dissimule sous le cri de détresse superficiel qu'est `je veux mourir'. Généralement, il s'agit de `ne me laissez pas seul', `j'ai peur'. »

C'est seulement un témoignage parmi beaucoup d'autres. Tout le monde comprendra que, dans certains cas, on doit pouvoir passer de « to cure » à « to care », en d'autres termes, « d'essayer de guérir » à « soigner ». Dans une publication de la Federatie voor palliatieve zorgverlening, une étape supplémentaire est franchie, de « care » vers « cure ». De cette manière, la fédération veut définir clairement ce qui doit être au centre de l'attitude face aux patients dans la dernière phase de leur vie : attention pleine de sollicitude, humanité et implication de l'entourage à l'égard du malade. C'est en effet là que réside le coeur de soins palliatifs : fournir une réponse à la demande du patient qui sollicite l'attention de l'entourage et ne veut pas être confronté seul à sa douleur et à ses angoisses.

Une telle approche demande toutefois un effort important de l'entourage et de la société. Il faut craindre qu'en Belgique, où cette forme d'assistance en est encore à ses débuts, il soit très difficile de libérer à court terme les moyens nécessaires pour en assurer l'accès à part entière à tous les patients.

En commission des Affaires sociales, on a proposé d'entamer un débat sur le type de soins souhaité par notre société. Actuellement, le système est financé sur la base de prestations. Il est difficile d'y intégrer les soins palliatifs qui, par définition, signifient que certaines prestations sont abandonnées. Pour le dire crûment, dans un système de financement par prestation, les soins palliatifs ne sont pas plus chers que la médecine curative, mais ils sont moins rémunérateurs. Ne doit-on de ce fait pas réfléchir à de nouvelles formules de financement des soins ?

Les soins palliatifs ne peuvent être dissociés de la problématique plus large des droits des patients. Dans ce cadre, différentes initiatives ont déjà été prises au Parlement ces dernières années et, à en croire les récents articles de presse, le gouvernement compte faire de même en ce domaine.

La notion de droits des patients va toutefois au-delà de l'octroi de moyens de défense contre les erreurs médicales. Elle vise à un renforcement général de la position du patient à l'égard des actes médicaux. Il faut admettre que, ces dernières années, sur le plan de la communication avec le patient et de l'attention à son égard, on a enregistré de grands progrès dans les prestations de soins de santé dans notre pays, mais que certaines situations laissent encore à désirer. Dans la dernière phase de la vie, quand le patient est particulièrement en position de faiblesse, le dialogue est extrêmement important.

L'intervenante déclare que, bien qu'elle croie aussi aux soins palliatifs et qu'elle espère que des moyens beaucoup plus importants seront libérés à cet effet, elle peut aussi comprendre que cette forme d'assistance ne puisse suffire dans toutes les situations pour délivrer le patient d'une souffrance insupportable. Quand le patient est en phase terminale et qu'il n'y a plus aucune possibilité de diminuer l'intensité de sa douleur, on peut parler d'état de nécessité justifiant une décision extrême du médecin, celle de l'euthanasie, si le patient en fait la demande.

Ici, la notion d'état de nécessité est essentielle : c'est une situation dans laquelle le médecin est confronté à un conflit entre deux devoirs. D'une part, il est tenu de respecter la vie du patient mais, d'autre part, il a le devoir de soulager sa souffrance et de lui porter assistance. Si le médecin ne peut répondre à la demande du patient d'être délivré de sa souffrance que par l'euthanasie, il faut pouvoir faire preuve de compréhension. Il va de soi que, dans ce cas, des critères de prudence stricts doivent être respectés.

La notion d'état de nécessité n'est pas nouvelle dans notre droit, elle existe aussi dans d'autres domaines. Elle s'appuie sur une jurisprudence étendue et offre ainsi, contrairement à ce que certains orateurs précédents ont suggéré, suffisamment de sécurité juridique au médecin qui pratique une euthanasie. Pour cette raison précise, il serait tout à fait regrettable si, dans le cadre du problème qui nous occupe, on devait décider de porter atteinte sur le plan législatif au principe moral et social selon lequel on ne peut toucher à la vie humaine. Ce principe est trop important dans notre société pour le considérer comme une affaire de nature purement symbolique.

Les intervenants précédents ont mis l'accent sur le droit à l'autodétermination du patient en phase terminale qui, selon eux, est maître de son propre destin. Pour sa part, elle estime que cette position est génératrice d'angoisses. Indépendamment du fait de savoir si l'on peut disposer de sa propre vie, personne n'est sans doute plus faible, personne n'est moins maître de soi-même que le patient en phase terminale. Dans quelle mesure peut-on évaluer si ce dernier réalise bien ce qu'il demande ? Ses paroles doivent-elles être prises à la lettre ou doivent-elles être considérées comme l'expression de demandes plus profondes qu'il ne peut ou n'ose pas formuler ?

L'intervenante conclut en disant que le fait d'être maître de son destin est très relatif en phase terminale. C'est pourquoi, selon elle, certaines de ces propositions de loi mettent beaucoup trop l'accent sur l'autodétermination du patient incurable et accordent trop peu d'attention au rôle des personnes de son entourage. Tout comme on ne vit pas seul, on ne meurt pas seul. Une approche positive de la mort consiste dès lors à impliquer l'entourage, la famille, les infirmiers ... dans la dernière phase de la vie.

Les auteurs de la proposition de loi nº 2-244/1 motivent la modification du Code pénal par la sécurité juridique des médecins. Toutefois, des réactions récentes dans la presse suscitent la question de savoir si la majorité du corps médical demande effectivement cette forme de sécurité juridique.

La proposition de loi qui a été déposée par les membres du groupe CVP a comme point de départ la sécurité juridique du patient et la transparence à son égard. Le dialogue avec le patient doit être assuré. Actuellement, il arrive bien souvent que tant les patients que leur famille ne comprennent pas bien la situation.

Une question importante à laquelle l'intervenante espère qu'une réponse sera donnée au cours des auditions, porte sur la manière selon laquelle les médecins traitent les problèmes relatifs à la fin de la vie. À l'intérieur et à l'extérieur du monde médical, un consensus s'est progressivement dégagé sur l'idée que l'acharnement thérapeutique est une pratique répréhensible. Il serait toutefois erroné de donner l'impression que l'euthanasie est la seule alternative à cette pratique. Dans la médecine d'aujourd'hui, il y a différentes manières d'approcher le patient en phase terminale, qui ont un rapport avec différentes situations (code 1 : ne pas réanimer, code 2 : ne pas élargir la thérapie ni en ajouter, code 3 : mettre un terme à la thérapie, sédation contrôlée). Dans quelle mesure le patient et son entourage comprennent-ils et participent-ils à ce genre de choses ?

En tout état de cause, c'est un fait que l'homme et la femme de la rue, et très probablement un certain nombre de membres de cette commission, connaissent très peu ce genre de choses.

La proposition de loi nº 2-244/1 insiste non seulement beaucoup trop sur la volonté du patient, elle met aussi une trop grande pression sur ce dernier, qui est mourant et qui est confronté à la question de savoir s'il peut continuer à faire reposer la charge de son existence sur les épaules d'autres personnes. Il ressort de contacts avec des soignants de l'entourage que ceux-ci ne ressentent pas les soins administrés aux patients comme une charge, souvent parce qu'ils ressentent une grande satisfaction dans leur travail. Mais il leur est cependant difficile d'en persuader les patients. Ce n'est sans doute qu'un aspect de la problématique, mais il n'est pas sans importance.

L'intervenante constate que le mot « terminaal » a été supprimé dans le texte et a été remplacé par le concept de « ongeneeslijke aandoening » (affection incurable). Qu'entendent les auteurs par ce concept ? Le terme « nood » (détresse) qui vise la détresse psychologique, ne contribue pas à la transparence ni à la sécurité juridique.

L'expérience apprend que, dans le cas de certains cancers, bien que les patients puissent vivre encore longtemps, ils sont tout de même incurables. Il est compréhensible que ces personnes soient, par moments, complètement désespérées. Est-ce ce genre de situations que l'on vise sous le concept de « psychologische nood » (détresse psychologique) ? Un médecin se posait la même question dans la presse à l'égard d'un patient diabétique qui traversait une période de dépression. On peut comprendre que les personnes qui vivent ce genre de choses aient peur et se demandent vers quelle sorte de société nous évoluons. En tant que politiques, on doit en tenir compte.

Un autre point qu'elle a du mal à accepter dans les textes déposés concerne les dispositions relatives à la déclaration de volonté préalable. Elle peut comprendre les personnes qui craignent de ne pas pouvoir faire face à de très fortes douleurs et qui estiment que, si celles-ci surviennent, on peut mettre fin à leur vie. On peut y opposer le fait que personne ne sait à l'avance comment ces douleurs seront effectivement ressenties. Il n'est pas davantage possible de prévoir quelle sera l'évolution de la médecine, par exemple en matière de lutte contre la douleur, d'ici quelques années. Sous l'angle de ces considérations, le projet de loi est particulièrement inquiétant.

Dans la déclaration de volonté, on désigne une ou plusieurs personnes mandatées, qui doivent se porter garantes de l'exécution de la volonté du patient. Les auteurs de la proposition de loi se rendent-ils compte de la pression qu'ils font peser sur ces personnes ?

L'intervenante en vient finalement aux dispositions relatives à l'enregistrement et au contrôle. Le médecin qui procède à l'euthanasie doit immédiatement faire une déclaration à l'officier de l'état civil et au procureur du Roi. La déclaration destinée au procureur mentionne entre autres l'affection dont le patient était atteint et la procédure qui a été suivie. Pourquoi n'y a-t-il pas de sanction prévue quand cette obligation n'est pas respectée ? À la demande du procureur, le médecin communique les éléments du dossier médical, mais, ici non plus, aucune sanction n'est prévue s'il ne donne pas suite à cette demande.

Il y a d'ailleurs toujours eu au sein du corps médical une grande réticence à communiquer des données médicales à des tiers. Quelle est la position des auteurs à cet égard ?

L'article 77 du Code civil est complété par un nouveau paragraphe où il est stipulé qu'en cas de décès consécutif à une euthanasie, le permis d'inhumer ne peut être délivré qu'après autorisation du procureur du Roi. S'il ne la donne pas, on procède conformément aux articles qui sont d'application en cas de mort violente. Le médecin doit enfin remettre à la commission de l'enregistrement un formulaire d'enregistrement dûment complété mais, dans ce cas-ci non plus, on ne prévoit aucune sanction.

Il serait quand même intéressant de connaître le point de vue des procureurs sur ces dispositions. En effet, combien de fois n'entend-on pas dire que, maitenant déjà, les parquets sont dépassés dans leur travail. Comment pensent-ils pouvoir accomplir ces nouvelles tâches, sachant que, dans le texte, aucun système tampon n'est introduit, comme par exemple un médecin légiste.

Les mécanismes de contrôle préalables sont pratiquement inexistants dans la proposition de loi, et le contrôle a posteriori n'offre dès lors pas de garanties suffisantes.

L'intervenante espère encore qu'il sera possible d'aboutir à un texte commun ayant une très large assise politique. Ce dossier est tellement important qu'un effort maximum doit être consenti de tous les côtés pour tenir compte de tous les points de vue qui coexistent dans la société.

Un autre membre rappelle que, le 20 décembre 2000, une proposition de loi « relative à l'euthanasie » a été déposée conjointement avec deux autres propositions de loi des mêmes auteurs, un par groupe de la majorité, l'une portant création d'une commission d'évaluation de la loi proposée, l'autre relative aux soins palliatifs. Il est difficile de croire qu'il s'agit là uniquement d'une démarche personnelle : les interventions de certains membres de la majorité en attestent. Lorsqu'un précédent orateur parle du dépôt d'une proposition par les chefs de groupe, il indique clairement la stratégie de la majorité ou à tout le moins, celle qu'il souhaiterait lui voir jouer.

Dans la mesure où elle ne vise pas à cadenasser le débat, cette démarche a au moins un mérite : celui de fixer la référence pour les discussions à venir et les amendements à déposer.

Plutôt que de discuter de trois propositions, n'y aurait-il pas lieu de les réunir en un seul texte, comportant trois chapitres, afin d'avoir une vue globale de la problématique ?

L'intervenant souhaite exprimer en préambule son état d'esprit pour aborder l'examen des propositions.

Avec ses collègues, il souhaite réaffirmer une volonté d'être partie prenante au débat. Tous les sujets d'ordre éthique peuvent être débattus, d'autant plus si une prise de conscience de la société ou une évolution significative des mentalités apparaissent. Cela ne signifie pas qu'au nom d'un modernisme mal compris, toutes les règles ou balises essentielles doivent être balayées.

L'intervenant souhaite que la réflexion se fasse de manière globale, avec une large ouverture d'esprit, beaucoup de nuances, sans dogmatisme et en évitant les procès d'intention réciproques, avec la sérénité de ceux qui sont capables d'une écoute attentive.

Il éprouve donc un malaise à entendre que certains pourraient cloisonner le débat dans un cadre laïcs ­ religieux, dans l'opposition supposée entre l'humanisme et la transcendance, dans le préjugé d'un refus de dialogue, dans l'à priori du progressisme de ses propres idées confronté à un soi-disant conservatisme des idées différentes de l'autre.

Le débat à mener aujourd'hui porte sur la qualité de la vie à un moment particulièrement difficile : le temps de la proximité de la mort et la mort sont les derniers actes d'une vie qu'il convient de vivre dans la dignité.

I. Quels principes ont gouverné la réflexion ?

1. Le respect en toutes circonstances de la dignité de l'homme

La problématique de l'euthanasie renvoie en permanence à la notion de « dignité humaine » qui fait l'objet d'interprétations souvent divergentes.

Le respect en toutes circonstances du droit de toute personne, quel que soit son état physique et mental, à la dignité, doit être à tout prix valorisé. Ce concept ne saurait toutefois se fonder sur une autonomie de l'homme limitée par son niveau intellectuel ou par ce qui serait considéré comme « raisonnable ». Il s'appuie aussi sur une autonomie empreinte de dimension affective. Si l'estime et la reconnaissance portées à l'individu par ses semblables sont élevées, il sera conforté dans ses sentiments d'autonomie et de dignité. Comme la précédente intervenante l'a rappelé, en citant soeur Léontine, la prise en considération de la personne et un accompagnement adéquat diminueront de manière considérable les demandes d'euthanasie.

2. La protection des plus faibles et des incapables

La personne en fin de vie est fréquemment confrontée à un isolement affectif et moral. Ce sentiment d'isolement et donc cet état de fragilité risque davantage d'être renforcé dans un système visant à la maîtrise des dépenses en matière de soins de santé au détriment éventuel des moins nantis, surtout dans le contexte de vieillissement de la population. Face à cette réalité, il faut renforcer le lien social autour des personnes les plus vulnérables afin de recréer un contexte qui les protège contre d'éventuels abus.

Les auteurs de cette proposition déclarent être motivés par un constat commun : des euthanasies sont pratiquées quotidiennement et clandestinement dans notre pays, sans qu'un contrôle social de ces pratiques soit possible. C'est donc afin de lutter contre ce type de pratiques que les auteurs de la proposition de loi entendent déterminer légalement les conditions de l'euthanasie, permettant ainsi des pratiques qu'ils qualifient de plus homogènes et de plus responsables.

Au cours de la réflexion et des contacts pris depuis plus de deux ans sur ce sujet extrêmement délicat, le groupe auquel appartient l'intervenant a également dressé le constat, suite à de nombreux témoignages, de l'usage de procédés euthanasiques à l'insu du patient, de sa famille et de la société toute entière. Il a eu l'occasion de découvrir que les personnes les plus défavorisées (pas nécessairement financièrement) mais socialement, pourraient courir de plus grands risques de subir des pratiques inacceptables pour les humanistes.

3. L'éthique de la responsabilité

Les décisions législatives supposent de concilier des valeurs essentielles sans lesquelles toute société serait amenée à se dégrader, et d'organiser la vie pratique de cette société. Cette éthique de responsabilité doit être associée au principe de précaution qui suppose d'appréhender aujourd'hui les conséquences futures de nos décisions. Elle implique très concrètement la mise en place de balises destinées à aider les acteurs de terrain lors de leur prise de décision.

II. Quelles observations sur les propositions de la majorité ?

1. La proposition de loi déposée par les parlementaires de la majorité aborde la problématique des soins palliatifs

La médecine palliative offre des outils pour soulager la souffrance physique. Elle permet en effet de contrôler la douleur dans un nombre considérable de cas et ce, avec une haute technicité.

Par l'écoute et l'attention qu'elle procure au patient en respectant sa singularité, elle offre également des outils pour soulager bon nombre de souffrances psychiques. Celles-ci sont en effet souvent liées à la crainte de la mort toute proche, vécue dans un état d'abandon moral.

Les soins palliatifs constituent l'accompagnement indispensable du patient en fin de vie. En encadrant le patient considéré comme l'élément central de ce type de médecine, les soins palliatifs ont pour objectif de lui conserver une autonomie et une conscience maximale. L'établissement d'une relation de respect entre le patient mourant, ses proches et l'équipe soignante contribue ainsi à rendre au malade en fin de vie, la dignité à laquelle il est en droit de prétendre. Les soins palliatifs entendent lui donner à ce stade, une qualité de vie optimale, qualité de vie qui, de l'avis de tous les acteurs médicaux concernés, rend exceptionnelles les demandes d'euthanasie exprimées dans ce cadre d'accompagnement.

De 10 % de demandes au départ, on en reviendrait à 1 à 2 %.

Dans cette perspective globale, l'intervenant se réjouit d'une évolution significative des dépositaires des propositions. Lors du lancement du débat, peu de parlementaires semblaient sensibilisés à la question essentielle de la place des soins palliatifs comme élément déterminant de la qualité de fin de vie. Aujourd'hui, chacun semble convaincu de la nécessité absolue d'offrir ce service à tous les patients : cette égalité d'accès impliquera l'égalité de traitement de tous les acteurs reconnus et la nécessité de formations spécialisées. Cette nouvelle dimension profondément humaine qui se traduira dans une action politique concrète sera, quel que soit le résultat final des travaux du législateur, une avancée majeure pour l'amélioration de la qualité de vie des personnes confrontées à la fin de vie.

2. La proposition de loi déposée par les parlementaires de la majorité omet la lutte contre l'acharnement ou l'abandon thérapeutique

L'acharnement thérapeutique peut être défini comme l'administration au patient de traitements inutiles, non strictement nécessaires à sa santé ou disproportionnés par rapport à l'affection dont il est atteint ou à son résultat prévisible. La crainte de l'acharnement thérapeutique, des souffrances et de la perte de dignité est souvent un incitant aux demandes expresses d'euthanasie ou à la rédaction de directives anticipées. Il est inacceptable.

L'abandon thérapeutique se révèle tout aussi inacceptable quelles que soient les raisons invoquées pour le justifier (rareté des moyens humains, matériels ou financiers, nécessité de faire un choix des sujets à traiter selon leur âge ou leur état de santé ou, pire encore, selon leurs conditions sociales ... ). Tolérer sa mise en oeuvre au nom d'une justice distributive pourrait ainsi conduire au principe « d'admissibilité sociale » d'une forme d'euthanasie envisagée alors comme une mesure sanitaire.

Il serait opportun de légiférer contre l'acharnement thérapeutique dans le cadre de ces propositions de loi ou à tout le moins, de rappeler les conditions de légalité élémentaire de l'activité médicale qui fourniront au médecin des points de repères pour sa pratique quotidienne. Dans le même contexte, il faut prohiber explicitement toute forme d'abandon thérapeutique.

3. Le champ d'application de la proposition de loi est trop étendu : il s'applique en dehors des situations de fin de vie

Plusieurs intervenants l'ont relevé : la proposition de loi prévoit :

­ que l'euthanasie peut être pratiquée sur le patient majeur ou mineur émancipé capable et conscient lorsque celui-ci en fait la demande de manière expresse, non équivoque et mûrement réfléchie et qu'il fait état d'une souffrance ou d'une détresse constante et insupportable, qui ne peut être apaisée et qui résulte d'une affection pathologique grave et incurable;

­ que l'euthanasie peut être pratiquée sur le patient inconscient lorsque celui-ci a rédigé une directive anticipée, qu'il n'existe aucun moyen de le ramener à un état conscient et qu'il est atteint d'une affection pathologique ou accidentelle incurable.

Le texte tel qu'il est rédigé trouve donc à s'appliquer en dehors des situations de fin de vie, dès lors qu'un patient est atteint d'une maladie grave et incurable et que sa souffrance physique ou sa détresse morale ne peut être apaisée. Aucune référence n'est faite à un pronostic de décès à brève échéance qui limiterait l'application de la loi aux cas extrêmes en fin de vie. On glisse insensiblement de l'euthanasie vers le « suicide assisté ».

On ouvre une brèche qui conduira immanquablement à des dérives dans l'application de la loi. Un tel champ d'application ouvre la voie à une banalisation progressive de l'euthanasie « qui risque alors de toucher les membres les plus vulnérables et les moins autonomes de notre société exposés à toutes les formes de pressions économiques, sociales ou familiales ».

Dans cette perspective d'étendre la pratique de l'euthanasie en dehors de la proximité immédiate de la fin de vie, on peut comprendre le souci de chercher une sécurité juridique, tant pour le médecin que pour le patient. Mais, comme cela a été dit, les médecins estiment assez généralement que légiférer dans le sens voulu par la proposition conduira à plus d'insécurité juridique et que les effets concrets pourraient bien ne pas du tout correspondre aux objectifs poursuivis.

Pour ce qui concerne la sécurité juridique du patient, l'intervenant a le sentiment qu'il s'agit d'une mauvaise question : s'il opte pour l'euthanasie et que celle-ci est pratiquée, il ne devra plus rendre de comptes à personne. Au moment du choix et de la décision, il ne se préoccupera certainement pas de savoir dans quel cadre juridique il est autorisé à demander qu'il soit mis fin à ses souffrances. Invoquer la sécurité juridique du patient paraît dès lors être un leurre.

L'acte d'euthanasie doit rester un acte exceptionnel posé par le médecin après avoir lutté adéquatement contre la douleur, avec la certitude de l'échéance fatale prochaine.

Il appartient au législateur de poser et de définir avec précision toutes les conditions qui doivent être respectées par le médecin avant de prendre en compte et de répondre à une demande d'euthanasie formulée par un patient conscient.

Les cas d'euthanasie doivent êtres limités aux situations dans lesquelles le médecin constate :

­ la souffrance irréductible et insupportable dans le chef du patient;

Le mot « irréductible » renvoie à une notion objective ­ douleur que la médecine, dans son état actuel, ne peut soulager ­, alors que la notion « insupportable », utilisé dans le texte de la proposition de loi est une notion éminemment subjective. Cette souffrance ne peut être éprouvée que par le patient et il n'appartient pas à son entourage d'en estimer le caractère intolérable.

­ le caractère incurable de la maladie;

Il est des cas où ce caractère incurable est difficile à établir. Aux dires de certains médecins, on peut se tromper sur un diagnostic. Il importe donc que cet aspect fasse l'objet d'une vérification sérieuse.

­ le pronostic d'un décès à brève échéance.

Cela exclut les patients atteints d'une affection accidentelle et toute demande de « suicide assisté ».

Ce sont ces trois conditions réunies qui permettent au médecin de présumer qu'il se trouve ou non dans un état de nécessité. Pour pouvoir parler d'euthanasie, ces trois conditions doivent être remplies. En dehors de ce cadre, on entre dans une réglementation extensive qui régira le suicide assisté. Ce débat ne peut pas être intégré dans celui sur l'euthanasie.

4. L'interdit du meurtre en droit pénal remplit une fonction symbolique essentielle

L'intervention législative proposée par les parlementaires de la majorité vise à fixer les conditions de l'euthanasie en modifiant le Code pénal grâce à l'insertion d'un article 417bis.

L'interdit fondateur de « ne pas tuer » doit rester un principe de base de notre droit pénal dont la fonction essentielle et symbolique est de garantir la valeur morale et sociale que constitue le respect de la vie.

Notre pays n'est pas un précurseur dans la réflexion sur l'opportunité de légiférer en matière d'euthanasie. D'autres pays ont mené des débats très larges pendant plusieurs années : des pays dont l'ouverture d'esprit est largement évoquée à d'autres occasions dans les grands débats éthiques, des pays aux cultures proches des nôtres. À ce jour, aucune nation dans le monde n'a pris la décision de revoir ce principe fondateur de la vie en société.

On peut admettre néanmoins, comme le prévoit déjà le droit pénal, que dans des situations tout à fait exceptionnelles, le sujet puisse invoquer un « état de nécessité » justifiant la transgression de la loi. Cet état de nécessité requiert des circonstances exceptionnelles, que peuvent rencontrer les médecins lorsqu' un patient, atteint d'un mal incurable, d'une souffrance insupportable que la médecine est impuissante à soulager et dont la mort est prévue à très brève échéance, exprime de manière persistante sa volonté d'anticiper la fin de sa vie. Dans ces cas déterminés, le médecin peut apprécier qu'il se trouve face à un état de nécessité.

Dans cette hypothèse, le médecin ne peut pas être laissé à lui-même. Il ne peut apprécier seul cet état de nécessité, sans consulter certains acteurs-clés. Il y va de l'intérêt du patient qui doit pouvoir maintenir une confiance absolue dans le diagnostic qui lui est proposé, et de celui du médecin qui partage ainsi au moins moralement la responsabilité de la décision.

Un tel encadrement, placé dans le contexte d'une éthique de discussion mettra le patient au centre d'un processus de décision pluridisciplinaire où sa demande spécifique doit être écoutée et prise en compte. Cette approche très prudente, qui protège au maximum le patient, peut-elle être qualifiée de « hypocrite et conservatrice » ? L'intervenant ne le croit pas.

5. La proposition de loi laisse le médecin seul face à la demande d'euthanasie

En effet, le texte rédigé par les parlementaires de la majorité exclut la concertation pluridisciplinaire au profit du seul colloque singulier entre le médecin et le patient. La procédure établie par la proposition de loi laisse le médecin seul face à la demande d'euthanasie. En effet, le texte prévoit que le médecin apprécie seul : le caractère répété et explicite de la demande d'euthanasie, l'état de conscience du malade, la persistance de la demande ainsi que la souffrance ou la détresse inapaisable du patient.

Aucune concertation n'est imposée entre le médecin et l'équipe soignante quant à l'appréciation de ces critères préalablement à la décision d'euthanasie. Le texte prévoit simplement la consultation d'un autre médecin indépendant sur le caractère incurable de la maladie. La consultation est purement facultative, les proches du patient et l'équipe soignante n'étant consultés que si le patient en fait la demande expresse. Le médecin est simplement tenu de vérifier que le patient lui-même a pu s'entretenir de sa requête avec toutes les personnes qu'il souhaite, ses proches et l'équipe soignante avec laquelle il entretient des contacts réguliers pouvant être comptés parmi ces personnes. L'intervenant note cependant une ouverture, notamment dans le chef d'un précédent orateur qui, dans une récente intervention, proposait la concertation obligatoire.

On peut adhérer totalement aux craintes formulées très récemment par le Dr D. Bouckenaere « de voir la puissance médicale se renforcer par une dépénalisation qui donne aux représentants de cette seule profession le droit de tuer et par l'absence de consultation collégiale destinée à tempérer l'arbitraire du médecin ».

En revanche, l'idée d'une consultation collégiale a priori a reçu l'adhésion de nombreux praticiens de soins continus, de confessions diverses. Ceux-ci estiment en effet que le colloque singulier doit se prémunir contre les risques d'interprétations trop subjectives de la souffrance ou du discours du patient, une concertation préalable à la décision devenant alors un garde-fou indispensable.

Cette consultation collégiale ne peut être assimilée à la décision d'un « tribunal », en lieu et place de celle du patient. Elle lui permet en revanche de prendre sa place dans le dialogue qui s'instaure au sein de l'équipe pluridisciplinaire.

6. La proposition de loi déposée par les parlementaires de la majorité passe sous silence l'obligation d'assistance morale du médecin et du personnel soignant face à un patient en fin de vie

Or, cette obligation d'assistance est fondamentale, car elle impose aux praticiens de porter une attention particulière aux patients les plus vulnérables et d'envisager, avec les patients conscients, leur prise en charge palliative en faisant appel au personnel compétent pour assurer ce type de soins.

Il est essentiel que figure explicitement dans le texte de loi relatif à l'euthanasie et avant toute autre disposition, l'obligation qui pèse sur tout praticien de fournir au patient en fin de vie l'assistance morale et médicale nécessaire au soulagement de ses souffrances morales et physiques et à la préservation de sa dignité.

7. La proposition de loi confère à la déclaration de volonté anticipée du patient, la même valeur que sa demande expresse d'euthanasie. Elle organise en outre la désignation d'un mandataire qui exercera les droits du patient inconscient

Selon la proposition de loi des parlementaires de la majorité, tout patient majeur ou mineur émancipé capable peut, pour le cas où il ne pourrait plus exercer sa volonté, déclarer préalablement qu'un médecin interrompe sa vie s'il est inconscient et atteint d'une affection accidentelle ou pathologique incurable et qu'il n'existe aucun moyen de le ramener à un état conscient. Il désigne dans cette déclaration un ou plusieurs mandataires (à l'exclusion de son médecin traitant ou de l'équipe soignante), classés par ordre de préférence, qui se substitueront l'un à l'autre en cas d'empêchement, d'incapacité ou de décès. Dressée obligatoirement par écrit, en présence de deux témoins majeurs ( !), la déclaration de volonté anticipée doit avoir été établie ou confirmée moins de cinq ans avant le début de l'incapacité de manifester sa volonté.

Dans cette hypothèse, le médecin décide seul, se référant à la déclaration du patient, de pratiquer l'euthanasie, le mandataire du patient exerçant ses droits, qui ne sont pas une obligation, notamment celui de consulter l'équipe soignante et les proches du patient.

Or, ce type de directives présente de grandes faiblesses :

­ Le fait de substituer une relation « papier », incapable de saisir la complexité du moment présent, à la relation « humaine » basée sur la confiance réciproque entre le soignant et le soigné. La directive anticipée tend, en outre, à déshumaniser la relation médicale en instaurant, en amont d'une situation de fin de vie, un contexte de méfiance, un sentiment de défense du patient à l'égard du médecin. Elle risque ainsi d'induire un comportement mécanique dans le chef du médecin, effrayé par le poids de la directive.

­ L'impossibilité d'évaluer la souffrance physique ou morale intolérable dans le chef du patient inconscient qui n'est plus à même de l'exprimer pose en outre problème.

Il en va de même de la désignation d'un mandataire amené à exercer les droits du patient et, comme le prévoit la proposition de loi, de consulter, en son nom, ses proches et l'équipe soignante quant à la demande d'euthanasie formulée par le patient dans la directive. La dimension hautement subjective de cette fonction la rend très délicate et génère dans le chef du malade une dépendance accrue vis-à-vis d'autrui, sans compter la lourde responsabilité à laquelle se trouve confronté le mandataire. Le danger est aussi de se trouver face à une personne de confiance « sur papier » dont les relations avec le malade se seraient dégradées.

La directive anticipée ne devrait être prise en compte qu'à titre d'éventuel élément d'appréciation dans le cadre d'un processus de concertation élaboré autour du patient, ce processus ne trouvant à s'appliquer qu'en état de nécessité dans des cas extrêmes tel, par exemple, le « coma irréversible ».

Un débat plus approfondi, moyennant l'audition d'experts se révèle en tout état de cause indispensable au sein du Sénat pour que soit abordée avec toute la nuance qui s'impose la problématique de l'euthanasie sur le patient inconscient.

L'intervenant constate qu'un consensus semble se faire à ce sujet, et s'en réjouit.

8. La proposition de loi organise un contrôle a posteriori généralisé. Elle ne prévoit en outre aucune sanction spécifique à l'égard du praticien qui aurait contrevenu aux dispositions qu'elle édicte

La proposition de loi organise une procédure de déclaration des euthanasies à l'officier d'état civil du lieu du décès ainsi qu'au procureur du Roi. Ce dernier peut exiger du médecin qu'il lui communique les éléments du dossier médical du patient relatif à l'euthanasie. L'autorisation d'inhumer est soumise à son accord préalable.

Notons qu'aucune sanction n'est encourue par le médecin qui omettrait d'effectuer cette déclaration ou qui pratiquerait l'euthanasie sur un patient ne répondant pas aux critères déterminés par le texte.

Mais, alors que le groupe de l'intervenant a subi le reproche de vouloir tribunaliser la décision en demandant l'avis préalable d'un comité éthique, on voit ici une systématisation de la déclaration au pouvoir judiciaire, véritable épée de Damoclès sur la tête des médecins, comme cela a déjà été dit.

La proposition cosignée par l'intervenant invite aux précautions a priori qui entraînent de facto la présomption d'existence de l'état de nécessité. A posteriori, elle propose la seule déclaration au médecin légiste, puisqu'il est la personne la mieux à même d'apprécier le bien-fondé de la pratique. Cette présomption simple est réfragable. Cela signifie que toute contestation d'un tiers ou toute mise en cause devra être étayée par des éléments probants dans le chef de l'accusateur. Dans ce système, on ne traitera que les exceptions, alors que, dans le système proposé par les parlementaires de la majorité, tous les cas seront soumis à l'appareil judiciaire.

Quels sont les risques d'un afflux de dossiers ?

­ Classement sans examen ? Mais alors, quelle est la nécessité de la procédure ?

­ Examen de tous les dossiers ? On imagine la culpabilisation des médecins et l'explosion des actions en justice, à moins que l'on revienne au système actuel de la pratique cachée. Si on y ajoute que le permis d'inhumer dépendra de la décision du Procureur du Roi, on peut aisément deviner les drames à venir.

Enfin, s'est-on posé la question du respect de la vie privée ? Le choix de l'euthanasie n'est-il pas d'ordre strictement privé ? Sera-t-il systématiquement envoyé sur la place publique, ne fût-ce que parce qu'on attendra un permis d'inhumer au-delà des délais habituels ?

Beaucoup de questions restent posées. Le souhait que forme l'intervenant en tant que responsable politique est de poursuivre tant le débat que la réflexion en appliquant le principe de précaution qui doit guider tous les travaux dans une question de cette importance. Il espère que le souci de dialogue qui semble prendre le pas sur des positions initiales plus restrictives ira en s'amplifiant, et se réjouit de pouvoir écouter le plus tôt possible les intervenants de terrain qui vivent ces problèmes douloureux dans leurs applications les plus concrètes.

Le président constate que le précédent intervenant a évoqué à plusieurs reprises les propositions « de la majorité ». Or, il a été dit à plusieurs reprises que ces propositions ont été déposées par des membres de la majorité, mais non au nom de celle-ci.

Un membre fait remarquer que la commission est saisie de toute une série de propositions relatives à l'euthanasie et aux soins palliatifs. Selon lui, la commission ne peut réduire le débat aux trois propositions qui ont été déposées en dernier lieu. La discussion doit être menée à un niveau plus large et les différents textes doivent être confrontés, après avoir discuté des valeurs générales qui sont ici en cause.

En tout état de cause, il est réjouissant que les commissions aient décidé de ne pas travailler dans la précipitation et, entre autres, de prendre le temps d'entendre un certain nombre d'acteurs sociaux. Dans des matières d'une telle importance sociale, les responsables politiques doivent être ouverts aux critiques et aux améliorations formulées par la société au sujet de leurs intentions.

Le fait que le débat sur cette problématique ait été confié au Sénat revêt une signification particulière. On s'attend à ce que, sans nier les oppositions, les discussions soient menées de manière rationnelle et sereine, en permettant à chacun d'exposer ses arguments et d'être entendu. En d'autres mots, cela traduit l'espoir que le débat ne sera pas mené sur la base de prises de position des partis politiques.

De ce point de vue, le débat est aussi un test pour le Sénat qui a ainsi l'occasion de prouver qu'il peut mener à bien les missions qui lui ont été confiées.

Le Sénat a déjà une première fois discuté de la problématique de l'euthanasie en décembre 1997 à l'occasion de l'avis rendu par le Comité consultatif de bioéthique qui avait formulé quatre propositions que l'on peut résumer ainsi :

1. le Code pénal est modifié afin que l'euthanasie ne soit plus définie comme un acte punissable;

2. le Code pénal n'est pas modifié, mais on prévoit une politique de tolérance avec une obligation de déclaration afin de permettre un contrôle a posteriori. Une réglementation semblable est actuellement en vigueur aux Pays-Bas;

3. le Code pénal n'est pas modifié, mais des mesures de contrôle et d'accompagnement a priori et a posteriori sont imposées en vue de la régulation (et non de la législation) de l'euthanasie en cas d'état de nécessité;

4. le maintien de la situation actuelle.

Les réactions des différents groupes sociaux à ce débat furent assez positives, notamment parce que beaucoup avaient l'impression qu'un compromis par-delà les différents partis était possible et qu'il y avait une volonté au sein du monde politique de parvenir à un tel accord.

Le membre se déclare d'autant plus surpris, précisément à la lumière de ce qui précède, que les groupes de la majorité aient déposé en commun un texte basé sur la première option du comité consultatif, ce qui amènerait la Belgique à avoir la législation la plus pointue au monde sur l'euthanasie. Au cours du débat, il était clair qu'il s'agissait là de l'option la plus marginale, alors que chacun considérait que le plus large consensus serait possible sur la troisième option.

Selon lui, ce développement peut seulement s'expliquer par les résultats des élections du 13 juin 1999. Ceux qui consultent la presse à ce sujet constateront que, y compris dans le monde extérieur, on a l'impression qu'une partie de la majorité actuelle jugeait impossible d'élaborer la réglementation sur l'euthanasie en concertation avec le groupe de l'intervenant.

La question est de savoir si l'opinion publique souhaite que le débat soit mené d'une telle manière. Les signaux provenant de différentes couches sociales mettent au contraire en évidence le souhait que les discussions aient lieu dans un contexte aussi large que possible.

Sur ce plan, il conviendrait de rectifier certains propos relatifs à la manière dont le groupe de l'intervenant considérait récemment encore les problèmes éthiques d'un point de vue politique. Le fait que, dans un accord de gouvernement, il ait été convenu de ne former aucune majorité alternative dans ce domaine ne signifie en aucun cas que nous souhaitons empêcher le débat sur de tels sujets. Les démocrates chrétiens ont une vision claire de la société ainsi que du rôle que les pouvoirs publics doivent remplir en la matière. Ce rôle n'est pas limité au domaine socio-économique. Manifestement, personne n'a d'objection à ce que, dans un accord de gouvernement, des accords très précis soient conclus sur le plan socio-économique.

En quoi peut-on s'opposer, par rapport à des questions éthiques, à la création d'un cadre offrant la garantie d'un large consensus quand des décisions sont prises ?

D'ailleurs, personne ne peut nier les efforts que les démocrates chrétiens ont faits ces dernières années pour initier et mener un débat serein sur des sujets éthiques.

Dans l'accord de gouvernement actuel, il est stipulé que le Parlement doit pouvoir prendre sa pleine responsabilité en ce qui concerne les thèmes éthiques et ce, sur la base de la conviction individuelle et de la conscience de chacun, entre autres en matière d'euthanasie.

Toutefois, en partant d'un tel point de vue, à savoir celui d'un droit absolu à l'autodétermination que la pluralité des choix présuppose, on reconnaît uniquement au législateur le devoir de rendre possible cette pluralité des choix. C'est une option idéologique qui nuit à la complexité de la mission d'un État et d'une société.

Le membre est dès lors d'avis qu'il faut examiner en premier lieu si le droit à l'autodétermination est l'alpha et l'oméga de cette discussion, comme on doit le conclure des exposés des auteurs de la proposition de loi nº 2-244-1. L'idée de base de cette proposition consiste en effet en la réalisation du droit à l'autodétermination du patient incurable.

Tout juriste sait cependant que l'autodétermination n'existe pas en tant que droit de l'individu. Quiconque conteste cela peut essayer de prouver le contraire sur la base de la législation belge, de la Constitution ou des actes internationaux auxquels la Belgique a souscrit.

L'autodétermination existe bien en tant que donnée préjuridique, en tant qu'argument politique grâce auquel, dans une conception bien déterminée, un but poursuivi est présenté comme un droit. C'est une stratégie qui est souvent appliquée dans le monde politique. L'idée de l'existence d'un droit à l'autodétermination n'est d'ailleurs pas neuve. Elle remonte au XIXe siècle et correspond aux conceptions extrémistes sur le droit à la propriété qui étaient répandues à l'époque mais qui sont aujourd'hui complètement dépassées.

Non seulement le droit à l'autodétermination n'a aucune base juridique mais, sur le plan du contenu, il est aussi beaucoup trop restreint pour rapprocher une telle problématique. Concrètement, quand un patient qui a toute sa conscience demande un traitement médical à son médecin, ce dernier doit, en vertu du droit à l'autodétermination du patient, y accéder sans plus. Aujourd'hui, plus personne ne croit encore que la médecine doit fonctionner de cette manière. La demande du patient ne peut jamais exclure la propre responsabilité du médecin. Celle-ci repose sur d'autres règles et ne peut être ignorée au nom du droit à l'autodétermination qui existerait dans le chef du patient.

Parallèlement, la question doit d'ailleurs être posée de savoir si la demande d'euthanasie formulée par un patient est bien l'expression de sa volonté de disposer de sa vie, ou si cette demande ne cache pas un appel au secours, un appel visant à ne pas être abandonné à son sort. En passant outre et en prenant simplement comme point de départ un droit à l'autodétermination dans le chef du patient, la problématique est rétrécie de manière irresponsable et sa complexité est niée.

Finalement, à côté du médecin et du patient, un troisième acteur intervient encore, à savoir la société dont l'individu fait partie de manière indissociable. La question relative au droit de décision sur la vie n'est pas de nature contractuelle mais peut uniquement recevoir une réponse dans un large cadre social.

L'intervenant conclut en disant que Gramsci savait déjà que, dans une discussion politique, il s'agit d'occuper les concepts. Dans une société où l'autonomie personnelle occupe une place importante, la simple utilisation d'un concept comme celui du droit à l'autodétermination est effectivement déjà un argument fort. Toutefois, à la lumière de ce qui précède, il doit être suffisamment clair que ce concept est trop restreint pour saisir la complexité des problèmes relatifs à la fin de la vie et élaborer une réglementation légale.

Si l'on décide de dépénaliser l'euthanasie, il est nécessaire de partir d'un scénario « worst-case ». Une telle législation a en effet toute une série de conséquences dérivées. À côté de l'intégrité de la vie humaine, il y a aussi toute une série de choses en cause, comme le souci d'intégrité morale de la profession médicale, celui d'exclure les abus, la négligence ou l'incompréhension à l'égard des personnes très vulnérables.

On agirait erronément si, par optimisme immodéré, on fermait les yeux sur ce genre de situation. Notre société est connue pour sa réglementation poussée dans la plupart des domaines. Il serait pour le moins étrange que, dans un tel contexte, la résolution des problèmes relatifs à la fin de la vie soit laissée à la bonne volonté des différentes personnes concernées. De ce point de vue aussi, on doit élaborer une réglementation s'appuyant sur le fait que l'autodétermination est absolument insuffisante.

Une autre question qui n'est pas moins importante est celle de savoir dans quelle mesure une réglementation qui s'appuie sur l'autodétermination du patient est compatible avec la Convention européenne pour la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Dans cette convention, le droit à l'autodétermination n'est pas reconnu. L'article 2 stipule en revanche que :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue;

c) ... »

Jusqu'à présent, dans ce débat, on a consacré peu d'attention à la portée de cet article et au fait de savoir si l'euthanasie volontaire peut être considérée comme compatible avec le principe de la protection de la vie qui est établi ici.

Les termes de la première phrase de l'article 2 sont très généraux. La loi doit protéger la vie de chacun, ce qui implique que l'on doit toujours pouvoir invoquer sa protection. La jurisprudence de la Commission européenne de Strasbourg fait apparaître que cet article contient non seulement une obligation négative à l'égard des pouvoirs publics (tu ne tueras pas) mais également une obligation positive de prestation, à savoir la protection de la vie.

Ainsi, la Commission stipulait en 1978 : « La première phrase de l'article 2 impose à l'état une obligation plus large que celle que contient la deuxième phrase. L'idée que le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi enjoint à l'état non seulement à s'abstenir de donner la mort intentionnellement mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie. »

L'article 2 détermine par conséquent que les pouvoirs publics doivent protéger le droit à la vie de manière active, mais il ne dit pas de quelle manière ils doivent procéder. Il va de soi que l'interdiction pénale de meurtre et celle d'homicide en sont l'expression. La Commission a cependant déclaré que l'article 2 implique aussi qu'on doit pouvoir déterminer la responsabilité du médecin dans le décès de son patient. Selon la Commission, les obligations positives de l'État en vue de protéger la vie sont notamment : « la mise en place par les hôpitaux de mesures réglementaires propres à assurer la protection de leurs malades » et plus loin « l'obligation d'instaurer un système judiciaire efficace permettant d'établir le constat d'un décès survenu à l'hôpital et éventuellement la responsabilité des médecins traitants ».

De l'article 2 découlent plusieurs obligations positives pour les autorités, obligations par ailleurs reconnues par toutes les sociétés occidentales.

Dans ce contexte, peut-on déclarer que chacun bénéficie de la protection de la loi tout en ayant la possibilité de renoncer à cette protection ? La réponse à cette question est indiscutablement négative. La littérature juridique ne laisse planer aucun doute sur le fait que ces dispositions sont d'ordre public.

La jurisprudence relative à l'article 6 de la convention, qui garantit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, nous apprend ce que cela signifie concrètement. Toute disposition d'une convention qui ne respecte pas ce droit est systématiquement considérée comme nulle.

Ainsi, l'autorisation ou la demande du patient que l'on mette fin à ses jours ne peut jamais constituer une justification suffisante permettant de renoncer à la protection garantie par l'article 2 de la convention.

La raison pour laquelle les auteurs de la convention ont opté pour ce concept est liée en grande partie à l'époque à laquelle le texte a été rédigé. Après avoir connu la Seconde guerre mondiale, on estimait nécessaire de protéger le citoyen contre des décisions arbitraires au moyen de déclarations internationales. On a voulu faire comprendre que l'être humain ne vit pas seul.

Dans Les mandarins, Simone de Beauvoir décrit la confrontation qui a lieu entre, d'une part, une personne qui veut se suicider parce qu'elle imagine avoir sa propre vie entre ses mains et, d'autre part, la fille de cette personne. Après la confrontation, cette personne en arrive à la conclusion qu'elle a effectivement sa mort entre ses mains, « mais ce sont les autres qui la vivent ».

L'article 2 traduit la pensée que le droit exercé sur la vie ne constitue pas un droit de propriété. C'est la loi qui, en toutes circonstances, doit protéger la vie.

Il faut également noter l'importante décision du 4 octobre 1989 prise par la Commission sur le cas d'une personne condamnée à la détention à perpétuité qui avait demandé aux autorités pénitentiaires de mettre à sa disposition les moyens nécessaires pour mettre fin à sa vie. Cette personne se trouvait dans une situation de détresse psychique : elle ne pouvait supporter sa peine plus longtemps. La Commission a jugé très clairement que cette demande était inacceptable. En effet, accéder à cette demande aurait été en contradiction avec l'article 2 de la convention, qui impose aux États l'obligation de protéger la vie.

Ceci ne clôt toutefois pas le débat. Le droit doit tenir compte des réalités sociales et tenter de proposer une solution aux difficultés qui apparaissent dans la société.

C'est pourquoi l'intervenant s'attarde sur la question relative aux conflits possibles entre les obligations imposées par l'article 2 et les autres droits accordés à l'individu.

Ainsi, l'administration de traitements médicaux inutiles pourrait être en contradiction avec l'article 3 de la convention : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Il importe de ne pas confondre des situations différentes et de distinguer ainsi le refus de subir des traitements thérapeutiques lourds et inutiles, d'une part, et la demande d'euthanasie, d'autre part. L'article 4 de la proposition de loi nº 2-244 ne fait en effet pas la distinction entre ces situations.

La question est dès lors de savoir où se trouve la limite entre les traitements utiles et les traitements inutiles. En particulier, la possibilité d'administrer des soins palliatifs dans une situation de crise doit-elle nous amener à conclure que l'euthanasie n'est pas le seul moyen de faire face à une situation de crise ? En d'autres termes, les soins palliatifs constituent-ils une alternative à l'euthanasie pour sortir d'une situation de crise ?

L'intervenant renvoie au livre Le grand secret dans lequel le docteur Gubler, le médecin de François Mitterrand, décrit l'historique de la maladie du président atteint d'un cancer depuis 1981. L'auteur explique dans ce livre qu'il n'est pas possible de déterminer avec exactitude si une situation terminale concrète correspond à la souffrance inutile que le patient dit vouloir éviter de manière abstraite dans son testament. On ne peut exclure que la capacité du patient à donner un sens à sa fin de vie augmente au moment où il est confronté concrètement avec la phase terminale de sa vie.

À propos des soins palliatifs dont le président a bénéficié pendant les dix-huit derniers mois de sa vie, l'auteur écrit :

« Si d'un côté tout le monde refuse la souffrance et la déchéance, de l'autre tout le monde veut continuer à vivre. Même chez les êtres les plus lucides, les plus forts mentalement, au fur et à mesure que l'heure approche on voit se nuancer la revendication d'une mort digne. Ce que l'on croyait être une vérité à un moment de sa vie ne l'est plus face à la maladie. François Mitterrand a suivi le même chemin. Si en 1981, on lui avait appris qu'on se livrerait à un tel acte sur lui (cf. soins et accompagnement) il aurait hurlé que jamais il ne l'autoriserait. Pourtant depuis il l'a accepté. Peu d'hommes lucides savent refuser une proposition palliative qui leur permet de vivre correctement. »

Cette citation montre la complexité de la situation dans laquelle se trouve le patient incurable et les possibilités offertes par la médecine pour éviter que le patient se retrouve dans une situation indigne.

Elle montre également que, lorsqu'un patient se retrouve dans une situation inhumaine et dégradante, on est confronté à un conflit des droits fondamentaux décrits aux articles 1er et 2 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Personne ne peut rendre l'État responsable de toutes les souffrances de la société. Cependant, il arrive qu'un médecin fasse l'objet de poursuites pénales pour assassinat ou homicide lorsqu'il met fin à la vie d'un patient qui le demande et qui ne peut être libéré de sa souffrance insupportable par aucun autre moyen. On pourrait alors dire que cette interprétation du Code pénal est contraire à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Il est essentiel que le médecin en question n'ait aucune autre possibilité, par exemple les soins palliatifs, pour atténuer la douleur insupportable du patient. Il faut en effet toujours lire l'article 3 de la Convention européenne en même temps que l'article 2. Il doit clairement y avoir une situation conflictuelle entre les deux articles. On ne peut choisir à sa meilleure convenance l'un ou l'autre article.

L'orateur en conclut que la proposition de loi nº 2-224/1 est contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme parce que :

­ sa formulation est beaucoup trop générale;

­ elle prive le patient en fin de vie de la protection de la loi;

­ on ne peut obliger personne à subir des traitements inhumains, mais que l'inhumanité d'un traitement ne peut être invoquée pour mettre fin à la vie que s'il n'existe aucune alternative; autrement dit, s'il y a conflit manifeste entre les articles 2 et 3 de la convention.

Ce dernier point implique qu'il n'est possible de résoudre ce problème qu'en faisant appel à l'état de nécessité.

Le membre souhaite ensuite s'attarder sur un sujet déjà abordé par plusieurs orateurs, à savoir la nécessité d'une réglementation garantissant l'indispensable sécurité juridique.

Il va de soi que la sécurité juridique est d'un tout autre ordre que le concept de sécurité dans les sciences positives.

La sécurité juridique implique que le justiciable puisse aligner en confiance son comportement sur la règle de droit. Cela suppose en premier lieu que l'on utilise des concepts clairs. Il doit être possible, par une analyse raisonnée des textes, de prévoir quelles seront les conséquences juridiques des actes que l'on pose. C'est pourquoi des définitions vagues, telles qu'elles apparaissent dans la proposition nº 2-244/1, ne sont pas conciliables avec la sécurité juridique.

Lors du jugement d'actes médicaux, la sécurité juridique ne peut également être établie qu'après que l'acte a été posé. Si l'on examine la jurisprudence relative à cette matière, on constate que les tribunaux procèdent de plus en plus souvent au contrôle a posteriori des actes médicaux, ce qui entraîne parfois de grandes surprises pour les médecins.

Si l'on souhaite procéder à une régulation (non à une légalisation) de l'euthanasie, il faut que celle-ci offre aux médecins une sécurité juridique suffisante. Celle-ci n'est possible que si l'on développe des formules de contrôle a priori permettant au médecin, s'il respecte certains paramètres bien définis, d'être raisonnablement sûr d'avoir agi dans les limites de ce qui est autorisé.

Autrement dit, on ne peut garantir au médecin une sécurité juridique purement abstraite. On ne peut offrir la sécurité juridique qu'en élaborant suffisamment de garanties concrètes. Ces garanties ne doivent pas seulement défendre le patient face à l'arbitraire, mais également le médecin qui, sinon, sera toujours freiné dans ses actes parce qu'il ne sait pas à quoi s'en tenir.

Dès lors, l'argument qui consiste à dire que la dépénalisation de l'euthanasie implique la sécurité juridique, ne tient pas debout. Au contraire, la dépénalisation affaiblit la sécurité juridique du patient car ce dernier bénéficierait alors d'une protection juridique insuffisante. De son côté, le médecin ne disposerait pas de suffisamment de points de repère pour être raisonnablement sûr que ses actes médicaux ne seront pas sanctionnés a posteriori.

L'orateur s'attarde ensuite sur un aspect essentiel de la proposition de loi qu'il a déposée avec plusieurs membres de son groupe. Cette proposition préconise de réguler l'euthanasie par la technique de l'état de nécessité. L'euthanasie ne peut dès lors pas être dépénalisée. Cette proposition n'est pas qu'une affaire de symboles.

Dans son intervention, un membre s'appuie sur l'arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1987 pour déclarer que le concept d'« état de nécessité » ne constitue pas une version « affaiblie » de l'article 71 du Code pénal, mais un principe plus général. En examinant la jurisprudence, on remarquera toutefois que depuis 1987, la Cour de cassation a invoqué dans plusieurs arrêts l'état de nécessité en application de l'article 71.

La définition utilisée depuis très longtemps par la Cour de cassation est suffisamment connue : l'état de nécessité constitue une cause de justification lorsque plusieurs conditions sont remplies, à savoir que la valeur de ce à quoi on renonce est inférieure ou égale à la valeur du bien que l'on veut préserver, que le droit ou l'intérêt à préserver court un danger grave et imminent, que le mal ne peut être évité que par le délit et que la personne concernée n'a pas engendré elle-même l'état de nécessité.

Cette définition apparaît entre autres dans les arrêts de la Cour de cassation des 28 avril 1999, 26 juin 1996, 5 avril 1996 et 10 janvier 1995. Dans ce dernier arrêt, la Cour invoque la violation de l'article 71 comme un moyen d'ordre public. Il est donc indubitable que notre droit reconnaît l'état de nécessité et que celui-ci découle de l'article 71 du Code pénal.

Comme le précise la proposition de loi nº 2-160/1, l'état de nécessité implique un conflit d'intérêts lorsqu'une valeur est moins importante que l'autre ou, en cas d'égalité des valeurs, lorsque la conservation d'une valeur implique la perte de l'autre.

La proposition de loi reconnaît qu'à la fin de la vie, le médecin peut se trouver devant le choix crucial suivant : d'une part, aider le patient et lui assurer une existence la plus digne possible et, d'autre part, maintenir la vie humaine. On ne peut honnêtement prétendre que cette situation ne correspond pas au concept juridique d'état de nécessité tel que la Cour de cassation le définit.

L'orateur fait remarquer qu'en dehors du monde de la justice, peu de gens savent exactement ce que recouvre le terme « état de nécessité » car ils le confondent souvent avec une situation de détresse individuelle. Il s'agit pourtant de deux concepts totalement différents. Alors que l'état de nécessité juridique constitue un concept objectivé, la situation de détresse individuelle s'appuie principalement sur une perception subjective.

L'état de nécessité ne peut être invoqué qu'en l'absence d'alternative. C'est fondamental dans le cas de l'euthanasie. C'est également le raisonnement tenu dans l'arrêt du Hoge Raad néerlandais du 21 juin 1994 qui se prononçait sur la question de savoir si l'on peut euthanasier un patient bénéficiant de soins psychiatriques. Le Hoge Raad avait estimé que l'on ne pouvait invoquer l'état de nécessité s'il existe une alternative réelle pour atténuer la souffrance pourtant refusée en toute liberté par la patient.

L'intervenant fait remarquer qu'on comprend tout de suite, à la lumière de ce qui précède, pourquoi la proposition de loi nº 2-160/1 attache une telle importance aux soins palliatifs. Il s'agit d'un signal qui montre que dans la grande majorité des cas, il y a bel et bien des alternatives à l'arrêt de la vie. Dans ces cas-là, il ne peut être question d'un état de nécessité qui justifierait l'euthanasie.

Contrairement à ce que certains affirment, il existe entre les deux solutions, la dépénalisation ou le recours à l'état de nécessité, d'importantes différences juridiques qui sont loin d'être purement symboliques.

Cette manière de voir est dans une large mesure déterminée par des fonctions du droit pénal dans la société.

En soumettant une certaine manière d'agir au droit pénal, on la met davantage en évidence que par une simple déclaration ou explication.

L'objectif du droit pénal ne peut être purement instrumental. Il remplit plusieurs fonctions. Celle d'éviter les préjudices et délits n'en représente qu'une parmi d'autres. Si une disposition pénale ne pouvait en même temps contenir un jugement de valeur, elle serait, en exagérant quelque peu, une sorte d'accise. On considérerait comme acceptables le vol ou l'homicide pour autant que l'on soit prêt à en payer le prix sous la forme d'une peine de prison.

Lorsque la société intègre un certain type d'agissements au Code pénal, elle lui associe un jugement. Dans le contexte de ce débat, cela veut dire qu'une interdiction de principe de l'euthanasie dans le Code pénal signifie en même temps qu'il ne s'agit pas d'un traitement médical ordinaire. Inversement, une dépénalisation signifierait qu'il s'agit bel et bien d'un traitement médical ordinaire, ce qui pourrait modifier profondément l'ordre des attentes autour du lit du mourant.

L'auteur néerlandais Switters écrit à ce propos : « Ce qui était autrefois interdit devient une option et ce qui est une option devient perméable à la pression que renferment les dépendances sociales et l'impuissance psychique. Cette évolution fragilise particulièrement la culture occidentale dans laquelle la population entretient une relation avec la mort qui est loin d'être facile. Nombreux sont ceux qui préfèrent une interdiction pénale, étant convaincus de devoir respecter une frontière sacrée : le terme euthanasie ne peut être cité dans le langage courant en tant que traitement possible, tout au plus est-il autorisé exceptionnellement lorsque masqué par d'autres définitions. »

Si l'on part de ce principe, le concept d'« état de nécessité » constitue la solution la plus évidente pour rencontrer, dans des circonstances bien définies, la demande du patient de mettre fin à sa vie.

Certains sont d'avis que le fait que l'on puisse invoquer l'état de nécessité que sous certaines conditions légales prouve qu'il ne s'agit pas d'un état de nécessité. De leur côté, les médecins déclarent que leur déontologie médicale générale les autorise aujourd'hui à invoquer l'état de nécessité.

Une telle déclaration ne peut toutefois suffire. Il est nécessaire de créer un cadre pour, d'une part, rendre la prise de décision transparente et garantir les droits du patient et, d'autre part, donner au médecin la sécurité juridique nécessaire. La concrétisation des conditions dans lesquelles on peut invoquer un état de nécessité ne revient absolument pas à nier l'existence de l'état de nécessité, mais a pour seul objectif que les décisions soient prises dans un cadre qui offre les garanties exigées tant par le patient que par le médecin.

Le membre pense que ceci constitue le contexte dans lequel il faut replacer la troisième proposition du Comité consultatif de bioéthique. Une concertation a priori n'a pas pour but de mettre le patient sous tutelle, elle est nécessaire pour soutenir la prise de décision et garantir la sécurité juridique des différentes parties. Le choix du terme « concertation » en lieu et place de « contrôle » constitue ici un choix délibéré car il convient de donner à ce concept une connotation positive.

Il va de soi que, dans cette optique, le contrôle a priori revêt également une grande importance. La proposition de loi nº 2-244/1, qui prévoit uniquement la transmission du dossier au parquet, laisse à cet égard beaucoup à désirer. La proposition de loi nº 2-160/1 offre de meilleures garanties au patient ainsi qu'au médecin, notamment en insérant un tampon, en la personne d'un médecin légiste, avant que le dossier n'aboutisse au parquet. Ce système rend possible la concertation et la prise de décision objectivée sans se retrouver immédiatement dans la sphère criminelle.

Il peut comprendre que tous les membres de ces commissions ne partagent pas les points de vue qu'il vient d'exposer. Il espère toutefois qu'ils pourront manifester de la compréhension pour les idées sous-jacentes, à savoir que le maintien de l'euthanasie dans le droit pénal représente davantage qu'un simple symbole. Si l'on est prêt, indépendamment de toute considération politicienne, à continuer d'explorer cette voie, il sera possible de rapprocher les différentes visions qui coexistent au sein de ces commissions.

L'orateur poursuit en disant qu'outre ces différences de principe, il existe d'importantes différences juridiques entre une dépénalisation de l'euthanasie et le recours à l'état de nécessité. Ces différences sont liées à la manière dont la loi pénale est rédigée, dont la charge de la preuve est organisée et dont le Code pénal est interprété.

Si l'on dépénalise l'euthanasie en assortissant cette dépénalisation d'un certain nombre de critères de prudence, la loi supposera qu'il s'agit d'un acte légitime. Il appartiendra alors au procureur du Roi de prouver que les conditions légales n'ont pas été respectées. Le caractère punissable est interprété de façon restrictive.

Si par contre on fait appel à l'état de nécessité, l'interdiction fondamentale de l'euthanasie restera intacte dans le Code pénal. La charge de la preuve se trouvera alors chez la personne qui invoque l'état de nécessité. Ce sont ici les conditions d'existence de l'état de nécessité qui sont interprétées de manière restrictive.

Le membre est d'avis qu'un des défauts importants de la proposition de loi nº 2-244/1 consiste dans les possibilités de fraude que présente ce règlement de l'euthanasie. Il a déjà signalé précédemment qu'un tel règlement doit se baser sur le scénario du pire.

Une étude récente des universités de Bruxelles, Gand et Nimègue, que 'autres membres ont déjà mentionnée, montre qu'il est très difficile de contrôler des actes médicaux a posteriori. La jurisprudence fait ainsi apparaître combien il est difficile pour le patient et son entourage de prouver la responsabilité du médecin lors d'une intervention chirurgicale. En effet, il s'agit dans ce cas d'actes exécutés dans une sphère très intime et sous anesthésie.

Pour autant que l'on sache, l'étude démontre que la protection des droits du patient vis-à-vis du traitement médical, dans la phase terminale de la vie, est totalement impossible si on réduit cette question à une réglementation de l'euthanasie. Lorsque la mort est proche, de nombreuses décisions médicales sont prises. Elles n'ont rien à avoir avec l'euthanasie et elles ne peuvent être contrôlées sans un cadre juridique sérieux. Elles sont exécutées dans un contexte qui n'est absolument pas transparent.

Enfin, l'orateur souhaite encore formuler un certain nombre de critiques plus concrètes au sujet de la proposition de loi nº 2-244/1.

­ Il ressort de ce qui précède que la rédaction de l'article 417bis du Code pénal telle que proposée est trop large.

La possibilité de procéder à une euthanasie en dehors de la phase de fin de vie ne correspond pas à la vision qu'il a exposée à ce sujet.

En outre, la notion de « détresse insupportable » est trop vague pour déterminer de façon précise les situations qui peuvent être concernées. Cette notion permettrait d'euthanasier des patients qui peuvent encore vivre durant de nombreuses années. On peut se demander si une telle réglementation bénéficie d'une assise sociale.

­ Il existe des discordances évidentes entre les articles 3 (qui réglemente l'euthanasie pour les patients conscients) et 4 (relatif à la déclaration anticipée) de la proposition. Ce sont notamment les conditions de fond pour l'application de ces articles qui ne sont pas uniformes. En même temps, bon nombre de questions ­ relatives au caractère non contraignant de la déclaration anticpée et au droit d'appréciation dont dispose le médecin en la matière ­ restent sans réponse.

­ Le fait que les soins palliatifs soient inscrits dans la loi constitue un point positif. Cependant, cette forme de soins devrait de préférence être intégrée dans une réglementation légale plus large qui garantirait au patient le droit de mourir dans la dignité. La méthode de travail utilisée envoie un mauvais signal car elle suggère que l'euthanasie et les soins palliatifs constituent des traitements alternatifs entre lesquels le patient peut choisir. Comme exposé précédemment, la possibilité de recourir à l'euthanasie peut, selon lui, n'être envisagée qu'en ordre subsisidaire, au cas où les soins palliatifs ne peuvent offrir de réponse aux problèmes du patient.

­ La commission d'évaluation telle que définie dans la proposition de loi nº 2-245 est absolument insuffisante pour assurer un contrôle correct de la réglementation relative à l'euthanasie. La simple information du procureur du Roi (sans qu'une sanction soit prévue) ne peut suffire pour créer un mécanisme de contrôle qui offre une sécurité juridique au patient et au médecin.

L'orateur conclut que, contrairement au souhait apparent de certains autres membres, il ne voit pas pourquoi, dans l'état actuel du débat, son groupe devrait déposer des amendements à la proposition de loi nº -244/1. Ce dernier a d'ailleurs déposé lui-même une proposition traduisant clairement les points de vue qui viennent d'être exprimés.

Outre ces propositions de loi, il existe d'ailleurs une série d'autres dont on peut discuter. Une fois que les auditions seront terminées, les commissions devront déterminer l'orientation de leurs travaux ultérieurs, de même que les options de principe qu'elles souhaitent prendre comme point de départ et à la lumière desquelles elles choisiront le texte le plus adéquat. Une autre possibilité pour les commissions consisterait à tenter, sur la base des discussions, de rédiger un texte entièrement neuf.

Il est cependant prématuré d'en parler maintenant. Ceux qui affirment déjà savoir laquelle des propositions servira finalement de base à une réglementation, anticipent donc largement sur les faits.

Un sénateur souhaite faire trois remarques concernant les interventions précédentes.

Il constate que la proposition de loi no 2-244/1 ne maintient pas dans le Code pénal l'interdiction de principe de l'euthanasie. C'est par contre bel et bien le cas dans la proposition de loi qui est examinée pour l'instant aux Pays-Bas : tuer un patient à sa demande est considéré comme un fait punissable et une peine est prévue. En même temps, il n'y a toutefois pas de délit si certaines conditions sont remplies lorsque l'on met fin à une vie.

Si l'on suivait cette voie, la différence avec une réglementation basée sur l'état de nécessité, telle que proposée par un orateur précédent, deviendrait particulièrement faible. On ne touche en effet pas à l'interdiction de principe de l'euthanasie.

Dans ce débat, on a constamment fait référence à l'enquête récente mais non publiée concernant le traitement médical en fin de vie. En tant que médecin, il peut témoigner que, chez les patients chroniques qui décèdent à la suite de leur maladie, il y a toujours une intervention médicale qui a éventuellement hâté la mort. C'est aussi une question qui doit être réglée. Le moyen le plus adapté pour le faire semble être une législation relative aux droits du patient, qui est aussi examinée pour l'instant.

Il constate enfin que les soins palliatifs sont parfois opposés à l'euthanasie comme s'il s'agissait de deux alternatives entre lesquelles le patient peut choisir. La réalité est cependant beaucoup plus complexe. L'aide palliatieve constitue une suite d'actes médicaux et non un ensemble de soins distinct pour lequel on peut opter. L'administration de cytostatiques, par exemple, constitue dans certains cas un traitement curatif mais, dans beaucoup d'autres, elle est une forme de soins palliatifs. La même chose vaut pour la radiothérapie.

On doit par conséquent se garder de considérer les soins palliatifs comme un ensemble distinct de soins médicaux, parce que ceux-ci pourraient alors être considérés comme une alternative à l'euthanasie, le patient devant choisir entre les deux.

Un membre relève que la question de la sensibilité à la fraude de la loi a été évoquée par un autre intervenant.

Celui-ci a notamment fait référence à l'étude qui montrait combien, actuellement, le contrôle des actes médicaux est difficile.

C'est précisément la raison pour laquelle les six auteurs ont déposé leur proposition.

Le docteur Wynen a fait le même constat dans une interview que d'aucuns ont montée en épingle.

Comme l'écrivait un lecteur dans le courrier du Soir : « Si une loi existe, il est du devoir du citoyen de la respecter et de celui du législateur de la faire appliquer. Si les poursuites légales sont pratiquement inexistantes, cela implique qua ladite loi n'est plus de mise. Il faut donc la remettre en cause. À défaut, le laxisme légal met le citoyen en porte-à-faux et constitue, par cette ambiguïté, un obstacle à la saine pratique démocratique. »

Ce raisonnement paraît tout à fait logique. Lorsqu'une loi existe, on la respecte; si on ne la respecte pas, il faut la modifier.

Il est assez curieux de prétendre que la proposition, une fois devenue loi, pourrait aggraver la situation alors qu'aujourd'hui, l'euthanasie est pratiquée et non poursuivie. Certains font même état d'un nombre de cas plus grand qu'on ne l'a dit dans les études fournies jusqu'ici.

Enfin, quoique l'on fasse état de la volonté d'arriver à un accord, l'intervenant constate qu'il subsiste toujours un fossé profond entre les thèses en présence.

L'intervention d'un membre à propos des éléments essentiels de la proposition est assez illustrative de ce fait. Ainsi, en ce qui concerne la position des soins palliatifs par rapport à l'euthanasie, le groupe de cet intervenant a clairement exprimé que ce n'était qu'après que tout a été fait en matière de soins palliatifs, que l'euthanasie peut éventuellement intervenir, dans certaines circonstances.

Dès le départ, c'est avec le patient que l'on envisage sa prise en charge dans le cadre de soins palliatifs. C'est, par conséquent, le passage obligé avant d'en arriver éventuellement, dans les cas extrêmes, et dans le cadre d'un état de nécessité, à accepter une demande d'euthanasie. Il y a là une divergence fondamentale avec la proposition des six auteurs.

Une autre divergence essentielle consiste dans le point de savoir si l'on modifie ou non le Code pénal.

Enfin, la notion de dialogue entre patient et médecin constitue aussi un point fondamental d'opposition puisque les uns étendent considérablement cette notion jusqu'à une « sociétalisation » de la demande du patient (concertation avec l'équipe soignante, évaluation éthique de l'état du patient, avis du comité d'éthique local), alors que d'autres privilégient le libre choix du patient quant à sa vie et à sa mort.

Pour le surplus, l'intervenant souhaite émettre quelques considérations sur des remarques formulées à propos de la Convention européenne des droits de l'homme, et le point de savoir si l'euthanasie n'est pas condamnée par l'article 2 de cette convention.

Pour rappel, cette disposition prescrit que le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi, que la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal, au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

Par ailleurs, la mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.

La question est de savoir en quoi la proposition de loi des six auteurs serait battue en brèche par les dispositions de l'article 2 CEDH.

En droit positif, il faut noter tout d'abord que les organes de contrôle du respect de la convention ont été jusqu'à présent extrêmement prudents lorsqu'il s'est agi de vérifier la compatibilité des dispositions de cet article avec certaines situations relevant de la liberté individuelle.

Ainsi, dès 1980, à propos d'un problème d'avortement, la Commission a été amenée à se demander si l'article 2 de la CEDH devait être interprété comme ne concernant pas le foetus, ou comme reconnaissant à celui-ci un droit à la vie assorti de certaines limitations implicites, ou encore comme lui reconnaissant un droit à la vie de caractère absolu.

Si la Commission a écarté d'office la troisième hypothèse qui empêcherait l'avortement thérapeutique, elle n'a pas examiné les deux premières, parce qu'elle a relevé qu'en l'espèce, l'avortement critiqué avait un caractère thérapeutique et que, par conséquent, il n'y avait pas contravention à la CEDH.

La Cour ne s'est donc pas prononcée sur un problème de liberté individuelle qui lui était présenté.

À la connaissance de l'intervenant, il n'y a pas d'autre décision en la matière jusqu'en 1999.

Une série de juridictions nationales, comme le Conseil constitutionnel français, ont estimé que l'interruption volontaire de grossesse ne portait pas atteinte au principe du respect de l'être humain dès le commencement de la vie, reconnu par les lois de la République, et n'était donc pas contraire à la CEDH.

Si cette prudence à l'égard du début de la vie existe, existe-t-elle également à propos de la fin de la vie ?

L'intervenant est de cet avis.

Dans un fort savant commentaire article par article de la CEDH, un auteur notait qu'en vue de déterminer quelles sont les personnes jouissant du droit à la vie au titre de l'article 2, il convenait de se demander non seulement quand la vie commence, mais encore quand elle se termine.

Une telle recherche, disait le commentaire, peut conduire à poser le problème plus vaste de l'euthanasie, et à s'interroger sur l'existence d'un droit à mourir, et sur ses rapports avec le droit à la vie.

Ces questions, dit l'auteur, ont été examinées quelquefois en doctrine. Elles ont donné lieu à des décisions de jurisprudence nationale, mais ni la Commission, ni la Cour n'ont eu à la trancher.

Le cas soulevé par un précédent orateur paraît tout à fait irrelevant en l'espèce.

Il s'agit d'une décision rendue par la Commission en procédure sommaire, le 4 octobre 1989, sur requête.

La Commission s'est prononcée sur un cas de suicide dans lequel aucune maladie grave n'était alléguée.

Elle a considéré en l'espèce que « le refus des autorités pénitentiaires de mettre à la disposition d'un détenu condamné à vie des moyens lui permettant de se suicider ne serait aucunement considéré comme contraire à la convention, celle-ci faisant au contraire obligation aux États contractants de prendre des mesures pour protéger la vie ».

De cette décision, rendue en procédure sommaire, certains tirent comme conclusion que l'euthanasie serait interdite.

Mais personne n'a jamais prétendu que le fait, pour un médecin, de fournir les substances létales à une personne souffrant d'une dépression à un moment donné, pour tel ou tel motif, constituerait une euthanasie.

Ce serait évidemment considéré comme un crime, ou comme une non-assistance à personne en danger.

La décision jurisprudentielle invoquée ne concernait nullement un cas d'euthanasie : pas de maladie incurable, pas de souffrance ni de détresse insupportables.

Tout au plus pourrait-il éventuellement s'agir d'un cas d'assistance au suicide, d'une toute autre nature que les cas que l'on peut rencontrer chez des malades incurables sollicitant une aide du médecin pour en finir.

On pourrait par contre citer pertinemment des décisions de tribunaux nationaux comme le tribunal de Brême qui, en octobre 1959, avait jugé que donner des drogues fatales à un malade dont la mort est certaine ne porte pas nécessairement atteinte au droit à la vie.

Des décisions comparables ont également été rendues aux Pays-Bas.

L'auteur précité poursuivait son analyse en indiquant que les droits comme celui de transmettre la vie ou de mettre fin à sa propre vie, ne sont pas visés par l'article 2 de la loi.

D'autre part, il faut revenir aux raisons pour lesquelles les articles en question ont été insérés tant dans la CEDH que dans d'autres textes.

La prudence des organes de contrôle se justifie par le fait qu'historiquement, les droits de l'homme sont nés pour protéger la liberté des individus par rapport aux États, et non pour empêcher cette liberté de s'exercer ou pour lui fixer des limites.

Ceci est vrai aussi bien pour la CEDH que pour le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et, de façon plus générale, pour tous les textes internationaux.

Ce sont les États qui doivent encourager et favoriser l'exercice effectif des libertés au niveau économique, social, culturel et au niveau des droits civils.

Depuis 1975, certains auteurs se sont exprimés sur le sujet.

Ainsi, Yves Madiot, professeur à la faculté de Droit de Poitiers, constatait en 1998, dans un article intitulé « Considérations sur les droits et les devoirs de l'homme » que l'État « (...) va se trouver soumis à une offensive qu'il n'avait que rarement connue, une offensive qui, sous des formes différentes, fut reprise par la droite et par la gauche; le « moins d'État » devient synonyme de plus de liberté. Les politiques de déréglementation (...) prennent de l'ampleur. Ces politiques vont renforcer l'individualisme et les droits de l'individu au détriment de ses devoirs. (...) Dans le même temps, en Europe, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme renforce singulièrement cette conception individualiste (...). »

Comme le souligne notamment Michel Lévinet, de l'Université de Montpellier, dans un article intitulé : « Recherche sur les fondements du droit au développement de l'être humain à partir de l'exemple de la Convention européenne de Strasbourg », encore faut-il que l'on ne recherche pas, dans la convention, des droits qui ne s'y trouvent pas.

Cet auteur indique que la Cour de Strasbourg n'est pas chargée de réécrire la Convention européenne des droits de l'homme, et d'y découvrir des droits qui n'y figuraient pas.

Il est vrai qu'il existe une interprétation dynamique de la convention, mais la Cour ne saurait dégager un droit qui n'a pas été inséré au départ, au moyen d'une simple interprétation évolutive (cf. l'arrêt Johnson et autres contre Irlande, du 18 décembre 1986).

On pourrait encore s'interroger sur le principe de la dignité humaine. Celui-ci est à l'origine de toutes les conventions internationales depuis la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, et est même consacré à l'article 23 nouveau de notre Constitution, selon lequel « chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine ».

La question est de savoir si ce droit à la dignité humaine n'entrerait pas en contradiction avec une revendication exprimée, par exemple, par l'État, d'empêcher une législation de permettre de donner la mort à une personne privée qui la demande.

Il faut reconnaître que ce principe est d'ordre supérieur, et reconnu comme fondement de tous les systèmes de droit interne.

Le concept de dignité est profondément lié à la personnalité humaine. Il s'agit d'un principe essentiel (Béatrice Morer, Essai de définition théologique et philosophique).

On pourrait, à cet égard, renvoyer à bien des auteurs, comme Kant ou Saint Thomas d'Aquin.

Certes, les concepts de « dignité » et de « liberté » ne sont pas complètement autonomes, puisqu'ils interfèrent notamment avec la notion de solidarité sociale, et que la liberté des uns doit tenir compte de celle des autres.

Mais cela est vrai dans la mesure où la dignité est invoquée, non comme un droit, mais comme un principe, qui demande à l'État une action positive. C'est le cas de toutes les revendications sur la base du principe de liberté en vue de l'application de droits économiques et sociaux (droit au logement, droit à une existence décente, ...)

On pourrait dire aussi que la notion de dignité n'est pas absolue parce que, dans certains cas, elle se heurte, au niveau social, à une notion d'« ordre public ». C'est à cette analyse qu'a procédé le Conseil constitutionnel français, à l'occasion de la loi de 1994 sur les problèmes de respect du corps humain, et des dons et utilisations de ses éléments et produits, ainsi que de l'assistance à la procréation.

Le Conseil constitutionnel a estimé que la sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation était un principe à valeur constitutionnelle.

Il a donc, en quelque sorte, contré la liberté individuelle absolue, en permettant à l'État d'interdire à l'individu de faire ce qu'il veut de son corps.

Il est évident que, dans ce secteur, on peut faire une lecture moins absolue de la liberté individuelle que dans d'autres domaines.

Mais dans le débat qui nous occupe aujourd'hui, il ne s'agit pas du tout de ce problème, mais bien de savoir si, dans des conditions extrêmes, en cas de souffrances intolérables et de maladie incurable, un être humain a oui ou non la liberté de choisir les conditions de sa propre vie et de sa propre mort, précisément parce qu'il invoque un principe supérieur, à savoir le droit à la dignité.

Ceci est tout à fait étranger à un quelconque trouble social, qui serait la conséquence d'un excès de liberté; sinon, il faudrait considérer que la dignité de l'être humain n'a qu'une valeur relative, et que ce principe n'existe que dans la mesure où le corps social l'autorise. Comme déjà indiqué, ceci irait à l'encontre de toutes les déclarations solennelles de principe dans tous les traités internationaux et européens.

Jamais les organes de contrôle de la Convention européenne de bioéthique, par exemple, n'ont nié la possibilité de prendre en compte l'être humain.

Cette Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité humaine prévoit, en son article 9, que les souhaits exprimés au sujet d'une intervention médicale par un patient qui, au moment de l'intervention, n'est pas en état d'exprimer sa volonté, seront pris en compte.

L'article 1er prévoit quant à lui qu'il faut tenir compte des éléments de la dignité humaine.

Tout cela montre bien que ce dernier principe est traduit dans une série d'éléments qui font que l'État, loin d'interdire à une personne d'exercer sa liberté, doit au contraire organiser de façon sérieuse et complète la libre expression de l'autonomie humaine.

Dès lors, les objections que l'on a tirées de l'article 2 CEDH par rapport à la proposition de loi des six auteurs paraissent sans fondement.

Enfin, l'intervenant se réfère à l'article 3 CEDH, qui interdit les peines et traitements inhumains et dégradants. On peut analyser à cet égard le critère du seuil de gravité, celui de l'appréciation relative, etc.

Tous les auteurs constatent que les éléments spécifiques de l'article 3 doivent être appréhendés à la lumière des conditions d'aujourd'hui, et qu'un jugement doit toujours concilier l'intérêt général et l'intérêt de l'individu, dans un rapport de proportionnalité.

Presque tous les cas d'application de l'article 3 sont relatifs à des cas de torture ou d'emprisonnement. Un seul cas pourrait être intéressant dans le cadre du présent débat.

Il existe en effet une décision du 2 mars 1983, selon laquelle le principe d'un traitement médical de caractère expérimental pourrait être qualifié de traitement dégradant et inhumain dans deux conditions, non remplies en l'espèce : que le traitement ait été effectué sans le consentement du sujet (or, en l'occurrence, il s'agissait d'une stérilisation volontaire en vue d'éviter de nouvelles grossesses), et qu'il s'agisse d'une expérience médicale, cette notion étant associée par la Commission à l'idée d'« innovation » et de « risque ».

Il est évident qu'en ce qui concerne l'acharnement thérapeutique, ces deux conditions ne se rencontrent pratiquement jamais, parce que ces problèmes d'abus médicaux peuvent être réprimés de façon directe par les tribunaux ordinaires sans qu'il faille faire appel aux juridictions européennes.

Il va de soi que l'on ne peut se livrer à des expériences sur des sujets vivants.

Lorsqu'on a appris, voici plus de 10 ans, que l'on pratiquait des expériences sur des personnes âgées dans une clinique du Hainaut, les médecins ont évidemment été poursuivis.

L'intervenant ne croit pas, dès lors, que la Convention européenne des droits de l'homme soit d'un grand secours lorsqu'il s'agira d'apprécier si le médecin est resté dans les limites de son serment d'Hippocrate.

Il résulte de cette analyse forcément partielle que tant sur le plan du droit positif de l'application de la convention qu'en ce qui concerne une réflexion générale sur la notion de dignité inscrite dans tous les pactes internationaux, quels qu'ils soient, ainsi que dans notre Constitution, il n'apparaît pas que les arguments tirés de l'article 2 de la CEDH puissent remettre en cause le vote éventuel d'une législation organisant, réglementant et dépénalisant l'euthanasie.

Un autre membre déclare, en guise d'introduction qu'il lui semble que l'on trouve, dans ces commissions réunies, le juste ton qu'il convient de tenir pour des discussions aussi essentielles puisqu'elles ont trait à la vie, à la mort, à des choix de société et à des conflits de valeurs. Il lui semble aussi qu'après une période de rodage, les propos sur un sujet aussi grave démontrent une réelle volonté d'ouverture et d'écoute. Elle se réjouit que certains ne cadenassent pas le débat et laissent la société civile s'y exprimer.

La présence nombreuse des membres des deux commissions, malgré l'absence des caméras, prouve bien l'importance de l'enjeu et démontre, si c'était encore nécessire, que le Sénat mérite bien le titre de « Chambre de réflexion ».

L'intervenante voudrait, néanmoins et a contrario, attirer l'attention sur la nécessité de maintenir cette pression de chambre de réflexion dans tous les dossiers, afin que le Sénat ne devienne pas uniquement une sorte de « sas » spécialisé en matières éthiques. Elle aimerait que cette même sérénité, ce même sens de la réflexion et de l'approche approfondie apparaisse lors de la discussion de projets ou de propositions de loi.

Si, par exemple, l'évocation des projets de loi ne devient plus qu'une formalité énervante et poussive et si le ministre des Affaires étrangères reste aussi peu présent pour traiter du caractère international de certaines questions dont le Sénat s'était fait une spécialité, il y a fort à parier que d'ici quelques années, le Sénat n'existera plus. Certains le souhaitent certainement, peu importe, c'est une autre histoire, ... mais il faudra alors faire la démonstration du remplacement de cette institution, éminemment démocratique par la largeur de son électorat et la pertinence de ses questions au gouvernement.

Après cette introduction un peu polémique, elle en convient, l'intervenante souhaite faire quelques considérations qui n'ont peut-être entre elles qu'un lien ténu, mais qui sont le fruit de sa réflexion personnelle et de son expérience de vie, une autre intervenante ayant quant à elle développé la proposition de son groupe par rapport à la proposition qu'il a déposée.

L'intervenante voudrait tout d'abord, puisque la discussion générale a commencé par cela, revenir à Albert Camus.

S'il y a bien un auteur qu'il faut citer ici, c'est bien l'auteur du Mythe de Sisyphe et de La Peste.

Sisyphe, ce prolétaire des dieux dont la révolte, la liberté et la passion dépassent le non-sens et l'absurdité de l'existence et qu'il faut, dit Camus dès lors, imaginer « heureux ». Puisqu'on a cité Camus au début de cette discussion générale, l'intervenante ne peut s'expliquer certaines propositions sur l'euthanasie qui sont sur la table qu'au nom de cette révolte devant la souffrance humaine, qu'au nom de la passion de vouloir l'atténuer et qu'au nom de la liberté de vouloir changer les réalités, terrifiantes quelquefois, de la fin de la vie.

Encore faut-il qu'avec loyauté, les mêmes auteurs des propositions admettent, malgré Albert Camus, qu'une vision spirituelle du destin de l'homme n'est pas pour tous ici, comme le voyait Camus, un suicide philosophique et que le respect que l'on a pour leur philosophie, ils l'aient pour celle des autres, sans les taxer de conservateurs ou d'hypocrites.

Encore faut-il être, comme l'exigeait Albert Camus, terriblement lucides et, comme témoins de la souffrance des autres, de tous les autres, et pas seulement des malades, se poser la question de notre attitude d'individu, d'individu qui se trouve être parlementaire, maintenant, face à l'ensemble de la communauté humaine, et cela à long terme.

La deuxième réflexion de l'intervenante porte sur les soins palliatifs (qu'on appelle aussi soins « continus ») sur leur historique, sur les choix de société et les priorités budgétaires qu'ils vont imposer, cela sans vouloir anticiper sur l'exposé que fera un autre membre sur la proposition que son groupe vient de déposer et qui vient d'être prise en considération. En préambule de son exposé sur les soins palliatifs, l'intervenante voudrait affirmer que la mise en place des soins palliatifs ne se veut pas une fuite en avant par rapport au problème de l'euthanasie. Tous ceux qui se sont engagés dans cette voie avec professionnalisme et compassion ont dit combien cette démarche humanise l'approche de la mort, tend drastiquement à diminuer jusqu'à 2 % ou 5 % la demande d'euthanasie, à la « prévenir » en quelque sorte. Mais elle n'élude pas la question et le conflit de valeurs qui entoure l'euthanasie, qui est d'ordre moral et qui devra toujours nous interpeller. L'intervenante souhaite que cela soit bien clair : autant elle admire les premiers pas des démarches palliatives et le résultat auquel on est déjà arrivé, autant elle est persuadée qu'elles ne résolvent pas tout.

Ceci étant dit, il faut rappeler que les premières « démarches » palliatives, ce que Patrice Van Eersel dans son livre « Réapprivoiser la mort » appelle la redécouverte de l'art d'« accompagner les mourants », prennent leur source pendant la Seconde Guerre mondiale.

À ce niveau, l'intervenante voudrait souligner le rôle des femmes dans la problématique qui occupe les commissions réunies, et faire une parenthèse dans son développement qui concerne les soins palliatifs.

La « fin de la vie » concerne au premier chef les femmes puisque leur longévité est beaucoup plus grande. Ce sont elles aussi, comme infirmières le plus souvent, qui sont les plus proches des malades. Ce sont elles qui aident à mourir leurs proches, et ce sont elles encore qui ont été les initiatrices des soins palliatifs. À ce titre, l'intervenante a beaucoup de problèmes à assister à un débat sur le sujet lorsqu'il n'y a pas de femme sur la scène ou le plateau. En commission, heureusement, les femmes sont bien représentées.

Les femmes, au départ, n'ont pas agi dans des universités ni dans des laboratoires, mais sur le terrain, là où l'on meurt vraiment. Elles n'ont pas agi de manière intellectuelle ou spéculative, mais par compassion, mues par une sorte de nécessité vitale. Ces femmes, dont Elisabeth Kübler-Ross en Amérique, Cicely Saunders en Angleterre, Michèle Salamagne ou Marie de Hennezel en France, ont rouvert avec sagesse l'ancien grand théâtre de l'agonie, en y intégrant ce que les sciences humaines et la pratique clinique moderne nous ont appris sur nous-mêmes.

Cicely Saunders a commencé à fréquenter les hospices londoniens dans les années 40, en tant qu'assistante sociale encore étudiante et bénévole. À l'hôpital Saint Luke, spécialisé dans l'accueil des cancéreux et des tuberculeux, la jeune fille a fini par remarquer une chose étonnante : les soins infirmiers qu'on y prodigue semblent soulager les souffrances des malades nettement mieux qu'ailleurs. Comment ? Grâce, en particulier, à l'utilisation, par voie orale et à intervalles réguliers, de morphine, administrée avant même que le malade ne se plaigne. Contrairement à ce qu'elle aurait pu penser, soignants et malades de Saint Luke lui démontrent que ce traitement n'entame nullement la lucidité du patient.

Élève-infirmière active pendant toute la guerre, elle fit après la Libération une rencontre qui allait se révéler décisive : celle de David Tasma, rescapé du ghetto de Varsovie, mourant d'un cancer. Pendant huit semaines, le mourant et l'élève-infirmière furent follement amoureux. David était juif agnostique, et Cicely venait de se convertir à la foi protestante. Leurs discussions passionnées les amenèrent à imaginer un lieu où les malades tels que David trouveraient meilleur accueil que dans un hôpital. Avant de mourir, il lui légua tout son bien, qui sera la première mise de fond destinée au futur Saint Christopher's Hospice.

Devenue infirmière, puis travailleuse sociale, Cicely Saunders décide de consacrer sa vie à ceux pour qui il n'y a, médicalement, « plus rien à faire ». Elle a découvert que, même dans ces cas, même quand l'espoir de guérison a disparu, il y a toujours beaucoup à faire pour les soignants : soulager les douleurs, traiter les symptômes, tendre l'oreille aux peurs, aux questions, aux frustrations morale, intellectuelles, spirituelles de ceux qui partent ... Tout un ensemble d'interventions qui seront bientôt regroupées par le professeur Balfour Mount sous le terme de soins palliatifs (palliative care).

Finalement, en 1952, Cicely Saunders décide de se lancer dans des études de médecine.

En continuant à travailler auprès de mourants, Cicely Saunders fit le constat, à plusieurs reprises, qu'il était possible de vivre intensément lorsque les jours sont comptés. Lorsque le patient est soulagé, donc libre d'être lui-même, il arrive que les derniers jours soient humainement très riches. Ils peuvent être un temps de réconciliation qui rend la mort paisible pour celui qui s'en va, et le deuil supportable pour les survivants.

Tout ce qu'Elisabeth Kübler-Ross va découvrir vingt ans plus tard, dans les années 60, par le biais de la psychiatrie, Cicely Saunders le met au jour dès la fin des années 40, et ensuite, par le biais de la lutte contre la douleur. L'une comme l'autre aboutissent à ce même formidable paradoxe : quand l'accompagnement est mené avec une réelle compassion, c'est-à-dire de manière sincère et centrée sur le sujet, par quelqu'un qui a travaillé sur sa propre mortalité, le mourant peut se transformer en professeur de vie.

Une autre femme, Elisabeth Kübler-Ross, celle-là d'origine Suisse, est aussi à l'origine des soins palliatifs au Billings Hospital de Chicago. Son livre « On death and dying », définit sa manière de voir les soins palliatifs. Elle reçut son « initiation », de 1945 à 1947, en Pologne, aux portes du camp d'extermination de Maïdanek, comme secouriste dans l'infirmerie de fortune installée par les Américains pour tenter de soigner les rescapés du camp.

Remarquons que Cicely Saunders et Elisabeth Kübler-Ross ont toutes deux démarré leur itinéraire comme aides-soignantes, au plus « bas » de la hiérarchie hospitalière.

Si l'on poursuit une réflexion sur l'historique de la prise en compte de la fin de la vie, il faut rappeler qu'en France, en 1977, paraît à Paris un livre provocateur, bien que fort sérieux, qui va ébranler l'inconscient profond de tout le pays : Changer la mort. Sous ce titre, deux auteurs brillants se sont ligués pour rédiger une sorte de manifeste, à la fois :

­ cri de révolte contre la loi du silence qui entoure la souffrance des grands malades, ceux que l'on s'acharne à faire survivre, biologiquement du moins, envers et contre tout, avec force tuyaux et sondes à travers le corps;

­ appel à une attitude, sinon à une législation, radicalement nouvelle qui autoriserait l'euthanasie.

À l'origine de ce qui est alors vécu par beaucoup comme un scandale, deux hommes : Léon Schwarzenberg et Pierre Viansson-Ponté. Le premier est un cancérologue déjà fameux, le second fait partie de la direction du journal Le Monde. Leurs implications sont complémentaires. Le médecin lutte tous les jours, depuis des années, avec obstination, contre la maladie qui frappe les autres; son horreur est à la mesure de sa longue expérience. L'éditorialiste politique, quant à lui, a choisi d'entrer dans une arène plus émotionnelle mais aussi plus philosophique, et au fond, véritablement politique.

Dans Changer la mort, Léon Schwarzenberg l'avoue sans ambiguïté : il a lui-même, chaque fois que cela lui a semblé légitime, accepté d'« aider » les grands malades à bout de forces à en finir.

Quant à l'agonie, ils la voient comme soulevant une double question de tolérance et de dignité : quand la souffrance, physique et morale, aura atteint un point insupportable, d'une part; quand la dignité de la personne qu'ils ont tenté d'être pendant toute leur vie sera menacée de s'effondrer, d'autre part; alors, oui, il se pourrait bien qu'ils aient le désir d'en finir et fassent éventuellement appel à autrui pour cela. C'est ce qu'ils nomment, dans l'ultime chapitre de Changer la mort : « Tuer par amour ».

Peu de temps après la parution de Changer la mort, des hommes et des femmes fondent à Paris « l'Association pour le droit de mourir dans la dignité », en résonance étroite avec les idées présentées par Pierre Viansson-Ponté et Léon Schwarzenberg. Ce livre soulève en France une vaste discussion et une grande polémique.

Plus tard, sous Georges Pompidou, un groupe d'experts est constitué. Parallèlement, on publie des oeuvres de Saunders et Kübler-Ross en français, en 1984. En 1986, s'exprime aussi fortement un Manifeste des médecins affirmant qu'ils ont aidé certains patients à mourir. On retrouve également la revendication de l'ADMD du suicide assisté. La même année paraît le rapport Laroque, du nom d'une haute fonctionnaire chargée par François Mitterrand et Edmond Hervé, alors ministre de la Santé, de s'attaquer à la problématique de l'accompagnement des mourants avec toute une série d'experts partisans ou non de l'euthanasie. Le rapport s'intitule Soigner et accompagner jusqu'au bout.

Il faut associer aussi à la cause des soins palliatifs le nom de François Mitterrand. Dans son livre La mort intime, préfacé par François Mitterrand, Marie de Hennezel affirme, en parlant des soins palliatifs : « Je ne savais pas, en faisant ce choix, combien la proximité de la souffrance et de la mort des autres allait m'apprendre à vivre autrement, plus consciemment, plus intensément. Je ne savais pas qu'un lieu fait pour accueillir des mourants peut être tout l'inverse d'un mouroir, un lieu où la vie se manifeste dans toute sa force. Je ne savais pas que j'allais découvrir ma propre humanité, que j'allais en quelque sorte plonger au coeur de l'humain. »

Pour abréger, en 1999, l'Assemblée nationale votera à l'unanimité la loi défendue par le ministre Bernard Kouchner en faveur du soulagement de la douleur et des soins palliatifs. Deux cents millions de francs français sont votés pour soutenir le développement des Unités de soins palliatifs ­ dont le nombre devrait passer de 50, en 1997, à 99, en 2000, avec priorité aux petites structures à taille humaine ­ et assurer une puissante promotion aux équipes d'accompagnement mobile ­ leur chiffre passerait, lui, de 55 à 170, une minorité croissante de personnes en fin de vie revendiquant en effet le droit de mourir chez elles, entourées des leurs.

Après avoir brossé très rapidement et de manière sûrement très lacunaire, un rapide historique des soins palliatifs, du moins en leur début, en dehors de chez nous, il faut rappeler que, dans notre pays, les premières expériences de soins palliatifs ont été financées de manière forfaitaire depuis 1991.

Il est de notre responsabilité politique de veiller à la mise en place d'un financement structurel qui tienne compte de la nécessaire complémentarité des différentes formes d'organisations de soins palliatifs : équipes mobiles intra-hospitalières, unités résidentielles et unités de soins palliatifs à domicile.

À travers la mise en place de ces structures, il faudra veiller à ce que l'organisation de l'accompagnement des patients en fin de vie se fasse sans rupture entre les soins curatifs et les soins palliatifs, d'une part, et entre les soins palliatifs à l'hôpital et les soins palliatifs à domicile, d'autre part, afin d'éviter que le patient se sente abandonné.

La formation du corps médical à cette nouvelle culture qu'est la médecine palliative est d'une urgente nécessité. Il y aurait lieu d'introduire dans le cursus universitaire du médecin des cours et des stages pratiques réalisés en milieu palliatif. Cette formation devrait comprendre une approche à la dimension psychologique et sociale du malade en fin de vie. Il faut une formation spécialisée au contrôle de la douleur ­ plusieurs médecins pratiquant dans les services de soins palliatifs ont fait cette remarque. Les médecins doivent pouvoir développer une réflexion critique, une sorte de mise à distance lorsqu'ils ont perdu leur pouvoir de guérir.

Actuellement, la formation des médecins généralistes à la médecine palliative est laissée à leur libre initiative, avec le risque d'une inexpérience pour tous ceux qui ne la suivent pas, qui peut inciter soit à l'abandon thérapeutique, soit à l'acharnement thérapeutique.

Lors du colloque « Soins palliatifs et euthanasie », le secrétaire d'État à la Santé, Bernard Kouchner, déclarait : « Je suis surpris de voir combien les médecins sont désarmés devant des situations pour lesquelles ils n'ont pas été formés (...). Sur la question de la douleur, trois médecins répondent : « Je n'ai pas été formé ». À quoi servent alors tant d'années d'étude ? (...) Quand même, pour un médecin, traiter la douleur, cela n'exige pas une réflexion métaphysique extravagante et l'attirail des soins reste assez élémentaire. Eh bien non ! Il faut former. Nous formerons. Pour cela, il faut m'aider à changer de fond en comble l'organisation des études médicales. Croyez-moi, vous aurez affaire à forte partie. Moi, cela fait deux ans que j'essaye. »

Soyons clairs : tant en matière de financement de formations aux soins palliatifs qu'en termes de financement de soins palliatifs eux-mêmes, qu'ils soient hospitaliers ou à domicile, on va se trouver devant de véritables choix budgétaires de santé publique pour lesquels, malheureusement, l'avis du public n'est que rarement sollicité. Avons-nous les moyens des soins palliatifs ?

C'est là une question essentielle. Comme le disait l'autre jour, lors d'un débat, Edouard Delruelle, membre de la Commission bioéthique, ne devrons-nous pas faire des choix entre les enfants leucémiques, les soins palliatifs, les malades du sida, les maladies chroniques ? La société ne veut pas seulement des évaluations techniques de telles ou telles thérapeutiques, mais aussi des choix clairs de société.

La vraie question n'est-elle pas : y a-t-il une place pour les dépendants dans notre société ? La dépendance, elle, peut durer des années, que l'on soit jeune ou vieux. D'ailleurs, à quarante ans, le cancer, le sida, peut en faire paraître septante, donner des cheveux blancs, et rendre dément.

Y a-t-il une place pour les dépendants dans notre société ? Y a-t-il une place pour l'enfant trisomique, pour l'innocent, pour le débile ou le semi-débile, mais aussi pour le malade génétique dont le mal se révèle peu à peu et entraîne une dépendance de plus en plus grande ­ myopathie, mucoviscidose ... ?

L'intervenante croit malheureusement que la réponse est qu'il y a moins de place pour ces gens-là dans notre monde, à cause peut-être de la dictature du beau.

Comment mourir dans une société du spectacle ?

Le fait d'achever les grands malades pourrait probablement bien devenir une routine. Une évidence. Un geste normal et ordinaire.

Après ces quelques réflexions philosophiques, après avoir souligné l'importance des femmes dans la problématique, après avoir longtemps parlé des soins palliatifs, l'intervenante voudrait conclure par une réflexion sur le fait que, dans les trois propositions déposées par six parlementaires de la majorité, la notion de phase terminale ne figure pas, ce qui a pour conséquence que ces propositions peuvent concerner la problématique de l'aide au suicide.

Un intervenant vient de s'exprimer longuement à ce sujet, en précisant les cas où l'article 2 de la proposition pouvait s'appliquer.

L'intervenante voudrait faire appel à la responsabilité des collègues, en tant que parlementaires, mais aussi en tant qu'hommes et femmes.

Tous les individus ont en eux, on le sait depuis le début du siècle et les découvertes de Freud, un instinct de vie et un instinct de mort, qui apparaissent plus ou moins selon les événements de la vie, l'éducation et le tempérament propre.

Pour en revenir à Albert Camus, et de manière un peu plus philosophique, il précise, notamment dans le Mythe de Sisyphe, que c'est la seule question qui se pose à l'homme, qui a découvert l'apparente absurdité de l'existence.

Va-t-il se laisser écraser par cette absurdité, ou, comme Sisyphe, la refuser au nom de sa liberté, de sa passion et de sa révolte ?

La réponse est profondément individuelle et interpellante.

L'intervenante souhaite rappeler que le suicide est actuellement, après les accidents de la route, la seconde cause de mort des jeunes (de 15 à 25 ans) en Belgique.

C'est, entre autres, parce qu'en 1997, cet acte dramatique est devenu la première cause de décès des étudiants à la KUL que Mme Maesschalck, docteur en psychologie au Centre psychothérapeutique des étudiants de la Katholieke Universiteit van Leuven, a mené une étude, présentée le 13 janvier 2001 à la presse, étude intitulée Projet de prévention de comportements suicidaires.

L'intervenante souligne qu'il ne faut pas se méprendre sur ses propos.

Certaines personnes respirent le goût de vivre et d'autres la difficulté de vivre, et cela n'a quelquefois rien à voir avec les difficultés sociales ou l'aisance sociale des uns et des autres. Il suffit, pour s'en convaincre, de se promener en Inde.

Les travaux des commissions réunies, le texte qu'elles vont adopter, doivent être particulièrement attentifs à ne pas développer, ni de loin ni de près, et même avec la meilleure volonté du monde, une sorte de culture du suicide qui existe déjà dans notre société.

L'intervenante renvoie encore à Marie de Hennezel, qui écrivait : « En ce qui me concerne, les demandes de suicide assisté ont carrément chuté à partir du moment où j'ai accepté de parler de la mort avec mes patients. En sept ans, j'ai suivi plus d'un millier de séropositifs. Parmi eux, j'en ai connu certains qui, même quand leur corps les abandonnait, ont vécu des cheminements spirituels très intenses. J'ai vu des gens mourir très en harmonie avec eux-mêmes, avec ce qu'ils étaient devenus. J'ai pu me rendre compte de ce qui avait changé en eux.

Pour moi, la spiritualité fait partie de la vie, je n'utilise pas ce mot de façon religieuse, mais dans le sens où nous sommes des êtres qui pensons, qui avons des émotions, des sentiments. »

L'intervenante conclut sur cette réflexion personnelle, en soulignant qu'elle ne voudrait en aucun cas faire le moindre procès d'intention à qui que ce soit. Cette réflexion lui tient à coeur, car elle estime que la problématique du suicide est importante dans notre société.

Un membre remarque que, pour l'instant, tout le monde est déjà d'accord pour affirmer qu'une législation sérieuse doit voir le jour, aussi bien pour les soins palliatifs que pour l'euthanasie. Selon l'intervenante, les deux matières ont une importance équivalente. La proposition de loi relative aux soins palliatifs a aussi pour but de garantir à chacun l'accès à cette forme d'aide et, entre autres, de supprimer tous les seuils financiers dans ce domaine. On a parfois l'impression que ceux qui se déclarent partisans de la dépénalisation de l'euthanasie, n'accordent guère, voire pas du tout d'intérêt aux soins palliatifs. Rien n'est moins vrai.

En même temps, on doit toutefois reconnaître que les soins palliatifs ne pourront jamais apaiser toute la douleur à laquelle certains patients incurables sont confrontés. Dans ces cas, on doit laisser la possibilité d'une euthanasie. Lorsque le monde médical est complètement impuissant pour offrir une réponse à la douleur insupportable du patient et que celui-ci demande que l'on mette fin à ses jours, la loi doit offrir la possibilité de satisfaire cette demande.

Selon elle, trois points sont essentiels dans ce débat.

En premier lieu, le patient doit constituer la préoccupation centrale de toutes les décisions concernant la fin de vie. Le patient est celui qui décide le premier du traitement qui lui est administré. La conclusion la plus choquante qui peut être tirée de l'étude interuniversitaire déjà mentionnée et portant sur le traitement médical dans la phase ultime de la vie, est qu'on met fin dans notre pays de façon active à un grand nombre de vies sans que le patient ait eu son mot à dire, voire sans qu'il l'ait demandé.

Lorsqu'il se trouve dans une situation sans issue et qu'il souffre d'une douleur inhumaine, le patient doit donc avoir le droit de demander qu'il soit mis un terme à sa vie de façon à ce qu'il puisse partir dignement.

En deuxième lieu, chacun doit avoir le droit de déterminer dans une déclaration anticipée qu'un terme doit être mis à sa vie s'il se retrouve dans une situation de souffrance inhumaine tout en n'étant plus en état de demander une euthanasie.

En troisième lieu, une réglementation de l'euthanasie doit sortir ce débat de la zone grise grâce à l'élaboration d'un cadre législatif clair qui offre une sécurité juridique totale à toutes les personnes concernées. C'est précisément pour cela que la technique juridique de l'état de nécessité est totalement inadéquate. Se demander a posteriori s'il y a eu état de nécessité donnera toujours lieu à des interprétations subjectives par un médecin ou par un juge, avec toutes les conséquences juridiques qui s'ensuivent pour le médecin traitant.

D'où le principe qu'une réglementation de l'euthanasie ne peut être que le droit du patient à demander que l'on mette fin à ses jours, après avoir été totalement informé de sa situation.

L'intervenante pense que ces principes ont été traduits de façon très précise dans les propositions de loi nºs 2-244/1, 2-245/1 et 2-246/1. S'il devait cependant s'avérer que, pour certaines personnes, ces textes manquent de clarté sur certains points, on peut y remédier grâce à des amendements. Les auditions nous renseigneront en grande partie à cet égard. Il doit toutefois être bien clair que de tels amendements ne sont acceptables que s'ils sont dans l'intérêt du patient.

L'étude interuniversitaire, dont les résultats ne sont encore que partiellement connus mais qui a déjà été souvent citée au cours de cette discussion, débouche toujours sur la même conclusion : une législation claire et transparente doit voir le jour de manière à garantir les droits des patients. C'est un souci qui prévaut chez chacun des membres de ces commissions. Dans la situation actuelle, un médecin qui, s'étant engagé envers son patient, procède à une euthanasie, peut être poursuivi pénalement. À l'inverse, des médecins peuvent mettre fin spontanément à la vie de certains de leurs patients sans que cela ne soit contrôlé d'aucune manière.

Personne ne peut accepter une situation à ce point absurde. Peut-être est-il donc possible d'aboutir à un large consensus sur une législation. Des membres de six partis sont sortis du rang et ont élaboré une proposition de loi commune sur la base de ce qui les lie. Ils espèrent bien entendu que l'assise de cette proposition pourra encore être renforcée. Il serait particulièrement dommage qu'ils échouent dans leur tentative et que le Sénat mène le débat sur la base d'une autre proposition.

Les orateurs précédents ont suggéré que les commissions élaborent un texte entièrement neuf. Dans l'état actuel des choses, il est en effet trop tôt pour s'exprimer à ce sujet. Même si cette technique était choisie, on ne pourrait pas davantage ignorer qu'il existe une base commune à six groupes sur laquelle il faudra construire.

Un autre membre se réfère au message rédigé par le Dr Englert, et qui vient d'être communiqué aux membres des commissions réunies.

Ce message comporte quelques réflexions, fort intéressantes, et clairement exprimées, sur l'éthique médicale, la législation et la fin de la vie.

Il s'ouvre par une citation du professeur Ladrière, selon laquelle : « personne n'a une compétence privilégiée en matière d'éthique. C'est pourquoi la réflexion éthique ne peut être qu'une entreprise collective, où les différents points de vue doivent pouvoir se confronter, dans l'espérance que justifie la croyance fondamentale en l'universalité de la raison. »

C'est cette croyance, qui est profondément acquise à l'intervenant, qui l'a amené à se ranger à ceux qui souhaitent de larges auditions et un large débat, à solliciter un débat public, et enfin à souhaiter que l'on puisse rapprocher les points de vue des uns et des autres, de manière à aboutir à des textes qui feraient l'objet d'un large débat, que l'on travaille par amendements ou par la rédaction de nouveaux textes communs, mais en tout cas avec une très grande ouverture d'esprit.

Avance-t-on ou non dans ce sens ?

On pourrait évoquer à cet égard l'image de la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide.

Certains ont dit apercevoir encore de profonds fossés entre les propositions des uns et des autres. Le sentiment de l'intervenant est quelque peu différent, même s'il s'agit peut-être d'une question de nuances.

Ayant écouté avec attention l'intervention de certains collègues de l'opposition, l'intervenant croit trouver les encouragements nécessaires pour continuer à espérer qu'un accord soit possible.

Il a d'ailleurs été frappé, voici peu, par le commentaire d'un jésuite anversois, paru dans le Standaard, et qui, avec une grande liberté d'esprit, faisait une étude comparative, quoique synthétique, des propositions de loi déposées, et s'efforçait de voir les points susceptibles de faire l'objet d'un rapprochement, et ceux qu'il lui paraissait plus difficile de voir avancer rapidement.

Dans cet esprit, l'intervenant souhaite poser une question qui lui paraît fondamentale, et qui est suscitée par l'intervention d'un précédent orateur.

L'intervenant comprend le double souci exprimé au cours du débat : d'une part, la volonté du corps médical, dans l'intérêt des patients, d'éviter toute zone grise et de définir très clairement des conditions dans lesquelles l'euthanasie pourrait être pratiquée. Dès lors qu'il y a pratiquement, dans les commissions réunies, une unanimité de vues sur la nécessité de légiférer, cette unanimité repose avant tout sur le besoin de clarté et de sécurité juridique, tant dans l'intérêt des patients que dans celui du corps médical.

L'intervenant comprend aussi le souci de ceux qui veulent éviter de porter atteinte à l'interdit de tuer. Il croit d'ailleurs que la pratique de l'euthanasie n'est pas opposée au maintien de cet interdit.

Il comprend, sous réserve de l'examen juridique de la question, que l'on veuille approcher la question sous l'angle de l'état de nécessité, en définissant des conditions dans lesquelles il ne serait pas discutable juridiquement qu'il y ait état de nécessité.

L'intervenant n'aperçoit cependant pas clairement si ces conditions qui seraient énoncées, seraient exclusives d'autres situations susceptibles d'être jugées constituer un état de nécessité, ou si ce seraient des conditions dans lesquelles il serait déterminé qu'il y a état de nécessité, sans préjudice à ce qu'un tribunal répressif saisi de la question d'une euthanasie pratiquée dans d'autres conditions accepte que, dans ce cas aussi, et compte tenu des circonstances de l'espèce, il y a état de nécessité.

Le souci de l'intervenant est, si l'on aborde la question par ce biais, de ne pas priver le juge de la large faculté d'appréciation qu'il a actuellement, et qui pourrait d'ailleurs se retourner contre ceux qui, aujourd'hui, posent certains actes dont chacun s'accorde à reconnaître la nécessité.

L'intervenant se réfère à la lutte contre l'acharnement thérapeutique, qui a donné lieu récemment à des commentaires dans la presse, à propos d'un cas d'interruption de gavage, qui ­ sous réserve d'un examen plus approfondi ­ ne semble pas à l'intervenant constituer un cas d'euthanasie, mais un cas d'interruption d'un acharnement thérapeutique.

Il ne faudra pas que la définition de l'état de nécessité provoque une réaction a contrario telle que des pratiques aujourd'hui admises, ou qui pourraient l'être dans des circonstances particulières aux yeux d'un juge répressif, soient demain condamnées.

Il faudrait donc qu'il y ait clarification sur certaines conditions, sur lesquelles le législateur pourrait s'accorder, sans préjudice, pour les tribunaux répressifs, de la faculté qu'ils ont aujourd'hui, de juger, dans d'autres circonstances, qu'il y a aussi état de nécessité.

Est-ce ainsi qu'il faut interpréter l'intervention d'un précédent orateur, ou celui-ci veut-il voir, dans les conditions pour lesquelles il a plaidé dans le cadre de l'état de nécessité, des circonstances élusives de toute autre appréciation de l'existence d'un état de nécessité ?

Une membre se réjouit de la tournure qu'a prise la discussion générale. Chacun peut exprimer librement son avis et écoute celui des autres. On apprend ainsi à connaître les opinions et conceptions d'autrui. Au terme de ce débat général, un certain nombre d'auditions d'experts seront organisées. Elle espère qu'ensuite, la discussion des articles de la proposition de la majorité pourra être entamée. La discussion préliminaire offrira en tout cas un cadre de référence valable.

Elle apprécie l'ouverture d'esprit dans laquelle le débat s'est déroulé jusqu'alors, y compris lorsqu'il était question de principes éthiques fondamentaux. C'est important puisque presques toutes les propositions qui sont soumises à la discussion, renvoient clairement à la base éthique sur laquelle elles s'appuient. Cet aspect doit nécessairement faire partie du débat général qui précède la discussion d'un règlement concret.

L'oratrice constate que ce débat relatif à une question éthique se réduit à une différence entre deux conceptions fondamentales qui se résument grosso modo comme suit :

­ ou bien on est partisan de la conception selon laquelle des règles éthiques, telles que les droits de l'homme, sont indépendantes de l'intervention humaine;

­ ou bien on est d'avis que les droits de l'homme sont des « inventions » humaines.

Elle pense que le choix d'une des deux conceptions engendre une différence dans la manière de traiter les questions éthiques. On fait un choix entre deux conceptions fondamentales dont la première peut être illustrée par le communiqué de presse qui fut diffusé le 10 décembre 1999 sous le titre « les évêques refusent l'euthanasie » : « Une législation ne remplacera jamais la norme éthique. Les évêques affirment qu'ils sont reconnaissant à ceux qui s'engagent à respecter autant que possible la vieille norme de base « Tu ne tueras point », même si une réglementation légale voit le jour ... Le fait que le malade demande lui-même que l'on mette fin à ses jours ne semble pas ... constituer une justification suffisante. Une personne ne dispose pas totalement d'elle-même et ne peut donc pas décider d'écourter sa vie et mettre ainsi la médecine au service de son souhait de mort ».

La distinction entre les deux conceptions ne suit plus les clivages religieux. Ceci prouve l'opinion suivante d'un médecin. Cette première vision y est exprimée par d'autres mots :

« Si la société actuelle qui réglemente la morale et l'éthique, s'éloigne pas à pas du droit essentiel à la vie, et prend donc ses distances avec les droits de l'homme, il est alors grand temps de contester le droit de l'État à réglementer la morale. Où la suppression des droits de l'homme s'arrêtera-t-elle ? Subiront-ils le droit d'Hippocrate : des amendements successifs jusqu'à ce qu'il n'en reste rien ? »

La membre déclare qu'elle se rallie à la deuxième conception dans laquelle il est primordial que les normes éthiques soient établies par les personnes elles-mêmes, ce qui peut se décrire comme suit :

« Lorsque l'on trace une ligne de conduite politique au sujet de l'euthanasie, l'accent doit être mis sur la réalisation de la liberté de conscience personnelle. La politique ne doit pas tant contenir un jugement de valeur que la liberté de choix. Si une législation voit le jour, un pluralisme éthique doit être garanti, de façon à ce que personne, dans ses affaires personnelles, ne se voie imposer les valeurs éthiques d'un autre, ou ne soit condamné sur la base de celle-ci.

Par l'interaction de plusieurs conceptions éthiques dans un pluralisme éthique, des comportements s'imposent dans les faits. Leur développement doit autant que possible être laissé libre. Dans l'évolution elle-même, la loi ne doit intervenir que lorsqu'il est nécessaire de défendre la liberté d'un tiers. »

Elle souligne qu'il ne s'agit pas ici de savoir laquelle de ces conceptions est la bonne. Elles sont équivalents car elles reconnaissent l'existence de règles et de valeurs, ainsi que la nécessité de les respecter. Certains donnent la fausse impression que ceux qui partent du point de vue que des normes morales voient le jour dans la société, ne reconnaissent absolument aucune norme éthique.

La différence est que, dans la première conception, on est convaincu que les règles sont d'un ordre divin ou naturel (les individus ont des droits et il y a des choses qu'aucune personne et qu'aucun groupe ne peut leur imposer).

Dans l'autre, les règles sont insufflées par les évolutions culturelles. Elles sont basées sur des choix qui sont faits dans l'intérêt général. Les préceptes moraux sont acceptés afin de réprimer les passions humaines les moins nobles.

Bien qu'elle ne croie pas elle-même à un ordre supérieur qui imposerait des normes, l'oratrice se rend tout à fait compte que d'autres, partout dans le monde et à travers toute l'histoire, y croient effectivement. Dans notre société moderne, la conception selon laquelle des normes éthiques voient le jour grâce à un consensus au sein de cette même société, semble bénéficier d'une assise sociale de plus en plus grande.

Quoi qu'il en soit, il ne sert à rien d'essayer de démontrer qui a raison et qui a tort car c'est impossible. Par contre, il est important de maintenir un dialogue entre ces deux conceptions, dans une ouverture intellectuelle totale et dans une atmosphère de respect réciproque.

L'euthanasie est peut-être un des sujets éthiques les plus sensibles qui font pour l'instant l'objet d'une discussion dans notre société. Le débat porte sur le passage entre la vie et la mort. Chacun accepte l'existence et la nécessité de règles qui garantissent les droits du patient et la dignité humaine durant cette phase.

À ce sujet, on se réfère souvent au point de vue selon lequel les droits de l'homme, et en particulier le droit à la vie, sont inaliénables. Sinon, leur universalité serait mise en question. Ce point de vue s'exprime aussi dans une recommandation récente du Conseil de l'Europe qui a déjà été citée par des orateurs précédents.

On oublie cependant que le « non-mourir » ne constitue pas un droit. En effet, chacun doit mourir, tôt ou tard. Le droit à la vie constitue plutôt un droit qui empêche les autres de « me tuer contre mon gré ». Le droit à la vie n'est pas une obligation de vivre. Le choix de déterminer soi-même le moment où l'événement inéluctable de la mort aura lieu est une expression de l'autonomie de l'individu et donc de la dignité humaine.

Un autre argument, souvent entendu, est que, dans le cas d'une euthanasie, les médecins, le personnel soignant et les pharmaciens sont impliqués dans le traitement qui a pour but de donner la mort, là où seule la société a le droit de tuer. Il est exact que ce droit appartient uniquement à la société. Ce qui vaut cependant, au sein d'une société, en tant que valeur ou norme, est déterminé par consensus ou à la majorité. Et cette majorité ou ce consensus se développe à partir de l'évolution générale de la civilisation et de la discussion visant à déterminer ce qui serait le meilleur pour la société. Au sujet de l'euthanasie, on doit se demander quel intérêt la société trouve dans l'interdiction de l'euthanasie.

Le même raisonnement vaut pour les médecins qui sont censés maintenir la vie. Eux non plus ne vivent pas coupés de la société. Ils doivent s'adapter à la mentalité dominante qui rejette le paternalisme et qui pose comme principe les droits du patient et l'autonomie. N'est-ce pas d'ailleurs la tâche du médecin de tenter d'offrir au patient une qualité de vie optimale ? Si, pour le patient, cette qualité n'est assurée que par le fait de mettre fin à ses jours, le médecin doit en tenir compte. Bien entendu, le médecin peut s'attribuer le droit de suivre sa conscience et de refuser de satisfaire la demande du patient.

Un autre argument consiste à dire qu'une dépénalisation de l'euthanasie pourrait exercer une pression insoutenable sur les malades en phase terminale et les mourants, qui sont évidemment très faibles. Plus grave encore, l'euthanasie peut mener à des excès et à des abus pour des raisons économiques : on mettrait fin à la vie du patient contre sa volonté ou sans qu'il l'ait demandé.

Cette préoccupation est réelle. Mais elle pourrait précisément constituer une raison pour aboutir à une législation claire, avec une commission d'évaluation pour ce qui concerne sa mise en oeuvre. Dans la situation actuelle, le patient est d'ailleurs sans défense, ce qui est confirmé par l'étude interuniversitaire récente qui a déjà été mentionnée à quelques reprises.

L'oratrice déclare que c'est aussi la raison pour laquelle il est nécessaire d'inscrire dans la loi le droit aux soins palliatifs et de développer des structures qui garantissent à tous les patients l'accès à cette forme de soins.

Enfin, elle souhaite aborder une des différences les plus importantes entre la proposition de loi nº 2-244 et les propositions déposées par des membres des groupes sociaux-chrétiens, à savoir le choix entre une dépénalisation de l'euthanasie et la construction juridique de l'état de nécessité.

Quant à elle, elle est partisane d'une dépénalisation. C'est juridiquement plus clair et cela constitue aussi l'option la plus honnête. En même temps, cette technique est la seule à offrir une sécurité juridique suffisante. Une réglementation s'appuyant sur l'état de nécessité implique toujours que le juge devra estimer si les conditions de cet état de nécessité étaient effectivement présentes.

Une intervenante souhaite émettre un certain nombre de remarques qui concernent tant le déroulement du débat que son contenu.

1. Le déroulement du débat

L'intervenante se réjouit qu'un débat ouvert, critique mais constructif soit désormais possible, d'autant que les sociaux-chrétiens ont maintenant clairement fait connaître leurs points de vue. Selon elle, certains propos qui paraissent quasi quotidiennement dans la presse n'y changent rien. En dépit des apparences, le vrai débat a lieu au sein de la commission et pas dans les journaux ou à la télévision.

Quoi qu'il en soit, elle tient à souligner que, contrairement à ce qui est suggéré dans la presse, elle soutient complètement la proposition de loi signée par des membres des six partis de la majorité. Cela n'empêche pas qu'elle soit ouverte à toute proposition d'amélioration du texte.

En tout état de cause, il sera bien plus facile de mener un débat sur la base d'un seul texte que de discuter séparément chacune des six propositions de loi qui ont été déposées précédemment. Certains estiment que la proposition de loi déposée par des membres des six partis contient des imprécisions et a été rédigée dans la précipitation. C'est une raison de plus pour mener un débat constructif qui pourrait déboucher sur des amendements de qualité permettant de clarifier et de compléter le texte.

Cela ne doit pas faire perdre de vue qu'à côté de la proposition de loi relative à l'euthanasie proprement dite, les mêmes auteurs ont également rédigé une proposition de loi visant à créer une commission d'évaluation et, surtout, une proposition de loi fixant légalement le droit aux soins palliatifs.

L'intervenante attend beaucoup des séances d'audition qui sont prévues. Celles-ci devraient apporter une réponse à un certain nombre de questions pertinentes qui élargissent le débat sur le contenu des propositions. Les séances d'audition constituent l'occasion ou jamais d'offrir aux spécialistes ayant acquis des années durant une expérience en la matière un forum où ils pourront témoigner de ce qui se passe sur le terrain.

Quoi qu'il en soit, les séances d'audition fourniront matière à discussion, permettront de clarifier un certain nombre de concepts et contribueront, espérons-le, à créer des passerelles entre les différents points de vue qui ont été exposés.

2. Soins palliatifs

L'intervenante réagit ensuite à un certain nombre de considérations formulées par les orateurs précédents à propos des soins palliatifs.

Au sein de cette assemblée, chacun s'accorde à dire qu'il faut continuer à développer les soins palliatifs de manière à les rendre accessibles à tous les patients, dans l'environnement qu'ils choisissent, indépendamment de leur situation financière.

Un autre intervenant a fait remarquer à juste titre que les soins palliatifs ne constituent pas un ensemble de soins séparé mais qu'ils s'inscrivent dans la ligne d'une approche médicale continuée, où le patient est au centre des préoccupations. La dénomination de cette forme de soins en langue française ­ soins palliatifs et continués ­ l'exprime d'ailleurs très bien.

De tels soins palliatifs exigent cependant l'implication du personnel : des médecins bien formés, des infirmiers et du personnel soignant parfaitement au courant des possibilités médicales (par exemple la lutte contre la douleur) mais capables également de bien soutenir le patient, sa famille et son entourage au niveau psychologique et social.

Ceux qui ont acquis une expérience en la matière savent que ce n'est pas facile. Il est inacceptable que, dans une maison de repos comptant soixante lits, seulement quatre soigants soient à la disposition de tous les occupants. Ces quatre personnes doivent non seulement accomplir leurs tâches habituelles mais aussi assurer simultanément, pour deux pensionnaires, l'accompagnement aux mourants. Cela comporte, entre autres, l'accueil de la famille qui vit des moments très difficiles.

On peut donc s'estimer heureux que des bénévoles soient actifs dans ce secteur. Ne devrait-on pas en tenir compte lors de l'élaboration de mesures au niveau des communautés ?

L'expérience sur le terrain montre qu'il y a de très nombreuses demandes d'euthanasie au début d'un programme de soins palliatifs. Beaucoup de ces demandes disparaissent cependant lorsque le patient est bien pris en charge et la famille bien accompagnée.

Certaines demandes d'euthanasie sont toutefois maintenues et la société doit également être en mesure de répondre à ces demandes-là. En premier lieu, ces patients doivent être écoutés, informés et accompagnés. De plus, il doit être tenu compte avec sérieux et respect de leurs demandes justifiées.

3. Euthanasie

3.1. Le patient au centre des préoccupations

De toute évidence, le patient doit être au centre du débat sur l'euthanasie. C'est le patient, et lui seul, qui peut demander l'euthanasie. Le médecin doit s'efforcer de reconnaître la vraie demande d'euthanasie. Pour cela, il doit avoir plusieurs entretiens avec le patient qui, par ailleurs, doit être parfaitement informé de son état.

Le patient doit être informé individuellement et dans un langage compréhensible. Le médecin doit prendre le temps d'établir une relation franche avec le patient et, surtout, être disposé à écouter. À l'avenir, dans le cadre de la formation des médecins, il faudra davantage tenir compte de ce type de tâches.

L'intervenante souligne que c'est surtout lorsqu'il est fait référence à « l'état de détresse » du patient que l'on doit exiger la plus grande attention du médecin. Espérons que les séances d'audition permettront de faire toute la clarté concernant l'interprétation précise de ce type de concept.

Lorsqu'elle affirme qu'en définitive, c'est le patient qui décide, cela ne peut être interprété comme un plaidoyer pour une attitude « égoïste » du patient. En effet, celui-ci n'est pas seulement un individu, il vit aussi dans un champ relationnel. S'il le souhaite, il doit avoir pleinement la possibilité de discuter de sa situation avec son entourage et d'expliquer sa volonté à ses proches, en étant éventuellement assisté par le médecin.

Cependant, si le patient souhaite prendre seul sa décision, sans concertation avec la famille ou avec l'équipe médicale, c'est son droit le plus strict et sa volonté doit alors être respectée.

3.2. Le médecin

Selon l'intervenante, il importe qu'une réglementation légale concernant l'euthanasie ne se préoccupe pas seulement de la situation du patient mais veille aussi à fournir au médecin l'appui nécessaire. Les critères de prudence constituent évidemment une garantie pour le malade mais, simultanément, ils doivent être formulés de manière à garantir au médecin qui les respecte qu'il ne sera pas poursuivi.

L'attention pour le médecin doit toutefois dépasser les limites d'ordre strictement juridique. Le médecin doit être aidé par des directives claires qui concernent aussi bien la période précédant l'euthanasie que celle qui la suit. Comme cela a déjà été dit, il est d'une importance fondamentale que, dans le cadre de la formation des médecins, davantage d'attention soit accordée aux tâches qui leur incombent en dehors du domaine strictement médical.

3.3. La politique de tolérance

L'intervenante fait remarquer que plusieurs autres membres ont déjà fait référence à l'étude interuniversitaire au sujet des pratiques médicales en fin de vie. Bien que très partiels, les résultats connus à ce jour mettent en évidence les problèmes qui résultent de l'actuelle politique de tolérance. En dépit du principe d'interdiction précisé dans les dispositions du Code pénal, il est mis fin dans notre pays à un grand nombre de vies au moyen d'une intervention médicale active, sans qu'il y ait eu concertation avec le patient et sans que celui-ci ait émis une demande. Les responsables politiques ne peuvent continuer à l'ignorer. Dans toutes les situations, le patient a droit à l'information et à la concertation.

Dans ce contexte, il importe de ne pas mélanger un certain nombre de questions, comme la lutte contre l'acharnement thérapeutique, l'administration d'analgésiques qui peuvent avoir pour effet d'abréger la vie, l'euthanasie à la demande du patient, le fait de mettre fin à la vie sans que le patient soit informé, etc. Pour toutes ces questions, il est très difficile, dans les circonstances actuelles, de faire un tour d'horizon des pratiques médicales. À cet égard, les limites doivent être clairement définies par une réglementation légale. C'est l'une des raisons pour lesquelles il est tellement important d'aboutir à une telle réglementation.

4. Conclusion

En conclusion, la membre résume les points qui lui paraissent importants dans le cadre d'une réglementation concernant l'euthanasie :

­ le patient doit être la personne centrale;

­ une réglementation légale doit garantir aussi bien la sécurité juridique du patient que celle du médecin.

À cet égard, dans cette assemblée, tout le monde est d'accord. Cependant, les points de vue sont très divergents concernant un certain nombre d'autres thèmes :

­ une législation doit-elle prévoir la possibilité de rédiger une déclaration de volonté, dans laquelle on peut préciser quels actes médicaux, en particulier l'euthanasie, pourront être pratiqués à un moment où l'on ne sera plus en état d'exprimer sa volonté ?

­ l'euthanasie n'est-elle possible que quand le malade est en phase terminale ou peut-elle aussi être pratiquée sur des patients qui peuvent vivre encore longtemps mais qui se trouvent dans une situation de souffrance sans solution ?

­ l'euthanasie n'est-elle possible que quand le patient endure des souffrances insupportables qu'on ne peut soulager ou une détresse psychologique générale peut-elle aussi être prise en considération ?

L'intervenante conclut en disant qu'elle approuve les remarques émises par un collègue concernant le suicide des jeunes et déclare que ce problème mérite que le Sénat y consacre un débat. Il ne semble toutefois pas souhaitable d'inclure ce thème dans les présentes discussions. Les deux problèmes doivent être examinés séparément.

Un membre déclare que son intervention abordera successivement trois plans différents : le plan philosophique et éthique, le plan juridique et pénal, et le niveau médical.

Le « fil rouge » de ses propos sera constitué par le point de vue phénoménologique, et par les demandes des patients.

Chacun s'accorde en effet à dire que ces demandes doivent être rencontrées, mais la question est de savoir comment il convient de le faire.

En ce qui concerne tout d'abord le plan philosophique et éthique, on trouve, d'un côté, le principe fondamental de l'interdiction de tuer et, de l'autre, la liberté de l'individu de choisir son destin et de disposer de lui-même.

Un précédent intervenant a cité les propos d'un philosophe, selon lequel la démocratie serait un espace vide, où il conviendrait de trouver une place pour chacune des options philosophiques exprimées.

L'intervenante estime pour sa part que la démocratie serait plutôt un espace « trop plein », en raison de la multiplicité et de la richesse des opinions qui s'y expriment.

Plutôt que de faire prévaloir un principe sur l'autre, il faut tenter de trouver entre eux des articulations.

En ce qui concerne l'interdit de tuer, il doit rester inscrit dans le Code pénal, dont la fonction essentielle correspond au rôle de l'État de fixer quelques balises pour empêcher la violence, spécialement à l'égard des plus faibles et des plus démunis.

L'intervention du médecin à l'égard du patient ne peut être conçue comme une liberté individuelle qui en rencontre une autre.

Il ne s'agit pas de relations privées, mais d'une relation où le médecin remplit une fonction sociale.

Dans ce rôle, il n'est pas seul : il appartient à une profession, est encadré par une déontologie.

En ce qui concerne le concept de liberté et d'autonomie, l'intervenante souligne qu'en fin de vie, il devient assez abstrait.

Ce concept ne peut être raisonné qu'en dépendance par rapport aux autres; il doit être conçu de façon globale, et non du seul point de vue de l'individu.

Par ailleurs, quel est le degré d'autonomie de certaines personnes âgées, atteintes de sénilité ou de démence, dans une société où l'isolement affecte un nombre de plus en plus grand de personnes ?

L'intervenante estime que le Code pénal ne peut être seulement un catalogue de normes, mais qu'il doit contenir quelques balises, et être sous-tendu par un projet social.

À cet égard, et contrairement à un certain nombre d'auteurs actuels, qui veulent se limiter à fixer des règles de procédure formelles, le contenu des normes étant à remplir par chacun, l'intervenante veut faire le pari qu'il est encore possible, dans notre société, de dégager une morale commune.

Elle souhaite que, dans le présent débat, on puisse trouver une formule qui ne galvaude pas les quelques valeurs essentielles ­ peu nombreuses ­ qui subsistent, et doivent demeurer pour les générations futures.

Sur le plan juridique et pénal, maintenir l'interdit de tuer dans le Code pénal relève d'un principe élémentaire de précaution.

Du point de vue de la philosophie du droit pénal, on ne légifère pas par voie de disposition générale pour ce qui reste une matière d'exception, puisque les demandes répétées et conscientes sont rares. Il s'agit d'une question de cohérence dans la vision de la société.

Contrairement à l'opinion exprimée par de précédents orateurs, l'intervenante considère que la valeur symbolique des choses tient une place importante dans le débat. Le droit est d'ailleurs le lieu où les symboles se définissent et s'incarnent.

Un précédent intervenant propose de créer en matière d'euthanasie une cause de justification spéciale.

L'état de nécessité est aussi une cause de justification objective, mais non spéciale.

L'avantage de cette notion est qu'elle indique clairement que l'on se trouve dans le domaine de l'exception, du cas par cas.

Le médecin est justifié à agir, pour autant qu'il y ait état de nécessité.

C'est au parquet de poursuivre et, devant le tribunal, ce sera au médecin à justifier pourquoi il s'estimait en état de nécessité; le juge appréciera librement l'existence de ce dernier.

Au contraire, dans le système proposé par les six auteurs de la majorité, l'euthanasie deviendrait un acte médical comme un autre, et ce serait à celui qui invoque l'irrégularité à la prouver.

Or, on sait les difficultés qu'une telle preuve peut comporter, en matière d'actes médicaux.

L'intervenante se demande qui, en l'état actuel des choses, est réellement demandeur de l'introduction d'une cause de justification spéciale dans le Code pénal.

Beaucoup de médecins, d'infirmiers, et d'associations ne le sont pas, l'Ordre des médecins non plus. Or, le but du législateur doit être de légiférer dans l'intérêt de ceux qui en ont besoin.

On peut redouter un réel problème social si un texte était voté qui soit contraire à la position de l'Ordre des médecins, et qui ne rencontre pas un minimum de consensus sur le terrain. Il s'agit d'un rapport de forces à régler.

La matière relève davantage de la régulation que du droit pénal. Il serait intéressant de savoir comment d'autres pays ont procédé en la matière.

C'est pour toutes ces raisons que des auditions paraissent nécessaires et ont été demandées.

Du point de vue médical, il faut souligner que la médecine évolue; les progrès dans le soulagement de la douleur sont considérables d'année en année.

On peut se demander si les juristes sont réellement informés de tous les aspects de cette évolution et, en outre, si la définition que l'on donne de l'euthanasie correspond aux pratiques médicales actuelles.

À cet égard, des auditions de médecins travaillant dans des unités de soins palliatifs, mais aussi de soins intensifs, pourraient s'avérer particulièrement éclairantes.

Un éclairage médical serait également nécessaire à propos de la distinction entre patients conscients et inconscients, distinction qui, selon les médecins, n'est pas toujours aussi simple à faire qu'il y paraît.

À propos des soins palliatifs, l'intervenante déclare que, s'il n'y a pas nécessairement de lien immédiat entre ceux-ci et l'euthanasie, c'est la rencontre de la demande qui, en cette matière, est essentielle.

Le secteur des soins palliatifs a également exprimé son inquiétude que la loi à venir ne mette un frein à son développement, ou qu'à tout le moins, elle ne soit comprise comme telle.

Il faudra être attentif à cet aspect des choses, d'autant plus que les soins palliatifs revêtent une grande importance, non seulement pour le patient, mais aussi pour la famille.

En ce qui concerne le point particulier du système du recours au mandataire, l'intervenante se demande si ce système permet au processus de deuil de s'accomplir normalement.

En conclusion, l'intervenante souhaite que l'on puisse trouver un processus de régulation des pratiques médicales qui permette à la fois d'empêcher les euthanasies sauvages, et de rencontrer les demandes d'euthanasie dans les cas extrêmes.

À cet égard, elle se demande si la proposition 3 dégagée par le comité consultatif de bioéthique n'était pas une bonne voie, peut-être même la meilleure, pour rencontrer toutes les tendances philosophiques existant en la matière.

Une autre intervenante souhaite émettre quelques réflexions générales en la matière, basées sur un certain nombre d'expériences concrètes.

Récemment, elle a assisté aux funérailles d'un homme de 37 ans qui avait une tumeur au cerveau et qui, depuis un certain temps, était soutenu par le centre de jour palliatif dont elle est la marraine. Cet homme avait deux jeunes enfants. Jusqu'au dernier jour, il a continué à se battre pour sa vie, subissant encore une dernière série de rayons à l'hôpital. Quelques semaines auparavant, au centre de jour, il avait toutefois mis en scène son testament sous forme de pièce de théâtre. C'était sa volonté.

Il y a quelques mois, elle a accompagné jusqu'au décès une femme de 85 ans atteinte d'un cancer de l'intestin, pour laquelle chaque jour à vivre était un jour de trop. Elle ne pouvait plus rentrer à la maison et séjournait donc à l'hôpital. Afin d'éviter des complications que les soins palliatifs n'auraient pu maîtriser, compte tenu des analgésiques disponibles, elle a encore subi une lourde intervention chirurgicale (placement d'un anus artificiel) une semaine (mais cela aurait pu être des mois) avant sa mort. Ce n'était pas sa volonté mais, soumise à des pressions, elle ne voyait pas d'échappatoire. Cette dame au caractère fier est décédée dans les circonstances les plus indignes pour elle, posant continuellement la même question : n'ai-je donc pas déjà assez vécu ?

Elle témoigne ensuite de l'adieu d'un garçon de 13 ans, en phase terminale, qui a discuté pendant des semaines avec ses parents pour les convaincre qu'il n'en pouvait plus, que la douleur était insupportable, qu'elle allait encore empirer, et qu'il voulait leur faire ses adieux en beauté. Les parents se sont ralliés à ce souhait et le garçon est décédé heureux.

Si elle a mentionné ces situations, c'est parce qu'elles montrent combien l'approche de la mort est une chose personnelle, et qu'un tiers ne peut donc, dans un sens ou dans l'autre, s'exprimer radicalement au nom du mourant.

L'euthanasie (la mort douce) est un acte de compassion. Elle n'est pas, comme le prétendent certains dans un contexte caricatural, l'ennemi qui guette derrière la porte des malades affaiblis. Elle est une aide pour ceux qui souffrent trop, pour lesquels il n'y a plus de solution et qui veulent être délivrés en beauté. La question de l'euthanasie n'a aucune pertinence pour ceux qui peuvent et veulent la refuser.

Elle croit à un système de soins palliatifs largement développé et, depuis 1991, avec Kom op tegen Kanker, elle a pu suivre de près les premiers progrès qui ont été réalisés en Flandre, non seulement avec l'aide des pouvoirs publics mais aussi grâce aux moyens financiers collectés lors d'une campagne de sensibilisation. Les soins palliatifs sont importants et leurs effets sont significatifs, non seulement sur le plan physique et psychologique, mais aussi sur le plan spirituel. Ils permettent de repousser les limites et de réaliser les derniers rêves. Je pense à ce qui s'est passé cette semaine dans le tout nouveau département du Middelheimziekenhuis à Anvers, où l'artiste Albert Szukalski a pu réaliser, avec l'aide d'amis artistes, sa dernière oeuvre, son testament.

L'intervenante explique que cela fait déjà huit ans qu'elle est familiarisée avec les centres de soins palliatifs et qu'elle connaît quantités d'exemples de petits ou grands souhaits qui ont pu être réalisés grâce à l'aide des bénévoles et au dévouement du personnel.

La lutte contre la douleur doit être améliorée. On observe une évolution mais il n'est pas souhaitable de tout tenter dans tous les cas, sous prétexte que tout est possible.

Les soins palliatifs ne permettent pas de résoudre tous les problèmes car il y a lieu de tenir compte de la personnalité, des possibilités et de la maladie du patient. S'il convient de tout faire dans le cadre de soins palliatifs pour que la personne du patient soit centrale et pour organiser ses derniers mois, semaines ou jours comme il le désire, compte tenu de sa personnalité et de sa capacité de résistance, il faut également faire preuve de suffisamment de respect quand la personnalité et l'état de faiblesse du patient indiquent qu'il est temps de changer d'attitude, que l'issue est atteinte. Cela doit inspirer la compréhension et l'admiration. La société doit se préoccuper de ceux qui demandent que l'euthanasie soit possible, par compassion et par respect.

Naturellement, on ne peut ignorer les éventuels dangers, et c'est précisément pour cela (tout le monde est sans doute d'accord sur ce point) que les arguments avancés par un collègue pour renforcer les critères de prudence sont si importants.

On ne peut davantage ignorer les réalités actuelles. Il ressort de la récente enquête effectuée par des professeurs belges et néerlandais que, sur un total annuel de 56 000 décès en Flandre, 20 000 sont précédés d'un acte médical qui abrège la vie, et que dans 2 000 de ces cas, des substances mortelles ont été utilisées. Dans 1 000 cas au moins, on aurait agi à l'insu du patient. Hier, certains collègues ont déclaré que c'est inquiétant mais franchement, cela ne m'étonne pas.

L'intervenante s'interroge sur le fait de savoir si cela signifie qu'en de nombreux endroits, des médecins intéressés et des héritiers impatients se sont mis d'accord. C'est possible, dans des cas tout à fait exceptionnels. Mais personnellement, pour avoir été proche ­ non en tant que médecin mais en tant qu'être humain ­ de tellement de malades en phase terminale (très jeunes et âgés) elle sait que, là également, un acte de compassion est souvent accompli tacitement, par miséricorde. Le décès d'un être cher est une épreuve terrible pour les proches, qu'il s'agisse d'un compagnon, d'un parent, d'un enfant ou d'un ami. La décision d'accélérer la fin d'un être cher ne se prend jamais à la légère. Quand il est question d'euthanasie, le patient, ses proches ou le médecin traitant n'agissent pas à la légère. Une étude américaine effectuée aux Pays-Bas a montré que le fait de procéder à l'euthanasie ne devient jamais un acte habituel pour un médecin. À chaque fois, c'est comme si c'était la première fois, et le processus émotionnel est difficile également pour le médecin, en dépit de la sérénité, de la reconnaissance ou du bonheur du patient avant de s'éteindre.

La communication est l'un des grands problèmes en matière d'accompagnement des mourants. À cet égard, la culture des soins palliatifs a déjà changé bien des choses. Un autre membre a souligné, à juste titre, que la formation des médecins laisse beaucoup à désirer et que les cours de base et de formation continuée devraient pallier ces manques. Une bonne communication, la volonté et la capacité d'écouter et de répondre correctement, telle doit être l'attitude normale du monde médical, et ce bien avant la phase d'accompagnement des mourants. En effet, cette communication réciproque devrait être optimale dès le moment où l'on apprend qu'on est atteint d'une maladie incurable.

Dans notre culture, nous éprouvons des difficultés à parler de la mort et des adieux. Les patients dissimulent leurs souffrances et leur chagrin à leur famille et inversement, les proches du patient ne veulent pas révéler que la fin est imminente et qu'ils ont peur. Souvent ils refusent d'admettre la réalité. De ce fait, la plupart du temps, on ne fait pas vraiment ses adieux, même quand on le souhaite réellement, parce que dans notre culture, c'est une chose que l'on n'apprend pas à faire. Par la suite, il en résulte un processus de deuil plus difficile.

L'intervenante estime que ces problèmes de communication au sujet de la mort soulignent combien ce débat sur l'euthanasie est important. Contrairement à un intervenant précédent, elle estime que le débat extérieur est pertinent et positif. De plus en plus, on peut lire et entendre des témoignages de personnes intéressées qui traitent de l'essence même de la question de la mort plutôt que des points de détail dont nous discutons ici. Aussi, les commissions devraient davantage entendre les patients eux-mêmes.

Elle s'est étonnée du fait que personne n'ait mentionné cela quand il a été question d'auditions. Non seulement les médecins et les infirmiers doivent être entendus, mais aussi les patients.

Dans ce débat sur la mort, on devrait montrer plus d'humilité et veiller à faire moins de bruit que ce n'a parfois été le cas. Il faudrait débattre en toute sérénité. Force est de constater que les discussions qui se déroulent dans cette salle répondent bien plus à cette exigence que ne le donnent à penser les échos extérieurs. Quoi qu'il en soit, les travaux des membres de ces commissions doivent aboutir malgré les points de vue très divergents, non seulement en ce qui concerne les problèmes ponctuels mais surtout en ce qui concerne les principes de base.

L'intervenante estime que d'autres membres ont très bien exprimé cela. La question est de savoir si oui ou non, nous voulons accorder au patient le droit à l'autodétermination. Le patient peut-il juger de sa capacité d'endurance et de souffrance, de sa dignité, conjointement avec son médecin et les siens (car généralement, cela se fait de concert) ou bien un certain nombre de personnes sages ­ ou moins sages ­ qu'il ne connaît pas, qui ne le connaissent pas, doivent-elles en juger ? La réponse à cette question devrait indiquer s'il est possible de rapprocher les points de vue.

Elle a écouté attentivement un membre qui a déclaré que cette discussion est symbolique et qu'elle sous-tend un projet de société (ce qui signifie que ce projet ne peut être changé).

À ce propos, l'exposé fait hier par un autre membre était de nature à clarifier les choses.

Les symboles changent. Elle comprend que les gens s'accrochent à certains symboles tandis qu'au sein de la société, lentement, la signification de ces symboles évolue.

Elle le comprend mais cela ne constitue qu'un point de vue parmi d'autres et non le seul.

Personnellement, elle pense qu'en collaboration avec certains collègues, elle pourrait arriver à un texte bien équilibré mais, peu à peu, elle en arrive à douter que ce soit possible avec d'autres. Il faut néanmoins poursuivre la discussion mais pas indéfiniment. Chaque jour, des personnes sont atteintes d'une maladie incurable. Chaque jour, des gens meurent, parmi lesquels beaucoup espèrent que nous nous attelions à la tâche.

Un membre constate qu'un certain nombre d'intervenants affirment sans cesse vouloir mener le débat sereinement mais, en même temps, profitent de l'occasion pour entretenir la polémique. Il rappelle que lui-même et le groupe qu'il préside ont fait de grands efforts, au cours de la législature précédente, pour inscrire à l'ordre du jour un certain nombre de thèmes éthiques, parmi lesquels l'euthanasie, et pour lancer le débat.

Il émet des réserves quant à la manière dont un autre membre a esquissé les principes de base de cette discussion. Cela revient à caricaturer une certaine vision qui a été exposée dans le cadre de cette commission.

Un autre membre constate que la tenue d'un débat amène très naturellement à une plus grande identification des différences existant entre les thèses en présence.

D'autre part, on ne peut faire de procès d'intention à personne sur son combat personnel dans sa propre sphère.

Pour le surplus, l'intervenant a entendu des caricatures, et même des injures tout à fait inadmissibles, auxquelles il préfère ne pas répondre.

Il lui paraît en tout cas que l'on ne peut tirer argument de certaines réactions que l'on a soi-même suscitées par ses propos.

Un membre constate que de nombreuses interventions ont déjà eu lieu, qui avaient des portées très variables.

Certains ont voulu affirmer, de manière absolue, leur refus d'une légalisation partielle de l'euthanasie, ou du moins, mais ce fut parfois ambigu, leurs refus de régler la pratique de celle-ci dans le Code pénal. Les raisons évoquées sont multiples. L'intervenant ne veut pas discuter celles qui relèvent des convictions fondamentales des personnes et de l'attachement à des dogmes philosophiques ou religieux. Il peut les entendre, mais estime qu'il ne lui appartient pas de les mettre en question, sinon à dire qu'il ne se sent pas tenu par ces arguments.

Il se déclare plus interpellé par les intervenants qui fondent leurs doutes sur l'opportunité de légiférer en la matière sur des considérations sociologiques, ou juridiques. Il tient à dire qu'il les écoute avec intérêt.

Il a de même écouté très attentivement les commentaires juridiques portant sur le texte de la proposition de loi déposée par les six membres des partis de la majorité. Sans doute certaines remarques constructives pourront-elles mener à améliorer ce texte, sans que soient remises en cause les orientations essentielles qu'il porte.

Sur son approche de la question sur le fond, l'intervenant voudrait dire qu'il est arrivé dans ce débat sans a priori, et, comme plusieurs « nouveaux sénateurs » ont eu l'occasion de le dire, avec une moins bonne connaissance du dossier que certains collègues. Aujourd'hui, ayant écouté, lu, discuté et réfléchi, il se sent conforté, à ce stade des débats, dans son sentiment qu'il est nécessaire de légiférer en matière d'euthanasie.

Il constate que des euthanasies sont pratiquées, en nombre assez important. Quelques études, peu nombreuses certes, portent sur la situation belge. On peut les comparer aux deux grandes études hollandaises de 1990 (le rapport Van Remelink) et 1995. Ces comparaisons sont de nature à valider les chiffres obtenus, même si on note quelques différences éclairantes.

D'après l'étude inter-universitaire dont on vient de prendre connaissance, l'euthanasie à proprement parler interviendrait dans 1 % des 56 000 décès annuels en Flandre. Mais des injections de substances létales sans consultation du patient représenteraient par contre 3 % des cas ! Comme le soulignent les auteurs, il faut comparer ces deux chiffres aux données hollandaises, respectivement de 2,4 % d'euthanasies mais de seulement 0,7 % d'interruptions de vie non demandées !

Ces données viennent confirmer avec poids ce que disent depuis longtemps les partisans d'un encadrement légal de l'euthanasie : il faut lever l'interdit pénal absolu qui pèse sur l'intervention médicale pour libérer la parole et restaurer le dialogue entre le patient et son médecin. L'interdit réduit la communication, la clandestinité entraîne des décisions à la sauvette, non concertées.

Il entraîne même des dérapages. L'intervenant ne veut pas exploiter le cas que la justice connaît pour le moment à Liège, mais il ne fait que confirmer de multiples témoignages. Il renvoie notamment aux nombreux courriers que publient nos journaux pour le moment, ou aux récits que rapporte Soeur Léontine dans son ouvrage sur l'euthanasie.

Il n'est plus possible, face à des données chiffrées, d'écarter cet argument d'un revers de main, au motif qu'il serait « très exceptionnel ». 3 %, c'est énorme. Le législateur doit se préoccuper de cette situation.

Il ne paraît pas possible de dire encore « nous savons que cela se fait, nous le tolérons, mais nous ne voulons rien changer à la loi. » Il s'agit ici, bien entendu, de la loi pénale. Car c'est le tabou pénal qui pèse sur ce débat.

Seule la modification de la loi pénale apportera la sécurité juridique. Introduire la notion d'euthanasie par une loi sans changer le droit pénal, modifier un arrêté royal ne peut mettre fin à l'incertitude. Car l'euthanasie restera formellement assimilée au meurtre. Les médecins continueront de voir peser sur leurs actes, quels qu'ils soient, la menace d'une condamnation pour assassinat. Or, c'est précisément ce que l'on veut modifier, répondant à une évolution de la société : dans certaines conditions objectives et de procédures strictes, l'euthanasie ne serait plus un meurtre.

Les autres mesures proposées ne remplissent pas ce but. Aux Pays-Bas, où le consensus social a permis, sur base d'un accord de la très grande majorité des médecins et des magistrats, d'organiser un contrôle des pratiques sans modification du Code, on envisage aujourd'hui la dépénalisation comme le moyen de dépasser les problèmes qui subsistent.

En Belgique, on voit que la régulation déontologique ne peut suffire, le conseil de l'Ordre des médecins étant soumis aux ambiguïtés d'un Code de déontologie qui affirme sans nuance que le médecin ne peut pas provoquer délibérément la mort de son patient, mais évoque la préservation de la dignité du patient comme échappatoire au premier commandement absolu.

On se trouve là aussi devant une forme d'hypocrisie collective : parce qu'on n'ose pas dire les choses clairement, on édicte un texte ferme dont on sait, dès la rédaction, que l'on tolèrera sa transgression.

On retrouve ainsi, au niveau des règles corporatives, le même problème, les mêmes ambiguïtés qu'au niveau des règles législatives.

Il semble à l'intervenant que, ce faisant, on entame autant, sinon plus, l'autorité d'un texte qu'en l'infléchissant de manière limitée, publiquement débattue et assumée.

Le « symbolisme » du droit pénal, dont on a beaucoup entendu parler, semble plus ébranlé par les contradictions, publiques, entre les pratiques sociales acceptées et le texte.

Ce texte, on prétend qu'il doit proclamer le respect du commandement « tu ne tueras point » en des termes absolus pour être respecté, en négligeant les restrictions qu'on lui a imposées longtemps, et qui gênent l'intervenant beaucoup plus, personnellement : la peine de mort et le droit de la guerre.

Après avoir écouté chacun, l'intervenant déclare qu'il préfère un texte qui fixe clairement les limites que la société veut mettre à une pratique qu'elle estime légitime, qui permettra un vrai contrôle légal et social, à un texte intègre mais violé quotidiennement, parfois dans la lumière, souvent dans l'ombre.

De ces limites, il faut précisément débattre, calmement. On le fera à la lumière des auditions qui auront eu lieu, à l'occasion de l'examen des articles. C'est là l'essentiel.

Un autre membre rappelle la citation du professeur Ladrière, déjà évoquée par un précédent intervenant : « Personne n'a une compétence privilégiée en matière d'éthique. C'est pourquoi la réflexion éthique ne peut être qu'une entreprise collective, où les différents points de vue doivent pouvoir se confronter dans l'espérance d'une convergence que justifie la croyance fondamentale en l'universalité de la raison. »

L'intervenant a beaucoup apprécié les débats tenus la semaine dernière, et souhaite remercier les intervenants pour la qualité du débat de fond auquel ils ont conduit.

Il suggère, dans un but de clarification, de s'entendre sur la façon de nommer, entre commissaires et à l'extérieur, les différentes propositions évoquées dans les discussions, pour éviter confusions et mauvaises compréhensions.

Il propose que l'on retienne la façon dont un intervenant a nommé les propositions émanant de membres de la majorité, à savoir « les propositions des six auteurs ». Les autres propositions pourraient être nommées par le nom de leur primo-signataire.

Cela éviterait d'attribuer dans la dénomination un statut de position de parti aux propositions alors que l'on se trouve dans un débat bioéthique, où chacun est appelé à se situer en conscience sans discipline de parti ou mot d'ordre gouvernemental, et alors qu'un des buts de la discussion générale est de dégager, autant que faire se peut, le plus de consensus possible ou tout au moins d'atteindre le maximum de clarification et de compréhension.

Un membre a reparlé d'un agenda caché. L'intervenant n'en a pas connaissance, sauf celui qui découle de la phrase citée par le président de la commission lui-même, à savoir : « pas de précipitation, pas d'atermoiement funeste. »

L'intervenant rappelle également qu'il n'est pas juriste, et qu'un éclairage complémentaire sur ce plan lui paraît nécessaire. Les textes qui émaneront du Sénat seront lus et commentés par des juristes, des légistes et des experts du monde entier.

Il faut donc prendre les garanties juridiques nécessaires pour bien répondre, à travers les textes sur les soins palliatifs et l'euthanasie, aux objectifs de droit du patient aux soins globaux, humainement et techniquement adéquats, aux objectifs du respect personnalisé et approfondi de son autonomie comme être humain reconnu, aux objectifs d'assistance aux proches, et d'appui aux soignants et accompagnants.

De plus, comment les diverses propositions font-elles suite et reprennent-elles plus ou moins les avancées et acquis dégagés par la majorité des membres du Comité consultatif de bioéthique, et qui, selon l'intervenant, se situent, sur le fond, entre les positions 2 et 3 du Comité ?

À l'attention d'une précédente oratrice, l'intervenant souhaite préciser la citation qu'il a faite à propos de la démocratie.

Il a déclaré, non pas que la démocratie était un lieu vide, mais que le pouvoir s'y présentait comme un lieu vide, citant Hugues Poltier, qui écrit dans un livre intitulé « Claude Lefort ­ La découverte du politique » : « Une formule revient sans cesse sous la plume de Lefort, tel un leitmotiv : la spécificité de la démocratie, est que, pour la première fois dans l'histoire, le lieu du pouvoir s'y présente comme un lieu vide. » (...).

« Le sens de cette formule ne devient intelligible qu'à une double condition. Il convient d'abord de se rappeler la distinction du symbolique et du réel et de comprendre qu'elle s'applique au pouvoir pris en tant que symbolique, et ensuite que cette proposition a un statut comparatif avec les régimes précédents et qu'il faut considérer le recul de la croyance en un fondement transcendant de l'ordre social ».

À travers cette évolution, « nos démocraties tendent à s'identifier à un espace régi par des règles de rapports » et de coexistence et le lien symbolique et social se refait plus à travers la participation au processus démocratique et la reconnaissance implicite de la légitimité des règles souvent procédurales qui président à son déroulement.

L'intervenant renvoie, pour plus de développements, au livre cité, et à Claude Lefort lui-même.

En démocratie, il ne s'agirait plus de déterminer quelle option philosophique ou quelle « certitude » doit l'emporter, mais de faire en sorte qu'une pluralité d'options fondamentales puissent coexister, donc sans vouloir les imposer les uns aux autres, dans le respect des règles démocratiques et des Droits Humains de liberté et de solidarité qui sont indissociablement liées à la démocratie.

Le lien social se fait par le respect des procédures de coexistence pacifique et de débats pluralistes et libres.

Dans ce processus démocratique, il y a un encouragement à l'élaboration des options de vie de chacun et par chacun et une mobilisation de moyens publics pour aider solidairement en ce sens.

Dans cette perspective, à la fin de la vie, dans une situation extrême que nous sommes amenés à vivre, n'y a-t-il pas un espace quasi-sacré où la loi collective s'arrête d'avancer et se tait, face à l'ultime choix d'une personne humaine, tout en veillant à avoir proposé tous les moyens matériels et humains possibles pour pouvoir élaborer une parole qui lui soit propre, et non l'écho de pressions d'ordre socio-économique, psychologique ou autres, étrangères au respect d'elle-même.

Dans cette perspective, ce qui paraît fondamental à l'intervenant, c'est le dialogue et donc, a contrario, l'irrémédiable, c'est le non-dialogue ou un simulacre de dialogue.

Si la personne n'a pas été écoutée, que le temps n'y a pas été consacré par d'autres personnes préparées et disponibles pour cette écoute, qu'il n'y a pas de transmission interpersonnelle, intergénérationnelle, alors peut-être qu'un homicide psychologique, culturel, spirituel est en fait exécuté alors que, dans le cadre d'un réel dialogue, d'une vraie reconnaissance interhumaine, une action médicale qui viserait à soulager d'une souffrance irréductible en entraînant même la mort pourrait, à ce niveau et à l'extrême, ne pas être un homicide.

Ce débat remet en lumière et à l'actualité la question de notre mortalité, de notre condition humaine d'être vivant mortel. Un des plus grands dangers serait le détournement de ce débat au sortir d'une période d'occultation de la mort, en le caricaturant dans un affrontement à la Don Camillo.

Occultation, car mortalité inconvenante dans une période de promotion de l'être humain comme consommateur sans fin.

Risque de détournement, au moment où se réalisent des promesses d'allongement de la durée de vie, mais où le grand âge ne serait plus perçu comme une espérance de vie, mais comme une charge sociale.

Heureusement, nos sociétés ont acquis une expérience assez récente, faut-il le dire, et donc encore fragile, au sujet du dialogue et de l'accompagnement des personnes en fin de vie.

Et les besoins les plus fréquents ne sont pas liés à des demandes autour de la question de l'euthanasie, mais autour de la souffrance, de l'angoisse et de la solitude humaine.

Donc, si l'on reprend les problèmes à partir de leur fréquence, de l'expérience acquise et de la nécessité de pouvoir y répondre, c'est bien, comme le prévoient les diverses propositions en discussion, la possibilité pour tous d'accéder à des soins continus et palliatifs lorsque ceux-ci sont indiqués, qui vient en tête des besoins. Il faut pouvoir en bénéficier au même titre que d'autres soins.

Donc, les soins palliatifs doivent être inscrits dans un continuum de soins et de traitements de qualité et accessibles à tout citoyen suivant ses besoins et leur nécessité.

C'est à travers ce continuum que les acquis des soins palliatifs doivent rejaillir aussi sur l'ensemble des soins, que ce soit l'écoute, le dialogue, l'accompagnement, la recherche de traitements adéquats contre les douleurs et pour le confort du patient. Ces acquis doivent humaniser l'ensemble de la chaîne de soins. Il ne faudrait pas être arrivé à un stade incurable pour bénéficier enfin d'une humanisation globale des soins.

Légiférer en ce sens au sujet des soins continus et palliatifs, en assurer leur pleine place au sein des soins de santé et de l'assurance maladie-invalidité, c'est garantir, donc, leur accessibilité dans le cadre de l'accessibilité générale à des soins adéquats et de qualité. C'est les inscrire dans la logique de solidarité publique de la sécurité sociale sur une base la plus large possible.

La norme doit donc être fédérale et les expériences, diversifiées en fonction des réalités de terrain, doivent pouvoir être partagées, évaluées et valorisées, dans le cadre de la coopération avec les régions et communautés.

Les soins continus et palliatifs ne se présentent pas comme une alternative à la problématique de la demande d'euthanasie mais, sans que ce soit leur première visée, ils en réduisent la fréquence et la persistance à des cas plus rares et souvent plus extrêmes.

Mais le savoir sur l'écoute et le dialogue retrouvé au travers des soins palliatifs, mais ce savoir qui n'aurait jamais dû quitter les autres niveaux de la médecine, ce savoir acquis peut utilement, et selon l'intervenant, doit même éclairer sur ce qu'est l'écoute aussi d'une demande « d'euthanasie », sur la charge humaine et psychique qu'elle peut représenter pour un soignant, et sur le nécessaire dialogue interhumain à ces moments.

L'intervenant souligne aussi que les questions autour de la demande des types de consultation à réaliser appellent un approfondissement et des éclairages venant de l'expérience acquise. Cela guidera les propositions d'auditions qui seront faites. L'intervenant a cité le professeur Guy Haarscher à ce sujet. Il voudrait encore brièvement évoquer l'aspect plus psychologique, car il croit que dans l'ensemble des propositions en discussion, le balisage de l'écoute de la demande n'est pas assez élaboré.

Il fait référence à la clinique psychiatrique, et cite par exemple les problèmes tels que de mélancolie, de troubles de la lignée perverse, des interactions familiales euthanogènes.

Ces problématiques demandent une compétence, une expérience et un savoir qui n'est actuellement pas le fait d'un grand nombre de médecins et qui nécessite l'appel à des spécialistes.

Il faudrait que, lors des auditions, on puisse clarifier la façon d'accompagner, d'entendre et de traiter les patients de ce type et leurs demandes.

L'intervenant voudrait aussi insister sur la distinction entre pluridisciplinarité et interdisciplinarité. La première peut, à juste titre, prêter le flan à la critique de tribunalisation. Elle est une juxtaposition d'avis, alors que la seconde est le travail et l'échange entre personnes compétentes, afin de prendre le recul humain nécessaire pour réellement entendre et comprendre ce qui se passe. L'interdisciplinarité est l'une des avancées les plus importantes de la médecine de ces dernières années.

Là encore, des clarifications seraient utiles dans le cadre des auditions.

L'intervenant conclut en assurant qu'il cultive un espace de doute critique, raisonné et anti-dogmatique, pour pouvoir écouter le plus attentivement possible les uns et les autres.

Un autre membre se réfère à la définition de l'euthanasie utilisée dans ce débat : acte pratiqué par un tiers qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci. Telle que définie, l'euthanasie est acceptée comme principe de base par quasiment tous, étant entendu qu'elle ne peut être pratiquée que moyennant le respect de conditions strictes.

Dans l'optique de la proposition de loi déposée par des membres de six groupes, l'orateur estime qu'un patient capable de manifester sa volonté, se trouvant dans une situation sans issue et atteint d'une maladie incurable, peut demander l'euthanasie.

Ceci soulève la question de l'autonomie de la personne. Quelle place occupe le droit à l'autodétermination dans le domaine des soins de santé ? Qui décide de notre mode d'alimentation, de ce que nous buvons chaque jour et en quelles quantités, de la question de savoir si nous fumons, du niveau de stress que nous supportons ? Dans quelle mesure peut-on laisser les gens libres d'adopter un mode de vie médicalement critiquable, qui nuit à leur santé et les condamne à une mort prématurée, sachant que la consommation d'un seul verre de whisky entraîne la destruction d'un milliard de cellules et que chaque cigarette fumée raccourcit la vie de 6 minutes.

Un patient ne peut-il pas choisir librement de prendre ou non ses médicaments (hypotenseurs, insuline pour les diabétiques, médicaments qui diminuent le taux de cholestérol ou qui protègent le coeur et les artères) ? N'a-t-il pas le droit ou la liberté de refuser des examens, des médicaments ou des opérations ? Les chartes relatives aux droits des patients plaident en faveur du droit à l'autodétermination.

En allant encore un peu plus loin, on peut se demander, par exemple, si les témoins de Jéhova ont le droit de refuser une transfusion ? Ne s'agit-il pas le plus souvent de jeunes en bonne santé, de mères en salle d'accouchement qui, en choisissant délibrement de privilégier leurs convictions, laissent leur famille désemparée dans l'embarras ? Doit-on contraindre ces gens à assumer leurs responsabilités dans la société ?

Ces questions deviendront encore plus brûlantes lorsque, dans un avenir ­ proche ou lointain ­, nous aurons à notre disposition la pilule anti-vieillissement, qui produira des inhibiteurs de télomérase destinés à empêcher qu'à chaque division, le renouvellement des cellules ne se ralentisse et se complique. Une fois que de ces médicaments seront sur le marché, nous obligera-t-on à les prendre et à devenir tous, non pas centenaires, mais tricentenaires ? Outre le droit du patient à l'autodétermination, où se situent les limites si les frontières naturelles de la vie viennent à disparaître ?

Le membre se réfère à cet égard à la lettre du 21 janvier dernier que le docteur Roland Lemye, président de la Chambre francophone des médecins, a transmise aux membres. Dans sa lettre, ce médecin se demande si le fait que le débat sur l'euthanasie ait lieu au moment où les maladies infectieuses sont vaincues, les affectations cardiovasculaires en recul et où bientôt, on pourra guérir les cancers, est le simple fruit du hasard. On se dirige à présent vers une augmentation sensible du nombre de personnes âgées et très âgées et la maladie d'Alzheimer sera la prochaine maladie du siècle. Le docteur Lemye cite des pays comme le Danemark, la Suède, la Grande-Bretagne, où des patients trop âgés (70 ans) se voient refuser des greffes de reins et des dialyses pour des raisons économiques. Leur refuser ce traitement équivaut à les condamner à mort.

À l'opposé, nous sommes confrontés à la tentation de l'acharnement thérapeutique ou de l'acharnement palliatif. Si l'euthanasie ne peut être imposée, elle doit être permise. Une société qui ne veut pas entendre parler d'euthanasie n'aurait jamais dû laisser les soins de santé atteindre un tel niveau de développement.

L'orateur estime que l'on fait fausse route en continuant à faire comme si la réponse à une demande d'euthanasie devait être laissée à la libre appréciation du médecin. Cette politique de tolérance a maintenu ce problème dans le flou et l'incertitude pour le patient, le médecin et la communauté en général. Nous ne pouvons accepter plus longtemps cette politique de tolérance, également pratiquée par l'Ordre des médecins. Alors que le code de déontologie de cet Ordre est un code opérationnel qui énonce les règles déontologiques des praticiens de l'art de guérir, le législateur conserve le droit d'imposer lui-même des règles déontologiques.

La manière dont les groupes PSC et CVP imterprètent la Déclaration universelle des droits de l'homme diffère, par exemple, de celle du professeur Van den Ende et avec lui, de nombreux autres d'obédience chrétienne, qui considèrent le droit à l'autodétermination comme un élément moteur de ce traité. La Déclaration universelle s'oppose, en effet, à l'infantilisation des gens, à leur mise sous tutelle et à leur maintien dans un état d'incapacité.

C'est ainsi que l'article 1er de cette déclaration stipule que « tous les êtres humains naissent égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

L'article 3 dispose que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ».

L'orateur souligne que la demande d'euthanasie formulée par le patient, lequel a reçu toutes les informations nécessaires, doit se faire librement, de manière explicite, réitérée et mûrement réfléchie. Il est évident que le patient attend de son médecin qu'il l'informe conplètement de son état, du traitement, du pronostic et des risques. Cela entraîne une responsabilisation et une prise de conscience accrues.

Cependant, le patient ne dispose pas du droit absolu à l'euthanasie, de la même manière que le médecin n'a pas l'obligation absolue d'y procéder. La concertation entre le patient et le médecin doit prendre la forme d'un dialogue, une discussion ouverte à propos de la mort sans interdit ni dogme, quels qu'ils soient.

C'est notamment pour cette raison que la procédure doit être fixée par une loi. Confronté à toute demande, le médecin traitant a l'obligation de consulter un de ses confrères. Comme l'a déjà signalé un autre commissaire, les modalités de cette consultation doivent être explicitées. Cette tierce personne indépendante doit également être un médecin. Par sa formation et son expérience, ce praticien est capable d'évaluer les problèmes à la fois sur le plan technique et de l'éthique médicale, ce qui n'est pas le cas du spécialiste de l'éthique, lequel n'a pas ou peu de connaissances des problèmes liés aux pathologies.

Il estime qu'une commission éthique imposée d'en haut constitue une pure négociation au fait que les hommes sont capables de penser eux-mêmes. Cette commission éthique n'était d'ailleurs pas une proposition du Comité consultatif de bioéthique car elle livre en quelque sorte en pâture la vie privée du patient. Contrairement à ce que d'aucuns ont prétendu, il n'y a pas non plus de consensus ou de majorité, au sein du Comité consultatif, en faveur des quatre propositions qui font l'objet de l'avis nº 1, en particulier la troisième option.

Le membre conclut que la négation du droit à l'autodétermination dans le domaine de l'euthanasie ne peut reposer que sur une base religieuse ou relationnelle. En ce qui concerne cette dernière, les devoirs auxquels nous sommes astreints dans nos relations aux autres ne sont toutefois pas infinis : il ont, eux aussi, leurs limites. Si nous ne disposons pas de notre vie comme nous l'entendons, c'est parce que nous sommes des êtres sociaux. Parce qu'elle a investi en nous, la société a sur nous certains droits mais ils sont limités. Nul ne peut être contraint à demeurer en vie jusqu'à l'extrême limite. La vie est précieuse sans être toutefois une valeur absolue. Cette philosophie peut s'appliquer plus largement, par exemple à la légitimité de l'autodéfense, aux guerres ou à la peine de mort, mais également à notre propre vie.

Même si la notion de « vie digne » peut varier en fonction des circonstances, il existera cependant toujours un consensus minimum quant à la question de savoir ce qu'est une vie acceptable. Tous les hommes aspirent à conserver jusqu'au bout une certaine qualité de vie, notre pire enemi n'étant pas la mort mais les souffrances inutiles.

Il est dès lors normal que l'homme dispose d'une autonomie de décision et du droit à l'autodétermination, qui sont fonction de sa propre liberté, pour autant que celle-ci n'aille pas à l'encontre de la liberté individuelle des autres.

Il n'empêche que nous sommes tous prêts, au moment où l'on en viendra à la discussion concrète des articles, à mettre la sécurité du patient au centre des préoccupations et à examiner attentivement les critères de prudence afin que les personnes en fin de vie bénéficient d'une meilleure protection et conservent leur dignité.

Un autre membre constate que les diverses interventions qui ont eu lieu jusqu'à présent ont permis de clarifier les positions, de les identifier, et de préciser certains points

Le premier de ces points concerne la position des uns et des autres sur la nécessité ou la volonté de prise en charge, et la levée de l'ambiguïté qui laisserait à penser que ceux qui sont partisans d'une dépénalisation de l'euthanasie seraient ignorants de la difficulté de l'écoute et du décodage de la demande, qu'ils seraient inconscients, incapables, incompétents, inattentifs par rapport à la difficulté des rapports entre les êtres, et à la gravité du problème.

La discussion a permis de mettre en évidence que cette nécessité d'écoute, de décodage, de prise en charge, d'accessibilité était absolue, et que nombreux sont ceux qui la défendent.

Lorsqu'on discute avec des personnes qui font exclusivement des soins palliatifs leur pratique professionnelle, soit de manière verticalisée (c'est-à-dire dans les unités de soins palliatifs), soit de manière transversale, ou avec d'autres, qui sont amenés à prendre en charge des malades sur un plan palliatif, il est extrêmement important de savoir, quand il est question d'écoute, de décodage, si l'on est bien au courant des situations qui existent, et de montrer à certains que ce n'est pas à la légère que l'on établit des propositions de loi de cette nature.

Sans doute y aura-t-il consensus, sinon sur la méthode verticale ou transversale, au moins sur la nécessité d'une plus grande offre de soins palliatifs, et pour une plus grande accessibilité.

Cependant, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'au-delà de certains points sur lesquels il peut y avoir consensus, les positions exprimées demeurent, sur certains autres, divergentes et inconciliables.

En effet, en ce qui concerne la problématique de l'euthanasie comme telle, il existe un obstacle fondamental qui relève de l'adhésion ou de la non-adhésion au principe de la liberté individuelle du patient ou, au contraire, à un principe qui dépasse cette liberté.

L'intervenant a pu réexaminer les longs débats qui ont eu lieu au Sénat, en ce compris les positions exprimées à l'intérieur de celui-ci, sur ce qui pourrait constituer les fondements d'une justification de la dépénalisation ou, au contraire, d'une opposition totale au principe de l'euthanasie.

Il a été question, dans le cadre du présent débat, de liberté, d'autonomie, de l'individu. Il a été dit que l'homme n'était constitué que par relation avec les autres, et n'avait pas une liberté totale à cet égard.

Or, si l'on constitue sa personnalité en fonction des relations réciproques que l'on tisse avec les autres, la liberté de l'homme est de définir, y compris de manière variable dans le temps, le champ qui détermine ce qu'il est, jusques et y compris, de considérer, à un moment ou l'autre de son existence, que ce champ se résume à sa propre personne.

C'est là un principe fondamental, qui s'oppose clairement à certaines thèses qui se sont exprimées.

Il s'agit du fondement de la liberté que l'on donne à tout homme, s'il décide que sa vie n'a plus de valeur, et même en tenant compte de son entourage, d'en finir avec l'existence.

Certains ont déclaré que la demande d'euthanasie était légitime. L'intervenant espère qu'il n'existe aucune discussion à cet égard.

Mais c'est le problème de la réponse à cette demande qui est posé. L'intervenant et ceux qui partagent son point de vue estiment que cette réponse est, elle aussi, légitime. C'est là la différence essentielle qui sépare les thèses en présence. Même si la discussion générale se poursuivait longuement, il est peu probable que les positions des uns et des autres sur ce point pourraient être davantage clarifiées.

L'intervenant respecte les points de vue différents du sien, y compris l'opinion de ceux qui contestent la légitimité ou la nécessité d'une euthanasie, à un moment ou à un autre.

Cependant, dans une société qui se veut pluraliste, c'est le droit de chacun qui doit pouvoir être respecté. La question que pose l'intervenant par rapport à la proposition des six auteurs est la suivante : par rapport à la liberté de l'individu, et à une société de tolérance, quel est l'élément qui, dans ce texte, fait violence à la liberté et aux convictions des uns et des autres ?

En ce qui concerne le patient, c'est dans la situation actuelle qu'on lui fait parfois violence, et non dans le système proposé par la proposition, puisque, selon celle-ci, le patient a le droit d'exprimer une demande, avec l'espoir d'obtenir une réponse, dans un cadre juridique tel que cette réponse est, elle aussi, une réponse libre.

En effet, le médecin auquel il s'adresse dispose d'une totale liberté de conscience : il est libre de répondre positivement ou négativement à la demande, d'entendre ou de ne pas entendre celle-ci, même si l'on peut souhaiter qu'il l'entende jusqu'au bout et de manière complète, y compris en la décodant.

Le médecin peut aussi accepter la demande, moyennant le respect de certaines conditions.

L'intervenant n'a entendu aucun argument indiquant tel ou tel élément qui, dans la proposition, serait contraire au respect des convictions de chacun, dans une société pluraliste et tolérante, où l'attitude d'humanité à l'égard du semblable doit primer, et où, par conséquent, la réponse à une demande d'euthanasie, doit être possible.

Quant à la sécurité juridique, l'intervenant l'envisage de deux manières.

Ce n'est évidemment pas la garantie absolue que quels que soient les actes posés, ils seront sans conséquences.

Il ne faut pas non plus espérer qu'un texte juridique résoudra toutes les situations.

En ce qui concerne le champ d'application de la proposition, que certains ont qualifié de large, l'intervenant rappelle que le champ est le suivant : une maladie incurable, entraînant des souffrances physiques ou morales ou un état de détresse tel qu'il ne peut être soulagé; une demande expresse et réitérée de la part du patient; la consultation obligatoire d'un autre médecin sur le caractère incurable de la maladie et sur le fait qu'elle entraîne des souffrances et un état de détresse tels que décrits ci-avant; le contrôle par le médecin de ce que le patient a pu s'entretenir avec tous ceux avec lesquels il souhaitait le faire; l'obligation pour le médecin de consulter toutes les personnes que le malade souhaite voir consulter.

C'est dans ce cadre précis que la proposition réalise une dépénalisation, l'acte posé ne pouvant, dans ce cas, être qualifié de meurtre.

Cet acte est une réponse à une demande de détresse, la seule que l'on puisse donner si l'on prend pleinement en charge à la fois notre devoir d'humanité, et ce que le malade a pu demander.

La dépénalisation ne soustrait pas tout le monde au contrôle de la structure judiciaire.

En ce qui concerne la déclaration au procureur du Roi, l'intervenant a enregistré les réactions de certaines juridictions ordinales.

Il observe, de façon incidente que, depuis une trentaine d'années, et par rapport à des problèmes de cette nature, ces juridictions ont rarement pris des positions originales ou particulièrement ouvertes. La position de l'Ordre des médecins revient à demander de laisser à ceux-ci le soin de s'occuper de ce qu'ils connaissent.

L'intervenant souligne que le malade doit aussi être protégé, et des limites doivent être mises à la liberté médicale.

On fait référence au Code de déontologie. Or, celui-ci est applicable aux médecins eux-mêmes, mais il n'est pas opposable à quiconque, de sorte que la référence à ce texte est largement insuffisante, parce qu'elle n'offre aucune garantie, ni aucune protection juridique aux tiers concernés.

Il ne faut pas perdre de vue que les politiques de santé et la médecine sont, avant tout, faites pour le patient.

Certains proposent de travailler plutôt par la voie d'une modification de l'arrêté royal sur l'art de guérir.

L'intervenant concède que la force de ce texte est plus importante que celle qui s'attache habituellement à un arrêté royal.

Mais quel pourrait être le poids de la modification d'un tel arrêté royal devant un tribunal, par rapport à un fait relevant du Code pénal ?

L'intervenant estime qu'il est insuffisant, par rapport à l'objectif poursuivi par la dépénalisation.

Quant à la déclaration au procureur du Roi, il la juge nécessaire, parce que la pratique médicale doit pouvoir être contrôlée, même si cela entraîne parfois des réactions exacerbées, en raison même de l'atteinte que les propositions pourraient faire au pouvoir médical considéré par certains comme intangible.

Il doit être clair que la relation de confiance entre le médecin et son malade est fondamentale, et il n'est pas question de la remettre en cause ici. Au contraire, le contrôle proposé pourrait contribuer à la renforcer, par la plus grande transparence qu'il apporterait dans les pratiques.

A contrario, lorsqu'on dit que c'est le médecin qui est, in fine, concerné par l'acte d'euthanasie, et qu'on lui confère par là un pouvoir exorbitant, l'intervenant fait observer que, tenant compte des conditions inscrites dans le texte, c'est une partie de la responsabilité médicale qui n'est pas partageable.

Lorsqu'on considère ce qui s'est passé en France voici un an et demi, il est clair que la responsabilité est d'ordre médical, particulièrement dans la réponse qui est donnée, et dans la concrétisation de celle-ci.

Quant à la définition de l'euthanasie, et tenant compte de celle qui est donnée par le Comité consultatif de bioéthique, l'intervenant entend avec quelque étonnement les déclarations selon lesquelles certains actes posés ne seraient pas des actes d'euthanasie.

Il estime qu'il existe à cet égard une large discussion.

Selon certains, il y avait l'euthanasie exclusivement dans les cas où l'on administre un cocktail lithique aboutissant à la mort du malade quelques minutes après son administration.

Or, l'euthanasie dépasse, selon l'intervenant, cette seule hypothèse.

Réduire celle ci aux pratiques aboutissant au décès dans les quelques minutes est tout à fait réducteur, voire caricatural, et non conforme à la réalité du terrain.

Peut-être cette réduction du champ de l'acte d'euthanasie permet-elle à certains de justifier davantage les actes qui sont ou ne sont pas commis.

À titre personnel, l'intervenant considère davantage l'euthanasie comme une démarche, quels que soient les moyens, pour peu qu'ils respectent le malade, sa volonté, et les conditions dans lesquelles il meurt. Les formes de cette démarche peuvent être très variables et multiples, mais aboutissant en tout état de cause aux mêmes conséquences.

C'est parce qu'il a la conviction qu'il s'agit d'un acte noble, d'un acte d'humanité et de courage que l'intervenant ne voit pas d'inconvénient à ce qu'on ne le réduise pas à ce qu'il pourrait avoir de plus spectaculaire.

L'intervenant déclare, pour conclure, qu'il croit en l'avenir de l'humanité, avec toutes les réserves et tous les dangers qui peuvent exister à cet égard.

Il croit en l'apport positif de la science, sans être pour autant un scientiste obtus, et pense dès lors que des progrès très importants se feront encore.

Cependant, nous sommes tous contingents, et le moment de notre naissance conditionne notre espérance de vie, l'espoir d'être guéri ou non de telle ou telle maladie, la possibilité ou non de remédier aux processus dégénératifs, etc.

Le législateur doit dès lors tenir compte de la situation de ceux qui sont confrontés à ce type de problème, ici et maintenant. Il importe donc de pouvoir avancer dans le débat et, à un moment donné, après avoir fait le tour des choses, de conclure, c'est-à-dire de se déterminer en toute liberté par rapport à un texte de loi qui, en aucune manière, ne porte atteinte aux convictions des uns et des autres.

L'intervenant estime qu'il est temps de conclure la discussion générale, et de procéder aux auditions qui ont été décidées.

À cet égard, il suggère que celles-ci soient conçues de façon à apporter le maximum d'éclairages encore nécessaires, et que l'on se mette d'accord sur ce qui contribuera le plus à affiner les positions personnelles, en évitant les redondances (procédure à suivre, durée raisonnable de la période d'auditions considérée de manière globale, etc.).

Un membre se félicite de la sérénité des débats. Il lui semble néanmoins que le fait ne pas avoir procédé aux auditions au début du débat a causé un manque qui a affecté la qualité de la discussion générale.

Chacun n'a pu que faire état des contacts qu'il avait eus à titre individuel avec les médecins, le personnel soignant, des juristes, etc., avec toute la sélectivité que cela peut supposer.

L'absence de ces auditions constitue sans doute aussi l'une des raisons pour lesquelles ceux qui ont déposé des propositions, d'un côté ou de l'autre, ont relativement peu évolué par rapport à leur position du départ.

Le président rappelle que la commission a décidé par un vote de tenir des auditions, et que la discussion générale n'est dès lors pas close, mais reprendra après celles-ci.

Le précédent intervenant poursuit en déclarant qu'il lui paraît important que l'on s'entende sur certaines définitions, et que l'on ait à l'esprit les définitions du Comité consultatif de bio-éthique.

L'intention de donner la mort, ou de poser un acte qui va abréger la vie est ce qui distingue fondamentalement l'acte d'euthanasie d'autres actes posés par le corps médical en fin de vie.

Il faut notamment pouvoir distinguer clairement l'euthanasie du refus de l'acharnement thérapeutique, car une définition extensive de l'euthanasie aurait notamment pour conséquence de soumettre, par exemple, le refus d'acharnement thérapeutique aux procédures prévues pour l'acte euthanasique proprement dit, ce qui n'est de l'intention de personne.

Un autre membre précise qu'il n'a jamais dit que l'acharnement thérapeutique rentrait dans ce type de définition. Historiquement, quand il s'est avéré, après une longue évolution, que l'acharnement thérapeutique devait être critiqué, le refus de celui-ci est sorti du champ d'application de cette définition.

L'intervenant visait plutôt le délai dans lequel le décès du patient survenait, et du fait qu'il s'agissait de donner intentionnellement la mort à quelqu'un qui la demande.

Le précédent intervenant répond qu'il souhaitait souligner la différence entre les deux types d'acte, non seulement en raison des conséquences qu'une confusion pourrait avoir en termes de procédure, mais aussi en raison de la différence fondamentale qu'il y a entre le fait de laisser un malade s'en aller avec le moins de souffrances et le plus de dignité possible, et le fait d'abréger sa vie intentionnellement.

Il est frappant de constater, dans les contacts et les débats que l'on peut avoir, que les gens redoutent avant tout l'acharnement thérapeutique, qui risque d'augmenter la douleur et l'inconfort au lieu de les réduire, et par conséquent, de porter atteinte à la dignité du malade.

Bien plus fréquente encore est la crainte de l'acharnement diagnostique : les gens craignent des examens complémentaires en matière de biologie clinique, de radiographie, de scanners, ..., qui pourraient être pratiqués. En effet, comme le disait trivialement le responsable d'un service de soins intensifs à Liège, lorsque les malades rentrent dans nos hôpitaux, ils sont, pour certains, considérés comme des « machines à sous ». Le financement de nos hôpitaux est actuellement organisé de manière telle que, pour pouvoir organiser leur budget, il faut qu'ils bénéficient d'un taux d'occupation suffisant, qu'un certain nombre d'examens soit pratiqué, etc.

Bien que ce phénomène soit connu, il n'est sans doute pas considéré comme l'un des problèmes centraux de la manière dont sont pratiqués les soins aujourd'hui, que ce soit en fin de vie ou non.

C'est tout l'aspect économique de la santé publique, et l'équilibre économique que l'on cherche à donner à nos hôpitaux, qui sont en cause.

Il s'agit là d'un enjeu majeur, à prendre en compte de manière centrale dans les discussions.

La crainte de l'acharnement diagnostique et thérapeutique est pour une part irrationnelle, mais pour une part aussi, fondée. Les patients ne souhaitent pas devoir subir une série de manipulations, d'interventions, d'actes techniques qui, du reste, ne constituent pas, la plupart du temps, une véritable thérapie. Il est d'ailleurs probable que les termes « acharnement thérapeutique » ne recouvrent qu'une faible partie de la problématique.

L'intervenant se demande s'il n'y aurait pas lieu de déposer un amendement à ce sujet, y compris sur la proposition qu'il a lui-même cosignée.

Parce que les médecins sont trop préoccupés par les enjeux économiques, en raison de la pression économique exercée par les hôpitaux, qui la subissent eux-mêmes de la part des autorités publiques, ils posent des actes absolument contraires à la déontologie et à une saine pratique médicale.

Certains médecins, et notamment les représentants de la société scientifique de médecine générale, ont rappelé que la demande d'euthanasie émane, dans une très large mesure, de personnes en fin de vie bien portantes qui craignent les conditions dans lesquelles pourrait se passer leur mort, et notamment l'acharnement thérapeutique et diagnostique.

Un deuxième point est relatif à la question de la liberté et de l'autonomie, comme principe et valeur fondamentale, proposée par certains par opposition au principe de la préservation et de la valeur suprême de la vie.

L'intervenant peut admettre que l'on oppose ces éléments, mais cette présentation des choses lui paraît quelque peu idéalisée.

Même dans les propositions des six auteurs de la majorité, ce principe de liberté et d'autonomie est immédiatement limité ­ et à juste titre ­ à des cas de souffrance importante et de maladie incurable.

On voit dès lors qu'il y a, en réalité, un principe premier sous-jacent, qui est celui de la protection de la vie, auquel on dérogerait dans certaines circonstances, en prenant appui sur certaines valeurs, certes importantes, mais considérées implicitement comme subsidiaires.

Par ailleurs, ce principe de liberté ne peut s'appliquer que s'il est lié à des principes, tout aussi importants, d'égalité et d'équité.

En outre, le principe de liberté connaît déjà des limitations, dans l'attitude que l'on peut avoir par rapport à son propre corps.

Ainsi, les mutilations sexuelles ne sont pas autorisées, et des propositions ont déjà été déposées pour renforcer l'interdit existant en la matière.

De même, un bien-portant ne peut entrer dans un cabinet médical pour demander, au nom de la liberté et de l'auto-détermination, à un médecin d'abréger sa vie.

Ces limites qui se présentent immédiatement n'ont rien à voir avec les clivages idéologiques que l'on évoque parfois.

La question de la violence de la société constitue, aux yeux de l'intervenant, une question fondamentale. Une société qui, par rapport à des personnes en fin de vie et en situation de détresse due à la souffrance, à la solitude et à l'isolement, proposerait la dépénalisation de l'euthanasie, sans garantir par ailleurs l'accès à des soins continus, l'égalité dans cet accès et la formation du personnel médical à cet effet, serait une société violente.

En ce qui concerne la sécurité juridique, l'intervenant estime que là encore, il serait très intéressant d'entendre les médecins. Ceux-ci, qui sont directement impliqués dans la question de l'euthanasie, paraissent être unanimes à considérer que la proposition des six auteurs de la majorité n'offre pas toutes les garanties sur le plan de la sécurité juridique.

Selon l'intervenant, cette sécurité est, en ce qui concerne le patient, tout à fait virtuelle, dans le cadre d'une procédure a posteriori.

Le pouvoir médical peut parfois, on l'a dit, être important, voire exorbitant.

C'est pourquoi il est important de faire prévaloir le principe d'interdisciplinarité, qui se pratique aujourd'hui sur le terrain. La médecine ne s'exerce plus comme il y a 20 ou 30 ans. On donne actuellement une grande importance à l'équipe du personnel soignant.

Il faut que les textes de loi ne mettent pas à mal cette réalité, qui revêt une importance particulière en matière d'euthanasie.

En dépénalisant celle-ci, on renforce le pouvoir exorbitant des médecins, puisque ce sera le seul corps social qui sera habilité, à travers le Code pénal, à poser cet acte.

Il faut réfléchir à ce surplus de pouvoir, et également au poids supplémentaire que l'on s'apprête ainsi à faire poser sur le médecin.

Enfin, l'arrêté royal que le groupe de l'intervenant propose de modifier a force de loi : il s'agit d'un arrêté royal numéroté, qui prévoit des sanctions. Il s'agit donc d'un texte qui, sur le plan juridique, a une valeur fondamentale.

À présent que la discussion générale touche à sa fin, un autre membre souhaite à nouveau souligner que les trois propositions de loi relatives à l'euthanasie, à la commission d'évaluation et aux soins palliatifs, déposées par des membres de six groupes différents, constituent un ensemble indissociable.

Au cours des dernières semaines, chacun des membres de la commission a eu l'occasion de donner, en toute franchise, son point de vue sur la question, que ce soit sur le plan juridique, éthique, mais surtout sur le plan profondément humain. Outre leur opinion personnelle, les membres ont pu traduire celle de leurs partis respectifs.

Si la commission s'est réunie à huis clos, elle n'a pas travaillé coupée du reste de la société. Les membres ont eu carte blanche pour témoigner, à titre personnel, des contacts qu'ils ont pu avoir avec le corps médical, le personnel soignant, les équipes de soins palliatifs et les patients eux-mêmes.

Depuis le début des débats, l'oratrice, comme les autres membres, a été submergée de prises de position émanant d'organisations et de personnes actives dans ce secteur. Depuis le début, la presse a relayé les débats sur l'euthanasie et exposé, dans le détail, les différentes prises de position.

La membre estime dès lors que ceux qui prétendent encore ne pas être suffisamment informés aujourd'hui n'ont pas fait leur travail au cours des dernières semaines. Ils se rallieront pourtant à la proposition des commissions d'organiser un certain nombre d'auditions supplémentaires. Celles-ci n'auraient de sens que si, à la lumière de ce qui précède, les personnes peuvent témoigner en toute liberté et s'exprimer sans aucune pression extérieure ni angoisse. Pour que les membres aient l'occasion de s'exprimer en toute franchise et sérénité, il importe que les auditions se tiennent à huis clos. On pourra ainsi répondre aux questions spécifiques auxquelles on n'a pas répondu à l'issue de tous ces débats.

La membre explique ensuite qu'aucun intervenant à ce débat, où il a été question de vie et de mort, n'est demeuré impassible. Il suffit de regarder autour de nous pour savoir que nous tenons tous à la vie. Il n'en demeure pas moins que la mort fait partie intégrante de la vie.

Pour certains, la mort arrive brutalement, sans s'annoncer. D'autres s'éteignent lentement, à la manière d'une bougie. La plupart des gens n'ont pas peur de mourir de cette façon.

Dans ce débat, il est pourtant question de tout autre chose. Nombreux sont ceux qui ont connu, parmi leurs amis ou leurs proches, des gens qui ont achevé leur existence dans des conditions atroces et pour qui les meilleurs soins ont été vains. Nous devons avoir du respect pour les patients qui refusent d'en arriver à de telles extrémités.

L'intervenante fait remarquer que les autres membres ont peut-être également reçu un dossier de la « Federatie Palliatieve Zorg Vlaanderen » dont elle partage entièrement les préoccupations. Il est de la responsabilité sociale du politique d'assurer à tous des soins palliatifs abordables. Dans l'intervalle, on s'est rendu compte qu'en ce domaine, comme sur le plan budgétaire et organisationnel, il y avait encore un long chemin à parcourir. Comme nous l'avons déjà signalé, il doit être clair que, dans l'optique des auteurs des trois propositions, ce point est indissociable d'une réglementation en matière d'euthanasie.

Cependant, une société humaine digne de ce nom doit s'intéresser aussi à ceux qui ne peuvent être aidés par le biais de soins palliatifs. Il s'agit principalement des patients qui endurent des souffrances constantes, insupportables et inapaisables, mais également de ceux qui vivent une situation de détresse parce que jugée sans issue et dégradante.

Au centre de cette problématique, il y a la demande bien réfléchie, répétée et persistante du patient. D'autres membres font remarquer que celui-ci doit prendre sa décision au moment où il se trouve dans un état de grande faiblesse. Il n'en demeure pas moins que ce patient formule sa requête en étant pleinement conscient et sait, mieux que quiconque, ce que ses souffrances représentent pour lui. Outre cela, qui peut s'arroger le droit de le contredire ?

L'oratrice fait remarquer que les propositions de loi visent à garantir la prise en compte des demandes du patient. Si d'autres membres estiment que cet objectif n'est pas parfaitement atteint ou que le patient doit bénéficier d'une meilleure protection, des amendements pourront être déposés et faire l'objet d'une discussion.

Elle affirme par ailleurs que, quelles que soient nos convictions philosophiques ou religieuses, nous sommes tous enclins à laisser un patient au stade terminal s'en aller doucement et sereinement. Le plus souvent, nous nous imaginons qu'il s'agit d'une personne âgée endurant une longue et pénible maladie. Ne perdons cependant pas de vue qu'il peut s'agir d'individus jeunes, brutalement confrontés à une situation où ils sont physiquement en vie mais incapables d'accomplir une série de fonctions essentielles. À partir du moment où leur situation est sans issue et devient insupportable pour eux, qui a le droit de refuser d'abréger leur existance ?

Un orateur précédent cite Simone de Beauvoir, qui a écrit que l'homme dispose de sa propre vie mais que d'autres doivent supporter sa mort. Il s'agit, par exemple, des membres de la famille d'un patient à l'article de la mort, contraints d'assister à la déchéance d'un être cher qui endure des souffrances jusqu'à l'avilissement pour constater, impuissants, que l'on ne peut répondre à son appel de pouvoir partir dans la dignité.

Au cours d'une réunion antérieure, un membre a exprimé la crainte que l'autorisation de l'euthanasie ne porte atteinte à l'universalité du droit de la vie. Il doit être clair qu'aucun participant à ce débat ne remet ce droit en question. Il n'en demeure pas moins qu'un patient ne peut être contraint à vivre dans des conditions contraires à la dignité humaine. En d'autres termes, si nous disposons tous du droit fondamental à la vie, nous avons aussi droit à une mort digne. Si l'homme est un être social, il est vrai qu'il dispose également du droit à l'autodétermination en vertu duquel il ne peut être contraint à survivre dans des conditions contraires à la dignité humaine.

L'oratrice évoque ensuite les propositions de loi à l'ordre du jour. L'enquête universitaire précitée, ajoutée à un certain nombre d'événements tels que ceux qui ont eu lieu à Liège, font conclure à la nécessité d'une réglementation légale en la matière, quoi que puisse prétendre une partie de l'Ordre des médecins. Au sein même de cet ordre, certains groupes plaident d'ailleurs en faveur d'une législation claire axée sur un certain nombre de principes.

L'homme a le droit de disposer de sa vie en certaines circonstances. Il n'en demeure pas moins que ce droit doit être subordonné à un certain nombre de critères de prudence. À ce propos, tant dans les médias qu'en commission, on a laissé entendre que la proposition déposée par des membres des groupes de la majorité avait été rédigée à la légère et dans la hâte.

L'oratrice réfute cette critique qui résulte d'une lecture trop superficielle du texte :

­ Le patient n'est pas mis devant l'obligation de choisir entre les soins palliatifs et l'euthanasie.

­ Avant de prendre sa décision, il a le droit de consulter non seulement son médecin, mais tout son entourage, y compris le personnel soignant. C'est d'ailleurs pourquoi le personnel à l'écoute du patient doit être en nombre suffisant, non seulement dans les services de soins palliatifs mais également dans les services hospitaliers ordinaires.

­ Le texte prévoit des règles précises destinées à protéger le patient des pressions de son entourage et à lui garantir qu'il sera pleinement informé de sa situation avant qu'il ne formule sa demande.

­ Le texte offre au médecin la sécurité juridique nécessaire. Nous devons à tout prix éviter des situations telles que l'affaire du médcecin liégeois poursuivi en justice pour avoir accepté de pratiquer une euthanasie par empathie envers son patient.

La proposition de loi accorde une place importante à la déclaration de volonté. Certains membres ont du mal à l'accepter, notamment parce qu'ils estiment que personne ne peut imaginer les conditions dans lesquelles il vivra ses derniers moments. La déclaration de volonté est toutefois davantage que la demande formulée par un individu qui souhaite en finir avec la vie au moment où il aura sombré dans l'inconscience. La personne décide, de préférence en concertation avec son médecin, du traitement à mettre en oeuvre dans certaines circonstances. Comme nous l'avons déjà évoqué au cours de cette discussion, il existe un large éventail de possibilités (refus de l'acharnement thérapeutique, arrêt du respirateur, antidouleurs puissants, etc.).

Bien qu'elle estime personnellement que la proposition de loi offre suffisamment de garanties sur ce plan, l'oratrice peut comprendre que ceux qui souhaitent renforcer les critères de prudence dans le cadre de l'exécution de la déclaration de volonté déposent des amendements à cet effet.

Elle estime dès lors que la proposition de loi nº 2-244/1 contient des règles claires, applicables en matière d'euthanasie, offrant la sécurité juridique voulue tant pour le médecin que pour le patient. Certains pencheraient plutôt en faveur de la proposition de loi nº 2-105/1, initialement déposée par l'intervenante. L'oratrice n'est cependant pas de cet avis. Dans l'article qui a été transmis aux commissions, le professeur Adams de l'UFSIA a souligné les problèmes pratiques que pouvait poser la mise en oeuvre de cette proposition de loi. Le texte de cette proposition s'inspirait largement de la réglementation actuellement en vigueur aux Pays-Bas, où l'euthanasie demeure dans une zone floue en raison de la trop grande complexité de la procédure imposée.

Elle estime en outre que, bien qu'elle offre la sécurité juridique nécessaire au médecin, la proposition de loi nº 2-244/1 ne peut en aucun cas mettre celui-ci dans l'obligation de pratiquer une euthanasie.

L'un des principaux points de dissension apparus au cours de ce débat concerne la question de savoir s'il vaut mieux dépénaliser l'euthanasie ou recourir à la technique juridique de l'état de nécessité qui ne dépénalise pas mais règle l'euthanasie active. Sur le plan juridique, la proposition de loi opte pour la dépénalisation, l'euthanasie étant subordonnée au respect de critères stricts de prudence. Comme l'a fait remarquer un autre membre, ces critères sont d'ailleurs fort proches de ceux figurant, par exemple, dans la proposition de loi de M. Vandenberghe et consorts.

Les commissions ne doivent dès lors pas trop se laisser influencer par des communiqués de presse où l'on souligne trop les dissensions et trop peu les possibilités de compromis. En outre, évoquer certaines choses totalement étrangères à la question, comme la situation en Allemagne au début du siècle, le suicide ou les peines de prisons à vie, n'est pas de nature à favoriser le débat.

L'oratrice rappelle qu'un membre a évoqué la manière dont le président Mitterrand a vécu ses derniers moments. Indépendamment du fait que le président qui, souffrant d'un cancer à évolution lente, a pu naturellement bénéficier des meilleurs soins et recevoir semble-t-il des euthanasiants dans la dernière phase de sa maladie, il est dangereux de tirer des conclusions générales à partir d'un cas individuel de ce type. On pourrait en effet opposer à l'exemple de Mitterrand des milliers d'autres cas qui donneraient lieu à des conclusions inverses.

L'oratrice conclut que, malgré les divergences de vue, on a assisté au sein de la commission à un certain nombre de rapprochements qui ne transparaissent pas toujours suffisamment du débat. En premier lieu, il y a la conviction qu'une disposition légale doit voir le jour afin de protéger et d'offrir une sécurité juridique au patient en fin de vie. Outre cela, il y a le respect des valeurs universelles sur lesquelles repose notre société. Il s'agit bien évidemment du droit à la vie qui ­ et cela doit être clair ­ a la même importance pour tous les membres de cette commission. À côté de cela, il y a le droit de vivre dans conditions conformes à la dignité humaine et de ne pas subir des traitements dégradants.

L'oratrice espère qu'à partir de ces principes extrêmement importants, les commissions pourront parvenir à une réglementation bénéficiant d'un large consensus. Ce doit être également un signal que le Sénat, en sa qualité de chambre de réflexion, est en mesure d'aborder cette problématique avec toute la sérénité et la maturité voulues.

Un autre membre constate que le point commun des démocrates qui composent les commissions réunies est d'être des chercheurs en humanité, qui s'efforcent de trouver une voie face à des problèmes extrêmement difficiles.

Il est vrai que la liberté et l'autonomie individuelle ont leurs limites en matière de santé. Les exigences de la santé publique et de la solidarité collective peuvent l'emporter sur cette liberté et cette autonomie. L'obligation de la vaccination contre la poliomyélite, les examens de médecine scolaire et de santé au travail, l'interdiction de conduire un véhicule pour les personnes souffrant de certaines affections en sont des exemples. Le but de préserver la santé collective prime, dans certains cas, sur la liberté individuelle.

Ces obligations et interdictions sont, bien sûr, reprises dans des lois.

Quant au choix libre du patient en ce qui concerne sa fin de vie, il faut éviter, selon l'intervenant, les expressions qui pourraient faire croire qu'il y a une façon digne de mourir.

Ce qui est digne relève du choix de la personne. La question est peut-être de savoir si ce choix met, à quelque niveau, en danger la santé collective ou un bien collectif.

Si tel n'est pas le cas, il faut que la personne qui estime que sa dignité est atteinte et qui veut mettre un terme à ses souffrances puisse être aidée, dans les conditions qui sont prévues par la loi.

E. PRÉSENTATION DE PROPOSITIONS DE LOI RELATIVES AUX SOINS PALLIATIFS

a) Proposition de loi visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs et fixant le cadre de la pratique des soins palliatifs (de Mme Nyssens et consorts); nº 2-249/1

Exposé introductif de l'auteur principal de la proposition de loi

L'intervenante se réfère tout d'abord à l'exposé d'une précédente oratrice, relatif aux origines et à l'histoire des soins palliatifs.

Elle souligne que cette discipline évolue de façon rapide dans d'autres États, notamment l'Espagne et le Canada.

Il existe depuis plusieurs années une association européenne des soins palliatifs, qui se réunit annuellement et où des informations actualisées peuvent être obtenues sur l'évolution des soins palliatifs en Europe.

L'objectif de la proposition de loi sur les soins palliatifs est de faire le point sur cette matière en Belgique.

Pourquoi une loi, alors que tant de textes, et notamment d'arrêtés royaux, existent, et que différents niveaux de pouvoir sont concernés ?

Les gens de terrain souhaitent que l'on fasse état d'une philosophie des soins palliatifs, et que l'on conserve un maximum de diversité dans l'éventail de ce qui est proposé et dans les divers lieux où les soins sont dispensés. Ils souhaitent disposer d'une loi-cadre fixant les principes généraux de la philosophie qui sous-tend les soins palliatifs, car il s'agit d'une matière complexe.

En ce qui concerne tout d'abord l'objectif des soins palliatifs, et au vu du terrain, on constate que ceux-ci sont de plus en plus reliés à la médecine curative en général.

Peut-être leur développement est-il l'occasion d'humaniser d'autres domaines de la médecine, de revoir la manière dont nos établissements de soins sont organisés et de moderniser la culture en matière médicale.

Les soins palliatifs visent à accompagner d'une manière tout à fait personnalisée les personnes en fin de vie, à reconnaître l'existence de leur souffrance, que celle-ci soit physique ou psychique. La médecine palliative intervient là où s'arrête la médecine curative.

L'approche interdisciplinaire et concertée ­ ce que l'on appelle l'éthique de la discussion ­ c'est-à-dire non seulement le dialogue du médecin avec le patient, mais aussi le dialogue avec le personnel soignant, et les infirmières en particulier, les kinésithérapeutes et paramédicaux qui entourent les personnes en fin de vie, la famille et les proches, caractérise les soins palliatifs.

C'est par cette éthique de la discussion que l'on arrivera à une démocratisation du pouvoir médical, que les jeunes générations de médecins et d'infirmières souhaitent introduire dans le monde médical.

Trop souvent, la hiérarchie dans les établissements de soins est encore très classique et fort contraignante pour ceux qui se trouvent au bas de l'échelle. Les réactions récentes des infirmières en sont un signe évident.

Le texte propose une définition large des soins palliatifs, dans l'optique de soins continus, voire de médecine intégrée avec la médecine curative.

Sur le terrain, là où existe déjà une culture palliative, il existe une large demande en vue d'opérer le lien avec la médecine curative et la médecine en général.

On pourrait sans doute aussi, dans la proposition ou dans la discussion, faire le lien avec l'euthanasie. Ce sujet a déjà été traité précédemment.

Il est vrai que des définitions des soins palliatifs existent déjà dans divers arrêtés royaux, mais peut-être est-ce l'occasion de les élargir. La définition contenue dans la proposition de loi peut, bien entendu, être amendée.

La proposition a pour objectif l'inscription dans une loi-cadre d'une série de principes qui doivent gouverner la pratique des soins palliatifs.

Il s'agit :

­ du droit pour tous aux soins palliatifs; il s'agit bien d'un droit et non d'un passage obligé pour le patient. Mais c'est un devoir pour le corps médical de proposer l'approche palliative;

­ du principe de liberté de choix du patient et du respect des convictions de chacun;

­ du droit à des soins palliatifs de qualité (ce qui implique une formation adéquate du personnel, où différents niveaux de pouvoirs sont impliqués);

­ du droit pour les soignants à un accompagnement. La pratique révèle en effet la détresse des soignants qui, quel que soit le lieu où les soins sont prodigués, ne disposent ni de la formation ni de l'accompagnement nécessaire pour les administrer;

­ du droit à des bénévoles. La plupart des lieux où l'on pratique des soins palliatifs fonctionnent grâce à un apport important des bénévoles. Ceux-ci doivent eux aussi être préparés et formés.

Les auteurs de la proposition souhaitent que l'État fédéral prenne ses responsabilités politiques (par la conception d'un plan général de soins palliatifs) et budgétaires.

C'est pourquoi ils aimeraient discuter le texte avec les ministres concernés.

La loi-cadre proposée reprend en grande partie des arrêtés royaux existants et, en maints endroits, met l'accent sur les financements, qui restent insuffisants, et non structurellement organisés.

L'intervenante met ensuite en évidence les points sur lesquels les auteurs de la proposition souhaiteraient qu'il y ait une prise de conscience politique, pour que des progrès supplémentaires puissent être réalisés.

Le dernier arrêté royal, en vigueur depuis le premier janvier, montre le chemin déjà parcouru en la matière.

Le droit de chacun à bénéficier des soins palliatifs suppose que l'on définisse la notion de patient palliatif.

Actuellement, cette notion est définie par le collège des médecins-directeurs de l'INAMI. Les auteurs de la proposition souhaiteraient que cette définition soit inscrite dans une loi, en ce compris, le cas échéant, une indication de la durée que cela implique, même si cela paraît très difficile.

Les unités de soins palliatifs fournissent à cet égard des moyennes statistiques.

L'intervenante souhaite interroger le ministre sur la possibilité de définir une moyenne, susceptible de servir à des évaluations budgétaires.

En ce qui concerne les différents lieux où se pratiquent les soins palliatifs et les divers acteurs qui interviennent en la matière, l'intervenante attire l'attention sur l'existence des plates-formes des soins palliatifs, associations et fédérations existant dans les différentes régions.

Ces plates-formes proposent des modifications. Elles font l'effort d'évaluer et de coordonner tout ce qui existe sur le terrain.

Il serait bon que les commissions réunies relisent les revendications de ces plates-formes, associations et fédérations, pour voir si leurs attentes seront comblées par le texte qui sera voté.

Il convient, dans une loi-cadre, de définir précisément les missions des plates-formes en question.

Elles donnent des avis sur les offres et besoins en matière de soins palliatifs dans la région, coordonnent les activités palliatives, se concertent avec d'autres associations, et surtout forment les acteurs en soins palliatifs. Elles constituent donc l'interlocuteur privilégié des autorités publiques.

Il leur appartient d'évaluer les pratiques actuelles et, en collaboration avec les régions, de faire les demandes nécessaires aux différents pouvoirs publics pour pouvoir améliorer leurs missions, peut-être les préciser, et recevoir des subsides plus importants, comme elles le demandent.

Actuellement, chaque plate-forme reçoit environ 1 250 000 francs par 300 000 habitants, majorés de la même somme si l'on atteint une tranche supplémentaire de 300 000 habitants. On peut s'interroger sur ces chiffres et sur ce financement.

Le premier lieu où les citoyens demandent que la prise en charge des patients ait lieu est, bien sûr, le domicile.

Dans certaines provinces de notre pays, comme la province de Luxembourg, 60 à 70 % des personnes meurent à domicile.

Cette proportion est beaucoup moins grande dans les villes. Il faut favoriser au maximum le décès à domicile, parce que celui-ci est conforme au voeu de la majorité des personnes.

La culture palliative montre qu'il y a de plus en plus d'allers-retours entre les hôpitaux, les unités résidentielles de soins palliatifs et le domicile.

Dans une culture évolutive des soins palliatifs, il y a moyen, non seulement, de laisser un maximum de gens à domicile, mais peut-être aussi d'organiser des allers-retours plus fréquents.

Dans la province de Luxembourg, la manière dont les soins à domicile sont organisés, avec des équipes de soutien, les formations suivies à l'étranger, etc., constitue un modèle qu'il serait intéressant d'étudier.

Un membre fait observer que, dans cette province, on a en fait créé deux plates-formes, parce que l'on n'a pas pu trouver un accord pour créer une plate-forme pluraliste. L'intervenant retient de ce qui vient d'être dit que l'on aura peut-être intérêt à pratiquer de la même façon dans les autres provinces, pour atteindre une efficacité réelle, en « pilarisant » en quelque sorte les soins palliatifs.

L'oratrice répond que son raisonnement ne se situait pas dans ce registre, mais qu'elle souhaitait plutôt mettre en évidence le fonctionnement de la culture palliative, notamment à domicile, dans la province de Luxembourg.

En quelques années, la culture palliative a considérablement évolué. Il ne s'agit donc pas du tout d'un concept figé, car les expériences s'affinent.

Si l'on garde les patients à domicile, il faut évidemment prévoir un forfait. À cet égard, les auteurs de la proposition se réjouissent du montant du forfait publié au Moniteur belge du 30 décembre 1999.

Ils souhaitent un financement plus important, et de nature structurelle, avant tout pour les équipes de soutien (équipes de deuxième ligne, équipes pluridisciplinaires venant en appui des soignants qui interviennent en première ligne à domicile).

Actuellement, le forfait pour ces équipes de soutien est calculé sur une base de 150 patients, avec un supplément au-delà de cette limite.

On pourrait discuter aussi du nombre de patients, des zones géographiques sur lesquelles on travaille.

L'intervenante aimerait aussi savoir dans quel cadre budgétaire on peut imaginer d'augmenter le financement.

Les chiffres avancés dans le cadre de la proposition de loi constituent des indicateurs, qui devraient être testés quant à leur praticabilité, au regard des marges de manoeuvre budgétaires dont on dispose.

Il faudrait aussi débattre de la manière dont les équipes de soutien sont financées par l'INAMI sur base de conventions.

Au départ, des expériences-pilotes ont eu lieu. Aujourd'hui, ces conventions sont rodées. On demande qu'elles ne soient pas revues aussi souvent et qu'elles ne puissent être rompues aussi fréquemment. Il faudrait donc que les motifs de rupture soient moins larges, que la durée des conventions soit indéterminée, et que l'on en arrive à un financement structurel, au lieu d'un financement dépendant d'une négociation avec l'INAMI.

La proposition reprend sur certains points le contenu des arrêtés royaux et va plus loin sur d'autres, en ce qui concerne les conditions d'agrément des équipes de soutien.

Elle insiste aussi sur la composition de toutes ces équipes et tend à un élargissement des profils des personnes qui en font partie.

La concertation des équipes de soutien avec la première ligne fonctionne plus ou moins bien selon les cas. Elle devrait être mieux organisée et la loi devrait préciser quelles sont les missions de chacun, afin que première et deuxième ligne agissent en concertation, et non en compétition.

En ce qui concerne la composition des équipes, la proposition demande plus d'infirmiers, plus de personnel administratif et que le médecin généraliste qui gère l'équipe soit mieux rémunéré (prise en compte de six heures de travail, au lieu de quatre).

Elle demande aussi que les équipes soient renforcées en kinésithérapeutes, assistants sociaux et conseillers spirituels ou autres.

La proposition prévoit aussi que ces équipes devraient travailler 24 heures sur 24, qu'une formation continue devrait être prévue pour tous ces acteurs, que des réunions interdisciplinaires hebdomadaires devraient être organisées.

Il faut éventuellement être attentif à ce que représente la charge du patient dans le coût des interventions à domicile.

Le droit théorique de tout patient aux soins palliatifs risque de rester lettre morte s'il ne dispose pas d'une aide financière.

Actuellement, il ne doit pas payer de ticket modérateur, mais les auteurs de la proposition proposent d'aller plus loin en ce qui concerne l'intervention de l'INAMI dans la prise en compte des visites et des consultations des médecins généralistes ou spécialistes, des infirmiers et des paramédicaux qui passent à domicile.

Il est suggéré que toutes ces interventions soient prises en charge à 100 % par l'INAMI.

Là aussi, une évaluation budgétaire et un dialogue avec le ministre seraient nécessaires.

À côté du domicile, les soins palliatifs s'exercent bien évidemment dans une série d'autres lieux, et notamment dans les unités de soins palliatifs des hôpitaux.

Dans notre pays, selon le choix de l'hôpital, les soins palliatifs sont dispensés soit dans le cadre d'une unité spécialisée, soit en équipes mobiles. Pour les hôpitaux qui ont opté pour la première solution, des efforts financiers sont également nécessaires, notamment en augmentant la rémunération du médecin qui dirige l'unité et qui est à la fois un coordinateur et un directeur.

Actuellement, cette rémunération n'est pas suffisante. La norme de personnel infirmier reconnue ne l'est pas davantage.

Comme indiqué, une autre manière de dispenser des soins palliatifs en hôpital est d'exercer cette fonction de manière générale.

En principe, la fonction palliative en hôpital est obligatoire. Elle est rémunérée à raison de ± 750 000 francs par hôpital de plus de 500 lits.

Les directeurs (gestionnaires) d'hôpitaux soulignent que ce financement n'est pas suffisant. Les hôpitaux qui ont vraiment décidé d'instaurer une fonction palliative insistent sur la nécessité de moyens et de formation supplémentaires.

En outre, un endroit que l'on néglige peut-être est le secteur des maisons de repos et de soins. Aucun financement pour les soins palliatifs n'est prévu dans ce secteur, bien qu'il existe un texte invitant les maisons de repos et de soins à développer une fonction palliative. Les rares établissements qui l'ont fait doivent puiser pour cela dans des budgets non destinés aux soins palliatifs.

Les directeurs de ces maisons lancent un appel pressant à plus de moyens.

Une proposition de loi-cadre ne peut avantager un lieu ou un autre. La proposition a le mérite de poser le problème. Elle suggère que le financement soit conçu de la même manière que pour les personnes soignées à domicile, car il existe une similitude entre ces deux situations.

En conclusion, l'intervenante souligne la technicité et la complexité de la proposition.

Il est vrai que, pour le législateur fédéral, il n'est pas facile de légiférer, puisque plusieurs niveaux de pouvoirs sont impliqués : des arrêtes royaux régissent la matière, les régions accordent des subsides, tandis que la formation dépend des communautés et peut-être aussi de l'organisation même des médecins, puisque ce sont eux qui, actuellement, vont à l'étranger pour suivre une formation, et la transmettent ensuite à ceux qui le souhaitent.

Le fait de rassembler tous ces éléments dans une proposition de loi-cadre permettrait à chacun de se situer et, surtout, de développer la culture palliative et de rattraper notre retard par rapport à certains pays voisins. On donnerait ainsi une réponse ­ certes partielle ­ à la problématique de l'euthanasie.

Un membre constate que la proposition propose un plan global qui augmente considérablement les dépenses consacrées aux soins palliatifs. Il demande si les auteurs du texte ont chiffré les effets de celui-ci et sinon, s'il n'y aurait pas lieu de le faire.

L'oratrice répond que, comme elle l'a dit à plusieurs reprises au cours de son exposé, elle aurait souhaité que les ministres compétents soient présents, car chiffrer de façon précise les propositions formulées suppose une expertise particulière.

Le coût de la proposition de loi, telle qu'elle est actuellement rédigée, est très important, par rapport au budget actuellement consacré à la matière.

Actuellement, notre pays compte 360 lits en soins palliatifs, dont 140 pour la Wallonie.

Les acteurs de terrain estiment ce chiffre insuffisant. Il est dès lors proposé d'augmenter les soins palliatifs, dans des limites qui paraissent raisonnables aux auteurs de la proposition.

Il est par exemple demandé en matière de soins palliatifs à domicile, que le versement de l'allocation forfaitaire récemment augmentée puisse être répété plus de deux fois, compte tenu du fait que la durée moyenne de vie dans les lieux de soins palliatifs varie de quelques jours à quatre mois.

Une autre technique consiste à disposer d'une évaluation de chaque lieu et de voir si les moyennes proposées correspondent aux besoins actuels en lits palliatifs. Mais il est clair que 360 lits ne suffisent pas pour toute la Belgique.

Bien qu'elle estime qu'il n'appartient pas à un parlementaire de faire l'évaluation budgétaire demandée, l'intervenante propose de communiquer les chiffres qui lui ont été transmis par les plates-formes et fédérations qui travaillent sur le sujet.

Il faudrait que le ministre compétent collabore à l'évaluation, sur la base des données dont pourraient disposer les régions.

L'INAMI devrait aussi être un interlocuteur dans le débat.

Un précédent intervenant estime que l'on ne peut à la fois présenter des chiffres bien précis et considérer qu'il n'appartient pas aux auteurs de la proposition de chiffrer celle-ci.

En ce qui concerne les régions et communautés, les parlementaires y ont suffisamment de relais pour que le travail nécessaire puisse être initié dans les organes compétents de ces pouvoirs.

Un autre membre se réjouit que trois propositions de loi aient été déposées par les six auteurs de la majorité, en ce compris une proposition de loi particulière sur les soins palliatifs. En effet, sur le plan institutionnel, la proposition qui vient d'être commentée suscite, de par son libellé, une série de problèmes évidents, puisque les divers niveaux de pouvoir sont mélangés.

Le risque est grand, lorsqu'on reprend, dans une large proposition, des éléments qui relèvent des communautés, que le texte soit écarté au seul motif que le législateur fédéral n'est pas compétent sur certains points.

L'intervenant se réjouit également que nombreux soient ceux qui s'intéressent, depuis un certain temps déjà, aux soins palliatifs et à leur développement. Il n'est cependant pas convaincu qu'il soit du rôle du législateur de faire un travail aussi affiné que celui de la proposition qui vient d'être commentée, sur certains points qui relèvent plutôt de la compétence du gouvernement.

Enfin, l'intervenant fait observer à quel point il est difficile de créer des structures que l'on qualifie de pluralistes.

Ainsi, la tentative de créer en province de Luxembourg une plate-forme en matière de soins palliatifs a abouti à un constat d'impossibilité, de sorte que deux plates-formes ont dû être créées.

De même, il y 10 ans, l'intervenant a proposé, à propos d'une structure palliative naissante, la création d'un pouvoir organisateur pluraliste. Il a réitéré sa demande une seconde fois. Jamais il n'a obtenu de réponse.

Il existe actuellement des unités de soins palliatifs, qui se qualifient toutes de pluralistes, mais dont le pouvoir organisateur ne l'est pas.

Le problème n'est donc pas simple. Il est par ailleurs très difficile, pour le législateur fédéral, de faire le tri entre ses propres compétences et celles des régions et des communautés.

Mieux vaut ne pas aller trop loin dans la réglementation, à peine d'entraver le processus que l'on veut précisément favoriser.

Comme le fait remarquer un membre, ce débat a mis en évidence le consensus apparu au sein des commissions selon lequel tous les patients doivent pouvoir bénéficier de la même manière du savoir en matière de lutte contre la douleur, du soulagement moral et de l'accompagnement humain. Le Sénat n'est plus compétent en matière de budget ni de contrôle politique du pouvoir exécutif. Il va de soi qu'il ne peut intervenir dans les compétences des communautés. Par contre, il revient au Sénat d'examiner la question des soins palliatifs et de proposer des dispositions légales à ce sujet.

À ce propos, le Sénat doit consacrer aux soins palliatifs davantage qu'une simple annexe à une loi relative à l'euthanasie et faire plus que de belles déclarations politiques reprenant une série d'intentions. Nul ne peut contester le fait qu'une loi en matière d'euthanasie fait peser une pression morale sur le patient. Le Sénat agirait à la légère en n'élaborant pas une réglementation qui obligerait le gouvernement à dégager, à très court terme, les moyens nécessaires au développement des soins palliatifs et à la mise sur pied d'un système accessible à tous. La répartition des compétences sur ce plan ne peut pas être, pour le Sénat, une raison de ne pas faire un effort maximum en ce qui concerne la mission qui lui revient et de ne pas mettre toute la pression sur le pouvoir exécutif.

Un autre membre souligne, une fois de plus, que les propositions de loi relatives à l'euthanasie et aux soins palliatifs, déposées par des membres de six groupes, sont équivalentes et indissociables. Nous ne pourrions d'ailleurs pas présenter les choses de la même manière si l'une des propositions était une « annexe » de l'autre, comme pourraient le faire croire certaines rumeurs, entendues en dehors du Sénat, que l'on aura bien du mal à démentir.

Il est clair qu'un système de soins palliatifs ne peut être développé qu'avec la collaboration des communautés. Il appartient aux membres de cette commission de prendre également des initiatives dans ce sens. Du reste, si nul ne met en doute la nécessité d'un système solide et accessible à tous en matière de soins palliatifs, il faut néanmoins accepter de reconnaître que ce système ne peut offrir de réponse à la souffrance de certains patients.

L'oratrice cite par ailleurs un projet de résolution en matière de soins palliatifs qu'elle a elle-même cosigné (doc. Sénat, nº 2-106/1). Ce projet a naturellement été remplacé par la proposition de loi nº 2-446/1 qui ancre légalement le droit aux soins palliatifs.

L'intervenante précédente déclare ne pas douter un seul instant des intentions des auteurs des propositions de loi. Il n'en demeure pas moins qu'il y a une nette différence entre ces deux propositions. Une fois qu'elle sera votée, la proposition de loi relative à l'euthanasie pourra pratiquement aussitôt entrer en vigueur. À l'opposé, dès le moment où la proposition de loi relative aux soins palliatifs paraîtra au Moniteur belge, il restera à développer tout un système. Ceux qui prennent cette proposition au sérieux mettront d'ailleurs tout en oeuvre pour inciter le pouvoir exécutif et les communautés à assumer, à court terme, leur part de responsabilité.

b) Proposition de loi visant à instaurer le droit à l'accès aux soins palliatifs et à améliorer la pratique des soins palliatifs (de Mme Ingrid van Kessel et consorts); nº 2-402/1

L'auteur principal de la proposition de loi visant à instaurer le droit à l'accès aux soins palliatifs et à améliorer la pratique des soins palliatifs (doc. Sénat, nº 2-402/1) souligne que personne ne met en doute l'importance des soins palliatifs. Cela ressort clairement des auditions préalables à la discussion de la proposition de loi relative à l'euthanasie (doc. Sénat, nº 2-244/1 et suivants).

Un élément crucial de la proposition de loi nº 2-402 est d'ériger le droit aux soins palliatifs en principe. L'intervenante constate à sa grande joie que c'est également le cas dans la proposition de loi nº 2-246. En revanche, le plan fédéral en matière de soins palliatifs n'envisage que les soins palliatifs à la demande du patient en phase terminale. Cela signifie que selon le plan fédéral, les soins palliatifs ne sont garantis qu'à ceux qui vont bientôt mourir. L'intervenante estime que les soins palliatifs doivent être garantis aux patients incurables. Cette acceptation plus large est aussi retenue dans la proposition de loi nº 2-246.

L'intervenante trouve qu'il est essentiel de souligner que tout patient incurable a accès aux soins palliatifs qu'il soit ou non susceptible de mourir rapidement. On peut conclure des auditions organisées dans le cadre de la problématique de l'euthanasie que les soins palliatifs ne se limitent pas aux soins terminaux et sont bien plus larges.

L'intervenante pense par ailleurs qu'il existe une différence entre les propositions de loi dont on débat ici quant au contenu des soins palliatifs. Selon le plan fédéral, les soins palliatifs font certes partie de l'ensemble des soins de santé, mais ils se limitent aux aspects principalement matériels. Bien que personne ne conteste que l'augmentation du budget consacré aux soins palliatifs soit un pas important dans la bonne direction, il faut, selon l'intervenante, souligner que les soins palliatifs recouvrent aussi des soins immatériels comme les soins de confort psychologique ou l'encadrement spirituel. La proposition de loi nº 2-246 se penche à juste titre, sur l'encadrement familial. La sénatrice fait référence à la crainte qui s'est exprimée lors de la discussion des différentes propositions de loi relatives à l'euthanasie, à savoir que des demandes d'euthanasie ne soient formulées sous la pression. Le fait d'impliquer la famille dans la phase palliative du patient peut faire disparaître cette pression sociale ou familiale.

L'intervenante fait référence à la disposition de la proposition de loi nº 2-246 qui impose une obligation de résultat au gouvernement. Elle estime qu'il faut éviter que ne surgisse une différence de coût financier entre, d'une part, les patients admis dans un hôpital ou une maison de repos et de soins et, d'autre part, les patients qui veulent être soignés à domicile et y mourir. Il est positif que la concrétisation de cette obligation de résultat soit laissée au gouvernement qui s'y est d'ailleurs déjà attelé sur la base de son plan palliatif. Certaines questions restent néanmoins ouvertes, pour lesquelles certaines clarifications sont souhaitables.

Actuellement, il est possible d'obtenir un forfait pour soins à domicile de 19 500 francs pendant une période de 30 jours que l'on peut éventuellement prolonger jusque deux mois. Cette période est assez courte. Le ministre des Affaires sociales est en principe d'accord sur ce point et a plaidé, lors des auditions d'octobre 2000 au Sénat, en faveur d'une évaluation de cette réglementation au début de l'année 2001. À la Chambre des représentants, le ministre a cependant déclaré que l'évaluation n'aurait lieu qu'à la fin de 2001. C'est particulièrement regrettable vu qu'une prolongation de cette période permettrait à bien des personnes de choisir délibérément de mourir à la maison. Le délai actuel de deux mois rend ce choix particulièrement difficile puisqu'il faut réellement rentrer la demande au moment précis. Par conséquent, l'intervenante souhaite une prolongation jusqu'à six mois de la période pendant laquelle on a droit au forfait pour soins à domicile.

Le deuxième élément à clarifier est en rapport avec l'extension des équipes de soins à domicile. Il est essentiel d'associer le médecin traitant aux soins du premier échelon. Les équipes de soins à domicile doivent aussi pouvoir s'en remettre le plus possible au médecin traitant. L'avis du spécialiste de la douleur pourrait aussi contribuer à améliorer le fonctionnement des équipes de soins à domicile.

En ce qui concerne la fonction palliative des MRS et des MR, l'intervenante reconnaît que des étapes positives ont déjà été franchies. Néanmoins, elle souligne que des possibilités de soins palliatifs doivent exister quel que soit l'endroit où des personnes souhaitent mourir. Ces possibilités laissent par exemple fort à désirer dans les maisons de soins psychiatriques. Pourtant, il faudrait là aussi que le droit à l'accès aux soins palliatifs s'applique sans délai.

La sénatrice met ensuite en évidence les problèmes actuels relatifs aux suppléments d'honoraires pour les personnes admises dans l'unité de soins palliatifs d'un hôpital. Les accords conclus au sein de l'INAMI entre médecins et patients n'apportent pas de réponse claire à la question de savoir s'il est possible ou non de demander un supplément d'honoraires pour ces personnes. Il est essentiel que le législateur donne un signal fort pour indiquer qu'un tel supplément est exclu.

En outre, l'intervenante pense aussi que l'unité de soins palliatifs d'un hôpital doit également pouvoir avoir recours à un spécialiste de la douleur. La lutte contre la douleur est en effet un élément essentiel des soins palliatifs.

L'intervenante conclut en signalant qu'un hôpital confronté à des difficultés financières procède souvent à des coupes claires dans les dépenses des unités psychiatriques et gériatriques étant donné que ces unités ne pratiquent que peu d'actes médico-techniques. En effet, les hôpitaux bénéficient d'un très bon financement pour de tels actes. On peut aussi craindre que les unités de soins palliatifs des hôpitaux ne soient aussi les premières à faire les frais des opérations d'assainissement étant donné qu'il s'agit également d'unités « qui ne rapportent rien ». Pourtant, c'est sans doute dans cette unité que le patient est le plus faible. La sénatrice propose d'évaluer cette question au sein des Commissions réunies, en concertation avec la Fédération des soins palliatifs.

F. AUDITIONS

Au cours de la discussion, certains membres ont formulé la suggestion que l'on procède à une série d'auditions.

Au terme d'un large échange de vues, les commissions réunies se sont ralliées à cette suggestion, estimant que, vu la nature extrêmement délicate de la matière, leurs travaux pourraient être éclairés par la consultation de représentants des divers secteurs concernés par une législation en matière d'euthanasie et de soins palliatifs.

Les commissions réunies ont donc établi une liste de personnes de formations et d'horizons divers, parmi lesquelles des acteurs de terrain, médecins généralistes et spécialistes, infirmières, des éthiciens, des juristes, des pharmaciens et des représentants de diverses associations.

La question s'est posée de savoir si les auditions devraient avoir lieu en séance publique ou à huis clos.

Les avis à ce sujet étaient partagés.

Certains membres étaient partisans du huis clos, en vue de favoriser au maximum la liberté d'expression des témoins, et d'éviter que la médiatisation n'influence le cours du débat.

D'autres étaient favorables à des auditions publiques, compte tenu de l'intérêt et des attentes suscités dans la population par les travaux des commissions.

Celles-ci ont finalement décidé :

­ que les auditions des éthiciens, des juristes et des représentants des associations seraient publiques, sauf si ces personnes demandaient le huis clos, total ou partiel;

­ que les auditions des praticiens de terrain auraient lieu à huis clos, sauf demande contraire de leur part.

Les commissions réunies ont consacré 21 réunions aux auditions, qui se sont tenues du 15 février au 9 mai 2000.

Le compte-rendu intégral des auditions publiques est publié en annexe au présent rapport (10).

G. REPRISE DE LA DISCUSSION GÉNÉRALE (APRÈS LES AUDITIONS)

Une membre rappelle quel a été jusqu'ici le déroulement des travaux. Tout d'abord, une série de propositions de loi ont été déposées et commentées. Ensuite, des auditions ont été organisées, après quoi on a ménagé un temps de réflexion. Mais jusqu'à présent, il n'y a pas eu de véritable débat.

Le groupe politique auquel appartient l'intervenante estime que les auditions publiques ont suscité un large intérêt pour la question de l'euthanasie, surtout dans le sud du pays où la RTBF a régulièrement résumé les débats. Pour les sénateurs du groupe politique auquel appartient l'intervenante, les auditions ont été utiles mais pas essentielles surtout pour ceux qui, comme l'intervenante, s'intéressent depuis longtemps déjà à la question. Pour eux, les auditions n'ont dès lors souvent que confirmé ce qu'ils savaient déjà. En revanche, les auditions auront sans nul doute été essentielles pour ceux qui maîtrisaient moins bien le sujet.

La membre part du fait inéluctable que quiconque vient au monde doit nécessairement mourir un jour. La mort n'est toutefois pas identique pour chaque individu. Certains ne se voient pas mourir mais d'autres subissent d'atroces souffrances, parfois pendant plusieurs années. Mais même pour ces personnes, chaque mort est également différente. L'endurance des personnes varie en fonction de la nature de la maladie et du traitement de la douleur. Les auditions ont révélé que pour beaucoup le traitement de la douleur restait une inconnue. Il est dès lors nécessaire de prévoir d'urgence ­ c'est-à-dire dès la nouvelle année académique ­ un cours d'algologie pour les étudiants en médecine ou en art infirmier. Il sera indispensable aussi de prodiguer une formation complémentaire aux praticiens qui exercent déjà. La manière dont le malade est entouré a en effet une grande influence sur sa demande éventuelle de pouvoir mourir plus rapidement. La froideur de l'environnement hospitalier et le manque de temps des médecins et de la famille sont parfois un facteur déterminant. Mais même si le malade est bien entouré, un bon traitement analgésique est indispensable. Le Sénat doit à cet égard émettre un signal fort.

L'intervenante évoque ensuite la conception, défendue par certaines des personnes entendues, selon laquelle la sédation contrôlée ne relève ni de l'euthanasie active ni de l'euthanasie passive. La littérature existante, notamment l'ouvrage de Marie de Hennezelle, nous apprend que dans la sédation contrôlée, l'intention des soins dispensés est autre, à savoir laisser souffrir moins la personne et lui permettre de subir sa maladie de manière plus humaine. Mais en accédant à une demande d'euthanasie, n'a-t-on pas aussi l'intention de faire en sorte que la personne souffre moins ? Ce point n'est pas clair, ni pour l'intervenante ni pour son groupe politique. La sédation contrôlée, dans laquelle on laisse le patient reprendre régulièrement connaissance, n'est nullement pour l'intervenante un acte d'humanité.

L'affirmation de certains dispensateurs de soins palliatifs selon laquelle, si on la « décode », la demande d'euthanasie disparaît en fait la plupart du temps et se transforme en demande de sédation, laisse l'intervenante sceptique. Il ressort de contacts qu'elle a eu avec des infirmiers sur le terrain que ce serait plutôt le contraire. Elle estime que les dispensateurs de soins palliatifs interprètent trop souvent la demande d'euthanasie elle-même et tentent pour cette raison de prolonger la vie par tous les moyens possibles. Cette approche n'est pas humaine, et doit être combattue. Il faut éviter, à côté de l'« acharnement thérapeutique », de créer un « acharnement palliatif ». Il importe en revanche que la dispensation des soins palliatifs soit rendue accessible et abordable pour tous et il y a lieu de débloquer les moyens nécessaires à cet effet. Par ailleurs, il faut veiller à ce que les moyens prévus soient réellement affectés aux soins palliatifs et ne servent pas à d'autres fins. La transparence vis-à-vis du patient est essentielle aussi à cet égard : les patients doivent être informés du fait que les possibilités curatives ont été épuisées et qu'ils vont être admis dans une institution où ne sont dispensés que des soins palliatifs.

La membre souhaite en outre souligner qu'il n'est nullement question de choisir entre euthanasie et soins palliatifs. Lorsqu'il n'y a plus rien à faire sur le plan curatif, il faut prodiguer des soins palliatifs; plus tard, on pourra éventuellement accéder à la demande d'euthanasie si :

­ la demande émane du patient et de lui seul;

­ le médecin juge que le patient se trouve dans une situation médicale sans issue, sans qu'il puisse être tenu de pratiquer l'euthanasie;

­ une série de critères de prudence, soigneusement fixés et contrôlés, sont remplis.

Il convient aussi de trouver une solution à la demande répétée et persistante d'euthanasie formulée par le patient, lorsqu'il subit des souffrances insupportables et se trouve dans une situation médicale irréversible.

En ce qui concerne l'incrimination d'un acte euthanasique accompli par le médecin, soit au moyen de la sédation contrôlée, soit au moyen de l'euthanasie, l'intervenante considère qu'il est exclu de faire condamner pénalement le médecin pour cet acte. L'une des principales préoccupations des commissions réunies doit être de veiller à ce que la législation proposée soit claire, précise, sans être trop exhaustive. Elle doit laisser une porte ouverte à certaines situations, comme par exemple la souffrance d'enfants ou la déclaration de volonté.

En conclusion, la membre déclare qu'il faut tendre vers une société plus humaine, suffisamment attentive à l'homme souffrant. Lorsque celui-ci souhaite être délivré de ses souffrances, on doit pouvoir accéder à sa demande.

Un autre membre rappelle que le fond des propositions s'inspire de la situation que l'on vit actuellement dans notre pays, comme dans beaucoup d'autres pays du monde, et où la fin de vie, y compris dans sa dimension d'euthanasie, n'était pas prise en compte, sauf peut-être individuellement et à certains endroits.

Elle ne l'était en tout cas pas en tant que problème de société, ni en tant que drame vécu par les malades qui ne recevaient pas de réponse à la demande qu'ils formulaient de soulager leur souffrance et, le cas échéant, de mettre fin à leur vie.

Le problème n'était pas d'actualité, tout se passait dans la confusion et l'absence de transparence.

L'intervenant a déjà évoqué les erreurs par défaut ­ c'est-à-dire les non-réponses en raison de la législation telle qu'elle existe ­ et les erreurs par excès, dues probablement aussi à l'absence de législation, et où, face à des actes d'euthanasie pratiqués sans que le malade l'ait demandé, il y avait absence totale de réaction.

Les auditions ont confirmé ces deux phénomènes, de même que certains événements extérieurs aux travaux des commissions puisqu'on a pu constater, notamment à Liège, que l'euthanasie était considérée comme un assassinat, deux médecins ayant été inculpés de ce chef alors que, des éléments connus, il apparaît que les conditions figurant dans la proposition de loi cosignée par l'intervenant étaient remplies.

On a tendance à considérer qu'une approche idéologique des problèmes de société serait à combattre.

L'intervenant s'en dit étonné, parce que les problèmes éthiques, y compris les problèmes politiques, relèvent d'idéologies, c'est-à-dire de conceptions différentes que l'on peut avoir de la société, et qui font le pluralisme.

Imaginer que c'est l'unanimité des positions qui constitue le socle de base de l'organisation de la société, revient soit à favoriser le non-dit, le vague, l'arbitraire, soit à refuser de dresser un constat de différences d'opinions sur certains sujets.

Ces différences d'opinions sont respectables mais, à un moment donné ­ les auditions l'ont rappelé ­ les politiques doivent pouvoir prendre position.

Personne ne conteste ni la qualité de ce qui a été dit, ni la qualité de ceux et celles qui l'ont dit, indépendamment du fait qu'au départ, les experts ont été choisis pour des motifs qui ne sont pas neutres.

Un expert n'est jamais neutre, spécialement en ce qui concerne des problèmes aussi importants que ceux de la fin de vie, du droit de mourir dans la dignité, de l'euthanasie et des soins palliatifs.

Dès lors, indépendamment de l'expertise très grande et de l'expérience des orateurs, aucun n'a pu dire qu'il n'avait pas une approche personnelle du problème ­ et c'est bien ainsi ­ et que l'analyse qu'il en faisait était indépendante de cette approche personnelle.

Il y a donc une part de subjectivité dans tout ce qui a été dit.

De plus, beaucoup d'intervenants ont reconnu l'absence de représentativité de leur exposé.

Une diversité très large d'opinions s'est exprimée. On ne peut dès lors pas tirer de conclusions quant au sens dans lequel les experts se seraient prononcés et il ne paraît pas souhaitable de le faire pour la suite des travaux des commissions.

L'intervenant considère que le problème de la liberté et de l'autonomie du patient s'est révélé fondamental lors des auditions, y compris dans l'approche que chaque expert a pu formuler de manière explicite ou implicite par rapport à cette question. D'aucuns ont exprimé assez clairement que quelque chose dépassait l'homme, cette transcendance n'étant pas nécessairement de nature religieuse, mais pouvant être liée à une forme de superstructure implicite, et ayant pour conséquence que l'autonomie du patient n'était pas reconnue dans sa totalité. Cette opinion, parfaitement respectable, n'est pas celle de l'intervenant.

C'est précisément l'autonomie du malade dans tous les épisodes de sa vie qui sous-tend la proposition et, plus particulièrement, dans les moments où une demande d'euthanasie est formulée.

L'intervenant a été frappé par tout ce qui a été dit au sujet du décodage.

Peut-on imaginer qu'en rédigeant une proposition de loi relative à la fin de vie, et en reconnaissant l'autonomie et la liberté du malade, les auteurs n'aient pas pris en compte la nécessité d'analyser la demande ?

Dans toutes les étapes de la vie, et de la vie médicale en particulier, cette analyse fait précisément partie de la démarche, qui est aussi diagnostique, et qui détermine les réponses que l'on peut donner à la demande formulée.

Le décodage est donc tout à fait indispensable mais il paraît évident que si le décodage aboutit, parce que la demande est a priori irrecevable, à considérer que la demande d'euthanasie n'existe pas, et que la véritable demande n'est pas celle qui est explicitement formulée, peut-être en arrive-t-on alors, de manière implicite, à ne pas vouloir reconnaître le principe de la liberté du malade.

Beaucoup ont insisté sur la nécessité du décodage, et certains ont ainsi abouti à la conclusion que, pratiquement, il n'existait pas de demande d'euthanasie.

À cet égard, certaines choses ont été dites lors des auditions, qui ne correspondaient pas à ce que l'on avait pu entendre dans d'autres circonstances : certains ont en effet nié l'existence de demandes d'euthanasie alors que, dans d'autres circonstances, ils avaient reconnu que ces demandes existaient.

En ce qui concerne les soins palliatifs, il est clair que le combat doit être poursuivi pour améliorer l'offre et l'accessibilité de ces soins. Il existe encore des situations où cette accessibilité n'est pas parfaite.

Mais certains intervenants ont tenté d'opposer la nécessité de prendre en compte la demande d'euthanasie, à la volonté d'obtenir des soins mieux adaptés et plus accessibles, des réponses mieux adaptées à l'ensemble des situations de santé.

Or, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. En réalité, les objectifs poursuivis dans les propositions de loi s'inscrivent parfaitement dans une demande supplémentaire de prise en compte des situations des malades, à quelque moment que ce soit de leur existence, y compris lorsqu'ils considèrent que la seule solution pour eux est de demander l'euthanasie.

Opposer la volonté d'avancer dans le droit de mourir dans la dignité à celle d'améliorer les soins et leur accessibilité paraît dès lors irrecevable et même quelque peu irritant.

L'intervenant pense au contraire que la démarche des six auteurs s'inscrit dans le souci de traduire, dans le cadre de la fin de vie, la volonté affichée et le combat politique visant à améliorer l'accessibilité aux soins et à rendre ceux-ci adéquats par rapport aux situations vécues.

Revenant à la question de la liberté du malade, l'intervenant constate qu'elle fait problème, parce qu'il s'agit d'une question idéologique. Il estime que, quelles que soient les raisons invoquées, même idéologiques ou politiques, on ne peut pas faire de concession sur ce principe vital.

L'intervenant souligne ensuite l'importance, dans l'accompagnement, de l'équipe soignante, conçue dans son sens le plus large (environnement, famille, ...).

Dans les témoignages des personnes entendues qui appartiennent au personnel soignant, l'intervenant a recherché ce que pouvait être leur part de responsabilité partagée dans l'acte d'euthanasie.

L'impression qu'il en a retirée est que, d'une certaine manière, cette responsabilité n'est pas partageable. Tout en s'efforçant d'améliorer la communication en fin de vie, il faut garder à l'esprit que l'obligation codifiée entraîne de manière automatique une coresponsabilité, dont les experts ont précisément dit qu'elle était impossible, puisque la responsabilité est liée à celui qui répond et qui agit.

Dès lors, s'il pouvait exister des pistes qui associeraient davantage les équipes soignantes, tout en respectant la limite de l'autonomie du malade, ce serait là une avancée importante.

Il faut rappeler aussi que l'acte doit être posé par un médecin et que, dès lors, toute forme de réponse consistant pour le médecin à donner procuration est inacceptable.

Beaucoup d'intervenants ont dit qu'il était extrêmement difficile de définir la notion de phase terminale. Dès lors, toute formulation de cette nature dans la loi paraît impossible.

De plus, comme le démontre un courrier récemment adressé aux commissaires, il ne paraît pas acceptable sur le plan éthique de refuser le bénéfice d'une mort digne aux malades incurables, qui ne se trouvent pas dans ce qu'il serait convenu d'appeler une phase terminale.

Pour autant que la situation de ces derniers malades soit prise en compte dans la loi, peut-être une évolution est-elle possible quant à la définition de cette phase.

En ce qui concerne la procédure, certains médecins ont demandé qu'on les laisse travailler.

Il est évident qu'il faut permettre aux médecins d'exercer leur profession, y compris dans le contexte particulier de la fin de vie. Mais cela justifie-t-il le fait que la société ne doive pas intervenir en la matière, sachant par ailleurs les erreurs par excès et par défaut qui se commettent actuellement ?

Le statu quo est intolérable, parce qu'il engendre des drames dans les deux sens. Certains ont demandé que la procédure ne rende pas tout travail médical impossible. Ce point est important, car l'objectif est d'améliorer la situation des malades et, corollairement, de faciliter le travail des soignants.

Il résulte des auditions qu'actuellement, il est des endroits où il n'y a pas de procédure. À d'autres endroits, elle existe de façon explicite ou implicite, sans que l'on sache si les problèmes de fin de vie, de mort digne, de soins palliatifs avaient été traités dans les structures éthiques existantes.

L'intervenant s'est interrogé sur la lourdeur éventuelle des procédures.

Il lui paraît que ces procédures ne sont pas excessives, si l'on considère par ailleurs qu'elles visent aussi à protéger le malade. C'est pourquoi différentes étapes doivent être franchies, qui impliquent une écoute extrêmement attentive de la part du médecin et du personnel soignant.

En réalité, les étapes fixées par la proposition des six auteurs sont conformes à la tenue d'un dossier médical normal.

Quant à la déclaration au parquet prévue par la proposition, des juristes et d'autres ont estimé que, dans le contexte d'une dépénalisation partielle, elle ne devait plus être obligatoire, et ont plaidé pour la création d'une structure-tampon entre le médecin déclarant et le parquet.

Cette structure serait chargée d'analyser les déclarations sous couvert d'un anonymat qui ne pourrait être levé qu'à un certain stade de la procédure, en cas d'anomalie. C'est là une piste de réflexion possible.

En ce qui concerne la dépénalisation, certains ont dit que, quelle que soit la formule retenue, elle serait inadéquate, ce qui revient à plaider pour le statu quo.

Sans doute le droit est-il, comme la médecine, un art sujet à interprétation.

Mais, à l'heure actuelle, il faut bien constater que des erreurs se commettent et que des inculpations ont eu lieu sur base de la législation actuelle. Le statu quo n'est donc, sur la plan juridique, pas acceptable.

En outre, l'euthanasie, accomplie dans certaines conditions a été assez largement qualifiée d'acte éthiquement positif.

Il est difficile de comprendre que l'on puisse maintenir comme tel dans le Code pénal un acte considéré comme éthiquement positif.

La proposition des six auteurs prévoit qu'il n'y a pas de délit si l'euthanasie est pratiquée dans les conditions qu'elle définit. Cette formule a le mérite d'être claire, par rapport à la situation actuelle.

De simples indications ou interprétations données dans les travaux préparatoires par rapport au texte de loi ne suffisent pas.

La presse s'est fait récemment l'écho, dans un tout autre contexte, de la valeur que les juges d'instruction et le parquet attachent au texte de la loi.

C'est cette valeur qui a été opposée au directeur général de l'enseignement obligatoire de la Communauté française, dans une affaire où il se référait à un commentaire du texte de la loi.

Dans la matière qui nous occupe, il paraît dès lors tout à fait fondamental que ce soit la loi elle-même qui prévoie qu'il n'y a ni crime ni délit lorsque l'euthanasie est pratiquée dans certaines circonstances.

Par ailleurs, on a entendu ­ sans doute plus dans la bouche de certains parlementaires que lors des auditions ­ l'argument consistant à demander quel respect on peut avoir par rapport à une loi qui lève l'interdit de tuer.

L'intervenant se demande, quant à lui, ce qui, par rapport au respect de la loi, est le plus grave : inscrire dans une loi une dépénalisation de l'acte d'euthanasie dans des conditions limitées et clairement déterminées ou tolérer que la loi soit bafouée au quotidien ? Il paraît important de disposer de textes clairs, comme certains experts l'ont souligné.

Lors des auditions, il a beaucoup été question de soins palliatifs, ce dont l'intervenant se réjouit.

Il se dit particulièrement intéressé par les exposés qui ont été faits sur l'organisation des soins palliatifs. Plusieurs formes d'organisation existent, mais on peut sans doute identifier essentiellement deux modèles d'organisation : un modèle verticalisé et un autre plus transversal.

Le modèle verticalisé consiste, en milieu intra- ou extra-hospitalier, en l'existence de lits palliatifs isolés des autres structures de santé, ce qui n'exclut pas les contacts avec l'extérieur.

Beaucoup d'intervenants ont plaidé pour une organisation transversalisée des soins palliatifs. Cela regarde le législateur, qui doit donner les impulsions, mais sans doute davantage l'exécutif, pour ce qui est du règlement concret.

L'orientation vers un développement de soins palliatifs intégrés, à la fois en intra- et en extra-hospitalier, et vers une logique de soins palliatifs continus, paraît être une approche adéquate par rapport aux problèmes vécus, car elle permet de ne pas isoler la problématique de la fin de vie du reste des soins de santé, et, en quelque sorte, de réintégrer la mort dans la vie.

Beaucoup ont plaidé pour un renforcement de l'offre de soins palliatifs. Le législateur a l'obligation de prendre des dispositions législatives et d'interpeller le gouvernement pour qu'il en soit ainsi, en adéquation aux demandes des soignants en général.

Enfin, beaucoup d'intervenants ont fait part de craintes. Il en va notamment ainsi de Mmes Kempeneers et Henry. Certains ont souligné, de façon critique, que la proposition des six auteurs ne règle pas tous les problèmes.

L'intervenant se dit très heureux que les deux personnes précitées soient venues s'exprimer, d'une part parce que cela leur donne une tribune par rapport à la population et indique l'importance et la complexité de la situation vécue par les malades mentaux, par les patients atteints de la maladie d'Alzheimer, et par leurs familles.

D'autre part, cela a donné aux six auteurs l'occasion de dire que les craintes exprimées par rapport à leur proposition n'étaient pas justifiées.

Beaucoup de craintes peuvent en effet être levées, lorsque l'on précise bien quel est exactement le contenu et les limites des propositions de loi.

Il est vrai ­ et cela a parfois été dit comme un reproche ­ que celles-ci ne règlent pas tous les problèmes. Ce point est important à souligner. L'intervenant estime que, sur un problème comme celui de la fin de vie, il faut avancer à la fois avec une volonté d'humanité, avec clairvoyance et avec prudence.

Les situations pour lesquelles une dépénalisation partielle est proposée sont clairement établies : il s'agit de malades conscients, ou de malades inconscients ayant fait une déclaration anticipée et accompagnés d'un mandataire.

Il reste des zones que la proposition de loi ne règle pas : mineurs, personnes dont le discernement est réduit, ...

C'est pourquoi le reproche implicite qui a été fait de justifier par l'état de nécessité les modifications à apporter au Code pénal paraît justifié, car cela risque d'exclure toutes les personnes ne répondant pas aux indications décrites par la loi de toute possibilité de réponse à une demande de mort digne.

Or, pour ces personnes, la situation actuelle doit subsister, c'est-à-dire que l'état de nécessité pourra continuer à être invoqué.

Mais il ne paraît pas possible d'étendre le cadre fixé en termes de conditions dans la proposition de loi qui dépénalise partiellement l'euthanasie.

En matière législative, comme en matière médicale, le principe doit être primum non nocere.

Si l'on considère l'éventail de toutes les situations évoquées lors des auditons, il ne paraît pas exact de dire, comme certains l'ont fait de manière excessive, que la proposition des six auteurs ne concerne en rien les situations rencontrées au quotidien sur le terrain.

En conclusion, il faut avancer, même si les convictions, les conceptions politiques, les idéologies sont divergentes.

Il faut le faire en tentant de s'abstraire de tout ce qui peut être circonstanciel, dans un esprit d'ouverture, mais sur la base d'une adhésion à certains principes et d'un refus du statu quo et de textes qui ne constitueraient pas une avancée sur le plan humain et juridique.

Un sénateur estime que les auditions n'ont pas toujours apporté des réponses précises aux questions des commissaires. Cette constatation vaut notamment pour une série d'aspects juridiques de l'euthanasie. Deux catégories professionnelles, à savoir les médecins ­ et dans une moindre mesure les infirmiers aussi ­ et les juristes sont largement opposés à une réglementation légale de l'euthanasie. L'intervenant le déplore, surtout parce que leur attitude était inspirée par des considérations paternalistes, d'une part, et par leur position de force, d'autre part. En effet, moins on réglemente, plus le pouvoir discrétionnaire d'une catégorie professionnelle déterminée est grand.

C'est précisément au nom de cette approche plutôt étriquée ­ la position occupée par leur catégorie professionnelle ­ que ces deux groupes ont transgressé certaines convictions philosophiques et idéologiques. La démarche est moins noble qu'il n'y paraîtrait à première vue.

Par ailleurs, le sénateur se réjouit de l'attention dont ont bénéficié les soins palliatifs. Il importe de souligner que la médecine palliative ne peut pas être dissociée de l'ensemble de la pratique médicale. Concrètement, cela signifie que si un médecin s'engage dans le traitement d'un cancer chez un patient, il s'agira dans la grande majorité des cas d'un traitement purement palliatif. Il doit en tenir compte dans l'attitude qu'il adoptera vis-à-vis du patient. Le signal qu'il faut envoyer à la catégorie professionnelle concernée et à l'opinion publique, c'est que les soins palliatifs font partie intégrante d'un processus de recherche d'une meilleure qualité de vie, y compris dans le domaine médical. L'intervenant fait d'ailleurs remarquer que la majeure partie du travail législatif concernant les soins palliatifs a déjà été réalisée. Bien qu'il puisse être important de consacrer quelques principes et fondements dans la législation, la Belgique dispose déjà d'une réglementation très avancée. Le grand problème est celui du financement des soins palliatifs, qui doit être assumé par les communautés. Tous les groupes politiques doivent prendre leurs responsabilités dans ce cadre.

Le sénateur estime que les auditions du Sénat ont contribué à accroître l'intérêt de la société pour la question de la fin de vie et que l'on a consacré davantage de temps à en discuter. Du côté de la profession médicale, toutefois, la conduite du débat n'est pas toujours loyale. On rend impossible le véritable débat en faisant croire que la seule question en jeu est celle de savoir si l'euthanasie doit être inscrite ou non dans la loi pénale. L'action de signatures menée à ce sujet est donc regrettable.

L'intervenant conteste ensuite que cette problématique ne concernerait qu'un nombre restreint d'individus. Quelque 40 % des personnes qui décèdent ont en effet affaire à un médecin qui pose des actes abrégeant la vie. De là sans doute qu'une certaine inquiétude est apparue au sein de la population. Pourtant, on doit faire nettement la distinction entre l'euthanasie, qui ne fait pas partie de la pratique médicale normale, et les actes que les médecins accomplissent en fin de vie de leurs patients et qui relèvent quant à eux de la démarche médicale normale. Il conviendra dès lors de distinguer ces deux éléments dans la législation. Il faut élaborer une législation en matière d'euthanasie tout en traitant l'autre aspect dans une loi relative aux droits des patients, étant donné que ceux-ci sont habituellement très mal informés à propos des actes médicaux ayant pour effet d'abréger ou de prolonger la vie.

Le sénateur a donc pris une initiative législative dans ce sens et déplore les tergiversations du ministre de la Santé publique à cet égard. Il est d'avis que les commissions réunies doivent se prononcer aussi sur cette question.

Par ailleurs, l'intervenant fait remarquer qu'une série d'éléments scientifiques liés au problème de l'euthanasie n'ont pas été réfutés au cours des auditions. Premièrement, on ne nie pas que l'euthanasie soit une réalité. Le manque de législation dans notre pays nuit toutefois à la qualité, qui est moindre que dans les pays où il en existe une, comme aux Pays-Bas. Deuxièmement, par suite de l'absence de législation, des actes sont posés aujourd'hui qui ne relève pas de l'euthanasie mais doivent être qualifiés de meurtre. Troisièmement, il est apparu clairement qu'il serait dangereux de ne pas légiférer en la matière. La thèse selon laquelle c'est à la jurisprudence qu'il appartient de poser les balises se trouve donc réfutée. C'est la loi qui doit indiquer les limites.

Le sénateur souligne qu'il y a toujours aujourd'hui, une demande légitime à pouvoir recourir à l'euthanasie qui reste sans réponse. Il appartient au législateur d'en apporter une aujourd'hui.

L'intervenant souhaite citer une série de points qui doivent figurer, à son avis, dans la législation relative à l'euthanasie.

Premièrement, il faut interpréter l'aide au suicide de la même manière que l'euthanasie, comme l'a indiqué à juste titre le professeur Adams au cours de son audition.

Deuxièmement, l'on a tendance, au niveau international, à fixer la majorité médicale à 16 ans. Par analogie, la législation sur l'euthanasie doit prévoir une liberté de choix à partir de 16 ans, étant entendu qu'il n'en faudrait pas moins tenir compte aussi autant que possible de l'avis des patients plus jeunes.

Troisièmement, les commissions doivent se prononcer sur la notion de « patient en phase terminale ». Comment définir cette notion ? Peut-on et doit-on la définir. L'intervenant estime que contrairement à ce qu'ont fait les sénateurs de la majorité dans la proposition qu'ils ont déposée, il faut définir cette notion, simplement parce qu'il y a deux procédures à élaborer. Il ne faut toutefois pas la définir avec trop de précision et il ne faut en aucun cas définir une période. Le sénateur propose que pour désigner un patient dont on sait qu'il décédera dans un laps de temps relativement cours, on utilise l'expression « patient en phase terminale ». Le caractère évolutif de la maladie qui provoquera inéluctablement la mort doit aussi être considéré comme un élément capital. En tout cas, il faut faire une nette distinction entre une maladie ou une lésion stable et une maladie évolutive. C'est en fin de compte au médecin traitant qu'il appartient de trancher et de décider de suivre soit une procédure « classique » applicable en ce qui concerne les patients atteints d'une maladie incurable et se trouvant en phase terminale, auquel cas on ne demande l'avis d'un autre médecin qu'au début de celle-ci, soit une procédure applicable en ce qui concerne les patients atteints d'une maladie incurable, dont la première étape est plus complexe. Dans le deuxième cas, l'on a plus de temps pour agir et l'on peut confronter l'avis du médecin à plusieurs autres avis. D'ailleurs, c'est au patient qu'il appartient d'indiquer qu'il se trouve dans une situation de détresse et non pas au médecin traitant, comme le propose le groupe CVP.

Quatrièment, le sénateur déclare qu'il importe de prévoir une sorte de tampon entre le médecin traitant et les tribunaux qui statuent sur la procédure suivie. Il y a lieu de créer une commission de contrôle chargée de plus que du simple enregistrement des choses, et ce, pour deux raisons. D'abord, parce que, dans le cas d'une simple communication au procureur, il n'y aura pas d'enquête sur le respect des critères de prudence, à moins qu'une plainte ne soit déposée. Puis, parce que plus les exigences à remplir pour pouvoir faire d'office rapport au procureur seront strictes, moins il y aura de communications. Une commission de contrôle dispose d'une expertise assez grande pour pouvoir juger du bien-fondé d'un acte euthanasique, et elle examinera en tout cas si les critères de prudence ont été respectés. Dans certaines situations, elle conclura peut-être que l'affaire doit être jugée par un tribunal.

Enfin, en ce qui concerne la question de savoir s'il faut ou non inscrire la notion d'euthanasie dans la loi pénale, l'intervenant fait remarquer que les propositions de loi à l'examen prévoient des causes de justification de la pratique de l'euthanasie. Elles prévoient toutes que l'euthanasie pratiquée hors du respect des critères de prudence reste punissable. Cela vaut même pour la proposition déposée par le groupe CVP, aux fins de laquelle l'on a aussi essayé de trouver une cause de justification de l'euthanasie. La manière dont ce débat est parfois mené rend un consensus impossible.

Le sénateur a pourtant l'impression qu'il n'est pas impossible de parvenir à un consensus sur les conditions auxquelles on peut pratiquer l'euthanasie. La seule différence entre les deux positions réside dans le fait que, suivant la proposition du CVP, le médecin doit se trouver dans un état de nécessité, alors que, suivant les autres propositions, c'est le patient qui doit se trouver dans un état de nécessité. L'intervenant dit être favorable à la dernière option et il est partisan d'une proposition qui offre la sécurité et au médecin et au patient. Se fondant sur l'argument pertinent suivant lequel le Code pénal est davantage qu'un cahier de prescriptions et représente aussi une norme morale, il propose de prévoir expressément, dans le Code pénal, que tuer le patient à sa demande est une infraction. De la sorte, on indique clairement que l'euthanasie ­ et, sa forme dérivée, à savoir l'assistance au suicide ­ est un délit tombant sous l'application du droit pénal, même s'il est possible, sous certaines conditions, de fournir une cause de justification à l'auteur de ce délit.

Un membre souligne qu'il y a près de cinq mois les commissions réunies ont décidé d'organiser des auditions. Ces auditions devaient permettre, d'une part, de confronter les divers points de vue sur la manière de concrétiser une initiative législative relative à l'euthanasie et sur la mesure dans laquelle il y a lieu de le faire, à l'expérience de ceux qui sont confrontés quotidiennement à ce problème et, d'autre part, de recueillir les commentaires sur ce point des experts en éthique et en droit.

Les commissions ont entendu plus de 40 témoins que l'intervenant remercie pour leur contribution qui a permis de confronter effectivement et concrètement une initiative législative à la pratique. Les craintes de ceux qui s'étaient opposés aux auditions ne se sont pas vérifiées : les témoins n'ont subi aucune pression et personne n'a cherché à les influencer. Au contraire, la plupart d'entre eux ont traité objectivement la problématique des actes relatifs à la fin de vie et des attentes qui peuvent être nourries à cet égard, et ce, indépendamment de toute considération idéologique ou spirituelle. Si cette approche sereine a paradoxalement donné lieu, parfois, à des interpellations tendancieuses de la part de certaines personnes qui n'acceptent l'objectivité que lorsqu'elle correspond à leurs propres opinions, cela n'est dû en aucun cas aux témoins qui ont été entendus.

L'intervenant estime que l'audition des témoins a été un événement exceptionnel, en particulier à cause de la richesse humaine qui a ainsi pu être mise à jour, laquelle a mis en évidence la complexité du problème et a permis d'améliorer les connaissances dans ce domaine. L'expression de ce genre d'expériences de vie, qui n'a pas manqué d'alourdir la tâche de la commission en l'espèce, est rare dans le cadre des travaux parlementaires. Grâce à cela, la commission a pu bénéficier de vastes connaissances scientifiques, surtout par rapport à la manière dont les choses se passent à l'étranger.

On peut mener la discussion de deux manières, c'est-à-dire soit a priori, comme dans le cadre de la proposition de la majorité ou des chefs de groupe, chacun pouvant avancer ses arguments, après quoi on procède au décompte des voix, soit en partant des positions de chacun tout en tenant compte de la complexité du problème et des incidences sociales et internationales. Les témoignages devraient inciter les commissaires à une grande prudence. Ils ressemblent en effet à des « cris de coeur » lancés pour que l'on ne réduise pas le débat à une joute politique, épousant forcément la fracture entre la majorité et l'opposition. La discussion est en effet très variable en ce sens qu'elle dépend de la date à laquelle on débat. La proposition de la majorité part du principe qu'il existe un consensus au sein de la société pour dépénaliser l'euthanasie, mais cela n'a absolument pas été confirmé au cours des auditions. Au contraire, les témoins ont souvent été critiques vis-à-vis de la proposition de la majorité, du moins de certains aspects de celle-ci. Le plus frappant à cet égard, c'est que la grande majorité des personnes entendues ne se sont pas inscrites dans le débat sur la défense ou non du droit à l'autonomie. Le débat doit porter sur la question de savoir comment on peut faire face humainement à certaines circonstances dramatiques qui surviennent à la fin de la vie. Le rôle du patient est certes primordial, mais on ne peut pas reduire la gravité du moment en question, dont les implications sont multiples, en faisant primer la seule « volonté du patient ». Il ressort des témoignages que la question est beaucoup plus délicate qu'on le croyait et que ce n'est pas de cette manière que l'on pourra trouver une solution.

Le groupe dont la membre fait partie a confronté la proposition qu'elle a déposée aux divers témoignages émis. Il convient, avant de commenter cette analyse plutôt ponctuelle, de formuler une série de conclusions générales.

Les auditions ont tout d'abord mis en évidence qu'en ce qui concerne l'euthanasie, on ne peut pas raisonner en termes absolus, comme on l'avait fait en élaborant la proposition de loi du 20 décembre 1999. Dès l'ouverture des débats, le groupe de la membre en question a souligné que la demande d'euthanasie ­ et la réponse à celle-ci ­ doit être située dans le cadre de la problématique générale des actes médicaux que l'on a accomplis quand la fin de la vie est imminente.

En effet, beaucoup de témoins ont déclaré que la question de l'euthanasie ne représentait que la pointe de l'iceberg. Quand on parle d'euthanasie et qu'on souhaite élaborer une réglementation transparente à ce sujet, on doit au moins se pencher sur tous les autres actes médicaux qui sont posés à la fin de la vie et garantir les droits du patient également en ce qui concerne ces actes-là. C'est pourquoi la proposition cosignée par l'intervenante définit une série de conditions de protection pour les cas où l'on déciderait d'arrêter ou de s'abstenir d'appliquer un traitement médical, d'arrêter progressivement une thérapie ou encore d'appliquer un traitement analgésique ayant pour effet d'abréger la vie. La proposition du 20 décembre 1999 ne contient aucune disposition à ce sujet !

Il ne faudrait toutefois pas non plus faire pencher la balance dans l'autre sens ! Il ressort des témoignages que l'euthanasie ne peut pas être considérée comme un acte médical ordinaire « parmi d'autres ». L'euthanasie est un acte médical exceptionnel qui doit être entouré de garanties et de conditions spécifiques et qui ne peut en aucune manière être banalisé. Une proposition dans laquelle l'euthanasie serait décrite en termes voilés comme « un acte qui accélère la mort » et qui considèrerait qu'il s'agit d'un acte médical ordinaire, nierait le caractère exceptionnel de l'euthanasie. Par conséquent, une initiative législative concernant l'euthanasie est nécessaire. Il n'est pas possible de régler les choses en se référant au seul code déontologique.

Cela nous amène à établir trois éléments essentiels du débat. C'est précisément parce que l'euthanasie a un caractère exceptionnel en tant qu'acte servant à interrompre intentionnellement la vie, qu'il faut maintenir l'interdiction pénale. Inversement, celui qui approuve le caractère pénal de tout acte « accélérant la survenue de la mort » doit reconnaître qu'on ne peut pas se contenter d'inscrire un tel acte dans le cadre général des droits du patient pour ce qui est des actes médicaux accomplis en fin de vie.

Deuxièmement, on confirme clairement que l'euthanasie a un caractère exceptionnel, dès lors que l'on reconnaît l'importance des soins palliatifs et des soins intensifs. Il est à la fois inexact et irresponsable d'affirmer que pratiquer « l'euthanasie » est la seule manière possible d'accéder au désir de « mourir dans la dignité ». Tous les médecins et les infirmiers qui ont été entendus ont confirmé que les patients qui bénéficient de bons soins palliatifs demandent très rarement l'euthanasie.

Enfin, si un débat sur les droits du patient est nécessaire, il manquera son objectif s'il n'y est pas question de l'euthanasie et tant qu'acte exceptionnel comparé à tous les autres actes médicaux, accomplis en fin de vie. La conclusion éventuelle que l'acharnement thérapeutique masque le « refus de pratiquer l'euthanasie » et que le seul moyen de combattre ce refus est d'octroyer un « droit à l'euthanasie » n'est pas fondée. Au contraire, les témoins ont souligné que les patients qui sont bien informés et qui trouvent des gens qui sont à l'écoute de leurs souffrances et de leurs besoins, ne demandent presque jamais l'euthanasie ou ne la demandent qu'exceptionnellement. À cet égard, l'« informed consent » a tout autant d'importance que l'« informed request ». Cette conception des choses permet d'éviter tout autant l'acharnement thérapeutique, psychologique et palliatif, que l'acharnement euthanasique.

De cette manière, le principe de l'autodétermination est vraiment appliqué comme il se doit : on reconnaît que l'individu doit apporter une contribution autonome spécifique dans le processus décisionnel relatif à sa personne, que cette contribution doit être prise au sérieux et que la société doit apporter une réponse en la matière.

Après avoir décrit l'importance d'une approche générale, le membre en vient à une deuxième conclusion générale, à savoir que le patient doit être mis au centre du problème. Ce principe, qui est évident, ne souffre pas la contestation et sous-tendait la position du groupe de l'intervenant avant même l'ouverture des débats. Toutefois, comme on affirme parfois que la proposition de son groupe fait primer l'intérêt du médecin plutôt que celui du patient, il voudrait apporter quelques précisions. Une fois de plus, la notion d'état de nécessité sème la confusion, alors qu'elle a été suffisamment commentée par les juristes au cours des auditions.

Il va de soi que c'est la situation du patient souffrant et mourant qui est au coeur du débat et qu'il faut répondre dans toute la mesure du possible à ses demandes. Toutefois, la demande d'euthanasie entraîne pour le médecin traitant une responsabilité spécifique qui suppose un contrôle spécifique. Cette conception n'est pas en contradiction avec le constat que l'intérêt du patient a une place centrale mais la demande du patient ne suffit pas pour justifier l'euthanasie. Proposer l'état de nécessité comme solution juridique en cas de conflit entre les droits et les devoirs dans la personne du médecin, n'est pas une voie nouvelle. Cette piste est du reste défendue dans diverses publications juridiques qui soulignent le conflit existant entre, d'une part, le droit à la vie visé à l'article 2 de la CEDH et, d'autre part, l'article 3 de la même convention, en vertu duquel nul n'est tenu de subir un traitement inhumain. Le patient doit être au centre de la recherche d'une solution à ce conflit, mais sa simple demande d'euthanasie ne suffit pas comme solution.

La troisième conclusion générale de l'intervenant est que tous les témoins ont évoqué l'importance de la sécurité juridique, pour le patient comme pour le médecin, ainsi que l'indispensable confiance qu'il faut avoir pour cela dans le médecin. Les auditions ont démontré que la concrétisation de cette notion de sécurité juridique diffère en tout cas de la solution apportée par la proposition du 20 décembre 1999. L'argument souvent entendu suivant lequel on garantirait la sécurité juridique en retirant l'euthanasie du droit pénal, n'est pas confirmé par les témoignages. La sécurité juridique du patient s'en trouverait au contraire compromise parce que celui-ci n'aurait pas de protection juridique suffisante. Les auditions montrent que la grande majorité des médecins et du personnel infirmier ne sont justement pas favorables à une dépénalisation.

Le manque de sécurité juridique se situe effectivement sur un autre plan. On a dit à juste titre que l'acte euthanasique, même confirmé comme étant un acte exceptionnel et assorti des garanties nécessaires, serait malgré tout reconnu dans un cadre au caractère pénal trop prononcé, qui ne fournirait au médecin aucun point de référence quant à l'admissibilité de l'acte. D'ou l'importance d'une procédure de déclaration efficace et transparente et d'un contrôle a posteriori. Une procédure sans boutoir comme celle de la proposition du 20 décembre 1999 ou une procédure dont l'élaboration est confiée au Roi, ne peuvent pas offrir cette sécurité juridique. En outre, la sécurité juridique ne peut être assumée qu'en incluant suffisamment de garanties concrètes pour que le médecin sache à quoi s'en tenir, mais aussi ­ inversement ­ pour éviter qu'il ne soit constamment freiné dans son action. Si l'on souhaite réglementer l'euthanasie, on ne pourra offrir au médecin une sécurité juridique suffisante qu'à la condition d'élaborer des formules de contrôle a priori grâce auxquelles ils pourront être raisonnablement certains, dès lors qu'ils auront respecté certains paramètres, d'agir dans les limites de ce qui est admis.

Les garanties légales offertes par une procédure a priori et une procédure a posteriori confirment et renforcent également la confiance que le patient doit avoir dans son médecin traitant. C'est dans ce contexte que le Comité consultatif de bioéthique a rendu son troisième avis; c'est également dans cette optique que les actes médicaux ordinaires peuvent être réglementés de manière satisfaisante dans la déontologie professionnelle, en tenant compte des droits des patients.

Pour en terminer sur les conclusions générales, l'intervenant souligne que la sécurité juridique, la confiance et les garanties pour la protection des droits et de la dignité du patient ont été les mots-clés de la quasi-totalité des témoignages. Ces concepts doivent être le fil conducteur de la pratique médicale en général et des décisions à prendre dans la phase finale de la vie, en particulier. Ces notions ont été et restent le fondement de la position développée par le parti de l'intervenant.

Quant à l'analyse ponctuelle des différents aspects partiels du débat, elle s'articule autour de huit points.

Tout d'abord, il y a la nécessité prioritaire d'une offre suffisante de soins palliatifs. Tous les témoins du secteur des soins palliatifs (médecins et personnel infirmier) ont souligné l'importance de disposer d'une offre étendue qui doit précéder toute réglementation légale de l'euthanasie et avoir priorité sur celle-ci. Les associations de patients (Ligue Alzheimer/Vereniging Steun Mentaal Gehandicapten) ont souligné l'importance d'une offre qualitativement et quantitativement bien développée de soins de santé, de soins aux personnes âgées et, en particulier, de soins palliatifs.

Les prises de position de la Federatie Palliatieve Zorgen et de 60 médecins spécialisés en soins palliatifs montrent en outre que le concept de soins palliatifs doit s'envisager, de manière beaucoup plus large, comme des « soins intégrés », dans le cadre d'une réelle culture palliative et qu'une formation, des recherches et de l'information à ce sujet étaient indispensables; surtout, ces prises de position ont confirmé que les soins palliatifs étaient insuffisamment développés en Belgique. Ces observations ont une importance cruciale, quand on constate que ces mêmes médecins et personnels infirmiers affirment que les soins palliatifs rendent les demandes d'euthanasie extrêmement rares.

Le 6 avril 2000, le groupe auquel appartient le membre a déposé deux propositions de loi tendant à imposer la création d'une fonction d'algologie dans chaque hôpital, à reconnaître le droit aux soins palliatifs et à améliorer ces soins. Ces deux propositions intègrent les remarques qui ont été formulées au cours des auditions et constituent pour cette raison une base de départ idéale. Ces propositions prévoient le droit aux soins palliatifs, l'élargissement du forfait pour les soins à domicile, le renforcement des soins de première ligne au moyen d'équipes mobiles et d'accords de collaboration et le rattachement de la fonction palliative à une fonction algologique à mettre en place à l'hôpital.

Le groupe de l'intervenant constate avec satisfaction que plusieurs membres des commissions reconnaissent que les soins palliatifs ne sont pas une solution définitive à l'euthanasie, mais un moyen de prévenir celle-ci. Il ne s'agit pas d'un choix égal. Si l'on admet cela, il faut aussi être conséquent : pour proposer ces soins palliatifs aux patients, il faut qu'ils existent réellement. Une réglementation de l'euthanasie ne repose sur rien, si l'on ne crée pas d'abord les conditions nécessaires pour assurer des soins de qualité en fin de vie.

Le professeur Adams a par ailleurs avancé un argument juridique important pour justifier le développement préalable des soins palliatifs. En ne développant pas ces soins avant l'entrée en vigueur d'une loi sur l'euthanasie, on risque en effet de se heurter à l'article 2 de la CEDH.

Selon la logique de l'article 2, l'État ne peut en effet reconnaître la possibilité de recourir à l'euthanasie que dans des circonstances très exceptionnelles. L'interruption de vie ne peut être que le remède ultime, c'est-à-dire que l'on y recourt lorsque l'euthanasie est réellement le seul moyen restant pour atténuer une douleur insupportable. Lorsque la douleur est rebelle aux antidouleurs ou aux soins palliatifs, et que le seul moyen de l'atténuer consiste à recourir à l'euthanasie, il est donc impossible de concilier les deux obligations énoncées aux articles 2 et 3 de la CEDH. Cela signifie cependant aussi qu'il faut au moins proposer au patient toutes les possibilités permettant d'atténuer sa douleur : l'État a donc l'obligation de développer ces moyens.

Fort de ces arguments, le groupe politique du membre estime qu'une réglementation de l'euthanasie ne peut pas entrer en vigueur avant qu'une loi n'ait fixé le cadre et réglé la mise en oeuvre d'un système de soins palliatifs dignes de ce nom sur les plans qualitatif et quantitatif.

Ensuite, il y a la protection du patient au regard des décisions médicales en fin de vie. Les soins palliatifs ont eux aussi leurs limites et d'aucuns ont parfois fait état, au cours des auditions, d'un « acharnement palliatif ». En effet, les soins palliatifs n'excluent pas la prise de certaines décisions médicales en fin de vie. Les patients souhaitent en outre être protégés contre l'acharnement thérapeutique qui ne tient pas compte de leur point de vue. La proposition déposée par le groupe politique du membre définit les conditions de protection. Durant les auditions, le professeur Schotsmans et le docteur Van den Eynden notamment ont prôné d'édicter en outre une réglementation applicable aux décisions médicales en fin de vie, qui uniformiserait les directives et les codes et les rendrait légalement obligatoires. Il est exact qu'un régime transparent applicable aux décisions médicales en fin de vie est nécessaire pour protéger le patient contre l'acharnement thérapeutique et pour servir de garantie contre les formes parallèles d'euthanasie qui ne remplissent pas les conditions fixées.

Néanmoins, le groupe politique du membre estime qu'il n'est pas indiqué de légiférer pour élaborer un système de contrôle répressif s'appliquant aussi aux décisions médicales en fin de vie, tant qu'il n'y a pas d'indications justifiant une méfiance générale vis-à-vis du corps médical. Il est essentiel de préserver le capital confiance du médecin y compris dans ces circonstances. Il appartient dès lors à la profession médicale de donner corps à cette réglementation dans le respect des droits du patient par le biais de la déontologie médicale. Il y a lieu d'inscrire cette mission dans la loi afin que soient précisées les conditions auxquelles doivent répondre les décisions médicales devant assurer une fin de vie dans la dignité.

En troisième lieu, il y a la discussion sur la dépénalisation ou non de l'euthanasie. Le parti du membre a déjà souligné à plusieurs reprises que la dépénalisation de l'euthanasie est inadmissible. Les principaux arguments qui plaident en ce sens sont de nature tant philosophique que juridique ou sociale.

Le fait de maintenir l'euthanasie dans la loi pénale permet :

­ de préserver le caractère exceptionnel de l'acte euthanasique;

­ d'avoir une garantie ultime contre les abus;

­ de maintenir le caractère normatif de la loi pénale.

Les auditions ont permis aux commissions d'examiner plus avant ces arguments. Il en ressort qu'une grande majorité des médecins interrogés ne sont pas demandeurs d'une dépénalisation : l'Ordre des médecins considère que le statu quo dans la loi pénale offre la meilleure protection contre les abus. Cet avis est partagé par les docteurs Vincent, Clumeck, Cosyns, Van den Eynden et par 58 praticiens des soins palliatifs. M. Vandeville a en outre souligné à juste titre la banalisation qu'entraînerait la dépénalisation de l'euthanasie. MM. Menten et Bouckenaere et les infirmières Cambron-Diez, Pesleux, Schoonvaere et la psychologue Diricq font référence à la pression morale et sociale qui reposera sur les épaules des personnes malades et mourantes, à l'intégrité de la société et à la perception sociale de nos soins de santé.

Le contre-argument consistant à dire qu'une dépénalisation effacerait l'insécurité juridique est donc réfutée par la plupart des intéressés eux-mêmes.

Un autre contre-argument souvent cité consiste à dire qu'une dépénalisation permet de respecter l'idéologie du patient dans une société pluraliste. C'est sur la base de cette philosophie de l'autonomie individuelle et des dernières volontés que des associations telles que « Recht op Waardig Sterven » et « l'Association pour le droit de mourir dans la dignité » plaident pour un « droit à l'euthanasie ». Ce droit subjectif de mourir qui est basé sur le droit individuel à l'autodétermination ne peut toutefois être reconnu sur le plan juridique et sort intrinsèquement du cadre du débat sur l'euthanasie. De plus, il faut se poser la question de savoir si la demande d'euthanasie formulée par un patient constitue effectivement l'expression de sa volonté d'autodétermination ou si cette demande n'est pas plutôt en fait un appel à l'aide déguisé, une demande de ne pas être abandonné.

Selon un autre contre-argument enfin, une dépénalisation permettrait d'éviter les abus. Tout au long des auditions, on a abondamment cité les chiffres du rapport Deliens, qui n'est pas un rapport officiel, alors que ces mêmes auditions ont montré que le rapport ne nous éclaire pas sur la situation précise du patient dans 3 % des décès consécutifs à une interruption de vie censée avoir été pratiquée sans demande préalable du patient.

Tant le docteur Menten que le docteur Vermeylen ont confirmé que les paramètres de cette enquête ne permettraient certainement pas de considérer chacun de ces décès comme le résultat d'un acte euthanasique. Le docteur Ingels de l'Université de Nijmegen a même été jusqu'à affirmer que les 3 % de cas d'euthanasie non demandée se rattachent plutôt à la problématique des droits du patient qu'à une pénalisation en tant que telle.

L'argument selon lequel la dépénalisation permet d'exclure les abus ne saurait être accueilli. Si l'on décide de dépénaliser l'euthanasie, il faut se baser sur le scénario le plus pessimiste. On a tort de faire preuve d'un optimisme illimité qui conduit à fermer les yeux face à cette sorte de situation. Notre société se caractérise par un degré élevé de réglementation dans la plupart des domaines. Il serait pour le moins étrange que dans un tel contexte, l'adoption de règles relatives aux problèmes de la fin de vie soit laissée au bon vouloir des divers intéressés. De ce point de vue aussi, un régime fondé sur le libre arbitre doit être considéré comme totalement insuffisant.

Enfin, les auditions de juristes ont permis d'examiner aussi sous l'angle juridique le point de vue développé par le parti de l'intervenant. Tant M. Messine, le conseiller d'État, que le professeur Adams ont indiqué clairement que le droit pénal est plus qu'un simple instrument : il participe aussi d'un jugement moral et fixe la norme éthique générale.

L'important, c'est que les juristes ont à présent fait remarquer eux aussi qu'une dépénalisation de l'euthanasie serait en conflit avec les dispositions de l'article 2 CEDH, qui impose à l'État l'obligation de protéger la vie humaine. En outre, la pertinence de cette argumentation qui se fonde sur l'article 2 CEDH est confirmée par une décision récente du Bureau européen des brevets à Munich, qui a rejeté une demande de brevet pour des médicaments euthanasiques pour les humains, le 23 mai 2000, précisément sur la base de la CEDH. Contrairement à ce que certains affirment, cet argument juridique est donc assurément valable.

Reste toutefois, la question de savoir quelle est la meilleure construction juridique pour justifier l'euthanasie dans les cas les plus extrêmes. Les juristes ont confirmé que l'état de nécessité, qui a été proposé par le parti du membre, est sans doute la seule construction défendable à la lumière de la CEDH. En utilisant l'état de nécessité, s'agissant du médecin, on souligne que l'euthanasie ne constitue pas un acte médical normal, mais un acte social dont le médecin doit avoir conscience. La notion d'« état de nécessité » exprime très bien à quelle situation on est confronté et représente tout autre chose que l'énumération des conditions dans lesquelles l'euthanasie est possible. En utilisant cette notion, l'on confie au médecin la charge de la preuve, de sorte que le patient vulnérable peut toujours invoquer la protection de la loi pénale ou, comme l'a dit le conseiller d'État Messine : les raisons jouent un rôle plus important que le simple fait de remplir les conditions. Il ne s'agit donc pas de remplir simplement des conditions, mais bien de se mettre dans la situation concrète.

L'intervenant reconnaît qu'il y a différentes formules juridiques possibles pour transposer concrètement tout cela dans un texte de loi, mais il souligne que selon lui, cela doit se faire sur la base de la notion d'état de nécessité.

Il faut ensuite se demander dans quel instrument juridique l'on pourrait définir cet état de nécessité pour la pratique concrète de l'euthanasie. Diverses propositions ont été formulées à cet égard. On pourrait opter pour une loi particulière sur la fin de vie imminente. On pourrait éventuellement utiliser le cadre de l'arrêté royal nº 78 relatif à l'exercice de l'art de guérir, mais pareille option semble moins souhaitable parce que l'euthanasie ne constitue pas un acte médical, au sens curatif du terme. Ce n'est toutefois pas un obstacle absolu. Mais dans ce cas, il faudrait bien clarifier la relation entre la loi pénale et l'arrêté royal nº 78. On pourrait par exemple le faire en insérant dans le Code pénal un article 71bis, qui ferait référence à une loi qui définirait les conditions dans lesquelles on peut invoquer l'état de nécessité.

Les auditions ont montré qu'une dépénalisation de l'euthanasie n'est souhaitable ni dans les faits ni sur le plan social, et qu'elle n'est pas sans risque au point de vue juridique. Toutefois, certains persistent à vouloir dépénaliser, isolant ainsi la Belgique par rapport au reste du monde, alors que tous leurs arguments ont été réfutés. L'on ne saurait réduire le maintien de la pénalisation de l'euthanasie à une discussion purement idéologique, car il concerne le coeur du problème : l'euthanasie est et doit rester un acte exceptionnel. La norme pénale « tu ne tueras point », qui protège inconditionnellement la vie de l'homme, doit rester pleinement applicable. L'on ne saurait soumettre la protection de cette vie à des conditions, qui permettraient qu'on l'enfreigne. En levant, dans certaines conditions, dans la loi pénale elle-même, l'interdiction de tuer, l'on montrerait que l'on considère que certaines vies ont moins de valeur que les autres.

L'on peut conserver sans problème la technique pénale actuelle, prévue à l'article 422bis, qui traite de l'abstention coupable, en cas d'aide au suicide.

Le quatrième point en discussion concerne le caractère terminal ou non de la phase dans laquelle la personne concernée se trouve. La proposition qui a été cosignée par le membre, telle qu'elle a été déposée, prévoit uniquement que le patient qui subit une douleur insupportable et impossible à traiter, et qui se trouve dans une situation médicale terminale sans espoir, peut formuler une demande d'euthanasie.

Il faut dire qu'au cours des auditions, rares étaient les témoins prévoyant la possibilité de l'euthanasie pour les patients qui ne se trouveraient pas en phase terminale, à l'exception des éthiciens MM. Vermeersch et Englert et des associations de MM. Favyts et Herremans.

Le professeur Vanneste a fait remarquer à juste titre que dans le cadre du problème de l'euthanasie, la « détresse existentielle » en tant que telle ne saurait entrer en ligne de compte pour la définition d'un état de nécessité. En effet, dans ce cas, le médecin ne se trouve pas dans un état de nécessité. Il ne se trouve dans un tel état que s'il est confronté à une situation dans laquelle il souhaite continuer à aider le patient grâce à son expertise médicale, alors que les moyens dont il dispose ne sont plus suffisants pour soulager la détresse physique du patient en phase terminale. C'est précisément cet élément qui provoque l'état de nécessité.

Une extension de la possibilité de justifier la demande d'euthanasie, basée uniquement sur l'avis subjectif du patient, n'est pas juridiquement défendable à la lumière, une fois de plus, des dispositions de la CEDH. Toutefois, une demande d'euthanasie doit être examinée de manière objective, ou au minimum intersubjective, en raison de son caractère exceptionnel. C'est également pour cette raison que l'on exclut la détresse psychique.

Par ailleurs, les auditions ont montré que l'emploi du terme « terminal » n'est pas toujours aussi clair. En effet, il s'agit d'une notion qualitative et non mathématique. Dès lors, il faut attirer l'attention sur le manque de logique de ceux qui affirment que l'on ne saurait définir la notion de « terminal » ou qu'il ne s'agit pas d'une notion pertinente, mais qui proposent par ailleurs des procédures différentes pour les patients en phase terminale et ceux en phase non terminale, ces derniers bénéficiant davantage de garanties de procédure.

L'intervenant estime qu'il faut réfléchir à une définition du mot « terminal », qui indique clairement que l'on se trouve en fin de vie. Plusieurs médecins ont toutefois souligné qu'en réalité, on sait si un patient se trouve en fin de vie ou en phase terminale. Le fait de ne pas pouvoir dire exactement combien de temps l'intéressé a encore à vivre cadre tout à fait avec la notion d'état de nécessité. Si l'on devait définir la notion d'état de nécessité, l'on ne pourrait en donner qu'une définition cadre, où il n'est pas question de délais.

C'est pourquoi le groupe politique du membre affinera ses propositions : si un médecin traitant veut invoquer l'état de nécessité en cas d'euthanasie intentionnelle, il devra donc être convaincu que :

­ le décès est prévisible à court terme;

­ le patient subit une souffrance insupportable et impossible à traiter, selon les conceptions médicales dominantes.

Cette dernière disposition, empruntée à la législation néerlandaise, souligne précisément l'aspect intersubjectif, qui fait que l'euthanasie ne relève pas seulement du droit, affirmé comme absolu, du patient à l'autodétermination.

Le cinquième point de discussion abordé par l'intervenant est celui de l'existence ou non d'une « procédure a priori ». Pratiquement, tous les témoins ont confirmé que la véritable demande d'euthanasie, au sens où l'entendent les propositions qui ont été déposées, est assez exceptionnelle. « Décodage » est un mot-clé qu'ont employé les divers témoins, qui ont confirmé que c'est surtout la crainte de souffrances à venir, d'une dépendance croissante et de la perte de la dignité ou encore l'appréhension de l'acharnement thérapeutique qui incitent à demander l'euthanasie.

Les auditions ont montré qu'il était de la plus haute importance que l'on s'interroge très sérieusement au préalable sur la vérité de la demande (« le désir »).

C'est notamment pour cette raison que tous les témoins ont souligné l'importance d'une concertation structurée. Ils ont été peu nombreux à se déclarer opposés à la procédure a priori obligatoire, dans laquelle la décision dépasse le « colloque singulier ». Seules l'association « Waardig Sterven », la présidente d'un comité d'éthique, Mme Bron, et Mme Pesleux ont exclu toute concertation obligatoire.

Ce sont surtout les infirmiers et les spécialistes en soins palliatifs qui ont souligné la nécessité de les associer au processus décisionnel, étant donné qu'ils entretiennent souvent avec le patient des liens beaucoup plus forts que le médecin. La proposition déposée par le groupe politique de l'intervenant prévoit déjà la concertation obligatoire avec un spécialiste des soins palliatifs. Il est souhaitable que cette concertation soit étendue au personnel infirmier et à l'équipe soignante.

La crainte d'une tribunalisation, argument souvent invoqué, ne semble pas être ressentie comme telle par les témoins. Plusieurs témoins confirment de surcroît le rôle de soutien d'une procédure a priori. Le docteur Ingels a même déclaré ouvertement que la déclaration minimale des actes euthanasiques et le manque de contrôle qui en découle aux Pays-Bas est dû en tout premier lieu à l'absence d'une procédure de prudence préalable obligatoire.

On invoque souvent à l'encontre de cette procédure a priori que l'urgence et le manque de temps ne permettent pas de suivre une telle procédure (notamment le professeur Vermeersch). Interrogés à ce sujet, plusieurs témoins ont contesté cet argument en commission. La Federatie Palliatieve Zorg a souligné que les spécialistes en soins palliatifs sont précisément conscients de l'importance du facteur temps dans le cadre d'une maladie incurable.

On ne voit par conséquent pas très bien ce qui peut encore s'opposer à une procédure a priori dès lors qu'offrant un point de référence au médecin et une protection au patient, elle vise précisément à garantir la sécurité juridique optimale. Les auditions ont en tout cas battu en brèche l'argument de la « tribunalisation ». Une concertation a priori ne doit pas servir à faire la leçon au patient, mais est nécessaire pour étayer le processus décisionnel et garantir la sécurité juridique des différents intéressés. Le choix du terme « concertation » en lieu et place de « contrôle » est voulu car il importe de donner à cette notion une connotation positive.

Enfin, il convient de signaler que pour plusieurs témoins, la concertation devrait comporter un éclairage externe, parce que les médecins et le personnel soignant sont souvent à ce point impliqués dans la situation de leurs patients qu'il leur est difficile de prendre du recul. Même le professeur Englert était partisan de cette idée. Pour le groupe auquel le membre appartient, cet éclairage externe peut être apporté par le responsable éthique de l'institution hospitalière ou bien, si le patient bénéficie d'un traitement à domicile, par une tierce personne, non-médecin, désignée d'un commun accord avec le patient et figurant sur une liste pluraliste et multidisciplinaire dressée par le conseil provincial de l'Ordre des médecins.

Le sixième point de discussion retenu par l'intervenant concerne la déclaration anticipée de volonté comme élément interprétatif. Les auditions ont montré qu'à l'exception des associations pour le droit de mourir dans la dignité de Mario Verstraete, patient souffrant de sclérose en plaques, et de la présidente d'un comité d'éthique, Mme Bron, aucun témoin ne souhaite conférer au testament de vie une quelconque force légale obligatoire.

L'on a invoqué à cet égard les arguments déjà avancés par son groupe politique (ne pas savoir comment on se sentira dans une situation déterminée, incertitude de l'avenir), ou l'on s'est référé à la déshumanisation de la relation médicale, le médecin n'ayant plus qu'à exécuter un « ordre de marche ». Dans ce cadre, il est significatif que même Mario Verstraete, un patient atteint de sclérose en plaques, a déclaré qu'il demanderait un mois de réflexion entre le moment de sa première demande d'aide et le moment prévu pour l'euthanasie, afin d'éviter de succomber à une dépression temporaire.

La quasi-totalité des témoins se sont cependant accordés à dire que la déclaration de volonté pouvait être un élément important de la prise de décisions médicales dans le cadre des soins palliatifs et intensifs quotidiens. Pour les patients, une telle déclaration de volonté apporte aussi un plus grand confort psychologique, de la transparence et une garantie de protection, notamment contre l'acharnement thérapeutique. On peut toutefois aussi donner à cette déclaration de volonté une portée positive : un patient peut tout aussi bien consigner par écrit que même s'il n'y a qu'une seule chance sur 100 de le sauver, les médecins doivent la saisir.

Le membre souligne que la proposition déposée par son groupe politique ne contenait aucune disposition relative à cette déclaration de volonté. Les auditions l'ont toutefois convaincu que la déclaration de volonté relative aux actes médicaux liés à la fin de la vie devait faire l'objet d'une reconnaissance légale.

Mais cette déclaration de volonté n'a aucune force juridique obligatoire et ne peut être prise en compte que dans la mesure où :

­ cette déclaration de volonté est de date récente et a été rédigée à un moment où le patient était en mesure de saisir pleinement la portée de sa maladie ainsi que son évolution;

­ les conditions d'admissibilité de fond applicables à l'acte pratiqué par un médecin qui met fin intentionnellement et activement à la vie, ont été remplies.

Cette déclaration de volonté ne peut dès lors avoir rien de plus qu'une valeur purement indicative.

En ce qui concerne la procédure de déclaration ­ le septième point du débat ­, l'intervenant souligne qu'au cours des auditions, plusieurs témoins ont parlé du caractère irréaliste de la procédure prévue par la proposition du 20 décembre 1999. À ce sujet, il semble bien que le contrôle direct que doit exercer le ministère public constitue le principal obstacle, mais cela n'a aucun rapport avec la question de savoir si l'euthanasie doit ou non être inscrite dans le Code pénal.

La proposition qu'a déposée le groupe de l'intervenant prévoit déjà un « tampon » entre le médecin et le parquet. Toutefois, l'expérience recueillie au cours des auditions permettra d'affiner ce tampon de manière à assurer une déclaration et un contrôle efficaces. Les commissions de contrôle qui ont été créées aux Pays-Bas sont une excellente source d'inspiration en l'espèce.

On pourrait dès lors faire une proposition dans le sens suivant. Tout médecin traitant doit, dans les 24 heures d'un acte euthanasique, remettre un rapport écrit au médecin légiste qui doit vérifier immédiatement si tous les critères de prudence ont été respectés.

En cas de non-respect manifeste des critères de prudence, le médecin légiste transmet sur-le-champ ses constatations au procureur du Roi, qui peut alors décider d'empêcher l'inhumation. Si le médecin légiste ne constate pas d'irrégularités, il transmet le rapport ainsi que ses conclusions à une commission régionale de contrôle à créer, laquelle examinera à son tour le respect des conditions et fera rapport au procureur du Roi.

Le succès d'une réglementation de l'euthanasie dépendra de la mesure dans laquelle on pourra exercer un contrôle sur le respect des conditions nécessaires. Ce contrôle doit être positif, conçu de telle manière que l'on puisse créer les conditions suffisantes nécessaires pour pouvoir garantir la sécurité juridique. Il doit en outre être opéré de telle sorte qu'un médecin agissant de bonne foi et estimant, en âme et conscience, avoir respecté la réglementation, puisse compter sur un processus décisionnel à la fois correct et équitable.

Abordant le huitième point de la discussion, l'intervenant souligne l'importance cruciale des droits du patient qui sont liés indissociablement aux soins de santé en général et au problème de l'euthanasie en particulier.

Le groupe du membre a déposé à cet égard une proposition de loi relative au contrat de soins médicaux et droits du patient et une deuxième proposition relative à l'instauration d'une procédure de plainte. Les deux propositions accordent une importance primordiale au patient. Il serait toutefois inadmissible de régler l'ensemble de la problématique des droits du patient à l'occasion de l'examen des propositions relatives à la fin de la vie.

Pour conclure, l'intervenant fait référence aux déclarations que certains sénateurs ont faites dans la presse et selon lesquelles son groupe apparaît comme étant en retard sur les faits dans le débat sur l'euthanasie, adopte une attitude rigide et crispée et défend des conceptions dépassées. Les auditions ont pourtant démontré que sa proposition est soutenue par la société et qu'elle est loin d'être conservatrice ou ancrée dans des dogmes idéologiques ou confessionnels.

Le parti de l'intervenante a toujours mené une politique proactive en ce qui concerne la dignité de la fin de la vie. Il a été à la pointe des évolutions les plus récentes dans le domaine de la médecine et des soins. En effet, les soins palliatifs et la médecine palliative sont des possibilités nouvelles; c'est aujourd'hui seulement que l'enseignement de la médecine palliative prend vraiment son essor dans le monde. Son parti oeuvre déjà depuis des années à l'organisation concrète des soins palliatifs en Flandre.

Par conséquent, la position de ce parti n'est pas dépassée. Il part toutefois du principe que lorsque la politique traite de la vie et de la mort, il y a lieu d'adopter un autre ton. Les situations complexes appellent une réponse complexe. En outre, on doit tenir compte des évolutions sociales sans jamais abandonner les principes fondamentaux, pas même dans une société post-moderne.

Défendre le principe de la protection juridique de la personne humaine arrivée à la fin de sa vie ­ c'est-à-dire le faible par excellence ­ participe non pas d'une attitude sclérosée mais d'une attitude qui anticipe les abus qui pourraient être commis au sein de la société et les pressions sociales éventuelles au moyen desquelles on pourrait tenter d'arriver à ce que l'interruption de la vie soit déterminée par des facteurs autres que l'intérêt du patient. La demande d'euthanasie et la réponse qu'il y a lieu d'apporter à cette demande doivent être considérées non seulement en fonction de l'intérêt individuel du patient, mais aussi en fonction de l'intérêt social. Voilà le point de vue que le parti de l'intervenante défend depuis le mois de décembre 1997.

Son groupe se réjouit de la proposition du sénateur Zenner et consorts. C'est pourquoi elle souscrit à l'approche qui écarte toute banalisation de l'euthanasie et selon laquelle celle-ci reste en tout état de cause inscrite dans le droit pénal. Bien que certains aspects de la proposition de loi n'aient pas été suffisamment développés, le parti de la membre y souscrit et il semble qu'elle pourrait former la base d'un consensus ignorant les clivages entre les partis.


Un membre déclare que le mot-clé de ce débat lui paraît être celui de liberté. C'est cet enjeu-là, et aucun autre, que est à la base du débat sur l'euthanasie.

On a eu beau multiplier et diversifier les sources d'information, recueillir les avis d'éthiciens et de juristes, d'intensivistes et d'urgentistes, de palliativistes, d'infirmiers et d'autres spécialistes, il reste que c'est la liberté de l'être humain qui est au centre de la réflexion.

Avant d'en arriver aux conclusions que l'on peut tirer de l'audition d'experts ainsi qu'à la suite des travaux, l'orateur souhaite s'arrêter à cette notion de liberté.

Il avoue ne pas comprendre comment et pourquoi, dans un monde où tous les groupes, toutes les catégories d'âge, tous les individus se déclarent titulaires de droits et en réclament l'application concrète, on refuse à l'être humain le droit fondamental de choisir les voies de sa propre mort.

Les enfants et les jeunes ont des droits. Les femmes réclament à juste titre le droit à l'égalité. Les Constitutions, et même le projet de Charte européenne, au-delà des droits traditionnels, s'efforcent de développer les droits économiques et sociaux (droit au travail, droit à une vie décente, droit au logement). Mais le droit sur sa propre mort est considéré par d'aucuns comme une revendication quasi-satanique, qu'il importe de repousser ou, à tout le moins, d'entourer de conditions telles qu'en fait, ce droit est vidé de toute substance.

L'intervenant ne comprend pas cette attitude, car il ne s'agit pas de remettre en cause le corps social, les règles édictées par rapport à autrui, l'ordre public qui organise la vie en société.

Le Code civil lui-même a admirablement et synthétiquement indiqué la frontière entre le libre-arbitre de l'être humain et la mise en oeuvre de sa responsabilité, lorsqu'il édicte à l'article 1382 : « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Quel est le dommage causé par un patient en phase terminale, qui veut en terminer ?

Quant au Code pénal, les sanctions qu'il édicte ne touchent essentiellement que les agressions commises contre les personnes, les biens, l'ordre public, mais non les actions de l'être humain qui ne concernent que lui-même.

Le crime est punissable, mais le suicide ne l'est pas, même s'il est manqué, et bien qu'il y ait mort d'homme.

L'alcoolisme est réprimé au volant ou dans la rue, mais pas lorsqu'il se limite au domicile de l'intéressé.

On pourrait certes rétorquer que certains comportements sont sanctionnés sans qu'un dommage causé à autrui n'apparaisse.

Tel est le cas de l'interdiction généralisée de la drogue, y compris de l'usage personnel de drogues douces.

Mais, pour répondre à cette objection, il suffit de faire référence à l'évolution qui distingue consommateur et dealer ou gros producteur de drogue et qui, en fait, tend à ne plus poursuivre le petit consommateur parce qu'il ne cause aucun dommage à autrui, mais à maintenir les poursuites et les sanctions à l'égard de ceux qui participent au commerce de la drogue.

Quant aux interdits civils que l'on connaît actuellement, ils ne sont que le fruit d'une conception de la société à un moment déterminé et ils tombent les uns après les autres, au fur et à mesure de la prise de conscience des changements sociétaux. Ainsi en va-t-il du mariage des homosexuels. Le débat, encore voué à l'échec voici dix ans, s'est modifié complètement puisqu'en France existe le pacte civil de solidarité et en Belgique, un système qui y ressemble quelque peu.

Les solutions sont plus développées dans les pays nordiques. Nul doute que l'évolution va dans le sens de la non-discrimination.

Dès lors, qu'est-ce qui fait qu'un droit finalement assez élémentaire, puisqu'il s'agit d'un droit sur sa propre vie, sans conséquence sur autrui, est nié ou entouré de conditions telles qu'il n'est plus soumis au libre-arbitre de son détenteur ?

Une réponse se trouve dans la peur devant l'inconnu, le risque que l'on n'aperçoit pas mais que l'on imagine.

Certes, cette peur est présente dans toutes les reconnaissances des progrès de la science, car il y a toujours une face noire à toute invention.

Le tout récent décryptage du génome humain en est un exemple.

Si le clonage thérapeutique des cellules-souches embryonnaires peut vaincre des maladies ou remédier éventuellement à la pénurie d'organes, il est évident que le clonage reproductif humain ouvre des perspectives fondamentalement différentes, où se manifeste la peur, puisque l'on remet en cause une certaine conception de notre société.

Mais, dans le domaine de l'euthanasie, c'est tout autre chose. On n'a pas inventé l'euthanasie au moment où le débat a commencé, ni ouvert des perspectives insondables.

On a simplement proposé de répondre à la demande faite consciemment par des personnes confrontées à leur mort prochaine, ou à une vie dont elles estiment qu'elle doit être abrégée en raison de la conception que chacun a de sa propre dignité.

Il n'y a là, d'ailleurs, rien de nouveau, car, lors des auditions, personne n'a nié que des euthanasies étaient pratiquées partout, dans les hôpitaux, dans les maisons de repos, et même dans certains services palliatifs, avec ou sans accord des patients.

Certains considèrent qu'il ne faut pas soulever ce problème. « La mort est du domaine du monde médical », ont dit certains médecins, qui considèrent qu'eux seuls savent comment agir.

Légiférer serait, dans cette conception, entrer dans l'appréciation de l'acte médical, qui doit être pris dans sa continuité et non scindé en plusieurs décisions codifiées par la loi.

Or, précisément, l'intention n'est pas de s'immiscer dans l'acte médical lui-même.

L'intervenant n'entend pas s'engager dans une voie visant à définir, par exemple, l'acharnement thérapeutique et à fixer des conditions auxquelles le médecin devrait répondre.

Il ne veut pas substituer le choix du juge au choix du médecin.

Mais il estime qu'à partir du moment où, dans certaines conditions, un patient exprime sa volonté, sa liberté doit être prise en compte.

D'ailleurs, la proposition des six auteurs n'est pas une loi médicale, mais une loi de procédure, fixant la manière dont la demande de mort est exprimée et accueillie, ainsi que la façon d'y répondre.

D'autres personnes entendues se sont demandé s'il était opportun d'ouvrir le débat, l'euthanasie étant certes interdite, mais le parquet ne poursuivant pas. Or, le parquet a poursuivi et l'on peut se demander pourquoi il ne continuerait pas à le faire.

La loi est là et l'euthanasie est un crime que la justice doit poursuivre.

Voilà pourquoi des médecins ont été inculpés et certains emprisonnés pendant quelques jours. Cela rappelle étrangement d'autres débats que l'on a connus antérieurement.

Cela ne veut pas dire que les six auteurs veulent légiférer parce que des auteurs d'euthanasie sont en prison ou inculpés, mais parce qu'ils pensent qu'il ne faut pas poursuivre les auteurs d'acte d'euthanasie dans certaines conditions et qu'ils estiment, au terme d'une réflexion approfondie sur la liberté de l'être humain, qu'il faut changer la loi.

Mais si une majorité refusait de changer la loi et préférerait le statu quo, alors, l'acte d'euthanasie serait interdit et il faudrait poursuivre tous ceux qui transgresseraient la loi.

Cette logique est parfois délibérément ignorée par ceux qui préféreraient s'allier tout le monde, en maintenant l'interdit légal, mais en espérant qu'on ne l'applique jamais, et même parfois en critiquant les magistrats si, d'aventure, ils l'appliquent.

Quant à l'argument international, selon lequel la Belgique adopterait une position de pointe en matière d'euthanasie, il est systématiquement brandi, de manière réversible, selon l'intérêt de ceux qui l'invoquent.

Ainsi, les personnes qui soulignent aujourd'hui que la France est beaucoup plus prudente que la Belgique sont ceux qui se gardent de constater que, dans le domaine bioéthique ou du pacte civil de solidarité, la France est nettement en avance sur nous.

De plus, l'intervenant ne voit pas d'objection à ce que la Belgique occupe une position de pointe sur un sujet éthique. Du reste, contrairement à ce que certains semblaient craindre, la Belgique n'a pas, jusqu'à présent, été placée au ban des nations ni condamnée parce qu'elle se saisissait du problème, qui commence d'ailleurs à être discuté partout.

En ce qui concerne la décision de l'Office européen de Munich, évoquée par le précédent orateur et selon laquelle l'euthanasie serait contraire à l'article 2 CEDH, l'intervenant rappelle que l'Office européen de Munich n'est composé que de fonctionnaires, raison pour laquelle il est actuellement critiqué, car c'est lui qui détermine les brevets qui sont contraires à l'ordre public et aux bonnes moeurs.

Dans ce cadre, il fait preuve d'un étrange laxisme et autorise en fait tous les brevets sur le vivant, sans s'intéresser au point de savoir s'ils sont contraires à l'ordre public et aux bonnes moeurs.

Dès lors, les avis d'une instance administrative ­ et non juridictionnelle ni politique ­ qui vont en sens divers doivent être appréciés avec un certain recul.

Du reste, cette instance n'est pas là pour donner une appréciation politique ou morale, mais pour déterminer s'il s'agit d'une invention avec activité inventive et application industrielle, conditions requises pour le dépôt d'un brevet.

Selon certaines pétitions, signées notamment par des parlementaires qui participent aux travaux, le débat à peine commencé devrait s'approfondir et s'étendre.

L'intervenant croit utile de rappeler que le problème de l'euthanasie est posé depuis 1984. C'est le député D'Hose qui a commencé à cette époque à parler d'euthanasie, suivi en 1988 par Edouard Klein et, en 1995, par MM. Boutmans, Moureaux, Lozie, Bacquelaine, et l'intervenant lui-même.

Bloquées pendant un certain nombre d'années par l'interdiction discutée en séance publique, ces propositions sont restées lettre morte. Cependant, le débat était lancé et certains, dont l'intervenant, ont déjà exposé leurs conceptions voici plus de cinq ans dans divers cénacles.

C'est le 12 mai 1997 que le Comité de bioéthique a rendu son avis, ultérieurement débattu par le Sénat.

Une fois l'interdit levé, et dès que la majorité arc-en-ciel a laissé aux parlementaires carte blanche pour discuter de ce problème, toutes les propositions ont été reprises et éventuellement adaptées.

Depuis lors, 11 réunions de commission ont eu lieu, du 17 novembre 1999 au 10 février 2000, suivies de 12 autres réunions du 15 février au 9 mai, avec 44 auditions, à raison de 2 à 3 heures par personne entendue et avec plus de 400 interventions des parlementaires présents en commission.

Si l'on y ajoute les quelques dernières réunions, et celles qui auront lieu jusqu'au mois de décembre 2000, plus de 40 séances occupant deux commissions parlementaires auront été consacrées à l'euthanasie. Jamais aucune proposition de loi n'a nécessité avant son adoption une telle avalanche de réunions.

Lorsqu'on a apporté à la Constitution les modifications qui, on le sait aujourd'hui, ont abouti à « tuer » partiellement le Sénat, il a fallu moins de temps qu'il ne faudra pour discuter de l'euthanasie.

Durant les réunions et à l'extérieur, en de multiples occasions, les sénateurs se sont exprimés publiquement et, face à cet effort, le reproche de ne pas avoir commencé le débat est irrecevable, d'autant que ceux qui réclament le débat s'indignent lorsque des parlementaires auteurs d'une proposition disent clairement tout le mal qu'ils pensent d'une autre proposition. En d'autres termes, ils veulent bien un débat, mais pas ce débat-là.

À moins que l'on ne considère qu'il n'y a de bon débat que celui qui débouche sur un consensus généralisé.

N'y a-t-il démocratie que lorsqu'il y a consensus ? Le nécessaire respect que l'on doit aux conceptions des autres entraîne-t-il l'abandon de ses propres propositions ? La confrontation pacifique des points de vue ne régit-elle pas la démocratie ? Combien de fois n'a-t-on pas déploré, au cours des dernières années, le déclin des idéologies ?

Et aujourd'hui, alors que le Sénat commence le premier des débats éthiques qu'il va devoir affronter, on voudrait que la règle soit « le plus petit commun dénominateur » ou pire, le vague des textes qui devrait rassembler, et sans doute rassurer, la quasi-totalité des parlementaires.

L'intervenant ne veut pas d'un débat de ce type. Il n'a jamais pratiqué la langue de bois et n'en veut pas davantage.

Les propositions de loi déposées et les diverses interventions ont montré et montrent encore que, sur le plan des principes, des oppositions quasi-philosophiques, fondées sur la conception même et la place de l'être humain existent encore entre les parlementaires.

Pourquoi cacherait-on ces oppositions ? Ne sont-elles pas apparues à l'occasion du débat sur l'avortement ?

Si ces oppositions existent, elles n'empêchent pas que l'on puisse rencontrer l'autre. L'écoute des uns et des autres a certainement permis d'approfondir la réflexion et d'en tirer des conséquences au niveau de la rédaction des propositions. Mais ce n'est pas être radical que de tenir à ses idées et de les exposer.

C'est au contraire vouloir une démocratie vivifiante qui ne s'accorde ni du non-dit, ni de faux-fuyants, ni de textes à double lecture, ni de déclarations lénifiantes.

Après un premier tour de table, chacun a développé sa philosophie de base en la matière. Il est apparu très vite que les commissions étaient partagées entre deux tendances que séparait et que sépare toujours un certain fossé :

­ d'un côté, l'autonomie de la personne et le sentiment de sa propre dignité, qui doivent conduire à respecter le choix fait librement par un patient de ne pas prolonger son existence en cas de maladie incurable causant des souffrances ou des détresses que lui seul est capable de juger comme insupportables;

­ de l'autre, l'autonomie de la personne qui n'est pas absolue et doit s'exercer dans le cadre d'un corps social qui influe nécessairement sur le comportement individuel et limite la personne dans son autonomie, nul n'ayant un droit complet sur son existence.

Cette opposition s'est traduite dans les propositions déposées : dépénalisation v. état de nécessité, caractère subsidiaire de l'euthanasie v. écoute du patient, ...

Après 44 auditions, le fossé demeure. Comment pourrait-il en être autrement, puisqu'il ne s'agit pas de données techniques que des experts auraient pu éclairer, mais de la conception que chacun a de sa propre vie et du degré d'autonomie qu'il s'accorde par rapport à la société.

On n'a pas davantage pu concilier les points de vue au sein du Comité de bioéthique, où quatre propositions ont été déposées.

L'intervenant ne voit pas ce qu'un médecin, une infirmière, un juriste pourrait apporter comme élément, qui le ferait changer d'avis en ce qui concerne sa propre conception de l'autonomie individuelle par rapport à la société.

La question est fondamentale. Elle est au centre du débat.

L'interdit de tuer du Code pénal peut-il subir une exception en matière d'euthanasie ?

C'est cette question qui amène des réponses différentes, lesquelles se traduisent dans les propositions de loi déposées.

Certains ont essayé de dépasser ce désaccord fondamental, en créant une hypothétique troisième voie.

L'intervenant est d'avis qu'en matière d'éthique, et spécialement d'euthanasie, sur ces problèmes de principe fondamentaux, il n'y a pas de troisième voie possible.

Essayer de réconcilier les partisans de l'une ou de l'autre vision de l'autonomie humaine, c'est proposer une sorte de consensus généralisé, en espérant que le vague des notions permette une double lecture et que chacun puisse avoir le sentiment d'avoir gagné quelque chose.

Ce n'est pas cela qu'il convient de faire dans un pareil débat.

Si un certain nombre de points de convergence peuvent être trouvés, le débat ne peut pas pour autant tomber dans un compromis, où personne, fondamentalement, ne gagnera rien.

La population attend des textes clairs, dénués d'ambiguïté, et les parlementaires ne peuvent pas non plus se satisfaire d'une telle ambiguïté, qui pourrait amener à des divergences ou des contradictions dans la jurisprudence.

L'intervenant déclare qu'il ne votera un texte que dans la mesure où il saura exactement ce qu'il signifie au minimum et au maximum.

Quant aux auditions, si elles ont démarré sous le signe des questions et réponses télégraphiques après les interventions, elles ont très vite abouti à un échange de vues entre experts et membres des commissions ou même entre membres des commissions.

Le nombre de pages du rapport des auditions, et des heures de télévision atteste de la longueur des discussions et du nombre des interventions.

Il semblerait que les interventions des parlementaires intéressent moins les média télévisés que celles des experts. L'intervenant remercie dès lors les représentants de la presse écrite que suivent toujours les interventions des parlementaires après les auditions.

Tous les experts ne se situaient pas dans la même optique. Des représentants du Comité de bioéthique, qui abordaient le problème sous l'angle philosophique, aux pharmaciens, qui s'interrogeaient sur les éléments techniques relatifs à leurs pratiques, la panoplie des objectifs était vaste et la portée des interventions était diversifiée.

Comme il fallait s'y attendre dans un tel débat de société largement médiatisé, les auditions ont mis à jour des éléments intéressants, mais ont aussi été le théâtre de discussions fort éloignées de l'euthanasie : digressions sur la remise en cause du fonctionnement général des hôpitaux, critiques de certains para-médicaux par rapport aux médecins, plaidoyer pro domo de responsables d'unités de soins palliatifs présentant le cahier de revendications soumis au gouvernement, ...

De la somme des informations et des avis émis, l'intervenant retient quelques points qui lui paraissent significatifs :

1) Les euthanasies existent, non seulement le refus de l'acharnement thérapeutique, mais aussi la volonté de mettre fin à la vie du patient, avec ou sans demande de sa part.

En effet, il a été impossible de savoir si les études qui avaient été faites aboutissaient à ce que l'euthanasie soit pratiquée sans le consentement du patient.

2) On parle beaucoup de l'absence d'exemples internationaux de législation en la matière.

Cependant, de tels exemples existent, notamment aux Pays-Bas. La législation hollandaise n'est pas un échec et démontre au contraire qu'il est possible de légiférer en la matière.

Les médecins acceptent de plus en plus de collaborer avec la justice et, loin de mettre fin à l'expérience, on s'efforce au contraire d'aboutir à la légaliser, en tenant compte de l'expérience.

Il faut rappeler à cet égard le débat concernant les comparaisons que l'on peut mener, sur base notamment de l'enquête faite en Flandre, entre la façon dont l'euthanasie y est pratiquée, et la façon dont elle l'est aux Pays-Bas.

On a aussi pu constater, même si certains pourcentages sont analogues, qu'il y avait plus d'euthanasies sans demande du patient en Flandre qu'aux Pays-Bas.

L'expérience hollandaise fonctionne donc et n'a pas abouti aux résultats dramatiques que d'aucuns prophétisent dans l'hypothèse où une législation légalisant l'euthanasie serait adoptée en Belgique.

3) Les médecins semblent moins effrayés par une législation sur l'euthanasie que par le contrôle judiciaire a posteriori qui serait organisé.

La réticence à l'égard des formalités administratives est une longue tradition médicale.

Les médecins ne conçoivent pas qu'une législation puisse encadrer leurs comportements, à moins qu'il s'agisse d'une législation sans sanctions.

Le raisonnement a conduit certains médecins ­ et certains parlementaires ­ à dire qu'il faudrait, en quelque sorte, sortir la pratique médicale des règles générales du Code pénal et trouver, dans l'approfondissement du droit corporatiste, la manière de réprimer toute violation d'un code de conduite élaboré par les praticiens eux-mêmes.

En quelque sorte, le Code de déontologie médicale se substituerait au Code pénal.

Cette évolution ne paraît pas acceptable à l'intervenant. Si de nombreuses professions ont leur spécificité, garantie par un ordre professionnel, elle s'exerce dans le cadre des dispositions édictées par la société, notamment en ce qui concerne les éléments de responsabilité pénale. Cela va même plus loin, puisque tout récemment encore, on a vu, dans le débat sur la concurrence au niveau des officines pharmaceutiques, certains tribunaux considérer que les ordres professionnels ne peuvent pas s'opposer à des dispositions générales en matière de règles de concurrence.

Néanmoins, le reproche fait à la proposition des six auteurs de prévoir une procédure trop abrupte entre l'acte d'euthanasie et la transmission au parquet, pourrait être considéré comme fondé.

Pour donner confiance aux médecins, et éviter le reproche de judiciarisation, on pourrait prévoir, par exemple, que la commission d'évaluation agisse comme organe intermédiaire entre le médecin ayant pratiqué l'acte d'euthanasie et la justice.

Il s'agirait, en un premier temps, d'un dossier anonyme. Si celui-ci ne pose pas de problèmes, la commission le classerait. Dans le cas contraire, elle pourrait appeler le médecin. En cas de problème grave, la commission lèverait l'anonymat et transmettrait le dossier au parquet.

Sur ce point, une avancée paraît donc possible.

4) La frontière entre l'euthanasie et d'autres formes de fin de vie est floue. C'est notamment le cas de la sédation contrôlée, pratiquée par des centres qui refusent de parler d'euthanasie, et qui aboutit en fait au décès programmé de la personne.

Il est d'ailleurs curieux de constater, après plusieurs questions sur le point de savoir si la sédation contrôlée est un acte d'euthanasie, que les réponses sont divergentes.

Il faudrait que le législateur prenne clairement position sur ce point, car il est trop facile de dire que l'on ne pratique pas d'euthanasie, tout en provoquant la mort du patient de façon différée, en augmentant progressivement les doses de produits administrées.

5) La notion de phase terminale est difficile à cerner. Là encore, l'intervenant n'a pas d'attitude doctrinale en la matière. On a même essayé de trouver des formules permettant de déterminer si l'on se trouve ou non en phase terminale. À titre personnel, l'intervenant a cherché s'il était possible d'établir une procédure quelque peu différente, selon que l'on se trouve ou non dans cette phase.

Mais la question est toujours la même : comment avoir la certitude médicale de ne pas se tromper ?

L'intervenant conclut que prévoir des procédures différenciées à partir d'une notion dont on ne peut tracer clairement les contours est un exercice difficile.

Il faut en tout cas éviter de ne pas répondre à la demande d'une personne qui ne souffre pas nécessairement dans sa chair, mais qui estime que sa dignité d'être humain est mise en question par les conséquences de l'affection qu'elle subit.

On a beaucoup parlé du cas de M. Lorand, qui ne souffre pas, mais qui est paralysé. À cet égard, l'intervenant trouve assez étonnant qu'après l'appel que M. Lorand a lancé aux parlementaires et dont lui-même n'avait aucune connaissance, personne n'a répondu à sa demande, à une exception près.

Or, il est utile de voir quelle peut être la situation de quelqu'un qui n'est pas en phase terminale, et qui, pourtant, est en situation de détresse.

Si l'on veut répondre humainement à ces demandes dramatiques, il faut prendre en compte la détresse morale, même en l'absence de souffrances physiques.

C'est là un des points fondamentaux que l'on trouve à la base de la proposition des six auteurs.

6) Beaucoup d'intervenants ont rappelé la nécessité d'avoir l'assurance que la demande d'euthanasie est voulue, déterminée et qu'il ne s'agit pas d'un appel au secours déguisé. Les propositions déposées tiennent compte de cette nécessité. L'intervenant ne voit pas d'objection, si cela peut rassurer certains, à ce que ce point soit davantage explicité, pour autant que l'on n'aboutisse pas à nier la décision qui doit rester au patient.

Pour ce qui est de l'information de l'équipe soignante, il semble que, là aussi, on pourrait arriver à un accord, pour autant que l'on n'aboutisse pas à ce qu'on appelle la tribunalisation. Or, quand on voit la liste des personnes à auditionner par le patient avant que l'on réserve une suite à sa demande, c'est bien de cela qu'il s'agit, ce qui ­ des experts l'ont souligné ­ peut avoir pour conséquence que des conflits psychologiques internes à l'équipe soignante risquent de prendre le pas sur le désir du patient.

La responsabilité de la décision ultime doit rester au médecin.

7) La question des soins palliatifs a entraîné de longs débats et a suscité des observations de deux ordres : des observations de principe et des considérations financières.

En ce qui concerne les premières, certains experts et parlementaires ont estimé que les soins palliatifs étaient la réponse à la demande d'euthanasie et que s'ils étaient bien organisés et proposés ­ voire imposés ­ aux patients, ceux-ci abandonneraient très vite leur demande d'euthanasie.

Dans cette optique, les soins palliatifs seraient considérés comme une sorte de passage obligé.

L'intervenant ne partage pas ce point de vue. Il ne convient pas plus d'opposer euthanasie et soins palliatifs que de nier l'intérêt de ceux-ci. Chacun a le droit de déterminer comme il l'entend les voies de sa propre mort, sans qu'on lui impose de suivre un chemin qui commencerait par les soins palliatifs. Ceux-ci constituent une voie proposée au patient. Les six auteurs estiment même qu'il faut proposer ces soins, mais qu'en aucun cas ils ne peuvent masquer la demande d'euthanasie, ou se substituer à celle-ci.

On notera d'ailleurs que la conception même des soins palliatifs a été discutée : soins continus ou service spécifique. Ces catégories ont évolué selon la qualité des personnes entendues, urgentistes ou dirigeants d'un service de soins palliatifs, par exemple.

Le second aspect de la question est d'ordre financier. Pour que l'on puisse parler de droit du patient, il faut que les soins continus soient accessibles à tous. Il s'agit d'un choix politique. C'est pourquoi il a été proposé d'entendre les ministres compétents (Mme Aelvoet et M. Vandenbroucke).

8) Le risque d'extension de l'euthanasie a été plusieurs fois avancé. C'est d'autant plus surprenant que, dès le début des discussions, les six auteurs ont souligné qu'ils voulaient en circonscrire le champ d'application aux patients majeurs, capables d'exprimer leur volonté et conscients ­ sous réserve du problème du testament de vie ­ et qu'ils se refusaient à légiférer à l'égard de personnes handicapées ou incapables, ainsi qu'à l'égard des mineurs.

Dès lors, pour ces auteurs, seule devrait être dépénalisée l'euthanasie pratiquée dans les conditions de la loi à la demande d'une personne majeure et capable.

L'intervenant déclare, à titre personnel, qu'il ne signera jamais une proposition qui irait au-delà de ces limites.

Pour les cas ne répondant pas à ces conditions, on retomberait dans le système de l'état de nécessité actuellement appliqué.

9) La déclaration anticipée ne fait pas, semble-t-il, l'objet d'un rejet. Tout au plus des précisions ont-elles été demandées concernant la date du document et son contenu, qui doit être clairement indicatif de la volonté de la personne. C'est l'un des éléments qui doit fonder la conviction du médecin.

Ce document sera d'autant plus décisif qu'il aura été fait à une date rapprochée de l'entrée dans l'inconscience.

La possibilité de désigner un mandataire est prévue. L'intervenant n'est personnellement pas favorable à la désignation d'une ASBL comme mandataire car, tout comme il ne veut pas de médecins euthanasieurs professionnels, il ne veut pas non plus d'ASBL mandataires de la mort, qui auraient « en portefeuille » un certain nombre de déclarations anticipées.

Il faut une relation personnelle entre le patient et le mandataire, qui peut d'ailleurs changer. Il ne convient pas d'instrumentaliser ce type de document.

10) Les auditions ont montré un curieux paternalisme de la part de ceux qui savent, par rapport à ceux qui ne savent pas.

Certains se sont en effet interrogés sur le niveau insuffisant d'une partie de la population, niveau qui ne permettrait pas de rédiger efficacement un testament de vie, ou qui empêcherait de porter un jugement précis sur son état et donc remettrait en cause la valeur de la demande éventuelle d'euthanasie.

L'intervenant ne peut admettre cet argument. La rédaction d'un testament de vie, ou la formulation d'une demande d'euthanasie, n'est pas une question de termes médicaux. Tous sont égaux devant la mort.

Il n'est d'ailleurs pas prouvé que la réaction d'un universitaire soit plus posée, réfléchie, adéquate et intelligente que celle d'un patient qui n'aurait suivi que l'enseignement fondamental.

Avec de tels arguments, on pourrait supprimer le suffrage universel.

C'est d'autant plus inacceptable à une époque où les citoyens demandent à être entendus partout, dans tous les domaines et où les pouvoirs publics réfléchissent à des procédures de participation de la population aux décisions qui la concernent (consultation populaire, référendum, panel de citoyens, ...).

En conclusion, l'intervenant constate que, depuis un an, le débat a incontestablement soulevé un intérêt que bien peu de législations ont suscité.

Qui, en effet, n'a pas, dans son entourage, une illustration de ce dont on discute ?

La question est d'autant plus débattue que c'est la première fois depuis des années que le Sénat se lance dans un débat sur les problèmes bioéthiques. Les parlementaires sont sous les feux de l'actualité. Les auditions ont eu lieu. Le dossier est complet. Il faut maintenant en arriver à débattre entre parlementaires sur les propositions déposées ou à déposer et à discuter des articles et d'éventuels amendements.

On ne pardonnerait pas aux sénateurs de fuir leurs responsabilités. Pas plus au Sénat que dans la population ne régnera l'unanimité sur le sujet. Le consensus n'est d'ailleurs pas la règle dans les domaines éthiques. L'essentiel est l'affirmation de sa propre conviction, le respect de la position des autres et la recherche de points de contact, sans sombrer pour autant dans des compromis boiteux.

Il reste au Sénat quelques semaines ou quelques mois pour faire la démonstration de sa capacité à légiférer dans un débat éthique. C'est le premier débat de ce type, mais il y en aura beaucoup d'autres.

Il s'agit de légiférer, non pas pour obliger ni pour interdire, mais pour permettre; permettre à celui qui, en toute autonomie, a décidé des voies de sa propre mort d'être entendu quand il formule sa demande d'euthanasie, permettre à celui qui souffre de décider si sa dignité d'être humain n'exige pas qu'il soit mis fin à sa vie parce qu'elle ne correspond plus à sa propre définition de la dignité, permettre que soit accueillie une demande volontaire du patient et qu'il y soit répondu par une démarche volontaire du médecin.

Pour l'intervenant, l'enjeu du débat est, fondamentalement, la liberté humaine, et c'est ce souci de liberté qui l'a amené à signer la proposition des six auteurs.

Il souhaite, à titre personnel, qu'une majorité de sénateurs et de députés estiment eux aussi qu'en cas de détresse et de souffrance causées par une maladie incurable, la fin de la vie appartient au patient. Lui refuser ce droit, ce serait le faire mourir deux fois.

Une membre déclare qu'elle ne souhaite pas réagir à des remarques d'ordre général, il convient de réserver l'examen pour la discussion générale des diverses propositions de loi, mais aussi qu'elle tient à faire quelques observations ponctuelles à propos des auditions.

Elle souligne tout d'abord que son groupe reconnaît qu'il importe de poursuivre le développement des soins palliatifs. Plusieurs partis ont déjà déposé de bonnes propositions à ce sujet. En tout cas, il importe d'arriver à un bon résultat de manière que chacun ait accès aux soins palliatifs en cas de besoin. Il n'est pas nécessaire d'en convaincre les commissaires.

Deuxièmement, l'intervenante a surtout retenu des auditions qu'il importe qu'il y ait une bonne communication avec le patient et que celui-ci soit bien informé. Plusieurs orateurs ont souligné qu'il y a actuellement une lacune à cet égard. Il faut non seulement tenir compte de cette nécessité dans le cadre de la formation du médecin ­ les médecins se sont même exprimés en jargon au cours des auditions ­, mais, d'une manière générale, il faut donner davantage la parole aux patients. C'est un élément dont il doit être question dans la législation qui est en cours d'élaboration.

Ensuite, la membre souligne que, dans certaines situations, les médecins savent très bien que l'euthanasie est la seule solution. Le fait qu'il y ait dès lors des cas d'euthanasie aujourd'hui renforce la volonté du groupe auquel elle appartient de régler la question de l'euthanasie par la voie légale. Il convient aussi de donner, dans la procédure à élaborer, une place aux infirmiers, étant donné qu'ils entretiennent des rapports de proximité avec les patients. Même si c'est au médecin qu'il doit appartenir de prendre la décision finale, le personnel infirmier doit être étroitement associé à l'accompagnement du patient.

La membre renvoie à la question de savoir si la sédation contrôlée constitue ou non une forme d'euthanasie. Il n'y a pas eu de réponse univoque à cette question. L'essence même de l'euthanasie consiste à atténuer la douleur. Il en va de même pour ce qui est de la sédation contrôlée. Il faut éviter que certaines institutions refusent de pratiquer l'euthanasie, tout en autorisant la sédation contrôlée.

Au cours des auditions, l'on a donné les réponses les plus contradictoires à la question de savoir quand un patient se trouve en phase terminale. Il est dès lors très difficile de déterminer s'il faut prévoir des procédures différentes pour les patients en phase terminale et les autres. Si l'on décidait d'élaborer un régime légal en la matière, il faudrait qu'il soit particulièrement précis. L'intervenante estime que si l'on n'arrive pas à mettre au point un régime précis, il vaut mieux rester sans régime légal et laisser au médecin la responsabilité en la matière.

En ce qui concerne la « déclaration de volonté » les personnes entendues ont également défendu des conceptions contradictoires, de sorte qu'il est impossible de dégager une réponse univoque. Le groupe politique auquel la membre appartient reste d'avis qu'une déclaration de volonté peut vraiment être très utile, surtout pour les patients, en ce sens qu'elle leur permet d'avoir prise sur leur fin de vie et qu'elle leur apporte l'assurance de ne pas devoir terminer leurs jours de manière indigne. Il y a lieu d'inscrire ce point dans la législation.

Partisans et détracteurs réclament tous deux la clarté et la sécurité juridique. Contrairement à un autre groupe politique, qui demande que l'euthanasie ne soit pas dépénalisée mais qu'il soit permis, dans certaines circonstances, aux médecins de la pratiquer, le groupe politique auquel appartient la membre demande que l'on fasse un choix clair : soit on autorise l'euthanasie dans certains cas, et il faut alors la dépénaliser, soit on l'interdit dans tous les cas. Le groupe auquel la membre appartient opte pour une autorisation dans certains cas. On ne peut pas laisser l'euthanasie dans la loi pénale tout en prévoyant la possibilité de l'appliquer. En faisant cela, on crée la confusion. Si les médecins jugent qu'il doit exister une possibilité d'intervenir, il importe que cette possibilité tombe hors du champ d'application de la loi pénale, et ce, afin de garantir la transparence nécessaire.

Il est particulièrement important qu'il y ait un contrôle clair a posteriori. Autoriser l'euthanasie dans certains cas, ce n'est pas permettre n'importe quoi et il faut par conséquent qu'un mécanisme de contrôle permette de surveiller le respect des limites prévues.

Le groupe politique auquel la membre appartient considère que les droits du patient restent prioritaires à la fin de sa vie. La sécurité juridique doit être garantie non seulement au médecin mais aussi au patient. La question est non seulement d'ordre juridique mais aussi d'ordre psychologique. L'on est en effet souvent obligé d'aider les patients à franchir une barrière psychologique.

L'intervenante ne partage pas l'avis selon lequel la discussion sur le maintien ou non de l'euthanasie dans la loi pénale n'aurait qu'un caractère symbolique. Il est important de maintenir hors de la sphère pénale les situations dans lesquelles l'euthanasie est autorisée. Dans ce sens, les propositions de loi qui ont été déposées par certains groupes politiques, dont celui auquel appartient la membre, constituent un pas majeur dans la bonne direction. Il n'empêche qu'il y a lieu d'apporter certaines précisions, notamment d'ordre rédactionnel, pour exclure toute possibilité de confusion. Par ailleurs, l'intervenante estime que ces propositions devront être complétées par une procédure associant étroitement le personnel infirmier à la décision de pratiquer ou non l'euthanasie. Troisièmement, le contrôle a posteriori devra être conçu de telle manière que le médecin ne soit pas sans cesse en proie à la crainte de devoir se justifier devant le juge. Cela n'enlèvera rien à l'obligation pour les tribunaux d'intervenir dans les situations qui continueront de tomber clairement dans la sphère pénale.

L'intervenante déclare pour conclure que les auditions n'ont pas toujours permis d'apporter une réponse univoque aux questions des commissaires, ce qui est normal. Il appartient maintenant aux parlementaires d'assumer leur responsabilité politique et de prendre les décisions qui s'imposent.

Une autre membre souligne que les auditions, qui ont permis de donner surtout la parole à des gens de terrain et qui ont été très enrichissantes, ont réclamé un travail particulièrement intensif à un groupe politique de taille réduite. Elle déplore cependant que nombre d'interventions aient été très « colorées », ce qui peut s'expliquer par le fait que les intervenants aient été présentés par quelques sénateurs et qu'il a fallu respecter les indispensables équilibres linguistiques et philosophiques. Le climat est toujours resté très serein, malgré la présence de la presse.

Le groupe politique du membre estime que les auditions ont joué un rôle très essentiel, tout d'abord parce qu'elles ont permis d'associer la société au débat sur l'euthanasie. La publicité des réunions a encore renforcé l'intérêt du grand public pour ce débat. La preuve en est l'afflux considérable de lettres et d'invitations à effectuer des visites de travail. Les auditions se sont également avérées essentielles à un autre point de vue car c'est sans doute la première fois que l'on a parlé autant de la notion de « soins palliatifs ». Les auditions ont largement contribué à focaliser l'attention politique nécessaire sur les soins palliatifs. Elles ont également permis de rassurer certains groupes, tels que les personnes handicapées et les personnes âgées, chez qui les propositions déposées avaient suscité beaucoup d'inquiétude. On a en effet pu leur expliquer clairement quelle était la finalité de ces propositions. Outre l'attention accrue dont ont bénéficié les soins palliatifs, on s'est également intéressé à la problématique plus vaste de la fin de vie et aux droits du patient. Il s'agit là aussi d'une conséquence des auditions.

Ce qui rapproche sans doute le plus tous les membres de la commission, ce sont les soins palliatifs. On a dit tellement de choses des structures, du personnel et du manque de moyens dans ce secteur que les problèmes de terrain pourront sans doute être résolus. Qu'à côté de l'acharnement thérapeutique, il existe également une sorte d'« acharnement palliatif » constitue pour l'intervenante un élément nouveau. Il en va de même de la notion de « sédation contrôlée », bien que l'on ne perçoive pas tout à fait ce que cette expression recouvre. Tous les intervenants sauf un ont aussi mis l'accent sur le fait qu'en dépit de tous les bons soins et de tout ce qui se fait dans le domaine de la lutte contre la douleur, il subsiste dans certains cas une demande d'euthanasie. Bien que limitée, cette demande appelle cependant une réponse.

Il faut en outre trouver une solution au problème posé par la demande d'euthanasie afin de sortir de la zone grise dans laquelle on se trouve actuellement. Même en les divisant par deux, les chiffres de l'étude Deliëns n'en demeurent pas moins inacceptables, d'autant qu'il s'agissait dans cette enquête d'interruptions de vie sans que le patient en ait fait la demande. Le débat sur l'euthanasie n'est donc certainement pas prématuré.

L'intervenante estime qu'il faut réglementer l'euthanasie dans un cadre plus large englobant non seulement les soins palliatifs mais aussi la formation des médecins et du personnel infirmier dans le domaine de la lutte contre la douleur et de la communication avec le patient ainsi qu'avec l'équipe médicale. Une formation sur le plan de l'accompagnement social est également requise.

Les auditions n'ont pas cherché à éviter certains points sensibles du débat. Tout d'abord, il y a la discussion concernant la déclaration de volonté. Selon la membre, les auditions ont démontré la nécessité d'une telle déclaration de volonté; bien qu'elle ne puisse jamais être entièrement déterminante ou juridiquement obligatoire pour le médecin, elle a cependant son utilité étant donné que le patient peut y demander qu'on lui applique un acte euthanasique ou, au contraire, le refuser explicitement. Il convient toutefois de trouver une solution pour les personnes qui ont rédigé une déclaration anticipée alors qu'elles étaient pleinement capables d'exprimer leur volonté et qui cessent de l'être par la suite.

Une autre difficulté concerne la concertation avec l'équipe médicale. Cette concertation est certainement nécessaire sauf lorsque le patient déclare explicitement ne pas la souhaiter.

Un autre gros problème qui se pose est celui de la catégorie des patients qui ne sont pas en phase terminale. L'on perçoit mal ce qu'il faut entendre précisément par cette notion. Il n'est pas correct de déduire, comme le font certains, qu'il n'est dès lors pas possible d'avoir une procédure différenciée pour les patients en phase terminale et les autres patients. Au contraire, puisque la notion de patients non terminaux ne peut pas être définie avec précision, il n'y a pas lieu de limiter aux seuls patients en phase terminale la possibilité légale d'avoir recours à l'euthanasie. Cette possibilité qui laisse en fin de compte l'appréciation au médecin, n'est donc pas à exclure. De plus, il n'y a que le patient qui puisse juger du caractère sans issue de sa situation.

L'intervenante souligne que le débat porte constamment sur un droit à l'euthanasie et non sur une obligation. D'aucuns donnent à tort l'impression que la proposition de loi des partis de la majorité contient une obligation d'euthanasie. Rien n'est pourtant moins vrai.

L'intervenante souscrit à l'élargissement de la procédure préalable aux malades qui ne sont pas encore en phase terminale. En réponse aux questions posées par les parlementaires durant les auditions, les interlocuteurs ont souligné à plusieurs reprises qu'il n'était pas nécessaire à cet égard de faire appel à un spécialiste des questions éthiques.

Il faut éviter de trop resserrer le cadre légal en matière d'euthanasie afin de laisser toujours de la marge pour un acte médicalement justifié. On pourra ainsi offrir également une issue aux catégories de personnes qui n'entrent pas dans le champ d'application de la loi, à savoir les personnes incapables de manifester leur volonté et les enfants.

Le groupe politique de la membre demeure partisan d'une dépénalisation de l'euthanasie afin que patient et médecin sachent clairement qu'en pratiquant l'euthanasie, on accomplit un acte justifié sur le plan humain. Pareils actes n'ont pas leur place dans la loi pénale. Néanmoins, l'intervenante est prête à mener les discussions nécessaires au niveau juridique, par exemple sur la distinction entre l'état de nécessité et la dépénalisation ainsi que sur les éventuelles solutions intermédiaires que l'on pourrait trouver. Son groupe politique considère toutefois la dépénalisation de l'euthanasie comme le point de départ. L'intervenante n'aime d'ailleurs pas beaucoup la notion de « discussion symbolique » que l'on a entendue fréquemment. Elle a l'impression que d'aucuns s'efforcent artificiellement de placer la discussion sur le terrain symbolique afin de présenter les partisans de la dépénalisation sous un jour défavorable. Cette discussion symbolique est créée artificiellement par des groupes d'intérêts et par certains médias, alors qu'elle n'existe pas comme telle dans la société.

La distance entre le médecin et l'appareil judiciaire ne peut être trop courte. Le cas échéant, il faudra donner à la commission d'évaluation des pouvoirs plus étendus afin que le médecin soit davantage enclin à notifier ses cas d'euthanasie et que ceux-ci puissent être contrôlés plus sérieusement. La zone grise doit en tout cas disparaître.

En conclusion, l'intervenante dit espérer qu'à partir du mois d'octobre 2000, après les élections communales, on pourra bénéficier d'une ambiance propice à une discussion ouverte sur les différents points difficiles de ce débat, à savoir le cadre légal, la question du traitement différencié des patients en phase terminale et des autres patients et la déclaration de volonté anticipée. Cette discussion sera déjà suffisamment difficile sans qu'il soit nécessaire de surcharger le débat par d'autres questions telles que le sort des enfants et des jeunes de moins de 16 ans, le suicide assisté, etc. On risque sinon de voir les commissions réunies sombrer dans des discussions à n'en plus finir sans parvenir à trouver une solution aux questions essentielles.

Un membre déclare qu'il a mis à profit le temps donné à la faveur de l'interruption des travaux, pour réétudier en profondeur l'ensemble des auditions, de manière à en dégager un certain nombre de constats, et à en tirer de premières conclusions.

En effet, la richesse des travaux est telle que les mentalités évoluent.

À la lumière des propos des précédents orateurs, l'intervenant croit percevoir, sur plusieurs points, un rapprochement, la prise de conscience de ce qu'un certain nombre de problèmes se posent, doivent être examinés et méritent à tout le moins des amendements.

Dès lors, les conclusions qui suivent sont elles-mêmes encore provisoires et il n'est pas impossible qu'à la faveur des travaux, les vues de l'intervenant évoluent encore.

Il a rédigé, à l'attention de ses collègues, un texte comportant un certain nombre de références aux travaux des commissions, de manière à échapper, dans la mesure du possible, à la subjectivité de l'appréciation. Ce texte est reproduit ci-après.

Position du problème

1) L'euthanasie est une réalité de terrain quotidienne.

Au sens commun du terme, l'euthanasie, sous toutes ses formes, passives ou actives (11), est très fréquente. Ainsi, d'après les données fournies aux commissions réunies, le médecin influence-t-il de manière décisive le moment exact du décès, voire décide-t-il du décès, dans près de 40 % des cas (12); ce pourcentage grimpe à 80 % dans les unités de soins intensifs.

Tenant compte de ce qu'une unité de soins intensifs comme celle de l'hôpital Erasme enregistre quelque 3 000 admissions annuelles et d'un taux de mortalité moyen de 15 %, soit 450 décès, cela fait 360 cas par an d'interruptions volontaires de vie. Dans pareille unité, c'est donc plus d'une fois par jour que le médecin est amené à décider du moment exact du décès (13).

Même au sens étroit du terme, du moins dans son acception commune (14), le nombre de cas d'euthanasie peut, dans l'état actuel des données disponibles, être estimé raisonnablement à un taux de l'ordre de 3 à 4 % des décès dans notre pays.

Selon l'étude Deliens sur la situation en Flandre, 4,4 % des décès, soit environ 2 480 cas (correspondant à quelque 5 000 cas pour toute la Belgique), seraient la conséquence de l'administration de substances létales, dont 1,1 % d'euthanasies, 0,1 % d'aide au suicide et de 3,2 % d'interruptions de vie sans demande du patient (15).

Encore faut-il savoir de quoi l'on parle : en cas d'euthanasie active, la mort n'est avancée que de quelques heures (moins d'un jour) dans 24 % des cas, de quelques jours (moins d'une semaine) dans 80 % des cas (16).

L'euthanasie se pratique par ailleurs avec ou sans demande du patient (17), qu'il soit conscient ou inconscient, ou encore qu'il soit capable ou incapable.

Notons au sujet de l'euthanasie sans demande cette considération du professeur Englert : « Contrairement à ce que l'on dit, je pense que (les interruptions de vie non demandées) ne sont pas obligatoirement illégitimes ... Je pense (cependant) que ces situations ne peuvent pas faire l'objet d'une légitimation. Elles ne peuvent être justifiées qu'au cas par cas, par l'état de nécessité, dans des circonstances bien particulières ... Il faut essayer de trouver la façon la moins terrible de terminer une existence de toute façon condamnée » (p. 36).

2) Le problème de l'euthanasie est vieux comme la mort, a rappelé le docteur Englert : « S'il se dit dans le serment d'Hippocrate que le médecin ne peut donner des plantes empoisonnées à son patient, c'est parce que les euthanasies se pratiquaient déjà dans l'antiquité et que les malades se tournaient vers les médecins pour les aider » (p. 31). Le docteur Hache nous a indiqué que la notion a été lancée en 1605 par Francis Bacon (« The advancement of learning »), encore que dans un sens différent, qui permet de le considérer comme le précurseur des soins palliatifs (18). Le professeur Baum a rappelé l'injonction que Kafka, miné par la maladie, adressa à son médecin « Tuez-moi, sinon vous êtes un assassin » (p. 152). Le professeur Messine, pour sa part, a évoqué quelques belles pages de la littérature française d'avant-guerre, extraites des « Thibault » (p. 210).

Mais, il y a trente ans encore, la question de ces pratiques ne se posait pas de la même manière.

L'attitude face à la douleur était très différente : « La morphine a été isolée de l'opium en 1805. Les soins palliatifs n'ont débuté qu'en 1985. Dans les pays industrialisés, des patients ont souffert atrocement pendant 150 ans, alors que leur souffrance aurait pu être prévenue dans une très grande mesure par le recours à la morphine » (19). Et la mort ne se discutait pas.

La question de l'euthanasie n'a été soulevée qu'à compter des années 60, avec le développement de l'assistance respiratoire grâce à laquelle des patients irréversiblement décérébrés purent être maintenus indéfiniment en vie.

« Après les patients totalement décérébrés, on s'est trouvé confronté au cas de patients irréversiblement inconscients en état végétatif permanent, dont le cerveau n'est détruit que partiellement et dont la fonction respiratoire est conservée. Leur survie dépend d'un gavage par sonde gastrique. Ces patients respirant spontanément, il était difficile de les déclarer morts. On était donc, en principe, condamné à les nourrir et à les garder en vie pendant des années, malgré la dégradation progressive de leur condition physique. Ce qui fut le cas, et l'est encore, pour un grand nombre de patients. La demande d'autoriser l'arrêt de l'alimentation pour permettre la mort fut à plusieurs reprises plaidée devant les plus hautes instances judiciaires, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, à la demande des familles qui vivaient un martyre. Elle a parfois été obtenue et parfois refusée, avec des justifications diverses » (20).

« Chez les patients conscients, le refus de la souffrance s'est progressivement imposé. Il a fait accepter que, au stade avancé de certains cancers, des doses massives d'analgésiques et de sédatifs puissent être utilisées pour lutter contre des douleurs particulièrement intenses, même si elles sont susceptibles d'abréger la vie » (21).

3) La plupart des décisions de fin de vie relèvent aujourd'hui de l'abstention ou d'arrêt thérapeutiques, accompagnés ou non de l'administration d'anti-douleurs de puissances et d'effets variables. Le professeur Schotsmans a tracé l'évolution de l'appréciation à ce sujet, à l'étranger, depuis l'histoire de Karen Ann Quinlan, ou en Belgique, comme à l'Université de Louvain, sans oublier l'enseignement des encycliques (pp. 109 à 111).

Dans la plupart des cas l'accompagnement de fin de vie intervient, sinon sans difficultés, du moins sans problèmes majeurs.

Les médecins et l'équipe soignante n'ont pas le sentiment de tuer, mais d'aider leurs patients à mourir. « L'euthanasie volontaire n'est pas un choix entre la vie et la mort ni un choix de la mort contre la vie, elle est un choix entre deux façons de mourir » écrit Jacques Pohier dans son livre La mort opportune. C'est la vie qui rend son verdict au patient, le médecin ne faisant rien d'autre que de le seconder. « C'est la maladie qui emporte le mourant. Je n'ai jamais tué personne, mais j'ai aidé beaucoup de patients à mourir », nous a ainsi dit le professeur Vincent (22). Dans le même sens, le professeur Schotsmans opine : « la décision de laisser mourir dans la dignité une personne qui se trouve en phase terminale est radicalement différente du meurtre » (p. 112).

Les décisions sont prises sur la base d'un certain nombre de principes déontologiques (principe de bienfaisance, principe de non-malfaisance), de la volonté du patient et de considérations de justice distributive (il faut parfois choisir qui jouira d'un lit, qui pourra bénéficier d'une transplantation).

Dans la grande majorité des cas, ces décisions, quoique toujours douloureuses, sont prises adéquatement, en liaison avec l'équipe soignante, consultée dans ce cas comme pour toutes autres décisions de traitement.

4) L'euthanasie active, pour sa part, est très souvent pratiquée clandestinement, par crainte de poursuites.

Cette situation entrave le dialogue confiant nécessaire entre les patients, les familles, les médecins et les équipes soignantes. Elle jette « une chape de plomb sur les relations entre le médecin et le malade en fin de vie » (23).

La volonté du malade est ainsi souvent méconnue, ou mésinterprétée. Les vues de ses proches sont ignorées. L'opinion de l'équipe soignante n'est pas prise en compte. Les décisions ne sont pas arrêtées avec la connaissance de cause indispensable. Et dès lors pas toujours justifiées. Tout cela peut être source de tension à l'hôpital. Et de culpabilité de la part des parents ou enfants, que ce soit qu'ils se reprochent d'avoir concouru à donner la mort ou qu'ils se reprochent de ne pas avoir concouru à respecter les dernières volontés du patient (24).

Dans ces conditions la mort frappe trop souvent dans le plus grand silence. La « belle mort » que devrait favoriser l'euthanasie s'en trouve mise en cause.

Par ailleurs un dialogue ouvert contribuerait sans doute à réduire les euthanasies.

Le Dr. Ingels, de l'université catholique de Nimègue, a fait ce constat : « La demande d'euthanasie est moins pressante parce que l'on sait que le médecin sera disposé à la pratiquer le moment venu. (...) Le fait de pouvoir discuter présente l'avantage que les médecins peuvent inscrire les souhaits des patients dans leurs dossiers » (p. 64). Le docteur Distelmans de la VUB a opiné dans le même sens, en évoquant un cas vécu : « Le fait que l'euthanasie pouvait faire l'objet d'une discussion était pour elle déjà satisfaisant. Elle nous assura qu'elle était amplement informée, qu'elle se sentait bien et que de cette manière elle voulait bien continuer à vivre. Je veux ainsi montrer que la discussion ouverte de cette matière peut assez paradoxalement donner lieu à une prolongation de la vie » (p. 73). Et Mme Aubry a déclaré, tout en nuançant ultérieurement son propos (voir infra) : « Un autre argument en faveur de la proposition de loi actuelle est qu'une réglementation légale multipliera les possibilités de discuter de l'euthanasie, ce qui est favorable à la sérénité du patient, et qu'elle ne stimulera pas la demande finale, voire la rendra superflue. Moi, j'y crois. Pour un patient atteint d'une maladie incurable, la garantie d'être aidé et soutenu, sous quelle forme que ce soit, a déjà en soi un effet curatif. Cela le réconforte » (p. 366).

5) Selon les textes légaux, l'euthanasie active est un crime, susceptible d'être poursuivi sur la base des articles 393 à 397 du Code pénal, mais elle peut être justifiée au regard des dispositions de l'article 71 du même code, relatif aux causes de justification (force majeure et/ou état de nécessité). Il paraît important de souligner ­ car cela semble perdu de vue par ceux qui expriment trop de réserves par rapport à la sagesse de l'ordre judiciaire ­ que les poursuites sont exceptionnelles. Pour ce qui est de la Belgique, a observé M. Messine (p. 4), « plus aucune condamnation n'a eu lieu ... dans l'ensemble du Royaume depuis quarante ans, et ..., exception faite des deux cas dont la Justice vient à peine d'être saisie, les poursuites, pendant la même période, ont été rarissimes » (25). Quant aux Pays-Bas, où la pratique repose sur l'état de nécessité, comme dans notre pays, tout en étant liée à un système de déclaration, aucune condamnation n'a eu lieu, même dans une centaine de cas où les directives n'avaient pas été strictement suivies.

Et le docteur Ingels de préciser : « Pour l'année 1991, des poursuites ont été engagées dans 120 cas d'euthanasie sur 2 300. Dans chacun de ces 120 cas, les critères de prudence n'avaient pas été respectés. Il n'y a eu aucune condamnation. À chaque fois, on a pris conscience du fait que, manifestement, d'une manière ou d'une autre, la décision était justifiée » (p. 61).

Il faut certes, en l'espèce, la plus grande sécurité juridique, mais il ne faudrait pas conclure trop vite à l'imprudence ou à l'excès des magistrats en la matière. Dans l'ensemble, comme l'ont dit plusieurs juristes, ils ont fait montre, en l'espèce, d'une très grande prudence et de la réserve nécessaire.

Il reste que les conditions dans lesquelles l'euthanasie peut être pratiquée sont floues.

Bref, la loi manque de clarté, n'a pas intégré les dernières évolutions de la médecine et, partant, n'offre pas la sécurité juridique indispensable à une éthique de fin de vie adéquate. Les affaires d'euthanasies peuvent déboucher sur des issues inégales en fonction des juridictions et des procédures. Il n'est pas dit qu'avec les projecteurs braqués aujourd'hui sur la question en raison du débat, certains, peut-être plus excessifs ou plus émotifs que d'autres, ne soient enclins à agir en la matière.

Il y a donc une « zone grise » à clarifier autant que faire se peut.

Ouverture du débat : une liberté de parole, mais aussi des craintes

6) D'où les diverses propositions de loi qui ont été déposées au Sénat.

Quelles que soient les opinions sur ces propositions, chacun s'accorde à reconnaître le mérite de ceux qui en ont pris l'initiative, tout comme mérite d'être souligné le rôle déterminant de ceux qui ont contribué à permettre les auditions dont l'utilité a été capitale.

Après avoir été trop longtemps un tabou, le débat sur l'éthique de fin de vie est enfin ouvert. La nécessité de soins palliatifs appropriés est mise en exergue.

On se réjouira de l'intérêt évident que portent les futurs médecins à cette question : « Il y a quelques années, lorsque j'ai demandé à mes étudiants du cours de déontologie de réaliser un travail personnel de fin d'année sur un sujet éthique, 78 % ont choisi la problématique de la gestion de la fin de vie », signale le docteur Englert (p. 31).

Combien d'intervenants n'ont-ils pas souligné (sinon tous), que l'ouverture de ce débat était un tournant capital de la vie de notre société et a déjà conduit à une liberté de parole extrêmement positive.

« La problématique de l'euthanasie n'est qu'une petite partie d'une problématique beaucoup plus large dans laquelle nous sommes engagés et qui est à mon avis très favorable : on se réapproprie la mort après une trentaine d'années où la médecine allait tout résoudre. On n'allait plus mourir. Il ne fallait donc pas s'occuper de tout cela, c'était juste une question de temps. Avec le développement des techniques, on allait tout résoudre. Aujourd'hui, la mort reprend une place sociale (...). Ce débat sur l'euthanasie fait partie de cette évolution » (26).

7) Ces propositions suscitent cependant diverses difficultés.

Et d'abord elles font peur, même aux médecins (27), et sont mal comprises.

Plusieurs personnes sont convaincues de ce que l'euthanasie est déjà légalisée. « Dans le grand public, a témoigné Mme Bouckenaere, le message qui passe actuellement, c'est que l'euthanasie est permise. Ils n'envisagent parfois pas le fait qu'il n'est question que d'une proposition de loi » (p. 50).

Toutes les propositions subordonnent l'euthanasie à la demande répétée et insistante du patient et à d'autres conditions de fond et de formes très strictes, de manière à éviter les abus. Néanmoins des familles redoutent que l'on ne pratiquât l'euthanasie chez leurs parents (28) et des patients semblent craindre d'être victimes d'une interruption volontaire de vie décidée sans leur consentement. Certaines personnes du troisième âge, quoiqu'en parfaite santé, interrogent leurs enfants : « Alors, tu vas pouvoir nous conduire à la mort » ?

La pratique de l'euthanasie, déclare M. Schoonvaere, risque d'entamer gravement la confiance entre le médecin et le malade et de provoquer chez ce dernier une lourde inquiétude : « Si je deviens inconscient ou si je suis considéré comme un fardeau, ou si ..., le médecin pourrait provoquer ma mort sans m'expliquer ce qu'il fait réellement, sans me demander mon avis ? » (p. 268).

On craint les pressions de certaines familles, qui pourraient hâter le départ de leurs proches, plutôt que d'affronter le spectacle de leur déchéance physique, ce qui toucherait en premier lieu les personnes les plus vulnérables : les plus âgées et les moins entourées.

Ainsi Mme Aubry, après avoir souligné l'aspect positif d'une réglementation légale (voir supra), a-t-elle ajouté : « Mais je crois aussi qu'une réglementation légale peut avoir l'effet inverse, en particulier pour les personnes âgées et handicapées. Le fait que l'on ait l'autorisation de demander l'euthanasie oblige tout le monde à envisager cette possibilité. Je ne crois pas à une ultime liberté de choix, car nous sommes toujours influencés par de nombreux facteurs, les personnes qui nous entourent, les médias » (p. 366). Cet avis n'est cependant pas partagé par Mme Roelandt : « Je n'ai (...) pas le sentiment que l'existence d'un cadre légal en matière d'euthanasie va nécessairement de pair avec une pression morale de la société sur l'individu pour qu'il mette fin à ses jours. (...) Cela se passe déjà maintenant. (...) Je ne pense pas que cela fera une grande différence » (p. 315).

Quant au professeur Vermeersch, il opine à ce sujet : « Je reconnais qu'il existe des arguments qui plaident pour l'euthanasie et la fin de vie, mais il n'y en a qu'un que je trouve convaincant, c'est la crainte que la manière dont ce problème social est réglé puisse entraîner des abus, plus précisément que la protection de la vie des citoyens, à laquelle chaque société est contrainte, puisse être mise en danger » (p. 3).

Le docteur Vandeville craint pour sa part que la légitimation de l'euthanasie ne conduise à admettre, si l'on proposait les soins palliatifs à un patient en fin de vie, qu'on lui propose d'office par la même occasion l'euthanasie comme alternative (p. 293).

Il y a aussi la crainte de l'euthanasie pour motifs économiques : « À une époque où il nous est répété chaque jour que la santé coûte trop cher ­ les économistes nous le disent, les dépenses de santé sont les plus élevées dans les derniers mois de la vie. Supprimons ces derniers mois, les économies seront énormes ! », déclare le professeur Bernard Debré (29).

« Une autre question est de savoir dans quelle mesure le volontariat sera mis à mal par la pression des proches ou d'autres personnes », déclare le docteur Hache. « Nous connaissons beaucoup de situations, tant dans des cliniques que chez des malades à la maison, où ces personnes exercent une pression et demandent `que cette situation prenne fin rapidement'. Il s'agit toujours des coûts élevés que représentent les soins ... À cet égard, un danger réel d'euthanasie sociale ou économique est malgré tout présent. » (p. 85)

Le professeur Baum confirme : « ... la dérive économique n'est pas un fantasme, mais une menace réelle pour la majorité des patients âgés » (p. 143).

Mme Kempeneers explique pour sa part : « Vous devez comprendre nos craintes. Nous vivons dans une société performante, une société qui rejette les personnes non productives ou qui n'arrivent pas à prendre une place de pointe » (p. 227).

Toute réglementation suppose donc de grandes précautions dans son élaboration et un effort pédagogique dans sa présentation.

Des notions équivoques

La notion d'euthanasie

8) Une autre difficulté tient à ce que tant de termes utilisés en la matière prêtent à équivoque. Tel est d'abord le cas du terme « euthanasie » lui-même.

Un membre a observé que, « Dans l'esprit des gens, toutes les possibilités d'acte médical difficile en fin de vie sont évoquées dans le débat sur l'euthanasie » (p. 18). Un constat analogue a été dressé par le docteur Philippart : « Lorsqu'on parle d'euthanasie, même dans le public médical, cela couvre beaucoup de réalités. L'arrêt de traitement est souvent appelé euthanasie (...) on voudrait engouffrer dans l'entonnoir d'un mot très précis des tas de réalités très différentes » (p. 95). « La confusion, confirme le docteur Diricq, demeure autour des termes « euthanasie active », « euthanasie passive », « suicide assisté », « acharnement thérapeutique » » (p. 340). Quant au professeur Baum, elle a dit connaître neuf définitions de l'euthanasie (p. 154).

Le professeur Vermeersch lui-même, quoi qu'ardent défenseur de la définition proposée par le Comité consultatif de bioéthique, ne déclarait-il pas : « En ce qui me concerne, la notion d'euthanasie, c'est la notion de mercy death en anglais qui est tout à fait claire » (p. 17) !

Opinant dans le même sens, le docteur Cosyns, qui rappelait au passage la maxime de Talleyrand selon lequel « l'homme a inventé la parole pour cacher ses idées », a réfuté la définition du Comité consultatif de bioéthique et proposé de ne plus utiliser le terme « euthanasie ».

« La notion d'euthanasie est définie de très nombreuses manières. J'ai essayé de résumer la conception que les patients en ont. Une définition possible pourrait être : mourir bien, doucement et dignement, comme il ou elle le souhaite et comme on pense qu'il est bon pour elle ou lui, ainsi que pour ceux qui restent. Cette définition peut éventuellement aussi s'appliquer à la catégorie des incapables. Je sais qu'on utilise ici une autre définition, celle de `mettre fin à la vie du mourant à sa demande'. Je constate, dans les médias, une énorme confusion autour de cette notion, malgré les tentatives faites pour n'utiliser qu'une définition. De nouveaux adjectifs sont constamment ajoutés à la définition : euthanasie active et passive, volontaire, économique et incontrôlée. Récemment, le professeur Nys a aussi parlé d'euthanasie thérapeutique. Cela vaut la peine de s'interroger sur ce phénomène. Je proposerais plutôt de ne plus utiliser ce terme. La notion d'eutocie relative à la naissance est également tombée en désuétude parce qu'il existe trop de manières différentes de travailler autour de la naissance. Pourquoi ne pourrait-on pas faire de même pour la notion `mourir' ? » (p. 324).

L'intervenant partage ces réserves sur la définition retenue par le Comité consultatif de bioéthique. Comme l'a observé le professeur Dalcq, elle diffère de l'acception habituelle du terme en ce qu'elle traduit un voeu et donne en fait au débat une orientation stratégique. « En réalité, ce n'est pas une simple définition générale procédant d'un constat, puisqu'elle implique déjà une condition pour que la mort administrée volontairement puisse ne pas être sanctionnée » (p. 239). Elle assimile aussi, par reproduction de la définition néerlandaise, euthanasie active en phase terminale et suicide assisté ou provoqué en dehors de cette phase. Cela ne contribue guère à la clarté des débats.

Dans son livre Nous ne nous sommes pas dit au revoir, Marie de Hennezel écrit : « Le concept même d'euthanasie est plein de pièges. Quand on évoque ce mot, on ne parle pas toujours, ni tous, de la même chose. » Elle explique que dans son sens étymologique, le mot signifie « mort douce et sans souffrance » : « Jusqu'à la fin du XIXe siècle, l'euthanasie garde le sens que lui a donné l'inventeur du mot, Francis Bacon, homme d'État et philosophe anglais ... On parle alors de « science de l'euthanasie » et les moyens employés sont simples comme l'atteste un texte de 1826 que j'ai découvert grâce à Patrick Verspieren (Face à celui qui meurt, 1984) : « aération de la chambre, attention portée à la position du malade dans son lit, présence des proches, abstention de tout recours inutile à la chirurgie et traitements symptomatiques et palliatifs ». On veille le mourant et on se réconforte mutuellement, soutenus par le médecin et le prêtre. Le mot euthanasie recouvre alors ce que nous entendons aujourd'hui par soins palliatifs. Mais le sens actuel du mot a changé. Il ne désigne plus les qualités de la mort (douce, belle, bonne) mais l'acte qui consiste à mettre fin délibérément et rapidement à la vie d'une personne atteinte d'une maladie incurable et évolutive ... Cette confusion existe toujours dans l'esprit du grand public. Elle se complique par l'arrivée d'une troisième définition : la décision de s'abstenir de prolonger la vie d'un malade incurable quand les moyens employés sont sources de souffrance ou d'inconfort ».

« Alors, se demande Mme de Hennezel, que signifie concrètement le mot « euthanasie » aujourd'hui ? L'art d'alléger la souffrance du mourant, la décision d'arrêter des traitements devenus inutiles et dérisoires, ou l'acte de mettre délibérément fin à une vie pour mettre fin à une souffrance ? » (pp. 29 et 30).

Pour les mêmes raisons sans doute, le professeur Vincent s'est, comme le docteur Cosijns, abstenu d'utiliser une seule fois le mot « euthanasie » dans son intervention, en décrivant ses pratiques et en indiquant qu'il s'agissait pour lui d'apporter au malade les soins qu'il mérite.

Mort digne

9) Centrale en la matière est en tout cas la notion de « mort digne », qui préoccupe de plus en plus nos concitoyens : « On constate une crainte grandissante des citoyens de mourir d'une manière contraire à la dignité humaine », a déclaré le docteur Mullie (p. 441).

L'euthanasie, au sens large du terme, c'est d'abord veiller à ce que le patient puisse mourir dignement, dans la perspective de soins continus. « Je considère les soins au mourant et l'accompagnement de celui-ci comme le dernier épisode dans le continuum du traitement médical », nous a rapporté le docteur Cosyns (p. 326).

Mme Chris Aubry a décrit sa conception de la mort digne en des termes qui méritent d'être rappelés :

« Je vais maintenant partager avec vous ma conception d'une mort digne. Je veux avant tout être entourée des êtres qui me sont chers et qui auront le courage, malgré toutes les difficultés, d'être présents à mes côtés jusqu'au bout. J'espère aussi ne pas devoir souffrir trop. Mais il est pour moi très difficile de prédire maintenant ce que trop souffrir signifera alors. J'ai en tout cas remarqué que les patients reculaient leurs limites très loin une fois venu le moment ultime. J'ai souvent été stupéfaite de leur force et de leur volonté de vivre. Alors que les soignants pensaient que la situation n'était plus digne, la personne en question souhaitait malgré tout continuer. Je suis en tout cas certaine que je ne pourrai pas vivre seule cet ultime moment. J'aurai certainement besoin du soutien de soignants spécialisés courageux et expérimentés. On a exposé à plusieurs reprises en quoi consiste cette assistance. Les soins adéquats en fin de vie représentent bien plus qu'un bon contrôle de la douleur et des symptômes. Ce n'est pas pour rien que les soins palliatifs parlent de douleur globale et de soins globaux. » (p. 360).

Dans le même sens, le docteur Mullie a dit ce qu'il entendait par « belle mort » : « ... `bonne mort', non pas une mort douce et sans douleur mais une mort vécue avec amour, dans laquelle on sent le principe du `personne ne vit pour soi, personne ne meurt pour soi'. Nous ne pouvons pas aller trop loin dans l'adoption de règles relatives à la souffrance sans issue des mourants. Il ne faut pas lutter contre les mois d'hiver ni même les supprimer, mais adopter des règles permettant à la chaleur humaine de produire un effet apaisant maximum pour calmer la douleur. » (p. 442).

Actes de fin de vie

10) Comment, en pratique, se passent les actes de fin de vie ? Les auditions laissent à cet égard l'intervenant insatisfait, tant les précisions paraissent toujours manquer sur la typologie de ces actes. « Nous disposons d'informations très maigres pour nous permettre de nous forger une image de ce que sont véritablement les actes d'euthanasie », déclare à juste titre, semble-t-il, Mme Roelandt (p. 299).

Le docteur Ingels s'est efforcé de ramasser les actes de fin de vie en trois catégories, en les distinguant selon l'intention qui préside à leurs décisions tout en admettant que celle-ci est toujours difficile à établir et qu'il s'agit dès lors de « nuances » dans une « zone grise » (p. 53) :

« Les médecins peuvent agir dans le but délibéré d'accélérer la fin de vie. Ils peuvent aussi prescrire des sédatifs ou de la morphine qui soulagent la douleur mais qui ont aussi pour effet d'accélérer la fin de vie. Cet effet peut aussi être le but recherché. Il s'agit donc ici d'une grande zone d'ombre, parce qu'on n'est jamais certain des intentions du médecin. En fin de compte, il est possible aussi que des analgésiques soient administrés sans aucune intention d'accélérer la fin de vie, tout en sachant que cela peut arriver. »

« Il faut donc distinguer trois nuances ... Une décision médicale peut consister à ne pas entamer ou à suspendre le traitement, l'intention d'accélérer le décès pouvant être soit intentionnelle, soit totalement absente, soit partiellement présente. La lutte contre la douleur et les symptômes constitue une deuxième forme de décision relative à la fin de vie, cette lutte pouvant être intensifiée avec ou sans intention de mettre fin à la vie. Une troisième décision médicale relative à la fin de vie consiste en la prescription, la fourniture ou l'administration de substances dans le but précis d'accélérer le décès du patient. La discussion éthique est centrée sur ce dernier point parce que le fait de ne pas entamer un traitement ainsi que l'intensification de la lutte contre la douleur et les symptômes font véritablement partie d'un traitement médical responsable. Je suis prêt à jurer que, dans le monde médical occidental moderne, il n'y a plus, à proprement parler, de médecins partisans inconditionnels de l'acharnement thérapeutique. D'ailleurs, le Code de déontologie médicale juge un tel acharnement inadmissible. Le problème est la prescription, la fourniture ou l'administration de substances. »

D'où la difficulté à distinguer sédation contrôlée et euthanasie, que Mme de T' Serclaes, dans une question au docteur Bouckenaere, a résumée comme suit : « La frontière entre sédation contrôlée et euthanasie est très difficile à délimiter » (p. 39). Dans le même sens, le docteur Distelmans a dit : « On appelle cela la zone d'ombre. On ne connaît pas l'intention initiale du médecin ... Les médecins font ce qu'ils veulent, ils peuvent toujours changer d'avis et, par exemple, se persuader eux-mêmes qu'ils ont fait une ultime sédation alors que, en réalité, ils ont pratiqué une interruption de vie sans demande. » (p. 71).

Sédation contrôlée

11) Arrêtons-nous un instant à la sédation contrôlée et aux distinctions, parfois subtiles, qui la distinguent selon d'aucuns de l'euthanasie.

Le docteur Mullie apporte du procédé la description et les précisions suivantes :

« La sédation contrôlée est une technique d'anesthésie avec adjonction d'un somnifère (pouvant aller jusqu'à l'injection intraveineuse continue de barbituriques). Cette « anesthésie profonde » et, a fortiori dans un premier temps, « l'attente de la mort » est un art (cf. la narcose en chirurgie), dont le but n'est pas d'entraîner immédiatement un sommeil fatal, mais d'apporter temporairement le sommeil et le repos, permettant de reprendre temporairement son souffle face à cette situation sans issue redevenue supportable. La sédation contrôlée se situe, dans cette optique, vraiment dans la ligne, dans l'ambiance des soins palliatifs, de l'attente accompagnée de soins ... » (p. 445).

« La sédation contrôlée est appliquée dans notre réseau PS du nord de la Flandre occidentale (plus ou moins 1 000 décès par an) chez environ 1 % des mourants ... Même en cas de sédation contrôlée, la demande d'euthanasie refait parfois surface, surtout lorsqu'il ne s'agit pas d'une forme extrême de contrôle des symptômes mais d'une véritable demande d'euthanasie récurrente ... Dans ces cas (exceptionnels), nous augmentons de manière substantielle la sédation, ce qui aux termes de la proposition de loi peut être qualifié d'euthanasie. Nous ne sommes pas un service qui pratique systématiquement l'euthanasie ... mais par souci de prévenance nous ne voulons pas laisser survenir de morts atroces et nous ne voulons pas abandonner les gens à leur sort ... » (p. 446).

« En cas de sédation contrôlée, on commence par une sédation légère. À ce stade, le patient est informé que la sédation légère l'apaisera d'abord dans une situation qui est devenue insupportable, mais qu'il se réveillera à nouveau par la suite. Ce n'est qu'ensuite qu'il recevra la sédation plus profonde. » (p. 451).

« La sédation donne un sentiment de quiétude. Si après l'état de quiétude, il se manifeste un sentiment d'indignité, nous procédons à une sédation plus profonde ... À ce moment, la sédation aboutit à l'euthanasie et nous évitons de créer un sentiment d'effroi chez le patient, ou dans la famille par la suite. » (p. 452).

« S'il est exact que la sédation contrôlée est parfois désignée par le terme slow euthanasia, elle n'est pas ressentie comme telle. C'est un acte ressenti comme apaisant. Je ne m'attache pas aux mots. Lorsqu'en cas de sédation contrôlée la situation devient insupportable, nous administrons une dose plus forte ... Toutefois, nous donnons intrinsèquement la préférence à la slow euthanasia, car l'expérience nous a appris que l'on peut avoir des surprises par la suite. On peut avoir l'esprit serein si l'on a été prudent. » (p. 452).

Une autre description de la sédation contrôlée est donnée par le M. Schoonvaere, qui distingue sédation d'accompagnement psychologique, sédation intermittente et sédations plus continues (p. 273) :

« La sédation est prescrite pour calmer les douleurs rebelles, une angoisse incontrôlable ou lorsque des patients risquent de décéder de manière très pénible, dans des hémorragies massives par exemple. On sait que, dans des cancers de la gorge, la carotide peut se rompre à un moment donné; le malade se voit littéralement mourir soit parce que son sang sort à jets continus ­ ce qui est très angoissant; soit parce qu'il étouffe dans son propre sang. Dans ce cas, il faut pouvoir donner une sédation d'urgence. Dans les services de soins palliatifs qui sont rompus à ces techniques, on explique ce risque au malade et on place dans leur chambre une trousse d'urgence car, si l'accident se produit, on n'a pas le temps d'aller chercher des médicaments ou des seringues; il faut intervenir dans la minute. Ce type de sédation est donc l'accompagnement d'une souffrance psychologique extrême qu'on calme. » (p. 273).

« Le deuxième type est la sédation intermittente. Comme je l'ai dit, l'acte de sédation diffère totalement de l'acte de donner la mort et, pour la sédation intermittente, on propose au patient et à son entourage des sédations bien étudiées et clairement établies sur un protocole. »

« Dans les sédations intermittentes, on garde autant que possible le rythme de sommeil du malade; ce peut être un rythme jour-nuit mais, comme en fin de vie les rythmes du malade ne sont plus les mêmes que les nôtres, on endort le patient et on le réveille en respectant son propre rythme. Pour l'éveiller, il suffit d'arrêter la sédation. Durant les périodes intermittentes d'éveil, certains malades ne demandent plus rien. Quelque chose s'est libéré par la sédation. Un calmant a apaisé le patient. »

« Il y a aussi des sédations beaucoup plus continues. Dans ce cas, on provoque un sommeil prolongé ... Il importe d'informer le patient et son entourage, de garder le contact. Dans les sédations plus prolongées, il faut en outre soigner le malade comme s'il était encore lucide. Tous les soins continuent. On n'abandonne pas le malade comme cela a été fait en France voici 15 ou 20 ans. On appelait cela des « cocktails de déconnexion ». La sédation est autre chose qu'une déconnexion pratiquée pour être tranquille. C'est une approche médicale et humaine. Les deux vont de pair. Il ne s'agit pas simplement de pharmacologie donnée à un moment extrême de la fin de vie. C'est beaucoup plus rigoureux ... » (p. 274).

12) Au cours de son audition Mme Kempeneers a parlé d'« euthanasie indirecte, c'est-à-dire augmenter la dose d'analgésiques, abréger les souffrances du patient, tout en sachant bien que sa mort interviendra à un certain moment. » (p. 218).

On peut en effet s'interroger sur la différence entre sédation contrôlée, du moins dans sa nuance ultime, et euthanasie au sens strict.

Pour certains, la différence tient soit au délai, soit à l'intention ou au vécu du médecin.

Pour M. Schoonvaere « La sédation est quelque chose de différent ... Ce qui distingue une sédation d'une euthanasie, c'est tout d'abord l'intention de celui qui prescrit le traitement. » (p. 273).

Le docteur Bouckenaere et le docteur Menten opinent dans le même sens : « Je pense que l'intention est différente. Ce que vous devez comprendre, c'est que dans le vécu de certains médecins, il y a une différence. L'intention est de soulager », dit la première (p. 46). Le second déclare : « Dans le cas de la sédation contrôlée, il y a seulement l'intention d'atténuer les souffrances du patient, et non pas celle de mettre fin à la vie. » (p. 86).

Plus avant dans son audition, le docteur Schoonvaere qualifie l'euthanasie comme étant l'administration de « de cocktails lytiques donnés en hâte sans l'avis du patient » (p. 284). Et, dans la même perspective, le docteur Menten déclare : « Le but de l'euthanasie active est de faire mourir les gens en l'espace de quelques minutes (...). Pour l'euthanasie active, on utilise de très fortes doses, telles que nous ne les utiliserons jamais dans la sédation contrôlée. C'est la grande différence. » (p. 108).

Lorsque le docteur Cosyns considère que « le choix entre une petite piqûre ou un processus de mort lente doit être fait par l'intéressé lui-même » (p. 323), on voit bien la différence : injection à effet rapide d'une part; administration de substances agissant à plus long terme de l'autre.

Pour d'autres experts, il n'y a pas de différence entre ces deux formes d'actes de fin de vie. Tel est le cas du professeur Baum, pour laquelle la distinction est « hypocrite » (p. 152), ou du docteur Van Camp, pour lequel « les soins palliatifs qui ont pour effet d'abréger la vie du patient (constituent à mes yeux) également une forme d'euthanasie » (p. 428).

Plusieurs de nos collègues ont partagé ce point de vue :

­ Mme Vanlerberghe : « Je trouve que la sédation contrôlée (...) est une forme d'euthanasie inhumainement lente. L'objectif est le même en fin de compte, à savoir permettre à quelqu'un de mourir parce que telle est sa volonté, lorsqu'il n'y a plus d'autre alternative médicale. » (p. 133).

« Débrancher les appareils, arrêter l'hydratation, administrer une dose de morphine plus forte que nécessaire sont des actes que le professeur Schotmans ne considère pas comme une forme d'euthanasie, mais je ne partage pas son avis, même s'il s'agit d'une gradation différente. Administrer des barbituriques est une forme d'euthanasie. On peut appeler cela sédation contrôlée et le docteur Moreels parle même d'orthonasie, mais pourquoi ne le qualifierait-on pas aussi d'euthanasie ? Pour moi, ancient étudiant de la KUL, c'est bel et bien une forme d'euthanasie. N'est-il pas un peu hypocrite de lui donner un autre nom ? Ne se cache-t-on pas la vérité ? » (pp. 123 et 124).

13) Aussi bien le professeur Vincent s'abstient-il, tout comme le docteur Cosyns, de recourir au terme « euthanasie ». Il ne l'a pas utilisé une seule fois dans son audition, ce qui n'a pas manqué de frapper (30).

Il décrit ainsi sa méthode : « ... il nous arrive régulièrement d'arrêter un traitement, d'arrêter un respirateur. La question est de savoir comment procéder. On peut évidemment débrancher le respirateur, avec l'issue que l'on connaît, la personne ne pouvant plus respirer par elle-même dans ces cas terminaux où, malheureusement, la médecine ne peut plus rien offrir. C'est une option. L'autre option est de laisser la personne sous respirateur mais d'augmenter les calmants, la morphine, les benzodiazépines, les barbituriques, pour que cette personne puisse partir en paix, sans la moindre souffrance. Certains verront une différence fondamentale entre les deux options; ils diront que, dans le premier cas, on ne fait qu'arrêter un traitement, ce qui, dites-vous, est autorisé sur le plan éthique, alors que, dans l'autre, on intervient activement en donnant effectivement des doses plus importantes de médicaments. On pose donc alors un geste. Mais cette réaction-là est évidemment tout à fait hypocrite. Elle revient à dire : tant pis si les gens subissent un peu d'inconfort en fin de vie, au moment où le respirateur est débranché, mais au moins, on ne participe pas activement. Mais, justement, l'intervention active est une intervention qui vise, en accord avec les principes éthiques, à apporter justement le moins d'inconfort possible à la personne. C'est évidemment cela qui est réalisé dans beaucoup de centres. » (p. 235).

Il ajoute : « Personnellement, je n'ai jamais tué personne, mon intention n'ayant jamais été de tuer, mais j'ai aidé beaucoup de personnes à mourir et je le ferai encore. Heureusement. Sinon je ne ferais pas bien mon métier et je devrais abandonner ce que je fais : aider des gens à mourir sans avoir le but de les tuer. C'est la maladie qui emporte le malade et j'aide celui-ci à mourir en accord avec les principes éthiques que j'ai définis, en évitant la souffrance, la dégradation inutile. » (p. 237).

Le « décodage » de la demande d'euthanasie

14) Il a aussi été beaucoup question au cours des auditions de la volonté du malade, et du « décodage » nécessaire de ses demandes.

On voit souvent, expose le docteur Bouckenaere, que la demande réellement exprimée par le patient en cache une autre » (p. 46). M. Schoonvaere cite le cas de « telle patiente qui évoque un jour une demande d'euthanasie, mais, quelques heures après, insiste pour que l'on n'oublie pas ses vitamines dans le jus d'orange » (p. 266). De nombreux témoignages vont dans le même sens. Ce qui n'empêche pas qu'il subsiste de vraies demandes (31).

Témoignages :

­ Docteur Vincent : « La question des personnes qui demandent explicitement à mourir est souvent simplifiée dans les débats actuels. On croit que nous devons aider systématiquement les personnes en fin d'évolution de leur maladie qui demandent à mourir. Nous allons en effet aider ces personnes, mais nous n'opterons pas nécessairement pour la seringue de barbituriques. Il faut essayer d'analyser la demande. Très souvent, ce sont des personnes qui souffrent. Il y a d'abord une souffrance physique importante, intolérable. Augmenter les calmants est pour moi le devoir du médecin... Il peut aussi s'agir d'une souffrance morale. La personne se sent dégradée aux yeux de l'époux ou de ses enfants, etc. Il est possible de soulager cette souffrance en améliorant certains éléments. Parfois, c'est l'environnement que le patient ne supporte plus. Il y a peut-être moyen de faire quelque chose, de transférer la personne dans une autre chambre, dans un autre service. Vous seriez étonnés de voir les solutions que l'on peut parfois apporter, en préconisant notamment la combinaison de divers éléments comme rapprocher la famille, installer un poste de télévision. Cela peut paraître ridicule... Sans vouloir entrer dans tous ces petits détails, il existe toute une série d'éléments auxquels il faut pouvoir penser. Il ne s'agit donc pas d'accepter ipso facto de donner les médicaments qui vont endormir cette personne. » (p. 241).

La question est particulièrement importante pour les personnes qui ne se trouvent pas en phase terminale, souligne le docteur Vincent : « L'exemple qui vient à l'esprit est la personne quadriplégique qui ne peut plus commettre le suicide. Croyez bien d'abord qu'il y a très peu de quadriplégiques qui demandent réellement que l'on mette fin à leurs jours. Il s'agit souvent de demandes ambiguës. « Qu'est-ce que je fais ici, tout cela n'a plus de sens ». Ce ne sont pas nécessairement des personnes qui vont apprécier que vous arriviez avec la seringue en question, pour parler de manière symbolique. Mais dans ce cas, l'approche doit être plus fouillée. » (p. 241).

Docteur Bouckenaere : « Notre pratique nous montre l'extrême ambivalence des demandes d'euthanasie. Dans ces situations très émotives, la demande se brouille souvent. Il y a alors une discordance entre les mots qui sont prononcés, ce que chacun veut dire et ce que chacun peut entendre... Dans de très nombreux cas, l'autonomie du patient est fragilisée. Il est désemparé, il a perdu son identité, il dépend des autres. Partagé entre le désir de vivre et le désir d'en finir, son pouvoir de décision est amoindri. De multiples éléments peuvent alors peser dans cette balance en équilibre fragile : ce que le médecin juge bien pour lui, ce que lui rapporte le discours social, ce que lui renvoient ses proches et ses soignants... Il est fréquent que des familles exercent des pressions sur le médecin pour qu'il abrège l'existence du patient ­ qui n'a rien demandé ­ pour des raisons de dignité. » (pp. 30 et 31).

­ Mme Aubry : « L'euthanasie délivre de la souffrance non seulement le patient, mais aussi son entourage. C'est pourquoi les soignants et les médecins doivent être extrêmement prudents lorsqu'ils s'expriment sur la question de savoir si l'euthanasie se justifie ou non pour les patients qu'ils soignent. » (p. 363).

15) La difficulté d'interprétation de la demande du patient est d'autant plus délicate qu'elle est nécessairement subjective.

À M. Schoonvaere, peu nuancé en la matière, Mme Lindekens fait ainsi observer : « Mais si le patient, déjà trop faible, remarque que sa demande est en fait condamnée et qu'il n'y a pas assez d'ouverture chez ses interlocuteurs pour y accéder, ne finirait-il pas par renoncer à cette demande même si sa douleur persiste ? » (p. 274).

M. Mahoux pour sa part interpelle Mme Diricq : « La subjectivité de celui qui reçoit la demande peut être un élément déterminant, même si on tente d'objectiver, mais l'objectivation peut se faire dans un sens ou dans l'autre. ». La réponse : « Je vous répondrai par une autre question. N'y a-t-il qu'une seule bonne demande ? Ce que le malade va dire à l'infirmière est à ce moment-là aussi vrai et juste que ce qu'il va dire à un autre moment à un proche ou au médecin. L'importance de l'interdisciplinarité, c'est qu'elle tient compte de toutes ces bribes de demande... ma spécificité, c'est de tenir compte des demandes inconscientes sous-jacentes à la demande, ou de faire les liens avec l'histoire du patient, avec les conflits parfois sous-jacents dans une équipe. Il m'est déjà arrivé, lorsqu'il y a une réunion un peu plus violente, de demander si l'on parle vraiment du patient ou si l'on est en train de régler un autre conflit. » (p. 357).

Mme Aubry confirme cette subjectivité, qui est fonction des conceptions personnelles de celui qui reçoit la demande d'euthanasie : « Une personne qui pense que l'on peut dépasser la frontière de la vie interprétera peut-être cette question d'une autre manière qu'un soignant qui estime que l'on ne peut franchir cette frontière. Soeur Léontine dit que son département ne prodigue pas de soins palliatifs (lire : euthanasie) mais que le patient est réorienté vers un collègue, ce qui fait refluer les demandes au sein de son département. Je pense que cela détermine probablement en partie la manière dont la demande est interprétée et traitée. » Et elle résume : « Je crois que cela dépend, en partie tout au moins, de la vision de la personne qui entend la demande. » (pp. 376 et 377).

D'où, pour ce qui concerne les statistiques disparates au sujet des « vraies » demandes d'euthanasie, cette réflexion de M. Remans à Mme Bouckenaere : « Si les statistiques sur la vente des portes en métal sont basées sur les chiffres de vente des ébénistes, elles risquent d'être faussées. Celui qui choisit un spécialiste choisit aussi un traitement. »(p. 49).

16) Pour plusieurs intervenants, les vraies demandes d'euthanasie paraissent cependant rares. Tant le docteur Clumeck que le docteur Van Camp sont de cet avis : « Les demandes d'euthanasie, telles que définies dans la proposition de loi, sont marginales et rares. Elles peuvent néanmoins présenter la seule alternative dans des `circonstances exceptionnelles' qu'il conviendrait d'inventorier et de définir... » (p. 383). « Il est d'ailleurs très rare que des patients demandent une euthanasie pure et simple. » (p. 428).

Selon Mme Bouckenaere, la pratique montre que « lorsque l'approche des soins continus est correctement appliquée, il ne persiste que de l'ordre de 1 % de demandes d'euthanasie répétitives et non ambivalentes. Ce chiffre représente une moyenne entre le chiffre de 0,5 % que je retrouve dans ma pratique et le chiffre de 2 % rapporté par d'autres sources mais qui concerne d'autres populations de patients » (p. 32). « J'ai avancé le chiffre de 0,5%.. Le chiffre de 1 % est pour moi une moyenne par rapport au chiffre de 2 % qui a été retenu par une institution comme Bordet, qui est confrontée à une population de patients différente » (p. 37). Mais, en réponse à une observation de M. Remans, elle admet : « En ce qui concerne les chiffres, je suis d'accord avec vous pour vous dire qu'ils sont très discordants d'une unité de soins palliatifs à l'autre. » (p. 49).

Tous les intervenants, même les plus réticents à l'égard de la pratique de l'euthanasie, semblent admettre qu'il reste de vraies demandes d'euthanasie, malgré l'administration des meilleurs soins palliatifs.

Suicide assisté

17) Au cours des auditions a aussi été évoquée la distinction entre euthanasie et suicide assisté.

On se bornera à citer à ce sujet le docteur Ingels : « La Koninklijke Nederlandse Maatschappij ter Bevordering van de Geneeskunst ne fait pas de distinction éthique entre l'euthanasie et la prescription des produits. Le fait de prescrire des comprimés à un patient et de rester près de lui pendant qu'il les absorbe est identique au fait d'aider ce patient, trop malade pour les prendre tout seul, à les absorber. On passerait alors de l'assistance au suicide à l'euthanasie. Il est très difficile de faire cette distinction. Ce sont surtout les patients qui veulent une telle façon de procéder car ils ne veulent pas contraindre leur médecin à un acte qui est moralement lourd de conséquence. Certains patients préfèrent assumer eux-mêmes la responsabilité de la décision.

Aux États-Unis, certains ont une grande expérience en la matière. Dans l'Oregon par exemple, un médecin rend possible de tels actes mettant fin à la vie grâce à un système de perfusion particulier dont le malade peut ouvrir lui-même le robinet. J'en ai la chair de poule. Pour moi, ce n'est pas de la médecine. Je me sens aussi responsable des patients que je n'ai pas pu aider, sur lesquels j'ai souvent pratiqué des interventions mutilantes et pour lesquels la bataille a quand même été perdue. Le monde médical a failli à sa mission. Aussi, je tiens à assumer mes responsabilités et je suis disposé à accélérer la fin de vie du patient de la manière voulue par ce dernier. » (p. 64).

Phase terminale, maladie incurable, mort imminente

18) Toute aussi délicate est la définition de la notion de « phase terminale ».

Quand on parle de phase terminale de la vie, qu'entend-on ? Pour certains, il s'agirait des six derniers mois de la vie. Pour d'autres, la période en cause pourrait recevoir une définition conventionnelle très courte, allant de 8 à 20 jours avant la mort (32). Ce ne serait donc en tout état de cause qu'après la mort qu'on pourrait définir la phase terminale, ce qui est peu pratique pour servir de règle de conduite. Aussi a-t-il été considéré « qu'il est quelque peu absurde de fixer un critère de temps. Pour une personne chez qui l'on a pratiqué l'euthanasie, le délai au-delà duquel elle serait décédée si l'on n'avait pas pratiqué cet acte, ne serait plus jamais vérifiable. » (33).

Diverses déclarations peuvent être relues à ce sujet pour éclairer le débat.

­ Le professeur Vermeersch : « Selon les connaissances actuelle de la médecine, la mort interviendra dans les vingt jours. » (p. 6). « Il faut définir la notion de `terminal'. C'est une question de convention. Cela peut signifier 8, 9, 10, 11 ou 12 jours avant la mort. En guise d'exemple, j'ai cité un délai de 20 jours, mais j'ai surtout voulu souligner que, dès que le critère `terminal' ne s'applique pas, une procédure plus rigoureuse doit être suivie parce que l'intervention est plus grave. Tuer quelqu'un qui a encore quelques mois à vivre constitue naturellement une intervention plus grave que de tuer quelqu'un qui a deux heures à vivre. Le législateur doit tirer une ligne. » (p. 11). « La phase terminale est en principe inférieure à vingt jours, mais j'ai donné le chiffre vingt pour ne pas soulever de discussion. Ce chiffre ne pose aucun problème. » (p. 19).

M. Vermeersch a approuvé la suggestion de M. Vankrunkelsven selon laquelle « le concept de « terminal » [devrait être] défini par exemple par la certitude qu'un patient mourra dans un certain temps de manière inéluctable de l'affection ou de la maladie qu'il a », tout en observant : « Seulement, les médecins demanderont alors ce que désigne un certain temps. S'agit-il de huit jours, quinze jours ou un mois ? C'est le problème. » (p. 11).

­ Le professeur Schotmans : « Qu'est-ce que terminal ? Lorsque j'écoute des médecins de mon entourage, je constate que ce n'est qu'après le décès du patient qu'on saurait s'il s'agissait ou non d'un patient en phase terminale. C'est là le problème difficile qui caractérise cette notion. Permettez-moi de dire qu'un patient est pour moi en phase terminale s'il existe une certitude qu'il va mourir à court terme. J'éprouve certaines difficultés par rapport au fait que l'un de mes prédécesseurs dans cette commission associe à cette période un certain nombre de jours (...). La notion de terminal reste pour moi utile si l'on part du principe qu'un patient est en phase terminale lorsque le monde médical est convaincu qu'il mourra à court terme. » (p. 127).

­ Le docteur Philippart : « L'adjonction dans une précédente proposition du critère de mort imminente encadrait mieux le contexte applicable aux situations visées. » (p. 79).

­ M. Schoonvaere expose que le Foyer Saint-François est une structure de soins palliatifs extra-hospitalière qui accueille des malades cancéreux et d'autres en phase terminale. Dans son exposé, il précise que le financement légal des soins palliatifs est prévu pour une durée de séjour de trois semaines, et que la durée moyenne des séjours est de « trois semaines à un mois » (p. 278). D'où d'ailleurs « Le Foyer est chargé d'une connotation de mort réelle imminente » (p. 281). Et pourtant « Certains sont tout à fait lucides et viennent en voiture. D'autres sont comateux et ont une espérance de vie statistiquement très limitée » (pp. 280 et 289). Il cite le cas d'une patiente qui est arrivée dans un état comateux, qui, un mois plus tard, a recommencé à s'alimenter, a retrouvé sa lucidité six mois plus tard, et qui se retrouve aujourd'hui bien vivante dans une maison de repos et de soins (p. 289). « 10 % des patients quittent l'institution pour aller ailleurs. » (pp. 289 et 290).

­ Mme Aubry : « Pour moi, un patient est en phase terminale lorsqu'il va décéder dans un délai relativement court. » (p. 371).

­ M. Ingels : « Près de 70 % des 2 300 cas seraient décédés dans le mois. Aux Pays-Bas, les médecins ne décident de pratiquer l'euthanasie que s'il n'y a vraiment plus d'autre alternative et quand les patients ont atteint la phase terminale de leur maladie. » (p. 55). « Dans 80 % des cas, le décès est prévu dans le mois. » (p. 60).

­ Le docteur Van den Eynde : « Les médecins associent spontanément l'euthanasie à un acte consistant à mettre fin à une vie dans une situation terminale, extrêmement pénible. L'enquête réalisée par les scientifiques de la RUG, de la VUB et de la KU Nijmegen à propos de l'attitude des médecins face à la fin de vie des patients montre en effet que la pratique de l'euthanasie ne consiste qu'à abréger l'existence d'une à quatre semaines. » (p. 12). « Pour moi, la période terminale est le laps de temps qui précède le décès; il peut varier de quelques jours à quelques mois mais ne peut pas atteindre une dizaine d'années. » (p. 18).

­ Le docteur Menten : « Cependant, nous pouvons dire qu'un patient est en phase terminale lorsque ses organes deviennent défaillants, que son autonomie régresse, que sa tumeur n'est plus contrôlée, bref lorsqu'il n'y a plus de retour possible. Le fait de savoir si cela durera deux semaines ou deux mois est une question pertinente à laquelle il n'est pas possible de répondre immédiatement. » (p. 107).

Le docteur Englert plaide pour le critère de malade incurable plutôt que de malade en état terminal (p. 33). Mais cette notion est aussi difficile à cerner, reconnaît-il lui-même : « Le caractère évolutif de l'incurabilité est évidemment un problème. Je vous rappelle que Boris Vian est mort d'une insuffisance mitrale moins de dix ans avant la première greffe de valve cardiaque. Nous vivons dans notre temps et ce qui sera curable au XXIIe siècle ne pourra pas apaiser nos souffrances d'aujourd'hui » (p. 38). « Longue est malheureusement la liste des affections incurables », dit le docteur Philippart, qui cite notamment à ce titre le diabète (p. 79). Mme Henry a insisté sur le fait que la maladie d'Alzheimer est incurable (p. 170). M. Distelmans citera d'autres exemples : « Les affections suivantes, entre autres, sont considérées comme incurables : diabète, rhumatisme, arthrose, décompensation cardiaque, emphysème, bronchite chronique, insuffisance rénale chronique, hépatite, cancer. » (p. 67). « Parler de maladie incurable n'a pas de sens », a conclu le docteur Vincent (p. 240). Aussi préfèrent-ils le critère de mort imminente.

Il y a là, évidemment, une marge d'appréciation mais dans le droit, surtout lorsqu'il s'agit d'éthique, l'on ne traite pas de valeurs mathématiques, mais de valeurs qualitatives, et des notions qui prêtent à interprétation sont inévitables. Qu'est-ce que l'ordre public, les bonnes moeurs, l'équité, l'abus de droit, ... ?

Acharnement thérapeutique

19) Autant de questions pour la définition de l'acharnement thérapeutique.

Sur le plan des principes, ce terme signifie « l'usage de moyens démesurés pour maintenir une vie alors que l'ensemble du corps médical considère qu'en la situation donnée, le décès est inévitable » (34). On a recours à une distinction « entre les soins médicaux ordinaires et les soins médicaux extraordinaires (une distinction qui remonte au Moyen-Âge) » ...

Quand on utilise ces soins et ces moyens extraordinaires de la médecine pour tenir des personnes en vie et que l'on constate que tenir en vie ces personnes n'aura pas d'effet positif, il ne faut plus les utiliser. En pratique, la distinction, « la frontière », n'est cependant pas évidente.

« Lorsque Karen Quinlan est restée dix-neuf ans en état végétatif persistant, on n'a pas encore parlé d'acharnement médical en Amérique », a exposé le professeur Vermeersch. « Lorsque Nancy Cruzan est restée six ans en état végétatif persistant, ses médecins non plus n'ont pas considéré ce cas comme de l'acharnement médical. À Louvain, on interrompt l'alimentation en nourriture et en boisson après trois mois d'état végétatif persistant, six mois pour certains cas exceptionnels. En Angleterre, on serait emprisonné pour cela. Là-bas, par exemple après une année d'état végétatif persistant, on doit demander l'autorisation du juge pour arrêter l'alimentation et la boisson. Il est donc entièrement faux de penser qu'il existe une déontologie ou une éthique médicale générale qui dise clairement au médecin ce qu'il convient de faire dans certains cas. » (p. 8).

« Même si, dans une loi, on peut dire qu'il faut résister à l'acharnement thérapeutique, il faut savoir que la définition, dans des cas spécifiques, de l'acharnement thérapeutique n'est pas évidente. Prenons par exemple une jeune personne atteinte de leucémie. On essaie plusieurs traitements. Les chances de survie sont de plus en plus réduites. Qui va dire qu'il faut arrêter le traitement ? Soit on continue le traitement et il y a une très petite chance de survie mais avec beaucoup de souffrance. Soit on arrête le traitement et il n'y a plus de souffrance, mais il n'y a plus de chance de survie du tout. Ce n'est pas simple. C'est une question qui doit être discutée entre les parents, s'il s'agit d'un enfant, l'enfant lui-même et l'équipe médicale. »

Aussi bien pourrait-on, dans certaines situations spécifiques, comme dans le cas récent de Liège, parler tant d'arrêt thérapeutique, accompagné de l'administration d'anti-douleurs puissants entraînant la mort, que d'euthanasie (35).

Autres équivoques

20) L'équivoque existe encore à d'autres égards.

Qu'est-ce qu'un malade conscient ? Des témoignages reçus, il apparaît que l'état d'un malade en fin de vie ne peut pas toujours être clairement défini comme étant soit conscient, soit inconscient. Le patient se trouve souvent dans un état crépusculaire, mi-conscient, mi-inconscient. Les patients conscients ne forment qu'une petite minorité. La plupart des patients sont soit mi-conscients, soit plus très clairs d'esprit, soit inconscients.

« La frontière entre un patient incapable et un patient capable n'est en effet pas toujours évidente. Des situations intermédiaires sont possibles », souligne le professeur Vermeersch. À M. Mahoux, qui lui reprochait de parler de gens incapables « alors que nous n'en parlons absolument pas dans les propositions de loi », M. Vermeersch réplique : « En ce qui concerne la notion d'incapable, je considère en effet comme une erreur que votre proposition parle d'inconscients et non d'incapables. L'inconscience, c'est, peut-on dire, un type de maladie, mais il y a beaucoup d'incapables qui n'ont pas la capacité d'exprimer une volonté sans être inconscients. Il y a une frontière entre la conscience et l'inconscience. Certaines personnes déraisonnent à cause de changements survenus dans le cerveau, de la présence de sang dans le cerveau ou d'une fracture du crâne. Ces personnes ont une conscience mais sont incapables d'exprimer une volonté. Mon père avait eu une attaque, il était en clinique et disait « je rentre à la maison ». C'est une chose qu'il n'aurait jamais dite s'il avait eu toute sa raison. Les incapables, ce sont donc des personnes qui ne sont pas en état d'avoir ou de formuler une conception claire des choses. Il vaut donc mieux parler d'incapables. C'est évidemment beaucoup plus simple lorsqu'il y a une déclaration anticipée mais la notion d'inconscience ne convient pas à la plupart des personnes incapables qui ont une forme de conscience. » (p. 16 et 17).

Le docteur Philippart : « ... Toutes les situations possibles ne s'inscrivent pas dans ces quatre catégories (définies par la proposition commune), ce qui me fait évoquer ces nombreux cas de conscience altérée mais non éteinte et ces autres cas où la conscience fluctue comme dans les démences d'Alzheimer. » (p. 48).

Le docteur Vincent : « La plupart des personnes sont inconscientes en fin de vie , soit à la suite de leur affection de base, soit en raison des médicaments, des sédatifs qui leur sont administrés pour ne pas qu'ils vivent l'inconfort de cette situation ... » (p. 234).

Qu'est-ce qu'un malade capable ? Au nom des personnes handicapées, Mme Kempeneers a exprimé son souci devant l'utilisation de ce terme : « La notion de capacité est-elle, en l'espèce, à comprendre comme distincte d'une notion d'incapacité juridique ? » (p. 218). Par ailleurs, dans la mesure où il vise le majeur, c'est-à-dire le patient âgé de plus de 18 ans, soit le mineur émancipé, ce terme exclut alors les enfants du bénéfice de l'euthanasie. Dans une tribune publiée dans Le Soir du 27 mars 2000, le délégué général de la Communauté française aux droits de l'enfant, M. Claude Lelièvre, s'est élevé contre cette conception (36).

« La plupart des nouveau-nés qui décèdent sont déjà pris en charge médicalement ..., écrit-il. Pour le nouveau-né et sa famille, la question est donc d'éviter un acharnement thérapeutique et la prolongation de souffrances inutiles. Mais le problème de l'euthanasie se pose aussi dans les services qui s'occupent d'enfants plus âgés, dont ceux doués de discernement ... Un enfant décède du cancer tous les deux jours. On compte deux cent vingt nouveaux cas de cancer par an dans la population des enfants de moins de quinze ans. Même si la médecine a fait des progrès importants dans le traitement et la guérison du cancer, il n'en demeure pas moins que cette maladie provoque la mort d'enfants ... Il est actuellement admis que l'adolescent peut consulter librement un médecin et a le droit au respect du secret professionnel, même à l'égard de ses parents. Ne peut-on estimer que l'intervention médicale n'est possible qu'avec le consentement du mineur qui aurait acquis une maturité suffisante pour en apprécier la signification et la portée ? ... Si on considère que toute personne consciente et capable, atteinte d'une maladie grave et incurable, peut demander au médecin, dans certaines conditions, de mettre fin à sa souffrance en pratiquant sur lui l'euthanasie, il n'y a pas lieu d'exclure de cette démarche l'enfant doué de discernement. On ne comprendrait donc pas que l'on réglemente en faveur des adultes et qu'on laisse sur le côté les difficultés liées à la situation des enfants atteints de maladie incurable et arrivés en fin de vie. Les enfants sont des personnes à part entière qui, de plus, lorsqu'ils sont capables du discernement, ne peuvent, dans une question aussi fondamentale que celle de leur vie et de leur mort, être exclus des procédures et traitements, cela d'autant que la Constitution belge prévoit à présent que les enfants ont droit au respect de leur intégrité morale, physique et sexuelle. »

On citera aussi le professeur Moulin, en réponse à une observation de Mme Lindekens : « Vous avez donc rencontré de nombreux enfants cancéreux qui ont lutté plusieurs années. Vous les avez trouvés très mûrs. Je confirme le fait que l'on voit chez ces enfants une maturité exceptionnelle, comme si le temps prenait une autre importance. » (p. 415).

Et puis, s'il faut consulter l'équipe soignante, la famille, les proches, de qui parle-t-on ? Des infirmières, ou aussi des kinésithérapeutes, voire des femmes de ménage, souvent plus accessibles au malade ? (37) Des enfants, ou aussi des parents, des grands-parents, du compagnon ou de la compagne. Et que se passe-t-il en cas d'absence de proches ? Ou de conflit de conceptions au sein de l'équipe ou des proches ? « D'autre part, ajoute le docteur Englert, il n'y a pas toujours d'équipe soignante. On favorise de plus en plus la mort à domicile et non pas à l'hôpital, entouré d'appareillage médical. Il n'y aura pas toujours à la maison une équipe soignante. Il faut donc aussi penser aux situations ... des gens qui peuvent terminer sereinement leur vie auprès des leurs à domicile. »

Enfin la notion de mort prête elle-même à ambiguïté : « Je pense qu'il faut redéfinir la mort, a dit le professeur Vincent. On n'en est plus à l'arrêt de la respiration comme il y a des siècles ou à l'arrêt cardiaque comme avant la découverte des manoeuvres de réanimation cardio-respiratoires. Quand le coeur s'arrête, on peut encore souvent le faire redémarrer et c'est heureux. Il ne faut donc pas dire que la vie s'arrête quand le coeur s'arrête. La loi reconnaît déjà aujourd'hui la mort cérébrale et nous reconnaît le droit de prélever les organes lorsque tous les critères de mort cérébrale sont réunis. (Mais) sachez que nous sommes parfois confrontés au problème de malades qui ont perdu toute possibilité de récupération des fonctions cérébrales, qui n'ont plus aucune vie cérébrale mais qui n'ont pas tous les critères de mort cérébrale. » (p. 236).

Accord sur la nécessité des soins palliatifs

21) L'accord sur la nécessité de promouvoir les soins palliatifs est évident.

Le docteur Mullie en a donné cette belle image : « Les soins palliatifs sont comme le cordon ombilical entre l'enfant et la mère (entre le patient et la famille) : l'enfant fait tout autant la mère que la mère fait l'enfant; le mourant fait tout autant sa famille et après sa mort que la famille fait le mourant ... Les soins palliatifs n'évitent pas la mort mais la rendent très naturelle, très vivante, une vie d'amour jusqu'aux dernières heures. » (p. 443).

Il n'est pour autant pas toujours clair de savoir comment les organiser. Plusieurs conceptions paraissent exister ainsi que plusieurs modalités structurelles présentant chacune des avantages. L'intervenant renvoie à cet égard à la description des différents modes d'administration des soins palliatifs fournie par le docteur Distelmans, en distinguant équipes à domicile, équipes de soutien palliatif des grands hôpitaux, unités résidentielles et centres de jour (p. 66).

On pourrait espérer que le développement des soins palliatifs rende inutile le recours à l'euthanasie. Dans cet esprit, M. Schoonvaere a rapporté que « Dans une conférence à Québec, le professeur Léon Schwarzenberg (a déclaré) que lorsque les soins palliatifs auront atteint leur développement complet en France, on ne parlera plus d'euthanasie et qu'il arrêterait d'en pratiquer. » (p. 268).

Mais, comme l'admet lui-même M. Schoonvaere : « Comme dans tous les domaines médicaux, les soins palliatifs ont leurs limites. » (p. 285). L'administration des meilleurs soins continus et palliatifs n'empêche pas que subsistent de vraies demandes d'euthanasie.

Le développement des soins palliatifs bute évidemment sur des difficultés financières : le docteur Mullie le confirme : « Les moyens actuels permettent tout au plus de soigner un mourant sur trois. » (p. 444). On retiendra cependant cette observation de Mme Aubry : « Pour faire en sorte que les médecins et les infirmières soient suffisamment experts en matière de contrôle de la douleur, ce n'est pas tant l'argent qui manque que la volonté et le courage nécessaires. » (p. 363). Par ailleurs, les revendications formulées paraissent à première vue pêcher par manque d'évaluation budgétaire et de réalisme.

Enfin il est clair que les soins palliatifs doivent être un droit mais ne constituent jamais une obligation.

Large accord sur la nécessité d'une réglementation

22) Il a pu être constaté qu'il existe parmi les personnes entendues une très large majorité, sinon une unanimité, sur la nécessité d'une réglementation qui autorise la pratique de l'euthanasie et en fixe les conditions, du moins pour ce qui concerne la phase terminale.

Les propositions en la matière sont malheureusement demeurées plus que rares et les opinions sur la nature de la réglementation en cause divergent. Les aspirations sont au demeurant contradictoires : il faut garantir les droits du patient, entendre les demandes, assurer la sécurité du médecin et favoriser l'écoute de l'équipe soignante et des proches, mais sans formalisation excessive.

Parmi les partisans d'une réglementation, on citera d'abord les membres du Comité consultatif de bioéthique qui, quelles que soient leurs convictions personnelles et les modalités auxquelles ils la subordonnent, ont opté pour les options 2 et 3 de l'avis : le professeur Vermeersch (p. 2), le docteur Englert (p. 28), le professeur Van Neste (p. 50) et le professeur Schotsmans (p. 110).

On rappellera que, lors de sa deuxième audition du 15 février 2000, le professeur Vermeersch a suggéré qu'un régime différent soit appliqué selon que le patient se trouve ou non en phase terminale (p. 5).

On peut se réjouir de voir plusieurs intervenants qui défendent la proposition commune du 20 décembre 1999 dire qu'ils prennent conscience de ce qu'il faudrait peut-être effectivement envisager deux procédures distinctes.

En effet, cela permet, semble-t-il, d'augurer d'un accord sur la réglementation des conditions de fond de la pratique de l'acte d'euthanasie en phase terminale.

Parlant au nom de l'Ordre des médecins, le docteur Philippart a estimé ne pas avoir à se prononcer du point de vue des patients, et considéré que « pour les médecins le code de déontologie contient les réponses » (p. 76), tandis que le docteur Hache a déclaré : « Le Conseil n'a voulu se prononcer ni pour ni contre une initiative législative à cet égard. » (38). Le docteur Hache a expliqué que les réticences de l'ordre tiennent à ce qu'il n'est pas certain qu'une loi garantisse à suffisance la sécurité juridique des médecins (p. 85).

Malgré ses réserves à l'égard de la proposition du 20 décembre 1999 et tout en préconisant « une charte des droits du patient qui permettrait d'exprimer un projet thérapeutique et l'organisation de la fin de vie du patient », Mme Baum a opiné dans le sens de la « nécessité de réguler les pratiques et de trouver les moyens juridiques de réguler les abus de l'euthanasie » (39). Elle a même déclaré : « ... les projets de loi qui ont été présentés constituent une amélioration par rapport à la situation actuelle, où la loi est perpétuellement violée et ne protège personne. À mon avis, tout le monde est d'accord à ce sujet. »(p. 155).

Il faut souligner à cet égard que beaucoup d'intervenants sont arrivés avec un texte prudemment rédigé, manifestement pesé avec certains de leurs proches.

Dans le débat, le fond de leur pensée s'est souvent manifesté beaucoup plus clairement.

Tout en étant apparemment opposée à envisager l'euthanasie hors de la phase terminale, Mme Henry a déclaré : « La Ligue Alzheimer insiste sur la nécessité de respecter la volonté et les opinions de la personne durant sa maladie et à la fin de sa vie, sachant que la personne atteinte de démence sera de moins en moins capable d'exprimer ses volontés conscientes et réfléchies. Tout doit donc être mis en oeuvre pour lui fournir l'occasion de le faire au premier stade de la maladie, d'où la nécessité d'un diagnostic précoce, annoncé à la personne, à qui il importe de donner l'occasion de s'exprimer comme un individu à part entière. » Elle a ajouté en conclusion de son exposé : « La proposition de loi en discussion ne me paraît pas apporter, dans son état actuel, une protection plus grande de la personne que la loi existante. Il serait important de nuancer et de spécifier des dispositions en rapport avec les problématiques » (évoquées par elle) (pp. 166 et 167). En réponse à une question elle a précisé : « La piqûre létale n'est pas ce que nous voulons, cela fait peur. Si on peut être assuré d'être entouré psychologiquement et d'être soulagé physiquement, peut-être pourrait-on avoir confiance » (p. 171), et « ... il faut avancer dans cette réflexion, mais peut-être pas au point de dépénaliser au stade actuel des choses » (p. 175). À la question de savoir de laquelle des quatre options du Comité de bioéthique elle se sentait la plus proche, elle a répondu : « de la troisième » (p. 178).

Les dirigeants de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, Mme Herremans et M. Favyts, ainsi que Mme Roelandt s'expriment clairement en faveur de la proposition commune.

Évoquant le cas des handicapés mentaux, Mme Kempeneers s'est souciée, au regard de la notion de « capacité », de savoir qui était concerné par la proposition de loi commune et a exprimé sa crainte que l'euthanasie pourrait être imposée à des handicapés. Elle a commencé par déclarer : « À supposer que l'on ne parle pas dans la proposition de loi de phase terminale, une dérive redoutable pourrait être imaginée en ce qui concerne certaines personnes handicapées et notamment certains handicapés mentaux » (p. 219), puis, tenant compte des observations faites par les auteurs de la proposition, elle a opiné : « À partir du moment où une clarification est donnée dans le sens dont on vient de parler, je pense que les craintes pourraient être apaisées. » (p. 226).

Le docteur Vincent s'est déclaré partisan d'une réglementation, sans tout à fait croire à sa possibilité : « Oui, s'il vous plaît, faites quelque chose pour nous aider. Qu'il y ait dépénalisation ou qu'on légifère en la matière. » (pp. 240 et 243).

M. Schoonvaere n'est manifestement pas favorable à la légalisation de l'euthanasie, qu'il trouve en tout état de cause prématurée, tout en acceptant que la sédation contrôlée ne règle pas tout (p. 284).

Mme Vandeville partage les réticences de M. Schoonvaere. « La diversité de chaque situation rend difficile toute législation, estime-t-elle; il me paraîtrait préférable de proposer une réglementation et un encadrement de la décision médicale dans les situations les plus importantes concernant la fin de vie. » (p. 294).

M. Cosyns s'est déclaré partisan d'une réglementation (« Un changement de la loi doit d'urgence être réalisé. »), sans pour autant modifier la loi pénale (pp. 326 et 327).

Opposée elle aussi à la dépénalisation de l'euthanasie, Mme Diricq souhaite une réglementation qui mette le patient « au centre du processus » de décision en matière d'actes de fin de vie (pp. 341 et 350).

Mme Aubry est favorable à une réglementation, mais limitée à la phase terminale (pp. 365, 366, 367 et 371).

Le docteur Clumeck a exprimé « son extrême réserve quant à une dépénalisation de l'euthanasie » (p. 384). Il a ajouté : « J'ai dit que je n'étais pas favorable à la dépénalisation. Je n'ai pas dit qu'une loi sur l'euthanasie n'était pas utile. J'appelle de mes voeux une loi sur l'euthanasie, mais une bonne loi, une loi qui permette au médecin, au personnel soignant de ne pas hésiter entre la lassitude et la lâcheté. » (p. 389).

Tout en étant réservé et en objectant que « la proposition de loi, telle qu'elle est formulée, me donne parfois un certain sentiment d'irréalisme ou d'idéalisme », qui en réserverait le bénéfice à « un nombre relativement restreint de personnes particulièrement bien armées sur le plan de la culture, du caractère et de l'éducation, le professeur Moulin a considéré que « les intentions des auteurs de la proposition sont certes louables » (p. 412).

Encore qu'il pense que la proposition de loi commune s'appliquera à très peu de personnes « pour ce qui est de la vraie euthanasie active », le professeur Van Camp a déclaré : « Je pense personnellement qu'il règne actuellement une trop grande insécurité juridique et qu'une loi s'avère indispensable. » (p. 439).

Tout en faisant valoir des considérations de prudence, le docteur Mullie aspire à une réglementation : « Je suis de tout coeur avec ceux qui demandent l'euthanasie. Les gens ne demandent pas cela à la légère. J'espère que le législateur trouvera une voie permettant à ces personnes d'obtenir satisfaction sans devoir y associer des tiers en cachette. » (p. 449).

Mme Bouckenaere s'est prononcée contre la dépénalisation : « Il ne faut surtout pas modifier le Code pénal. L'interdit de tuer est un signal fort, une indication claire de la nécessité de protéger toute vie humaine... Nous devons maintenir une protection solide contre le risque de légitimer, de déresponsabiliser, de déculpabiliser trop rapidement les acteurs de terrain. Si l'euthanasie est dépénalisée, elle sera immédiatement banalisée. Elle fera d'emblée partie des options envisageables et nous permettra de faire l'économie de la recherche d'autres possibilités. Il me semble important que l'euthanasie reste toujours un geste d'exception, celui auquel on n'a recours qu'après avoir épuisé toutes les autres possibilités humaines et médicales... » (p. 33). Mais, a-t-elle ajouté après avoir plaidé pour une « charte des droits des patients légalisée », « Il existe des cas d'exception pour lesquels il devrait être possible d'agir sans risquer d'être poursuivi. » (p. 36).

Fort de l'expérience hollandaise, le docteur Ingels juge que la situation actuelle n'est satisfaisante ni pour le médecin, ni pour le patient (p. 57) et est manifestement en faveur d'une législation (pp. 59 et 64), mais il lie essentiellement l'euthanasie à la phase terminale (pp. 55, 59 et 64).

Observant que la licéité de l'euthanasie passive n'est pas discutée, le docteur Distelmans ne voit pas pourquoi le médecin ne pourrait agir activement (pp. 71 et 76). Le docteur Van den Eynden déclare : « Nous sommes pas a priori opposés à une réglementation légale des éventuels problèmes éthiques qui se posent en fin de vie. L'ambition d'une telle réglementation doit toutefois être de parvenir à des soins médicaux en fin de vie plus compétents, plus consciencieux et plus justifiés sur le plan éthique. Ceci implique qu'une réglementation légale doit réduire et non accroître les abus, pour que les plus faibles soient mieux protégés. Telle est en effet la raison d'être de toute loi. C'est pourquoi, la prudence et la circonspection sont ici de mise et la précipitation malvenue. (...) Nous estimons qu'il est injustifiable sur le plan éthique et social de rendre l'euthanasie légalement possible pour des patients ne se trouvant pas en phase terminale » (p. 12). « L'euthanasie n'est ni banale, ni simple, notamment parce que la demande d'euthanasie est tellement complexe. C'est pourquoi une réglementation légale doit rendre la pratique de l'euthanasie non pas plus facile mais plus vigilante, de manière à ce que l'on n'accède pas à des demandes d'euthanasie qui n'en sont pas véritablement ou à des demandes formulées sous la pression de tiers. Ceci implique un contrôle réel a priori. L'actuelle proposition de loi n'offre pratiquement aucune garantie d'une pareille vigilance » (p. 13). Il ajoute : « Je suis, moi aussi, convaincu que les soins palliatifs n'éliminent pas totalement les demandes d'euthanasie. Les chiffres le prouvent d'ailleurs » (p. 16) et « Dans certaines circonstances très extrêmes, l'euthanasie doit être possible, il est possible de déroger à la loi pénale où l'euthanasie ne figure pas explicitement mais bien implicitement. (...) Si le législateur tient quand même à réglementer, il devrait plutôt élaborer une réglementation générale. » (pp. 25-26).

Au regard du nombre, à ses yeux réduit, de vraies demandes d'euthanasies, le docteur Menten n'y est pas favorable : « Faut-il une loi pour lutter contre de tels abus ? », demande-t-il. « La réponse à cette question est fort difficile. » (p. 103).

M. Verstraete, souffrant de sclérose multiple, y aspire (p. 110).

Avant de témoigner à huis clos, le docteur Leroy a déploré publiquement que, comme médecin généraliste, il ne pouvait pas accéder dans les pharmacies à tous les produits nécessaires (p. 128).

Les pharmaciens qui sont intervenus, ainsi que certains médecins traitant à domicile, ont souligné les problèmes pharmacologiques pour une euthanasie convenable, là où ils estiment pouvoir la réaliser.

Le professeur Bron ne craint pas « qu'une dépénalisation de l'euthanasie puisse favoriser des dérives, en particulier des euthanasies non justifiées » (p. 135). Elle plaide donc fermement pour « que la loi donne à chaque patient le droit de pouvoir choisir la manière dont il souhaite mourir ­ selon ses propres convictions » (p. 136).

Mme Cambron-Diez exprime des réticences au cours de son exposé. Mais, questionnée ultérieurement plus précisément, elle déclare : « Mes critiques ne portent pas sur la loi qui a été prévue et qui garantit la liberté du patient. Elles reposent sur la crainte de ce qui se passera sur le terrain. Je ne remets donc pas la proposition en question parce que je trouve qu'il faut parler de l'euthanasie et que ce genre de débat est extrêmement important. » (p. 161).

Mme Rémy a témoigné à huis clos (p. 178).

Mme Pesleux n'est pas favorable à la proposition commune, mais elle serait partisan d'une réglementation de l'euthanasie qui fixe les droits du patient et associe les équipes soignantes et le cas échéant des tiers spécialisés à la décision (pp. 190 et 192).

Mme Vantournhout a témoigné à huis clos, mais au cours de sa brève intervention publique elle a paru mettre sur le même pied sédation contrôlée et euthanasie et estimé nécessaire une disposition législative.

Le professeur Messine a clairement fait état de son sentiment qu'il serait inopportun de légiférer en la matière. Mais il a admis qu'il ne serait pas impossible de réglementer l'euthanasie dans un cadre légal sur l'accompagnement de fin de vie (p. 231).

Le professeur Dalcq, on le sait, a proposé une formule alternative pour légaliser l'euthanasie en phase terminale dans le cadre d'une réglementation sur l'accompagnement en fin de vie (p. 251).

Parlant du point de vue du juriste, M. Panier a opiné que la proposition commune est « carrossable ».

Le professeur Adams s'est montré partisan d'une réglementation de l'euthanasie hors du Code pénal (p. 8).

M. Denecker et M. Delporte se sont exprimés en faveur d'une réglementation qui permette la pratique de l'euthanasie y compris dans ses aspects pharmaceutiques. Le premier s'exprime en faveur de la dépénalisation (p. 28).

On peut donc constater qu'à l'exception de trois intervenants, tous ceux qui ont été entendus sont, d'une manière ou d'une autre, partisans d'une réglementation (et dans l'ensemble très réservés à l'égard d'une dépénalisation) qui permette de pratiquer l'euthanasie, fût-ce dans des cas rares et exceptionnels, avec la sécurité juridique nécessaire ou suffisante pour garantir au médecin qu'il ne soit pas poursuivi et pour permettre l'ouverture d'un dialogue entre tous les intéressés en fin de vie.

Nécessité d'une réglementation globale

23) La problématique de l'euthanasie n'est qu'une partie de la problématique plus générale de l'ensemble des actes médicaux en fin de vie, qu'il y a intérêt à réglementer globalement.

Témoignages

­ Le docteur Englert : « La problématique de l'euthanasie n'est qu'une petite partie d'une problématique beaucoup plus large dans laquelle nous sommes engagés et qui est à mon avis très favorable : on se réapproprie la mort après une trentaine d'années où la médecine allait tout résoudre ... Le vrai problème, c'est que les patients sont privés de la possibilité de gérer leur fin de vie et que la relation médecin-malade est profondément distordue par le fait qu'il n'y a pas moyen d'aborder le problème fondamental auquel le patient est confronté. » (p. 35).

­ Le professeur Van Neste : « (...) pour combattre les pratiques inacceptables de fin de vie, il ne suffit pas de concevoir une procédure d'euthanasie et de lever la clause prohibitive à ce sujet. Il faut également introduire une régularisation de l'acte médical légitime. » (p.49). « Ma conclusion est qu'on a tout intérêt à réaliser une installation d'éclairage, non seulement sur les chemins jusqu'à présent interdits, mais aussi sur toute la voie dans toute la région frontière de l'acte médical en fin de vie. » (pp. 50 et 51). « Mon point de vue a toujours été que, si le législateur ne s'occupe que d'euthanasie, il se limite au sommet de l'iceberg dans l'acte médical en fin de vie. » (p. 73).

­ Le docteur Philippart : « La vie finissante devrait être envisagée sous ses différents aspects. La réduire à la seule possibilité de pouvoir solliciter une euthanasie serait regrettable car cela occulterait momentanément d'autres composantes non négligeables et d'autres besoins, à notre sens plus urgents. » (p. 81).

­ M. Schoonvaere : « La diversité de chaque situation rend difficile toute législation; il me paraîtrait préférable de proposer une réglementation et un encadrement de la décision médicale dans les situations les plus importantes concernant la fin de vie. » (p. 294).

­ Le docteur Distelmans, en réponse à Mme de T' Serclaes : « la discussion relative à la fin de vie n'était que le sommet de l'iceberg et (...) les droits des patients étaient déjà violés à un stade bien antérieur. » (p. 76).

­ Le docteur Clumeck : « On ne peut pas dissocier le débat sur l'euthanasie et les soins continus d'un véritable débat de société sur les droits des patients, le droit à la santé, et le type de médecine que nous souhaitons. » (p. 384).

­ Mme Pesleux : « Qui a dit au cours de ces auditions que la proposition de loi sur l'euthanasie était la partie visible de l'iceberg. Nous le ressentons très profondément. » (p. 199).

Dans cette perspective, il paraîtrait indiqué à l'intervenant, dans la législation en projet, d'énoncer clairement les droits du patient et d'appréhender tous les actes médicaux de nature à hâter le décès.

Compte tenu de la diversité des situations, cet énoncé des droits du patient ne peut sans doute se faire que sous la forme de principes d'application générale. S'agirait-il pour autant de « lapalissades » ? Aucun de ceux qui ont suivi les auditions, et qui ont entendu plus particulièrement les observations telles que celles qui viennent d'être citées, ne le pensera. La loi n'a d'ailleurs pas pour seule fonction de réglementer dans le détail, de manière répressive particulièrement : elle exprime une valeur sociale et morale à laquelle chacun est invité à conformer son comportement. Ce n'est pas parce qu'ils paraissent vérités d'évidence à ceux qui ignorent la pratique quotidienne qu'il faudrait faire l'impasse sur l'énoncé de ces principes. Au reste, M. de la Palisse n'était-il pas, comme se plaisait à l'évoquer feu Me Marcel Gregoire, l'un des plus grands juristes de son temps ?

Droits du patient

24) Plusieurs experts ont insisté sur l'importance de la garantie des droits du patient à l'information et au consentement.

Le professeur Baum a ainsi déclaré : « ... je défends une position a priori tout simplement parce qu'en travaillant avec une équipe volante de soins palliatifs, il m'a semblé que c'était la position la plus démocratique pour le patient. Mais cette position a priori doit être renforcée par une charte des droits du patient. En effet, il ne me semble pas possible, en droit positif ni en éthique, de définir une position éthique ou juridique consensuelle. Il faut simplement que l'État assure la convivialité des convictions conflictuelles. » (p. 146). « Dans cette charte, il y aurait des règles sur le droit à l'information que vous avez mentionné, sur les lieux d'information, sur les personnes à appeler. » (p. 152).

Le professeur Van Neste considère à ce propos : « Dans le suivi de ces codes (relatifs aux décisions en fin de vie), il faut respecter les droits du patient. Je pense ici surtout au droit d'autorisation, de participation dans le processus de décision pour passer d'un code à l'autre, à l'information claire pour le patient, mais aussi au droit de consultation dans le dossier médical concernant le respect de ces codes et des droits des patients. » (p. 51).

Le docteur Bouckenaere a demandé « une charte des droits des patients légalisée qui permettrait de faire référence » (p. 36).

Outre les experts précités, le docteur Cosyns (p. 327), Mme Aubry (p. 363) et Mme Pesleux (p. 203) ont plaidé dans le même sens.

« Pour moi », a déclaré Mme Aubry, « prendre ses responsabilités signifie disposer du savoir-faire suffisant pour pouvoir choisir la bonne solution parmi celles qui se présentent. Cela suppose que l'on informe et accompagne les malades, ce qui arrive trop peu souvent. Les droits du patient sont insuffisants. »

Une information adéquate, a-t-il été indiqué, contribue à l'apaisement des patients, avec des retombées économiques surprenantes.

Déplorant lui aussi que « les patients sont amenés dans des situations de soins à leur insu, sans leur consentement », M. Schoonvaere a évoqué le modèle américain : « Si vous allez aux États-Unis, vous verrez comment les programmes préopératoires sont communiqués au patient. Les études montrent que lorsqu'on l'informe clairement avant l'intervention, le patient consomme moins d'analgésiques, a moins de nausées et son séjour à l'hôpital est plus court de 10 %. Cela entraîne donc une économie extraordinaire dans le domaine de la santé publique. » (p. 287).

L'information

25) Le principe est clair : tout patient doit avoir droit à obtenir toutes informations utiles et appropriées sur son état de santé et sur les possibilités de traitement et de soins.

Il paraît à l'intervenant qu'en tant que principe, cette règle doit s'appliquer aux patients mineurs comme aux patients majeurs (40).

Mais il va de soi que le principe appelle des nuances, tenant à l'urgence, aux souhaits ou à la situation particulière du patient.

« Je prône le fait que l'on informe le patient afin qu'il reste maître du processus, mais pas n'importe quand ni n'importe comment, a ainsi expliqué Mme Diricq. Cela prend parfois du temps. Je suis parfois étonnée d'entendre le médecin responsable de notre équipe de soins palliatifs donner tout à fait clairement des explications à un patient, répondre au rythme des questions que lui pose le patient. Pourtant, le patient revient le lendemain avec les mêmes questions. Or il ne s'agit pas d'une personne qui a perdu ses facultés cognitives. Il y a d'autres processus, tel le déni, qui empêchent parfois d'être en contact avec certaines vérités. Je suis pour l'information la plus complète du patient. Mais il faut veiller à ne pas forcer les défenses du patient. Tout le monde n'est pas capable à n'importe quel moment d'entendre les choses terribles qui vont lui arriver. Comment donner cette information ? Il faut essayer de se situer sur une échelle qui va d'un paternalisme à outrance à l'autre extrême qui consisterait à ne prôner que l'autonomie. Entre les deux, je crois qu'il y a l'alliance thérapeutique. Pour pouvoir dire certaines choses au patient, il faut avant tout qu'il y ait un lien de confiance entre lui et son médecin. » (p. 356).

C'est évidemment sous une forme et en des termes appropriés en fonction de la capacité de discernement et de l'état physique et mental du patient que les informations auxquelles il a en principe droit doivent lui être communiquées.

Il peut aussi arriver que le patient ne souhaite pas être informé, préférant la sérénité que peut procurer l'ignorance et laisser au médecin ou à d'autres les choix difficiles auxquels sa situation le confronte (41) (42).

Le consentement

26) Toujours pour ce qui concerne les droits du patient, il paraît aussi utile d'énoncer le principe qu'aucun acte médical ne peut être posé, poursuivi ou arrêté sans le consentement libre et éclairé du patient.

Ici encore, le principe doit être nuancé : il ne peut s'appliquer que sous les mêmes réserves que le droit à l'information, c'est-à-dire sauf urgence ou indication contraire tenant aux souhaits ou à la situation du patient.

Ce consentement doit pouvoir être retiré à tout moment. Pour que le patient agisse en connaissance de cause, il faut, dans ce cas, que le médecin l'informe sur les effets prévisibles de sa décision.

Les directives anticipées

27) Il a été beaucoup question, au cours des auditions, des directives anticipées qu'une personne peut arrêter quant aux modalités de sa fin de vie pour le cas où elle ne se trouverait plus en état d'exprimer ses souhaits, et qui, dans le langage courant, sont improprement appelées « testament de vie ».

De très nombreux experts ont souligné l'importance de pareilles directives, tout en indiquant qu'elles ne peuvent avoir qu'une valeur indicative.

Dans la proposition qu'il avait déposée, M. Monfils s'était montré réticent à l'égard de pareil document : « Par définition, en bonne santé, le patient ne sait si et quand il sera atteint d'une affection grave. Il ignore l'environnement social dans lequel il évoluera à ce moment, il ne peut préjuger ni de l'évolution de sa personnalité, ni de l'attitude qu'il développera face à la maladie. » Il a précisé par la suite : « On discutait alors de la valeur d'un testament de vie, quel que soit l'âge auquel il était rédigé. J'avais cité l'exemple d'un étudiant de 25 ans qui rédigerait un testament de vie, un soir de sortie, testament que l'on invoquerait lorsqu'il aurait 65 ans. » (43). Il n'empêche que l'interprétation de la volonté ainsi définie du patient doit se faire avec prudence.

L'intervenant retient aussi des auditions que l'établissement du testament de vie ne doit pas être formalisé outre mesure. Laissons à cet égard la plus grande liberté au patient, qui peut s'inspirer des modèles diffusés par des associations comme l'ADMD. Mais il faut bien entendu que les conditions dans lesquelles est exprimée la volonté garantissent son authenticité.

Enfin, l'intervenant a aussi noté qu'il est utile de permettre au patient de désigner une personne de confiance pour le cas où il ne souhaiterait pas ou ne pourrait pas exercer lui-même ses droits à l'information et au consentement. Tout le monde ne songe pas à établir ou à renouveler ses directives, ou ne dispose pas de personnes susceptibles d'intervenir comme témoins. « La personne qui est seule doit aussi pouvoir rédiger une telle déclaration de volonté. », a indiqué le professeur Vermeersch (p. 9).

Diverses déclarations des personnes entendues méritent d'être rappelées à ce propos.

­ Le professeur Vermeersch : « La déclaration de volonté anticipée est très importante pour le médecin, parce qu'elle peut lui indiquer une direction. » (p. 7). « Au fur et à mesure que les garanties autour de la déclaration de volonté augmentent, le médecin peut se fonder sur celle-ci avec plus de confiance. Au fur et à mesure que les garanties sont plus faibles, le médecin peut moins s'y tenir. Même les plus progressistes du Comité consultatif de bioéthique n'ont jamais dit que la déclaration de volonté anticipée doit nécessairement être suivie par le médecin. Elle constitue pour le médecin un moyen d'excuse, mais il doit poser un jugement lui-même, ... » (p. 9). Et, en réponse à une question de M. Remans : « (...) connaissez-vous une meilleure protection contre l'euthanasie pour des raisons économiques que l'expression de volonté formelle ... ­ Non. » (p. 22 et 23).

­ Le professeur Van Neste : « J'espère que cette formule juridique est acceptée sans plus par toutes les parties. Dans la Recommandation nº 1418 du Conseil de l'Europe sur les soins palliatifs qui se rapporte à la protection des droits de l'homme et la dignité des patients en phase terminale et atteints de maladies incurables, on insiste sur la reconnaissance juridique du « living will » dans les pays européens. » (p. 51).

­ Le professeur Schotsmans : « Je ne suis pas partisan de réduire, dans l'acte médical, la déclaration de volonté dans le sens d'une réduction légale. On ne peut jamais prédire comment on va évoluer dans des situations qu'en tant qu'être conscient et sain, on ne peut prévoir. J'ai moi-même appelé la déclaration de volonté « la mort sur papier », la mort froide du papier. Ce qui se passe dans les derniers moments entre le médecin et le patient est trop important pour être simplement consigné sur papier et pour pouvoir faire ensuite l'objet d'un suivi bureaucratique. C'est pourquoi, si une réglementation devait malgré tout s'imposer, je supplierais presque qu'une personne de confiance soit associée à ce processus. Cela me semble beaucoup plus facile à concilier avec la pratique médicale quotidienne. Il y avait beaucoup de questions concernant les tâches précises de cette personne de confiance, mais le plus important pour moi est que cette personne soit présente, que quelqu'un puisse intervenir en tant que représentant du patient. À nouveau, cette personne ne doit pas agir seule, mais doit, avec le médecin, évaluer la situation en permanence. Cette stratégie permet en quelque sorte de reléguer au second plan l'aspect strictement « papier ». La réalité médicale est d'ailleurs trop complexe pour être reprise sur papier dans une déclaration de volonté. » (p. 123) (44).

­ Le docteur Philippart : « ... la possibilité d'une déclaration anticipée suscite également quelques questions. D'abord son contenu, dans la mesure où il évoque toutes les possibilités de vie finissante, peut en effet être utile et indicatif le moment venu mais, le médecin étant un acteur indispensable devrait pouvoir, dès le moment de la rédaction, exprimer clairement son propre point de vue et la limite de ses interventions. Par ailleurs, cette déclaration ne présume pas du changement possible de l'état d'esprit du déclarant ni du niveau de sa conscience. Entre la lucidité parfaite et l'inconscience complète, n'y a-t-il pas une gamme d'états intermédiaires ? De même entre l'état de pensée au moment de la rédaction souvent survenue au lendemain d'une mort qui a frappé le déclarant et celui du moment où débute sa propre fin de vie, d'importants changements sont possibles. La conviction d'hier peut s'émousser au contact de sa propre réalité, ce dont le patient n'aura pu prendre conscience avant. » (p. 80).

­ Le docteur Hache : « Nous avons des doutes importants en ce qui concerne la valeur d'un testament de vie qui a été établi des années à l'avance, à un moment où le patient était encore entièrement lucide, compos mentis. Chaque médecin, tant le médecin d'hôpital que le médecin de famille, fait l'expérience que l'état mental concernant les mesures à prendre en fin de la vie peut se modifier au fur et à mesure que celle-ci se rapproche. Beaucoup de personnes qui nous parlent d'euthanasie, et c'est encore plus vrai lorsqu'elles en parlent à leur médecin de famille, n'en disent plus un mot lorsqu'elles se trouvent au stade terminal. Non parce qu'elles sont devenues incapables d'exprimer leur volonté, mais parce qu'elles sont très bien prises en charge par leur entourage, parce qu'elles vivent la présence des personnes qui les entourent de façon très intense et qu'à ce moment-là, elles accordent à cet aspect énormément d'importance. C'est pourquoi nous ne croyons pas en de tels testaments de vie. Nous avons eu nous-mêmes de très mauvaises expériences à cet égard. » (p. 86; voir aussi p. 100).

­ Le professeur Baum : « Il s'agit de dire quel projet thérapeutique on veut établir avec le patient et comment, face à sa maladie, on imagine sa fin de vie. » (p. 162).

­ Mme Sabine Henry : « En Angleterre, (la ligue Alzheimer) préconise aussi le testament de vie, les directives anticipées, la désignation d'une personne référante ... » (p. 165). « La personne de confiance est le témoin et le porte-parole de la personne malade. Elle a été choisie par la personne pendant sa période de lucidité et a reçu le droit de prendre des décisions à sa place. Elle est détentrice des aspirations de la personne elle-même. C'est un rôle qui n'est pas très développé ici, mais au Canada c'est chose courante et nous pouvons peut-être nous en inspirer. » (p. 168).

Voir aussi les documents déposés par Mme Herremans et M. Favyts et leurs commentaires, pp. 181, 185, 186, 204 et 207.

­ Le docteur Vincent : « Ce n'est pas vraiment la solution, même si c'est peut-être une petite pièce à ajouter au puzzle. » (p. 234).

­ Le docteur Vandeville : « En ce qui concerne la déclaration anticipée, elle ne peut tenir lieu d'obligation légale, mais elle peut être un indice dans la discussion concernant la fin de vie. Quelle serait en effet la portée d'une telle démarche expresse qui ne peut tenir compte de la situation réelle au moment de l'acte ? » (p. 295).

­ Le docteur Roelandt : « Le testament de vie peut être important et afin de lever les doutes relatifs au testament de vie, on peut acter dans ce testament les noms de personnes qui sont en contact étroit avec la personne concernée et peuvent la représenter dans certaines situations où elle ne serait plus capable de s'exprimer elle-même. » (p. 303).

­ Le docteur Cosyns : « Cette notion est en effet cruciale ... Une déclaration de volonté relative au traitement constitue en premier lieu un accord de concertation. D'autres personnes, notamment les proches, le conjoint, les amis, sont de préférence impliqués dans cet accord. Je prends moi-même l'initiative d'associer ces personnes à la concertation. La déclaration de volonté relative au traitement ou déclaration anticipée devrait faire partie du dossier médical. » (45).

­ Mme Diricq : « Je pense que ce testament est un élément dont on peut tenir compte, mais qu'il n'est certainement pas le seul sur lequel se baser ... Le testament de vie est donc un indice, sans plus. » (p. 359).

­ Le docteur Clumeck, p. 390 : « (Le testament de vie) a certainement un sens pour le patient. Pour certains patients, il est très important de pourvoir se projeter dans un avenir, dans certaines circonstances, dans ce que je suis obligé d'appeler un « fantasme de mort », puisque la mort n'est pas là. Dans ce fantasme de mort, certaines personnes ne s'imaginent pas plongées dans des circonstances qu'elles jugent contraires à leur dignité et à leur souhait. Il est très important d'entendre les demandes et de prendre note du testament de vie. Pour moi, ce testament de vie n'est toutefois qu'une indication. » (p. 390).

­ Le docteur Van Camp : « Nous pouvons en effet soumettre la déclaration anticipée à un certain nombre de conditions. Comme le prévoit la proposition de loi, elle doit être répétée, récente et faite devant témoins. Son application est toutefois subordonnée à la nature de la maladie. Le cancer est une maladie évolutive dont l'issue négative, voire fatale est évidente. Il en va tout autrement d'un patient soudain frappé d'une hémorragie cérébrale. J'ai récemment eu le cas d'un patient qui avait fait longtemps auparavant une déclaration anticipée ou qui avait en tout cas dit quelque chose de ce genre en présence de nombreux témoins. Après son hémorragie cérébrale, il n'a plus demandé l'euthanasie. De tels patients sont pourtant confrontés à la situation inacceptable qu'ils avaient envisagée dans leur déclaration anticipée. Il est évident que dans ce cas, aucun médecin ne pratiquera malgré tout l'euthanasie. » (p. 429).

­ Le docteur Van den Eynden : « (...) il convient d'élaborer une réglementation relative à la déclaration de volonté, ce que l'on appelle les advanced directives » (p. 13).

­ Le docteur Distelmans : « Je trouve que la déclaration de volonté est un élément précieux pour la prise de décision finale, bien que ce ne soit pas le document ultime. On ne pourra jamais le rendre obligatoire légalement, mais comme je l'ai déjà dit, sur le terrain, les dispensateurs de soins se trouvent souvent au pied du mur. Ils doivent souvent prendre des décisions qui ne leur plaisent pas. Un testament de vie pourrait influencer la décision finale dans l'un ou l'autre sens. Plus on dispose d'éléments de décision, mieux cela vaut. » (p. 73).

­ Le professeur Bron : « Quant aux patients inconscients ou ceux dont l'état de conscience est trop altéré pour permettre une demande claire et sans équivoque, je dirai seulement qu'il me semble que la seule solution possible, ... pour qu'ils puissent se faire entendre est celle de la déclaration anticipée de volonté, ... avec un mandataire garant de cette déclaration. Bien sûr, cette déclaration doit être rédigée ou revue à un moment suffisamment proche de l'état d'inconscience pour que sa valeur ne soit pas contestée. » (p. 131).

­ Mme Cambron-Diez : « C'est l'un des éléments qui doit faire partie du puzzle au moment où on décode la demande du patient, ... J'ai beaucoup apprécié les propos (de M. Verstraete) qui a témoigné ici. » (p. 172).

­ M. Messine a évoqué Jean Barrois de Roger Martin du Gard, « roman philosophique sous forme de dialogue dont le héros, élevé dans la religion catholique, perd la foi au cours de son adolescence, devient un anticlérical farouche, et écrit une forme de testament dans lequel il proclame qu'il interdit à tout prêtre d'approcher de lui à l'heure de sa mort. Tout au long de sa vie, il se tient à cette attitude qu'il renouvelle chaque fois qu'il le peut, publiquement. Et puis, le jour où il agonise, c'est lui qui demande le secours du curé. Je suis frappé par le parallèle entre cette situation et celle du « testament de vie » : il montre qu'on peut changer d'avis à la dernière minute. Comment s'assurer que celui qui n'est plus conscient au moment où l'on s'apprête à mettre fin à sa vie conformément aux directives qu'il a données n'a pas changé d'avis avant de sombrer dans l'inconscience ? » (p. 211).

Obligation pour le médecin de dévoiler sa position

28) On sait qu'il y a des médecins et des institutions qui, par principe, refusent toute pratique de l'euthanasie (46).

Le patient doit pouvoir être éclairé quant à la position de principe de son médecin. Le professeur Schotsmans a confirmé ce droit : « Cela m'irriterait qu'un médecin refuse de communiquer ses convictions éthiques au patient. »(p. 119).

Par conséquent, le médecin qui estime, par principe, ne pas pouvoir répondre à tout ou partie des souhaits du patient quant aux modalités de sa fin de vie, doit être tenu de l'en informer lorsque le patient l'interroge à ce sujet.

Conditions des actes de fin de vie

Obligation d'assistance

29) Un principe général d'action médicale positive paraît à l'intervenant pouvoir être exprimé liminairement : le médecin doit au patient en fin de vie toute assistance morale et médicale, curative ou palliative, pour soulager ses souffrances physiques ou morales et préserver sa dignité.

Pas d'acharnement thérapeutique

30) Si l'accord est unanime sur le fait que l'acharnement thérapeutique ne se justifie pas, et malgré la conviction d'aucuns qu'il n'existerait pas, il demeure que, d'après certains témoignages, certains actes médicaux relèvent toujours de cette pratique, et parfois même dans un but intéressé.

« L'acharnement thérapeutique, unanimement rejeté aujourd'hui dans le discours, reste présent en milieu hospitalier. Cette attitude médicale engendre une souffrance inutile pour le patient, une peur parmi le public et suscite la demande d'euthanasie chez les malades comme chez les bien portants », a déclaré Mme Pesleux (p. 189).

Mme Aubry a imputé cet acharnement à une méconnaissance des soins palliatifs ou à un refus de reconnaître leurs limites dans le chef de certains medecins : « (...) à certains endroits, des personnes sont toujours confrontées à l'acharnement thérapeutique, non seulement parce que les connaissances en matière de soins palliatifs sont insuffisantes, mais aussi parce que les soignants ne reconnaissent pas assez rapidement que le patient a atteint la phase palliative, ou parce qu'ils n'ont pas encore apprivoisé le sentiment d'échec. » (p. 362).

De son côté, le docteur Bouckenaere a livré un témoignage inquiétant en rapportant cette considération du chef de cabinet de la ministre de la Santé publique, Mme Magda Alvoet, selon lequel « tant que les hôpitaux resteraient subventionnés sur base des actes techniques, l'acharnement thérapeutique persisterait. » (p. 42) (47).

Il ne paraît dès lors pas inutile à l'intervenant qu'il soit posé que le médecin doit s'abstenir de tout acte qui ne puisse raisonnablement contribuer à améliorer la santé ou la situation du patient, et plus particulièrement de tous actes inutiles ou disproportionnés par rapport à son état, en ce qu'ils n'offriraient, au regard du dernier état de l'art de guérir, aucune perspective raisonnable de guérison, d'amélioration ou de soulagement de ses souffrances, mais n'auraient pour objet que de retarder le décès.

Principe général. Avis de l'équipe soignante et de tiers

31) L'intervenant dégage enfin des auditions une règle générale qui doit être respectée dans tous les actes relatifs à la fin de vie du patient, quels qu'ils soient (abstention ou arrêt thérapeutique, sédation contrôlée, euthanasie) : le médecin doit agir en conscience, selon le dernier état de l'art de guérir et de soigner et les principes de bonne conduite médicale généralement reconnus, dans le respect des droits du patient, et en tenant compte de l'avis de l'équipe soignante et, dans toute la mesure du possible, de l'avis de tiers susceptibles d'être utilement consultés.

32) L'association de l'équipe soignante aux décisions de fin de vie me paraît, du moins en principe, un impératif, sous cette réserve que la décision finale, et la responsabilité des actes de fin de vie, appartient toujours au médecin : il doit en tenir compte, mais n'est évidemment pas lié par elle.

Divers experts ont souligné la nécessité de cette association, et la plupart se sont déclarés partisans de donner à la consultation de l'équipe soignante un caractère impératif.

­ Le docteur Englert : « ... à mon sens, il n'existe aucune interdiction pour le médecin de consulter les personnes dont il estime devoir prendre l'avis. Ce serait parfaitement contraire à la logique de la consultation médicale, y compris de l'équipe soignante. Je n'ai personnellement aucune objection à ce qu'il y ait une communauté, dans la mesure où elle existe en milieu hospitalier, avec les infirmières car elles connaissent beaucoup de choses que les médecins ignorent à propos des patients. Ce serait tout à fait différent d'en faire une obligation, ... Je suis personnellement très réticent à faire de la consultation de l'équipe soignante une obligation légale. Je pense que ce serait une « procéduralisation ». En pratique, la plupart du temps, c'est quand même comme cela que ça se passe. Le cas vécu à Liège montre d'ailleurs comment les choses se terminent dans le cas contraire. Les conflits à l'intérieur d'une équipe sont toujours préjudiciables au patient. » (p. 46). Il ajoute : « ... je ne voudrais pas donner le sentiment que je pense que les infirmières ne doivent pas être impliquées, ... Je crois qu'il faut être réaliste, ce qui ne veut pas dire que je suis opposé à la consultation de l'équipe soignante. Je suis opposé à en faire un élément obligatoire parce que je pense qu'elle ne s'applique pas à toutes les situations et que, dans la pratique, vous aurez de très grosses difficultés à définir que le médecin a accompli cette partie-là de l'exigence. » (p. 46).

­ Le professeur Schotsmans : « Même l'intervention médicale la plus simple est préparée en détail au moyen d'avis et de contacts, alors pourquoi cela ne serait-il pas le cas lorsqu'il s'agit de prendre une décision irréversible ? » (p. 46).

­ Le docteur Bouckenaere : « Les questions éthiques relatives à la fin de vie réclament impérativement une discussion collégiale préalable impliquant l'équipe soignante, si possible les proches du patient et, dans des cas plus complexes, telles qu'une demande d'euthanasie persistante, il me semblerait utile de disposer de cellules d'aide à la décision. » (p. 31). « Je souhaiterais qu'une législation rende obligatoire la consultation collégiale, ... » (p. 36) (48).

­ Le docteur Clumeck, p. 393 : « À mon avis, la consultation de l'équipe soignante devrait être impérative. »

­ Mme Aubry : « Les infirmières demandent ici une contribution formelle. Elles ne réclament pas le dernier mot, ni le droit de prendre la décision, elles veulent une concertation transparente et une politique cohérente. » (p. 365).

­ Le docteur Mullie : « L'équipe de SP est à notre sens, a fortiori chez les patients (pré)terminaux, l'instance la plus appropriée sur le plan éthique, vu son expérience interdisciplinaire, lorsqu'il s'agit de fournir un avis et d'assurer les soins au lit du patient » (p. 445). « Pour le médecin qui pratique l'euthanasie, il est très important de pouvoir compter sur une équipe. »

­ Mme Pesleux : « Décoder la demande et y apporter une réponse adaptée nécessitent une concertation entre tous les acteurs qui ont un contact avec le patient. Parmi ces acteurs, les infirmières ont une compétence, une expérience scientifique et une approche particulière de la personne malade et de sa famille. Elles participent ainsi, avec les autres paramédicaux, à l'approche globale du patient. De plus, par leur présence prolongée dans le service, par les soins intimes et réguliers aux patients, les infirmières sont souvent très proches de ceux-ci et détentrices de pas mal d'informations à leur sujet, ... La prise de décision par le médecin, sans concertation avec l'équipe soignante, va à l'encontre de la prise en charge pluridisciplinaire prônée aujourd'hui en médecine. Il nous paraît impensable de laisser une décision aussi grave sur les épaules d'un seul homme. La concertation est un barrage contre l'arbitraire. » (p. 185).

­ Le professeur Dalcq : « Je crois effectivement qu'il est souhaitable qu'un médecin puisse s'éclairer avant de prendre la décision concernant des soins qui pourraient également raccourcir la survie du malade. Il faut donc selon moi que l'ensemble de l'équipe soignante, aussi bien infirmières que médecins, participe à la discussion au sujet de l'état incurable ou non du patient et que cet état soit si possible confirmé par un autre médecin, que la famille ou des proches soient informés si c'est psychologiquement possible, et puissent donner leur avis. Je pense cependant qu'il ne faut pas aller trop loin dans les détails à ce sujet, chaque cas pouvant être différent. Il faut que l'équipe soignante constitue dans ces cas une cellule de concertation et non une cellule de décision ... Sur le plan juridique, cette concertation permettra au médecin de se justifier si on lui fait des reproches mais la cellule de concertation ne constitue pas un tribunal. » (p. 249).

Actes de nature à hâter le décès

33) Quelle que soit l'appréciation que l'on puisse porter sur la différence entre sédation contrôlée et euthanasie au sens strict, la pratique continue à distinguer, parmi les actes médicaux de nature à hâter le décès par l'administration de substances diverses, ceux qui ont pour effet secondaire de hâter le décès et ceux qui visent spécifiquement à le hâter.

La licéité des premiers n'est contestée par personne. Cela ne signifie pas que ces décisions ne doivent pas être encadrées.

On peut citer à ce propos le professeur Baum : « Il me semble qu'une euthanasie n'est légitime que si le patient la demande, soit par des directives anticipées, soit directement à son médecin. Je constate simplement que, dans des situations de dilemme terrible auxquelles les médecins doivent faire face, l'euthanasie non volontaire paraît être la moins mauvaise solution. Il me semble que, pour échapper à cet arbitraire, il faut encadrer cette décision pour qu'elle ne soit pas prise dans un moment de perte de contrôle. » (p. 150).

Il ne paraît pas davantage contestable, à tout le moins lorsque la mort est inéluctable et qu'un certain nombre de conditions sont remplies, que les seconds doivent eux aussi pouvoir être posés.

Condition de l'acte d'euthanasie

34) Sur le principe que, dans des conditions à définir et pour autant qu'il s'y conforme, le médecin doit pouvoir poser un acte d'euthanasie sans s'exposer à quelque sanction, un large accord paraît possible à l'intervenant.

Le professeur Vermeersch, en évoquant la proposition commune du 20 décembre 1999 et celles du PSC et du CVP, l'a constaté au départ des auditions : « Il existe à tous égards un consensus minimal dans les trois propositions sur le fait que l'euthanasie doit être possible dans certains cas sans être punie. (...) Vandenberghe (...) suggère et Nyssens pose explicitement que le médecin qui s'en tient aux conditions soit normalement mis hors de cause. » (p. 3).

Au-delà du principe, l'accord paraît aussi possible sur les conditions en cause.

Une mise en garde s'impose cependant : il convient d'éviter, pour la sérénité de ce débat, de confondre le fond et la forme. Comme l'a observé un autre intervenant, le débat sur l'euthanasie est trop souvent pollué par une confusion entre les conditions de fond auxquelles devrait être soumis l'acte d'euthanasie et l'habillage juridique de la question. L'intervenant rappelle à ce sujet l'observation tout à fait pertinente de M. Remans en ce sens, en réponse à une intervention du professeur Van Neste : « En ce moment, le choix de la forme juridique est accessoire. Nous voulons seulement légitimer ce qui se passe actuellement dans la zone d'ombre. La voie juridique à suivre fera l'objet d'une étape suivante. » (p. 68).

35) Lors de sa seconde audition du 15 février 2000, le professeur Vermeersch, reconsidérant les conditions de la proposition commune du 20 décembre 1999, a énoncé comme suit les conditions à ce propos (p. 5) :

« Premièrement, le patient doit avoir une volonté de mourir réfléchie et permanente. Il ne peut pas être influencé par des tiers et il ne peut pas s'agir d'une dépression passagère. Deuxièmement, la situation médicale doit être objectivement irréversible et la souffrance doit être vécue par le patient comme insupportable et sans issue. Troisièmement, le médecin qui exécute l'euthanasie doit consulter un collègue médecin qui donne avis sur la situation médicale, le caractère inéluctable de la souffrance et de la possibilité d'y remédier, ainsi que sur la durabilité et l'authenticité de la demande d'euthanasie. Ce médecin doit avoir un entretien personnel détaillé à ce sujet avec le patient. Quatrièmement, les membres de la famille et le personnel soignant qui sont importants pour le patient doivent être informés et peuvent également donner leur avis, moyennant l'accord du patient. Cinquièmement, la décision finale est prise par le médecin qui réalise l'euthanasie, si le patient s'en tient à sa décision, et enfin, ce médecin doit choisir en expert le produit euthanasiant adéquat. »

Il a ajouté : « Je suis absolument d'accord avec l'idée que chaque décision doit être précédée d'une réflexion éthique approfondie sur l'euthanasie. »

Lors de l'audition des représentants de l'Académie de Médecine (section francophone) à laquelle l'intervenant a procédé personnellement avec quelques collègues, ceux-ci ont exposé leur position de consensus qui a été ultérieurement confirmée par une communication officielle de l'Académie :

« Les membres de l'Académie s'accordent sur la prudence avec laquelle il convient d'accueillir une demande d'euthanasie formulée par un patient. Une telle demande appelle toujours un dialogue approfondi entre patient et médecin, afin d'en élucider le sens et les motivations, ...

Il faut aussi prendre en compte les charges psychologiques lourdes qu'entraîne, pour les équipes soignantes et les médecins, l'accompagnement des patients en fin de vie. Les membres de l'Académie souhaitent que s'organisent des groupes de réflexion, d'évaluation et de soutien à ces équipes, de manière à leur permettre d'accroître leur expérience dans un climat d'objectivité et de sérénité ...

Il est recommandé au médecin qui accepte d'accompagner un patient dans une procédure d'euthanasie active de recueillir (par écrit si nécessaire), l'avis pronostique d'un confrère, expert reconnu dans la pathologie dont souffre le malade, et de s'assurer le concours d'une compétence pharmacodynamique appropriée, afin de garantir un déroulement optimal de la fin de vie induite. »

Par rapport à ce qui précède, les diverses propositions de loi qui ont été déposées ne paraissent pas à ce point éloignées qu'il ne serait pas possible de rapprocher les points de vue sur les conditions de l'acte d'euthanasie. L'intervenant souhaite apporter à ce propos quelques considérations sur un certain nombre de questions évoquées au cours des auditions.

Souffrances

36) Des divergences de vues semblent exister sur la nature des souffrances qui justifient le recours à l'euthanasie : la souffrance doit-elle être physique, ou suffit-il qu'elle soit morale ? Faut-il qu'elle soit irréductible et insupportable, ou suffit-il qu'elle soit l'un ou l'autre ? Comment ces caractéristiques de la souffrance doivent-elles être appréciées ?

Sur le premier point, le docteur Mullie a apporté à Mme De Schamphelaere une réponse qui semble déterminante : « Je puis seulement répondre que la souffrance psychique est une souffrance aussi grande, voire plus grande que la souffrance physique. D'une part, elle est peut-être plus longtemps réversible, mais, d'autre part, elle peut être tout autant sans issue » (p. 455). Dans le même sens le docteur Englert a rapporté que « Par rapport à la détresse, à la souffrance morale, il faut rappeler que, contrairement à ce qu'on pense, dans les analyses faites en Hollande, la douleur physique est relativement peu présente dans les demandes d'euthanasie. Seules 10 % des demandes d'euthanasie sont justifiées par un problème de stricte douleur physique. » (p. 37).

Sur le troisième point, l'intervenant estime acceptable qu'il soit exigé que le caractère irréductible de la souffrance soit établi par référence à la science médicale admise (« heersend medisch inzicht»), sous cette réserve que l'appréciation en la matière relève du seul médecin traitant et du confrère spécialisé qui devrait être préalablement consulté.

Consultation d'un tiers spécialiste

37) La consultation de ce spécialiste paraît indispensable à l'intervenant. Outre l'autorité de l'Académie de médecine et M. Vermeersch, déjà cités, on peut aussi faire référence à d'autres intervenants comme le docteur Englert (p. 44), en réponse à des questions de M. Galand :

­ M. Galand : « Monsieur le Professeur, selon vous, en quoi devrait consister l'intervention d'un deuxième médecin ? »

­ Le docteur Englert : « Pour moi, l'aspect crucial de l'intervention d'un second médecin est double. D'une part, j'y vois une sécurité par rapport aux abus manifestes. Il convient de vérifier qu'il s'agit bien d'une maladie incurable, que l'on est dans une situation sans issue et que l'on n'est pas en train de contourner l'esprit et la lettre de ce qui fait la légitimité de l'euthanasie. D'autre part, il peut exister, en toute bonne foi, des situations que j'ai appelées « fusionnelles », dans lesquelles le médecin, par la longueur de sa relation avec le patient et par son implication dans cette relation, perd la distance reconnue nécessaire à la prise de décisions adéquates. C'est la raison pour laquelle il est déconseillé aux médecins de soigner leur propre famille. Cette vieille règle n'est pas toujours respectée, et c'est une erreur. Il peut exister d'autres situations où l'on perd cette distance, en toute bonne foi. L'oeil neuf, extérieur, apporte le contrôle et la distance nécessaires qui permettent de dire qu'il n'y a rien d'autre à faire, que la maladie est incurable. Cela permet d'éviter que le médecin ne soit pris dans une logique où il ne perçoit plus la réalité objective. »

­ M. Galand : « Considérez-vous que ce deuxième médecin donne un avis éventuel sur le caractère irréductible de la souffrance ou de la détresse ? »

­ Le docteur Englert : « Je situe son intervention dans le sens où il pourrait dire qu'il n'a rien d'autre à proposer que ce qui a été déjà fait ou envisagé pour soulager le patient. Je perçois un aspect plus difficile de votre question, à savoir s'il doit évaluer que la demande est persistante, répétée, ce qui est peut-être plus délicat. En tout cas, constater que le patient est profondément déprimé fait partie de l'évaluation qu'il doit faire. Il pourra suggérer de lui administrer des antidépresseurs en raison de son état de dépression intense. De la même façon, il pourrait suggérer la pose d'une péridurale avec un anti-douleur en continu. Pour moi cela fait partie de la même évaluation médicale de la situation qui peut prendre en compte, par exemple, des aspects de la dépression. »

Le professeur Van Neste a exprimé un avis analogue : « Toutefois, je suis partisan d'y associer une tierce personne. » (p. 57). « En ce qui me concerne, la tierce personne peut être simplement un médecin, étant donné que des médecins font aussi partie de l'équipe des prestataires de soins palliatifs. » (p. 67).

On peut aussi citer le docteur Clumeck : « Dans le colloque singulier avec son patient, le médecin est in fine le seul détenteur de la décision finale. Afin qu'il ne porte pas seul le poids parfois lourd d'une décision difficile, outre l'avis d'un collègue indépendant expert en la matière, il devrait également éclairer la demande du patient de l'avis de l'équipe soignante et de l'équipe soins palliatifs si elle existe localement. » (p. 383).

Le docteur Mullie s'est pour sa part exprimé comme suit au sujet de l'intervention d'un second médecin : « Le rôle du second médecin doit être accru. Le second médecin doit donner son avis non seulement sur le caractère incurable de la maladie mais aussi sur les conditions posées à la requête du patient et sur la situation de souffrance continue et insoutenable ou de la détresse qui ne peut être soulagée. » (p. 447).

Le professeur Bron a elle aussi plaidé en ce sens : « Il faut mettre un garde-fou et convoquer un deuxième médecin. » (p. 144). De même Mme Pesleux : « Lorsque la demande d'euthanasie semble confirmée, nous pensons qu'il peut être intéressant de joindre à la réflexion une personne extérieure ou une instance qui éclaire la démarche de sa compétence propre. » (p. 185).

Il faut ajouter que l'acte d'euthanasie n'est pas facile à décider. « Un acte de cette nature n'est jamais anodin pour le médecin. C'est quelque chose de très lourd à porter et qui laisse une trace », a dit Mme Bouckenaere (p. 29 ) et le docteur Mullie s'est exprimé dans le même sens (pp. 452 et 464).

Il va de soi que l'acte euthanasique doit être posé par le médecin lui-même. MM. Vermeersch, Englert et Adams ont été très nets à ce sujet (49). L'Académie de médecine exprime le même avis et on s'étonne que le docteur Haché se soit interrogé à ce propos (p. 100).

Le dossier médical

L'intervenant considère que ce dossier doit constituer le pivot et la limite du formalisme nécessaire en la matière.

38) Plusieurs experts ont insisté sur l'importance du dossier médical comme élément de mémoire du processus.

­ Le professeur Van Neste : « En vue de la transparence et de la possibilité de vérification, il faut faire mention dans le dossier médical de toutes les décisions. » (50). « Certains, dont moi-même, font aussi remarquer que la constatation qu'il existe une demande actuelle permanente de la part du patient, doit aussi être mentionnée explicitement dans le dossier. » (51). « Sur la question de la transparence pour toutes les décisions médicales ou pour les seules décisions en matière d'euthanasie, je suis évidemment partisan d'une transparence aussi grande que possible pour toutes les décisions médicales et pour les consigner dans le dossier médical. (...) Cela signifie qu'il faut conserver toutes les décisions dans le dossier du patient. C'est pourquoi nous avons fait de ce dossier un formulaire à double, tant pour le dossier médical que pour le dossier infirmier, afin qu'aucun doute ne soit possible sur l'état du patient. » (p. 137).

­ Le docteur Cosyns : « La déclaration de volonté relative au traitement ou déclaration anticipée devrait faire partie du dossier médical. » (p. 324).

­ Mme Diricq s'est plainte de l'insuffisance des dossiers : « La lecture de certains dossiers médicaux dans les services curatifs est parfois instructive à ce propos : plus le patient se dégrade, plus il s'approche de la mort, plus les notes dans son dossier diminuent, au même rythme parfois que les passages dans sa chambre. « Il n'y a plus rien à faire » et la mort sociale précède la mort clinique. On parle déjà de lui à l'imparfait. C'est tout juste si le patient ne s'excuse pas d'être encore là. » (p. 343).

Autres formalités

39) Toutes autres formalités, a priori ou a posteriori, semblent en revanche inadéquates à l'intervenant.

La consultation d'un tiers médecin et la discussion collégiale préalable avec l'équipe soignante, rendue obligatoire, ainsi que la consultation éventuelle de tout tiers utile, comme le cas échéant les cellules d'aide à la décision, sont à ses yeux une forme de contrôle a priori suffisante.

On peut citer à l'appui de cette considération le docteur Bouckenaere (p. 40) et le docteur Mullie (p. 445), Mme Pesleux (p. 190) ainsi que M. Adams : « L'estimation médico-éthique préalable doit surtout être considérée comme un soutien au médecin et au patient et pas comme un contrôle dont dépend la possibilité de passer à l'euthanasie. » (52).

Le professeur Vermeersch, pour sa part, a observé que « toutes les propositions (...) qui ne tiennent pas compte du caractère souvent extrêmement urgent de la décision, sont intenables dans la pratique. Bref, une procédure compliquée n'est pas nécessaire en phase terminale, parce que les abus ne peuvent pas avoir un effet important, mais elle n'est pas souvent efficace, parce qu'elle se déroule plus lentement que les processus de mort naturelle. » (p. 4).

L'intervenant considère aussi que le recours au dossier médical suffit pour vérifier la légalité de l'acte a posteriori et que la déclaration obligatoire est contraire au secret médical et surchargerait les parquets.

Le docteur Clumeck déclare ainsi : « Une déclaration a posteriori n'a aucun sens. Elle n'a aucune vertu pédagogique, elle vise à permettre au procureur du Roi de se saisir des rares cas en infraction avec la loi, mais qui va déclarer quelque chose alors qu'il sait être en infraction ? Le plus probable, c'est que dans des cas douteux, il n'y aura pas déclaration, comme cela se passe en Hollande dans plus de 20 % des cas. » (p. 383).

Le docteur Ingels, relatant l'expérience hollandaise, fait état de la difficulté à porter l'appréciation de l'acte devant une instance non-médicale : « Aux Pays-Bas, on tente de modifier la composition de la commission de contrôle, afin que les médecins s'y reconnaissent davantage en tant que groupe professionnel. On veut qu'un plus grand nombre de collègues médecins fassent partie de cette commission parce qu'on estime que dans une commission composée d'un médecin, d'un juriste et d'un éthicien, deux personnes sont probablement très éloignées de la pratique quotidienne. On veut donc que deux médecins siègent dans cette commission et éventuellement aussi un certain nombre d'infirmiers. » (p. 62).

Le professeur Vermeersch : « Soit le parquet examine tous les cas sérieusement, mais alors je me demande quel est le sens de tout cela. La plupart des cas seront en effet absolument acceptables. En outre, le renvoi de quelque chose au parquet revient à une autoaccusation. Soit le parquet classe simplement ce qu'il reçoit et la procédure entière n'a aucun sens ... » (p. 22).

Le professeur Van Neste : « Mais dans la proposition de loi de la majorité aussi, il existe un article qui détermine ce que le médecin doit vérifier avant de prendre une décision. C'est en fait une procédure a priori : il est indiqué à quelles conditions le processus de décision doit satisfaire avant que la décision ne soit prise. » (p. 7).

Le docteur Philippart : « Sans présumer de la disponibilité de la Justice à prendre une décision en un aussi court laps de temps, la période d'attente ne manquera pas d'être intolérable pour le médecin, mais plus encore pour la famille dont l'entrée en deuil serait ainsi différée et certainement perturbée. Ceci n'encourage-t-il pas à court-circuiter la déclaration demandée par la proposition, en occultant l'euthanasie et en déclarant d'emblée à l'officier de l'état civil qu'il s'agit d'une mort naturelle ? » (p. 78).

Le professeur Dalcq : « Personnellement, je ne crois pas qu'il y ait lieu de légiférer au sujet de la procédure de contrôle a posteriori prévue par l'article 5 de la proposition du 20 décembre 1999 parce que cette procédure me paraît impraticable. Il suffit d'ouvrir n'importe quel journal à la rubrique judiciaire pour constater que les faits qui viennent actuellement devant les tribunaux correctionnels ont souvent été commis trois, quatre, cinq ans, si pas davantage, avant qu'ils ne soient jugés. Le parquet ne dispose pas des moyens nécessaires pour faire le contrôle qu'on lui demande afin de donner une appréciation sur les mentions prévues à l'article 5 de la proposition; il faudrait nécessairement, pour que ce soit réalisable, que le parquet soit assisté de médecins ayant une compétence très large sur le plan médical pour apprécier les différents cas de vie finissante, ce qui paraît difficile à envisager. Ne nous faisons pas d'illusion sur les compétences de généraliste des médecins légistes, il s'agit de deux spécialisations totalement différentes. Enfin, il ne faut pas se faire d'illusions non plus sur le fait que si le médecin se trouvait réellement dans les conditions où il s'agirait d'une euthanasie inadmissible, il y a beaucoup de chance que cela n'apparaisse pas dans le dossier communiqué au parquet. Cette formalité me paraît donc inutile. Par contre, si le Parlement souhaite pouvoir apprécier l'influence de la loi sur l'évolution dans les faits comme on l'a fait pour l'avortement, il est tout à fait normal qu'il y ait une commission fédérale d'évaluation. » (p. 250).

M. Panier : « Mes réserves par rapport à la proposition la plus discutée aujourd'hui tiennent notamment au rôle que l'on entend assigner aux parquets, avec une information systématique » (p. 277). « En tout cas, la communication systématique telle qu'elle est prévue ici me paraît non seulement peu praticable, mais pouvant comporter une sorte d'effet de dédouanement moral : j'ai prévenu le procureur, tout est en ordre. » (p. 290).

Le professeur Vincent : « C'est l'aspect administratif qui rebute. Nous tenons à ce que la mort reste un phénomène tout à fait naturel et que l'on ne doive pas remplir des documents pour permettre à la personne de mourir. » (p. 256).

L'intervenant estime cependant que le contrôle des décès doit être modernisé. Une habilitation doit être donnée à cette fin au Roi selon les principes énoncés dans la proposition de loi qui comporte des dispositions en ce sens (53).

On entend beaucoup parler aujourd'hui d'un « tampon » entre le parquet et le médecin, et de l'intervention éventuelle de la commission d'évaluation.

L'intervenant n'y est pas favorable. Alors que beaucoup expriment le souhait de ne pas légitimer l'euthanasie, il ne comprend pas, à titre personnel, pourquoi l'on instituerait une procédure spécifique de déclaration des euthanasies. Les conditions dans lesquelles l'euthanasie pourrait se pratiquer dans des cas jugés exceptionnels, en phase terminale, paraissent une garantie suffisante, assortie au dossier médical. À partir du moment où il s'agit, dans cette phase terminale, de hâter le décès de quelques heures (dans 20 % des cas), ou de quelques jours (dans 80 % des cas), l'intervenant considère que le décès doit être tenu pour naturel et qu'il ne s'indique pas, par une procédure de déclaration, de légitimer le fait que ce serait, en quelque sorte, un arrêt de vie que l'on a provoqué.

Il y a là, semble-t-il, dans le chef des partisans de la déclaration obligatoire, une contradiction. Cela ne signifie pas que l'intervenant ne considère pas que la déclaration et le contrôle des décès devraient être modernisés. La proposition du CVP contient à ce sujet un nombre important de suggestions techniques fort intéressantes.

Une procédure de rapport global à une commission d'évaluation paraît également acceptable, mais l'intervenant est, à titre personnel, adversaire d'une procédure de déclaration au cas par cas à une telle commission.

Considérations juridiques

40) Le souci de mettre un terme à la pratique clandestine de l'euthanasie et de favoriser la relation de confiance entre médecins, équipes soignantes, patients et proches doit amener non seulement à définir avec précision les conditions dans lesquelles l'acte en cause peut être posé, mais encore à déterminer de quelle manière il peut être garanti que, à supposer que ces conditions soient réunies, le médecin ne soit exposé à aucune condamnation. Il faut pouvoir écarter toute zone d'ombre pour assurer une parfaite sécurité juridique.

Comme l'a dit M. Panier : « S'agissant de la vie et de la mort, on gagne toujours à ce que la position et la responsabilité des uns et des autres soient claires, plutôt qu'à mener une politique du gendarme, du bâton derrière la porte avec des notions qui sont autant d'épées de Damoclès sur la tête des praticiens. » (p. 278).

Ceci ne signifie pas que le médecin qui aurait pratiqué une euthanasie ne pourrait pas être « convoqué devant la justice », c'est-à-dire appelé à s'expliquer sur les conditions de son acte, comme de tout autre acte qu'il pose. Tout citoyen est toujours responsable de ses actes devant la justice, quels qu'ils soient. Mais il doit pouvoir être assuré que, dès lors qu'il sera établi que les conditions légales ont été remplies, il ne subira aucune peine.

Se pose donc la question de savoir sur quelle base assurer la sécurité juridique nécessaire. Deux formules ont été proposées à cet effet : le recours à l'« objectivation » de l'état de nécessité ou l'autorisation de la loi.

Il faut éviter à ce propos d'utiliser des termes équivoques, comme celui de « dépénalisation ». Au sens matériel, « pénaliser » signifie frapper d'une peine et, partant, « dépénaliser » ne plus frapper d'une peine. En ce sens, toutes les propositions ont pour objectif commun de dépénaliser l'acte d'euthanasie dans des conditions données. Au sens formel du terme, utilisé par les partisans de la proposition commune du 20 décembre 1999, « dépénaliser » signifie « sortir du Code pénal ». Le terme a donc une double signification, et cette ambiguïté ne sert pas le débat. C'est ce qu'a observé implicitement le professeur Van Neste, qui s'est refusé à juste titre à utiliser le terme : « Je n'ai pas prononcé le mot « dépénaliser » (...). Je recherche seulement une forme légitime d'acte de fin de vie. » (p. 74).

L'état de nécessité

41) D'aucuns font valoir qu'il serait possible, à cet effet, d' « objectiver » l'état de nécessité.

Cette solution ne peut pas être exclue d'office.

Ainsi le professeur Vermeersch a-t-il répondu de la manière suivante à une question de M. Vandenberghe : « Je pense que c'est une idée intéressante, parce qu'elle implique un compromis en fixant, d'une part, qu'il est important que le principe « tu ne tueras point » reste dans le Code pénal, mais en mettant, d'autre part, assez de moyens à disposition pour pouvoir répondre sur le terrain à des situations insupportables, malheureuses ou ingérables (...) Je peux vous suivre dans cette voie, mais ce qui ne doit pas subsister, c'est qu'on ne puisse invoquer que l'état de nécessité dans ces cas. Il faut toujours pouvoir invoquer un état de nécessité dans un cas privé. C'est précisément la définition d'un état de nécessité. On ne peut pas inscrire dans une loi qu'on ne peut pas invoquer l'état de nécessité dans tel ou tel cas. Cette disposition doit en tout cas en sortir. Je suppose que vous pouvez être d'accord avec moi là-dessus. On ne peut pas limiter l'état de nécessité. Il doit pouvoir être invoqué dans tous les cas. Cela est clair. On peut bien, comme dans la proposition PSC, inscrire dans la loi que, si on invoque l'état de nécessité selon ces conditions, on n'est pas importuné, mais on ne peut pas dire l'inverse. » (p. 25).

« Mon modeste avis est par conséquent », a poursuivi le professeur Vermeersch, « que la notion de l'état de nécessité n'est pas une solution vraiment bonne, même si je pourrais l'accepter si, dans les faits, elle rendait possible les actes d'euthanasie qui sont vraiment justifiés. Un rapprochement entre les points de vue me semble possible à cet égard. » (p. 4). Et il a encore ajouté : « On peut bien, comme dans la proposition PSC, inscrire dans la loi que, si on invoque l'état de nécessité selon ces conditions, on n'est pas importuné, mais on ne peut pas dire l'inverse. » (p. 25).

À la lumière des observations faites par tous les juristes entendus par les commissions communes, cette solution ne paraît cependant pas idéale à l'intervenant.

Qu'est-ce que l'état de nécessité ?

42) Le professeur Messine a donné de cette notion la définition suivante : « L'état de nécessité est une cause de justification, dont (il a été) rappelé à juste titre qu'elle n'est pas légale mais jurisprudentielle, et qui est l'état dans lequel se trouve celui qui a le choix entre commettre une infraction mais sauver ainsi une valeur supérieure à celle défendue par la loi qui incrimine le fait, ou ne pas commettre cette infraction mais alors laisser périr cette valeur. S'il commet le fait en sauvant la valeur supérieure, alors, à la différence des autres causes de justification, il est félicité parce qu'il a fait le bon choix; si, en revanche, il n'a pas commis le fait, s'il s'est abstenu de transgresser la loi, il sera moralement blâmable. » (p. 212).

L'état de nécessité est la justification éthique de toutes les propositions.

43) Il est opportun de souligner que cet état de nécessité constitue la justification éthique de toutes les propositions. Dans chacune des propositions soumises aujourd'hui aux délibérations des commissions réunies, a observé M. Messine lors de son audition, il est expressément renvoyé à la notion de « nécessité » : ainsi dans la proposition commune du 20 décembre 1999, le nouvel article 417bis du Code pénal qui y est proposé parle de faits « commandés par la nécessité de mettre fin à la souffrance ou à l'état de détresse » (54).

Mais, sur le plan juridique, le recours à la technique de « l'objectivation » de l'état de nécessité ne paraît pas rationnel.

Est-il possible d'objectiver l'état de nécessité ?

44) Le professeur Vermeersch a rapporté à ce propos cette citation de M. Paul Foriers de 1951 : « Il ne serait pas plus rationnel de généraliser l'état de nécessité que l'état de contrainte. Il n'y a pas de droit général de nécessité. Il y a des cas de nécessité et la question de savoir si la nécessité existe sera toujours une question de fait. » (p. 4).

Et le professeur Messine l'a confirmé, en réponse à une question de Mme Nyssens : « À la première question de Mme la sénatrice sur l'objectivation de l'état de nécessité par des conditions légales, je répondrai que cela est impossible, en vertu même de la définition de l'état de nécessité. Vous l'avez vous-même rappelé : l'état de nécessité est la situation dans laquelle se trouve quelqu'un, non pas qui peut commettre une infraction, mais qui doit, qui choisit de commettre une infraction pour sauver une valeur supérieure à celle qui est définie par le texte qui incrimine le fait ou de ne pas commettre l'infraction et laisser périr cette valeur. Faire ce que le devoir commande en transgressant la loi ou ne pas transgresser la loi et ne pas faire ce que le devoir commandait. Comment voulez-vous objectiver cela ? » (p. 217).

L'état de nécessité « objectivé », c'est la même chose qu'une autorisation légale.

45) Poursuivant à propos de la proposition CVP, M. Messine a insisté sur le fait que l'état de nécessité « objectivé », c'est la même chose qu'une autorisation légale : « Mais s'il s'agissait vraiment d'un état de nécessité, vous n'auriez pas besoin de légiférer en matière d'euthanasie parce que l'état de nécessité est une cause de justification qui existe pour toutes les infractions, et donc, aussi, pour le meurtre. Dans l'une et dans l'autre proposition, il s'agit bien, en réalité, d'une autorisation de la loi ... Il s'agit d'une autorisation de la loi et plus du tout d'un état de nécessité et personne ne s'y trompera. » (55).

Le recours à la notion d'état de nécessité est donc non seulement peu opportun, il est aussi inutile.

46) Le professeur Van Neste a opiné clairement en ce sens : « La notion d'état de nécessité a joué un rôle important pour la recherche de ce qu'on appelle les conditions objectives de légitimation de l'euthanasie. (...) Lorsque cet état de nécessité, comme nous l'avons partiellement précisé, notamment un patient en phase terminale qui endure des souffrances insupportables et qui ne peut plus être soulagé, serait mentionné comme condition essentielle à la légitimation de l'euthanasie (...), il n'existe plus de raison pour faire formellement appel à la notion d'état de nécessité. »

« Je suis toutefois convaincu que la discussion sur la notion d'état de nécessité a joué un rôle très important dans la découverte progressive de ce qui est essentiel pour parler d'un état de nécessité. La notion d'état de nécessité semble avoir eu, dans une certaine mesure, la fonction de la fusée qui doit mettre une capsule sur orbite. Au moment où la capsule se trouve sur l'orbite, la fusée est rejetée. La notion d'état de nécessité n'est plus nécessaire parce que l'essentiel reçoit maintenant une définition légale (...) » (p. 52).

M. Adams a pratiquement déclaré la même chose en d'autres termes : « L'important pour moi, en tant que citoyen, c'est de savoir comment la loi se présente par le contenu. Quelles sont les conditions matérielles et formelles auxquelles l'euthanasie doit être possible ? Que l'on appelle ou non cela état de détresse n'a pas beaucoup d'importance, même s'il en émane une certaine symbolique. » (p. 18).

L'autorisation de la loi par une exception à l'interdit pénal.

47) L'autorisation donnée au médecin de pratiquer l'euthanasie dans les circonstances prévues peut être instituée par une exception à l'interdit pénal de l'homicide, comme l'envisage la proposition commune du 20 décembre 1999.

Certains juristes ont fait valoir que cette solution rencontrerait deux obstacles : celui de l'application de la notion d'état de nécessité à d'autres situations que celles qui seraient envisagées dans la loi, et celui du prescrit des articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

L'intervenant a été le premier à attirer l'attention sur la première question, avant même les auditions, en réplique à une intervention de M. Vandenberghe. La réponse à y apporter est simple : pour éviter l'écueil, il suffirait de recourir à une technique de rédaction appropriée, par exemple par l'adjonction d'une formule du style « sans préjudice de l'application de toute autre cause d'excuse à d'autres faits », comme l'a indiqué M. Panier (p. 284).

La question des articles 2 et 3 de la Convention européenne a, quant à elle, été soulevée par plusieurs experts. Ici encore, l'intervenant partage l'avis de M. Panier lorsque celui-ci disait : « Personnellement je me demande si cette question a réellement été prise en compte lors de la rédaction de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, et en particulier, de ses articles 2 et 3. Je ne suis pas certain que l'on se dirige vers une condamnation strasbourgeoise sur la base de cet article 2 ni, a fortiori, de l'article 3. » (p. 283). Il reste qu'il subsiste là une zone d'ombre.

Il a aussi été question de la valeur symbolique d'une atteinte à l'interdit de tuer.

Cette atteinte ne serait en réalité que très relative.

Ainsi le professeur Vermeersch a-t-il observé : « Je comprends que ce recours à l'état de nécessité vise à maintenir une interdiction générale de tuer dans le Code pénal, principalement à cause du sens symbolique, mais il ne reste pas grand chose de ce symbolisme dès lors que l'on sait qu'on tolère en fait une pratique existante. Les Pays-Bas sont connus dans le monde entier comme un pays où l'euthanasie est possible, même si le Code pénal n'a pas encore été modifié. » (p. 4).

M. Messine a opiné dans le même sens : « L'atteinte portée à la fonction de la loi pénale l'est de la même manière, aux yeux des citoyens, où que le législateur place son autorisation. Que vous la placiez dans le Code pénal ou dans l'arrêté royal nº 78 est à cet égard indifférent : il suffira que les citoyens sachent que la loi autorise l'euthanasie dans le code ou ailleurs. L'exemple des Pays-Bas est à ce sujet très éclairant : tout le monde croit que la loi autorise l'euthanasie aux Pays-Bas, même si, sur le plan technique, comme vous le savez, ce n'est pas le cas. » (p. 213). « Le code ou l'arrêté ? Cela m'est indifférent. Si vous autorisez l'euthanasie, que ce soit dans le code ou dans un arrêté, vous introduisez un affaiblissement de l'interdit de tuer autrui. » (p. 216). « Que cette énumération figure dans le Code pénal ou dans une autre disposition légale, cela ne trompera personne. Tout le monde saura qu'en Belgique, la loi autorise l'euthanasie dans tel et tel cas. » (p. 222).

M. Panier, pour sa part, a souligné que, loin de la remettre en cause, l'exception confirme la règle. « Si l'on réfléchit un peu, que l'on ouvre son Code pénal ou même sa Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, on s'aperçoit qu'il n'y a guère de textes qui ne comportent pas d'exceptions ... » (p. 273)

Il demeure cependant que de très nombreux intervenants se sont émus de toute atteinte à l'interdit de tuer, aussi légère fût-elle.

48) C'est ce qui a amené l'intervenant à envisager de déposer la réglementation de l'euthanasie dans un texte légal autre que le Code pénal.

Il insiste à cet égard sur le fait que, pour les partisans de la « dépénalisation » de l'euthanasie, la question est indifférente, pour autant qu'elle offre la même sécurité juridique.

Outre M. Vermeersch, déjà cité, Mme Herremans a opiné en ce sens lorsque l'intervenant l'a questionnée à ce propos (p. 195).

Mme Herremans : « Pour moi il est fondamental de pouvoir mener un dialogue (patient-médecin) en toute sérénité, en toute clarté. Je n'apprécie pas tellement les demi-mesures en matière de sécurité juridique. »

Question : « Dans l'hypothèse où nous trouverions une solution qui offrirait la même sécurité juridique, quelle serait votre position en tant que présidete de l'ADMD ? Continueriez-vous à plaider en faveur d'une dépénalisation inscrite dans la loi pénale plutôt que sous forme d'arrêtés ? »

Mme Herremans : « J'attends votre texte. Convainquez-moi que vous avez la solution. »

Question : « C'est une réponse que vous me donnez. En d'autres termes, si nous pouvons vous convaincre que la sécurité juridique est la même, vous n'insistez pas pour que l'exception soit inscrite dans la loi pénale ? »

Mme Herremans : « C'est un faux débat. Si vous m'apportez la preuve qu'une solution peut apporter la sécurité juridique, quelle que soit cette solution, je m'inclinerai. »

L'autorisation de la loi dans une réglementation distincte

Il y a lieu de distinguer le Code pénal et la loi pénale. En effet, nombre de dispositions pénales sont reprises dans des lois distinctes du Code.

49) Aussi paraît-il pouvoir être envisagé que l'autorisation de la loi soit inscrite, avec la même sécurité juridique qu'une exception au code pénal, dans une réglementation distincte de celui-ci, en tenant compte des observations des professeurs Van Neste, Messine et Adams et en suivant la suggestion du professeur Dalcq.

Lors de son audition, le professeur Van Neste avait déjà évoqué en ces termes le recours à l'arrêté royal nº 78, dont on sait qu'il a force de loi : « Certains veulent inscrire la procédure d'euthanasie dans le Code pénal. Je prétends que cette sécurité juridique est aussi bien garantie si cette procédure est inscrite dans l'arrêté royal nº 78 ... L'arrêté royal nº 78 et les règles déontologiques qui y figurent ont force de loi. Cette décision donne au médecin un très grande sécurité juridique. » (p. 62 et 64). M. Van Neste concluait ainsi son intervention : « Je pense que, dans le fond, nous voulons atteindre la même chose, à savoir que les personnes qui endurent des souffrances insupportables et qui demandent à être aidées puissent l'être de façon légitime. Dans ces conditions, je considère cela effectivement comme un acte positif. Pourquoi dès lors ne peut-il pas être inscrit dans le Code pénal ? Je peux aussi retourner la question. Ne suffit-il pas que nous l'inscrivions dans l'arrêté royal nº 78 ? C'est une base légale qui offre une sécurité juridique suffisante. »(p. 75).

L'intervenant rappelle aussi l'intervention de M. Messine à ce sujet (p. 231) :

Question : « En édictant un comportement dans l'accompagnement de fin de vie, en disant que les médecins devraient agir de telle et telle manière, ne pourrait-on arriver à ce que vous avez qualifié d'autorisation tacite où le contrôle des conditions ­ il est évident qu'un contrôle doit demeurer mais l'incertitude serait moins forte ­ impliquerait un contrôle des raisons qui, à juste titre, vous tient à coeur ? »

M. Messine : « C'est possible mais, bien entendu, cela change fort l'orientation de la réflexion. À ce moment-là, on n'envisage plus que la loi autorise expressément l'euthanasie dans un certain nombre de cas qu'elle détermine, on fait autre chose, on réglemente. »

Question : « Nous sommes soucieux d'examiner toutes les possibilités, sans a priori. Nous ne débattons pas d'une ou de plusieurs propositions de loi définies. Nous débattons d'un ensemble de propositions et nous essayons de trouver les formules les plus adéquates pour rencontrer les préoccupations dont nous sommes témoins dans le cadre des auditions. »

M. Messine : « Je crois que cette réflexion permettrait d'aboutir à des solutions mettant moins en cause ce qui constitue ma préoccupation majeure, à savoir la valeur même de la loi. Sans doute n'est-ce pas impossible. »

50) Le professeur Dalcq a été tout à fait net à cet égard, en montrant que l'autorisation de la loi fonde déjà certains actes des médecins a priori contraires au Code pénal.

Il a commencé par attirer l'attention sur le fait suivant : « Chaque fois qu'un chirurgien opère un patient, il lui cause cependant volontairement des blessures, ce qui est, en principe, interdit par l'article 398 du Code pénal. De même, lorsqu'un médecin prescrit au malade ou lui administre volontairement des médicaments ­ c'est-à-dire des substances qui, dans certains cas, peuvent altérer la santé ­ le médecin commet aussi un acte interdit, à première vue, par les articles 402 et suivants du Code pénal. Or, le médecin échappe dans tous ces cas à toute poursuite pénale, s'il n'a commis aucune faute involontaire dans les soins. Il faut donc se demander pourquoi il en est ainsi. M. Messine a déjà donné la réponse ce matin (56). J'y reviens peut-être un peu plus en détail. » (p. 236).

M. Dalcq a ensuite brossé un tableau de l'évolution de la jurisprudence en la matière et il a conclu en citant un extrait de jugement : « Le médecin, en pratiquant son art de la manière dont le législateur l'a réglementé, autorisé ou imposé, bénéficie d'une cause légale de justification l'immunisant de toutes poursuites. Ainsi, l'immunité du chirurgien trouve son fondement dans la permission de la loi ­ cela revient au principe de l'autorisation de la loi dont M. Messine parlait ce matin. Son intervention est présumée justifiée, mais cette présomption est relative, et il appartient au ministère public de prouver l'abus éventuel de l'autorisation légale. » (p. 237).

Il faut rappeler à cet égard que le ministère public peut toujours agir d'initiative. Le principe est le même, que l'on procède par la voie d'une exception au Code pénal, ou dans une loi distincte. Le ministère public devra toujours établir que les conditions légales n'étaient pas réunies.

Le professeur Dalcq a terminé en formulant une proposition concrète, dont il paraît à l'intervenant que le législateur pourrait s'inspirer (pp. 251 et 252).

Cette proposition consistait à inscrire une réglementation des actes de fin de vie dans la loi. M. Dalcq, comme M. Van Neste, évoquait à ce propos l'arrêté royal nº 78 du 10 septembre 1967 qui, s'agissant d'un arrêté de pouvoirs spéciaux, a force de loi. Mais, a-t-il précisé à certains, il va de soi que cette réglementation pourrait faire l'objet d'une loi autonome.

51) M. Adams paraît avoir opiné dans le même sens : « Où faut-il loger la légalisation d'un acte euthanasiant conforme à la loi : dans le Code pénal ou par le biais d'une disposition légale particulière ? Un grand nombre de gens estiment que, indépendamment de la question de savoir s'il faut ou non régler l'euthanasie dans le Code pénal, le débat sur l'euthanasie est un débat de symboles. C'est une appréciation correcte, parce qu'une réglementation relative à l'euthanasie, qu'elle soit reprise ou non dans le Code pénal, a au minimum pour but d'autoriser l'euthanasie sous certaines conditions. » (p. 8).

Il a ajouté : « J'ai dit que l'arrêté royal nº 78 me paraissait peu approprié, non parce que l'euthanasie ne serait pas un acte médical, mais parce qu'elle n'est pas un acte médical ordinaire ... Cependant, si la régulation de l'euthanasie devait y être insérée, je n'en concevrais pas une inquiétude particulière ... Pouvons-nous régler l'euthanasie par le biais de la procédure pénale ? Aux Pays-Bas, c'est en réalité de cette manière que les choses se sont plus ou moins passées jusqu'ici ...

Il est toutefois impensable, en Belgique, de se borner à définir une procédure, car le législateur devra quand même définir les conditions matérielles et formelles, en l'absence de toute jurisprudence. Aux Pays-Bas, il était possible de s'en tenir à une procédure, parce que, précisément, les conditions formelles et matérielles étaient déjà connues au travers de la jurisprudence. Lorsque ce n'est pas le cas, le législateur doit prendre ses responsabilités. » (p. 21). « S'il y a une leçon qu'on peut tirer de la situation aux Pays-Bas, c'est que cela ne change tout simplement rien que l'autorisation de pratiquer l'euthanasie soit désormais inscrite ou non dans le Code pénal. Ce qui compte, c'est le halo répressif qui entoure la déclaration. » (p. 23).

Enfin, à une question relative à la sécurité juridique du médecin, M. Adams a répondu : « L'insécurité juridique que ressent le médecin se situe dans la sphère pénale, indépendamment de la question de savoir où les dispositions relatives à l'euthanasie sont insérées : dans le Code pénal lui-même, dans une autre loi, dans l'arrêté royal nº 78 ou dans une proposition de loi distincte. Cela doit se faire en tout cas dans une loi au sens formel. Mais la discussion ne porte pas sur la sécurité juridique par rapport au point de savoir si l'on fait intervenir ou non le Code pénal lui-même. Ce qui est concerné, c'est ce halo « criminel » qui enveloppe la situation. » (p. 23).

52) L'intervenant pense en tout cas qu'une réglementation ne sera opportune et utile qu'à la condition qu'elle repose sur une large assise sociale, tant dans le monde médical et soignant qu'au sein de la population (57), et, partant, une large assise parlementaire, c'est-à-dire qu'elle dépasse les clivages traditionnels, politiques, philosophiques, confessionnels ou partisans.

Il serait étonnant de voir qu'il faut une majorité des 2/3 pour régionaliser l'agriculture ou le commerce extérieur, alors qu'une majorité simple pourrait, à une voix près, imposer une loi qui touche à la vie et à la mort.

De plus, pour tout ce qui concerne l'éducation et la culture, on a en Belgique, depuis environ 45 ans, un pacte culturel qui oblige à tenir compte des convictions de chacun et à rechercher un large accord.

Or, on peut se demander si la question de l'euthanasie ne revêt pas une dimension culturelle.

Rechercher un large accord suppose évidemment un effort de part et d'autre.

L'intervenant déclare qu'il veut rester ouvert, et qu'il ne s'engage donc pas à ne pas voter une loi qui dépénaliserait l'euthanasie, s'il n'y avait pas d'autre possibilité.

Mais il entend contribuer à rechercher un consensus, aussi longtemps qu'il aura le sentiment que de part et d'autre, une volonté existe d'avancer en ce sens.

Bien sûr, il s'agira d'une réglementation sur la phase terminale, qui ne règle pas d'autres questions soulevées lors du débat et qui paraissent à l'intervenant pourvoir être réglées dans le cadre législatif actuel.

M. Dalcq a précisé que le suicide n'était pas une infraction. Par conséquent, la participation à un tel acte ne l'est pas non plus. Les conditions de l'infraction de non-assistance à personne en danger sont assez claires : quelqu'un qui demanderait de façon répétée de subir l'acte d'euthanasie, et pour qui on aurait pris les précautions nécessaires, pourrait, selon l'intervenant, recevoir une assistance sans que celle-ci soit sanctionnée.

Il demeure aussi d'autres cas, ceux de patients non conscients ou incapables d'exprimer leur volonté. Dans ces cas, l'état de nécessité tel qu'il existe aujourd'hui suffit.

À l'expérience, la réglementation envisagée pourra être précisée et davantage élaborée.

Dans son avis unanime du 27 janvier 2000 sur le thème Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie, qui a été communiqué aux commissaires le 23 mars et qui a été commenté par son président, le professeur Sicard, lors d'une audition organisée par quelques commissaires, le Comité consultatif national d'éthique de France évoquait Jean de La Fontaine ­ « Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine ­ Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins » ­ et observait qu'à l'époque le mourant sentait venir la mort et pouvait s'y préparer, celle-ci, affaire familiale ou publique, étant alors entourée. L'intervenant formule le voeu que les commissions réunies puissent, au travers de leurs travaux, contribuer à retrouver cet art de mourir.


Une membre déclare, au nom de son groupe et en son nom personnel, que les auditions ont été utiles et enrichissantes. On a entendu une série de témoins exceptionnels dont les réflexions médicales, éthiques et philosophiques avaient le tout grand mérite d'être ancrées dans le réel.

Ces auditions ont permis de rencontrer tant ici que sur le terrain, dans leurs prolongements, des personnes de réseaux multiples ­ et dans toute la Belgique.

Le débat a permis « l'ouverture » au-delà des commissions réunies. L'intervenante est convaincue qu'il a invité beaucoup de parlementaires à un questionnement. Elle estime que dans cette matière aussi complexe et évolutive, il convient de rester dans un questionnement.

À ce propos, elle déclare avoir été à certains moments un peu mal à l'aise lorsque certaines personnes auditionnées n'ont pas été écoutées avec tout le respect qu'elles méritaient.

La première conclusion qu'elle tire de ces longs mois de travail est que la question de l'euthanasie ne peut se résoudre uniquement par un simple changement de législation : il y a lieu de changer notre vision de la médecine et notre rapport avec celle-ci.

Elle constate aussi, comme dans beaucoup d'autres matières traitées au Parlement, que la demande de changements juridiques (telle que formulée aussi dans d'autres pays) est le signe que le droit est plus que jamais une référence capitale de nos sociétés ... Les raisons invoquées en faveur de l'euthanasie sont présentées en termes de droit : droit de mourir dans la dignité, droit à la mort, droit de décider du moment de sa mort, droits du patient, mais aussi droit à la protection des malades. Cela participe à un mouvement plus général de droits de l'homme, et surtout de juridisation, avec ses éléments positifs et négatifs. Reconnaître un droit est une chose, l'exercer en est une autre, et exercer un contrôle en est une autre encore.

Pourtant, l'intervenante constate qu'il n'est pas toujours facile de faire rencontrer médecins et juristes et médecins et politiques.

Les auditions ont le tout grand mérite, lui semble-t-il, d'avoir mis ceux-ci en confrontation.

La matière à traiter relève, selon elle, plus des pratiques médicales que du droit en général et du droit pénal en particulier.

Ces pratiques évoluent, sont changeantes et s'adaptent aux réalités nouvelles et aux cas particuliers.

Le message le plus important que l'intervenante retient des auditions est que la médecine « scientifique » doit sans cesse être encouragée à devenir sensible à la souffrance et qu'ainsi, la priorité des priorités est le développement de la lutte contre la douleur, son traitement beaucoup plus que l'application philosophique de principes tels que « l'autonomie de la raison ».

Elle retient aussi avant tout que l'expérience des soins palliatifs est utile pour toute la médecine et que ceux-ci ont joué un rôle essentiel dans le processus éthique de la réappropriation de la mort. Leur succès consiste précisément à mettre le patient au centre, c'est-à-dire à tenir compte de ses souhaits, de ses paroles et de sa qualité de vie et à le sortir de l'isolement.

Enfin, l'intervenante a pris conscience du pouvoir médical sur la vie et sur la mort, d'une part, et de ses limites d'autre part, et que ce pouvoir doit être encadré, qu'il ne peut être exercé que dans une éthique de la responsabilité à développer.

Jadis, le souci principal en ce qui concerne la question de la mort était la survie des individus.

Aujourd'hui, avec les progrès de la médecine, la longévité accrue des individus, les tableaux cliniques complexes, la question a changé : le comment survivre est devenu le quand et le comment mourir.

En fin de vie, le médecin procède à une pesée équilibrée de trois valeurs :

1. Le droit à la vie physique : pas question d'abandon thérapeutique s'il y a espoir thérapeutique, pas question de donner la mort au patient, ou l'aider à se suicider (« vitalisme »).

2. Le droit à l'autodétermination du patient : le patient a le droit d'exprimer sa volonté, il a le droit d'être écouté et entendu dans ses souhaits. Pour consentir à un traitement ou pour refuser un traitement, le patient doit être préalablement correctement informé.

3. La nécessité de réduire au minimum les douleurs et les souffrances accompagnant l'agonie.

La pesée doit être équilibrée. Dans le cas contraire, on aboutit à des excès. Si on légitime de manière absolue la lutte contre la douleur, la faculté d'autodétermination de l'individu se réduit.

Si on légitime le droit à l'autodétermination de manière absolue, on aboutit à une libéralisation pénale non différenciée, on se heurte à la liberté thérapeutique du médecin, aux risques de dérive (cf. autonomie limitée de la volonté de mourir : extrême dépendance, pressions ...)

Si on légitime le droit à la vie physique de manière absolue, le danger d'acharnement thérapeutique apparaît.

Il nous apparaît ainsi que toute législation ou réglementation concernant les décisions médicales de fin de vie, doit respecter trois principes :

1. Le respect en toute circonstance de la dignité de l'homme, en tant qu'être relationnel : « Si l'on s'intéresse à une approche individuelle, il y a lieu de se centrer sur la personne malade et de la penser dans sa globalité, c'est-à-dire en tant qu'être humain dont la dignité s'inscrit dans la relation à l'autre et ne pas seulement penser le malade » (58).

2. Une attention accrue envers les personnes les plus vulnérables.

3. Le respect d'une éthique de la responsabilité (principe de précaution et de vigilance).

Les auditions ont montré la diversité et la complexité des situations de fin de vie, et les limites de l'« art médical » dans certaines situations. Dès lors, légiférer ou réglementer pour une diversité de situations parfois complexes est chose difficile.

Elles ont souligné les lacunes en termes de formation : médicale (en termes de soulagement de la douleur), psychologique (en termes d'accompagnement, d'écoute du patient), éthique (en termes de questionnement) des médecins et des soignants. Elles ont révélé la solitude et la fatigue des soignants.

Toutefois, l'introduction de la culture palliative dans les hôpitaux, au domicile, dans les MR(S), a montré une voie plus humaine, plus riche, d'une solution la moins mauvaise au désespoir et à la souffrance infinie des patients mourants.

Beaucoup de personnes auditionnées ont souligné le flou des notions utilisées et la divergence des pratiques médicales elles-mêmes ou de leur perception par les médecins.

De l'importance des définitions et de la précision dans les notions utilisées

Qu'est-ce qu'une euthanasie ? Il est important d'éviter les amalgames et d'opérer des distinctions. En effet, on ne peut faire fi des définitions reconnues sur un plan international et dans toute la littérature médicale. De nombreux intervenants ont aussi souligné la nécessité de bien s'entendre sur les définitions des notions utilisées dans une éventuelle législation (59).

Ainsi, il importe de distinguer l'euthanasie active (parfois appelée « active directe ») de ce qui est parfois appelé improprement « euthanasie indirecte » (ou active indirecte), d'une part, et de l'euthanasie appelée incorrectement « euthanasie passive » (directement liée au refus de l'acharnement thérapeutique), d'autre part.

L'intervenante et son groupe se rallient à la position de nombreux intervenants qui ont souligné cette distinction (60). Cela rejoint d'ailleurs la position que l'on retrouve défendue dans de nombreux textes internationaux.

Dans la Recommandation du Conseil de l'Europe 1418 du 25 juin 1999 concernant la protection des droits de l'homme et de la dignité des malades incurables et des mourants, l'Assemblée recommande au Conseil des ministres d'encourager les États membres du Conseil de l'Europe à respecter et protéger la dignité des malades incurables et des mourants à tous égards en consacrant et protégeant le droit des malades incurables et des mourants à une gamme complète des soins palliatifs, ce en prenant les mesures nécessaires pour que « vii. (...) sauf refus de l'intéressé, les malades incurables et les mourants reçoivent un traitement anti-douleur et des soins palliatifs adéquats, même si le traitement appliqué peut avoir pour effet secondaire de contribuer à abréger la vie de la personne en cause » et « c. en maintenant l'interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à la vie des malades incurables et des mourants, en prenant les mesures nécessaires :

i. pour que le droit à la vie, notamment en ce qui concerne les malades incurables et les mourants, soit garanti par les États membres, conformément à l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme qui dispose que « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement »;

ii. pour que le désir exprimé par un malade incurable ou un mourant de mourir ne puisse jamais constituer un fondement juridique à sa mort de la main d'un tiers;

iii. pour que le désir exprimé par un malade incurable ou un mourant de mourir ne puisse jamais servir de justification légale à l'exécution d'actions destinées à entraîner la mort ».

La même recommandation distingue clairement le droit pour le patient mourant de ne pas voir son existence prolongée contre sa volonté de l'euthanasie : « 42. La notion que l'interruption de traitement peut être légale et doit être rigoureusement distinguée du suicide assisté par médecin et de l'euthanasie doit être communiquée aux professionnels de la santé ». On lit encore plus loin : « 44. Alors que le médecin doit savoir reconnaître la volonté d'un malade qui souhaite renoncer à certains traitements et y déférer, il lui faut refuser d'exaucer le voeu qu'il soit activement mis fin à ses jours. Le médecin ne doit jamais porter atteinte à l'intégrité du corps ou de l'âme d'un malade, même à sa demande ».

L'Association médicale mondiale, dans sa Déclaration sur la phase terminale de la maladie (1983), stipule expressément :

« a) Le médecin peut épargner à un patient les souffrances d'une affection terminale, par abstention des soins avec l'accord du patient ou de ses proches si celui-ci est dans l'incapacité d'exprimer sa volonté. Cette abstention n'empêche pas d'assister le mourant et de lui donner les calmants et les médicaments propres à adoucir la phase terminale de son état.

b) Le médecin s'abstiendra de tout acharnement thérapeutique, c'est-à-dire de tout traitement extraordinaire dont personne ne peut espérer un quelconque bénéfice pour le patient (...) ».

L'Association médicale mondiale, dans sa Déclaration de Madrid (1987), affirme que « mettre délibérément fin à la vie d'un malade, même à sa demande ou à la demande de proches parents, est contraire à l'éthique. Cela n'empêche pas le médecin de respecter le désir d'un malade de permettre au processus naturel aboutissant à la mort de suivre son cours lors de la phase terminale de sa maladie. »

Dans sa Déclaration de Marbella (1992), l'Association médicale mondiale affirme que « le suicide assisté par un médecin est (...) contraire à l'éthique et doit être condamné par la profession médicale. »

L'abstention ou l'arrêt de traitements devenus futiles est une pratique médicale admise et doit le rester, de même l'administration d'antalgiques pouvant avoir pour effet indirect mais non recherché d'abréger la survie. Toutefois, ce sont des actes qui posent également des problèmes éthiques (telle la distinction à faire entre soins médicaux ordinaires et soins médicaux extraordinaires (61), d'où la nécessité, tout en maintenant en vue cette distinction, d'élargir le débat à la question de l'encadrement de toutes les décisions de fin de vie. À défaut, comme le souligne à juste titre un intervenant, on pourrait utiliser dans le cadre de ces décisions d'arrêt ou d'abstention de traitement qui sont actuellement considérées comme des actes médicaux légitimes les mêmes techniques que pour l'euthanasie, sans devoir être tenu par les procédures strictes qu'on aura seulement fixées pour l'euthanasie (62).

Il est essentiel de faire remarquer que ce qui, en définitive, fait la différence entre toutes ces décisions liées à la fin de vie, c'est l'intention qui préside à l'acte. Ce serait trop simple de dire que l'intention est de soulager la souffrance dans tous les cas.

Il est important de bien distinguer les situations de fin de vie et les gestes posés au moment où la mort survient (cf. Code de déontologie actuel) :

­ quand des médicaments risquent de hâter la mort;

­ quand la non-initiation de traitement ou la cessation de traitement permet à la mort de survenir;

­ quand on provoque intentionnellement la mort.

La légitimité éthique de l'acte est toujours liée à l'intention (63). Cette notion d'intention est très importante à analyser et implique des conséquences en droit pénal.

Ces considérations n'impliquent toutefois pas qu'il ne faille pas, dans un souci de protection du patient, envisager un encadrement de toutes les décisions médicales liées à la fin de vie (voir infra).

Les notions de soins palliatifs et d'euthanasie doivent également être dissociées.

À cet égard, plusieurs intervenants ont souligné l'importance de maintenir la distinction entre soins palliatifs et euthanasie. Toutes les chartes d'associations de soins palliatifs américaines, canadiennes, australiennes, il est dit que les unités de soins palliatifs ne recourent pas à l'euthanasie. La Charte initiale de la Fédération nationale des soins palliatifs (aujourd'hui scindée parce que régionalisée) mentionnait également à l'origine que les soins palliatifs excluaient l'acharnement thérapeutique et le recours à l'euthanasie (64). La Charte française des soins palliatifs, pour citer un exemple proche, exclut totalement l'euthanasie de la pratique des soins palliatifs. Au Foyer Saint-François à Namur, comme à l'Unité de soins palliatifs Saint-Jean à Bruxelles, il est dit expressément que des euthanasies ne sont pas pratiquées, ce qui ne veut pas dire que les demandes ne sont pas entendues et prises en considération (65).

Selon Mme Vandeville, soins palliatifs et euthanasie relèvent d'un esprit différent. Elle pose la question : « Ne va-t-on pas vers une dérive si par une loi, l'on en venait à proposer l'euthanasie à un patient sans lui proposer les soins palliatifs ? Malheureusement, déjà maintenant, des témoignages de certaines familles et même de patients nous confortent dans ce sens. Dans la même idée de dérive, si on proposait les soins palliatifs à un patient en fin de vie, pourrait-on admettre qu'on lui propose par la même occasion l'euthanasie comme alternative ? » (66).

C'est la position du docteur Bouckenaere, qui précise que les médecins ont besoin d'une certaine cohérence dans leur pratique (67).

Seule la sédation contrôlée, pratiquée en soins palliatifs, lorsqu'elle n'est pas intermittente mais pratiquée de manière de plus en plus profonde jusqu'au décès du patient, est sujette à caution au regard de certains intervenants (68). Le docteur Mullie, plus nuancé, a dit avec justesse à propos de la sédation contrôlée pratiquée dans le cadre des soins palliatifs : « Nous ne sommes pas un service qui pratique systématiquement l'euthanasie ... Soins palliatifs (en ce compris la sédation contrôlée) et euthanasie sont deux notions différentes. Toutefois, dans certains cas extrêmes, elles peuvent se superposer » (69). Pour le docteur Bouckenaere, c'est « un moindre mal ». La sédation contrôlée, lorqu'elle est continue, peut abréger l'existence du patient, nous dit le docteur Bouckenaere, non à cause des médicaments, mais « par le fait que le patient est alité en permanence et qu'il n'est plus hydraté » (70). L'intention est toujours de soulager le patient (71). Pour le docteur Menten, la sédation contrôlée ne peut pas être considérée comme une « slow euthanasia » (72).

Il convient de signaler l'existence de deux études qui montrent que la durée de vie de certains patients sous sédation contrôlée serait même allongée, en raison de la diminution de la souffrance et du stress (73).

L'euthanasie n'est que le sommet de l'iceberg. Elle renvoie à d'autres questions plus fondamentales qui se situent en amont du problème

Elle renvoie à la façon dont la mort est acceptée et vécue dans notre société, en l'occurrence comme elle est mal acceptée et mal vécue, à la façon dont la mort est vécue à l'hôpital ou en maisons de repos ou maisons de repos et de soins, ce qui renvoie au mode de fonctionnement des hôpitaux/MR(S) (aspects sociaux, économiques ...), à la façon dont la mort est vécue à domicile (relations avec les proches, avec le médecin de famille ...). Les mots clés que l'on a entendus en la matière sont : le temps d'écoute, le partenariat, la concertation, la consultation, la disponibilité, tous concepts qui relèvent non du Code pénal, mais des mentalités et des pratiques médicales.

Ainsi que le souligne le docteur Philippart, « à l'heure où la société appelle de tous ses voeux l'humanisation des soins, n'est-il pas paradoxal de constater une réduction des effectifs qui sont ainsi mis dans l'incapacité de contribuer à cette humanisation, par manque de temps minimal nécessaire à une relation de qualité ? La vie finissante devrait être envisagée sous ses différents aspects. La réduire à la seule possibilité de pouvoir solliciter une euthanasie serait regrettable car occulterait momentanément d'autres composantes non négligeables et d'autres besoins, à notre sens plus urgents. » (74).

La question de l'euthanasie renvoie au type de relation à établir entre patient et médecin : si le paternalisme à outrance est rejeté, l'autre extrême qui consisterait à ne prôner que l'autonomie du patient est aussi écartée. L'ensemble des intervenants s'accorde, à cet égard, pour redonner au mourant, et au patient en général, la place centrale qui lui revient dans le débat. « La formation des médecins et des infirmières est encore trop basée sur le patient objet de soins et non sur des soins relationnels qui permettent au patient de se mettre au centre du processus de soins » précise Mme Cambron-Diez (75). D'aucuns prônent une relation véritablement contractuelle, où le patient, au courant de ses droits agirait en partenaire véritable dans la relation contractuelle de soins (76). Pour le docteur Cosyns, la relation avec le malade est basée sur la concertation et la confiance (77). Selon lui, ce n'est pas la demande qui doit être centrale, mais la concertation. Dans la relation médecin-patient une demande est en réalité une demande d'aide pour sortir du problème par la concertation et l'approfondissement de la question et ensemble prendre la meilleure décision (78). Pour Mme Diricq, il est question d'alliance et de confiance (79).

Mme Aubry distingue finement les soins curatifs où les médecins et les infirmières se considèrent comme experts, parce qu'ils savent ce qui est nécessaire pour arriver à la guérison, et les soins palliatifs où le patient devient l'expert en ce qui concerne sa propre souffrance parce que, à ce moment, le plus en qualité de vie l'emporte sur le plus en quantité (80).

La majorité des intervenants ont, en tout cas, démontré que limiter la question à l'euthanasie sans élargir le débat était réducteur et comportait le risque de passer à côté des vrais problèmes.

Cette considération n'est pas sans importance. La question est de savoir si l'on prend les problèmes en aval ou en amont. Ainsi, la proposition de loi de certains sénateurs de la majorité concernant l'euthanasie, précise que le médecin doit s'assurer que le patient a eu l'occasion de s'entretenir de sa requête avec toutes les personnes qu'il souhaitait rencontrer, notamment les membres de l'équipe soignante. Il nous est rapporté toutefois lors des auditions que les soins palliatifs ne sont pas accessibles à tout le monde, et que le personnel infirmier, malgré toute sa bonne volonté, manque de temps pour réellement entrer en contact avec le patient et écouter ses angoisses et préoccupations, et/ou ne dispose parfois pas des compétences nécessaires pour aborder les problèmes de fin de vie. Mme Cambron-Diez souligne, en ce qui concerne les équipes de première ligne, le besoin de soutien et de formations : formations à l'écoute (81), formations à l'éthique et surtout « à la relation en vérité » (82), formation pour le travail du deuil (83). Les médecins sont formés pour se battre pour la guérison. Ils se sentent désarmés et impuissants face à ce qu'ils ressentent comme un échec. Ils ne sont pas formés pour soulager les symptômes ni pour approcher globalement les situations de fin de vie.

En outre, les médecins ne disposent pas, à l'heure actuelle, d'outils de réflexion éthique pour guider leur action. L'interdisciplinarité n'est appliquée que dans de rares services (84). Mme Pesleux nous a décrit longuement les conditions de vie difficiles en milieu hospitalier (l'hôpital, entreprise performante qui doit être rentable, la charge de travail du personnel médical et infirmier, la communication déficiente entre infirmières et médecins, l'épuisement professionnel ...). « Il n'y a pas de financement pour la concertation, la réflexion, l'écoute, le support », ajoute-t-elle (85).

Si la réalité notamment hospitalière ne permet pas la réalisation de conditions considérées comme indispensables pour l'application de la loi, ces conditions ne risquent-elles pas en définitive de se résumer à de simples clauses de style, même en dehors de toute volonté de leurs auteurs et engendrer en bout de course des euthanasies non demandées ? (86) En d'autres termes, l'urgence n'est-elle pas de s'atteler d'abord aux questions situées en amont du problème ? À cet égard, Mme Aubry a notamment souligné les divergences qui existent entre notre pays et les Pays-Bas :

­ divergence de mentalité (plus d'ouverture, de communication, formation en communication);

­ les droits du patient sont déjà bien implantés;

­ il y a plus d'infirmières dans les hôpitaux et elles sont plus disponibles pour l'accompagnement des patients, parce qu'on leur délègue moins d'actes médico-techniques.

Le docteur Clumeck a également insisté sur la nécessité de situer la problématique de l'euthanasie dans un contexte plus large des droits des patients, de la fin de vie, de la prise en charge des patients ... (87).

« Avant de tout focaliser sur l'euthanasie », nous dit Mme Diricq, « il y a un travail à accomplir en amont. Je ne veux pas idéaliser les équipes de soins palliatifs, mais je pense qu'elles peuvent grandement participer à ce travail. » (88).

À la question posée au président de la société de gérontologie lors d'une audition informelle : « que faut-il faire ? », celui-ci a répondu en deux mots : « écouter » et « communiquer » (89).

Importance de la médecine axée sur le soulagement de la douleur et des soins palliatifs

Un constat unanime : Les soins palliatifs sont insuffisamment développés, et ne sont pas développés partout de manière égalitaire, ils doivent être entièrement exploités. Il faut garantir au patient la liberté de choix au niveau de la forme d'accompagnement qu'il souhaite à cet égard en garantissant l'égalité de traitement dans l'accès aux soins palliatifs [coût domicile/hôpital/MR(S)].

Comme l'a souligné, le docteur Clumeck, il faut que les moyens soient justement répartis entre les gens. Il n'est pas normal qu'un patient A ait une télévision et un matelas à eau et un autre n'en dispose pas, et que cette situation engendre un état de désespoir chez la seconde personne et éventuellement une demande d'euthanasie. Le docteur Clumeck préconise donc qu'il faut définir les moyens nécessaires pour certaines maladies : le pronostic doit être posé et la prise en charge optimale doit être définie.

Plusieurs intervenants ont souligné les besoins à cet égard :

­ davantage de temps et de moyens, davantage de projets mixtes USP/équipes mobiles de soins palliatifs dans les hôpitaux (90);

­ meilleur financement (91);

­ unités de soins palliatifs : unités de 6 ou de 12 lits. Sur l'USP Saint-Jean à Bruxelles, 30 % des demandes ne peuvent être honorées. Le quota d'occupation est de 80 %. Au-delà, le supplément de charge de travail du personnel ainsi que les frais de fonctionnement ne sont pas remboursés. Le prix de journée dans les unités ne couvre pas l'acte intellectuel et la gestion d'une équipe pluridisciplinaire. Les activités de formation, les entretiens avec les psychothérapeutes, l'accompagnement du deuil, les liens fonctionnels que les unités doivent avoir avec les MRS ne sont pas couverts (92). Par ailleurs, les honoraires de surveillance des médecins dans les USP sont insuffisants (93);

­ hôpital : la fonction palliative est obligatoire, mais 450 000 francs/750 000 francs (selon le nombre de lits) sont alloués à l'hôpital pour cette fonction. C'est insuffisant (94);

­ maisons de repos (et de soins) : c'est là où les besoins sont les plus criants. Le docteur Mullie parle de la nécessite d'1 ETP infirmier pour 120 occupants de maisons de repos, ce qui signifie un budget supplémentaire de 1 350 milliard (95).

Selon le docteur Mullie, à l'heure actuelle, les moyens mis à la disposition du secteur palliatif permet de couvrir les soins d'un mourant sur trois (96). Il précise : « La loi en préparation concernant les soins palliatifs ne doit pas élaborer un plan de soins palliatifs avant la fin 2001, mais confirmer le plan de développement qui existe depuis déjà dix ans et libérer pour ce faire les budgets nécessaires (environ 2 milliards); les moyens actuels permettent tout au plus d'encadrer un mourant sur trois. »

­ enseignement sur l'accompagnement des malades et de leurs familles, (97) dans leur processus de deuil également, insistance sur la formation et la formation continuée (98);

­ stages en unités de soins palliatifs (USP) (99);

­ programmes d'évaluation qualitative et quantitative des pratiques de soins palliatifs sur le terrain, des unités, des équipes mobiles de l'hôpital, dans les maisons de repos et au domicile (100).

Or, les soins palliatifs, et il y a unanimité des intervenants à cet égard, apportent dans la grande majorité des cas une réponse aux demandes d'euthanasie formulées par les patients (101) :

­ « Les soins palliatifs constituent une réponse appropriée à une souffrance sans issue (...) Nous ne sommes pas des partisans de l'acharnement palliatif (...) Notre position est au contraire de dire « rien ne sera fait qui aille à l'encontre de la dignité humaine ... Il s'agit de limiter le nombre de suicides grâce à une offre valable de soins psychiatriques, de limiter le nombre d'euthanasies grâce à une offre valable en matière de soins palliatifs. » (102).

­ « Lorsque l'approche des soins continus est correctement appliquée, il ne persiste que de l'ordre de 1 % de demandes d'euthanasie répétitives et non ambivalentes. » (103).

­ « Des soins palliatifs bien développés et la sédation contrôlée peuvent d'ailleurs permettre de réduire à un minimum le nombre des demandes d'euthanasie. » (104).

­ « Des soins palliatifs optimums permettent d'éliminer la plupart des demandes d'euthanasie, en particulier dans l'oncologie. Quant aux rares situations résiduelles ou symptômes réfractaires, nous les traitons avec succès par une application minutieuse de sédation contrôlée intermittente ou continue. » (105).

S'orienter vers la culture palliative signifie en réalité développer une nouvelle culture de soins dite soins continus

Les soins palliatifs connaissent à l'heure actuelle un développement plutôt limité aux patients en fin de vie. Or, beaucoup d'intervenants ont souligné la nécessité de parler de soins continus, plutôt que de soins palliatifs. S'orienter vers la culture palliative signifie à moyen/long terme une nouvelle culture de soins dite soins continus (106). Cette culture suppose (107) :

­ une compétence médicale spécifique (soulagement douleur);

­ une approche relationnelle [accompagnement patient et proches (y compris deuil)];

­ des éléments de repérage éthique et un questionnement éthique (discussion collégiale, concertation interdisciplinaire ...).

Il ne s'agit pas seulement du problème des dernières semaines de la vie. Comme le souligne une intervenante, « avant de mourir dans la dignité, il y a être malade et être vieux dans la dignité. C'est seulement quand le monde médical au sens large aura accepté le concept des soins palliatifs que nous pourrons réellement parler de « continuité » des soins et que ceux-ci deviendront une priorité. » (108).

Mme Pesleux souligne que la diffusion de la culture palliative au sein de l'hôpital contribue à la reconnaissance et au développement des droits du patient (109).

Certains parlent même de soins « supportifs » (cf. l'unité récemment créée à Bordet), qui visent à soulager le patient, même s'il n'est pas en phase terminale.

Consultation a priori

S'orienter vers la culture palliative implique nécessairement faire place à la consultation collégiale pluridisciplinaire (110). Il ne s'agit en rien d'une tribunalisation, mais bien d'éclairer une décision grave. Toute situation de fin de vie doit faire l'objet d'une approche globale où les problèmes tant médicaux que psychologiques, sociaux, familiaux, spirituels ou philosophiques du patient doivent faire l'objet, avec son accord, d'une discussion collégiale interdisciplinaire entre le médecin et les membres de l'équipe soignante ou les tiers concernés [psychologues spécialisés en traitement de la douleur, psychiatres (exemples: Bordet), diététiciens, kinés, ergos, ...] et éventuellement les proches. La médecine palliative nous montre l'importance de la communication dans la prévention des problèmes.

C'est ce qui a été souligné par la majorité des intervenants.

­ Le médecin devrait avoir la possibilité de réunir l'équipe soignante, infirmiers, aides-soignants, psychologues, assistants sociaux, éventuellement les proches et un représentant de ses options philosophiques, s'il le désire (111). Il ne s'agit en aucun cas d'une tribunalisation.

­ Dans le colloque singulier avec son patient, le médecin est le seul détenteur de la décision finale. Afin qu'il ne porte pas seul le poids parfois lourd d'une décision difficile, outre l'avis d'un collègue indépendant expert en la matière, il devrait également éclairer la demande du patient de l'avis de l'équipe soignante et de l'équipe de soins palliatifs si elle existe localement (112).

­ Le docteur Mullie a insisté longuement sur la nécessité d'un « contrôle a priori via les soins palliatifs ». Pour lui, l'équipe palliative est l'instance éthique la mieux adaptée. Si une législation devait être prise, elle devrait impliquer l'équipe palliative beaucoup plus directement, élargir le rôle du deuxième médecin (son avis devrait porter non seulement sur le caractère incurable de la maladie, mais également sur les conditions posées relatives à la demande du patient, au caractère insupportable et persistant de sa souffrance qui ne peut être apaisée), impliquer l'équipe soignante et prévoir une instance d'évaluation vers laquelle les avis de l'équipe palliative et du deuxième médecin seraient envoyés afin de pouvoir évaluer l'application de la loi (113).

­ Ce renvoi vers une instance, un « comité des sages » est aussi avancé par d'autres intervenants. Il ne s'agirait pas d'une structure décisionnelle, mais d'une structure qui amènerait le médecin à approfondir sa réflexion (114).

­ Cette consultation collégiale préalable doit prendre un caractère obligatoire pour éviter toute dérive vers des euthanasies non demandées, pour garantir une sécurité au patient (115), afin que des euthanasies ne soient pas pratiquées par lassitude ou par lâcheté (116), et aussi parce que cette interdisciplinarité permet d'approcher globalement les situations de fin de vie et permet d'avoir une analyse éthique plus approfondie (117). Il ne faudrait pas en arriver à définir une catégorie de médecins « euthanasieurs », qui serait une sous-spécialité de la médecine, avec des médecins omnipotents, omniscients, qui n'estiment pas nécessaire de s'entourer d'avis puisque ce sont des spécialistes et qu'ils en ont vu d'autres, appuie le Dr Clumeck.

­ Le professeur Baum insiste sur la nécessité d'en référer aux cellules d'aide à la décision existantes dans les hôpitaux (118).

­ Il est important d'associer les proches aux décisions mais avec discernement, avec l'accord du patient. Cela demande du temps, de la disponibilité, de l'écoute.

­ La responsabilité ultime de tout acte médical doit toutefois rester celle du médecin. La concertation ne signifie pas dilution ou partage de responsabilités (119) ! D'où l'importance de laisser au médecin son espace de liberté thérapeutique. Il ne faut pas oublier que la première mission du médecin est de soigner son patient. Il ne faut pas en arriver à pratiquer un abandon thérapeutique et bien distinguer l'acharnement thérapeutique de l'obstination thérapeutique. Ce qu'il faut avoir c'est une pluralité d'éclairages (120).

­ « Dans des telles circonstances, le médecin doit, en concertation avec le patient, l'équipe soignante, les proches ou personnes de confiance et au moins un collègue compétent, prendre une décision qu'il doit toujours pouvoir justifier. » (121).

­ La consultation collégiale préalable, notifiée au dossier médical (indication des avis, des gestes posés, etc.) est la meilleure garantie contre les euthanasies clandestines (122).

­ « N'enfermer l'événement d'euthanasie que dans un « colloque singulier » ouvre la porte à des abus », déclare le professeur Schotsmans, partisan de la position 3 du Comité consultatif de bioéthique (123).

­ Certains intervenants ont insisté sur la nécessité d'une tierce personne : pour le professeur Van Neste, le contrôle éthique, qui implique une approche globale du patient tant physique, que psychologique, spirituelle ou sociale, doit venir d'un membre de l'équipe palliative, plus que d'un éthicien proprement dit (124).

Certains intervenants ont souligné que la procédure de consultation a priori pouvait difficilement être réalisée à l'heure actuelle au niveau de certains services à l'hôpital, comme les soins intensifs, ou au niveau du domicile ou encore dans les MR(S) (125). Or, il importe que le patient soit traité de la même façon quelle que soit son appartenance sociale, économique ou culturelle et quel que soit également son mode de prise en charge. Le docteur Mullie soutient, à cet égard, une large implication des soins palliatifs via le coordinateur en soins palliatifs, l'équipe de soutien du domicile (avec le médecin de confiance comme personne-clé), les équipes palliatives dans les MRS et les hôpitaux (126). Il faut créer ces procédures là où elles n'existent pas.

Le docteur Clumeck précise aussi : « L'acte euthanasique n'est pas une urgence médicale. Mais on peut être amené à la pratiquer dans l'urgence. » (127).

Déclaration a posteriori

Le contrôle a posteriori instauré par la proposition de loi commune des six sénateurs pose différents problèmes, qui ont été soulignés par certains intervenants (128) :

­ On peut s'interroger d'abord sur la disponibilité de la justice à prendre une décision en un laps de temps aussi court que trois jours.

­ Il y aura immanquablement une période d'attente pénible à la fois pour le médecin concerné, et encore plus pour la famille dont l'entrée en deuil sera différée, pénibilité qui pourrait être encore accrue dans le cas d'une autopsie.

­ Pour le médecin, cela pourra signifier une bureaucratie exponentielle.

­ La sécurité juridique ne sera certainement pas assurée de manière absolue pour le médecin puisque les poursuites resteront toujours possibles si le procureur estime que certains critères proposés semblent ne pas avoir été respectés (sauf à admettre, comme le prof. Messine le soutenait, qu'il s'agit effectivement bel et bien d'une autorisation de la loi, avec un simple contrôle formel des conditions d'administration de l'acte, ce qui nuirait alors à la sécurité juridique à l'égard du patient).

­ Une déclaration a posteriori n'a aucun sens. Qui va déclarer quelque chose alors qu'il sait être en infraction ? Le plus probable c'est que dans les cas douteux, il n'y aura pas de déclaration, comme cela se passe aux Pays-Bas (129).

Le docteur Philippart concluait : « seule une déclaration a priori est susceptible d'apporter au médecin, comme à la famille, et à la société, cette sécurité désirée », ce qui est la position adoptée par de nombreux intervenants.

Certains intervenants se sont toutefois déclarés preneurs d'un contrôle a posteriori, à l'instar de la « toetsingscommissie » de droit néerlandais, avec éventuellement une intervention des médecins légistes (130).

L'audition du professeur Siccard, président du Comité d'éthique français, a fait impression.

L'intervenante retient de celle-ci que l'ensemble du comité est contre une dépénalisation et pour reprendre les mots du professeur Siccard, qu'en matière d'euthanasie, la société doit être convoquée avant que l'acte ne soit posé (contrôle a priori), et que la justice doit pouvoir exercer son contrôle une fois l'acte accompli (contrôle a posteriori).

De l'exception de procédure qu'il propose, nous retenons l'idée que si un magistrat est saisi d'un dossier, il doit pouvoir bénéficier de l'éclairage interdisciplinaire d'experts compétents.

Importance de partir du malade et de sa demande

Il est important de faire la distinction entre la demande du malade et son désir. Que demande un patient lorsqu'il demande l'euthanasie ? Sa demande exprime-t-elle littéralement un désir de mourir ?

L'intervenante déclare avoir beaucoup apprécié la réponse de Mme Diricq, qui souligne, comme d'autres intervenants (131), l'ambiguïté de la demande du patient. Quand le patient demande l'euthanasie, il ne demande pas la mort, « il demande de rester en vie, mais de vivre autrement » (132). C'est, dans la grande majorité des cas, souligne un autre intervenant, « un appel à l'aide venant du malade et/ou de sa famille, pour vivre mieux ou moins mal » (133).

Il faut se poser la question : que désire en réalité le malade ? Quel besoin cette demande traduit-elle ?

Il peut s'agir d'une demande de représentation, qui traduit le besoin de se représenter l'inimaginable passage de la vie à la mort, d'une demande de relation surtout, d'une demande de reconnaissance. Le malade en train de mourir nous demande s'il est encore digne de relation avec les autres êtres humains (134). Or, l'on constate à la lecture de certains dossiers médicaux, que « plus l'état du patient se dégrade, plus il approche de la mort, plus les notes dans son dossier diminuent, au même rythme parfois que les passages dans sa chambre (...). La mort sociale précède la mort clinique. On parle déjà de lui à l'imparfait. C'est tout juste si le patient ne s'excuse pas d'être encore là ! ». C'est ce qui fait dire à Marie de Hennezel que si à ce moment, le médecin accède à la demande du patient, il le tue deux fois, réellement et symboliquement en lui confirmant son sentiment d'inutilité.

« Exister pour un être humain dépend de la présence de l'autre depuis l'origine de la vie jusqu'à la mort (...). Ce regard de l'autre sur soi sera, jusqu'au bout de la vie, le fondement de notre humanité », dit encore Mme Diricq (135). Il s'agit de penser la personne humaine dans sa globalité, c'est-à-dire dont la dignité s'inscrit dans la relation à l'autre et ne pas seulement penser le malade (136).

La plupart des réflexions des intervenants, si elles resituaient le patient au centre du processus de décision, soulignaient en effet le fait que le patient était « en relation », « en contexte », et qu'il était inopportun de faire abstraction de ce contexte. Mme Baum réfute les définitions principalistes de l'autonomie et de la liberté. « Une liberté est toujours en contexte et le contexte du mourant, c'est une autonomie de droit et une vulnérabilité de fait. Les projets de loi me paraissent un peu idéalistes sur ce plan, car ils ne prennent pas en compte la phénoménologie du mourir », souligne-t-elle (137) (= apport des sciences humaines).

Autonomie ­ Dignité

Cela mène à la question de l'autonomie du patient. Presque tous les intervenants ont souhaité que le « patient soit au centre », mais beaucoup d'entre eux ont souligné les limites de l'autonomie du patient mourant, vu son extrême dépendance (dépendance à l'égard de la bienveillance des soignants, des proches, sa réceptivité particulière aux pressions même non dites ..). Comme le souligne justement Mme Baum, « le mourir tend à devenir un phénomène de moins en moins culturel et de plus en plus socio-économique. Tout se passe comme si la dépendance de la personne mourante et l'idéal d'autonomie vénéré par l'homme occidental en bonne santé étaient inconciliables. » (138). Par ailleurs, une décision de fin de vie, bien qu'elle ne puisse être prise que par le patient lui-même, ne touche pas que le patient : elle touche les proches, l'équipe soignante et toute la société. Le débat ne porte donc pas tant sur qui peut décider, que sur quelle est la bonne décision dans une situation déterminée (139).

Mme Baum précise qu'il ne s'agit pas tant de chercher la bonne solution, que de chercher la moins mauvaise pour chacun. Je me permettrai ici de la citer in extenso : « La revendication de la liberté devrait dès lors être celle d'une liberté corresponsable entre médecin et patient, ce qui est pour moi le contraire d'une dilution de la responsabilité. » « On ne peut prétendre, ajoute-t-elle, être pluraliste et mépriser la relativisation de l'autonomie par d'autres valeurs, la vulnérabilité du patient, par exemple. Il s'agit d'un débat entre individualisme et communautarisme, car comme le disait Sartre « On ne peut être libre seul. » (140). « On entend souvent dire, poursuit-elle, que la légalisation de l'euthanasie représente les autonomes qui ont le courage de maîtriser leur propre mort. Mais derrière cette revendication d'autonomie, et là réside le problème, se cachent des déterminismes socio-économiques qui font que ce désir n'est pas un désir libre, mais un désir induit.

La sociologue Anita Hocquard a montré dans son étude conduite auprès des membres de l'ADMD que la honte provoquée par la dégradation provoquait la demande d'une « citoyenneté létale ». Pouvons-nous parler dans ce contexte de revendication autonome ? Ne devons-nous pas tenir compte de la vulnérabilité de fait des demandeurs d'euthanasie volontaires sans tomber dans le paternalisme qui consisterait à juger leurs actes ? Qu'est-ce alors la revendication du droit de mourir ? Une simple liberté ou une créance ? », demande-t-elle.

Mme Baum poursuit en soulignant la montée de l'individualisme qui caractérise notre modernité, un individualisme de légitimation, qui a évolué vers une pluralité d'individualismes conflictuels. « Ces conflits invitent à penser les limites de l'individualisme dans une démocratie pluraliste. Nous sommes passés d'un individualisme universalisant qui a donné naissance aux droits de l'homme à un individualisme narcissique. » Le profil des adhérents de l'ADMD, profil d'individualistes visant à utiliser le contrôle de la mort pour éviter la souffrance, tel que l'a démontré la sociologue Anita Hocquard, « nous donne », souligne-t-elle, « des éléments de réflexion en termes de légitimation politique de l'euthanasie par une certaine classe sociale peu consciente peut-être de ses conséquences pour des patients économiquement plus faibles et moins privilégiés en termes d'éducation. » (141).

Mme Aubry a aussi montré toute la difficulté pour les patients mourants, dans des situations aussi extrêmes, d'exercer leur autonomie de manière pleine et entière. « La frontière entre liberté et pression est ténue. Le risque de pression est d'autant plus grand si ceux qui devraient donner le choix au patient sont eux-mêmes intéressés au choix qui est fait. » (142).

Demandes d'euthanasie : par qui ? pourquoi ?

En ce qui concerne les demandes d'euthanasie, les auditions nous révèlent :

­ qu'elles émanent davantage des proches que du patient lui-même (143). Comme le rappelle Mme Henry, au nom de la Ligue Alzheimer, avant d'exécuter une directive anticipée, n'y a-t-il pas d'abord l'obligation de soigner et d'apporter une qualité de vie au patient (144) ? Lorsque des demandes d'euthanasie sont formulées, le plus souvent par la famille, qui éprouve d'énormes difficultés à vivre cette situation, poursuit Mme Henry, « l'écoute active m'aide à décoder ces demandes (145) et à dire : « Vous n'en pouvez plus; mais, oui cette histoire n'en finit pas. » La maladie d'Alzheimer est aussi très coûteuse. « Il faut pouvoir recevoir ces demandes et les traiter comme il convient. Non pas préconiser un acharnement palliatif mais plutôt conseiller, réfléchir au problème en apportant une aide psycho-médico-sociale. » (146). Cela souligne toute l'importance des mesures de soutien et d'accompagnement des proches, qui sont souvent en proie à des sentiments d'épuisement, ou d'impuissance. Cette attention aux proches fait partie intégrante de l'accompagnement palliatif;

­ elles peuvent faire suite à un acharnement thérapeutique (147), d'où l'importance d'un encadrement général des décisions médicales de fin de vie. Cela rejoint l'idée qu'il ne faut pas examiner l'euthanasie indépendamment des autres problèmes liés à la fin de vie;

­ elles peuvent être provoquées par les douleurs physiques ou psychiques :

· douleurs physiques mal dominées,

· douleurs psychiques et, plus encore (148), le sentiment écrasant et désespérant d'être seul, d'être de trop, de n'être plus digne [l'angoisse face à la détérioration (déchéance)], de n'être plus aimable et aimé, la peur de mourir seul, abandonné, l'angoisse de dépendance, souci d'être une charge pour les autres, souci quant aux conséquences financières pour les proches (149), mauvaise représentation du pronostic ou de l'évolution de la maladie (150) ...

Le docteur Van den Eynden (151) a souligné l'existence de demandes d'euthanasies provoquées par des souffrances existentielles ou spirituelles. Le docteur Bouckenaere insiste sur l'importance de faire appel à un psychiatre pour faire la différence entre un état dépressif profond et un refus ferme de continuer à vivre (152).

Il faut souligner ici les progrès considérables de la médecine dans le combat contre la douleur (par exemple l'expérience du docteur Lossignol à l'Institut Bordet).

Mme Pesleux précise : « Aujourd'hui, la plupart des douleurs peuvent être soulagées, ce qui ne veut pas dire qu'elles le sont parfaitement. Il subsiste, il est vrai, quelques situations exceptionnelles, dans lesquelles la douleur n'est que partiellement soulagée. » Elle conclut : « Faut-il dès lors légiférer pour des situations d'exception ? » (153). Ce savoir doit toutefois encore être diffusé. La formation à la lutte contre la douleur est encore insuffisamment répandue et les réticences de certains médecins à l'égard de l'usage de certains médicaments, telle la morphine, sont réelles (154).

Plusieurs intervenants ont souligné que le désir de mourir disparaissait la plupart du temps si des soins palliatifs étaient prodigués dans les règles de l'art. D'où l'importance du développement de ces soins, comme je l'ai déjà souligné (voyez supra).

Malgré tout, il subsiste des situations, que la plupart des intervenants ont qualifiées d'exceptionnelles, où persiste une demande réelle d'euthanasie active directe ou assistance au suicide. Pour le docteur Bouckenaere, les « vraies demandes d'euthanasie » sont celles qui sont « motivées par une souffrance physique que la médecine actuelle est incapable de soulager et celles qui sont motivées par une conception philosophique personnelle de la dignité que l'accompagnement le plus respectueux ne parvient pas à réduire » (155).

Vu les progrès considérables de la science médicale dans le soulagement de la douleur, on peut estimer que subsisteront, en définitive, essentiellement les demandes induites par une conception philosophique personnelle de la dignité (demandes d'euthanasie intellectuelles ou rationnelles). Il faut donc se poser la question :

­ Existe-t-il réellement un droit à choisir le moment de sa mort ? Aucune proposition ne prévoit ce droit subjectif.

­ Peut-on parler d'autonomie lorsque l'on pose cette question, lorsque cette question implique nécessairement un tiers ?

Il est renvoyé ici aux interrogations pertinentes de Mme Baum, qui se réfère à la sociologue A. Hocquard (voyez supra) : « Quelle est la cohérence d'un droit de créance qui implique l'intervention d'un tiers ? Comment comprendre qu'un individu en appelle à la solidarité sociale ­ et c'est là qu'elle met le paradoxe ­ pour échapper au social et à ses solidarités ? Y a-t-il aujourd'hui une émergence d'une citoyenneté létale, l'existence d'un courant suicidogène ? Il n'y a pas moyen de montrer qu'une légalisation de l'euthanasie encouragerait un courant suicidogène, mais il n'y a pas non plus moyen de montrer que cela ne l'encouragerait pas. » (156).

­ Peut-on donner aux médecins un tel pouvoir (157) ?

Dérives ­ Morts volées ­ Euthanasies clandestines

Mme Baum est, sans doute, l'intervenante qui a souligné avec le plus de force que la dérive économique n'était pas un fantasme, comme l'avait affirmé le professeur Englert, mais une menace réelle notamment pour les patients les plus âgés. Elle renvoie à une étude réalisée par la sociologue Anita Hocquard. On apprend ainsi que :

­ l'acharnement thérapeutique ne provient en réalité pas des excès de rationalité mais qu'il est consécutif à une absence de rationalité de soins.

­ les interruptions de traitement sont motivées par un jugement subjectif du médecin sur l'absence de qualité de vie future. Viennent ensuite comme critères l'inutilité des soins et l'âge du patient. La demande de la famille n'arrive qu'en troisième position. Les considérations économiques apparaissent entre 4 et 8 % des cas et conduisent à provoquer la mort de patients n'ayant pas fait de demande.

On s'attend dans les années à venir à un triplement du nombre de personnes âgées de 75 ans et à un quadruplement des personnes de 85 ans et plus dans les unités de soins. Le poids économique du vieillissement de la population de notre vieux continent a mené à une diminution de la médicalisation du quatrième âge et, par contre, à une augmentation de la dépendance de cette même population. On s'attend à une augmentation d'au moins 30 % des coûts liés au vieillissement d'ici 2040.

Pour elle, le seul rempart contre des dérives de type socio-économique, contre les euthanasies non demandées, c'est une régulation a priori. « Il me semble essentiel, dit-elle, qu'une régulation a priori permette de vérifier que la perception de la dignité humaine par le patient vient d'une conception de la dignité personnelle afin qu'elle ne soit pas vécue par certains patients, qui ont d'autres convictions sur la dignité humaine, comme une violence faite à leur vulnérabilité physique et socio-économique. » (158).

Elle précise : « Une procédure de régulation a priori permet de postposer une régulation juridique en invitant d'abord à s'interroger sur la clandestinité des pratiques banalisées d'euthanasie en milieu hospitalier. Cette première étape devrait permettre au droit de se mettre en phase avec la réalité de terrain. » (159).

Ce danger de dérive économique est réel lorsqu'on sait que 10 % des patients malades entraînent 75 % des dépenses. Certains pays occidentaux refusent déjà tout simplement d'accorder le remboursement de certains soins vitaux. Les dernières semaines et surtout les derniers jours de vie sont les plus coûteux (160).

Ces menaces réelles de dérive vers des euthanasies socio-économiques a été souligné par plusieurs autres intervenants (161).

Certaines euthanasies non demandées se produisent par lassitude, manque de temps, manque de compétence, manque de communication entre le médecin et l'équipe soignante, manque d'écoute du patient (162). Le président de l'Association de gérontologie a bien confirmé que ces mots « communication » et « temps » étaient les maîtres-mots.

L'on songe ici encore aux paroles de Mme Baum, qui cite A. Hocquard : dans une société qui valorise la vieillesse, la liberté de choisir ou non une demande de mort est plus libre, moins déterminée que lorsque l'on se sent inutile. Comment faire pour réintégrer cette quatrième tranche de vie que nous a offerte la biomédecine dans l'ensemble du corps social pour que le droit de mourir ne devienne jamais un devoir de mourir (163) ?

Le meilleur moyen de lutter contre les euthanasies non demandées est d'instaurer une régulation a priori des prises de décisions en fin de vie (voir également infra). C'est l'orientation de la position dite position 3 retenue par notre Comité consultatif de bioéthique, qui est d'ailleurs expressément soutenue par beaucoup d'intervenants (164). Cette procédure a priori fait partie intégrante de la culture palliative, qui implique nécessairement la communication, la circulation de parole :

Mme Baum souligne ainsi que « les soins palliatifs, essentiellement les soins palliatifs volants, qui essaient de développer une révolution de la médecine, de la médecine curative vers la médecine continue, tentent de prendre en compte toute ces dimensions pour contextualiser la demande du mourir et faire en sorte qu'on n'avalise pas une demande dépressive mais qu'on permette à la demande de s'exprimer dans une liberté » (165).

Le deuxième garde-fou indispensable contre les euthanasies clandestines est aussi la tenue minutieuse et détaillée d'un dossier médical complet. (Dans les méditations sur l'avenir de la médecine de juin 2000, le docteur Wynen se pose la question de l'euthanasie et du secret médical dans l'hypothèse où les euthanasies devraient être déclarées à des autorités ou instances).

Le témoignage de Mme Diricq a montré combien l'entourage ­ même s'il est de bonne volonté et à l'écoute du patient ­ et le malade lui-même peuvent avoir des notions très différentes de ce qu'on entend par qualité de fin de vie. Cette série de questions autour de la sémantique des mots invite à poursuivre la réflexion sur d'autres questions : qui doit décider de cette fin de vie ? Le médecin et le patient ? Le médecin, son équipe et l'entourage ? Tout le monde ensemble (166) ?

Distinction patient terminal-patient non terminal

À l'instar de beaucoup d'intervenants, l'intervenante veut maintenir la distinction entre patient terminal et patient non terminal ou patient incurable. Tout comme elle veut clairement maintenir la conjugaison des souffrances physiques irréductibles, c'est-à-dire qui ne peuvent être soulagées dans l'état actuel de la mé