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19 JUILLET 2001
La peine de mort renferme en elle une contradiction. Tel est l'argument déterminant en faveur de son abolition. Une société qui élimine un des siens, quelque crime épouvantable qu'il ait pu commettre, se mutile elle-même. La peine de mort est, symboliquement ou effectivement, l'expression d'un sentiment de vengeance. Elle constitue ce que Robert Badinter appelle « une équation sanglante ». L'État institue ce que par ailleurs il prohibe. Il protège la vie, en donnant la mort.
La Belgique fut un des premiers États à avoir mis fin de facto à l'application de la peine capitale, même si, de iure, elle fut un des derniers à effacer ce châtiment du Code pénal : la peine de mort y a été abolie légalement en 1996. Sans restriction. Pour le temps de paix comme pour le temps de guerre.
L'Europe est devenue un continent presque exempt de toute exécution. Actuellement, plus aucune peine capitale n'est exécutée dans les États membres du Conseil de l'Europe, sauf en Tchétchénie.
Le nombre des États européens qui ont aboli la peine de mort en droit ne cesse de croître. À quatre exceptions près (il s'agit de la Russie, de la Turquie, de la Pologne et de l'Albanie), tous les États membres du Conseil de l'Europe ont ratifié le protocole nº 6 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort.
Bien que, ces dernières années, un nombre croissant de pays aient aboli la peine de mort ou instauré un moratoire (voir les déclarations du président Poutine du 10 juillet dernier concernant l'abolition de la peine de mort dans la Fédération de Russie), les organisations de défense des droits de l'homme estiment que le nombre d'exécutions dans les pays où la peine capitale continue à exister augmente terriblement. Aux États-Unis, 41 personnes ont été exécutées entre le 1er janvier et le 11 juillet 2001. La République populaire de Chine qui ne publie certes aucun chiffre officiel, a connu également ces derniers mois, une augmentation du nombre des exécutions. Les organisations de défense des droits de l'homme estiment que ces trois derniers mois, 2 960 personnes ont été condamnées à la peine de mort et que 1 781 d'entre elles ont été effectivement exécutées, dans le cadre de la campagne « Strike Hard », qui vise à lutter contre la criminalité. Cela signifie que la Chine a exécuté davantage de personnes durant cette courte période que le reste du monde durant ces trois dernières années.
La cause abolitionniste a fait sur le sol européen des pas immenses en quelques années seulement. Ce qui, il y a dix ans encore, n'était qu'un rêve, est aujourd'hui en passe de devenir une réalité.
Nos efforts doivent porter aujourd'hui sur tous les continents. D'aucuns pensent qu'un consensus à l'échelle de la planète sur une question aussi controversée est impossible. La tâche est pour le moins redoutable.
Au niveau mondial également, la peine de mort est en régression. Chaque année en moyenne, trois États abolissent la peine de mort. Les États rétentionnistes sont désormais en minorité. Il n'en demeure pas moins que l'on continue à exécuter tous les ans, dans une quarantaine de pays, entre deux et trois mille personnes.
Le cas des États-Unis est préoccupant. Le fait qu'un État démocratique procède à de nombreuses exécutions, en particulier de mineurs et d'arrièrés mentaux, déforce la position des partisans de l'abolition. Depuis la fin du moratoire prononcée par la Cour suprême en 1976, plus de six cents exécutions ont eu lieu dans ce pays, dont un tiers dans le seul État du Texas. Le nombre de détenus se trouvant dans le couloir de la mort se chiffre à plus de trois mille.
La peine capitale constitue la violation du droit le plus fondamental de l'homme : le droit à la vie. Elle n'a pas sa place dans un État de droit, car il n'est pas de liberté dont la jouissance ne présuppose la garantie du droit à la vie.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques n'a pas proscrit la peine de mort comme telle, mais a voulu entourer son application de certaines garanties. Cette approche est réaliste, mais insuffisante. Elle conduit à avaliser une pratique qui est condamnable dans son principe.
C'est pourquoi, un protocole additionnel à ce pacte a été adopté, qui interdit la peine de mort en tant que telle. Son succès est cependant resté limité, puisqu'à ce jour une quarantaine d'États seulement ont ratifié cet instrument.
Plusieurs résolutions ont été votées à l'ONU au sein de la Commission des droits de l'homme, qui empruntent une troisième voie : elles combinent un objectif radical et une approche graduelle. Elles enjoignent les États qui maintiennent la peine de mort à respecter d'abord tous les engagements qu'ils ont contractés en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des autres conventions internationales; elles les invitent à limiter ensuite, de façon progressive, le nombre d'infractions passibles de la peine capitale et à considérer enfin la mise en oeuvre d'un moratoire, en vue d'abolir définitivement la peine de mort. Une telle approche a eu le mérite de rallier des États qui ne faisaient pas partie du cercle des pays abolitionnistes. Elle a permis de mettre en mouvement une dynamique abolitionniste au sein même de l'organisation mondiale.
On peut déplorer par contre que l'Assemblée générale de l'ONU n'ait pas encore pris une position nette et sans équivoque contre la peine de mort. Une telle position contribuerait à élever l'interdiction de la peine de mort au rang d'une coutume de droit international, s'imposant à tous, comme c'est aujourd'hui le cas pour l'interdiction du génocide, de l'esclavage ou de la torture.
Réunis à Assise le 4 juillet 2000, lieu d'une grande valeur symbolique pour sa contribution en faveur de la paix, des représentants des parlements de l'Autriche, de la Belgique, du Danemark, de l'Espagne, de la Finlande, de la France, de la Grèce, de l'Italie, du Luxembourg et du Portugal, ont lancé un appel en vue d'instituer, de façon totale, immédiate et inconditionnelle, un moratoire universel des exécutions capitales. La présente proposition fait suite à cet appel.
Enfin, il y a lieu de préciser qu'on entend par « grâce » l'inexécution de la peine capitale.
Le Sénat,
A. Plus que jamais convaincu, à l'aube du troisième millénaire, du droit inconditionnel de tout être humain à la vie et, par-là même, du droit à ne pas être exécuté par suite d'un arrêt ou d'une mesure judiciaire;
B. Animé par l'intention de construire un monde où le respect de la vie humaine, des droits de l'homme et de l'État de droit deviennent réalité;
C. Profondément inquiet de constater que nombre de pays continuent à maintenir la peine capitale au mépris des exhortations lancées par différentes organisations internationales, dont les Nations unies, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne;
D. Inquiet de constater que certains pays utilisent la peine de mort à grande échelle;
E. Estimant largement démontré que l'abolition de la peine de mort contribue à la promotion de la dignité humaine et au développement progressif des droits de l'homme;
F. Estimant que l'abolition de la peine de mort ne nie pas le droit des victimes des crimes à une justice équitable et efficace;
G. Estimant que la persistance, dans de nombreux pays, des exécutions capitales représente un indice de retard dans la civilisation et un retour à la barbarie au sein de la société humaine;
H. Estimant également que le principe d'après lequel aucun État ne peut disposer de la vie d'un être humain gagne du terrain dans le monde et que, par conséquent, les conditions sont réunies pour la proclamation d'un principe cohérent de droit international, qui devra être affirmé à l'Assemblée générale des Nations unies;
I. Conscient de l'inefficacité, largement démontrée, de la peine de mort comme sanction ou comme facteur de dissuasion dans la société;
J. Conscient du caractère irréversible de ce genre de peine et compte tenu notamment des erreurs judiciaires reconnues, ce qui la rend objectivement contraire à tout principe juridique et moral;
K. Saluant l'action des organisations de défense des droits de l'homme et des communautés philosophiques et religieuses qui font pression sur les gouvernements et sur les parlements du monde, en vue d'abolir la peine de mort et à installer un moratoire;
1. S'engage à inscrire la problématique de la peine de mort à l'ordre du jour dans tous ses contacts avec l'étranger et, en particulier :
à inviter tous les États qui appliquent encore la peine capitale à instituer un moratoire de fait ou de droit, en vue de l'abolition complète de cette peine;
à demander aux chefs d'États des pays qui maintiennent encore la peine capitale dans leur système juridique, de gracier les condamnés à mort;
à demander aux parlementaires des pays qui maintiennent encore la peine capitale dans leurs sytème juridique, d'oeuvrer personnellement à l'abolition complète de la peine de mort, au niveau législatif mais aussi au niveau de l'information et de la sensibilisation de l'opinion;
2. Demande au gouvernement belge de relancer durant sa présidence de l'Union européenne, toutes les initiatives visant à l'instauration d'un moratoire universel de la peine de mort et de déposer, en concertation avec les autres États membres de l'Union européenne, une nouvelle résolution à ce sujet auprès de l'Assemblée générale des Nations unies;
3. Prie son président de transmettre la présente résolution aux institutions internationales et aux postes diplomatiques belges.