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3 JUILLET 2001
Introduction
Les présentes recommandations concernent tant les différentes formes d'immigration que la maîtrise des conséquences de celle-ci. La commission reconnaît que la question de l'immigration présente de multiples dimensions et formule dès lors des recommandations concernant ces diverses dimensions. On s'intéressera, dans le texte qui suit, à l'immigration de nature économique, à l'immigration professionnelle, à l'immigration pour des raisons humanitaires, au trafic d'êtres humains et à l'intégration sociale. Les recommandations qui sont faites concernent le niveau européen et le niveau national.
Il est toutefois illusoire de penser qu'une bonne politique en matière d'immigration constituerait un moyen suffisant pour diminuer la pression sur la procédure d'asile.
Recommandation 1
La commission de l'Intérieur estime que la politique en matière d'immigration et d'asile doit être traitée essentiellement au niveau européen. La commission invite l'Union et ses États membres à appliquer une politique d'égalité des chances combattant la pauvreté et l'exploitation sociale.
Recommandation 2
Selon la commission de l'Intérieur, une bonne politique européenne en matière d'immigration et d'asile exige que, dans le contexte institutionnel existant, les décisions en la matière soient prises à la majorité qualifiée au sein du Conseil. La commission de l'Intérieur encourage en outre la Commission européenne et les États membres de l'Union à prendre le plus rapidement possible, dans le cadre de la réalisation d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, les mesures prévues par les traités en ce qui concerne l'asile et l'immigration.
Enfin, lors de l'élargissement de l'Union européenne, il convient d'écourter autant que faire se peut la période de transition précédant l'ouverture des marchés de l'emploi.
Recommandation 3
La commission entend distinguer radicalement l'immigration dans le sens large du terme de l'immigration de nature économique et professionelle. Elle souhaite que les partenaires sociaux soient annuellement consultés à ce sujet par le gouvernement au travers du Conseil supérieur de l'emploi et du Conseil national du travail.
Recommandation 4
Les États membres de l'Union européenne doivent élaborer d'urgence des directives en vue de développer, au niveau européen, une politique commune en matière d'immigration. La commission de l'Intérieur est favorable à l'organisation d'un débat sur l'immigration contrôlée, mais elle estime que la discussion à propos de la question de savoir s'il faut ou non accepter les migrants économiques doit être menée de manière prudente.
La commission souhaite que les pays de destination possibles signifient clairement pour quelles raisons économiques et sociales l'immigration est nécessaire. Il convient de se préoccuper des pays d'origine et de conclure des accords précis avec eux pour éviter la fuite des cerveaux.
La politique actuelle en matière d'immigration doit être approfondie eu égard aux défis futurs. Le gouvernement doit adapter sa politique sans en venir à une des extrémités suivantes, à savoir la politique de l'option zéro et l'ouverture sans plus des frontières.
Différents systèmes sont possibles en fonction des objectifs, entre autres l'immigration sélective, l'immigration par quota ou le système des green cards.
La question de l'assouplissement des conditions d'octroi des permis de travail et des autorisations de séjour aux travailleurs étrangers est d'ores et déjà posée.
Pour ce qui est des immigrés professionnels hautement qualifiés, la législation existante doit être assouplie ponctuellement. Pour ce qui est des personnes peu qualifiées, on établira une liste des professions pour lesquelles la main-d'oeuvre est insuffisante et le permis de travail sera en principe octroyé automatiquement. L'exécution doit également être accélérée.
Afin de fixer ses objectifs en matière d'immigration, le gouvernement doit faire réaliser des études portant sur les besoins de la démographie et de l'industrie.
Il faut améliorer d'urgence les statistiques relatives à la population étrangère résidant en Belgique, pour ce qui est tant de la vitesse à laquelle elles sont disponibles que leur qualité. On doit en effet pouvoir déterminer, à l'aide de ces statistiques, quels sont les flux migratoires et quels groupes de population entrent dans notre pays. Ces informations doivent également être recueillies au niveau européen.
L'observatoire des migrations dont la gestion a été confiée au Centre pour l'égalité des chances, doit devenir opérationnel.
Il convient de prévoir suffisamment de personnel et de moyens pour que le centre devienne vraiment opérationnel.
La commission recommande au gouvernement de définir une nouvelle voie, en concertation avec les communautés et les régions, en mettant en place un cadre légal organisant l'immigration sur la base de critères liés à la situation de l'individu dans son pays d'origine.
Un contingent sera ainsi formé sur la base d'une pondération de critères humanitaires, sociaux et économiques. Il convient d'harmoniser ce contingentement au sein d'un contexte européen, en fonction de la situation de chaque État membre. Cette immigration ne doit pas être subordonnée à l'obtention d'un contrat de travail et doit, durant six mois, ouvrir l'accès à la scolarisation et à la formation, aux dispositifs d'aide à la recherche d'un emploi, à la recherche d'un logement et à l'apprentissage de la langue. Le système actuel d'immigration individuelle pour des raisons professionnelles doit être amélioré : toute autorisation de séjour de longue durée doit valoir en soi autorisation de travail.
La commission estime que, lorsqu'un permis de séjour est accordé, l'on peut également octroyer immédiatement un permis de travail pour la durée maximale du permis de séjour.
La commission considère qu'une immigration de main-d'oeuvre sélective et progressive doit être encouragée, en fonction de critères précis comme la pénurie de personnel dans certains secteurs professionnels malgré des investissements en matière de formation , et déterminés chaque année par les partenaires sociaux et le gouvernement.
Recommandation 5
Une nouvelle immigration de nature professionnelle ne peut pas conduire à l'abandon des efforts supplémentaires au profit du potentiel de chômeurs, en particulier des personnes d'origine étrangère. Des efforts doivent être faits sur le plan de la formation, de la lutte contre la discrimination sur le lieu de travail et en vue d'améliorer les conditions de travail et les conditions salariales afin d'améliorer l'attrait de certains emplois vacants.
Recommandation 6
Eu égard aux grandes différences interrégionales et subrégionales, la commission prône la multiplication des actions en vue d'améliorer et de promouvoir la mobilité des demandeurs d'emploi par-delà les différentes frontières (frontières linguistiques, frontières provinciales entre les arrondissements). Le VDAB, le FOREM et l'ORBEM ont une importante responsabilité en la matière.
Recommandation 7
La commission de l'Intérieur rappelle le rapport établi par la sous-commission « Traite des êtres humains » qui veut que la traite des êtres humains, le trafic des êtres humains et l'exploitation des immigrants soient combattus avec beaucoup plus de vigueur. À ce sujet, elle plaide pour une méthode intégrée. Combattre vigoureusement la traite des êtres humains est une priorité dans la lutte contre la criminalité organisée.
Pour pouvoir combattre plus efficacement cette forme de criminalité, il y a lieu de prévoir un renforcement radical des instruments disponibles, notamment un éclaircissement du statut des personnes qui se prostituent sans y être contraintes.
Recommandation 8
L'Union européenne doit prévoir un cadre démocratique et institutionnel dans lequel elle confierait à Europol une mission opérationnelle onsistant à combattre activement le trafic des êtres humains, dans le cadre d'équipes communes avec les États membres et en concertation avec Eurojust. Un contrôle interne et externe d'Europol doit être oganisé afin d'éviter à l'avenir les abus constatés.
Recommandation 9
La commission de l'Intérieur considère que le droit d'asile est un droit fondamental de la personne. La notion de réfugié doit avoir la même signification dans tous les États membres de l'UE. Il faut tendre vers une application uniforme et maximale de la Convention de Genève.
En application du sommet de Tampere, il convient de mettre en place un régime d'asile européen commun, fondé sur l'application intégrale et globale de la Convention de Genève pour assurer que nul ne sera renvoyé là où il risque d'être à nouveau persécuté.
Recommandation 10
La commission de l'Intérieur estime que l'Union européenne doit définir également une procédure commune à la fois simple et rapide pour le traitement des demandes d'asile. À ce sujet, la commission de l'Intérieur est favorable à une procédure de « guichet unique », assortie d'une possibilité d'appel. Suivant cette procédure, le traitement des demandes de toutes les personnes qui cherchent refuge dans l'Union européenne sera centralisé dans une Agence européenne de l'asile ayant des points de contact dans tous les États membres situés aux frontières extérieures de l'Union. Les demandeurs d'asile ne pourront introduire qu'à ces seuls endroits une demande respectant des normes uniformes. La commission de l'Intérieur ne souhaite pas que l'on touche au principe de la Convention de Dublin, suivant lequel la procédure d'asile doit être traitée dans l'État membre par où le demandeur est entré dans l'UE. Pour une application efficace de la Convention de Dublin, il y a lieu de faire entrer en vigueur rapidement la convention Eurodac relative à la comparaison des empreintes digitales.
Recommandation 11
Pour ce qui est des réfugiés reconnus ou des personnes qui ont été placées sous un statut de protection temporaire, les États membres de l'UE doivent élaborer conjointement une politique orientée sur la répartition équitable de l'accueil entre les États membres de l'UE. La commission de l'Intérieur plaide pour un bon équilibre entre la répartition réelle des réfugiés reconnus, d'une part, et une répartition des charges financières, d'autre part.
Recommandation 12
La commission de l'Intérieur demande que l'Union européenne développe une politique étrangère visant à éviter que des gens soient contraints de fuir leur pays. L'Union européenne doit atteindre cet objectif par le biais de la prévention des conflits, au moyen d'une action diplomatique conjointe qui soit l'expression d'une politique étrangère européenne et par une action militaire conjointe visant à prévenir un conflit ou à y mettre fin.
La commission de l'Intérieur souhaite que l'Union européenne développe ses moyens d'action pour pouvoir, malgré tout, accueillir des gens en cas de nécessité et leur fournir une aide d'urgence le plus près possible de leur pays d'origine.
L'expertise d'une organisation telle que l'UNHCR pourra être utilisée ici.
La Commission invite le gouvernement à conclure des accords de réinstallation assortis d'un programme de développement, à élaborer de préférence avec l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Ces initiatives doivent être soutenues par la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD).
Ces accords doivent être conclus de préférence avec les pays de transit, comme par exemple le Kirghistan.
Recommandation 13
Une politique européenne en matière d'immigration et d'asile telle qu'elle a été définie par la commission de l'Intérieur implique un contrôle renforcé aux frontières extérieures de l'Union. Tous les États membres doivent contribuer de manière proportionnelle aux coûts du contrôle renforcé aux frontières extérieures.
En règle générale, lorsque cette politique dissuasive ne réussit pas, il faut appliquer à l'intérieur de l'Union européenne le principe de solidarité entre États membres.
À l'occasion du cinquantenaire de la Convention de Genève, la commission de l'Intérieur invite le gouvernement à réaffirmer un soutien absolu à la convention et à défendre une interprétation large de son application, en faveur notamment des personnes persécutées pour leur choix sexuel ou soumises à des violences en raison de leur sexe.
Recommandation 14
Dans ce cadre européen, il serait judicieux que des éléments comme la crainte fondée de subir une mutilation génitale, de faire l'objet d'un viol utilisé comme arme de guerre ou d'être victime d'un mariage forcé, soient pris en considération en tant que motifs de reconnaissance de la qualité de réfugié d'une personne.
Recommandation 15
La commission invite le gouvernement à présenter sans délai un projet de loi sur la nouvelle procédure d'asile. Le raccourcissement de la procédure ne peut porter atteinte à la qualité du traitement des dossiers.
Outre le projet de loi, il y a également lieu d'établir un plan visant à résorber l'arriéré.
Le gouvernement doit également délimiter les grandes options de sa politique d'immigration, à l'exclusion de l'option de l'immigration zéro.
Recommandation 16
Réforme de l'administration de l'Office des étrangers.
La commission engage le gouvernement à une réforme complète de l'Office des étrangers au regard des conclusions de l'audit et en prenant particulièrement en compte les éléments suivants :
la formation initiale et continuée de tous les agents de la future administration fédérale de l'immigration;
la déconcentration et la décentralisation des services;
la cohérence interne entre les différents départements concernés par le traitement d'un dossier;
la création d'un service de relations publiques et d'un service d'information permanente au bénéfice des étrangers;
la création d'un service autonome chargé de recueillir les éventuelles plaintes;
la mise en oeuvre de mécanismes d'assistance aux autorités locales;
l'optimalisation du système informatique de traitement des dossiers et l'installation d'un standard téléphonique performant.
La commission recommande au gouvernement d'octroyer un statut aux centres d'accueil pour les demandeurs d'asile en leur garantissant une assistance sociale, médicale et juridique, en respectant la déontologie des travailleurs sociaux et en organisant des instances de collaboration avec les autorités communales et les riverains.
La commission souhaite que les femmes isolées qui invoquent le statut de réfugié puissent bénéficier d'un traitement particulier, qui respecte la spécificité de ce type de demande.
La commission engage le gouvernement à établir un statut pour les mineurs non accompagnés, tant en ce qui concerne la mise en oeuvre d'une tutelle particulière leur garantissant l'assistance psychologique, sociale, médicale et scolaire.
La commission insiste pour que le gouvernement transpose, avant la fin de la présidence belge de l'Union, un statut de protection temporaire pour les victimes provenant de pays en guerre civile ou de violence généralisée.
La commission souhaite également l'établissement d'un statut de protection temporaire individuelle, complémentaire au statut de réfugié, fondé sur l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Recommandation 17
La commission recommande au gouvernement de respecter le caractère hospitalier des centres d'accueil pour candidats réfugiés et de ne pas engager son personnel qui a vocation d'intégrer provisoirement les hôtes qui s'y trouvent, dans un rôle d'auxiliaire de la justice ou de la police.
Pour ce qui est des demandeurs d'asiles déboutés, la commission de l'Intérieur plaide en faveur d'une politique européenne commune de retour vers le pays d'origine. À cet égard, le retour volontaire est la priorité, mais le retour forcé doit être maintenu.
Recommandation 18
La commission engage l'ensemble des autorités concernées à tous les niveaux de pouvoir à mettre en oeuvre un plan d'accompagnement, de soutien et d'orientation au profit de tous les nouveaux venus.
Ce plan devrait à tous le moins comprendre :
un bilan médical, psychologique et social de chaque nouveau venu;
une information détaillée sur les droits et les obligations des étrangers sur notre territoire;
une assistance et une orientation de chaque nouveau venu vers les structures les plus adéquates en regard des besoins médicaux, sociaux, psychologiques, des besoins en termes d'éducation et de formation, et des aptitudes professionnelles.
La commission soutient et encourage la création de structures spécifiques (classes d'accueil, ONG spécialisées, bureaux d'informations et d'assistance, ...) au profit des nouveaux venus.
Recommandation 19
La commission de l'Intérieur estime que chacun a une série de droits et de libertés inaliénables, comme le droit à la spécificité culturelle. Il n'y a pas de droits sans devoirs : s'intégrer comporte, pour les étrangers, la nécessité et la responsabilité d'apprendre la langue de la communauté où ils résident, celle de respecter nos valeurs démocratiques et de s'intégrer en matière d'enseignement et sur le marché du travail. De son côté, l'autorité doit veiller à offrir les possibilités d'intégration nécessaires.
Recommandation 20
Des mesures spéciales en faveur des groupes de demandeurs d'asile les plus vulnérables et, en particulier, des mineurs non accompagnés, s'imposent. Il y a lieu de prévoir des programmes d'enseignement adaptés et des cours de langues pour la phase initiale d'intégration. Ces programmes spécifiques peuvent, par exemple, servir à aider les femmes à surmonter les barrières culturelles. Il y a lieu de prévoir l'encadrement et les ressources financières nécessaires à cet effet.
En ce qui concerne les demandeurs d'asile mineurs d'âge, il s'impose de modifier la loi civile pour instituer un tuteur ad hoc dans les cas où les mineurs n'accompagnent pas leurs parents en Belgique. Celui-ci prendra les mesures nécessaires touchant à la personne du mineur tels que le choix de l'école, l'hospitalisation éventuelle, etc.
Recommandation 21
La commission de l'Intérieur plaide en faveur d'une politique active de lutte contre l'inégalité sociale et la pauvreté au niveau international, afin de combattre les causes structurelles de l'immigration et ce, notamment, en encourageant les programmes de développement au profit des pays les moins avancés et en assurant la promotion et le respect des droits et libertés fondamentaux.
Les recommandations ont été adoptées à l'unanimité des 9 membres présents.
Une membre s'est dite insatisfaite du concept qui consiste à émettre des recommandations, alors que dans divers domaines y traités, on aurait pu légiférer pour résoudre le problème. C'est la raison pour laquelle elle s'abstiendra lors du vote sur le rapport.
Un autre membre regrette cette attitude, qui rompt avec la décision par consensus, privilégiée par tous les membres en vue de mener à bonne fin la rédaction du présent rapport.
Le contenu du rapport dans son ensemble a été approuvé par 8 voix et 1 abstention.
Confiance a été faite aux rapporteurs pour la rédaction du présent rapport.
Les rapporteurs, | La présidente, |
Jean CORNIL.
Marie NAGY. Paul WILLE. |
Anne-Marie LIZIN. |