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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 21 JUIN 2001 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Jean Cornil au ministre des Finances sur «la taxation des plus-values sur actions» (n° 2-658)

Question orale de M. René Thissen au ministre des Finances sur «la réforme de l'impôt des sociétés» (n° 2-663)

Mme la présidente. - Je vous propose de joindre ces questions orales. (Assentiment)

M. Jean Cornil (PS). - Ce week-end, le premier ministre a indiqué un certain nombre de pistes qui pourraient être envisagées en vue de la réforme de l'impôt des sociétés, notamment la réduction du taux de taxation à 34%, ce qui représenterait, selon les calculs du Conseil supérieur des Finances, un coût budgétaire de 40 milliards. Cette somme est évidemment relativement importante dans la mesure où l'on sait que l'ensemble des recettes de l'impôt des sociétés représente 310 milliards.

Je voudrais donc revenir sur la question que je vous posais voici quelques mois, en l'occurrence celle des plus-values sur actions qui restent exemptées de toute imposition en Belgique, à la différence des autres pays de l'Union européenne. Elles ont pourtant représenté un montant net de 1.055 milliards en 1999, soit plus du double de 1998 et plus de 20 fois le montant de 1994, deux ans après la suppression de cette mesure par le ministre des Finances.

En février, vous m'aviez répondu que vous attendiez l'avis du Conseil supérieur des Finances. Cet avis a été rendu depuis lors. Le Conseil constate dans son rapport que notre régime fiscal semble peu strict pour les participations dans des filiales situées dans les pays de l'Union européenne : l'immunisation est donnée sans condition de durée et sans règle de seuil.

Sachant que l'exonération des plus-values aura coûté au Trésor 490 milliards pour l'exercice 1999, pouvez-vous me communiquer, monsieur le ministre, des chiffres que vous ne pouviez pas me fournir voici quelques mois ? N'est-il pas temps de nous aligner sur les taux de taxation de ces plus-values en bourse qui sont en vigueur dans les autres pays de l'Union européenne ? Quelles sont vos intentions, dans le cadre de la réforme globale de l'impôt des sociétés, quant à la non-taxation des plus-values boursières ?

M. René Thissen (PSC). - Voici quelques mois, je vous avais moi aussi interrogé sur la réforme de l'impôt des sociétés. Vous m'aviez alors répondu que vous ne souhaitiez faire aucun commentaire aussi longtemps que vous ne disposeriez pas du rapport officiel du Conseil supérieur des Finances et de la réaction des différents acteurs concernés. Puisque vous vous êtes largement exprimé ce lundi, doit-on considérer que le processus de concertation auquel vous faisiez allusion dans votre réponse a été mené à son terme ?

En ce qui concerne la réforme proprement dite, le gouvernement a-t-il décidé de ramener, dans un premier temps, le taux nominal à 34% à partir de l'exercice d'imposition 2003 et, par la suite, à 30%, comme cela avait été antérieurement annoncé par le Premier ministre ? Le taux réduit sera-t-il adapté en conséquence ?

Afin de respecter la neutralité budgétaire prévue dans la déclaration gouvernementale, le gouvernement propose-t-il de prendre en compte l'effet retour d'une diminution nominale des taux et, pour le surplus, d'élargir la base imposable ? Doit-on interpréter la déclaration gouvernementale en ce sens ? Avez-vous déjà estimé de manière précise cet effet de retour ?

Pourriez-vous m'indiquer quelles déductions fiscales seront supprimées et pour quel montant ? Quel est l'impact de la réforme sur le régime des déductions pour les revenus définitivement taxés (RDT), pour l'immunisation des plus-values ainsi que pour les régimes fiscaux préférentiels ? Par ailleurs, pourriez-vous me préciser quelles sont les mesures visant à stimuler l'investissement sur fonds propres dans les PME que le gouvernement semble avoir annoncées ?

M. Didier Reynders, ministre des Finances. - Je voudrais préciser à M. Cornil, comme je l'ai déjà fait il y a quelques mois, que je ne dispose pas de chiffres concernant l'exercice 2000. J'en suis toujours aux chiffres qui vous ont été communiqués. Vous en avez d'ailleurs repris un certain nombre dans le rapport du Conseil supérieur des Finances.

Je voudrais faire une remarque encore afin qu'il ne subsiste aucun doute sur l'objectif de la réforme : en entendant les demandes fortes de suppression de certains mécanismes en faveur des entreprises sur les exonérations fiscales des plus-values, je tiens à rappeler que l'objectif d'une réforme de l'impôt des sociétés n'est pas d'agresser les entreprises mais d'essayer, par une diminution du taux ou d'autres mesures, de soutenir l'activité économique. Même si la croissance reste à un niveau raisonnable tant en Belgique que dans la zone Euro, l'activité économique se ralentit et pourrait bénéficier de cette réforme. À travers le soutien à l'économie, l'objectif est aussi de soutenir l'emploi et tout ce qui peut permettre son développement. J'ai parfois le sentiment que l'on conçoit la réforme de l'impôt des sociétés comme dirigée contre certaines entreprises.

Dans l'accord de gouvernement, il est prévu d'abaisser le taux nominal de l'impôt des sociétés dans un cadre budgétaire neutre, c'est-à-dire en revoyant un certain nombre de mécanismes d'exonération et de déductibilité. Un accent particulier en faveur des PME est cependant prévu. Je réponds à M. Thissen que c'est dans l'accord de gouvernement que se trouve une disposition encourageant l'exonération fiscale pour les petites et moyennes entreprises qui décideraient d'affecter des résultats à des investissements futurs, en les mettant en réserve par exemple.

La procédure a bien été celle que vous évoquez : un avis a été demandé au Conseil supérieur des Finances ; après réception de cet avis, je l'ai très largement soumis à consultation auprès d'associations et d'organismes qui m'ont fait part de leurs observations. Chacun peut d'ailleurs prendre connaissance de cet avis du CSF sur le site internet du gouvernement. À la suite de cet avis et des observations que j'ai recueillies, j'ai formulé une orientation générale qui permet de cadrer le débat sur l'impôt des sociétés.

Il est utile de réduire sensiblement le taux nominal de l'impôt des sociétés. Il en découle l'idée de le fixer à 34%, taux qui nous situe légèrement au-dessus de la moyenne européenne telle qu'elle sera après diverses réformes attendues. Cela n'exclut pas une réduction plus forte dans le futur. Mais ce taux de 34% me paraît raisonnable pour l'instant.

J'ai rappelé qu'il était utile de privilégier les PME voire les toutes petites entreprises dans cette réforme. J'ai évoqué un taux de 34%. Il existe aussi un taux réduit qui devrait lui-même être adapté dans les mêmes proportions. Donc, le taux réduit applicable aux PME devrait être diminué proportionnellement au taux général nominal. En complément, d'autres mesures que j'ai évoquées tout à l'heure permettront de favoriser l'investissement dans les PME.

En parallèle, j'ai lancé un débat avec des acteurs économiques pour trouver d'autres techniques de financement afin de favoriser l'accès au marché des capitaux des PME, et même des sociétés de moyenne capitalisation boursière. C'est la deuxième orientation.

J'en viens à la troisième orientation. La neutralité budgétaire signifie que le Trésor ne doit pas perdre à la suite d'une réforme mais qu'il ne doit pas y gagner non plus. Si l'on organise une réforme de l'impôt des sociétés en vue de soutenir l'activité économique par un abaissement des taux, c'est que l'on pense raisonnablement que l'activité économique va se développer. D'où l'idée que j'ai avancée que l'on peut s'attendre à un effet retour de l'ordre d'un tiers.

Il faut encore voir à quel moment cet effet pourrait intervenir. Il permettrait peut-être de supprimer l'impôt complémentaire de crise qui s'applique toujours aux entreprises, puisque nous sortons d'une longue période de crise, notamment des finances publiques. Dans ce cadre, ces orientations sont définies.

Il va falloir à présent terminer un certain nombre de consultations mais j'ai déjà reçu de nombreux avis. Il conviendra surtout d'ouvrir une discussion au sein du gouvernement pour voir de quelle manière nous choisirons le taux tel que je viens de l'indiquer, la période pendant laquelle la réforme devrait se réaliser et, bien entendu, toutes les mesures spécifiques, qu'elles concernent des révisions de mécanismes d'exonération ou de déductibilité ou des mesures d'encouragement en faveur des PME.

C'est le même processus que celui suivi à propos de la réforme de l'impôt des personnes physiques. J'ai d'abord lancé un certain nombre d'idées sur le sujet, y compris en termes d'ampleur de la réforme, de taux, de mécanismes et de calendrier. Le débat a eu lieu, les textes ont été déposés et seront soumis au vote tout à l'heure en commission des Finances de la Chambre. Nous suivrons bien entendu la même voie pour ce qui concerne l'impôt des sociétés.

Aujourd'hui, je ne peux donc pas vous dire quelles mesures particulières vont être prises. Je ne peux qu'en rester aux orientations générales que j'avais déjà précisées la semaine passée, que j'ai rappelées lundi dernier et qui vont à présent faire l'objet d'un débat au sein du gouvernement. Avant de présenter un texte au parlement, le gouvernement veut évidemment, dans une réforme de l'impôt sur les sociétés, encourager le développement de l'activité économique et celui de l'emploi, en sachant que les petites et, parfois, les très petites entreprises sont celles qui concourent le plus au développement de cette activité.

Cela dit, un grand nombre de mécanismes de déductibilité ou d'exemption ou d'exonération s'appliquent aussi à des entreprises de taille plus modeste, très souvent en raison d'activités économiques tout à fait concrètes.

Je ne voudrais pas que l'on présente le débat sur l'impôt des sociétés comme une manière de s'attaquer à un certain nombre d'entreprises dans notre pays. L'objectif est tout à fait inverse, c'est de faire en sorte qu'à travers un impôt un peu plus acceptable qui se rapproche de la moyenne européenne, probablement à travers des règles plus simples, on encourage l'activité économique et, à travers cet encouragement, on permette de consolider et de créer de l'emploi.

M. Jean Cornil (PS). - Je remercie le ministre de sa réponse.

Il n'entrait nullement dans mes intentions d'attaquer les entreprises avec agressivité. Je partage évidemment votre souci, monsieur le ministre, de relancer l'activité économique au travers de la réforme de l'impôt sur les sociétés, notamment à des fins de création d'emplois.

Cependant, en ce qui concerne la question que je vous ai posée, même si je comprends que vous ne puissiez répondre aujourd'hui, vous pourriez tout de même exprimer votre sentiment par rapport aux propositions faites par le conseil supérieur des Finances. Les entreprises concernées par la non-taxation des plus-values ne sont évidemment pas les PME ni les très petites entreprises. Il s'agit souvent d'entreprises relativement importantes.

Comme cela transparaît en filigrane dans le rapport du conseil supérieur des Finances, on pourrait fixer un certain nombre de conditions et, éventuellement, entre les plus-values des actions mises sur le marché boursier et donc générant des bénéfices, différencier, d'une part, celles destinées exclusivement à la spéculation et, d'autre part, celles potentiellement destinées à des réinvestissements.

C'est donc sur toutes ces questions que j'aurais aimé avoir une réponse aujourd'hui, mais il est peut-être trop tôt.

M. René Thissen (PSC). - Je me réjouis d'entendre le ministre nous dire qu'il souhaite le développement des PME et des plus petites entreprises. Il est évident qu'une réforme de l'impôt n'est pas destinée à sacrifier des entreprises.

En écoutant le début de votre exposé, je me disais que la situation évoluait favorablement. Mon enthousiasme est quelque peu retombé lorsque vous avez précisé qu'il s'agissait de votre avis et qu'il allait falloir en discuter.

On peut toujours annoncer de bonnes intentions mais un gouvernement est quand même là pour prendre des décisions. J'aurais souhaité vous entendre vous exprimer au nom du gouvernement et non en votre nom propre.

Je suppose que nous aurons encore l'occasion de discuter de ce problème important.

En ce qui concerne les 34% que vous avez annoncés, à quelle date pensez-vous pouvoir réaliser cet objectif ?

En ce qui concerne la neutralité budgétaire, un autre élément retient également toute mon attention : l'effet de retour. J'imagine mal que l'on puisse prétendre réformer en faisant simplement des déplacements d'impôts pour annoncer que l'on passe à 34%. Si le gouvernement imagine que les entreprises sont assez naïves pour croire qu'il suffit simplement de dire que l'on passe à 34% sans prendre les mesures nécessaires à cet égard, il se trompe. Il faudra nécessairement que nous ayons des discussions sur l'effet de retour pour pouvoir créer de véritables incitants au développement des entreprises. Nous attendons une réponse à ce sujet dans un proche avenir.

Les mécanismes de déductibilité relèvent de la même problématique. Le sujet est tellement vaste qu'il aurait pu faire l'objet d'une demande d'explications, mais nous y reviendrons certainement à brève échéance.

M. Didier Reynders, ministre des Finances. - J'ai parfois le sentiment de réentendre ce que j'ai déjà entendu en septembre dernier lorsque j'ai fait des propositions en matière d'impôt des personnes physiques.

C'est vrai que l'on peut se demander si c'est à titre personnel et si cela à une quelconque chance. Je l'ai dit tout à l'heure, le texte mettant en oeuvre cette réforme de l'IPP sera voté tout à l'heure en commission des Finances de la Chambre.

Il faudra effectivement encore suivre le même processus mais il me semble assez normal qu'un ministre des Finances annonce ses intentions en matière de fiscalité, qu'il en débatte au sein du gouvernement et qu'il dépose des projets au Parlement.

Je prends bonne note des orientations de différents parlementaires ou de différents groupes sur le sujet. Je ne peux évidemment pas aller au-delà au moment où nous entamons la discussion sur ces orientations définies dans la déclaration gouvernementale. J'ai tenté de le préciser ces derniers jours.

Pour répondre à M. Cornil sur le même thème, en ce qui concerne les plus-values ou d'autres mécanismes, je prends bonne note des remarques qu'il formule. Elles feront, bien entendu, partie du débat.

Au-delà de cela, je me permets de lui dire que je suis particulièrement ému qu'un parlementaire fraîchement arrivé au Sénat me demande mon sentiment sur quelque chose parce que ce n'est pas vraiment l'habitude. Je l'en remercie avec une certaine émotion.