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M. le président. - M. Istasse se réfère à son rapport écrit.
M. Philippe Monfils (PRL-FDF-MCC). - Je voudrais vous raconter quatre courtes histoires.
La première s'intitule « Jenny » - nom d'emprunt. Jenny se trouve au départ de la course Liège-Bastogne-Liège, au parc de La Boverie à Liège. Elle entend des cris en provenance d'un étang profond, situé non loin. Elle se rend sur place et y découvre une jeune fille en train de se noyer. Les conditions sont très mauvaises : l'eau est glaciale mais Jenny plonge et parvient à déposer sur la rive la jeune femme qui se noyait.
Dans la deuxième histoire, Roger, qui participe à une partie de pêche, plonge pour sauver un jeune enfant visiblement en train de se noyer. Il nage quelques mètres contre le courant, agrippe l'enfant de trois ans et le ramène, non sans mal, près de la berge où l'attendent plusieurs passants, témoins du drame.
André, lui, assiste à un cortège organisé dans les rues de Seraing. Pour une raison inconnue, des chevaux s'emballent. Ils tirent une calèche abritant plusieurs personnes, dont des enfants. André n'hésite pas : saisissant les brides du véhicule, qui prend de plus en plus de vitesse, il réussit à ralentir l'attelage. Un agent motocycliste intervient pour immobiliser la calèche.
Passons maintenant à la dernière histoire. Robert se trouve sur un pont surplombant la Meuse. Il entend des cris et aperçoit, en contrebas, un jeune homme désespérément accroché à quelques branchages. Ce motocycliste, dont une jambe est plâtrée, vient de tomber à l'eau. Robert se précipite et parvient à regagner la berge avec la victime.
Ce sont de bien belles histoires, me direz-vous. Malheureusement, leur fin n'a rien d'un conte de fées. Jenny, enceinte de six mois, ressort en état d'hypothermie. Sa grossesse s'en trouve gravement affectée, les médecins attribuant la responsabilité de cette situation au séjour de Jenny dans l'eau glaciale. À la suite d'un accouchement pénible, Jenny donne naissance à un bébé handicapé des membres inférieurs. Le père de l'enfant abandonne Jenny, âgée de dix-huit ans au moment des faits. Il n'existe, dans l'état actuel des choses, aucune possibilité d'intervenir en faveur de cette jeune femme.
Dans le deuxième cas, Roger, à bout de forces, se noie après avoir ramené l'enfant, laissant ainsi derrière lui une femme et deux enfants pratiquement sans ressources. L'épouse de Roger doit même prendre les frais funéraires à sa charge.
Pour André, l'histoire a aussi très mal tourné. Gravement piétiné, il décède quelques jours plus tard. La plus jeune de ses filles n'acceptera jamais la disparition tragique de son père et sombrera dans la délinquance. Je voudrais, à ce stade de mon intervention, préciser qu'il s'agit de cas vécus.
Robert, enfin, également victime d'une hypothermie, contracte une pneumonie nécessitant la prolongation de son hospitalisation. À la suite de cette incapacité de travail, Robert, âgé de quarante-quatre ans, perd son emploi.
Je pourrais vous citer d'autres faits similaires. J'ai volontairement traité ces histoires de manière neutre, afin d'en atténuer le caractère passionnel. Il est anormal qu'un État aussi avancé que le nôtre sur le plan social ne prenne pas en compte les conséquences, parfois dramatiques, d'actes de courage accomplis par ce que j'appellerais - pour reprendre les termes de la proposition de loi - les sauveteurs occasionnels. Nous pouvons tous le devenir, un jour ou l'autre, que ce soit en nous précipitant dans une maison en flammes ou en plongeant dans l'eau froide, bref, en accomplissant sans réfléchir un acte de courage destiné à sauver autrui.
Il existe, certes, une législation portant sur les victimes d'actes de violence, mais lorsque ces sauveteurs occasionnels - ce n'est heureusement pas fréquent - qui ne sont pas des professionnels ni membres d'organisations ou d'associations visant à assister les personnes en danger, souffrent dans leur chair des conséquences de leurs actes, pourtant extraordinaires sur le plan civique, rien n'est fait pour les aider.
Il n'est pas acceptable non plus - la télévision s'est fait l'écho de ce cinquième cas - qu'un homme d'une cinquantaine d'années, gravement brûlé à la suite de son intervention dans une maison en flammes, soit obligé de dépenser tout son argent et de vendre ses biens pour assumer ses frais pharmaceutiques et d'hospitalisation, ainsi que les indemnités qui lui sont réclamées.
La proposition de loi est venue de cette constatation. Les organisations de terrain nous ont demandé d'intervenir en ce sens et nous avons trouvé un système finalement très simple qui consistait à ajouter une neuvième catégorie à l'article 42 de la loi sur les victimes d'actes de courage, qui permet au ministre de la Justice d'intervenir dans certaines circonstances, notamment pour les sauveteurs professionnels.
Désormais, le ministre de la Justice pourra, dans des cas comme ceux que je viens d'évoquer, octroyer une indemnité dans une série de secteurs, qu'il s'agisse de frais d'hospitalisation, d'une incapacité pour dommages physiques ou moraux - ou hélas aussi de frais funéraires -, ou encore de perte d'une année de scolarité dans le cas d'un jeune sauveteur. Les indemnités éventuelles sont plafonnées à environ 2,5 millions, soit le montant qui s'applique aux victimes d'actes de violence.
Évidemment, cela ne remplace pas la possibilité de recevoir les indemnités des compagnies d'assurance ou d'autres tiers responsables. Il est bien évident que l'État n'est pas une espèce de tirelire qui permettrait aux divers responsables de s'exonérer de la responsabilité financière ; il n'intervient que lorsqu'il n'y a pas de possibilité d'indemnisation ou lorsque les débats en justice sont à ce point longs qu'ils créeraient des problèmes à la personne qui a subi les dommages, auquel cas l'État peut avancer des sommes et être subrogé dans les droits de la victime, lorsque l'affaire obtient un épilogue au tribunal.
Je trouvais la première version de ma proposition de loi plus logique, puisqu'elle augmentait les compétences de la commission qui doit déterminer les modalités d'aide aux victimes d'actes de violence. Elle lui ajoutait une compétence en lui confiant l'aide aux victimes d'actes de sauvetage. Hélas, nous avons rencontré des oppositions assez pénibles, des refus obstinés et un esprit fort peu positif dans le chef de certains ; tous mes collègues s'en sont rendu compte, majorité et opposition confondues.
Le passé est le passé. Nous avons fini par considérer que le plus simple serait de changer le système en laissant au ministre de la Justice la liberté d'intervenir, et le cas échéant de choisir, sur la base des possibilités d'intervention prévues dans la loi, le montant de l'indemnité. C'est un pas extrêmement positif et je me réjouis que le représentant du ministre de la Justice ait estimé, lors de notre dernière réunion sur le sujet, qu'il n'avait plus d'opposition et qu'il partageait pleinement le point de vue de la commission unanime.
Je voudrais également dire ma satisfaction du travail collectif que nous avons accompli et du soutien que tous mes collègues m'ont apporté, tous partis confondus. Je n'ai d'emblée reçu aucun message négatif, tous ont estimé qu'il s'agissait d'une bonne idée et qu'il fallait progresser dans cette voie en trouvant le moyen juridique le plus sérieux et le plus efficace pour aboutir.
Je crois que cette proposition - qui sera sans doute votée à l'unanimité - va honorer le Sénat car elle est profondément humaine. Tout récemment encore, on a relaté le cas - vrai ou faux, je n'étais pas présent - de personnes qui contemplaient sans réagir une mère de famille qui s'était jetée à l'eau pour sauver son fils et qui ne parvenait pas à rejoindre la berge. Il paraît même que certains photographiaient la scène. C'est inacceptable. Notre Code civil comporte une disposition sur l'obligation d'assistance aux personnes en danger de mort.
À partir du moment où l'on oublie l'égoïsme permanent de notre population - tout récemment, un aveugle a failli être piétiné dans la foule -, à partir du moment où un certain nombre de personnes, dans une pulsion finalement irraisonnée et profondément humaine, se précipitent au péril de leur vie pour sauver quelqu'un, sans calcul, sans réfléchir, sans se demander si elles auront ou non une récompense, il s'imposait de tenir compte des conséquences dramatiques éventuelles de leur intervention. Tel est l'objectif de cette proposition qui, tout en étant utile, ne coûtera pas cher à l'État et comblera une lacune dramatique de la législation.
Cette proposition me semble rencontrer le caractère profondément humain auquel nous croyons encore. Il existe encore de nombreux héros anonymes, beaucoup de personnes qui sont capables de risquer leur vie pour autrui. Il faut non seulement les récompenser par une décoration mais, surtout, veiller que cet acte profondément positif ne soit pas une cause de désastre pour eux ou pour leur famille. J'espère que tous mes collègues partageront mon souci d'aider ces personnes et voteront en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Clotilde Nyssens (PSC). - Je voudrais saluer votre courage, monsieur Monfils. Il n'est pas facile de faire passer une proposition en commission de la Justice du Sénat. Il est difficile de faire inscrire une proposition à l'ordre du jour et il faut faire preuve de beaucoup d'énergie pour « pousser » les textes parce que cette commission est souvent encombrée et que les projets de loi passent avant les propositions. Il est évident que lorsque vous avez mis cette proposition à l'ordre du jour, il y a bien longtemps, nous soutenions tous l'idée, au-delà des clivages majorité-opposition.
Cette proposition de loi a suscité des problèmes techniques de compétence. Pendant des mois, on s'est demandé si c'était le ministre de la Justice ou le ministre de l'Intérieur qui était compétent. Mais comment expliquer ces difficultés aux gens ? Ce n'est pas la réponse à leur donner. Les questions de compétence ne les concernent pas ; elles intéressent les politiques, les juristes, ceux qui doivent gérer l'État.
Donc, dès le départ, mon groupe et moi-même, siégeant en commission de la Justice, nous avons pris position en faveur de votre idée. Je ne suis pas convaincue de la perfection du texte. Nous verrons si la Chambre pourra l'améliorer et serons attentifs aux problèmes techniques qui pourraient se poser. Je demeure perplexe pour ce qui est de la technique, mais il est évident qu'il faut poursuivre l'objectif.
Pour ce qui est des auditions, je souhaite que les gens de terrain soient toujours entendus. Ce sont bien les gens de terrain qui nous ont convaincus de la pertinence de votre proposition. Les exemples que vous avez rappelés nous ont persuadés de la nécessité d'encourager ces gestes d'humanité. Je voudrais souligner que, dans tous les dossiers importants, la commission de la Justice entend souvent des gens de terrain mais qu'il ne faudrait pas négliger ceux-ci dans d'autres secteurs.
Permettez-moi de profiter de l'occasion pour établir un lien avec un autre dossier qui me tient à coeur, puisqu'il s'agit du parquet fédéral. J'estime que pour un projet aussi important, on aurait pu entendre aussi les magistrats.
Mon groupe soutiendra sans aucun problème cette importante proposition de loi. Je vous réitère mes remerciements, monsieur Monfils, pour avoir soutenu cette proposition avec autant d'ardeur pendant plusieurs mois en commission. (Applaudissements sur tous les bancs)
-La discussion générale est close.