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M. Philippe Monfils (PRL-FDF-MCC). - Comme beaucoup de collègues, je suis évidemment avec énormément d'intérêt les efforts, souvent couronnés de succès d'ailleurs, du ministre des Affaires étrangères pour, d'une part, lutter pour les droits de l'homme dans les divers pays et, d'autre part, restaurer l'image internationale de la Belgique et, bientôt, amener l'Union européenne à jouer un rôle beaucoup plus important dans divers endroits du monde. Nous savons que les priorités ont déjà été exposées dans les seize points présentés par le premier ministre, notamment le Moyen-Orient et, bien entendu, l'Afrique des Grands Lacs.
C'est cet intérêt passionné et parfaitement justifié du ministre des Affaires étrangères qui m'amène précisément à parler du problème de Chypres.
J'en parle d'autant plus volontiers que je sais que M. Michel est fort intéressé par l'extension de l'Europe en Méditerranée et par l'équilibre, dans le cadre de l'élargissement, entre les pays de l'Est qui se pressent à la porte et certains pays du Sud dont, me semble-t-il, l'entrée dans l'Union européenne est essentielle à cet équilibre, non seulement au niveau économique mais surtout au niveau de la diversité des civilisations.
Le jeudi 16 novembre 2000, le Sénat votait à l'unanimité une résolution sur Chypre demandant, entre autres choses, au gouvernement d'inscrire la problématique chypriote à l'ordre du jour de la présidence belge de l'Union européenne. Lors des discussions en commission comme en séance publique, le gouvernement avait marqué son accord sur ce point de vue. Nous sommes au mois de mai et le début de cette présidence se rapproche. Je voudrais souligner quelques éléments qui me semblent importants pour la préparation de ce dossier et mettre en évidence l'opportunité et même l'intérêt de la Belgique à s'occuper du dossier chypriote.
Tout d'abord, monsieur le ministre, les pourparlers de proximité organisés sous l'égide des Nations unies en vue de trouver une solution au problème chypriote sur la base des résolutions de l'ONU sont au point mort. Ce processus a débuté en décembre 1999 et un cinquième cycle de discussion a encore eu lieu en novembre 2000. Depuis, c'est le blocage complet des négociations, une des parties, les dirigeants de la communauté chypriote turque, refusant en effet de continuer toute forme de négociation avant que ses revendications ne soient acceptées, en l'occurrence la reconnaissance pure et simple de l'existence d'un État chypriote turc. Malgré les efforts de l'ONU et les tentatives des États-Unis, il est difficile de faire pression pour que les pourparlers de proximité reprennent.
Cela m'amène à évoquer le pays qui, ne nous le cachons pas, détient la clef du problème chypriote, à savoir la Turquie. Seule la Turquie pourrait exercer une pression sur les dirigeants de la communauté chypriote turque pour que ceux-ci acceptent de négocier et de trouver une solution acceptable au problème chypriote.
(Voorzitter: mevrouw Sabine de Bethune, eerste ondervoorzitter.)
Pourquoi le ferait-elle ? D'une part, parce que les relations bilatérales avec la Grèce s'améliorent nettement. Des accords bilatéraux ont été signés et ratifiés entre les deux États, la Turquie a annoncé son intention de reporter certains programmes d'armements et, le 6 avril dernier, un accord a été conclu sur le déminage de la frontière commune. D'autre part, parce que la Turquie, depuis le Sommet d'Helsinki, a le statut de candidat à adhérer à l'Union européenne.
Dans cette optique, un partenariat d'adhésion faisant référence à Chypre a été adopté et des réformes internes vont devoir être mises en oeuvre en Turquie. En un mot, la Turquie pourrait faire un effort en ce qui concerne la problématique chypriote car, dans le cadre de sa candidature à l'Union européenne, il est dans son intérêt d'agir de la sorte. Je crois qu'il serait bon que l'Union européenne souligne clairement et rapidement cet aspect des choses à la Turquie. Je crois aussi qu'il convient de se montrer très ferme à l'égard de la Turquie, qui a récemment menacé Chypre d'annexion si elle devenait membre de l'Union européenne. C'est une attitude qui n'est pas acceptable, ni sur le plan du droit international, ni de la part d'un pays qui a statut de candidat à adhérer à l'Union européenne. Ce serait d'ailleurs une triste première dans l'histoire internationale récente que de voir un pays européen purement et simplement annexé par une autre État et de voir l'Union européenne assister sans réagir à ce véritable acte de guerre. C'est la Turquie qui a carrément menacé d'annexer la partie nord de Chypre, alors même que ce pays a demandé et obtenu le statut de candidat à l'entrée dans l'Union européenne.
Au sein de l'Union européenne, alors qu'il n'y a encore que quelques années on n'envisageait même pas la possibilité que Chypre devienne membre, les avis convergent maintenant pour dire que la solution au problème n'est pas un pré-requis pour l'adhésion - ce principe fut consacré au Sommet d'Helsinki - et pour considérer que la solution au problème doit se baser sur les résolutions de l'ONU. Beaucoup de délégations nationales des 15 États membres se sont rendues à Chypre ces derniers temps et je suis heureusement étonné de constater pour ce dossier l'existence d'une convergence de vue quasiment jamais atteinte au sein de l'Union européenne sur une problématique internationale d'importance. Je crois que si cette convergence de vue se confirme, il y a là une grande opportunité d'action pour l'Union européenne de s'affirmer, pour une des premières fois, comme acteur diplomatique à part entière sur la scène internationale.
Les États-Unis sont également favorables à une réunification de Chypre sur la base des résolutions de l'ONU. Soixante-deux membres du Congrès ont d'ailleurs récemment adressé une lettre à M. Bush allant dans ce sens. De même, le secrétaire d'État Colin Powell a affirmé le 11 avril dernier, à l'issue d'une rencontre avec M. Kasoulides, ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre, que les États-Unis espèrent que le processus d'adhésion de Chypre pourra servir de support à l'entrée de Chypre réunifiée dans l'UE. Il s'agit d'une région où leur intérêt passe par la stabilité. Les États-Unis sont à la fois partenaires des Grecs et des Turcs au sein de l'OTAN, où la Turquie représente une position stratégique. Les États-Unis doivent donc ménager les susceptibilités des uns et des autres, limitant ainsi leur possibilité d'action. Les initiatives américaines se concentrent donc sur le processus des pourparlers de proximité dans le cadre des résolutions de l'ONU. Je ne crois pas qu'ils puissent, pour l'instant, aller beaucoup plus loin. Mais nous pouvons aller beaucoup plus loin.
Il semble aussi que le peuple chypriote turc du nord soit de plus en plus fatigué de la situation actuelle. Il préférerait pouvoir également profiter de l'adhésion et de son aide structurelle et financière pour les régions les plus pauvres, plutôt que de dépendre d'une aide économique d'Ankara qui lui permet de survivre mais pas de se développer.
Enfin, la Belgique qui entretient de bonnes relations avec la Grèce, la Turquie et Chypre, qui possède une structure fédérale intéressante pour Chypre et une ingénierie constitutionnelle remarquable va exercer sa présidence européenne dans le contexte que je viens de décrire.
Je crois qu'il existe une réelle opportunité s'offrant à nous pour essayer de faire bouger ce dossier. Ce serait une belle victoire diplomatique de l'Union européenne si elle pouvait prendre une initiative importante dans le cadre d'un problème international sensible et proche de nous. Chypre est une région bien connue d'une série de Belges qui y passent leurs vacances. Ce n'est pas le bout de monde puisqu'il se trouve à quelques heures d'avion. Il s'agit de la Méditerranée orientale où la stabilité représente un enjeu stratégique d'importance pour l'Europe et pour le monde. À ce titre, comme votre visite au Proche Orient qui était essentielle, je pense qu'il conviendrait également d'organiser une visite à Chypre - je crois d'ailleurs qu'une telle visite est déjà prévue dans le cadre du tour effectué par le gouvernement belge de toutes les capitales des pays candidats à l'Union européenne - en s'intéressant particulièrement au rôle que l'Union européenne et la présidence belge peuvent et doivent jouer dans la résolution du conflit chypriote.
Je pense que réussir à faire un pas vers la solution de ce conflit serait un acte que l'ensemble des pays européens porterait au crédit de la Belgique et pour lequel l'ensemble du Sénat et de la Chambre vous remercierait.
M. François Roelants du Vivier (PRL-FDF-MCC). - Je viens de passer une dizaine de jours à Chypre, ce qui m'a permis de rencontrer un certain nombre de responsables politiques, dont un membre influent du gouvernement.
Dans ce contexte, je voulais appuyer ce qui a été dit par M. Monfils, notamment le fait que Chypre attend une initiative de la part de la future présidence belge. Nous n'avons peut-être pas les facilités que d'autres pays ont sur place puisque nous n'avons pas pour l'instant d'agent diplomatique à Nicosie. C'est notre ambassadeur au Liban qui est chargé de veiller à nos intérêts et de suivre l'actualité chypriote.
Je pense néanmoins que nous sommes à un moment important pour prendre une initiative, en premier lieu parce que, comme l'a dit M. Monfils, les Quinze sont parvenus à un consensus rarement atteint en ce domaine. Je voudrais toutefois ajouter deux éléments complémentaires : d'une part, des élections auront lieu à Chypre le 27 mai, ce qui entraînera un renouvellement du paysage politique et du gouvernement ; d'autre part - cela m'a été confirmé par un ministre chypriote - la situation économique se dégrade au nord de l'île, amenant un flot inhabituel de réfugiés vers la partie grecque et, chose nouvelle par rapport aux situations antérieures, on observe des symptômes de malnutrition parmi les réfugiés. On assiste donc en même temps à une dégradation de la situation économique et de la situation sanitaire.
C'est pourquoi il est important de pouvoir rencontrer le défi de Chypre qui est un enjeu au niveau politique et économique à la fois à l'échelon européen et du Proche-Orient. J'espère donc que des initiatives pourront être prises par la présidence belge et par vous-même, monsieur le ministre, si vous avez l'occasion de vous rendre dans ce pays.
M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - L'élargissement de l'Union européenne fait partie des principales priorités de la présidence belge. Chypre, en tant que pays candidat à l'adhésion, figure donc parmi ces priorités. Elle recevra dès lors toute l'attention requise dans ce contexte.
Vous faites référence aux pourparlers de proximité organisés sous l'égide des Nations unies. Il est exact que les discussions sont au point mort depuis le mois de novembre dernier. Néanmoins, tant les Chypriotes grecs que les Chypriotes turcs considèrent que la mission de « bons offices » du secrétaire général des Nations unies reste le meilleur cadre pour trouver une solution à la question chypriote qui dure déjà depuis plus de 37 ans.
Étant donné l'isolement des Chypriotes turcs sur la scène internationale, l'Union européenne a déjà fait appel à maintes reprises au partenaire turc pour encourager les Chypriotes turcs à revenir à la table des négociations. Cela semble avoir porté ses fruits. Lors d'une visite à mes services, le 27 avril dernier, une délégation de Chypriotes turcs a dit son intention de tout mettre en oeuvre pour mener rapidement à bien les pourparlers dans le cadre des Nations unies et pour pouvoir également participer à temps aux négociations d'adhésion de Chypre à l'Union européenne. Je me dois d'ajouter que le rapprochement gréco-turc n'est pas étranger à ce changement d'attitude.
La Belgique, grâce à un système fédéral basé sur le respect mutuel et l'égalité de tous les partenaires, a développé une sensibilité particulière pour le problème constitutionnel de Chypre. D'éminents experts constitutionnels ont d'ailleurs déjà apporté leur appréciable contribution au processus de réflexion sur la question.
Grâce aux bonnes relations que la Belgique entretient avec les deux parties chypriotes ainsi qu'avec la Grèce et la Turquie, nous pourrons, pendant notre présidence, contribuer sans parti pris à préparer le terrain pour l'adhésion à l'Union d'une île réunifiée. Quelle sera exactement l'aide de la Belgique ? Cela dépendra de la volonté politique de chaque partie.
J'aurai l'occasion de m'entretenir de ces différentes questions le 16 mai avec M. Kasoulides, le ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre.
Il est bien évident que, d'une part, la Belgique soutient l'entrée de Chypre dans l'Union européenne dès que les négociations d'adhésion auront été menées à bien et que, d'autre part, la solution au problème chypriote doit être trouvée dans l'application du principe fondé sur une fédération bizonale et bicommunautaire.
Il est bien évident que je retiens vos deux suggestions et que je prendrai les dispositions nécessaires pour les faire exécuter. Je suis tout à fait disposé à aller en visite à Chypre. C'est une bonne idée surtout pendant notre présidence. En outre, je vais effectivement nommer un représentant chargé des contacts préalables à une réunion des parties chypriotes.
M. Philippe Monfils (PRL-FDF-MCC). - Je remercie le ministre des Affaires étrangères de donner suite à nos suggestions. Je constate aussi qu'il est partisan de l'application des résolutions de l'ONU sur la base d'une fédération bizonale et bicommunautaire.
Cependant, la situation de Chypre est fondamentalement différente de celle de notre pays. À Chypre, une partie du pays est occupée et ne peut dès lors revendiquer une autonomie à part entière ni une égalité par rapport à la partie sud. Par contre, notre ingénierie constitutionnelle sans limite - nous le prouvons encore ces derniers temps - peut contribuer à dégager des pistes et à lever des blocages. Cela me paraît essentiel que Chypre entre dans l'UE, même telle qu'elle est. L'ensemble des ministres européens semble incliner en ce sens. Il importe aussi que la Belgique s'efforce d'avancer dans la solution de ce problème. Si elle parvenait à débloquer la situation pendant la présidence de l'Union, ce serait un extraordinaire résultat qui renforcerait l'aura de la Belgique. Je suis d'ailleurs sûr que cet aura sera à son apogée à la fin de la présidence.
-Het incident is gesloten.