2-703/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2000-2001

23 MARS 2001


Proposition de loi complétant le Code des impôts sur les revenus 1992 en ce qui concerne le soutien de la production d'oeuvres audiovisuelles

(Déposée par M. Philippe Monfils)


DÉVELOPPEMENTS


Notre pays compte de grands talents dans le monde de la création audiovisuelle. Les récents succès internationaux de réalisations cinématographiques belges en sont une preuve indéniable. Malgré ce talent et le potentiel évidents, il reste toujours difficile de trouver chez nous des investisseurs pour financer la production d'oeuvres audiovisuelles. Des instruments publics d'aide à la création audiovisuelle existent bel et bien et sont mis en oeuvre par les communautés en ce qui les concerne puisqu'elles sont compétentes pour les matières culturelles. Des aides régionales sont aussi organisées. Les efforts doivent maintenant se porter au niveau fédéral.

Le but de la présente proposition de loi est donc de compléter les instruments existants au niveau communautaire et régional par un mécanisme fédéral d'incitation fiscale à l'investissement dans la production d'oeuvres audiovisuelles.

Il est important de souligner que ce type de mécanisme est conforme au droit européen de la concurrence. En effet, le 23 novembre 2000, le Conseil Culture a politiquement approuvé une résolution sur le cinéma européen qui pose deux grands principes (Journal Officiel nº C/73 du 6 mars 2001) :

a) les États membres sont fondés à mener des politiques nationales de soutien à la création;

b) les aides nationales peuvent contribuer à l'émergence d'un marché audiovisuel européen.

Cette résolution est très importante car elle marque une rupture avec la politique menée par les services de la concurrence de la Commission qui avaient tendance à subordonner l'autorisation des aides au cinéma au caractère « européen » des films à soutenir (capitaux et artistes d'au moins trois nationalités). L'idée des plafonds en pourcentage du coût du film concerné qu'entendaient fixer les services de la concurrence n'a pas non plus été retenue. En un mot la plus grande liberté est accordée aux États pour développer et mettre en oeuvre les aides nationales au cinéma et à l'audiovisuel car, selon cette résolution, elles « constituent l'un des moyens principaux d'assurer la diversité culturelle ». On ne pourrait être plus clair.

D'autres pays européens ont déjà développé des mécanismes d'incitation fiscale. Nous pouvons citer par exemple les CIAV (certificat d'investissement audiovisuel) au Luxembourg et la Section 35 of the Finance Act en Irlande. Il s'agit aussi de « petits » pays où les mécanismes mis en place ont donné des résultats positifs.

Pour doter la Belgique de l'outil incitatif le plus performant possible, les principaux systèmes européens et leurs évolutions ont été analysés dans le but évident d'éviter de commettre des erreurs pouvant entraîner des dysfonctionnements et des dérives.

Le système proposé pour la Belgique tient compte des réalités qui existent à l'heure actuelle dans notre pays, des difficultés et caractéristiques générales inhérentes à l'investissement dans la production audiovisuelle et cinématographique et a été développé pour qu'il s'inscrive en complément des instruments de soutien existants tant au niveau régional que communautaire.

Outre l'intérêt général qui demande d'encourager et d'assurer la pérennité de la production belge des oeuvres audiovisuelles et cinématographiques ainsi que de réaliser le potentiel créatif qui existe dans notre pays, l'activité de production d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques est un secteur qu'il est important de développer car il est créateur d'emplois. On ne se rend pas toujours bien compte du nombre de compétences différentes nécessaires à la réalisation d'un film (en plus de tous les aspects créatifs, il y a aussi les nombreux aspects techniques et logistiques). Le développement du secteur de la réalisation audiovisuelle et cinématographique peut donc concrètement entraîner des répercussions positives directes en termes de création d'emplois dans différents secteurs d'activités. Dans le cadre du système proposé, 150 % des sommes investies devront donc être dépensées en Belgique.

Les entreprises du secteur de la production d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques sont majoritairement des PME affectées d'une sous-capitalisation structurelle. Une mise en oeuvre de financements adaptés grâce à l'instrument proposé permettrait le développement de leurs activités.

On estime que pour la production nationale annuelle évaluée, par exemple, à dix longs métrages ayant un accès prédictible au marché et susceptibles d'être en conséquence amortis, l'incitation fiscale devrait permettre de lever une masse financière additionnelle allant de 240 à 360 millions de francs par an. En effet, chaque production de ce type coûte entre 60 et 90 millions de francs et le système proposé cherche à financer jusqu'à 40 % du budget total de réalisation. Il est clair que l'objectif de la présente proposition de création d'un mécanisme d'incitation fiscale, est de soutenir la production d'oeuvres audiovisuelles en concentrant les fonds sur les phases de développement et de production de manière à concourir au succès de ces oeuvres et par conséquent d'assurer un retour sur investissement.

Seules les oeuvres audiovisuelles belges agréées peuvent bénéficier du système. Il appartient bien entendu aux services compétents de la communauté concernée d'agréer une oeuvre en fonction des critères définis dans la présente proposition de loi.

Le mécanisme de déduction en tant que tel se base sur un système existant qui est défini au titre III, chapitre II, section 3, article 194 du Code des impôts sur les revenus 1992. Dans le contexte de la conclusion d'une convention-cadre, 50 % des bénéfices d'une entreprise, à concurrence d'un maximum de 30 millions de francs (743 680 euros), peuvent être investis dans la production d'une oeuvre audiovisuelle agréée. Cet investissement fait l'objet d'une exonération de l'impôt sur les bénéfices s'il est effectué dans un délai de deux ans. L'investissement ne peut excéder 40 % du budget des dépenses globales de l'oeuvre audiovisuelle concernée et se réalise sous une forme décidée par les parties (prêt, prise de participation ou autre).

Ce système offre une grande souplesse et une réelle opportunité de contribuer au développement du secteur de la production d'oeuvres audiovisuelles.

Une dernière remarque concerne la nécessité de développer le travail d'intermédiaire entre le monde des entreprises et celui des auteurs, réalisateurs et producteurs. Ceci est d'autant plus important que la complexité institutionnelle belge et européenne amène inévitablement les professionnels du cinéma à s'adresser à des « guichets » différents : régions, communautés, État fédéral, Union européenne via la Banque européenne d'investissement ­ BEI ­ et le programme Media, ou encore le fonds Eurimages du Conseil de l'Europe.

Pour assurer la bonne réussite du mécanisme proposé, il faut que les investisseurs potentiels, les entreprises, et les producteurs d'oeuvres audiovisuelles, les créateurs, puissent aisément prendre contact les uns avec les autres et développer des partenariats utiles et efficaces. La fonction de conseiller, exercée de manière indépendante comme au sein des organismes financiers, devrait ainsi voir le jour. Le profil de ces conseillers allierait la connaissance des mécanismes d'investissement et la connaissance du monde de l'audiovisuel.

Philippe MONFILS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Le titre III, chapitre II, section 3, du Code des impôts sur les revenus 1992 est complété par une sous-section 4, comprenant un article 194ter, libellé comme suit :

« Sous-section 4 : Entreprises investissant dans une convention-cadre portant sur des oeuvres audiovisuelles

Art. 194ter. ­ § 1er. Dans les entreprises qui concluent, en Belgique, une convention-cadre destinée à la production d'oeuvres audiovisuelles, sont exonérées les sommes affectées, par prélèvement sur les bénéfices annuels, à la constitution d'une provision, dans la mesure où elles ne dépassent pas 50 % des bénéfices imposables à l'impôt des sociétés, ou un maximum de 743 680 euros, dans le chef des entreprises.

L'exonération n'est maintenue que si la provision, constituée à la date de clôture d'un exercice comptable déterminé, est investie, dans un délai expirant deux ans après cette date dans une convention-cadre destinée à la production d'oeuvres audiovisuelles et répondant aux conditions ci-après énumérées.

§ 2. La convention-cadre visée au § 1er mentionne obligatoirement ce qui suit :

1º l'identité et l'objet social de la société investisseuse;

2º l'identité de la société résidente de production audiovisuelle;

3º la valeur nominale de l'investissement visé au § 1er et la nature juridique de celui-ci. Cet investissement ne peut pas excéder 40 % du budget des dépenses globales de l'oeuvre audiovisuelle concernée. Il peut être réalisé sous forme d'un prêt, d'une prise de participation dans la société résidente de production audiovisuelle, ou sous toute autre forme juridique à préciser;

4º la rémunération de l'investissement consenti. Cette rémunération, fixée conventionnellement, est fonction du résultat dégagé de l'exploitation de l'oeuvre;

5º les dates et montants respectifs de la libération des capitaux investis, qui peut être effectuée en plusieurs étapes dans un délai maximum de trois ans à compter de la date de la convention-cadre;

6º l'engagement de la société résidente de dépenser en Belgique 150 % du montant investi.

Sont considérées comme des dépenses effectuées en Belgique, les charges d'exploitation et les charges financières productives de revenus professionnels dans le chef de personnes physiques assujetties à l'impôt des personnes physiques ou dans le chef des sociétés résidentes, à l'exclusion des frais visés à l'article 57, qui ne sont pas justifiées par la production de fiches individuelles et un relevé récapitulatif, des frais visés à l'article 53, 9º et 10º, ainsi que de tout autre frais qui n'est pas engagé aux fins de production ou d'exploitation de l'oeuvre agréée.

§ 3. Par société résidente de production audiovisuelle, on entend les sociétés résidentes et pleinement imposables qui ne sont liées à aucune entreprise belge ou étrangère de télédiffusion et dont l'objet social est le développement et/ou la production d'oeuvres audiovisuelles.

§ 4. Par oeuvre audiovisuelle belge agréée, on entend l'oeuvre audiovisuelle agréée comme telle par les services compétents de la communauté concernée, conformément aux critères visés ci-dessous :

1º être une oeuvre de fiction cinématographique, télévisuelle, un film documentaire ou un film d'animation non destinés et non utilisés à des fins publicitaires;

2º avoir une durée de cinquante minutes au moins en une seule projection, sauf s'il s'agit d'une oeuvre d'animation.

§ 5. En cas d'inexécution ou d'inobservation de l'une ou l'autre des conditions visées aux §§ 2 à 4, la partie non investie de la provision est considérée comme un bénéfice imposable de l'exercice comptable pendant lequel la condition aurait dû être remplie. »

Philippe MONFILS.