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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 8 MARS 2001 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Jean Cornil au ministre des Finances sur «l'absence de taxation des plus-values boursières» (n° 2-529)

M. Jean Cornil (PS). - Ces dix dernières années, la croissance des valeurs boursières a été colossale ; des profits faciles et rapides ont pu être engrangés par l'achat et la vente de ces valeurs mobilières. Comme on le sait, dans ce jeu d'échange, la part spéculative est considérable.

Or, d'après mes informations, depuis 1992, les plus-values réalisées échappent quasi totalement à l'impôt. Notre système fiscal ne permet pratiquement pas aux autorités publiques d'opérer le moindre prélèvement sur ces gains et par là, la moindre redistribution.

Le Code des impôts sur les revenus a même été modifié pour permettre aux sociétés de bénéficier de cette exonération.

À l'heure où l'on souhaite, légitimement, réduire la pression fiscale sur le travail, et où cependant certains besoins de la collectivité sont loin d'être rencontrés, le fait qu'une masse financière de centaines de milliards - 1200 milliards pour l'exercice 1999, si je suis bien informé - soit totalement immunisée a quelque chose d'autant plus choquant que des opérations donnant de tels résultats pourraient ne plus se reproduire dans les prochaines années - je pense à la restructuration d'un certain nombre de grands groupes industriels. La modification de l'article 192 du Code des impôts sur les revenus représenterait, pour 1999, un manque à gagner de près de 500 milliards pour l'État.

M. le Ministre pourrait-il faire le point sur cette question pour l'année 2000 ? Je ne suis pas naïf, mais je sais que dans le contexte économique actuel, une reprise de la taxation sur ce type de profits pourrait donner lieu à un second cadeau fiscal. Je voudrais connaître l'avis du ministre car il s'agit, en l'occurrence, de masses budgétaires gigantesques.

M. le ministre peut-il m'indiquer si au cours de ces dernières années, l'administration fiscale a pu effectuer les contrôles nécessaires afin de garantir la régularité des opérations réalisées, notamment par rapport à la loi sur le blanchiment ?

Enfin, d'après mes informations, une telle taxation existerait en France, dans la fiscalité relative aux sociétés. Il semblerait même que l'actuel gouvernement français vienne d'augmenter le taux de l'impôt.

M. Didier Reynders, ministre des Finances. - Comme vous, monsieur Cornil, j'ai pris connaissance d'un certain nombre de chiffrages qui ont été diffusés dans les médias. Je suis toujours émerveillé de constater la capacité de certains membres de mon administration à calculer de manière précise le rendement qui aurait pu être celui d'un impôt qui n'existe pas, à propos d'une base taxable qu'il n'est pas toujours facile d'apprécier, alors qu'au même moment, il semble très difficile d'envoyer dans les délais les avertissements-extraits de rôle à l'impôt des personnes physiques ou de rembourser dans les temps des montants payés à tort par certains contribuables en matière de taxes de circulation ! Comme je l'ai déjà dit dans des assemblées parlementaires, jusqu'à présent, on n'arrivait pas, par exemple, à me donner le montant exact de récupérations encaissé par la Trésorerie de l'État dans certains dossiers de fraude fiscale !

Je prendrai connaissance - avec ravissement ! - des différentes évaluations le jour où elles me seront officiellement communiquées ! Je suis toujours frappé de constater l'écart qui existe entre l'extraordinaire capacité à calculer des montants sur un impôt inexistant et l'incapacité à me fournir des chiffres non pas sur des impôts mais sur des recettes à encaisser.

Cela dit, nous ne disposons pas encore des chiffres relatifs à l'année 2000.

Pour ce qui est des moins-values et des plus-values sur actions, j'ai demandé au Conseil supérieur des Finances d'intégrer cette problématique dans son analyse concernant la réforme de l'impôt des sociétés. J'espère disposer, d'ici un mois, de son rapport final, sur la base duquel j'ouvrirai une large discussion - en commençant par les partenaires sociaux - sur la capacité de réduire le taux nominal de l'impôt des sociétés, moyennant une compensation réalisée dans le cadre d'un certain nombre de mécanismes d'exemption et d'exonération.

Je voudrais simplement vous rendre attentif à un point. Si l'on envisageait une fiscalisation des plus-values, voire des moins-values, puisque vous avez évoqué cet aspect également, il faudrait bien entendu tenir compte, sous forme de déduction, des moins-values constatées ou réalisées, ce qui, dans le climat boursier actuel, suscite chez moi une certaine crainte. En effet, je n'ai pas participé à la décision prise au début des années nonante, lorsque le gouvernement - qui est à l'origine de la situation que vous décriviez - a choisi la voie de l'immunisation totale des plus-values. Si l'on devait prendre le chemin inverse, je n'aimerais pas que, d'ici quelques mois ou quelques années, un parlementaire me demande pourquoi, après avoir permis, pendant une aussi longue période, d'immuniser les opérations de plus-value, j'ai autorisé les entreprises - peut-être d'ailleurs les mêmes - à déduire d'importantes moins-values.

Prenons comme exemple le secteur des télécommunications. Voyez, d'une part, les profits réalisés, ces dernières années, notamment au travers des plus-values sur actions et, d'autre part, la situation que nous connaissons actuellement. Si l'on devait, de manière abrupte, inverser la mécanique, nous aurions non seulement connu une immunisation des plus-values pendant une décennie en fonction d'une décision prise au début des années nonante, mais nous serions en outre confrontés aujourd'hui à l'obligation d'acter des moins-values, donc des recettes fiscales moindres, au travers de réductions de valeurs.

Cela étant, ce débat sera donc ouvert dès le mois d'avril, comme, d'ailleurs, beaucoup d'autres, portant sur la technique d'amortissement dans les entreprises, sur les revenus définitivement taxés et sur bien d'autres sujets encore.

Depuis que nous avons lancé l'idée d'une réforme de l'impôt des sociétés, un nouveau jeu - pas très compliqué, puisqu'il consiste à me donner un chiffre entre 0 et 40 - est assez largement pratiqué. Quel serait, à l'avenir, le pourcentage idéal de l'impôt des sociétés ? Le chiffre actuel est de 40,17. Il suffit donc de choisir un chiffre de 0 à 40 pour m'indiquer où nous devrions nous situer.

Par contre, en parallèle, je reçois peu de propositions précises concernant les compensations, destinées à rendre l'opération neutre.

Les vérifications sont, quant à elles, essentiellement effectuées par l'ISI, l'Inspection spéciale des impôts. Cette instance a été, à la fin des années nonante, amenée à procéder à des impositions pour contrer le phénomène dit des sociétés cash ou de liquidités, ainsi que d'autres constructions basées sur l'utilisation, abusive, cette fois, des exonérations reprises à l'article 192 du Code sur les impôts des revenus 1992.

En ce qui concerne, plus particulièrement, les sociétés de liquidités, une statistique établie au 31 octobre 2000 montre que des suppléments de revenus imposables ont été établis à concurrence de 15,25 milliards, et des impôts enrôlés, pour 11,820 milliards. Je voudrais, à cet égard, signaler que des dénonciations en justice ont régulièrement accompagné ces redressements fiscaux.

En conclusion, je vous dirai, d'une part, que toutes les mesures sont prises pour vérifier que la décision datant du début des années nonante est correctement appliquée. Si abus il y a, l'Inspection spéciale des impôts intervient. Vous avouerez que le chiffre de 11 milliards, qui correspond, je le rappelle, aux impôts enrôlés, est loin d'être insignifiant.

En ce qui concerne la problématique des plus-values, comme bien d'autres thèmes liés aux sociétés, il faut, comme je l'ai dit, prendre en compte les conséquences complètes d'une nouvelle mesure. Que se passerait-il en termes de réduction de valeurs ? Par ailleurs, cet élément doit être intégré dans le débat sur l'impôt des sociétés, débat qui s'ouvrira donc dès le mois d'avril, sur la base du rapport du Conseil supérieur des Finances. Nous reviendrons sur ce thème et sur d'autres dans le cadre de cette concertation.

M. Jean Cornil (PS). - Je remercie le ministre de ces précisions. Je me réjouis évidemment qu'il ait intégré cette problématique de la taxation sur les plus-values boursières dans le cadre de la réforme générale de l'impôt des sociétés.

Par contre, monsieur le ministre, vous ne m'avez pas répondu sur le problème éventuel au niveau européen. Un des arguments avancés est la délocalisation. J'aurais aimé savoir si cette question était prise en compte par les groupes de réflexion sur une harmonisation fiscale européenne. Il semble que la philosophie même de la taxation soit très différente entre le nord et le sud de l'Europe.

M. Didier Reynders, ministre des Finances. - Les négociations actuellement en cours au niveau européen concernent ce que l'on appelle le paquet fiscal dont fait partie le code de conduite, c'est-à-dire un certain nombre de pratiques considérées comme dommageables en matière de concurrence, notamment entre les fiscalités liées aux entreprises. Les mesures relatives aux plus-values n'ont pas été considérées comme des pratiques dommageables pour la Belgique.

Cependant, nous progressons dans la négociation sur le code de conduite. Comme je l'ai déjà souligné dans cette assemblée, un certain nombre de mesures devront faire l'objet de réaménagements, en tout cas d'ici la fin de leur période d'application, c'est-à-dire le 31 décembre 2005. Il s'agit notamment du débat sur les centres de coordination ou d'autres mécanismes proches. La problématique des plus-values ne fait pas partie de cet ensemble et ne fait donc pas l'objet d'un débat européen spécifique.