2-465/4

2-465/4

Sénat de Belgique

SESSION DE 2000-2001

6 MARS 2001


RÉVISION DE LA CONSTITUTION


Révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité

Révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer une disposition relative au droit des femmes et des hommes à l'égalité et favorisant leur égal accès aux mandats électifs et publics

Révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR MMES VAN RIET ET de T' SERCLAES


SOMMAIRE


  1. Introduction
  2. Aperçu de la situation et finalité des propositions
    1. Exposé de la vice-première ministre et ministre de l'Emploi, chargée de l'Égalité des chances (proposition du gouvernement nº 2-465/1)
    2. Exposé de l'auteur principale de la proposition nº 2-483/1
  3. La première réaction parlementaire : positive
  4. Auditions des professeurs P. Lemmens (KU Leuven), M. Uyttendaele (ULB), J. Velaers (Universiteit Antwerpen (UFSIA) - KUB) et M. Verdussen (UCL)
    1. Contributions universitaires
      1. Exposé de M. P. Lemmens, professeur extraordinaire à la KU Leuven
      2. Exposé de M. M. Uyttendaele, professeur ordinaire à l'ULB
      3. Exposé de M. M. Verdussen, professeur à l'UCL
      4. Note écrite de M. J. Velaers, professeur à la Universiteit Antwerpen (UFSIA) et chargé de cours à temps partiel à la KUB
    2. Échange de vues
      1. Proposition du gouvernement : alinéa 1er, première phrase : « Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti »
      2. Possibilité de contrôle de la disposition proposée par le juge
      3. Portée de la déclaration de révision de la Constitution de 1999
      4. Place de l'article nouveau dans la Constitution : article 10bis, article 11 ou article 11bis
      5. Égalité d'accès aux mandats électifs et publics
      6. Composition des gouvernements : applicabilité de la proposition du gouvernement
      7. Nécessité d'une disposition transitoire
  5. Examen quant au fond
    1. Réunion du 1er février 2001
      1. Exposé de la vice-première ministre et ministre de l'Emploi, chargée de l'Égalité des chances
      2. Discussion
    2. Réunion du 8 février 2001
      1. Projet d'amendement proposé par le groupe de travail ad hoc
      2. Discussion
        1. Place de l'article
        2. Portée de la déclaration de révision de la Constitution
        3. Formulation
    3. Réunion du 15 février 2001
      1. Amendement nº 19
      2. Discussion
        1. Article 10, alinéa 3
        2. Article 11bis
          b.1. Article 11bis, alinéa 2 : représentation égale des femmes et des hommes
          b.2. Article 11bis, alinéa 2 : portée de la déclaration de révision de la Constitution
          b.3. Article 11bis, alinéas 3 et 4 : formulation
          b.4. Effets de l'entrée en vigueur de la révision de la Constitution et compétence de la Cour d'arbitrage
  6. Votes
    Annexe : Vue d'ensemble des avis donnés par les quatre constitutionalistes

I. INTRODUCTION

Le 8 juin 2000, le gouvernement a déposé une proposition de révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer une disposition relative au droit des femmes et des hommes à l'égalité et favorisant leur égal accès aux mandats électifs et publics (doc. Sénat, nº 2-465/1).

Le 21 juin 2000, Mme de Bethune et consorts ont déposé une proposition similaire intitulée proposition de révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité (doc. Sénat, nº 2-483/1).

La commission des Affaires institutionnelles a examiné les deux propositions les 23 novembre et 7 décembre 2000 et les 18 janvier, 1er, 8 et 15 février 2001. Tant Mme Onkelinx, vice-première ministre et ministre de l'Emploi, chargée de la Politique de l'égalité des chances, en sa qualité de représentante du gouvernement, que Mme de Bethune ont participé aux discussions.

Trois dates de réunions méritent une attention particulière.

­ Le 7 décembre 2000, la commission a recueilli les avis de quatre constitutionnalistes, à savoir les professeurs P. Lemmens (KU Leuven), M. Uyttendaele (ULB), J. Velaers (UA/UFSIA ­ KUB) et M. Verdussen (UCL). Les avis portaient surtout sur la technique juridique.

­ Le 1er février 2001, la commission a chargé un groupe de travail ad hoc de rédiger un projet d'amendement collectif en vue de la réunion du 8 février 2001.

­ Le 15 février 2001, la commission a adopté en l'amendant la proposition de révision déposée par le gouvernement.

Le rapport qui vous est soumis a été approuvé le 6 mars 2001. Il retrace dans l'ordre chronologique les discussions de la proposition du gouvernement comme de celle de Mme de Bethune et consorts. Le lecteur pourra suivre ainsi le cheminement qui fut celui de la commission dans sa recherche d'une formulation et d'une insertion adéquates du principe de l'égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution.

II. APERÇU DE LA SITUATION ET FINALITÉ DES PROPOSITIONS

A. EXPOSÉ DE LA VICE-PREMIÈRE MINISTRE ET MINISTRE DE L'EMPLOI, CHARGÉE DE LA POLITIQUE DE L'ÉGALITÉ DES CHANCES (PROPOSITION DU GOUVERNEMENT Nº 2-465/1)

La ministre se réjouit que la commission des Affaires institutionnelles se penche sur un texte qui importe au gouvernement, puisqu'il s'agit d'une proposition de révision de la Constitution destiné à affirmer le principe de l'égalité des femmes et des hommes de manière expresse et à favoriser leur égal accès aux mandats électifs et publics.

Le principe d'égalité de tous les Belges devant la loi est consacré par l'article 10, alinéa 1er, de la Constitution. Ainsi que le Conseil d'État l'a souligné, ce principe contient le principe de l'égalité des femmes et des hommes.

Pourtant, les inégalités demeurent une constance et ce, dans tous les domaines : vie sociale, culturelle, économique et politique.

L'obligation d'inscrire un article nouveau relatif au droit à l'égalité des femmes et des hommes dans la Constitution, ou toute autre disposition appropriée, pour l'établir en droit actif et fondamental, figurait déjà dans la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies, le 18 décembre 1979. Le Traité instituant la Communauté européenne a fait figurer, en son article 2, l'égalité entre les hommes et les femmes parmi les missions de la Communauté. L'article 3 du Traité précise que la Communauté cherche à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les actions destinées à remplir sa mission. La déclaration de révision de la Constitution prévoit une révision du titre II, article 10, en vue d'y insérer un article nouveau relatif à l'égalité des hommes et des femmes (doc. Sénat, nº 1-1374/1).

Il est ainsi proposé à la Haute Assemblée d'insérer une nouvelle disposition dans la Constitution, de nature à affirmer clairement et expressément le principe de l'égalité des femmes et des hommes, à le garantir et à assurer le fondement des législations qui permettent de réaliser cette égalité de droit en égalité de fait. Elle prévoit que le législateur prend les mesures favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs et publics. En outre, elle proscrit la formation de gouvernements et d'organes exécutifs provinciaux et communaux non mixtes.

Une participation significative des femmes à la conduite des affaires publiques est un moyen important pour voir se traduire l'égalité de manière générale.

Lors des élections communales et provinciales du 8 octobre 2000, l'application de la loi du 24 mai 1994 visant à promouvoir la présence équilibrée des hommes et des femmes sur les listes électorales, « dite loi Tobback-Smet », a permis une progression appréciable, mais encore insuffisante, du nombre de femmes élues. Avec 26,1 % d'élues au niveau communal et 29,3 % au niveau provincial, cette progression a été, respectivement, de 8,5 et 6,2 %. On doit regretter que, en dehors de la Région de Bruxelles-Capitale, la « masse critique » n'est pas encore atteinte. Il est en effet généralement admis que pour avoir une influence sur les décisions, il faudrait que les femmes forment au moins un tiers des assemblées.

En janvier 2001, nous saurons si la participation des femmes dans les exécutifs provinciaux et communaux s'améliore. En 1995, elles formaient 13 % des collèges des bourgmestre et échevins pour le Royaume et 10 % des députations permanentes.

Le nombre de femmes élues, lors des différents scrutins du 13 juin 1999, a atteint à peine 25 % pour l'ensemble des assemblées, et les femmes sont totalement absentes dans certains de nos gouvernements.

Ces faits confirment l'actualité de la présente proposition, ainsi que la nécessité de revoir l'actuelle loi sur la présence équilibrée des hommes sur les listes de candidatures aux élections.

L'adoption de dispositions visant à assurer la présence des femmes sur les listes électorales suppose d'en prévoir le fondement dans la Constitution. On rappelera, à cet égard, les avis du Conseil d'État L. 22.066/2 et 1316-1/93-94 portant sur deux textes du projet de loi qui deviendra la loi du 24 mai 1994 visant à promouvoir une répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes de candidatures aux élections. Pour le Conseil d'État, les règles de présence équilibrée de candidats des deux sexes et les sanctions prévues par les auteurs du projet de loi à l'égard des listes présentées en violation de ces règles pouvaient conduire à « supprimer le droit de se porter candidat et le droit d'être élu ». Le Conseil proposait deux voies pour rencontrer le prescrit constitutionnel : soit envisager des sanctions autres que les sanctions financières et d'irrécevabilité, soit procéder à une révision de la Constitution afin d'inscrire, de manière expresse, le principe d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes sur les listes électorales. C'est bien sûr cette voie qui est retenue.

En mai 2000, le gouvernement a approuvé des projets de loi assurant une présence égale des hommes et des femmes sur les listes de candidature aux élections. Ces projets prévoient la parité sur les listes électorales et, à terme, l'alternance aux deux premières places. L'adoption de la disposition constitutionnelle présentement soumise à examen est de nature à assurer le fondement de telles lois, ainsi que le Conseil d'État l'a indiqué dans son avis du 18 août 2000 sur ces projets de loi (L.30.290/2/V).

La modification qui vous est proposée prendrait la forme d'un article 10bis, rédigé comme suit :

« Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti. La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 favorisent l'égal exercice de leurs droits et libertés, et notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics.

Le gouvernement fédéral, les gouvernements de communautés et de régions et les gouvernements des organes régionaux visés à l'article 39 comprennent au moins un représentant de chaque sexe.

La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 organisent la présence de chaque sexe au sein des collèges des bourgmestre et échevins, des députations permanentes des conseils provinciaux et dans les exécutifs de tout organe territorial intracommunal, intercommunal ou interprovincial. »

Le Sénat s'est souvent préoccupé de la situation de l'égalité des femmes et des hommes dans les différents secteurs de la société. C'est pourquoi la ministre chargée de la Politique de l'égalité des chances a décidé de soumettre en priorité à la haute assemblée cette importante proposition de révision de la Constitution permettant de transformer l'égalité de droit entre hommes et femmes en une véritable égalité de fait.

B. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE L'AUTEUR PRINCIPALE DE LA PROPOSITION Nº 2-483/1

Mme de Bethune se réjouit de voir traité aujourd'hui au Sénat un thème aussi important que l'introduction dans la Constitution du principe d'égalité des femmes et des hommes. Avec le soutien de son groupe politique, elle a elle-même déposé une proposition de révision de la Constitution allant dans ce sens, à laquelle le gouvernement fait référence dans l'exposé des motifs de la proposition nº 2-465/1. Elle a par ailleurs déposé un amendement visant à remplacer l'article 10bis, proposé par le gouvernement, par la disposition contenue dans sa proposition (amendement nº 3, doc. Sénat, nº 2-465/2).

L'objectif de ce texte consiste à garantir l'égalité des hommes et des femmes dans tous les domaines de la société. C'est dans ce but que le titre II de la Constitution a été ouvert à révision sous la législature précédente.

Le CVP et son groupe « Vrouw en maatschappij » pensent que l'ancrage du droit à l'égalité des femmes et des hommes dans la Constitution, de même que l'inscription du principe de la démocratie paritaire doivent constituer des priorités. Dans cette optique, le CVP a déposé sous cette législature plusieurs propositions de loi visant à adapter la loi électorale afin d'assurer une participation égale des femmes et des hommes à la politique.

La proposition de modification de la Constitution qu'elle a introduite, s'articule autour de trois niveaux. Après la reconnaissance du principe d'égalité des femmes et des hommes, le texte vise à donner un fondement aux mesures ayant pour but de réaliser cette égalité in concreto et à réaliser la représentation politique égale des femmes et des hommes.

Jusqu'à présent, le principe général d'égalité inscrit à l'article 10 de la Constitution n'a pas été en mesure de garantir une égalité effective entre les femmes et les hommes. L'interdiction de discrimination figurant à l'article 11 ne garantit pas non plus suffisamment cette égalité effective. Les femmes sont sous-représentées dans tous les secteurs de la société et font toujours l'objet de discriminations. Ceci s'explique notamment par le fait que le principe constitutionnel d'égalité donne une définition abstraite, et neutre en termes de sexe, des sujets de droit auxquels il s'applique. Le principe constitutionnel d'égalité a en effet été consacré en 1831, époque à laquelle la conception de l'égalité était tout à fait différente de la conception d'aujourd'hui.

La présente proposition de révision de la Constitution ne vise pas exclusivement à promouvoir les droits de la femme : elle vise à instaurer un nouvel équilibre social, un « nouveau partenariat social » entre les femmes et les hommes, dans le cadre duquel les unes et les autres pourront apporter sur un pied d'égalité et d'équivalence leur participation au sein de la famille, de la société civile et de la vie politique et assurer les responsabilités qui en découlent. Ce concept de nouveau partenariat social se retrouve dans de nombreuses législations au niveau européen. Il ne figure peut-être pas encore dans les chartes énonçant des droits fondamentaux, mais la situation ne tardera pas à évoluer.

La Belgique ne joue certes pas un rôle de pionnier en inscrivant dans la Constitution le droit à l'égalité des femmes et des hommes car plusieurs pays l'ont déjà fait. Il en va de même pour le principe de la démocratie paritaire. Au nom de son groupe politique, l'auteur de la proposition insiste sur l'importance de consacrer, outre le principe d'égalité des hommes et des femmes, la participation égale au processus de décision politique.

La reconnaissance de ce principe doit montrer clairement que l'autorité a la mission, quelles que soient les priorités du moment et des différents gouvernements, de garantir la participation égale des femmes et des hommes à la politique et de prendre les mesures légales et structurelles nécessaires.

L'inscription de ces principes dans la Constitution constituera également une base pour l'adoption d'actions positives, donnant aux femmes discriminées la chance concrète de se remettre à niveau. On se contentera de rappeler ici que le Conseil d'État a insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de donner à ces actions positives un fondement constitutionnel. L'historique des actions positives et leur existence au niveau international sont plus longuement commentés dans l'exposé des motifs de la proposition. De nombreux exemples peuvent également être trouvés dans les constitutions des autres pays.

L'auteur de la proposition estime donc que la modification de la Constitution doit garantir l'égalité des femmes et des hommes à trois niveaux. Pour chaque aspect, le droit international et les constitutions en vigueur dans d'autres pays peuvent être source d'inspiration.

Elle souligne ensuite que la proposition qu'elle a introduite se distingue sur plusieurs points de la proposition du gouvernement (voir son amendement nº 3, doc. Sénat, nº 2-465/2).

Il est heureux que la première phrase de l'article 10bis proposé soit identique car il est essentiel de poser le principe clairement.

Le second alinéa de l'article 10bis dans la proposition nº 2-483/1 correspond approximativement à la suite de l'alinéa 1er dans la proposition du gouvernement, sous réserve de quatre différences.

La première différence entre les deux textes a trait au choix du verbe « garantir » au lieu de « favoriser ». L'auteur de la proposition nº 2-483/1 estime que l'idée de « garantir » contient une exigence plus forte et offre davantage de garanties (voir son amendement subsidiaire nº 4 à son amendement nº 3, doc. Sénat, nº 2-465/2). La Constitution est plus qu'une déclaration d'intentions. C'est un instrument juridique source de droits dont l'on doit pouvoir obtenir le respect.

La deuxième différence concerne l'expression « égal exercice de leurs droits » (proposition du gouvernement) et « égalité effective dans l'exercice de leurs droits » (proposition de Mme de Bethune ­ voir son amendement subsidiaire nº 5 à son amendement nº 3, doc. Sénat, nº 2-465/2). L'ajout du qualificatif « effective » s'explique par la volonté de pouvoir obtenir le respect de l'égalité, non seulement en droit, mais en fait. Dans la Constitution, il est jusqu'à présent essentiellement question d'égalité en droit, laquelle a été en grande partie réalisée. Mais la révision envisagée maintenant part du constat d'échec quant à la concrétisation de l'égalité de fait entre les femmes et les hommes. De plus, cette modification de la Constitution doit permettre de fonder juridiquement des actions positives entreprises pour traduire l'égalité dans les faits.

La troisième différence tient à l'emploi du mot « accès (aux mandats publics et électifs) » dans la proposition du gouvernement et « participation (au processus de décision politique) » dans sa proposition (voir ses amendements subsidiaires nºs 6, 7 et 8 à son amendement nº 3, doc. Sénat, nº 2-465/2). Une fois de plus, l'auteur de la proposition est convaincue que la notion de participation est une idée plus forte. L'accès n'est qu'une condition de la participation. Le terme « participation » est utilisé en corrélation avec la notion de participation effective et avec le résultat visé.

Enfin, la proposition du gouvernement se borne à viser les mandats électifs et publics, alors qu'il est question du processus de décision politique en général dans la sienne. Selon cette dernière, il est préférable d'utiliser un concept général dans la Constitution car il est impossible d'identifier au préalable toutes les hypothèses auxquelles le principe pourrait trouver à s'appliquer. L'expression générale permet de viser éventuellement d'autres cas non prévus par les termes spécifiques utilisés par le gouvernement.

L'article 10bis proposé par le gouvernement comporte encore deux alinéas, exigeant la présence d'au moins un représentant de chaque sexe dans différents organes. Mme de Bethune et son groupe politique trouvent cette proposition difficilement acceptable car elle est beaucoup trop minimaliste. Il suffirait pour un gouvernement de compter en son sein une femme pour satisfaire à la Constitution : il ne s'agit pas d'un progrès, mais bien d'une marche arrière, incohérente au regard des ambitions de la première phrase de l'article 10bis proposé. Il n'est pas nécessaire de modifier la Constitution pour imposer la présence d'un membre dans les gouvernements alors que ce résultat est déjà atteint. Inscrire une telle disposition dans la Constitution aboutit, selon l'auteur de la proposition, à se moquer des droits des femmes et, partant, à se moquer de la démocratie.

La même réflexion vaut pour l'alinéa 3 de l'article 10bis proposé par le gouvernement. La présence d'au moins un membre du sexe opposé dans les exécutifs aux différents niveaux communal et provincial est déjà une réalité, à quelques exceptions près.

Si l'on modifie la Constitution, c'est pour y inscrire des principes et pour imposer un équilibre sérieux. Pour obtenir cet équilibre, il faut soit exiger la parité (voir son amendement subsidiaire nº 9 à son amendement nº 3, doc. Sénat, nº 2-465/2, et ses amendements nºs 16 et 17, doc. Sénat, nº 2-465/3), soit exiger qu'une représentation d'un tiers soit atteinte par le biais d'actions positives en tant qu'étape intermédiaire. Mais consacrer une exigence aussi minimaliste que celle proposée par le gouvernement ferait plus de mal que de ne rien consacrer du tout.

Quant aux organes exécutifs autres que les gouvernements, l'exigence de présence équilibrée en leur sein pourra être imposée par une loi ordinaire. Il ne faut pas chercher à tout régler dans la Constitution car ce serait contraire à sa logique même.

En conclusion, l'auteur de la proposition nº 2-483/1 partage la volonté du gouvernement d'inscrire dans la Constitution le droit à l'égalité des femmes et des hommes, mais souligne des divergences de vues fondamentales sur le reste. Elle souhaite aller plus loin que le gouvernement en termes de participation équilibrée au processus de décision politique en général. Elle ajoute qu'il serait intéressant, avant de franchir une étape aussi fondamentale, d'ouvrir le débat à la société civile. Une séance pourrait être consacrée à l'audition d'experts.


III. LA PREMIÈRE RÉACTION PARLEMENTAIRE : POSITIVE

« Les femmes soutiennent la moitié du ciel. » Cet ancien proverbe chinois, dit une membre, signifie que la moitié du travail et la moitié de la réflexion dans le monde sont l'oeuvre des femmes. Les deux moitiés doivent collaborer pour maintenir le ciel entier.

La membre se réjouit dès lors de ce que l'on discute aujourd'hui de l'inscription dans la Constitution d'une disposition garantissant le droit à l'égalité et l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électifs. Il est important que les intérêts d'une moitié de la population soient représentés et qu'ils puissent être pris à coeur grâce à la présence accrue de femmes dans le processus de décision politique. La non-représentation de la moitié de la population dans la politique constitue d'ailleurs un gaspillage de capital humain. Aujourd'hui, le monde politique envoie un signal positif à l'ensemble de la société.

L'inscription dans la Constitution du droit à l'égalité des femmes et des hommes est importante à cause de la valeur symbolique de la Constitution, qui doit refléter la société et répercuter les préoccupations de celle-ci. La consécration au niveau constitutionnel du droit à l'égalité des femmes et des hommes joue également un rôle de signal et démontre que le droit à l'égalité est essentiel dans l'ordre juridique belge. Enfin, cette inscription devrait donner à la Cour d'arbitrage la possibilité de contrôler la conformité des lois, décrets et ordonnances, au principe d'égalité entre les hommes et les femmes.

L'idée d'ancrer dans la Constitution le droit à l'égalité des femmes et des hommes figure dans les documents parlementaires relatifs à la révision du Traité de Maastricht. L'on y plaide pour une citoyenneté européenne dans laquelle serait inscrit le droit fondamental à l'égalité des femmes et des hommes. Le Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes du Sénat y a consacré des travaux sous la législature précédente et a insisté sur l'intérêt d'inscrire ce droit dans la Constitution.

Il faut souligner aussi l'importance de poser des exigences relatives à la représentation des femmes au sein des organes exécutifs. Certes, l'exigence d'au moins une femme suscite des discussions au sein des groupes de femmes et sur le terrain. Les mouvements de femmes s'insurgent contre une exigence qu'elles jugent trop minimaliste. Pourtant, de son expérience personnelle, la membre sait que tous les collèges échevinaux et toutes les députations permanentes ne comptent pas au moins une femme. La formule n'est donc pas si mauvaise et elle est en tout cas très claire. Il faudra néanmoins examiner sérieusement la question, peut-être modifier la formulation, mais de toute façon s'accorder sur une solution qui ne permette plus qu'un collège échevinal, une députation permanente ou un gouvernement soit composé uniquement d'hommes.

En conclusion, la membre approuve la proposition du gouvernement, sous réserve de quelques améliorations techniques qui font l'objet d'un amendement qu'elle a déposé (amendement nº 1 de Mme Van Riet et consorts, doc. Sénat, nº 2-465/2). Elle suggère également d'entendre des spécialistes de droit constitutionnel afin de s'assurer que les principes que l'on vise à inscrire dans la Constitution sont correctement rédigés et ne risquent pas d'être minés pour des raisons techniques.

Un autre membre est d'avis que la première question à se poser a trait à l'adéquation de la place de l'article proposé. Pour sa part, il approuve la proximité avec l'article 10 établissant le principe d'égalité en général. Il s'interroge ensuite sur la rédaction du texte. Il lui semble que « mandats électifs et publics » doit s'entendre comme mandats électifs publics. Si l'on vise distinctement les mandats électifs et les mandats publics, ces derniers englobent en effet quantité de mandats, notamment ceux de la haute administration. D'autre part, il existe des mandats électifs privés. La formulation n'est donc pas neutre, il faut s'interroger sur la présence du « et » et savoir clairement ce que l'on vise.

Quant au principe d'égalité, s'agit-il d'un postulat de départ ou d'un résultat ? La disposition ne pose pas seulement un principe, elle exprime une ambition, qu'il faut se donner les moyens d'atteindre. Dans cette optique, le membre partage l'opinion déjà formulée selon laquelle « au moins un représentant de chaque sexe » est trop restrictif. Il serait peut-être préférable d'exiger « des personnes de sexe différent ». À défaut, les termes « au moins » permettraient de considérer le résultat atteint dès qu'une femme serait présente dans un exécutif.

L'intervenant suivant explique que l'amendement déposé par les membres de son groupe politique vise à combler des lacunes ou à apporter des corrections, mais qu'il ne remet pas en cause la philosophie de base de la proposition du gouvernement (amendement nº 1, doc. Sénat, nº 2-465/2). Si la déclaration de révision de la Constitution a ouvert à révision le titre II de celle-ci afin d'y insérer le droit à l'égalité des hommes et des femmes, il ressort cependant des débats parlementaires que le préconstituant n'a pas eu l'intention de porter atteinte à la compétence réservée à la loi de réglementer les droits et libertés fondamentales qui n'ont rien à voir avec la réglementation d'une répartition de compétences. Seule une loi au sens formel peut apporter des dérogations à la liberté de se réunir consacrée à l'article 26 de la Constitution. Or, l'article 10bis en projet dispose que la loi, le décret ou l'ordonnance doivent favoriser l'égal exercice des droits et libertés. Cette extension pose problème.

En deuxième lieu, l'alinéa 2 de l'article 10bis proposé manque de cohérence avec l'article 123, § 1er, de la Constitution, dont le texte néerlandais cite dans l'ordre « de Gemeenschaps- en Gewestregeringen », ainsi qu'avec l'article 99 de la Constitution dans lequel le mot « compte » est utilisé. De plus, le choix du terme « représentant » ne paraît pas très judicieux dans la mesure où le représentant désigne celui qui agit pour le compte et au nom d'autrui qui lui confère une habilitation ou une mission. Cela ne doit pas nécessairement être quelqu'un du même sexe.

Afin d'assurer la cohérence avec l'article 41 de la Constitution, les mots « territorial intracommunal » doivent être traduits par « binnengemeentelijk territoriaal ». Les termes « intercommunaal » et « interprovinciaal » ne correspondent pas non plus à la formule « verenigingen van provincies en van gemeenten tot nut van het algemeen », utilisée à l'article 6 de la loi spéciale, réglant les conditions et le mode suivant lesquels plusieurs provinces ou plusieurs communes peuvent s'entendre ou s'associer, en application de l'article 162, dernier alinéa, de la Constitution. En outre, le membre signale l'existence d'un projet de décret flamand, actuellement à l'examen, dans lequel le concept sera défini de manière tout à fait différente. En tout état de cause, il convient de noter que lorsqu'il est question de différents niveaux de pouvoirs, il est d'usage de commencer par citer le plus élevé.

Il est aussi préférable de traduire le terme « exécutifs » par « uitvoerende organen ».

Un sénateur déclare qu'il a déposé, à l'amendement nº 1 précité, un sous-amendement qui vise à remplacer, à l'alinéa 1er, de l'article 10bis proposé, les mots « chaque homme et chaque femme » par les mots « les hommes et les femmes » (amendement nº 11 de M. Vankrunkelsven, doc. Sénat, nº 2-465/2).

Une autre membre se réjouit de voir reconnaître dans notre charte fondamentale, de façon formelle et claire, le principe d'égalité des hommes et des femmes. Bien entendu, cette égalité pouvait déjà être inférée des articles 10 et 11 actuels, mais il ne faut pas négliger le poids des mots et la garantie expresse du droit des hommes et des femmes à l'égalité est lourde de sens. Il faut rendre hommage à tous les gens qui se battent depuis des années pour voir reconnaître ce droit. Son inscription dans la Constitution est le fruit d'une longue évolution.

La place d'une disposition dans la Constitution est importante. Celle-ci s'inscrit particulièrement bien entre le principe général d'égalité et le principe de non-discrimination.

Le Traité de Rome, tel qu'il a évolué, garantit le droit à l'égalité entre hommes et femmes et a pu être utilisé à de nombreuses reprises devant les cours et tribunaux, notamment devant la Cour de justice des Communautés européennes. Il ne s'agit pas toujours d'ailleurs de donner uniquement des droits aux femmes mais bien de réaliser l'égalité pour les hommes comme pour les femmes.

Comme l'a souligné la vice-première ministre et ministre de l'Emploi, la proposition du gouvernement doit être lue en parallèle avec les projets de loi qui vont être déposés concernant la parité et l'alternance sur les listes électorales.

En ce qui concerne le texte de l'article 10bis proposé, plusieurs imperfections techniques ont été épinglées. Le principe énoncé dans la première phrase semble en tout clair et non sujet à discussion. Le reste devra être affiné. Il faut savoir exactement ce que recouvre la notion d'égal exercice des droits et libertés et ne pas créer d'éventuel problème de compétence par rapport aux dispositions de la Constitution. La membre n'apprécie pas beaucoup la formulation commençant par le terme « notamment », car elle donne l'impression d'introduire une exigence supplétive.

L'amendement nº 2 cosigné par la membre permet de ne pas faire apparaître de restriction dans la représentation des hommes ou des femmes au sein des exécutifs (amendement de Mme Nagy et consorts, doc. Sénat, nº 2-465/2). La formule « personnes de sexe différent » signifie qu'il faut au moins une personne de sexe opposé, mais qu'il peut y en avoir davantage, ce qui correspond au but recherché.

Enfin, la membre partage le souhait d'entendre l'avis d'experts sur les aspects techniques de la proposition.

L'intervenant suivant estime que l'inscription du droit à l'égalité des hommes et des femmes dans la Constitution est un acte fondamental. C'est le résultat d'un long travail, et notamment d'un travail considérable réalisé au sein du Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, au cours de la législature précédente. Ce thème est également traité dans les assemblées communautaires.

Le membre est d'avis que les amendements nºs 3 à 10 proposés par Mme de Bethune traduisent parfois plus clairement l'intention générale (doc. Sénat, nº 2-465/2). À titre d'exemple, le terme « garantir » contient une exigence plus ferme que le terme « favoriser ». C'est d'ailleurs le terme utilisé dans la première phrase de l'article. Exiger l'égalité effective à la place de l'égal exercice des droits et libertés constitue aussi un renforcement du texte. Il en va de même du remplacement du mot « accès » par « participation ».

La signification du « et » dans l'expression « mandats électifs et publics » a été évoquée. Dans le cadre du plan « Copernic », le ministre de la Fonction publique et de la Modernisation de l'administration est en train d'élaborer des mandats pour les fonctionnaires généraux. Ces mandats seront-ils visés ?

Accessoirement, le membre fait remarquer que les termes « van de Grondwet » dans le texte néerlandais sont superflus (voir également l'amendement nº 10 de Mme de Bethune, doc. Sénat, nº 2-465/2). Lorsqu'il est fait référence, dans la Constitution, à un autre article de celle-ci, il n'est pas nécessaire de le mentionner.

Le membre soutient l'amendement nº 2 visant à remplacer les mots « au moins un représentant de chaque sexe » par les mots « des personnes de sexe différent », dont la formulation lui semble plus heureuse (doc. Sénat, nº 2-465/2).

Il convient d'éviter les termes susceptibles d'évoluer. On a souligné la possibilité que les communautés et régions modifient les termes « intracommunal, intercommunal, interprovincial ».

Vu ces observations, le membre pense qu'il serait utile d'entendre l'avis de professeurs constitutionnalistes sur le choix des termes que l'on envisage d'insérer dans la Constitution.

Un membre fait remarquer que les principes que l'on souhaite introduire dans la Constitution ne s'appliqueront qu'aux prochaines élections, car la révision de la Constitution sera votée trop tard pour pouvoir être appliquée à la formation des organes communaux et provinciaux issus des élections du 8 octobre 2000. Quoi qu'il en soit, le membre épingle le problème des communes à facilités : comment vat-on appliquer une règle de représentation équilibrée des deux sexes dans les collèges échevinaux et les CPAS qui sont élus directement par la population ? L'obligation de présenter un certain nombre de femmes sur les listes ne garantira pas un résultat équilibré.

À la suite de cette remarque, M. Mahoux et consorts déposent un amendement qui vise d'abord à remplacer, dans l'alinéa 3 de l'article 10bis proposé, les mots « d'un membre de chaque sexe au moins » par les mots « de personnes de sexe différent ». Ensuite, on propose d'insérer dans l'article 10bis proposé, un alinéa 4 qui rend facultative l'application de l'alinéa 3 lorsque les membres des organes exécutifs locaux sont élus directement (amendement nº 14, doc. Sénat, nº 2-465/3).

M. Happart dépose, à cet amendement, un sous-amendement qui vise à tenir respectivement compte, aux alinéas 3 et 4 de l'article 10bis proposé, des conseils de l'aide sociale et des conseillers de l'aide sociale (amendement nº 15, doc. Sénat, nº 2-465/3).

Un préopinant déclare se rallier à l'observation faite précédemment par un membre au sujet des organes exécutifs composés par élection directe. Dans ces organes caractérisés par un ordre de préséance, l'esprit de ce que l'on souhaite réaliser va terriblement renforcer l'importance de cet ordre. En effet, si l'on constate qu'il n'est pas satisfait à la loi, la dernière place devra être occupée de telle sorte que les exigences légales soient rencontrées.

Plusieurs membres insistent pour que l'on traite les propositions de révision de la Constitution à l'examen avec la diligence voulue, pour que les principes en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, qui seraient ainsi ancrés dans la Constitution, soient applicables lors des prochaines élections.

Le ministre déclare qu'il faut adopter le plus rapidement possible la révision proposée, afin que la loi, le décret et l'ordonnance puissent mettre en oeuvre d'ici aux prochaines élections les obligations qui seront contenues dans le nouvel article de la Constitution.

La proposition du gouvernement ne vise pas seulement à ce que les femmes soient associées davantage à la vie politique et à ce qu'elles y soient mieux représentées. Elle vise également à lancer la réflexion, à tous les niveaux de l'exercice du pouvoir, sur une meilleure répartition entre les hommes et les femmes des avantages et des opportunités qu'offre la société. L'article proposé a donc une portée large et concerne par exemple aussi les communautés, qui doivent veiller à l'égalité des chances entre les garçons et les filles en matière d'enseignement.


Au vu de ce qui précède, la commission décide d'entendre quatre spécialistes en droit constitutionnel, à savoir les professeurs P. Lemmens (KU Leuven), M. Uyttendaele (ULB), J. Velaers (UA/UFSIA ­ KUB) et M. Verdussen (UCL). Leur avis devra toutefois se limiter aux questions juridico-techniques soulevées par la rédaction des dispositions proposées, l'endroit où les insérer dans la Constitution, leurs effets juridiques et la portée des amendements proposés.


IV. AUDITIONS DES PROFESSEURS P. LEMMENS (KU LEUVEN), M. UYTTENDAELE (ULB), J. VELAERS (UNIVERSITEIT ANTWERPEN (UFSIA) ­ KUB) ET M. VERDUSSEN (UCL)

Au cours de la réunion du 7 décembre 2000, les professeurs Lemmens, Uyttendaele et Verdussen ont commenté leurs notes écrites. L'on a également débattu de l'avis du professeur Velaers.

Un aperçu schématique des points de vue développés est joint en annexe du présent rapport.

A. CONTRIBUTIONS UNIVERSITAIRES

1. EXPOSÉ DE M. P. LEMMENS, PROFESSEUR EXTRAORDINAIRE À LA KU LEUVEN

I. INTRODUCTION

1. Le 8 juin 2000, le gouvernement a déposé une proposition visant à insérer un article 10bis dans la Constitution. Le 21 juin 2000, Mme de Bethune et consorts ont déposé une proposition comparable. Bien que ces propositions diffèrent par leur formulation, elles visent toutes deux essentiellement à insérer une disposition garantissant l'égalité entre les femmes et les hommes, en particulier en ce qui concerne l'accès aux mandats électifs et aux mandats publics.

Dans le présent avis, l'on donnera d'abord un aperçu succinct des dispositions pertinentes actuelles contenues dans les conventions internationales et dans la Constitution en ce qui concerne l'égalité entre les femmes et les hommes. Ensuite, l'on examinera quelle pourrait être l'utilité d'insérer dans la Constitution un article spécifique en matière d'égalité entre les femmes et les hommes. Ensuite, l'on s'intéressera à l'endroit où placer la nouvelle disposition dans la Constitution. Enfin, l'on examinera le texte des propositions et des amendements qui y ont été déposés.

II. DISPOSITIONS EXISTANTES, CONTENUES DANS LES CONVENTIONS INTERNATIONALES ET LA CONSTITUTION CONCERNANT L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

A. Dispositions générales relatives à l'égalité et à la non-discrimination

2. Une série de conventions internationales relatives aux droits de l'homme contiennent des dispositions garantissant l'interdiction de la discrimination et parfois aussi le principe d'égalité.

C'est ainsi que l'article 2, § 1er, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après : PIDCP) dispose que le bénéfice des droits reconnus dans le pacte est garanti à tous, sans distinction aucune, notamment de sexe. Le Comité des droits de l'homme a fait remarquer, à cet égard, que l'interdiction de discrimination vaut notamment pour les limites qui sont mises aux droits fondamentaux en application des dispositions du traité. S'ils posent de telles limites, les pouvoirs publics ne peuvent pas créer de discrimination entre les femmes et les hommes (1).

En outre, l'article 26 du même pacte dispose que toutes les personnes sont égales devant la loi et qu'elles ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. La loi doit protéger contre la discrimination, notamment de sexe. Cette disposition a un champ d'application plus large que l'article 2, § 1er : chaque fois que les pouvoirs publics agissent, même en dehors de la sphère des droits fondamentaux, ils doivent respecter les principes d'égalité et de non-discrimination. Dans la jurisprudence, l'on retrouve un certain nombre de cas concrets dans lesquels l'on a jugé que des dispositions de sécurité sociale étaient discriminatoires parce qu'elles créaient un régime d'allocations différent pour les hommes et les femmes (2).

L'on retrouve la même disposition que celle qui figure à l'article 2, § 1er, PIDCP, à l'article 2, § 2, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après : PIDESC). Quand ils prennent des mesures positives pour garantir les droits fondamentaux susvisés, les pouvoirs publics ne peuvent fait aucune discrimination, par exemple en raison du sexe. Par contre, le PIDESC ne contient aucune disposition qui, comme l'article 26 PIDCP, garantisse aussi le respect des principes d'égalité et de non-discrimination en dehors de la sphère des droits fondamentaux.

3. L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après : CEDH) contient une disposition comparable aux articles 2, § 1er, PIDCP et 2, § 2, PIDESC, qui implique notamment une interdiction de discrimination, mais limitée aux domaines des droits garantis par la CEDH. L'on interdit par exemple la discrimination en raison du sexe (3). À cet égard, la Cour européenne des droits de l'homme a fait observer à plusieurs reprises que l'égalité entre les sexes constitue un objectif important des États membres du Conseil de l'Europe, et que seules des raisons très graves peuvent justifier une différence de traitement entre les hommes et les femmes (4).

Le 4 novembre 2000, l'on a signé un 12e protocole à la CEDH. L'article 1er, § 1er, de ce protocole dispose que la jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune, notamment fondée sur le sexe. Cette disposition vise donc à étendre le champ d'application de l'interdiction de discrimination au-delà du domaine des droits fondamentaux. La nouvelle disposition, qui n'entrera en vigueur que quand dix États auront ratifié le protocole, a donc la même portée étendue que l'article 26 PIDCP.

Le texte originel de la Charte sociale européenne (ci-après : CSE) ne contient aucune disposition générale relative à l'égalité et à la non-discrimination. Toutefois, le préambule contient un considérant qui dispose que la jouissance des droits sociaux doit être assurée sans discrimination, notamment fondée sur le sexe. La version modifiée de la CSE (5) va plus loin : l'article E dispose que la jouissance des droits visés dans la CSE modifiée sont garantis sans discrimination, notamment en raison du sexe.

4. En ce qui concerne l'Union européenne, l'on peut renvoyer à l'article 13 du traité CE. Cette disposition prévoit que le Conseil peut prendre toute réglementation en vue de l'interdiction des discriminations, notamment en raison du sexe.

5. La Constitution belge contient elle aussi des dispositions générales relatives à l'égalité et à la non-discrimination. L'article 10, alinéa 2, dispose notamment que les Belges sont égaux devant la loi. L'article 11 dispose notamment que la jouissance des droits et des libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination.

La Cour d'arbitrage, les cours et tribunaux, les juridictions administratives et disciplinaires veillent au respect de ces principes, chacune dans son domaine propre de compétence. C'est principalement la jurisprudence de la Cour d'arbitrage qui donne le ton à cet égard. Il en ressort que les articles 10 et 11 interdisent notamment la discrimination en raison du sexe (6).

B. Dispositions spécifiques concernant l'égalité entre les femmes et les hommes

6. L'article 3 PIDCP dispose que les États parties s'engagent à assurer le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous les droits civils et politiques énoncés dans le pacte. Selon le Comité des droits de l'homme, cette disposition implique, pour les États, l'obligation, non seulement de lever les obstacles à une jouissance égale des droits fondamentaux énoncés dans le pacte, mais aussi de prendre des mesures de protection (7), ainsi que des mesures visant à assurer une égalité de fait dans la jouissance des droits fondamentaux (8).

L'article 3 PIDESC est rédigé en des termes similaires, mais évidemment, pour sa part, en ce qui concerne la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels qui sont énoncés dans ce pacte.

7. Dans le cadre des Nations unies, il faut citer en particulier, en ce qui concerne l'égalité entre les femmes et les hommes, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (ci-après : Convention sur les femmes) (9).

Comme l'indique le titre de la convention, celle-ci vise à éliminer la discrimination à l'égard des femmes (article 2). Les États doivent prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le plein développement et le progrès des femmes, en vue de leur garantir l'exercice et la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales sur la base de l'égalité avec les hommes (article 3). La convention prévoit explicitement que l'adoption par un État partie de mesures temporaires spéciales visant à accélérer l'instauration d'une égalité de fait entre les hommes et les femmes n'est pas considérée comme un acte de discrimination; toutefois, ces mesures doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d'égalité des chances et de traitement ont été atteints (article 4, § 1er).

La convention contient en outre des dispositions spécifiques relatives à l'élimination des discriminations à l'égard des femmes, dans tous les domaines de la vie publique et privée.

Par comparaison avec les autres conventions reconnaissant l'égalité entre les femmes et les hommes, la Convention sur les femmes ne protège que les femmes. Elle ne porte pas sur les discriminations sexistes pénalisant les hommes.

8. La CEDH ne contient aucune disposition relative à l'égalité entre les femmes et les hommes. Par souci d'exhaustivité, il faut toutefois attirer l'attention sur l'article 5 du 7e Protocole à la CEDH (10), qui prévoit l'égalité des époux en ce qui concerne les droits et responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants.

La CSE ne contient pas, elle non plus, de dispositions générales relatives à l'égalité entre les femmes et les hommes. Une série de dispositions de la charte concernent toutefois l'égalité entre les femmes et les hommes dans deux domaines spécifiques : le travail et la famille (11).

9. La promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes est l'une des missions spécifiques de la Communauté européenne (article 2 du Traité CE). Dans chacune de ses actions, la Communauté doit chercher à éliminer les inégalités et à promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes (article 3, alinéa 2, du Traité CE).

Le Traité CE contient en outre des dispositions particulières relatives à l'égalité entre les hommes et les femmes dans le domaine de l'emploi. Les États assurent l'application du principe de l'égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur (article 141, alinéa 1er). Le Conseil peut adopter des mesures visant à assurer l'application du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement (article 141, alinéa 3). Il est prévu explicitement que le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas d'adopter des mesures spécifiques pour faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle (article 141, alinéa 4).

III. UTILITÉ DE L'INSERTION DANS LA CONSTITUTION D'UNE DISPOSITION RELATIVE À L'ÉGALITÉ DES FEMMES ET DES HOMMES

10. À la lumière des réglementations existantes en matière d'égalité et de non-discrimination, tant dans les conventions internationales que dans la Constitution belge, la question peut se poser de savoir si cela a encore un sens d'inscrire dans la Constitution une disposition spécifique concernant l'égalité des femmes et des hommes.

La réponse à cette question dépend des conséquences qu'entraînerait l'insertion d'une telle disposition. Ces conséquences en sont brièvement mentionnées ci-après. Auparavant, on précisera que les autorités belges n'ont en fait pas le choix et qu'elles sont au contraire obligées d'insérer dans la Constitution une disposition relative aux droits de la femme.

A. Obligation d'inscrire dans la Constitution une disposition interdisant la discrimination à l'égard des femmes

11. L'article 2 de la Convention sur les femmes impose aux États parties l'obligation de poursuivre une politique tendant à éliminer toute discrimination à l'égard des femmes. À cette fin, ils sont tenus de prendre une série de mesures. Ainsi, doivent-ils avant tout inscrire dans leur Constitution nationale (ou dans une loi si celle-ci remplit la même fonction) le principe de l'égalité des hommes et des femmes et assurer par voie de législation ou par d'autres moyens appropriés l'application effective dudit principe [article 2, a)].

Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, qui est chargé de contrôler le respect des dispositions de la convention, s'intéresse régulièrement à cette disposition. C'est ainsi que dans son dernier rapport annuel, lors de l'examen des rapports d'un certain nombre de gouvernements, il a parlé en termes élogieux d'États qui s'étaient acquittés de ladite obligation (12). Par contre, les États qui n'avaient pas encore respecté leurs obligations ont été mis en demeure de faire le nécessaire; il est remarquable, qu'en l'espèce, le comité a constaté qu'une disposition consacrant le principe général de l'égalité ne suffisait pas (13).

En ratifiant la Convention sur les femmes, la Belgique s'est également engagée à adapter sa Constitution. La déclaration de révision de la Constitution de 1999 permet de respecter aujourd'hui cette obligation.

B. Conséquences de l'inscription dans la Constitution de l'égalité entre les femmes et les hommes

a) Reconnaissance de l'intérêt particulier du droit en question

12. Comme cela a déjà été le cas précédemment, notamment lors de l'insertion dans la Constitution de l'article 22bis concernant les droits de l'enfant (14), l'insertion d'un article reconnaissant des droits nouveaux aurait avant tout une signification politique. Le constituant indiquerait à cet égard qu'il attache une importance particulière aux droits de la femme.

Le signal que l'on donnerait de la sorte ne serait toutefois pas de nature purement politique. La Constitution étant la norme la plus élevée en droit interne, tous les autres textes normatifs (lois, décrets, ordonnances et règlements des autorités administratives) devraient dorénavant être interprétés à la lumière de la nouvelle disposition constitutionnelle. Ces autres textes devraient donc, en cas de doute sur leur portée, faire l'objet d'une lecture favorable aux femmes.

b) Mission donnée aux autorités nationales de prendre des mesures

13. En inscrivant une disposition particulière relative aux droits de la femme, on peut faire en sorte qu'il soit évident que toutes les autorités (pouvoir fédéral, communautés et régions, administrations locales, etc.) soient tenues de prendre les mesures nécessaires pour réaliser une égalité totale entre les femmes et les hommes non seulement en droit, mais aussi en fait.

L'égalité formelle et l'interdiction formelle de discrimination ne suffisent manifestement pas à assurer des chances égales aux femmes et aux hommes. Des mesures spécifiques sont nécessaires pour atteindre cet objectif. Ces mesures doivent viser à résorber le handicap de fait dont souffrent les femmes à la suite de divers facteurs culturels et autres. Il ne doit pas être fait abstraction des différences objectives entre les femmes et les hommes, comme c'est le cas dans une approche purement formelle, mais il convient au contraire de partir de l'existence de ces différences, pour pouvoir ainsi réagir aux inégalités de fait qui en sont (injustement) la conséquence.

Du reste, l'adoption de pareilles mesures est une condition imposée par la Convention sur les femmes. L'article 3 de cette convention dispose en effet que les États doivent prendre dans tous les domaines, notamment dans les domaines politique, social, économique et culturel, toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour assurer le plein développement et le progrès (émancipation) des femmes, en vue de leur garantir l'exercice et la jouissance des droit de l'homme et des libertés fondamentales sur la base de l'égalité avec les hommes. Cette disposition de la convention illustre le fait que ladite convention entend garantir non seulement l'égalité formelle, mais aussi et surtout l'égalité matérielle (15).

On peut certes soutenir que la Constitution comporte déjà actuellement l'obligation de prendre certaines mesures positives. Il convient en effet de faire une lecture corrélative des articles 10 et 11. Une telle lecture permet d'attribuer à l'interdiction de discrimination prévue par l'article 11 une signification principalement formelle, en ce sens qu'elle impliquerait, pour l'autorité, l'interdiction de n'accorder des droits qu'à une catégorie déterminée de personnes ou de ne les limiter que pour une catégorie déterminée de personnes. On pourrait alors donner au principe de l'égalité consacré par l'article 10 une signification plus matérielle, en ce sens qu'il comporte pour l'autorité l'obligation de prendre des mesures positives, de sorte que toutes les personnes aient, effectivement aussi, des droits égaux (16).

Cette lecture des articles 10 et 11 n'a toutefois rien d'une évidence et n'est pas non plus acceptée par tous. Si l'on veut garantir constitutionnellement l'existence d'une obligation de prendre des mesures positives en faveur de personnes appartenant à une catégorie qui doit faire face à une inégalité de fait, le mieux est d'inscrire dans la Constitution une disposition explicite ciblant cette catégorie.

14. Certaines mesures positives visent exclusivement à améliorer la situation dans laquelle les femmes se trouvent dans les divers domaines de la vie sociale. D'autres mesures sont de nature telle qu'elles sont non seulement favorables aux femmes, mais aussi simultanément défavorables aux hommes. C'est le cas notamment de mesures qui visent à permettre aux femmes de résorber un retard dans le domaine où les hommes s'avèrent favorisés pour des raisons injustifiables. De telles mesures relèvent de l'« action positive » au sens strict (17).

Une forme connue de discrimination positive est l'introduction de quotas, pratique qui consiste à réserver certaines places à des personnes appartenant à une catégorie défavorisée, alors qu'elles sont normalement attribuées sur une base égalitaire (formelle). On peut faire référence à cet égard à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes en ce qui concerne l'accès des femmes et des hommes aux emplois vacants sur le marché du travail. Selon la Cour, un système de quotas en faveur des femmes est contraire au principe d'égalité s'il accorde automatiquement et inconditionnellement la priorité aux femmes (18); le principe d'égalité ne s'oppose toutefois pas à une réglementation selon laquelle les femmes doivent certes être engagées ou promues prioritairement, mais qui soumettrait néanmoins tous les candidats à une appréciation objective et laisserait inappliquée la priorité accordée aux femmes s'il s'avère qu'un ou plusieurs des critères relatifs à la personne des candidats fait pencher la balance en faveur d'un candidat masculin (19). La Cour a récemment précisé que lors de l'appréciation de candidats, il peut être tenu compte de critères (clairs et constants) qui, bien que rédigés en termes neutres du point de vue du sexe, favorisent les femmes en général (20); toutefois, pareille réglementation n'a plus rien à voir avec un système de quotas.

Comme on l'a observé ci-dessus, on retrouve dans certains textes internationaux des dispositions qui prévoient explicitement la possibilité de différences de traitement visant à favoriser les femmes. Ainsi, l'article 4, § 1er, de la Convention sur les femmes dispose que l'adoption de « mesures temporaires spéciales » visant à accélérer l'instauration d'une égalité de fait entre les hommes et les femmes, n'est pas considérée comme un acte de discrimination; ces mesures doivent toutefois être abrogées dès que les objectifs en matière d'égalité de chances et de traitement ont été atteints (21) (voir le nº 7). Un autre exemple est l'article 141, alinéa 4, du traité CE, qui prévoit la possibilité d'« avantages spécifiques » dans la vie professionnelle en faveur du « sexe sous-représenté » (voir le nº 9) (22).

Il faut remarquer que même si un texte international ne parle pas explicitement d'action positive, un telle action est permise, encore que dans le respect d'un certain nombre de conditions. C'est ainsi que la Cour européenne des droits de l'homme reconnaît que certaines inégalités en droit peuvent tendre à corriger des inégalités de fait et qu'elles ne sont pas dans ce cas intrinsèquement contraires à l'interdiction de discrimination (23). Dans le préambule du 12e protocole à la CEDH, on envisage de ne pas considérer l'interdiction de discrimination comme un obstacle à la prise de mesures visant à promouvoir une égalité complète et effective, pour autant qu'il y ait une justification objective et raisonnable à ces mesures : il n'a pas été jugé nécessaire d'inscrire cette règle dans le texte proprement dit du protocole.

La jurisprudence de la Cour d'arbitrage indique clairement, elle aussi, qu'une action positive est possible, fût-ce sous certaines conditions :

« Il peut, certes, être admis que, dans certaines circonstances, des inégalités ne soient pas incomptabiles avec le principe d'égalité et de non-discrimination si elles visent précisément à supprimer une inégalité existante. Pour qu'elles soient compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de telles mesures de correction ne peuvent être prises que lorsqu'il existe une inégalité manifeste et que le législateur s'est assigné comme objectif la disparition de cette inégalité. Pour le reste, les mesures doivent être temporaires et devront disparaître lorsque l'objectif visé par le législateur sera atteint, et elles ne peuvent limiter inutilement les droits d'autrui (24). »

Les articles 10 et 11 existants de la Constitution semblent donc suffire pour conférer une base constitutionnelle à l'action positive menée en exécution d'un article de la Constitution relatif à l'égalité des femmes et des hommes ainsi que pour maintenir pareille discrimination à l'intérieur de certaines limites (25). Il ne paraît dès lors pas nécessaire, dans un article spécifique du genre, de consacrer une attention particulière à des mesures correctrices.

15. Une autre question que soulève l'insertion, dans la Constitution, d'une disposition chargeant les autorités compétentes de prendre des mesures en vue de promouvoir la jouissance effective de certains droits fondamentaux est celle de savoir dans quelle mesure cette disposition peut être invoquée par le citoyen. En d'autres termes, un citoyen pourrait-il exciper de cette disposition constitutionnelle devant une juridiction pour faire déclarer inconstitutionnel un acte déterminé de l'autorité ou pour contraindre celle-ci à prendre une mesure déterminée ?

Cette question doit être dissociée de celle de l'effet direct d'une disposition de droit international (26), même si elle est connexe.

S'agissant de l'égalité entre les femmes et les hommes, il résulte d'un article de la Constitution en la matière que si une autorité intervient dans un domaine déterminé, elle devra, ce faisant, tenir compte de la problématique du genre. Son pouvoir d'appréciation se trouvera donc quelque peu limité du fait qu'elle sera tenue de prendre en considération certains objectifs politiques (imposés par la Constitution). Des mesures contraires à ces objectifs, c'est-à-dire ayant l'effet inverse, pourront être contestées par invocation directe de l'article en question de la Constitution (27).

Il est plus difficile de concevoir comment une autorité qui omet de prendre des mesures en vue de favoriser l'égalité effective entre les femmes et les hommes pourrait être contrainte à agir d'une manière déterminée. Le juge doit en effet respecter le pouvoir discrétionnaire de l'autorité, ce qui signifie qu'il ne peut pas lui imposer de mesure bien déterminée dans un cas où différentes options sont possibles. Cela n'exclut toutefois pas qu'en cas d'abstention fautive de l'autorité et dans l'hypothèse où une personne subirait de ce fait un préjudice démontrable, le juge pourrait condamner l'autorité à indemniser ce préjudice (28).

c) Possibilité de déroger à des principes constitutionnels

16. Des dispositions existantes de la Constitution ou des principes qui découlent directement de la Constitution peuvent faire obstacle à la réalisation d'une égalité complète entre femmes et hommes. L'inscription dans la Constitution d'une disposition spécifique peut alors donner la possibilité de déroger à ces dispositions et principes existants.

17. À cet égard, on pensera plus particulièrement au principe de l'égalité en matière d'élections et à la difficulté qu'il y a de mener une action positive à cet égard.

Comme l'a fait remarquer la section de législation du Conseil d'État, le principe général d'égalité en matière électorale doit en effet s'interpréter très strictement. Dans un avis (inédit) L. 22.066/2 du 8 mars 1993 sur un avant-projet de loi visant à promouvoir une répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes de candidatures aux élections législatives sur un système prévoyant que pas plus des deux tiers des candidats d'une même liste électorale ne pouvaient appartenir au même sexe et qu'une liste qui ne respecterait pas cette proportion perdrait divers avantages financiers normalement accordés aux candidats et aux partis politiques. Le Conseil a fait observer que d'après le projet, il n'était pas interdit de déposer une liste ne répondant pas à la proportion prescrite, si bien qu'il n'y avait aucun problème non plus du point de vue du principe de l'égalité des Belges en matière d'éligibilité. Ce qui posait problème, c'était la différence de traitement, en matière d'aide financière accordée par l'État, entre listes « conformes » et « non conformes ». Le Conseil d'État est parti du principe que que « l'inégalité que le projet institue se manifeste dans un domaine où toute rupture d'équilibre entraîne des conséquences graves. S'il est en effet un domaine dans lequel une inégalité, si minime soit-elle, est mal supportée, c'est bien celui de l'organisation d'une compétition. Or, la compétition électorale est l'un des aspects essentiels du système démocratique, car à défaut de celle-ci, la rivalité entre les partis ne trouve pas de solution et cesse d'être bénéfique. L'égalité entre les concurrents est le propre de toute compétition et le moyen indispensable de lui conserver son efficacité et sa signification ». Dans l'examen du rapport de proportionnalité entre le but d'une différenciation et les moyens pour y parvenir, il faut, selon la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, tenir compte, entre autres, « de la nature des principes en cause ». C'est notamment au vu de cette condition que le Conseil d'État est arrivé à la conclusion qu'« il ne paraît (...) pas que la loi puisse enfreindre le principe d'égalité des candidats pour avancer vers l'objectif, pourtant tout à fait important lui aussi, que constituent la réalisation d'une égalité effective entre les sexes et sa conséquence, la participation des femmes aux assemblées politiques ».

Dans l'avis L. 22.885/2 du 17 novembre 1993, le Conseil d'État a répété cette critique. Il a souligné une nouvelle fois que la sanction devait être proportionnelle au but poursuivi. À cette occasion, le Conseil a aussi explicitement mis l'accent sur une autre solution possible qui permettrait d'écarter les objections soulevées, à savoir « la révision de la Constitution afin d'inscrire, de manière expresse, le principe d'une représentation équilibrée des hommes et des femmes sur les listes électorables (29). Dans l'avis L. 29.910/2 du 3 avril 2000, le Conseil d'État a rappelé cette dernière suggestion. Il a également renvoyé à la situation en France, où le Conseil constitutionnel avait annulé deux lois qui tendaient à assurer une représentation minimale de chaque sexe sur les listes électorales, et où la Constitution avait été modifiée en conséquence (30).

Pour pouvoir déroger à l'application stricte du principe de l'égalité en matière électorale, il faut donc procéder à une modification de la Constitution. Comme le Conseil d'État l'a fait remarquer, notamment dans l'avis précité L. 29.910/3, la déclaration de révision en vigueur, publiée au Moniteur belge du 5 mai 1999, permet de compléter le titre II de la Constitution « en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité ». Sur la base de cette déclaration, il est possible d'instituer la « démocratie paritaire dans le processus décisionnel politique » (31).

18. Si le constituant veut aller encore plus loin et déroger à des dispositions concrètes qui ont été élaborées dans la Constitution même ou prévoir des compléments à ces dispositions, par exemple en ce qui concerne la composition du gouvernement fédéral (voir les articles 99 et 104), il faut alors modifier ces articles eux-mêmes.

Il va de soi que de telles modifications ne sont possibles que si la déclaration de révision de la Constitution permet de le faire. Nous reviendrons sur ce point lors de la discussion des textes actuellement à l'examen (voir infra, nº 28).

19. À propos de ce qui précède, il faut encore remarquer que le constituant peut certes, en respectant les règles de procédures prévues, déroger sans restriction à des dispositions constitutionnelles existantes, mais qu'il doit quand même à cette occasion tenir compte du droit international, en particulier les conventions internationales relatives aux droits de l'homme.

En ce qui concerne le droit électoral, les dispositions conventionnelles ne semblent toutefois pas s'opposer de la même manière que les articles 10 et 11 de la Constitution à une différence de traitement dès lors que celle-ci tend à mettre un terme à une inégalité de fait dans ce domaine. L'artice 7, b), de la Convention sur les femmes oblige en effet les États à prendre des mesures pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans la vie politique et publique et, en particulier, à leur assurer, dans des conditions d'égalité avec les hommes, le droit de prendre part à l'élaboration de la politique de l'État et à son exécution, d'occuper des emplois publics et d'exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons du gouvernement. Il suit d'une lecture conjointe de cette disposition et de l'article 4, § 1er, de la convention, que les États peuvent prendre des mesures particulières provisoires dans ce domaine également. Les dispositions relatives au droit électoral que l'on retrouve dans d'autres conventions, comme l'article 3 du 1er protocole à la CEDH, doivent indubitablement se lire à la lumière des dispositions susvisées de la Convention sur les femmes.

Le droit international ne semble donc pas faire obstacle à l'insertion, dans la Constitution, d'une disposition relative à la « démocratie paritaire », bien au contraire.

IV. ENDROIT OÙ PLACER LE NOUVEL ARTICLE DANS LA CONSTITUTION

20. La déclaration de révision de 1999 habilite le constituant à insérer un article dans le titre II de la Constitution, mais lui laisse le soin de déterminer l'endroit précis où le faire. Tous les textes en discussion visent à insérer un article 10bis.

L'on peut peut-être expliquer ce choix en constatant qu'il est question, dans les textes à l'examen, de l'« égalité » entre les femmes et les hommes. Le gouvernement et les auteurs des propositions et des amendements considèrent de toute évidence que leur texte précise le principe général d'égalité, qui figure à l'article 10 de la Constitution.

Le principe d'égalité (article 10) et l'interdiction de discrimination (article 11) sont toutefois des corollaires; ils constituent en réalité les deux faces d'une même médaille. Insérer des dispositions relatives à l'égalité entre les femmes et les hommes dans un article 10bis nuirait doublement à cette indivisibilité. Tout d'abord, l'on romprait le lien logique entre les articles 10 et 11 en insérant entre eux un autre article. En outre, l'on donnerait ainsi l'impression erronée que les dispositions relatives à l'égalité entre les hommes et les femmes ne concernent que le principe d'égalité, et non l'interdiction de discrimination; or, rien n'est moins vrai.

Il nous semble donc préférable, pour des raisons de cohérence interne à la Constitution et pour des raisons ayant trait au contenu même des dispositions proposées, d'insérer le nouvel article immédiatement après les articles 10 et 11 de la Constitution, en d'autres termes, d'insérer un article 11bis nouveau. L'on soulignerait ainsi que les nouvelles dispositions précisent le principe général d'égalité et l'interdiction générale de discrimination.

V. EXAMEN DES TEXTES PROPOSÉS

21. Le Sénat est actuellement saisi d'une proposition du gouvernement (nº 2-465/1), d'amendements à celle-ci (nº 2-465/2), et d'une proposition de Mme de Bethune et consorts (nº 2-483/1). En réalité, il s'avère que trois textes sont à l'examen : la proposition du gouvernement (avec les amendements nºs 2 et 4 à 10); une proposition de Mme Van Riet et consorts (amendement nº 1 à la proposition du gouvernement, avec un sous-amendement nº 11); et la proposition de Mme de Bethune et consorts (qui a également été déposée sous forme d'amendement nº 3 à la proposition du gouvernement). L'on discutera ci-après ces trois textes, ainsi que les amendements qui s'y rapportent.

a) Proposition du gouvernement

1. Alinéa 1er, première phrase

22. Selon l'alinéa 1er, première phrase, le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti. Il est bon de confirmer d'abord le principe général d'égalité, appliqué à la relation entre les femmes et les hommes. L'on fait ainsi immédiatement et clairement le lien avec l'article 10 (et l'article 11).

Une expression telle que « le droit à l'égalité » est toutefois moins heureuse. L'égalité et la non-discrimination sont davantage des obligations auxquelles les pouvoirs publics doivent se soumettre, qu'un droit que le citoyen peut faire valoir. Dès lors, il semble préférable de disposer que les hommes et les femmes sont égaux, ou que l'égalité entre les femmes et les hommes est garantie.

La disposition proposée s'adresse aux femmes comme aux hommes. Les femmes, mais aussi les hommes pourront donc se prévaloir de cette disposition (32). Dans pareille optique, l'on a choisi à juste titre de ne pas confirmer explicitement l'interdiction des discriminations : une confirmation de cette interdiction cadrerait dans une disposition telle que la Convention sur les femmes, qui vise spécifiquement à protéger une catégorie désavantagée dans les faits.

23. Il faut faire observer qu'il y a une différence entre le texte néerlandais et le texte français : dans le texte néerlandais, il est question de « de mannen en ... de vrouwen », alors que dans le texte français, il est question de « (les) femmes et (les) hommes ». L'ordre dans lequel on mentionne les deux sexes doit être le même dans les deux langues. Comme la disposition proposée vise en fait surtout à protéger les femmes, il serait préférable de mentionner les femmes en premier, comme le fait le texte français.

24. Vu la manière dont les articles 22, 22bis et 23 de la Constitution sont rédigés, il serait préférable de faire de la première phrase de l'alinéa 1er un (premier) alinéa séparé.

2. Alinéa 1er, deuxième phrase

25. L'alinéa 1er, deuxième phrase, dispose que la loi, le décret et l'ordonnance favorisent l'égal exercice des droits et libertés des femmes et des hommes, et notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics.

En disposant que la loi, le décret et l'ordonnance favorisent l'égal exercice des droits et libertés, l'on met l'accent sur l'obligation positive des pouvoirs publics concernés. Dans le droit moderne des droits de l'homme, l'on part en effet du principe qu'il existe trois types d'obligations pour les pouvoirs publics : une obligation de respecter les droits fondamentaux, qui implique un devoir d'abstention; une obligation de protéger les droits fondamentaux, qui implique une obligation de prendre des mesures contre l'immixtion de tiers; une obligation de mettre en oeuvre les droits fondamentaux, qui implique l'obligation de prendre des mesures de nature législative, administrative, budgétaire, judiciaire, promotionnelle ou autre, en vue de concrétiser pleinement le droit en question. Le fait de faciliter ou de promouvoir l'exercice d'un droit fait partie de cette dernière catégorie (33).

C'est précisément dans l'imposition d'une obligation de prendre des mesures positives que réside la plus-value d'une disposition constitutionnelle relative à l'égalité entre les femmes et les hommes (voir ci-avant, nº 13). Une disposition semblable à la deuxième phrase de l'alinéa 1er a dès lors certainement sa place dans la Constitution.

Toutefois, l'on peut se demander si les termes « bevorderen » et « favoriser » sont les plus adéquats dans le cadre de la Constitution belge. L'on reviendra sur ce point lors de la discussion de l'amendement nº 4 de Mme de Bethune, qui concerne cette question (voir ci-après, nº 31).

26. L'on charge à juste titre chacun des législateurs de prendre des mesures positives. Comme la Cour d'arbitrage l'a fait remarquer à plusieurs reprises, la consécration de droits et libertés fondamentaux par la Constitution et les traités internationaux ne signifie en aucune manière qu'en tant que telle, la réglementation de ces droits et libertés n'appartiendrait qu'à l'autorité fédérale. C'est à chaque autorité qu'il appartient d'en assurer le respect en les concrétisant lorsqu'elle exerce les compétences qui sont les siennes (34). Appliqué à l'égalité entre les femmes et les hommes, ce principe signifie que tous les pouvoirs peuvent mener une politique d'égalité des chances dans les matières pour lesquelles ils sont compétents (35).

27. Il serait peut-être préférable de transformer le dernier membre de phrase de la deuxième phrase (« et notamment ... ») en une phrase séparée ou même en un alinéa séparé.

La disposition proposée dans ce membre de phrase ressemble beaucoup à celle qui figure à l'alinéa 5 de l'article 3 de la Constitution française, ajoutée par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999. Cette disposition est rédigée comme suit :

« La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. »

Une différence importante avec la Constitution française tient au fait que la disposition concerne non seulement les mandats électifs mais aussi les mandats publics en général. Le gouvernement va ainsi plus loin que le strict nécessaire : en effet, les principes d'égalité et de non-discrimination constituent, en matière électorale, un obstacle à la prise de mesures positives (voir ci-avant, nº 17), mais il ne semble pas qu'ils constituent un obstacle dans les nominations et les promotions. Il suffit donc de mentionner spécifiquement les mandats électifs, comme dans la Constitution française. Le fait de mentionner également les mandats publics dans la disposition proposée peut susciter des doutes quant à la question de savoir si les pouvoirs publics peuvent ou doivent s'inquiéter de l'accès égal à d'autres fonctions, notamment dans le secteur privé, qui ne sont pas mentionnées explicitement (et qui, d'ailleurs, ne doivent pas davantage être mentionnées que les mandats publics).

3. Alinéa 2

28. L'alinéa 2 traite de la composition du gouvernement fédéral (36) et des gouvernements de communauté et de région (37).

La composition du gouvernement fédéral est régie par les articles 99 et 104 de la Constitution. Dès lors, c'est dans ces articles qu'il faudrait insérer des dispositions relatives à la présence minimale de personnes de chaque sexe (voir ci-avant, nº 18). Force est cependant de constater que la déclaration de révision de 1999 ne souffle mot de ces articles. Il n'a pas non plus été question de la composition du gouvernement fédéral (ni d'un autre gouvernement) au cours de la préparation de la déclaration au Parlement. L'on voit mal dès lors comment le constituant pourrait à présent modifier ou compléter ces articles.

La composition des gouvernements de communauté et de région est régie, pour sa part, par des lois adoptées en application de l'article 123, § 1er, de la Constitution (38). Du point de vue légistique, le constituant n'a pas à adopter des dispositions qui doivent normalement se trouver dans des lois. D'ailleurs, il n'est pas nécessaire d'inscrire une disposition relative à la composition des gouvernements de communauté et de région pour atteindre le but que l'on s'est fixé : le législateur spécial, ou, pour la Communauté germanophone, le législateur ordinaire, pourrait tout à fait légitiment prendre des mesures d'action positive sur la base de la mission définie à l'alinéa 1er. Si le constituant devait toutefois juger nécessaire de prendre ces mesures lui-même, il faudrait en tout cas le faire en adaptant l'article 123 précité, lequel n'a toutefois pas été déclaré soumis à révision en 1999.

La conclusion est dès lors qu'il faut supprimer l'alinéa 2.

29. Sur le fond, on peut d'ailleurs s'interroger sur la condition prévoyant que pour chaque gouvernement, sans exception, une représentation minimale d'une personne de chaque sexe doit être assurée. Pour les gouvernements dont le nombre de membres est relativement élevé, comme le gouvernement fédéral, cette condition peut à peine être considérée comme une garantie pour les femmes (39); pour les gouvernements dont le nombre de membres est relativement réduit, comme le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale (cinq membres) et le gouvernement de la Communauté germanophone (trois membres), l'effet de la mesure sera plus visible (bien que, même dans ces cas, la « démocratie paritaire » ne soit pas encore une réalité).

Le constituant verra peut-être dans la constatation qui précède une raison supplémentaire pour laisser le soin de déterminer la composition des gouvernements au législateur, qui pourra alors décider au cas par cas.

4. Alinéa 3

30. L'alinéa 3 dispose que la loi, le décret et l'ordonnance organisent la présence d'un membre de chaque sexe au moins au sein des collèges exécutifs d'une série d'administrations locales (40).

Pour les mêmes raisons que celles exposées ci-dessus en ce qui concerne l'alinéa 2 (nº 28), il n'est pas nécessaire d'inscrire une telle disposition dans la Constitution. Les différents législateurs trouveront déjà dans la mission définie à l'alinéa 1er une base suffisante pour prendre des mesures tendant à une égalité effective entre les femmes et les hommes aux niveaux politiques visés à l'alinéa 3.

5. Amendements à l'alinéa 1er

31. L'amendement nº 4 de Mme de Bethune vise à remplacer, à l'alinéa 1er, le mot « favorisent » par le mot « garantissent ».

Stricto sensu, c'est la Constitution elle-même qui « garantit » certains droits et il appartient aux différents législateurs de concrétiser ensuite ces droits. Strictement parlant, c'est donc à juste titre que le texte du gouvernement utilise les mots « bevorderen » (« promouvoir ») ou « faciliter » (« vergemakkelijken ») (voir supra, le nº 25).

Force est toutefois de constater que les dispositions constitutionnelles en vigueur qui chargent les différents législateurs de concrétiser la jouissance d'un droit fondamental déterminé utilisent les termes « garantir » ou « assurer » (« waarborgen ») (voir les articles 11, 22, 22bis, 23 et 24, § 1er). Pour la cohérence interne de la Constitution, il semble dès lors préférable d'utiliser également le même terme à l'article proposé, comme le suggère l'amendement nº 4. Si toutefois le mot « garanti » est maintenu dans la disposition qui figure actuellement à l'alinéa 1er, première phrase, de la proposition du gouvernement (comparer supra, le nº 22), mieux vaudra conserver également le terme « bevorderen » ou « faciliter ».

32. L'amendement nº 5 de Mme de Bethune vise à souligner que l'égalité qui doit être favorisée est une égalité « effective ».

Le fait même que l'on charge les différentes autorités de favoriser l'égalité implique déjà qu'il s'agit d'une égalité de fait, c'est-à-dire effective. Il ne paraît pas nécessaire de le préciser. Ceci d'autant plus qu'une telle précision ne figure pas davantage dans les dispositions constitutionnelles existantes qui confient des missions analogues (voir plus particulièrement les articles 22 et 22bis).

33. L'amendement nº 6 de Mme de Bethune propose de remplacer les mots « leur égal accès aux mandats électifs et publics » par le mots « leur égale participation au processus de décision politique ».

Comme exposé déjà ci-dessus, une disposition particulière qui pourra être interprétée comme une dérogation à l'application stricte du principe d'égalité n'est nécessaire qu'en matière électorale (nº 17). Il est donc superflu de mentionner la notion plus large de « participation au processus de décision politique ».

Subsidiairement, il faut toutefois remarquer que dans le cas présent, rien ne s'oppose du point de vue constitutionnel à une formule comme celle que propose l'amendement. Les termes utilisés dans l'amendement expriment en effet d'une manière générale quelle doit être la finalité des mesures à prendre.

34. L'amendement nº 7 de Mme de Bethune tend à remplacer les mots « égal accès » par les mots « égale participation ».

Cet amendement aboutirait à un texte qui ne serait pas linguistiquement correct, car on ne peut pas parler de la « participation » à certains mandats.

35. Selon l'amendement nº 8 de Mme de Bethune, il faudrait supprimer les mots « , et notamment ».

Si ces mots étaient supprimés, il deviendrait moins évident que les mesures relatives aux mandats ne constituent qu'un exemple de l'ensemble des mesures que les autorités peuvent prendre pour favoriser l'égalité des femmes et des hommes. De ce point de vue, le texte du gouvernement est donc préférable. Rappelons toutefois qu'il serait encore préférable de faire du membre de phrase commençant par « et notamment » une phrase distincte ou un alinéa distinct (voir supra, le nº 27).

36. L'amendement nº 10 de Mme de Bethune tend à supprimer, dans le texte néerlandais de l'alinéa 1er, les mots « van de Grondwet ».

Cet amendement se justifie parfaitement pour des raisons légistiques.

6. Amendements aux alinéas 2 et 3

37. L'amendement nº 2 de Mme Nagy vise à remplacer, à l'alinéa 2 de la proposition du gouvernement, les mots « au moins un représentant de chaque sexe » par les mots « des personnes de sexe différent » et, à l'alinéa 3, les mots « d'un membre de chaque sexe au moins » par les mots « de personnes de sexe différent ».

Si on se rallie à l'idée qu'il est préférable de supprimer les alinéas 2 et 3 (voir ci-dessus, les nºs 28 et 30), l'amendement nº 2 devient sans objet.

Subsidiairement, on peut remarquer quant au fond que la modification proposée est moins rigide que celle de la proposition du gouvernement. De ce fait, elle permet des approches plus « taillées sur mesure » et ne donne pas l'impression qu'avec une seule personne de chaque sexe, on réalise déjà la « démocratie paritaire ».

38. L'amendement nº 9 de Mme de Bethune vise à remplacer, à l'alinéa 2, les mots « au moins un représentant » par les mots « une représentation égale ».

En ce qui concerne cet amendement aussi, il convient de remarquer d'abord que si les alinéas 2 et 3 sont supprimés, il devient sans objet.

Quant à son contenu proprement dit, il appartient au constituant de juger s'il faut prescrire d'emblée un nombre égal d'hommes et de femmes au niveau de tous les gouvernements. Une telle prescription aurait d'ailleurs entre autres pour conséquence que les gouvernements ne pourraient plus être constitués d'un nombre impair de membres.

b) Amendement nº 1 de Mme Van Riet et consorts et sous-amendement nº 11 de M. Vankrunkelsven

39. L'amendement nº 1 de Mme Van Riet et consorts prévoit de remplacer intégralement l'article proposé. Une caractéristique frappante en est que le principe général de l'égalité des femmes et des hommes n'est plus confirmé et que le champ d'application du texte proposé reste limité à l'accès aux mandats électifs et publics.

En ne mentionnant pas le principe général en question, l'amendement ne satisfait plus à l'obligation imposée par l'article 2, a), de la Convention sur les femmes. D'après cette disposition, le principe de l'égalité des femmes et des hommes doit être inscrit dans la Constitution sous sa forme la plus générale (voir supra, nº 11).

En outre, l'amendement semble perdre de vue que les discriminations à l'égard des femmes se produisent surtout dans le privé. Là aussi, le besoin d'une intervention des pouvoirs publics se fait parfois sentir.

Il convient donc de donner la préférence à l'approche plus large retenue dans l'amendement du gouvernement.

40. Pour le reste, les dispositions de l'amendement correspondent, en termes de contenu, à celles de la proposition du gouvernement. On peut donc se référer pour l'essentiel aux observations qui ont été faites concernant cette proposition. Quelques éléments méritent toutefois un examen distinct.

Ainsi, l'alinéa 1er du texte de l'amendement parlet-il de « chaque homme et chaque femme », au singulier, et non « des hommes et des femmes » au pluriel. La forme du pluriel semble toutefois préférable. La protection visée touchera en effet quiconque appartient à une catégorie déterminée. Il apparaît d'ailleurs aussi que le pluriel est utilisé dans la Convention sur les femmes [entre autres à l'article 2, a)], le PIDCP (article 3), le PIDESC (article 3) et le traité CE (articles 2 et 3, alinéa 2).

En ce qui concerne le mots « garantissent » à l'alinéa 2, on se référera à la remarque relative à l'amendement nº 4 de Mme de Bethune (voir ci-dessus, le nº 31).

La terminologie usitée à l'alinéa 3 est plus conforme à celle des dispositions constitutionnelles existantes concernant le Conseil des ministres (article 123, § 1er), comme l'expose la justification. Cette terminologie mérite donc d'être préférée à celle de la proposition du gouvernement.

L'alinéa 4 rectifie une série d'imperfections terminologiques contenues dans la proposition du gouvernement, ainsi que l'explicite la justification. Le texte de l'amendement est donc préférable sur ce point.

41. Le sous-amendement nº 11 de M. Vankrunkelsven vise à remplacer, à l'alinéa 1er du texte proposé par Mme Van Riet et consorts, les mots « Chaque homme et chaque femme » par les mots « Les hommes et les femmes ».

On se référera aux remarques qui ont été faites ci-dessus à propos des termes en question qu'utilise l'amendement de Mme Van Riet et consorts (nº 40).

c) Proposition de Mme de Bethune et amendement nº 3 de Mme de Bethune à la proposition du gouvernement

42. Comme on l'a déjà fait observer, le texte de l'amendement nº 3 de Mme de Bethune correspond au texte de la proposition qu'elle avait déposée précédemment.

Tous les éléments de ce texte ont déjà été abordés lors de l'examen des amendements nºs 4 à 9 de Mme de Bethune. On peut dès lors renvoyer à cette discussion.


2. EXPOSÉ DE M. M. UYTTENDAELE, PROFESSEUR ORDINAIRE À L'ULB

I. SUR LE PRINCIPE DE LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE

1. Il fut un temps où le législateur pouvait tout. Avec l'arrêt Le Ski de la Cour de cassation (41) et la création de la Cour d'arbitrage, ce temps est aujourd'hui révolu ...

Il est même révolu le temps où l'on pouvait affirmer que le constituant pouvait tout. Il existe, en effet, aujourd'hui une tendance jurisprudentielle au terme de laquelle la Constitution est soumise au droit international, et notamment à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En vertu de cette tendance, déjà consacrée par le Conseil d'État (Conseil d'État, nº 62.921 du 5 octobre 1996, Goosse et Conseil d'État, nº 62.922 du 5 octobre 1996, Orfinger), mais contestée par la Cour d'arbitrage, le juge ordinaire peut écarter l'application d'une disposition constitutionnelle au seul motif qu'elle est contraire à une disposition de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne.

Par ailleurs, en vertu de l'article 195 de la Constitution, la Constitution est soumise à la Constitution elle-même. En effet, le constituant voit son action limitée à ce qui est prévu dans la déclaration de révision de la Constitution. Trop souvent, le constituant a modifié implicitement la loi fondamentale, et plus particulièrement des dispositions qui ne figuraient pas dans la déclaration de révision de la Constitution. Une telle démarche, outre le fait qu'elle viole l'article 195 de la Constitution, est source d'incohérence et d'un manque de lisibilité du texte fondamental.

2. Une première question se pose donc : peut-on introduire dans la Constitution, sous l'actuelle législature, une disposition constitutionnelle garantissant une meilleure représentation des femmes dans les organes politiques ?

Sur le plan interne, la question ne soulève guère de difficultés. Dans la déclaration de révision du 5 mai 1999, il a été déclaré qu'il y a lieu à révision du titre II de la Constitution en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité.

Vous êtes donc fondé, sans conteste, à introduire dans la Constitution, une disposition qui consacre l'égalité des hommes et des femmes ...

En ce qui concerne le respect des instruments internationaux, vous ne devriez pas non plus rencontrer de difficultés insurmontables. En effet, de multiples dispositions de droit international incitent les États à promouvoir une plus grande égalité entre hommes et femmes, et ce notamment dans l'exercice des mandats publics. Ces instruments ont déjà été recensés dans les travaux préparatoires. Il n'est donc pas utile de les reprendre ici de manière exhaustive. Une remarque s'impose, cependant, et apparaîtra sans doute comme une évidence à d'aucuns. Le fait de remédier à une inégalité de fait, et partant, de faire disparaître une discrimination doit se faire dans le respect du principe d'égalité, et en ayant égard au principe de proportionnalité. Autrement dit, le fait de rétablir l'égalité au détriment d'une catégorie de la population victime d'une discrimination ne peut avoir pour conséquence d'engendrer de manière disproportionnée, une discrimination au détriment d'une autre catégorie de personnes. Il s'indiquera donc de prêter une attention toute particulière à la formulation de la nouvelle disposition en projet.

2. SUR L'EMPLACEMENT IDÉAL DE LA NOUVELLE DISPOSITION DANS LA CONSTITUTION

3. Il convient d'avoir égard, tout d'abord, à la proposition gouvernementale. Plusieurs options peuvent être envisagées, dont certaines d'entre elles impliqueraient une division de l'article.

4. Tout d'abord, il faut constater que la proposition gouvernementale vise à rattacher cette disposition à l'article 10, en préconisant l'adoption d'un article 10bis. L'article 10 de la Constitution, faut-il le rappeler, est rédigé en ces termes : « Il n'y a dans l'État aucune distinction d'ordres. Les Belges sont égaux devant la loi; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers. » Autrement dit, le choix politique des auteurs de la proposition est de situer cette modification dans la perspective du principe d'égalité des Belges devant la loi. Il y aurait donc à la fois égalité générale des Belges devant la loi, et égalité particulière entre hommes et femmes.

Partant, parmi toutes les égalités possibles entre les Belges, recouvertes par l'article 10 de la Constitution ­ ce qui explique sa formulation globale ­, un sort privilégié serait réservé à une égalité particulière, à savoir celle devant exister entre les femmes et les hommes.

Cette option est sans doute respectable, mais génère malgré tout une inégalité dans l'affirmation de l'égalité.

5. D'autres solutions aussi raisonnables auraient pu être retenues. Ainsi, s'agissant en l'espèce de la volonté de lutter contre une discrimination, il n'aurait pas été déraisonnable de rapprocher la nouvelle disposition de l'article 11 selon lequel « La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. À cette fin, la loi et le décret garantissent notamment les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques ».

Pour trancher entre ces deux hypothèses, il faut que le constituant fasse un choix. Soit il promeut une conception immanente de la société dans laquelle le critère homme/femme prédomine par rapport à tout autre, et le rapprochement avec l'article 10 de la Constitution peut être privilégié. Soit il entend réprimer une discrimination dont serait victime le groupe sexuel minoritaire, et il s'agit, au contraire, de créer un rapport privilégié entre la disposition en projet et l'article 11 de la Constitution.

En ce qui me concerne, je rattacherais plutôt la nouvelle disposition à l'article 11, car la question me paraît plus relever d'une remise en cause d'une discrimination, que de l'affirmation d'une égalité particulière à privilégier par rapport à l'égalité générale des Belges devant la loi, laquelle perdrait ainsi la vocation globalisante qui est actuellement la sienne dans l'article 10 de la Constitution.

6. Ensuite, il convient de s'interroger sur l'opportunité de faire de la disposition en projet une disposition autonome. On aperçoit les raisons qui ont conduit à retenir cette démarche lesquelles se fondent sur la volonté de « sacralisation » de la nouvelle règle.

Cependant, sur le plan légistique et sur le plan juridique, cette solution n'est pas sans inconvénients. En effet, il me semble que la lisibilité de la Constitution est meilleure quand il est possible d'éviter le recours aux bis, ter, quater et même ter-bis comme on en a trop connu par le passé. Ensuite, et plus fondamentalement, le fait d'inclure la disposition en cause dans l'article 10 ou mieux encore à mon sens dans l'article 11 permet de garantir un contrôle par la Cour d'arbitrage de toutes les normes législatives qui mettront ces principes en oeuvre, et même, de manière générale, de toute autre norme législative qui pourrait entrer en contradiction avec les principes contenus dans la nouvelle disposition.

Sans doute objectera-t-on que des projets ont été déposés devant les Chambres afin d'étendre à toutes les dispositions du titre II, le contrôle de la Cour d'arbitrage. Cependant, outre le fait qu'il ne s'agit encore là que de textes en projets, cette réforme ne fera sans doute pas disparaître le caractère « sacralisé » des articles 10 et 11 de la Constitution.

Autrement dit, l'affirmation de l'importance symbolique des principes à adopter sera alors plus forte encore qu'en cas d'adoption d'une norme autonome puisque, grâce à cela, les nouveaux principes feront partie des dispositions surprotégées de la Constitution belge.

7. Les options ne se limitent pas à choisir entre un rapprochement avec l'article 10 ou avec l'article 11 ainsi qu'entre l'adoption d'une disposition autonome ou l'intégration des nouveaux principes dans une disposition déjà existante.

En effet, il faut se demander s'il ne conviendrait pas de diviser l'article en projet. Sous réserve des remarques formulées plus loin, la phrase « Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti. La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 favorisent l'égal exercice de leurs droits et libertés, et notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics », figurerait dans le titre II de la Constitution (Des Belges et de leur droits), selon l'option retenue, dans un article 10bis, un article 11bis, ou au § 2 de l'article 10 ou au § 2 de l'article 11.

Par contre, les alinéas 2 et 3 du texte en projet seraient, quant à eux, renvoyés dans les dispositions pertinentes du titre III (Des pouvoirs). En effet, il s'agit, en réalité, de règles qui traduisent un principe fondamental exprimé logiquement dans le titre II (alinéa 1er du texte en projet) dans l'organisation des pouvoirs, et plus particulièrement le Conseil des ministres, les gouvernements régionaux et communautaires, ainsi que les autorités locales. Ainsi, l'alinéa 2 de l'article 99 et l'article 122 de la Constitution pourraient utilement être adaptés afin de prévoir la présence d'un représentant de chaque sexe au sein de tous les gouvernements. De même, l'article 162 pourra être modifié afin de consacrer le même principe pour les institutions communales et provinciales. D'autres dispositions constitutionnelles pourraient d'ailleurs être, dans cette perspective, utilement complétées.

8. On objectera sans doute que les articles 99, 122 et 162 ne sont pas soumis à révision.

Cette objection peut, cependant, aisément être contournée. La déclaration de révision constitutionnelle porte, en principe, sur une disposition, à savoir un article ou une partie d'article. Cette règle ne peut, cependant, être interprétée de façon trop formaliste. En effet, le constituant peut réviser la règle juridique contenue par la disposition soumise à révision, mais il n'est pas tenu par la numérotation des articles soumis à révision (voy. notamment J. Velu, Droit public, Bruylant, 1986, p. 174; W.J. Ganshof van der Meersch, « Réflexions sur la révision de la Constitution », JT, 1972, p. 480). Ainsi en 1970, il n'a pu insérer dans la Constitution le paragraphe 3 de l'article 59bis ancien, relatif à la réglementation de l'emploi des langues, que parce que l'article 23 ancien, qui garantit un caractère facultatif de l'emploi des langues, était soumis à révision. Or cette dernière disposition n'a fait, en tant que telle, l'objet d'aucune modification.

9. En ce qui concerne la proposition parlementaire, les considérations relatives au rattachement aux articles 10 et 11, ainsi que la réflexion sur le caractère autonome de la disposition sont également d'actualité. Par contre, aucune division ne s'impose, compte tenu du caractère moins exhaustif de la disposition en projet.

3. SUR LE CONTENU DES DISPOSITIONS EN PROJET

10. Le principe de la protection d'une minorité particulière est évidemment admissible et bien connu en droit belge. Cependant, ainsi qu'il a été relevé plus haut, la prise en considération d'un groupe particulier de citoyens et la protection constitutionnelle dont il bénéficie, et ce à l'inverse de tous les autres, doit se faire dans le respect du principe de proportionnalité.

La jurisprudence de la Cour d'arbitrage, ainsi que celle de la Cour européenne des droits de l'homme, pose le principe selon lequel les principes d'égalité et de non-discrimination sont violés lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par la mesure mise en cause. Dans le cadre de ce contrôle, la Cour européenne se réfère notamment au concept de « restriction nécessaire dans une société démocratique ». Les indices d'une discrimination seront ainsi déduits d'un examen comparatif des systèmes juridiques démocratiques permettant de juger si l'autorité a ménagé un juste équilibre « entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis par la Convention » (CEDH, 2 mars 1987, arrêt Mohin et Clerfayt, op. cit., § 7; J. Velu et R. Ergec, « La Convention européenne des droits de l'homme », RPDB, Complément VII, pp. 121-122). Il n'est pas douteux que le droit d'éligibilité constitue l'un des principes essentiels d'une société démocratique. Il fait partie intégrante du droit à des élections libres, tel qu'il est formulé par l'article 3 du premier Protocole additionnel à la Convention européenne. Si la Cour européenne a admis la possibilité de limitations implicites au droit à des élections libres, en considérant que les États peuvent entourer les droits de vote et d'éligibilité de certaines conditions, elle n'a pas manqué d'ajouter qu'ils doivent s'assurer « que ces conditions ne réduisent pas les droits dont il s'agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu'elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés » (CEDH, 2 mars 1987, arrêt Mohin et Clerfayt, § 52).

11. Avant d'examiner les deux textes en projet, une remarque commune mérite d'être formulée. Les deux textes, en effet, affirment l'existence d'un « droit à l'égalité entre les hommes et les femmes ». L'égalité est un droit, nul ne peut le contester. Cette formulation est donc quelque peu redondante. Ne convient-il pas d'affirmer plutôt que « l'égalité entre les hommes et les femmes est garantie » ... Il en irait d'autant plus ainsi si la solution retenue est de faire un rapprochement entre l'article en projet et l'article 10 de la Constitution.

12. La proposition parlementaire n'est pas dépourvue d'ambiguïtés et elle ne présente pas la vertu de modération qu'exige le respect du principe de proportionnalité.

En effet, il est fait recours à un concept de science politique, à savoir « le processus de décision politique » ... Les contours juridiques de cette notion sont on ne peut plus flous, ce qui présente un inconvénient majeur et cela a fortiori en raison de l'obligation qui serait faite au législateur de garantir l'égalité effective des hommes et des femmes qui prennent part à ce processus. Ceci peut aboutir à une généralisation de la parité dans des sphères qui n'entraient sans doute pas dans les prévisions des auteurs du texte. Ainsi, par exemple, ne peut-on pas affirmer que les organisations patronales et syndicales sont dans certains domaines appelées à participer au processus de décision politique ? N'en est-il pas de même de certains ordres professionnels qui rédigent des règlements qui font l'objet d'une approbation par arrêté royal ?

Par ailleurs, la parité absolue dans tous les organes à caractère politique présente une radicalité peu compatible avec le principe de proportionnalité. Il faut, en effet, rappeler que, en Belgique, toute l'évolution du régime démocratique s'est, jusqu'à la loi Smet-Tobback, caractérisée par une diminution constante, voire un effacement de toutes les limitations à l'exercice d'un mandat public, que ce soit en raison de l'âge, de la situation de fortune, des études réalisées, du sexe ou de la nationalité.

Il me paraîtrait donc excessif, pour remédier à une évidente discrimination de fait au détriment des femmes, de constitutionnaliser une discrimination de droit au détriment des hommes, ou même de tout autre groupe de citoyens non protégé.

Tel serait, à mon sens, le cas d'une parité conçue non plus comme un objectif à atteindre, mais comme une obligation juridique intangible.

13. Sur ce plan, la proposition gouvernementale paraît infiniment plus conforme au principe de proportionnalité. En effet, elle permet une adaptation de la législation à l'évolution de la société et ne se heurte pas au principe immanent de la liberté démocratique qui exige que, sauf situation d'exception ­ ce qui est le cas de la discrimination de fait existant pour l'instant ­ aucune distinction de quelque nature que ce soit ne soit faite entre les citoyens lorsqu'il s'agit d'exercer ou d'accéder à une fonction publique.

IV. SUR LE CHAMP D'APPLICATION DES DISPOSITIONS EN PROJET

14. Il n'y a plus lieu de revenir sur la proposition parlementaire compte tenu de la critique qui a déjà été faite du concept de « processus de décision politique ».

15. En ce qui concerne la proposition gouvernementale, il faut s'interroger sur le terme « mandat électif ou public ». De toute évidence, ce concept couvre tous les mandats qui relèvent directement ou indirectement d'une manifestation du suffrage universel, mais de manière générale tous les organes publics qui sont constitués de membres nommés, voire élus. Tel serait par exemple le cas des organes d'une université publique.

16. Enfin, il est permis de s'interroger sur l'applicabilité des principes contenus dans le texte en projet aux différents collèges des commissions communautaires. En effet, il ne s'agit pas d'organes gouvernementaux des régions au sens de l'article 39 de la Constitution et la question de savoir s'ils sont des gouvernements des communautés fera probablement l'objet de controverse. Or la seule femme dont la présence est exigée au sein du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ne pourra pas, par essence, être présente dans tous ces organes collégiaux. Il s'indiquerait donc de préciser les intentions des auteurs de la proposition à ce propos. Si la solution de l'éclatement des alinéas 2 et 3 de la proposition dans les dispositions adéquates du titre III est retenue, il pourra aisément être remédié à cette critique.

17. Pour conclure, il me paraît que les solutions suivantes permettraient une réforme cohérente.

­ Prendre comme base de travail la proposition gouvernementale.

­ Modifier son premier alinéa comme suit : « L'égalité des femmes et des hommes est garantie. La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 favorisent l'égal exercice de leurs droits et libertés, et notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics ».

­ Ce premier alinéa deviendrait le second paragraphe de l'article 11 de la Constitution.

­ Le titre III de la Constitution sera complété dans chacune de ses dispositions qui ont trait au Conseil des ministres, aux gouvernements des régions et des communautés, aux organes exécutifs des pouvoirs locaux et, le cas échéant, aux organes des commissions communautaires à Bruxelles.


3. EXPOSÉ DE M. M. VERDUSSEN, PROFESSEUR A L'UCL

Le présent avis porte sur la constitutionnalité, d'une part, de la proposition du gouvernement fédéral du 8 juin 2000 visant à insérer dans le titre II de la Constitution un article 10bis relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité et favorisant leur égal accès aux mandats électifs et publics (doc. parl., Sénat, 1999-2000, nº 2-465/1) et, d'autre part, de la proposition de Mme de Bethune et consorts du 21 juin 2000 visant à insérer dans le titre II de la Constitution un article 10bis relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité (doc. Sénat, 1999-2000, nº 2-483/1).

Les deux propositions de révision constitutionnelle suscitent des observations de trois ordres; elles s'articulent autour des trois catégories de dispositions que l'on retrouve dans les deux textes. Auparavant, une remarque préalable nous semble s'imposer.

Remarque préalable

Dans la rédaction que lui a donnée le constituant de 1831, le titre II de la Constitution est devenu très largement inadapté. Lorsqu'on le compare avec certaines Constitutions européennes adoptées après la Seconde guerre mondiale (Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, etc.), on doit bien constater que celles-ci offrent des catalogues de droits fondamentaux plus précis et plus contemporains.

Au cours des dernières législatures, le constituant belge a montré qu'il était conscient de la nécessité de procéder à une actualisation du titre II, puisqu'il a entrepris d'en combler quelques lacunes.

Toutefois, la méthode utilisée prête le flanc à la critique. En effet, les modifications récentes apportées au titre II sont occasionnelles (droit au respect de la vie privée et familiale, droit de mener une vie conforme à la dignité humaine, droit de consulter des documents administratifs, etc.), ce qui comporte un triple risque : le risque de privilégier certains droits par rapport à d'autres (par exemple, pourquoi estime-t-on nécessaire de consacrer le droit au respect de la vie privée et familiale et pas le droit à un procès équitable ?); le risque qu'en voulant rencontrer des besoins ponctuels, dictés par des conjonctures particulières, on crée des illogismes (par exemple, pourquoi le droit de l'enfant au respect de son intégrité est-il consacré alors que la Constitution ignore le droit de tout être humain à un tel respect ?); le risque, enfin, de ne plus avoir une vision globale cohérente des droits fondamentaux protégés par la Constitution.

En conséquence, la question se pose de savoir s'il ne serait pas approprié, un jour ou l'autre, d'entreprendre une refonte complète du titre II de la Constitution, par un travail de réécriture du catalogue des droits fondamentaux. L'objectif serait de disposer d'un corpus de droits fondamentaux qui se distingue par sa cohésion, sa complétude et sa modernité. Ce dernier élément est capital : le titre II doit être le reflet des valeurs contemporaines qui traversent la collectivité belge. L'on n'oubliera pas que lorsqu'une Constitution établit une liste de droits fondamentaux, elle affiche par là les valeurs cardinales sur lesquelles elle entend fonder l'ordre juridique et la société politique.

1. Le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes

La proposition du gouvernement dispose, en sa première phrase, que « Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti », tandis que la proposition de madame de Bethune et consorts prévoit, également en sa première phrase, que « Le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes est garanti ».

Telle qu'elle est rédigée, cette disposition est inutile. Trois constatations s'imposent à cet égard.

Tout d'abord, la formulation retenue est caractéristique des droits fondamentaux de la première génération. Il s'agit des droits fondamentaux classiques, qui protègent l'individu contre les interventions abusives de l'État (le terme « État » est entendu au sens large du terme : il s'agit de la société politique, de l'ensemble des pouvoirs publics). En somme, le droit des femmes et des hommes à l'égalité est envisagé, avant toute chose, comme un droit négatif, c'est-à-dire comme un droit de défense. Il est d'ailleurs symptomatique de constater que la formulation est très proche de celle retenue à l'article 12, alinéa 1er (« La liberté individuelle est garantie ») et à l'article 19 de la Constitution (« La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés »), c'est-à-dire pour des dispositions qui remontent à 1831.

Ensuite, l'on doit bien admettre que, parmi les droits fondamentaux de la première génération, la Constitution garantit déjà, depuis 1831, un droit à l'égalité. Ce droit à l'égalité est conçu comme un droit négatif : il s'agit du droit d'exiger de l'État qu'il s'abstienne de tout traitement discriminatoire, c'est-à-dire de toute différence de traitement qui ne serait pas susceptible d'une « justification objective et raisonnable », selon la formule consacrée. Il n'est pas vain de préciser que ce droit a évolué, grâce aux interprétations jurisprudentielles successives que lui ont procurées les juridictions belges; ainsi, aujourd'hui, il n'est personne pour contester que le droit à l'égalité devant la loi (égalité formelle) est aussi un droit à l'égalité dans la loi (égalité matérielle).

Enfin, force est de constater que ce droit constitutionnel à l'égalité est formulé en des termes très généraux, de telle sorte qu'il couvre tous les aspects de la vie en société et toutes les formes de relations sociales, en ce compris l'égalité entre les femmes et les hommes, ce que confirme notamment la jurisprudence de la Cour d'arbitrage en la matière. Certes, il existe bien dans la Constitution, à côté du droit général à l'égalité, des dispositions qui garantissent des applications particulières du droit à l'égalité, tel l'article 24, § 4, et l'article 172. Cependant, à cela, il y a des explications historiques. Elles sont plus ou moins convaincantes mais, en tout cas, elles permettent de comprendre la présence de ces dispositions dans le texte constitutionnel. En ce qui concerne l'article 24, § 4, il traduit la volonté du constituant de préciser notamment quels sont les destinataires du droit à l'égalité en matière d'enseignement. En ce qui concerne l'article 172, il se justifie par le fait qu'en 1830-1831, il régnait une phobie des privilèges fiscaux, ce qui a incité les membres du Congrès national à garantir expressément l'égalité des citoyens par rapport à la loi fiscale (égalité des contribuables).

En conséquence, sur le plan strictement juridique, le « droit des femmes et des hommes à l'égalité » (projet) ou le « droit à l'égalité entre les femmes et les hommes » (proposition) ­ en tant que droit négatif (en tant que « clause antidiscrimination », selon l'expression contenue dans les développements de la proposition) ­ n'apporte absolument rien de plus par rapport à la situation actuelle.

Pourrait-on néanmoins donner une utilité à la disposition projetée ?

La consultation de certains textes constitutionnels étrangers offre, à cet égard, un intérêt certain. L'article 3, alinéa 1er, de la Constitution italienne dispose que « tous les citoyens ont une même dignité sociale et sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, de race, de langue, de religion, d'opinion politique, de conditions personnelles et sociales ». L'article 13 de la Constitution portugaise énonce que « tous les citoyens ont la même dignité sociale et sont égaux devant la loi », tout en ajoutant que « nul ne peut être privilégié, avantagé, défavorisé, privé d'un droit ou dispensé d'un devoir en raison de son ascendance, de son sexe, de sa race, de son territoire d'origine, de sa religion, de ses convictions politiques ou idéologiques, de son instruction, de sa situation économique ou de sa condition sociale ». L'article 14 de la Constitution espagnole prévoit que « les Espagnols sont égaux devant la loi; ils ne peuvent faire l'objet d'aucune discrimination pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d'opinion ou pour n'importe quelle autre condition ou circonstance personnelle ou sociale ». Ce sont là trois exemples parmi bien d'autres. En somme, on trouve plusieurs Constitutions étrangères qui, tout en envisageant le droit à l'égalité dans une perspective générale, entendent également le situer par référence à des critères précis de distinction. Est-ce à dire que, dans ces États, le législateur, ou toute autre autorité publique, ne peut établir aucune différence de traitement fondée sur un de ces critères ? Cette question appelle une réponse négative. En effet, comme l'a bien écrit Michel Leroy, « il serait aberrant de condamner d'office toute distinction fondée sur un critère déterminé » (42). Il n'est pas contestable que, dans les États en question, sur le plan constitutionnel, seules sont condamnables les différences de traitement qui sont constitutives d'une discrimination, c'est-à-dire les différences de traitement qui ne sont pas susceptibles d'une justification objective et raisonnable. Quelle est alors la portée de ces précisions apportées par le constituant ? Pourquoi, en d'autres termes, des Constitutions entendent-elles condamner plus fermement certains critères de distinction ? Il faut savoir que généralement, dans ces États, les juges ­ et surtout la juridiction constitutionnelle ­ considèrent que, dès le moment où le constituant entend mettre en évidence tel ou tel critères de distinction, il veut souligner que les critères ainsi identifiés méritent de la part des juges une plus grande vigilance et, par conséquent, réclament un contrôle plus strict.

Telle qu'elle est rédigée, il nous paraît peu probable que la disposition en projet puisse être interprétée, notamment par la Cour d'arbitrage, comme contenant implicitement un tel message. En effet, si on peut effectivement admettre que certains critères de distinction méritent a priori une plus grande attention (le sexe, la race, la religion, un handicap, une maladie, etc.), on voit mal ce qui permet d'affirmer que le critère du sexe jouirait d'une suprématie particulière dans l'ensemble de ces critères prééminents. Selon nous, la circonstance que les femmes et les hommes sont une composante fondamentale de l'humanité ­ vérité incontestable sur laquelle on reviendra plus tard ­ n'est pas ici un élément pertinent. En effet, lorsqu'il s'agit de déterminer si un pouvoir public a ou non commis une discrimination, rien ne justifie que, par principe, les juges aient plus d'indulgence pour une distinction fondée sur la race, par exemple, que pour une distinction fondée sur le sexe.

2. L'obligation de favoriser l'égalité effective entre les femmes et les hommes

Selon l'article 10bis, alinéa 2, dont l'insertion est suggérée par la proposition, « la loi, le décret et la règle visée à l'article 134 garantissent l'égalité effective entre les femmes et les hommes dans l'exercice de leurs droits ». Selon l'article 10bis, alinéa 1er, dont l'insertion dans la Constitution est suggérée par le projet, « la loi, le décret et la règle visée à l'article 134 favorisent l'égal exercice de leurs droits et libertés (...) ».

On doit s'interroger sur la signification exacte de ces deux phrases ­ qui sont très comparables ­ et, donc, sur les préoccupations de leurs auteurs.

Elles paraissent fondées sur une double motivation.

Il y a, tout d'abord, l'idée que le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes doit être garanti pleinement, en ce compris dans la jouissance des droits et libertés, que ceux-ci soient localisés dans la Constitution ou dans des traités internationaux directement applicables au sein de l'ordre juridique interne. En d'autres termes, il convient de condamner toute atteinte à un droit fondamental qui serait sexuellement discriminatoire, c'est-à-dire qui contiendrait une discrimination au détriment d'un sexe. À elle seule, cette idée est déjà englobée dans le droit général des femmes et des hommes à l'égalité (voir point 1). D'ailleurs, la Cour d'arbitrage considère, depuis 1989, que toute atteinte discriminatoire à un droit fondamental est constitutive d'une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, quelle que soit la nature de la discrimination et quelle que soit la catégorie discriminée. La première phrase de l'article 11 est, sur ce point, très claire : « La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. »

Il y a, ensuite, l'idée que le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas seulement un droit négatif, qui impose un devoir d'abstention à l'État. C'est aussi un droit positif, en ce qu'il impose un devoir d'action à l'État, c'est-à-dire l'obligation de mettre en oeuvre, spécialement par la voie législative, des actions positives et concrètes en faveur d'une égalité plus effective. On comprend mieux cette préoccupation, dans la mesure où il est un fait établi qu'en un certain nombre de domaines, les femmes souffrent encore de situations discriminantes qui ne sont pas imputables directement à l'État, mais plutôt à des comportements de nature privée, par exemple sur le marché du travail. Autrement dit, elles souffrent de discriminations qui sont indirectement imputables à l'État, en ce qu'elles traduisent une carence de celui-ci (43). D'où l'idée d'une obligation constitutionnelle pour l'État d'agir dans le but d'éviter ou de supprimer ces situations discriminantes.

Aussi légitime soit-elle, cette préoccupation suscite deux observations.

En premier lieu, on peut se demander si cette obligation d'agir n'est pas déjà contenue dans le droit général des femmes et des hommes à l'égalité, voire dans les articles 10 et 11 de la Constitution tels qu'ils sont actuellement rédigés. En d'autres termes, le droit à l'égalité et, a fortiori, le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes n'impliquent-ils pas, par eux-mêmes, l'obligation pour l'État de favoriser l'égalité effective entre les deux sexes, sans qu'il soit nécessaire de l'énoncer expressément ?

On touche ici à une question essentielle dans le droit constitutionnel contemporain : quelle est la portée exacte des droits fondamentaux reconnus par la Constitution ?

De toute évidence, un droit fondamental revêt une dimension subjective. Cette dimension est même historiquement la première : les droits fondamentaux sont, avant tout, des droits de défense. Lorsque la Constitution consacre la liberté de la presse, par exemple, elle offre à chaque individu le droit d'exiger de l'État qu'il s'abstienne de toute censure arbitraire. La question se pose de savoir si les droits fondamentaux ne revêtent pas également une dimension objective, c'est-à-dire une dimension qui obligerait l'État, non seulement à s'abstenir de toute ingérence illégitime dans l'exercice des droits fondamentaux, mais en outre à agir en faveur d'un exercice effectif de ces mêmes droits fondamentaux.

Certes, un certain nombre de droits fondamentaux ont, par nature, une dimension objective, parce qu'ils n'auraient aucun sens sans une intervention active de l'État. L'on citera, à titre d'exemple, la catégorie des droits économiques, sociaux et culturels. Par conséquent, ce n'est pas tant pour ces droits que la question de la dimension objective se pose que pour les autres droits fondamentaux, ceux de la première génération.

En clair, ne doit-on pas admettre que la consécration par le constituant d'un droit fondamental classique ­ qui dans son sens premier est, rappelons-le, un droit d'exiger de l'État de ne pas agir de telle ou de telle manière ­ emporte par elle-même pour l'État, et spécialement pour le législateur, l'obligation de mettre en oeuvre des actions positives et concrètes en faveur d'une protection plus effective de ce droit fondamental ? Ainsi, pour reprendre l'exemple de la liberté de la presse, ne faut-il pas admettre que la reconnaissance constitutionnelle de cette liberté impose au législateur, non seulement de s'abstenir de toute censure, mais également de prendre des initiatives, notamment financières, en faveur du maintien d'une presse libre ?

Il faut savoir qu'il existe dans la littérature juridique contemporaine, en Europe, une tendance très marquée, et même de plus en plus marquée, à considérer que cette dimension objective est inhérente à la notion même de droit fondamental. C'est l'idée, reprise par une certaine jurisprudence, que l'État, et surtout le législateur, doit agir pour promouvoir les droits fondamentaux. Tous les droits fondamentaux et pas seulement les droits économiques, sociaux et culturels. C'est l'idée que chaque droit fondamental est par lui-même l'expression d'une valeur qui, parce qu'elle est reconnue par la Constitution, ne peut rester platonique et, par conséquent, ne peut laisser les pouvoirs publics indifférents. Cette valeur doit être concrétisée. Elle doit « irradier l'ordre juridique », selon l'expression bien connue de la Cour constitutionnelle fédérale allemande. C'est d'ailleurs en Allemagne que cette tendance à l'objectivisation des droits fondamentaux a donné lieu aux développements les plus pénétrants (44).

Bref, en prévoyant expressément qu'il revient aux législateurs de « favoriser » ou de « garantir » l'égalité effective entre les femmes et les hommes dans l'exercice de leurs droits et libertés, l'on risque d'emporter la conviction que, s'agissant des autres droits fondamentaux, ceux pour lesquels une telle précision n'est pas prévue dans le texte constitutionnel, il serait exclu de leur reconnaître une telle dimension objective.

En second lieu, il faut être conscient que la disposition en projet est vouée à ne pouvoir être que très difficilement sanctionnée, spécialement par la Cour d'arbitrage.

En effet, pour qu'un contrôle soit simplement envisageable, il faut que deux conditions soient réunies. Un : il faut que soit constatée une carence d'un législateur. C'est l'hypothèse d'un législateur qui, sur un objet de sa compétence, ne prend pas les dispositions nécessaires pour favoriser une égalité effective entre les femmes et les hommes. Deux : il faut que cette carence soit telle qu'elle puisse être considérée comme « une omission législative inconstitutionnelle » (appelée parfois « inconstitutionnalité par omision du législateur »). C'est une question extrêmement délicate. À partir de quand l'inertie du législateur est-elle répréhensible ? Constitutionnellement répréhensible, c'est-à-dire répréhensible au regard de l'exigence constitutionnelle d'une égalité effective. Mais qu'est-ce qu'une égalité effective ? Ne doit-on, sur ce point, reconnaître une marge d'appréciation au législateur ? Quand commence et jusqu'où va cette marge d'appréciation ?

De surcroît, en supposant qu'on ait affaire à une omission législative qui soit inconstitutionnelle, force est de constater qu'en principe, aucune juridiction ne va pouvoir sanctionner cette inconstitutionnalité (45). En effet, la seule juridiction qui pourrait éventuellement le faire, c'est la Cour d'arbitrage. Mais, là où le bât blesse, c'est que celle-ci ne peut être saisie que de recours, ou de questions, dirigés contre des normes législatives existantes. La Cour d'arbitrage ne saurait être saisie du néant.

À cela, il n'y a qu'une seule exception. C'est l'hypothèse d'une omission législative relative : sur un objet de sa compétence, le législateur agit ­ donc il y a une norme existante ­, mais il n'agit pas complètement, pas suffisamment. On pourrait alors imaginer que la Cour d'arbitrage, faisant usage de l'article 8 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, décide d'annuler la norme, tout en maintenant ­ provisoirement, pour un délai qu'elle détermine, et fictivement ­ l'existence juridique de la norme annulée. Plutôt que de créer un vide juridique, il s'agit de laisser subsister quelques temps la norme inconstitutionnelle de manière à permettre au législateur de tirer parti de ce délai pour réagir (46).

Poursuivons le raisonnement. Supposons qu'à l'avenir, la Cour d'arbitrage soit habilitée à connaître d'omissions législatives absolues, ce qui supposerait une révision de l'article 142 de la Constitution. Dans ce cas, que pourrait-elle faire ? L'exemple du Portugal est, à cet égard, très significatif. L'article 283 de la Constitution portugaise dispose qu'« à la demande du Président de la République, du Pourvoyeur de justice ou des présidents des assemblées législatives régionales qui invoquent la violation des droits des régions autonomes, le Tribunal constitutionnel apprécie et constate l'inobservation de la Constitution par omission des mesures législatives nécessaires à l'application de normes constitutionnelles ». Ce même article précise que « quand le Tribunal constitutionnel constatera l'existence d'une inconstitutionnalité par omission, il en donnera connaissance à l'organe législatif compétent ». En Hongrie, la Cour constitutionnelle est même autorisée à adresser au législateur une injonction de légiférer dans le délai qu'elle lui impartit. Mais, dans l'un et l'autre cas, le juge constitutionnel n'est pas en mesure de contraindre le législateur à adopter une loi. Donc, si ce dernier persiste dans son mutisme, il n'y a aucune sanction possible.

En conclusion, on peut affirmer que, si la disposition proposée ne se heurte pas à une réelle objection constitutionnelle, il n'en reste pas moins, d'une part, qu'elle risque de générer une certaine incohérence dans le Titre II de la Constitution et, d'autre part, qu'elle est vouée à rester très largement incontrôlable.

Quant à son emplacement dans le texte constitutionnel, il paraît préférable de la situer, non pas dans un article 10bis, mais juste après les dispositions contenues aux articles 10 et 11, que ce soit par l'ajout d'un paragraphe supplémentaire à l'article 11 ou par l'insertion d'un article 11bis. Cet emplacement permettrait de préserver le lien symbiotique entre l'article 10 et l'article 11.

Sur le plan terminologique, il convient d'ajouter que, tandis que la proposition du gouvernement fait référence aux « droits et libertés » des femmes et des hommes, la proposition de Mme de Bethune et consorts se réfère à leurs « droits ». Envisagé de manière aussi générale et sans autre forme de précision, ce dernier terme est très englobant : il comprend, non seulement les droits et libertés ­ consacrés par la Constitution ou par des traités internationaux directement applicables dans l'ordre juridique interne ­, mais aussi tous les droits qui seraient reconnus à un niveau infraconstitutionnel, par exemple par une loi. Il semble donc que la formulation retenue dans la proposition de Mme de Bethune et consorts soit trop générique.

3. L'égalité entre les femmes et les hommes dans l'accès aux mandats publics

Les deux propositions contiennent des dispositions spécifiques relatives à l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'accès aux mandats publics et, plus spécialement, aux mandats politiques. Ces dispositions appellent un certain nombre d'observations.

­ La déclaration de révision de la Constitution du 4 mai 1999 prévoit qu'il y a lieu à révision « du Titre II de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité » (Moniteur belge du 5 mai 1999, p. 15368). Le libellé très large de la déclaration sur ce point autorise la consécration d'un droit des femmes et des hommes à l'égalité sur un plan général, mais également dans des domaines spécifiques, tel l'accès aux mandats publics, ce que confirme d'ailleurs les propos tenus à l'époque par le premier ministre (doc. Chambre, nº 2150-3, 98/99, p. 18 : voir également doc. Sénat, nº 1-584/2, 1998-1999, pp. 12-13).

­ Les dispositions sur l'égalité des femmes et des hommes dans l'accès aux mandats publics devraient être dissociées de celles, plus générales, analysées dans les deux points précédents.

­ Il convient d'être attentif à la cohérence de la réglementation sur l'équilibre des hommes et des femmes dans l'accès aux mandats publics. De deux choses l'une. Ou bien la Constitution consacre elle-même les règles visant à assurer un tel équilibre. Mais, dans ce cas, elle le fait complètement, et pas seulement pour les gouvernements centraux (national et fédérés) et les exécutifs locaux, comme l'envisage la proposition du gouvernement. Ou bien la Constitution se contente d'imposer au législateur le soin d'adopter lui-même ces règles. La proposition s'inscrit dans cette perspective et, en cela, elle a le mérite de la cohérence. C'est d'ailleurs la solution française : le nouvel article 3 de la Constitution de la Ve République, introduit le 28 juin 1999, prévoit en effet que « la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » (47). Mais, il est vrai, la révision constitutionnelle intervenue en France ne s'étend pas à tous les mandats publics et, notamment, ne concerne pas la composition du gouvernement.

­ Pour ce qui concerne à tout le moins les mandats électoraux, une telle formule, inspirée de la solution française, devrait suffire à mettre à l'abri d'un grief d'inconstitutionnalité les mesures contraignantes qui, en cette matière, ont été adoptées par le législateur, ou le seraient à l'avenir, qu'il s'agisse de quotas ou de la parité. C'est ainsi que, dans la décision nº 2000-429 du 30 mai 2000, le Conseil constitutionnel ­ saisi d'un recours contre la loi du 3 mai 2000 ­ a considéré qu'en modifiant l'article 3 de la Constitution, « le constituant a entendu permettre au législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », de telle sorte qu'« à cette fin, il est désormais loisible au législateur d'adopter des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant ». Et le Conseil constitutionnel de conclure « que les dispositions critiquées de la loi déférée fixant des règles obligatoires relatives à la présence de candidats de chaque sexe dans la composition des listes de candidats aux élections se déroulant au scrutin proportionnel entrent dans le champ des mesures que le législateur peut désormais adopter en application des dispositions nouvelles de l'article 3 de la Constitution » (48).

­ Il faut être conscient qu'en imposant « au moins un représentant de chaque sexe » pour les gouvernements centraux et les exécutifs locaux, la proposition gouvernementale s'inscrit dans la lignée de la loi du 24 mai 1994 visant à promouvoir une répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes de candidature aux élections (49) : il s'agit, par une « affirmative action », de fixer des contingents (50). De la sorte, le projet constitutionnalise l'idée même de quota. Or, ne doit-on pas admettre qu'en cette matière, des mesures contraignantes ne sont justifiables à long terme que si elles prennent la forme de la parité (entendue au sens d'une parité des candidatures) ? En effet, la parité reflète le fait indéniable que le genre humain est fondé sur une dualité sexuelle qui est l'essence même de l'humanité. C'est parce que l'humanité est sexuée qu'on doit construire une démocratie qui le soit elle-même. En revanche, les quotas sont des mesures de protection des minorités, ce que ne sont pas les femmes. Les femmes et les hommes ne sont pas à proprement parler des catégories. Comme l'a montré de façon lumineuse Sylviane Agacinski (51), les unes et les autres sont des composantes fondamentales de l'humanité. À cet égard, toute comparaison avec la langue, la classe sociale ou l'âge, par exemple, est oiseuse, car l'humanité existe indépendamment de ces catégories aléatoires et contingentes; en revanche, elle n'est rien sans la différence structurelle entre les deux sexes. Il est vrai, toutefois, que l'imposition d'une parité entre les femmes et les hommes n'est sérieusement concevable qu'en matière électorale et, à notre sens, uniquement en ce qui concerne les candidatures présentées sur chaque liste.

­ Le terme « favoriser » paraît préférable au terme « garantir », dans la mesure où il est irréaliste en cette matière d'imposer au législateur une obligation de résultat. À titre de comparaison, l'on relèvera que le nouvel article 9, h), de la Constitution portugaise range parmi les « tâches fondamentales de l'État » le fait de « favoriser (promouvoir) l'égalité entre les femmes et les hommes », la volonté du pouvoir constituant étant de laisser une certaine marge de manoeuvre au législateur (voyez l'audition du professeur Jorge Miranda par le Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les femmes et les hommes : doc. Sénat, 1998-1999, nº 1-584/3, p. 29).

­ Les expressions « au moins un représentant de chaque sexe » et « un membre de chaque sexe au moins », utilisées dans la proposition du gouvernement, ne sont pas très heureuses, ne fût-ce que parce qu'il ne saurait être question pour le titulaire d'une fonction gouvernementale ou administrative de « représenter » un sexe. L'expression « personnes de sexe différent », suggérée dans un amendement, est évidemment préférable, même si elle ne change rien sur le fond.

­ L'expression « processus de décision politique », contenue dans la proposition de Mme de Bethune et consorts, apparaît très largement indéterminée.

­ Au vu de la note explicative du gouvernement fédéral, il n'est pas certain que ce dernier soit conscient de toutes les implications que pourrait avoir son texte, en raison du caractère très étendu de l'expression « mandats publics ». En revanche, la proposition de Mme de Bethune et consorts semble se limiter aux seuls mandats politiques, ce qui est mieux circonscrit.

­ La proposition du gouvernement se limite à imposer dans chaque gouvernement ou exécutif la présence d'une seule femme (ou d'un seul homme), et ce quelle que soit la taille de l'organe. Cela aboutit à des résultats surprenants. Ainsi, dans le gouvernement flamand, un membre sur onze représente 9 % tandis que dans le gouvernement de la Communauté germanophone, un membre sur trois représente plus de 33 %. Ainsi encore, dans les collèges échevinaux des communes de moins de 1 000 habitants, ce serait le règne de la parité (50 %) ­ un échevin de chaque sexe ­ tandis que dans les communes de plus de 200 000 habitants, une exigence de 10 % serait suffisante.

­ Toujours en ce qui concerne le projet, l'on relèvera qu'en Région de Bruxelles-Capitale, la règle ne concerne pas les trois secrétaires d'État régionaux, tandis que pour l'autorité fédérale elle comprend les secrétaires d'État fédéraux. À cet égard, il serait sans doute préférable d'exiger que le Conseil des ministres, et non le gouvernement, soit composé de personnes de sexe différent dans chaque groupe linguistique, et non pour l'ensemble des ministres.


4. NOTE ÉCRITE DE M. J. VELAERS, PROFESSEUR À LA UNIVERSITEIT ANTWERPEN (UFSIA) ET CHARGÉ DE COURS À TEMPS PARTIEL À LA KUB

1. L'obligation générale de favoriser/garantir l'égalité (effective)

1. La déclaration de révision de la Constitution, publiée au Moniteur belge du 5 mai 1999, permet de réviser le titre II de la Constitution « en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité ».

2. Avant tout, il nous paraît important d'examiner dans quelle mesure un tel article nouveau peut ajouter quelque chose aux articles 10 et 11 existants de la Constitution concernant les principes d'égalité et de non-discrimination, qui sont également applicables tous deux à la distinction entre hommes et femmes. Ces articles interdisent déjà toute discrimination « négative » et offrent d'ores et déjà la possibilité d'introduire des « inégalités correctrices » (il s'agit de la discrimination dite positive). Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage que de telles inégalités correctrices sont possibles lorsqu'une inégalité manifeste est constatée, que la disparition de cette inégalité est désignée comme un objectif à promouvoir, que les mesures sont de nature temporaire et sont destinées à disparaître dès que l'objectif visé par le législateur est atteint et, enfin, qu'elles ne restreignent pas inutilement les droits d'autrui (52).

3. Il ressort de la proposition du gouvernement et des amendements déposés que l'objectif est non seulement de confirmer que les garanties existantes en matière d'égalité et de non-discrimination valent tout autant pour les hommes et les femmes ­ ce qui, en fait, est superflu ­ mais aussi de conférer une base constitutionnelle à des mesures qui favorisent/garantissent l'égalité entre hommes et femmes. Il s'avère que les dispositions proposées servent un double objectif. D'une part, celui de compléter la possibilité déjà garantie d'introduire des « inégalités correctrices » par une obligation générale de favoriser et de garantir, par des mesures positives, l'égalité (effective) entre hommes et femmes dans l'exercice de leurs droits (53).

D'autre part, les textes établissent clairement que la possibilité et l'obligation de discrimination positive en question vaut aussi en ce qui concerne l'exercice effectif de droits politiques par les femmes. Il était en effet apparu que la section de législation du Conseil d'État avait formulé, dans divers avis, des critiques concernant des projets de loi et des propositions de loi qui visaient à permettre une représentation équilibrée des hommes et des femmes en politique (54).

4. Dans la proposition du gouvernement, ces deux conditions supplémentaires sont inscrites à l'article 10bis, alinéa 1er : « Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti. La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 favorisent l'égal exercice de leurs droits et libertés, et notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics. » Dans la proposition de révision de la Constitution de Mme de Bethune et consorts (doc. Sénat, nº 2-483/1 ­ voir également le doc. Sénat nº 2-465/2, amendement nº 3), on peut lire ce qui suit : « Le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes est garanti. La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 garantissent l'égalité effective entre les femmes et les hommes dans l'exercice de leurs droits et, en particulier, l'égale participation des femmes et des hommes au processus de décision politique. »

5. Il existe déjà une telle obligation de prendre des mesures garantissant l'égalité en faveur de minorités idéologiques et philosophiques (article 11, deuxième phrase, de la Constitution). On propose maintenant d'imposer une telle obligation en ce qui concerne les rapports hommes/femmes. Nous examinerons ci-après dans quelle mesure une telle obligation constitutionnelle pourrait être justifiée (A), quel pourrait en être le champ d'application (B) et quelle pourrait en être la portée (C). Enfin, nous examinerons aussi si l'on pourrait frapper de sanctions le non-respect de cette obligation (D). Nous prendrons en considération, pour ce qui est de chacun de ces trois points, des textes proposés par le gouvernement et des textes figurant dans les amendements.

A. Justification d'une disposition particulière en matière d'égalité entre les hommes et les femmes

6. L'ajout, au titre II de la Constitution, d'un article obligeant les autorités à favoriser/garantir l'égalité entre les hommes et les femmes doit pouvoir être justifié sur la base du principe de non-discrimination. Le principe de non-discrimination, qui est issu du droit international et du droit européen, doit en effet aussi être appliqué par le constituant belge. Le constituant lui-même ne peut inscrire dans la Constitution aucune disposition qui serait discriminatoire à l'égard d'autres groupes défavorisés de la société. La question se pose de savoir comment justifier l'inscription dans la Constitution d'une obligation de prendre des mesures positives plus particulièrement pour garantir l'égalité hommes/femmes.

7. La proposition gouvernementale et la proposition de Mme de Bethune et consorts renvoient abondamment aux innombrables dispositions des conventions internationales qui s'intéressent à l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'exercice des droits en général et des droits politiques en particulier. Nous pouvons mentionner en particulier à cet égard la convention du 31 mars 1953 sur les droits politiques de la femme (55) et la convention du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (56). L'article 2, alinéa 1er, a), de cette dernière convention dispose que les États membres conviennent de poursuivre « par tous les moyens appropriés » une politique tendant à éliminer la discrimination à l'égard des femmes et qu'ils s'engagent à « inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l'égalité des hommes et des femmes, si ce n'est déjà fait, et à assurer par voie de législation ou par d'autres moyens appropriés l'application effective dudit principe. »

Il est clair que la disposition proposée vise à conférer un fondement constitutionnel à la réglementation fédérale, communautaire et régionale qui s'impose en la matière. Les documents de la Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes qui s'est tenue à Pékin (1995) et à New York (2000), les traités de la CE (voir les articles 2 et 3) et d'innombrables recommandations, conclusions, déclarations et résolutions, tant des Communautés européennes que du Conseil de l'Europe, demandent que l'on se préoccupe de l'égalité des femmes et des hommes, en général, et que l'on assure une participation plus équilibrée des femmes et des hommes au processus de décision politique, en particulier (57).

8. Ces dispositions internationales et européennes, qui sont toutes fondées sur la constatation que les femmes ne participent bien souvent pas sur un pied d'égalité avec les hommes à la vie politique et sociale, justifient indubitablement l'inscription dans la Constitution de l'obligation de prendre des mesures positives à l'égard des femmes.

9. La seule limite dont il convient de tenir compte à cet égard est celle dont la Cour d'arbitrage a déjà fait mention dans sa jurisprudence concernant la possibilité d'introduire des inégalités correctrices » (voir supra, nº 2). La « discrimination positive » ne se justifiera que tant qu'il existera une inégalité manifeste au détriment des femmes.

B. Champ d'application

10. La proposition gouvernementale et la proposition de Mme de Bethune et consorts visent à attribuer un large champ d'application à la nouvelle disposition de la Constitution. Il s'agit de favoriser« l'égal exercice de leurs droits et libertés » (proposition gouvernementale), de garantir « l'égalité effective entre les femmes et les hommes dans l'exercice de leurs droits » (proposition de Mme de Bethune et consorts, amendement nº 3). À notre avis, l'on entend manifestement par « leurs » droits tous les droits. La volonté d'attribuer un large champ d'application à la disposition en question ressort également des commentaires de ces propositions. La note explicative de la proposition gouvernementale parle en effet d'un « déséquilibre (...) au détriment des femmes dans tous les domaines : vie sociale, culturelle, économique et politique (proposition gouvernementale, p. 2). Dans les développements de la proposition de Mme de Bethune, on peut lire : « Les femmes sont toujours sous-représentées au sein des organes de décision politiques, économiques et sociaux. En moyenne, leur rémunération est inférieure à celle des hommes, elles sont confrontées plus qu'eux à la misère et au chômage et elles sont plus souvent victimes de violences » (développements, p. 3). À notre avis, les dispositions proposées fournissent une base constitutionnelle et impliquent l'obligation de prendre des mesures visant à favoriser/garantir l'égal exercice des droits que les femmes peuvent faire valoir, tant à l'égard des autorités (relation verticale, droit public) qu'à l'égard de leurs concitoyens (relation horizontale, droit privé).

11. La proposition gouvernementale et la proposition de Mme de Bethune et consorts soulignent en particulier que la loi, le décret et l'ordonnance doivent également favoriser/garantir l'égalité dans la vie politique. Les termes employés dans l'une et l'autre proposition diffèrent toutefois sur ce point. La proposition gouvernementale dit : « La loi, le décret et la règle (...) favorisent (...) » et « notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics ». La proposition de Mme de Bethune et consorts (amendement nº 3) dit : « La loi, le décret et la règle (...) garantissent (...) en particulier, l'égale participation des femmes et des hommes au processus de décision politique ».

12. Bien qu'il ne faille pas surestimer les différences entre les deux formulations ­ car il n'est question, dans l'une et l'autre proposition, que d'une application particulière de l'obligation générale de favoriser/garantir l'égalité ­ nous tenons à attirer l'attention sur deux points : d'abord sur le fait que le sens des mots « égal accès aux mandats » (proposition gouvernementale) est plus étroit que celui des mots « égale participation au processus de décision politique ». Ceux-là concernent en effet exclusivement l'élection et la nomination aux mandats cités, tandis que ceux-ci concernent, et les conditions d'accès et les conditions d'exercice (par exemple réglementation relative à la grossesse, à l'accueil des enfants, etc.) (58); ensuite sur le fait que les mots « mandats électifs et publics » semblent avoir une portée plus large que les mots « processus de décision politique » : il existe effectivement des « mandats électifs » qui ne concernent pas le « processus de décision politique » (cf. par exemple, les élections sociales), à moins que la notion de « processus de décision politique » ne doive être interprétée au sens très large (59). À notre avis, le sens de la notion de « mandats publics » est en tout cas plus large que celui de la notion de « processus de décision politique », simplement parce que par « mandats publics » l'on entend toutes les « fonctions publiques ».

C. Les obligations qui découlent, pour les autorités, de l'article proposé et des amendements

13. La proposition gouvernementale et la proposition de Mme de Bethune et consorts emportent une obligation pour les pouvoirs qui sont chargés, dans notre pays, de légiférer par la voie de lois, de décrets et d'ordonnances. En d'autres termes, les dispositions n'ont pas d'effet direct, mais constituent en quelque sorte des « normes d'instruction » incitant les législateurs compétents à prendre les mesures qui conviennent. Cet aspect du droit à l'égalité entre les hommes et les femmes est comparable, en ce sens, aux droits sociaux fondamentaux garantis par l'article 23 de la Constitution. Selon l'une et l'autre des deux propositions, il appartient aux législateurs compétents de prendre les mesures adéquates (60). Ils jouissent d'une liberté de choix à cet égard : il leur appartient d'apprécier l'opportunité de l'une ou l'autre mesure. Seules ne peuvent pas être prises, des mesures contraires à d'autres dispositions de la Constitution ou de conventions internationales. C'est ainsi que, par exemple, le corps électoral ne peut pas être subdivisé en un corps électoral d'hommes et un corps électoral de femmes. Sinon, l'on porterait en effet atteinte à l'unité et à l'indivisibilité du corps électoral et du mandat représentatif (61). En outre, on ne peut pas réserver aux femmes un nombre garanti de sièges au sein du Parlement et du gouvernement sans modifier les dispositions ad hoc de la Constitution (voir également infra, nºs 19 et suivants).

14. Il y a des nuances entre les deux propositions dans la manière dont est formulée l'obligation imposée aux assemblées législatives. Selon la proposition gouvernementale, il y a lieu de « favoriser » « l'égal exercice de leurs droits et libertés » tandis que, selon la proposition de Mme de Bethune (amendement nº 3), il y a lieu de « garantir » « l'égalité effective entre les femmes et les hommes dans l'exercice de leurs droits ».

15. Dans l'un et l'autre cas, l'objectif des auteurs est d'indiquer qu'une « égalité en droit » ne suffit pas et qu'il convient dès lors de tendre également vers une « égalité de fait ». L'exposé des motifs de la proposition du gouvernement le dit explicitement : « La révision de la Constitution qui est soumise à votre honorable assemblée vise à assurer la reconnaissance constitutionnelle du droit des femmes et des hommes à l'égalité et à fonder les dispositions de nature à traduire l'égalité de droit en égalité de fait. » La proposition de Mme de Bethune (amendement nº 3) inscrit explicitement cet objectif dans le texte même de l'article de la Constitution. La notion d'« égalité effective » indique en effet qu'il n'est pas question uniquement de l'égalité « en droit », mais que l'égalité doit également trouver sa concrétisation dans l'exercice effectif des droits.

16. Le verbe « favoriser » paraît être moins fort que le verbe « garantir ». Il convient pourtant, à notre avis, de relativiser la différence entre les deux termes. Selon la proposition gouvernementale, les autorités manqueront à leurs obligations si elles ne prennent pas des mesures adéquates et, selon la proposition de Mme de Bethune et consorts, c'est finalement aussi au gouvernement qu'il appartient de prendre les mesures garantissant l'égalité dans l'exercice des droits en question (62). En outre, « favoriser l'égalité effective » ne signifie pas, dans la proposition à l'examen, que les autorités sont tenues de réaliser une démocratie paritaire (parité au sein du Conseil des ministres, parité au sein du Parlement) (63). Si l'expression signifiait au contraire cela, alors, une révision des articles relatifs à la composition du Conseil des ministres et du Parlement serait nécessaire. À notre avis, il n'y a qu'une différence de nuance en ce sens que la proposition du gouvernement témoigne d'une approche pragmatique, tandis que celle de Mme de Bethune traduit de manière proactive l'idéal que poursuit la société.

17. Enfin, il faut signaler que l'article 23 de la Constitution dispose également que « la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent » une série de droits. Par contre, selon les constitutions de divers autres pays, il y a lieu de « favoriser » l'égalité entre hommes et femmes (64). C'est ainsi que, selon le nouvel article 3 de la Constitution française, qui y a été inscrit le 8 juillet 1999, « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». En exécution de cet article, la loi du 6 juin 2000 a imposé certains quotas pour diverses élections françaises. Il s'agit du principe dit de l'alternance (65). Cette loi a été contestée devant le Conseil constitutionnel. Bien que l'article 3 de la Constitution française utilise simplement le mot « favorise », le Conseil constitutionnel a estimé que le constituant a habilité le législateur à imposer des mesures contraignantes en vue d'assurer le plus effec

tivement possible l'égalité d'accès des hommes et des femmes (66). L'arrêt, qui a été prononcé confirme la relativité de la distinction entre « favoriser » et « garantir ».

D. La sanction du non-respect de l'obligation

18. Les autorités qui omettent de garantir l'égalité entre les hommes et les femmes par la voie de la loi, du décret ou de l'ordonnance violent la Constitution. Il est question en l'espèce d'une violation par omission. Comme l'article 10bis, alinéa 1er, deuxième phrase, n'a pas d'effet direct, il n'y a pas violation d'un droit subjectif. Cela n'emporte toutefois pas l'impossibilité de conférer un « caractère contraignant en droit ». Comme l'article 23 de la Constitution qui concerne les « droits fondamentaux », l'article 10bis de la Constitution pourrait, lui aussi, être considéré comme instaurant une « obligation de statu quo » : les législateurs compétents ne peuvent pas réduire les mesures existantes de protection de l'égalité entre les hommes et les femmes. La Cour d'arbitrage ne pourra en tout cas pas contrôler directement si les lois, les décrets et les ordonnances sont conformes à l'article 10bis de la Constitution. Un contrôle indirect ­ en corrélation avec les articles 10 et 11 de la Constitution ­ est toutefois possible (67).

2. Composition du gouvernement fédéral et des gouvernements de communauté et de région

19. La proposition du gouvernement prévoit également, à l'article 10bis, un alinéa 2, rédigé comme suit : « Le gouvernement fédéral, les gouvernements de communauté et de région et les gouvernements des organes régionaux visés à l'article 39 comprennent au moins un représentant de chaque sexe. »

20. À notre avis, cet alinéa 2 dépasse les limites de la déclaration de révision de la Constitution qui a été publiée au Moniteur belge du 5 mai 1999, et qui permet de réviser le titre II de la Constitution « en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité », mais sans dire que l'on peut aussi, en l'espèce, déroger aux dispositions du titre III de la Constitution en ce qui concerne la composition du gouvernement fédéral ou des gouvernements de communauté et de région.

22. L'article proposé limite le pouvoir de nommer les ministres et les secrétaires d'États fédéraux que l'article 96, alinéa 1er, et l'article 104 de la Constitution attribuent au Roi. Ces articles ne comportent aucune disposition concernant le nombre d'hommes ou de femmes que le Roi est tenu de nommer. Le législateur s'en remet à cet égard à son pouvoir discrétionnaire, qui est, bien entendu, ancré quant à lui dans notre système parlementaire. Les articles 96 et 104 de la Constitution n'ont pas été déclarés soumis à révision (68). Ils sont révisés implicitement par l'article 10bis, alinéa 2, proposé.

L'article 99 de la Constitution relatif à la composition du Conseil des ministres n'est pas non plus soumis à révision. Il convient toutefois de noter ici que l'article 10bis, alinéa 2, proposé, n'implique pas nécessairement que le Conseil des ministres compte au moins un membre de chaque sexe. En effet, la condition posée par l'article proposé est également remplie s'il y a au moins un secrétaire d'État fédéral de chaque sexe.

23. L'article 10bis, alinéa 2, proposé, emporte aussi une modification implicite de l'article 122 de la Constitution, qui dispose que les membres de chaque gouvernement de communauté ou de région sont élus par leur conseil. Seul le constituant peut modifier cet article, pour autant qu'il soit soumis à révision. Dans un avis du 10 mars 1992 sur une proposition de loi spéciale, le conseil s'est prononcé comme suit : « (...) il (l'amendement) consiste en fait, dans les circonstances actuelles, à priver le Conseil flamand du droit de choisir librement, en son sein, les personnes susceptibles d'être chargées de fonctions exécutives et administratives dans la Communauté flamande et dans la Région flamande. Une telle restriction aux prérogatives d'une assemblée de type parlementaire ne peut se concevoir que si elle tire parti d'une disposition expresse des articles 59bis ou 170quater de la Constitution qui servent de fondement aux réformes institutionnelles et si elle sert ainsi les objectifs que poursuivent les opérations de communautarisation et de régionalisation de l'État. » (69)

24. Il est vrai que, dans le passé, on a déjà procédé à plusieurs reprises à des révisions implicites de la Constitution (70). Selon nous, elles sont toutefois contraires à l'article 195 de la Constitution, qui n'autorise que des révisions explicites de la Constitution : on ne peut procéder à une révision qu'en modifiant expressément l'article qui a été déclaré soumis à révision. La violation de l'article 195 est certes moins manifeste lorsque la révision implicite porte sur un article qui était soumis à révision ou lorsqu'il est clair que la préconstituante avait envisagé la possibilité que cet article soit révisé (71). En l'espèce, on peut renvoyer à cet égard à la déclaration qu'à faite M. Dehaene, le premier ministre de l'époque, en commission de la Chambre. Mme Van de Casteele avait demandé alors si la disposition du projet gouvernemental garantissait également la démocratie paritaire dans le cadre des processus de décision politique. Dans le rapport, on peut lire : « Le premier ministre estime que la disposition générale du titre II ne l'exclut pas. » (72)

Cette déclaration peut être interprétée en ce sens que le premier ministre estime qu'il est possible de réviser implicitement les dispositions du titre III en ajoutant un article nouveau au titre II. En dépit de son application répétée, nous estimons que le procédé de la révision implicite est contraire à une interprétation stricte de l'article 195 de la Constitution.

25. Enfin, il y a encore lieu de noter, à propos de la proposition du gouvernement, que le fait de prévoir la présence minimale d'une femme a une portée différente d'un gouvernement à l'autre. Il n'y a bien sûr aucun rapport entre un seuil obligatoire d'une femme sur quinze ministres et X secrétaires d'État au niveau fédéral (article 99 de la Constitution) et un seuil obligatoire d'une femme sur trois ministres au sein du gouvernement de la Communauté germanophone (article 49 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone). Le premier seuil se situe si bas qu'on peut se demander s'il a un sens dans la situation politique actuelle et s'il ne risque pas d'avoir un effet contraire à l'effet voulu. Le second est un seuil obligatoire dont l'instauration peut avoir des conséquences radicales du fait notamment que le nombre des membres du gouvernement de la Communauté germanophone ne peut pas être augmenté dans le cadre de l'autonomie constitutive. Dans certaines circonstances, il pourrait même sérieusement limiter le pouvoir du conseil, de choisir librement les membres du gouvernement.

4. Commission des organes exécutifs d'administrations territorialement décentralisées

26. Enfin, le gouvernement prévoit, à l'alinéa 3 de l'article 10bis nouveau qu'il propose, d'insérer dans la Constitution que « la loi, le décret et la règle visée à l'article 134 organisent la présence d'un membre de chaque sexe au moins au sein des collèges des bourgmestre et échevins, des députations permanentes des conseils provinciaux et dans les exécutifs de tout autre organe territorial intracommunal, intercommunal ou interprovincial. »

27. À notre avis, il serait préférable d'inscrire cette disposition à l'article 162 de la Constitution. Cet article n'est toutefois pas soumis à révision. Il ne saurait en tout cas pas être question en l'occurrence de le réviser implicitement, d'autant moins qu'il ne comporte aucune disposition concernant la composition des organes exécutifs des provinces, des communes, des associations de provinces et de communes et des organes territoriaux intracommunaux.

5. Remarques concernant le texte

28. Le constituant devra déterminer s'il mentionne d'abord les hommes ou les femmes à l'article 10bis. Pour l'instant, les versions néerlandaise et française du texte diffèrent.

(Texte néerlandais : Het recht van de mannen en vrouwen op gelijkheid is gewaarborgd. Texte français : Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti.)

29. La mention « van de Grondwet » qui figure dans le texte néerlandais dudit article 10bis nouveau peut effectivement être supprimée (amendement nº 10).

30. Dans le texte néerlandais de la proposition du gouvernement (article 10bis, alinéa 2), les mots « gewestelijke regering » doivent être remplacés par le mot « gewestregering » (cf. article 122 et suivants de la Constitution) (amendement nº 1).

31. Dans la proposition du gouvernement (article 10bis, alinéa 2), la formulation « comptent au moins un membre de chaque sexe » est préférable à la formulation « comprennent au moins un représentant de chaque sexe » (voir l'amendement nº 1).

32. Les remarques formulées dans la justification de l'amendement nº 1 en ce qui concerne l'article 10bis, alinéa 3, proposé par le gouvernement sont, elles aussi, justifiées. Il faudrait écrire : « Les organes exécutifs des associations de provinces et de communes ayant un but d'utilité publique et des organes territoriaux intracommunaux. »

B. ÉCHANGE DE VUES

1. Proposition du gouvernement : alinéa 1er, première phrase : « Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti »

Un membre retient des exposés que la notion de « droit à l'égalité » n'est pas nécessairement la formulation la plus indiquée.

Le professeur Lemmens souligne que, contrairement à ses collègues Uyttendaele et Verdussen, il trouve bon de commencer par réaffirmer la règle générale en l'appliquant aux rapports entre les hommes et les femmes. Il est d'avis que c'est important pour la lisibilité de la disposition constitutionnelle. En revanche, on peut discuter sur la manière de formuler ce principe général. Il serait sans doute préférable de parler dans le texte d'une égalité de traitement entre les femmes et les hommes.

2. Possibilité de contrôle de la disposition proposée par le juge

Un membre désire savoir s'il sera possible de sanctionner un gouvernement qui, par exemple, ne comprendrait aucune femme.

Le professeur Lemmens précise qu'à cet égard il n'est pas aussi pessimiste que le professeur Verdussen. Sur le plan international, on voit se dessiner clairement une évolution sur le plan des possibilités de contrôle s'offrant aux juges, y compris pour les obligations positives, notamment en matière de droits économiques, sociaux et culturels. Le professeur Lemmens n'exclurait certainement pas que dans certains cas, un juge ­ qui ne serait pas forcément la Cour d'arbitrage ­ puisse sanctionner une carence des autorités à cet égard.

Le professeur Uyttendaele reconnaît que la Cour d'arbitrage n'a pas actuellement la compétence juridique qui lui permettrait de sanctionner l'inertie du législateur. Il ressort cependant de la jurisprudence de la Cour d'arbitrage que la Cour l'a déjà fait (73).

En ce qui concerne les conséquences pratiques du régime proposé, il faut bien se rendre compte que toutes les décisions d'un gouvernement irrégulièrement composé pourront être attaquées. L'on a donc tout intérêt à se conformer aux dispositions constitutionnelles régissant la composition des gouvernements.

Le professeur Uyttendaele reconnaît qu'une disposition régissant la composition des gouvernements doit figurer, pour le gouvernement fédéral, dans la Constitution et, pour les gouvernements de communauté et de région, dans les lois spéciales et ordinaires de réformes institutionnelles.

Selon lui, ce n'est cependant pas vraiment une erreur d'inscrire aussi dans la Constitution une disposition comme celle-là qui serait applicable aux gouvernements de la communauté et de la région. La Constitution contient déjà un article 122 disposant que les membres de chaque gouvernement de communauté ou de région sont élus par leur Conseil.

3. Portée de la déclaration de révision de la Constitution de 1999

Contrairement au professeur Uyttendaele, le professeur Lemmens maintient que la composition du gouvernement fédéral (cf. l'article 10bis, alinéa 2, proposé par le gouvernement) doit être réglée aux articles 99 et 104 de la Constitution. Dès lors que la déclaration de révision de la Constitution (Moniteur belge du 5 mai 1999) ne souffle mot des articles précités, on voit difficilement comment le constituant pourrait actuellement modifier ou compléter ces articles sans se rendre coupable d'une modification implicite des articles 99 et 104 de la Constitution.

Le professeur Velaers partage, lui aussi, l'analyse du professeur Lemmens. Malgré la déclaration du premier ministre de l'époque à la Chambre (74), d'où il ressort que celui-ci jugeait possible de réviser implicitement les dispositions du titre III de la Constitution dans un article nouveau du titre III, il persiste à penser que le procédé de la révision implicite est contraire à l'article 195 de la Constitution (75).

Un commissaire souhaite connaître l'opinion des autres professeurs sur cette thèse.

Le professeur Uyttendaele reste persuadé que la proposition du gouvernement n'implique aucune révision implicite des articles 99 et 104 de la Constitution qui serait contraire à l'article 195 de celle-ci. Un principe général veut que le constituant puisse modifier la règle de droit que comporte la disposition soumise à révision, sans être lié par la numérotation des articles déclarés soumis à révision.

La déclaration de révision de la Constitution du 5 mai 1999 est suffisamment large sur ce point.

Enfin, le professeur Uyttendaele estime qu'il serait temps de réviser également l'article 195 de la Constitution.

Le professeur Verdussen considère, lui aussi, qu'il n'est pas opportun d'interpréter de manière trop formaliste la déclaration de révision de la Constitution.

Le professeur Lemmens persiste à penser que l'on ne peut pas déduire des travaux préparatoires susvisés qu'à l'époque, on avait en vue la parité au sein des gouvernements. On visait alors, selon lui, la parité sur les listes électorales.

Un membre souligne qu'on a connu dans un passé récent différents exemples de révision implicite de la Constitution (par exemple l'article 103 de la Constitution), où l'on est allé plus loin que ce qu'envisage la proposition en discussion, à savoir la modification implicite d'articles du titre III par l'insertion d'un article 10bis dans la Constitution conformément à la déclaration de révision de la Constitution. Il n'y a là, selon l'intervenante, aucune difficulté insurmontable.

À cet égard, un autre membre rappelle que le suffrage universel pour les hommes a été institué au lendemain de la Première Guerre mondiale à la suite d'un accord, conclu au château de Loppem, que d'aucuns ont considéré comme inconstitutionnel. Les opposants ont même parlé d'un coup d'État. L'intervenant espère que la révision proposée de la Constitution, qui représente un perfectionnement du suffrage universel des hommes et des femmes, bénéficiera d'un aussi grand retentissement.

4. Place du nouvel article dans la Constitution : article 10bis, article 11 ou article 11bis

Une membre se dit favorable ­ pour des raisons politiques ­ à l'insertion d'un article 10bis plutôt qu'à celle d'un article 11bis. On privilégie ainsi l'approche par le « genre », qui traduit bien le principe de l'égalité entre hommes et femmes. Elle renvoie à cet égard à la phrase de Mme Agacinski, citée par le professeur Verdussen : les femmes et les hommes sont deux composantes essentielles de l'humanité. En associant par contre le principe de l'égalité des hommes et des femmes à celui de la non-discrimination, consacré à l'arrticle 11 de la Constitution, on estompe ce choix de départ et on se retrouve alors dans les catégories de l'article 14 de la CEDH, qui consacrent le principe de non-discrimination. (76)

Le professeur Uyttendaele comprend la symbolique qui sous-tend la proposition du gouvernement et celle de Mme de Bethune et consorts, d'inscrire le principe de l'égalité entre hommes et femmes dans l'article 10 de la Constitution. Il estime toutefois qu'il doit y avoir moyen de trouver une solution qui satifasse tout le monde. Il est donc préférable de ne pas toucher à cet article. De par sa vocation globalisatrice, cet article est parfaitement applicable à chacun.

En revanche, l'article 11 crée une obligation positive. Il contient aussi une explication de cette obligation positive, en garantissant les droits et les libertés des minorités idéologiques et philosophiques.

Pour l'intervenant, l'idéal serait d'ajouter un second paragraphe qui introduirait une obligation positive en matière d'égalité entre les hommes et les femmes.

Le professeur Verdussen est d'avis qu'il serait préférable de scinder en deux la proposition du gouvernement : le principe général de l'égalité entre les hommes et les femmes doit être inséré après l'article 11. Il s'oppose à la dissociation des articles 10 et 11 de la Constitution. Il n'a pas de préférence marquée pour un article 11, § 2, ou un article 11bis. Selon lui, cela ne fera aucune différence au niveau de la compétence de contrôle de la Cour d'arbitrage.

En ce qui concerne l'égalité d'accès aux mandats électifs et publics, le professeur Verdussen propose que l'on insère un article 32bis à la fin du titre II.

Le professeur Lemmens partage le point de vue du professeur Verdussen selon lequel, pour le contrôle de la Cour d'arbitrage, il importe peu que l'on insère la disposition à l'article 10, 11 ou 11bis de la Constitution. Il s'agit de toute manière d'une application spécifique du principe d'égalité et de l'interdiction de discrimination, tels que consacrés par les articles 10 et 11 de la Constitution. La Cour d'arbitrage n'aura aucune peine ­ vu sa jurisprudence relative à l'égalité en matière fiscale ­ à contrôler si les lois, les décrets et les ordonnances respectent bien ces dispositions.

5. Égalité d'accès aux mandats électifs et publics

Deux membres aimeraient que le professeur Uyttendaele précise ses réticences à l'égard de la notion de « mandat public ».

Le professeur Uyttendaele déclare que la notion de « mandat public » est une notion très vaste : le fait de siéger au conseil d'administration de la SNCB, par exemple, est aussi un mandat public.

Un des deux membres souligne qu'il y a une grande différence de sens entre la notion de « mandats électifs et (mandats) publics » et celle de « mandats publics électifs ». Le constituant doit en être conscient. Il convient en outre d'examiner si la notion de « mandats publics » englobe aussi les administrations.

Le professeur Lemmens précise qu'il n'est pas partisan de la notion néerlandaise de « overheidsmandaten », telle qu'elle figure dans la proposition du gouvernement. Il lui préfère la notion de « openbare mandaten », qui est plus proche du français « mandats publics ». Il souligne toutefois que la proposition va très loin. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire, selon lui, que cela figure dans la Constitution. Il ne faut inscrire dans celle-ci que ce qui pourrait poser un problème constitutionnel. C'est le cas de l'égalité en matière électorale. La notion de « mandats électifs » a par conséquent sa place dans la Constitution. Le même problème constitutionnel ne se pose pas pour l'égalité d'accès à la fonction publique ni pour la possibilité d'entreprendre des actions positives. Le professeur Lemmens serait dès lors plutôt partisan d'omettre les dispositions relatives aux mandats publics. Le législateur sera déjà suffisamment habilité par la disposition générale selon laquelle la loi, le décret et la règle visée à l'article 134 favorisent l'égal exercice des droits et libertés des femmes et des hommes.

6. Composition des gouvernements : applicabilité de la proposition du gouvernement

Un membre attire l'attention sur le passage suivant de la note du professeur Velaers : le fait de prévoir la présence minimale d'une femme a une portée différente d'un gouvernement à l'autre. Il n'y a bien sûr aucun rapport entre un seuil obligatoire d'une femme sur quinze ministres et x secrétaires d'État au niveau fédéral (article 99 de la Constition) et un seuil obligatoire d'une femme sur trois ministres au sein du gouvernement de la Communauté germanophone (article 49 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone).

Un autre membre souhaite savoir comment l'on appliquera la proposition du gouvernement dans la Région de Bruxelles-Capitale.

Le professeur Uyttendaele reconnaît que l'analyse du professeur Velaers est correcte, mais déclare qu'en l'espèce, il faut faire un choix politique. Il serait par exemple possible ­ en ce qui concerne le gouvernement fédéral ­ de prévoir, dans le cadre de la parité linguistique, une parité entre les femmes et les hommes, pour que chaque sexe soit représenté au moins dans chaque groupe linguistique. L'on pourrait faire de même pour le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.

Une membre retient de l'exposé du professeur Verdussen qu'en fait, dans leur version actuelle, les propositions de révision de la Constitution concernant la composition du gouvernement sont minimalistes. Elle suggère dès lors d'inclure la notion de parité dans la Constitution.

Le professeur Lemmens déclare qu'en tant que juriste, il ne voit d'inconvénient à aucune des deux options. C'est en effet un choix politique. Comme les conséquences seront très différentes pour chaque gouvernement, il faut inscrire dans la Constitution une formule aussi vague que possible, sauf pour le gouvernement fédéral : en effet, pour ce dernier, l'on ne peut pas adopter par la loi de règle plus explicite.

Le professeur Verdussen souligne qu'il trouve également que le texte de la proposition du gouvernement n'est guère nuancé. C'est ainsi qu'un membre sur onze au gouvernement flamand équivaut à 9 % du total, alors qu'un membre sur trois au gouvernement de la Communauté germanophone équivaut à plus de 33 %. C'est ainsi que dans les collèges échevinaux des communes de moins de 1 000 habitants, la parité serait applicable (50 %) ­ un échevin de chaque sexe ­ alors que dans les communes de plus de 200 000 habitants, 10 % serait une condition.

Il soutient également l'idée du professeur Uyttendaele de prévoir la parité dans chaque groupe linguistique pour le gouvernement fédéral.

Le professeur Verdussen est également partisan de l'amendement nº 2 de Mme Nagy et consorts, qui vise à remplacer les mots « au moins un représentant de chaque sexe » par les mots « de personnes de sexe différent ». Cet amendement ne change rien quant au fond, mais il est préférable de ne pas inscrire dans la Constitution la notion de « représentant de chaque sexe ».

Un membre attire l'attention sur le fait qu'en vertu de l'article 15, § 2, de la nouvelle loi communale, les échevins des communes périphériques visées à l'article 7 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, et des communes de Comines-Warneton et de Fourons sont élus directement par l'assemblée des électeurs communaux. La proposition du gouvernement est-elle applicable à ces communes ?

Le professeur Uyttendaele précise que si l'on veut que la proposition soit également applicable aux communes périphériques et aux communes de Comines-Warneton et de Fourons, il faudra modifier la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, même si c'est une opération politiquement délicate.

Un autre membre estime que la discussion sur la modification de la loi susvisée sera très difficile.

Le professeur Lemmens déclare que dans la mesure où la Constitution confiera aux législateurs une mission large sans préciser outre mesure la manière de la mener à bien, il ne croit pas que la révision de la Constitution en elle-même posera de gros problèmes. Ainsi pourra-t-on également continuer à élaborer des solutions ad hoc pour les communes à facilités.

7. Nécessité d'une disposition transitoire

Un membre fait des réserves quant aux conséquences éventuelles de l'insertion dans la Constitution d'un système de quotas concernant, par exemple, la composition des conseils communaux et provinciaux. Il craint que si cette révision de la Constitution entre en vigueur immédiatement après sa publication au Moniteur belge, beaucoup de ces conseils ne remplissent plus les conditions prévues dans la Constitution. Ne devrait-on donc pas prévoir une disposition transitoire selon laquelle les nouvelles règles n'entreraient en vigueur qu'après les prochaines élections provinciales et communales ?

Selon le professeur Uyttendaele, cela n'est pas nécessaire : l'on inscrira le principe dans la Constitution et ce sera la loi elle-même qui disposera que les nouvelles règles ne seront applicables qu'à partir des prochaines élections communales et provinciales. L'article 10bis proposé charge en effet les différents législateurs d'atteindre les objectifs qui figurent dans cet article. Par conséquent, il n'y a aucun problème en ce qui concerne les conseils communaux actuels.

V. EXAMEN AU FOND

A. RÉUNION DU 1er FÉVRIER 2001

1. Exposé de la vice-première ministre et ministre de l'Emploi, chargée de l'Égalité des chances

La déclaration de révision de la Constitution du 5 mai 1999 a ouvert à révision le titre II en vue d'y inserer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité.

Le Conseil des ministres a approuvé, le 28 avril 2000, un projet de modification prenant la forme d'un article 10bis et rédigé comme suit :

« Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti. La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 favorisent l'égal exercice de leurs droits et libertés, et notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics.

Le gouvernement fédéral, les gouvernements de communauté et de région et les gouvernements des organes régionaux visés à l'article 39 comprennent au moins un représentant de chaque sexe.

La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 organisent la présence d'un membre de chaque sexe au moins au sein des collèges des bourgmestre et échevins, des députations permanentes des conseils provinciaux et dans les exécutifs de tout organe territorial intracommunal, intercommunal ou interprovincial. »

Les travaux tenus par votre commission ont déjà permis d'aborder, par rapport au projet de texte, un certain nombre de questions. Je m'arrêterai sur les principales d'entre elles, en procédant alinéa par alinéa.

Alinéa premier

« Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti. La loi, le décret et la règle visée a l'article 134 favorisent l'égal exercice de leurs droits et libertés, et notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics. »

La première phrase, « Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti », a soulevé une question de fond et une question de forme.

Question de fond quant à la pertinence de la disposition : est-elle utile, quand le principe d'égalité, consacré par la Constitution, comprend le principe de l'égalité des femmes et des hommes ? Un des amendements (amendement nº 1) propose d'ailleurs de retirer la phrase.

Le Conseil des ministres s'est déjà expliqué à cet égard. L'exposé des motifs rappelle le caractère universel et la persistance des inégalités; il rappelle que de nombreux textes internationaux invitent à prendre en considération le phénomène de manière expresse. La Convention de l'ONU sur l'élimination de toute forme de discrimination à l'égard des femmes, en particulier, recommande d'inscrire le principe d'égalité des femmes et des hommes dans la Constitution ou dans tout texte approprié.

Les experts, à une exception près, ont du reste démontré clairement que l'obligation d'insérer une disposition portant sur l'égalité des femmes et des hommes dans la Constitution s'imposait à la Belgique en vertu de ses engagements internationaux.

Question de forme : ne conviendrait-il pas de préférer une formulation comme : « L'égalité entre les femmes et les hommes est garantie ? » Pour le Conseil des ministres, le principe selon lequel l'égalité formelle des femmes et des hommes suppose la réalisation de l'égalité effective, matérielle, apparaît de manière plus explicite dans la phrase telle que proposée. Elle reprend exactement les termes par lesquels le législateur de 1999 avait indiqué son intention dans la déclaration de révision de la Constitution. Il me semble enfin que le maintien de la phrase telle quelle permet de rencontrer, par son sens, le sens de l'amendement nº 5.

La deuxième phrase s'inscrit dans la suite logique de la première, en engageant les différents législateurs à agir de manière à ce que l'égalité formelle se vérifie par l'égalité matérielle, notamment dans l'égal accès aux mandats électifs et publics.

L'exposé des motifs rappelle les circonstances qui ont amené le Conseil des ministres à viser explicitement les mandats électifs. On le sait, le Conseil d'État a observé à plusieurs reprises que l'adoption de dispositifs visant à assurer une présence des femmes sur les listes électorales suppose d'en prévoir le fondement dans la Constitution. On rappellera, à cet égard, les avis du Conseil d'État L.22.066/2 et 1316-1/93-94 portant sur deux textes du projet de loi qui deviendra la loi du 24 mai 1994 visant à promouvoir une répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes de candidatures aux élections. Pour la haute juridiction, les règles de présence équilibrée de candidats des deux sexes et les sanctions prévues par les auteurs du projet de loi à l'égard des listes présentées en violation de ces règles pouvaient conduire à « supprimer le droit de se porter candidat et le droit d'être élu ». L'observation supposait de prévoir une disposition assurant spécialement le fondement de législations destinées à répondre au problème de la sous-représentation d'un sexe sur les listes de candidatures aux élections. Dans cette mesure, les termes « processus de décision politique », retenus par deux amendements (amendement nº 3 et amendement nº 6) n'apparaissent pas offrir toutes les garanties souhaitables quant au fondement de dispositifs visant à organiser la présence des femmes et des hommes sur les listes de candidatures aux élections.

Les experts ont souligné que les termes « mandats publics » renvoient à un vaste champ d'application. Il s'agit, en effet, de tout mandat relevant d'une manifestation directe ou indirecte du suffrage universel, et d'une manière générale, de tout organe public nommé ou élu. Une liste exhaustive est de ce fait impossible à produire. La mise en oeuvre de l'égal accès des femmes et des hommes dans ces organes suppose, de la part des autorités publiques concernées, de prévenir activement les phénomènes de discriminations indirectes envers l'un ou l'autre sexe, et de mettre en place des mesures d'« actions positives », encore dites de discriminations positives, pour parer à la sous-représentation d'un sexe.

Le fait de prévoir expressément qu'il revient au législateur de prendre ces dispositions de nature à assurer l'égalité effective des femmes et des hommes, a amené la question de savoir si l'on ne risque pas d'emporter la conviction que les autres droits fondamentaux, ceux pour lesquels une telle précision n'est pas prévue par le texte constitutionnel, n'appellent pas un même devoir actif de l'État.

En mettant l'accent sur l'obligation positive qui s'impose aux divers législateurs, le constituant apporte, ainsi que l'a relevé l'un des experts entendus, une plus-value à la disposition constitutionnelle relative à l'égalité des femmes et des hommes.

Si les articles 10 et 11 comportent en eux-mêmes l'obligation d'adopter des mesures positives en termes d'égalité et de non-discrimination, la formule utilisée ici rend l'obligation plus explicite encore, et a déjà été utilisée aux articles 22 et 23.

Le texte prévoit que les législateurs favorisent l'égal exercice de leurs droits et libertés par les femmes et les hommes, notamment en favorisant l'égal accès aux mandats électifs et publics. Des experts ont comparé l'emploi du verbe « favoriser », retenu par le gouvernement, et le verbe « garantir », présent dans la proposition de loi de Mme de Bethune et consorts, portant également sur la révision du titre II en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité (doc. Sénat, nº 2-483/1), devenue l'amendement nº 3, lui-même décliné en amendements subsidiaires. L'un de ces experts relativise la distinction entre ces verbes, en citant un arrêt du Conseil constitutionnel français dans lequel la haute juridiction s'est montrée critique vis-à-vis d'un projet de loi, au motif que la Constitution, en disposant que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs et aux fonctions électives », mandatait le législateur pour prendre les mesures pour assurer l'égalité des femmes et des hommes les plus contraignantes et les plus efficaces. C'était aussi l'appréciation du gouvernement, lorsqu'il a employé le verbe « favoriser ».

La disposition serait-elle mieux logée ailleurs, soit à l'article 10, soit à l'article 11, soit encore en créant un article 11bis ? Dans la mesure où il est admis que le contrôle par la Cour d'arbitrage s'exercera dans les différents cas de figure, le choix doit s'effectuer selon des critères de logique politique. Le gouvernement a estimé préférable de faire se succéder immédiatement le principe de l'égalité des Belges et celui de l'égalité des femmes et des hommes. Le « lien symbiotique », pour reprendre des termes utilisés, entre l'article 10 et l'article 11 ­ condamnant toute discrimination ­ ne semble pas, selon ma propre lecture, rompu par l'insertion d'un article 10bis. Ce lien m'apparaît maintenu, tout en comportant une articulation supplémentaire.

Deuxième alinéa

« Le gouvernement fédéral, les gouvernements de communauté et de région et les gouvernements des organes régionaux visés à l'article 39 comprennent au moins un représentant de chaque sexe. »

Cet alinéa ­ ainsi que l'alinéa suivant ­ a soulevé la question des limites de la déclaration de révision de la Constitution. On peut soutenir que le législateur de 1999, lorsqu'il déclare qu'il y a lieu à révision du titre II de la Constitution en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes avait conscience qu'implicitement, cela pouvait présenter des conséquences dans les autres titres, notamment au titre III (Des Pouvoirs). Les déclarations du premier ministre de l'époque sont claires à ce propos (doc. Chambre, nº 2150-3; doc. Sénat, nº 1/584). Admettre une révision pour consacrer un principe implique que ce principe aura nécessairement des effets indirects sur les autres dispositions de la Constitution. La disposition en projet ne transforme pas le pouvoir conféré par le titre III de la Constitution au Roi et aux Assemblées législatives; mais il en découle que, dans l'exercice de ce pouvoir, le Roi et les Assemblées se conforment au principe d'égalité des femmes et des hommes visé au titre II.

Ainsi que le relevait l'un des experts, citant les procureurs généraux Velu et Ganshof van der Meersch, le constituant peut réviser la règle juridique contenue par la disposition soumise à révision sans être tenu par la numérotation des articles soumis à révision. C'est ainsi qu'en 1970, il a pu insérer dans la Constitution un paragraphe 3 à l'article 59bis ancien relatif à la réglementation de l'emploi des langues, parce que l'article 23 ancien était soumis à révision, lequel garantissait un caractère facultatif de l'emploi des langues.

Les alineas 2 et 3 du projet du Conseil des ministres résultent du principe général contenu à l'alinéa 1er. Pour cette raison, il a été jugé nécessaire de présenter la disposition en seul article.

Cela étant, j'ai bien entendu les remarques sur le gain de clarté et de lisibilité qu'il y aurait à diviser l'article en projet, et en l'occurrence, à insérer les dispositions relatives aux gouvernements au titre III, notamment aux articles 99 et 122. En outre, il a été fait remarquer qu'un tel choix permettrait de prévoir la présence d'au moins une femme au Conseil des ministres et de viser de manière incontestable les différents collèges des commissions communautaires.

Pour ce qui concerne la présence d'au moins une femme au Conseil des ministres, plutôt qu'au gouvernement, je laisse à la sagesse de votre commission le soin d'apprécier s'il y a lieu d'apporter une modification aux textes proposés sur ce point, tout en relevant que l'insertion de cette disposition au titre III n'aurait pas d'incidence en elle-même sur le choix qui sera opéré.

Les collèges des commissions communautaires, par contre, constituent des exécutifs dans les matières communautaires à la Région de Bruxelles-Capitale et doivent dès lors être considérés comme des gouvernements de communauté au sens de l'alinéa 2 du projet.

Il a encore été fait observer que la formule « au moins un représentant de chaque sexe » ­ de même d'ailleurs que formulation alternative proposée par l'amendement nº 2 ­ présentera un impact différent selon la taille des gouvernements.

L'objectif visé par la disposition en projet est d'éviter, en toute hypothèse, que se constituent des gouvernements non mixtes.

Si l'impact de la disposition est de facto différent en fonction du nombre de personnes qui composent le gouvernement, il ne peut s'agir que d'un effet secondaire qui n'enlève rien au principe de l'interdiction même de gouvernements unisexes.

J'ajoute que je ne vois pas d'alternative, sinon à prévoir une composition paritaire des différents gouvernements. Cette solution n'est pas praticable pour l'heure; je ne suis d'ailleurs pas certaine qu'elle soit pertinente. La parité est, à mon sens, un concept qui traduit l'égalité des femmes et des hommes, qui en représente la manifestation. Il ne s'agit pas d'un « quota de moitié ». L'installation de quotas s'impose quand la réalisation effective de l'égalité appelle la prise de mesures contraignantes. Des mesures qui doivent, par nature, être temporaires.

Il a été proposé de prévoir un quota de deux tiers de membres du même sexe maximum aux différents gouvernements, pour leur faire rencontrer la même exigence que celle qui s'imposera au gouvernement de la Communauté germanophone. Je répète qu'il ne me paraît pas souhaitable de fixer des quotas dans la Constitution.

Le choix opéré par le Conseil des ministres impose l'installation de gouvernements mixtes. Il est évident que cette mixité rejoint l'idéal démocratique quand elle reflète un nombre de femmes et d'hommes conforme à la réalité.

Troisième alinéa

« La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 organisent la présence d'un membre de chaque sexe au moins au sein des collèges des bourgmestre et échevins, des députations permanentes des conseils provinciaux et dans les exécutifs de tout organe territorial intracommunal, intercommunal ou interprovincial. »

Au-delà des questions de pure forme, cet alinéa soulève une question particulière en ce qui concerne ces différents exécutifs dans l'hypothèse où ils sont ou seraient élus directement.

En effet, compte tenu de la nature même du suffrage universel dont l'essence impose le respect de la volonté des électeurs, il paraît envisageable et même plus cohérent de faire relever cette situation de l'alinéa 1er de l'article proposé.

Par contre, dès lors que des organes exécutifs sont composés par désignation sur base d'une élection indirecte, comme c'est le cas pour les députations permanentes et, en règle générale, pour les collèges des bourgmestre et échevins, il m'apparaît nécessaire de prévoir des règles assurant la présence de femmes et d'hommes en leur sein.

En effet, selon l'état d'un dépouillement effectué par mes services, 32,7 % des collèges des bourgmestre et échevins installés à l'issue du scrutin communal du 8 octobre 2000 sont unisexes.

Enfin, avant de clôturer, je voudrais dire un mot de l'utilité même de la disposition proposée.

Je ne pense pas, comme l'un des experts, que le projet ou les propositions de révision de la Constitution ici discutés ne pourront être sanctionnés par une juridiction.

Outre le contrôle possible par la Cour d'arbitrage des dispositions légales qui seront adoptées par les différents législateurs lors de la mise en oeuvre de l'article que vous adopterez sans doute, force est de constater que l'inaction même des législateurs pourrait être sanctionnée par les tribunaux.

Ceux-ci disposent du pouvoir, et même de l'obligation souvent, d'interroger la Cour d'arbitrage sur la constitutionnalité des normes légales en vigueur, lorsqu'ils sont saisis d'un litige à leur propos.

Certaines normes existantes pourront dès lors, à défaut de modification, être considérées comme inconstitutionnelles, avec les obligations corrélatives de correction qui s'imposeront aux législateurs afin d'assurer le respect de l'État de droit.

2. Discussion

Une membre se dit satisfaite par l'exposé de la ministre de l'Égalité des chances, reprenant les différents points soulevés par les experts au cours des auditions et y apportant une réponse du gouvernement. La membre propose d'adopter la même méthode, point par point, de manière à pouvoir aboutir le plus rapidement possible à un texte. Il est intéressant de mettre l'accent sur la dimension de l'égalité des hommes et des femmes en ce moment précis où les collèges des bourgmestre et échevins s'installent et où les conseils de CPAS sont constitués. Il est regrettable de constater, à l'aube du troisième millénaire, que 33 % des collèges échevinaux sont encore unisexes. La ministre dispose-t-elle de chiffres concernant la proportion de femmes parmi les bourgmestres ?

La ministre répond que 7,9 % des bourgmestres sont des femmes.

L'intervenante précédente s'insurge contre une aussi faible représentation des femmes au niveau de pouvoir le plus proche du citoyen, auquel les femmes devraient en principe avoir un accès plus facile. Le chiffre était à peine inférieur au début des années quatre-vingts, ce qui montre une lamentable progression en vingt ans.

Mme Willame-Boonen remercie la ministre de l'Égalité des chances pour son exposé présentant très clairement la position du gouvernement. Elle a déposé un amendement nº13, tenant compte des avis des experts, mais traduisant aussi son opinion politique selon laquelle il ne faut pas scinder l'article 10bis proposé (doc. Sénat, nº 2-465/3). Toutefois, la membre est perplexe au sujet du sort des différents pouvoirs de la Région de Bruxelles-Capitale. Les experts ont soulevé la question de l'application de la règle de représentation équilibrée aux collèges des commissions communautaires, mais la ministre ne s'est pas étendue sur le problème dans son exposé.

La ministre répète que les collèges des commissions communautaires sont des organes exécutifs dans les matières communautaires à la Région de Bruxelles-Capitale. Ils doivent dès lors être considérés comme des gouvernements de communauté au sens de l'article 10bis, alinéa 2, proposé.

Le président en déduit que le groupe linguistique flamand comportant une femme élue, celle-ci serait automatiquement membre du collège.

Selon la ministre, la seule question consiste à savoir si ces organes sont des gouvernements ou non. Si l'on considère que oui, il n'y a aucune raison de les exclure du champ d'application de l'article 10bis, alinéa 2.

Le président remarque que l'un des experts consultés estime qu'il est permis de s'interroger sur l'applicabilité du texte aux collèges des commissions communautaires, ceux-ci n'étant pas des organes gouvernementaux des régions au sens de l'article 39 de la Constitution, et la question de savoir s'ils sont des gouvernements de communauté étant sujette à controverses. L'expert ajoute que « la seule femme dont la présence est exigée au sein du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ne pourra pas, par essence, être présente dans tous les organes collégiaux » (avis du professeur Uyttendaele, nº 16).

Un membre est d'avis que la règle doit s'appliquer uniquement au gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, afin d'éviter tout problème.

Une autre membre observe que l'article 10bis proposé se réfère à l'article 39 de la Constitution, lequel renvoie à la loi à majorité spéciale. C'est cette dernière qui crée des organes dans les régions. Il faut déterminer très clairement ce que l'on entend viser ou au contraire exclure. La seule référence à l'article 39 lui semble insuffisante. Peut-être pourrait-on renvoyer aux articles du titre III de la Constitution traitant des différents gouvernements.

La ministre souligne que la solution à adopter relève d'un choix politique. Si l'on juge trop difficile d'appliquer la règle aux collèges des commissions communautaires, l'on peut décider de viser uniquement les gouvernements de communauté et de région.

Le président suggère de supprimer la référence, dans l'article 10bis, aux « organes régionaux visés à l'article 39 », étant entendu que ces organes sont néanmoins visés par le principe général énoncé à l'alinéa 1er de l'article 10bis.

Une intervenante précédente propose de remplacer cette référence à l'article 39 de la Constitution par la référence aux articles 99, 121 et 122 de la Constitution. L'on peut aussi suivre le conseil de certains experts, qui invitaient à scinder l'article 10bis et à renvoyer, pour plus de clarté, les alinéas 2 et 3 dans les dispositions du titre III ayant trait aux gouvernements et aux organes que l'on souhaite viser.

Une sénatrice fait remarquer que cette discussion montre clairement que le procédé prôné par elle avec sa proposition de déclaration de révision des articles 99 et 104 de la Constitution en vue d'insérer des dispositions nouvelles relatives à l'égalité de représentation des femmes et des hommes est juridiquement préférable à l'option retenue dans la proposition gouvernementale qui consiste, au travers d'un article appartenant au titre II de la Constitution, à modifier implicement des dispositions du titre III relatives à la composition du Conseil des ministres et des gouvernements communautaires et régionaux (cf. doc. Sénat, nº 2-250/1).

Elle estime qu'il y a lieu d'inscrire le principe de la parité entre les femmes et les hommes au sein des différents gouvernements dans les articles de la Constitution qui traitent de ceux-ci. Il suffit donc d'adopter immédiatement sa proposition de révision, de dissoudre les deux Chambres et, après convocation de deux nouvelles Chambres, de procéder correctement à la révision proposée de la Constitution.

La ministre répond que si la volonté politique de le faire est présente, le principe, énoncé à l'article 10bis, alinéa 2, proposé, d'avoir des membres des deux sexes au Conseil des ministres et dans les gouvernements communautaires et régionaux, peut être inscrit aux articles 99 et 122 de la Constitution. Les professeurs Uyttendaele et Verdussen n'y voient aucune objection.

Un autre membre émet des réserves quant à la scission éventuelle de l'article 10bis car celle-ci a été jugée impossible par les professeurs Lemmens et Velaers au motif que les articles pertinents du titre III n'étaient pas ouverts à révision.

Une sénatrice réplique que les experts étaient partagés sur ce point. Il appartient au constituant de décider.

L'intervenant suivant déclare que la commission doit se prononcer sur la question de savoir si le constituant peut ou non modifier implicitement les dispositions du titre III de la Constitution en ce qui concerne la composition du Conseil des ministres et celle des gouvernements communautaires et régionaux. Contrairement aux deux professeurs francophones, les deux professeurs néerlandophones répondent à cette question par la négative, au motif que les articles en question n'ont pas été soumis à révision.

Une commissaire estime qu'une chose n'exclut pas l'autre. L'article 10 de la Constitution a une valeur symbolique importante, si bien que le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes peut y être inscrit. Cela n'empêche toutefois pas, selon elle, de modifier les articles du titre III de la Constitution qui traitent de la composition du Conseil des ministres et des gouvernements communautaires et régionaux, en manière telle que des femmes doivent en faire partie.

Le président en vient à la question de la place de l'article dans la Constitution. Les experts ont formulé différents points de vue.

Une membre se rallie à la proposition de certains experts de faire de la disposition un article 11bis. D'une part, cette option permet de ne pas porter atteinte à la rédaction et à l'agencement des articles 10 et 11 de la Constitution qui forment une espèce de bloc constitutionnel indissociable. D'autre part, l'article 11 évoquant les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques, il est préférable d'éviter tout rapprochement entre l'idée de protection de ces minorités et une disposition consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes.

La ministre fait remarquer que la plupart des groupements de femmes vont considérer ce choix comme une offense, dans la mesure où, la disposition étant placée à la suite de l'article 11, les femmes vont se sentir assimilées à une minorité à protéger.

Une membre se prononce en faveur du maintien d'un article 10bis. Il lui paraît en effet préférable de laisser la disposition dans le prolongement du principe d'égalité.

L'intervenant suivant trouve également plus adéquat d'introduire un article 10bis.

Un autre membre préfère insérer un article 10bis plutôt qu'un article 11bis. D'après lui, l'inconvénient de la rupture du lien logique unissant les articles 10 et 11 de la Constitution ne fait pas le poids face à l'effet positif des principes contenus à l'article 10bis proposé, qui sont très étroitement liés à ceux de l'article 10. Les dispositions de l'article 10bis proposé pourraient éventuellement être inscrites dans l'article 10 lui-même.

Le préopinant juge plus opportun de n'inscrire à l'article 10 que l'alinéa 1er ou, mieux encore, la première phrase énonçant le principe de l'égalité des femmes et des hommes.

Plusieurs commissaires marquent leur accord. Dans la foulée, on pourrait alors modifier le titre III.

La ministre objecte qu'incorporer la disposition en projet dans l'article 10 ne fera que renforcer la critique sur la rupture du bloc formé par les articles 10 et 11 de la Constitution.

Un membre s'interroge sur l'utilité du débat aussi longtemps que la question de la scission de l'article n'a pas été tranchée. Il semble qu'un consensus se dégageait entre les experts pour scinder la disposition, ou du moins examiner les articles de la Constitution dans lesquels insérer les différents alinéas de l'article 10bis proposé.

Le président demande s'il y a consensus pour consacrer le principe dans un article 10bis et insérer la suite de la disposition dans différents articles du titre III de la Constitution.

Une membre rappelle que le contrôle de constitutionnalité exercé par la Cour d'arbitrage se limite aux articles 10, 11 et 24 de la Constitution. Pourra-t-il s'étendre à un article 10bis ?

Une autre membre réplique que la Cour d'arbitrage interprète sa compétence de manière très extensive.

La ministre ne voit aucun obstacle au contrôle de la Cour d'arbitrage dans la mesure où l'article 10bis ne sera qu'une application particulière de l'article 10 de la Constitution.

La commission se rallie à ce point de vue.

Toutefois, un membre propose, pour plus de sûreté, d'adapter la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage en ce sens.

La ministre est favorable à la scission de la disposition proposée et à l'insertion des alinéas relatifs à la composition des gouvernements dans les articles du titre III traitant de ces gouvernements. Lors de la déclaration de révision de la Constitution, il était clair que la révision impliquerait des modifications dans le titre relatif aux pouvoirs. De plus, les experts étant divisés sur l'admissibilité d'une révision implicite, il appartient au constituant de faire un choix.

L'on pourrait envisager l'insertion du seul principe comme troisième alinéa à l'article 10 de la Constitution. Non seulement, l'on éviterait ainsi de casser le lien symbiotique entre les articles 10 et 11, mais cela constituerait en outre un signal très fort vis-à-vis de la société.

Une membre trouve que l'idée de consacrer le principe de l'égalité entre hommes et femmes à l'article 10 mérite réflexion. Néanmoins, il reste que les articles 99, 122 et 162 de la Constitution ne sont pas ouverts à révision.

Une sénatrice approuve la proposition de la ministre, mais insiste néanmoins pour que l'ensemble de l'alinéa 1er, éventuellement modifié, de l'article 10bis proposé soit inscrit à l'article 10. Si seule la première phrase est insérée comme alinéa 3 de l'article 10, on n'aura rien de plus qu'une déclaration de principe inconsistante.

S'agissant de la deuxième phrase, elle propose de remplacer le mot « notamment » par le mot « en particulier ».

Selon l'intervenante suivante, cela présente l'avantage de ne pas devoir attendre une nouvelle déclaration de révision du titre III de la Constitution en ce qui concerne les gouvernements communautaires et régionaux. La mission contenue à l'article 10bis, alinéa 1er, deuxième phrase, proposé, permet en effet de modifier la loi spéciale visée à l'article 123. Mais en ce qui concerne la composition du Conseil des ministres, il y a lieu de modifier la Constitution elle-même, à savoir les articles 99 et 104.

Une autre membre se demande s'il est préférable d'ajouter à l'article 10 de la Constitution l'ensemble du premier alinéa de l'article 10bis ou uniquement la première phrase. En effet, la seconde phrase du premier alinéa évoque l'exercice des droits et libertés, dont il est précisément question dans la Constitution à l'article 11. Elle devrait dès lors être insérée soit à l'article 11, soit comme un article 11bis.

La ministre est d'avis que cet ajout à l'article 10 constituerait, au même titre que l'alinéa 2 de celui-ci, une précision du principe d'égalité énoncé à l'alinéa 1er. Cela n'aurait pas pour effet de vider de sens l'article 11 qui vise la lutte contre l'ensemble des discriminations et la protection des minorités idéologiques et philosophiques.

Un membre estime que conserver l'article 10bis proposé ou insérer l'alinéa 1er de cet article à l'article 10 répondrait mieux au caractère transversal de la discrimination à l'encontre des femmes, qui est d'un autre ordre que les discriminations auxquelles l'article 11 de la Constitution fait référence.

Au sein de la commission, il existe en tout cas un consensus pour remplacer la première phrase de l'alinéa 1er de l'article 10bis proposé par ce qui suit : « L'égalité entre les femmes et les hommes est garantie ». Mme de T' Serclaes dépose à cet égard l'amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 2-465/2).

En ce qui concerne l'endroit où placer les dispositions nouvelles, la commission constate que les quatre constitutionnalistes ont des avis différents. Dès lors, il appartient à la commission de prendre une décision politique en la matière.

Une sénatrice propose d'insérer, dans la deuxième phrase de l'alinéa 1er de l'article 10bis proposé, après les mots « égal accès aux mandats électifs » les mots « et l'égal exercice de ceux-ci », ce qui permettrait de compenser le manque de force de cette disposition lequel résulte de la préférence du ministre pour la notion de « favoriser ».

Le président remarque que le professeur Lemmens, s'inspirant de la Constitution française, a proposé de faire du membre de phrase commençant par « notamment » une phrase distincte (cf. son avis, nº 27). L'alinéa 1er de l'article 10bis deviendrait : « Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti. La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 favorisent l'égal exercice de leurs droits et libertés. Ils favorisent notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics. »

La sénatrice fait observer que le professeur Lemmens a proposé de remplacer, à l'article 10bis proposé, alinéa 1er, deuxième phrase, le mot « favoriser » par le mot « garantir », par analogie avec l'article 22bis, alinéa 2, en matière de droits de l'enfant (cf. son amendement subsidiaire n 4, doc. Sénat, nº 2-465/2) (cf. l'avis Lemmens, nº 31).

Un autre membre s'interroge sur l'impact du terme « garantir » plutôt que « favoriser » : la Cour d'arbitrage ne pourrait-elle annuler une loi au motif que, n'imposant pas la parité, elle ne garantirait pas l'égal exercice des mandats ? Favoriser est peut-être plus réaliste.

Un sénateur fait observer qu'à l'article 22bis de la Constitution, on emploie explicitement le terme « garantir » : la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection du droit de chaque enfant au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.

Le président signale que certains experts jugent le terme « garantir » plus fort que celui de « favoriser ». Le professeur Verdussen ajoute que l'emploi du second terme est préférable car il est irréaliste d'imposer une obligation de résultat.

Une sénatrice approuve la remarque du professeur Verdussen, dans la mesure où celle-ci concerne sa proposition visant à garantir une participation égale des femmes et des hommes au processus de prise de décision politique (doc. Sénat, nº 2-483/1 et son amendement nº 3 à la proposition du gouvernement, doc. Sénat, nº 2-465/2). Toutefois, s'il s'agit de l'accès égal, celui-ci doit être garanti. Dans le premier cas, l'on crée une obligation de résultat, dans le deuxième, l'on garantit un droit.

Une autre intervenante attire l'attention sur le fait que, dans son commentaire concernant l'amendement nº 4 de Mme de Bethune, le professeur Lemmens écrit que : « Si toutefois le mot « garantit » est maintenu dans la disposition qui figure actuellement à l'alinéa 1er, première phrase, de la proposition du gouvernement, mieux vaudra conserver également le terme « bevorderen » ou « faciliter » (cf. l'avis Lemmens nº 31).

Un autre membre n'est pas partisan de la proposition consistant à disposer, à la deuxième phrase de l'alinéa 1er de l'article 10bis, proposé, qu'il faut favoriser non seulement l'égal accès aux mandats électifs et publics, mais aussi leur égal exercice.

L'intervenant estime qu'il faut faire de l'accès égal une priorité et donc le garantir. Il approuve dès lors la proposition qui vise à faire de ce dernier membre de phrase une phrase séparée, rédigée comme suit « Ils (la loi, le décret et la règle visée à l'article 134) garantissent notamment leur accès égal aux mandats électifs et publics. »

La ministre propose de prévoir que l'égal exercice des droits et libertés doit être favorisé et que l'égal accès aux mandats doit être garanti.

Une sénatrice estime que la Constitution doit garantir des droits. La notion de « favoriser » ne veut rien dire et son utilisation affaiblit la mission qui est confiée aux différents législateurs. Il y a donc lieu de prévoir que la loi, le décret et la règle visée à l'article 134 garantissent l'égalité des femmes et des hommes dans l'exercice des droits et des libertés. L'égal accès aux mandats électifs et aux mandats publics est une explicitation de ce principe général et doit donc aussi être garanti.

Une membre attire l'attention sur les implications du texte : garantir l'égal accès aux mandats publics et électifs implique, selon elle, la parité sur les listes électorales.

Un autre membre trouve, au contraire, que garantir l'accès aux mandats n'implique pas grand-chose. Au sens strict, cela signifie simplement qu'il faut donner la possibilité aux femmes d'être candidates au même titre que les hommes. Favoriser l'accès pose une exigence plus forte, qui justifie notamment des discriminations positives. Pour imposer la parité dans l'exercice des mandats, par contre, il faut utiliser le terme « garantir ».

Le président partage le point de vue du dernier intervenant. Il est évident que le constituant doit garantir l'égalité dans l'exercice des droits et libertés. Par contre, favoriser l'égal accès à des mandats s'inscrit dans un processus dynamique.

M. Lozie et Mme Kaçar déposent un amendement tendant à compléter l'article 10 de la Constitution par l'alinéa suivant : « Le droit des femmes et des hommes à l'égalité est garanti. La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 garantissent l'égal exercice de leurs droits et libertés. Ils favorisent en particulier une égale répartition des mandats électifs » (amendement nº 18, doc. Sénat, nº 2-465/3).

Le président objecte que la Constitution ne doit contenir que des principes généraux.

Un membre trouve que le terme « garantir » doit en tout cas être maintenu dans la première phrase de l'article 10bis proposé. Il serait préférable, en outre, de garantir « l' égalité », plutôt que le « droit à l'égalité ». Dans la suite de l'alinéa, l'égal exercice des droits et libertés et l'égal accès aux mandats électifs et publics pourraient à la fois être garantis et favorisés.

La ministre propose de garantir l'égal exercice des droits et libertés et de favoriser l'égal accès aux mandats électifs et publics.

Une autre membre souscrit à cette dernière proposition de formulation, mais elle continue à s'interroger quant à la disposition de la Constitution qu'il convient de modifier pour y introduire le principe et les règles qui suivent.

La ministre résume la volonté générale, à savoir maintenir tel quel le principe contenu dans le premier alinéa du projet, ne pas casser le lien symbiotique entre les articles 10 et 11, et exprimer le principe d'égalité des femmes et des hommes dans une optique transversale d'une parité complète de la société.

Étant donné qu'un consensus se dessine autour de bon nombre de points sensibles, la commission décide, dans la perspective de la prochaine réunion, de charger un groupe de travail ad hoc de rédiger un projet d'amendement dans lequel plusieurs options différentes pourront éventuellement être envisagées. Le cabinet de Mme Onkelinx fournira à cette fin un texte martyr.

Le groupe de travail, présidé par les deux rapporteuses, Mmes de T'Serclaes et Van Riet, se compose de Mme de Bethune, de MM. Happart, Moens, Cheron et Lozie ainsi que de Mme Willame-Boonen. Il s'est réuni le 7 février 2001.

B. RÉUNION DU 8 FÉVRIER 2001

1. Projet d'amendement proposé par le groupe de travail ad hoc

Durant la réunion du groupe de travail ad hoc du 7 février 2001, le cabinet du ministre a déposé le texte suivant :

A. Première proposition

1. À l'article 10, insérer un alinéa 2 nouveau, rédigé comme suit :

« L'égalité des femmes et des hommes est garantie. »

2. À l'article 10, après l'alinéa 2 ancien devenu l'alinéa 3 nouveau, insérer un alinéa 4 nouveau, rédigé comme suit :

« La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent aux femmes et aux hommes l'égal exercice de leurs droits et libertés, et favorisent notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics. »

2bis. Proposition alternative aux 1 et 2 ci-dessus. À l'article 10, ajouter un alinéa 3 et un alinéa 4 nouveaux, rédigés comme suit :

« L'égalité des femmes et des hommes est garantie.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent l'égal exercice de leurs droits et libertés, et favorisent notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics. »

3. À l'article 41, alinéa 3, entre les termes « Leurs membres sont élus directement. » et les termes « En exécution d'une loi adoptée », insérer les termes :

« La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 organisent la présence de personnes de sexe différent au sein de leurs exécutifs, sauf si leurs membres en sont élus directement. »

4. À l'article 99, après les termes « quinze membres au plus », ajouter les termes :

« , de sexe différent ».

5. À l'article 121, ajouter un paragraphe 3 nouveau, rédigé comme suit :

« § 3. Chacun de ces gouvernements compte des personnes de sexe différent. »

6. À l'article 136, ajouter un alinéa 3 nouveau, rédigé comme suit :

« Le Collège de la Commission communautaire française et le Collège réuni de la Commission communautaire commune comptent des personnes de sexe différent. »

7. À l'article 162, après l'alinéa 4, ajouter deux alinéas nouveaux, rédigés comme suit :

« La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 organisent la présence de personnes de sexe différent au sein des députations permanentes des conseils provinciaux, des collèges des bourgmestre et échevins, [des conseils de l'aide sociale] et dans les exécutifs de tout autre organe territorial interprovincial ou intercommunal.

L'alinéa qui précède ne s'applique pas lorsque la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 organisent l'élection directe des députés permanents des conseils provinciaux, des échevins, [des conseillers de l'aide sociale] et des membres des exécutifs de tout autre organe territorial interprovincial ou intercommunal. »

B. Deuxième proposition

Insérer un article 10bis nouveau, rédigé comme suit :

« Art. 10bis. ­ L'égalité des femmes et des hommes est garantie.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent l'égal exercice de leurs droits et libertés, et favorisent notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics.

Le Conseil des ministres, les gouvernements des communautés et des régions visés à l'article 121, le Collège de la Commission communautaire française et le Collège réuni de la Commission communautaire commune comptent des personnes de sexe différent.

La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 organisent la présence de personnes de sexe différent au sein des députations permanentes des conseils provinciaux, des collèges des bourgmestre et échevins, des conseils de l'aide sociale et dans les exécutifs de tout autre organe territorial interprovincial, intercommunal ou intracommunal.

L'alinéa qui précède ne s'applique pas lorsque la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 organisent l'élection directe des députés permanents des conseils provinciaux, des échevins, des conseillers de l'aide sociale ou des membres des exécutifs de tout autre organe territorial interprovincial, intercommunal ou intracommunal. »

Sur la base de ces deux propositions, le groupe de travail ad hoc a rédigé, selon le principe du consensus, un projet d'amendement dont les lignes de force peuvent se résumer comme suit :

1. Le groupe de travail a rejeté d'emblée la première proposition en raison de sa complexité et de son manque de lisibilité. Les objections concernaient surtout la question de l'admissibilité de la modification explicite d'articles de la Constitution n'ayant pas été soumis à révision. C'est pourquoi le groupe de travail a décidé, au consensus, de se baser sur la deuxième proposition pour rédiger un projet d'amendement insérant les dispositions en matière d'égalité entre les femmes et les hommes dans les articles 10 ou 11, ou à proximité de ceux-ci.

Il y a eu en tout cas unanimité au sein du groupe de travail pour ancrer à l'article 10 le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la mission qui s'y rattache pour les législateurs fédéral, décrétal et régional bruxellois.

2. En ce qui concerne la présence obligatoire de personnes de sexe différent au sein des organes exécutifs, la question s'est posée de savoir si ce point devait être inscrit également à l'article 10 ou faire l'objet d'un nouvel article 10bis ou 11bis. La première proposition n'a en tout cas recueilli aucune majorité car elle aurait par trop surchargé l'article 10, déforçant ainsi les principes généraux contenus dans cet article. Le choix s'est donc porté sur l'insertion d'un nouvel article 10bis ou 11bis. Le texte présenté ci-dessous propose un article 10bis, mais il n'y a pas eu unanimité à ce sujet.

3. Le groupe de travail préconise de supprimer la référence au Collège de la Commission communautaire française et au Collège réuni de la Commission communautaire commune, dès lors que d'après la jurisprudence constante de la Cour d'arbitrage, ces collèges peuvent être considérés comme des gouvernements de communauté. La commission devra par ailleurs se prononcer sur la question de savoir s'il y a lieu de maintenir la référence à l'article 121 de la Constitution.

4. S'agissant des organes exécutifs au niveau local, la question a été posée de savoir s'il ne serait pas possible de trouver une formulation plus concise, ne fût-ce que pour le dernier alinéa qui traite de l'hypothèse de l'élection directe.

Compte tenu de ce qui précède, le projet d'amendement du groupe de travail s'énonce comme suit :

« Article unique

Remplacer cet article par ce qui suit :

« Article 1er. ­ L'article 10 de la Constitution est complété par les alinéas suivants :

« L'égalité des femmes et des hommes est garantie.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent l'égal exercice de leurs droits et libertés, et favorisent notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics. »

Art. 2. ­ Un article 10bis, rédigé comme suit est inséré dans la Constitution :

« Art. 10bis. ­ Le Conseil des ministres et les gouvernements de communautés et de régions [visés à l'article 121] comptent des personnes de sexe différent.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 organisent la présence de personnes de sexe différent au sein des députations permanentes des conseils provinciaux, des collèges des bourgmestre et échevins, des conseils de l'aide sociale, des bureaux permanents des centres publics d'aide sociale et dans les exécutifs de tout autre organe territorial interprovincial, intercommunal ou intracommunal.

L'alinéa qui précède ne s'applique pas lorsque la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 organisent l'élection directe des membres de la députation permanente des conseils provinciaux, des échevins, des membres du conseil de l'aide sociale, des membres du bureau permanent des centres publics d'aide sociale ou des membres des exécutifs de tout autre organe territorial interprovincial, intercommunal ou intracommunal. »

2. Discussion

a. Place de l'article

Une membre reste partisane de l'insertion de toutes les dispositions précitées dans un article 11bis, comme l'ont suggéré la plupart des constitutionnalistes consultés (cf. son amemdement nº 13, doc. Sénat, nº 2-465/3). Elle peut marquer son accord sur le projet d'amendement dans la mesure où il vise à inscrire le principe général de l'égalité des femmes et des hommes à l'article 10, à condition que ces dispositions restent le plus succinctes possible. Elle s'oppose cependant à la proposition d'un article 10bis parce que celle-ci rompt le lien indissociable qui unit les articles 10 et 11.

Pour terminer, elle plaide pour la suppression de la référence à l'article 121 de la Constitution parce qu'on n'y fait pas mention du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.

Un intervenant suivant est d'avis que le premier membre de phrase de l'article 10, alinéa 4, proposé, qui concerne l'assurance de l'égal exercice des droits et libertés, n'a en tout cas pas sa place dans l'article 10, mais devrait figurer à l'article 11, qui concerne la jouissance des droits et libertés. Le maintien de cette disposition dans l'article 10 porte préjudice à la portée tant de l'article 10 que de l'article 11 et rompt leur spécificité.

Il estime dès lors opportun de se borner à écrire à l'article 10, alinéa 4, proposé, que la loi, le décret, et la règle visée à l'article 134 favorisent l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs et publics.

Une membre objecte que le principe de l'égal exercice des droits et libertés doit être considéré comme le corollaire logique du principe énoncé à l'alinéa 3 proposé, selon lequel l'égalité entre hommes et femmes est garantie et qui spécifie à son tour le principe d'égalité général énoncé à l'alinéa 1er. L'accent est donc mis sur la notion d'égalité. Il serait dès lors préférable d'insérer l'alinéa 4 proposé à l'article 10 plutôt qu'à l'article 11, qui concerne le principe de non-discrimination. De plus, la jonction des alinéas 3 et 4 proposés à l'article 10 donne davantage de poids aux dispositions qu'il contient.

Par ailleurs, elle souligne que tous les constitutionnalistes consultés ont attiré l'attention sur le lien indissociable qui unit les articles 10 et 11.

Elle plaide par conséquent pour le maintien de l'article 10, alinéas 3 et 4, tels que proposés par le groupe de travail. Il ne lui semble pas non plus opportun d'inscrire l'article 10, alinéa 4, à l'article 11, ou dans un article 11bis, parce que la dernière phrase de l'article 11 porte sur les droits et les libertés des minorités idéologiques et philosophiques. Une disposition de « genre » est tout à fait hors de propos ici parce que la frange de la population que constituent les femmes serait ainsi considérée comme une minorité d'une minorité.

Le ministre dit comprendre les deux points de vue. Ne peut-on envisager, pour en sortir, d'insérer l'alinéa 4 de l'article 10 proposé à la suite de la première phrase de l'article 11 ? Il faudrait naturellement dans ce cas revoir la seconde phrase de l'article 11. L'article 10bis proposé serait alors renuméroté en article 11bis.

En fonction de ce qui précède, l'intervenante précédente se rallie à la proposition du président consistant à ne conserver à l'article 10, alinéa 4, que le membre de phrase selon lequel la loi, le décret ou la règle visées à l'article 134 favorisent en particulier l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs et publics.

Un autre membre ajoute que le premier membre de phrase de l'article 10, alinéa 4, proposé est superflu parce que la première phrase de l'article 11 dispose déjà que la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination.

Un intervenant suivant propose quant à lui de prévoir à l'article 10 que l'égal exercice des droits et libertés est garanti aux femmes et aux hommes.

L'intervenant précédent fait remarquer que la notion d'« exercice égal des droits et libertés » devrait plutôt figurer à l'article 11.

Un autre membre déclare que du fait de la transversalité de la discrimination à l'égard des femmes, l'article 10, alinéa 3, proposé doit être maintenu dans sa rédaction et à sa place actuelles. La disposition que contient l'alinéa 4 proposé pourrait éventuellement être insérée dans un autre article de la Constitution.

En conclusion, le président propose de compléter l'article 10 par les alinéas suivants :

« L'égalité des femmes et des hommes est garantie.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 favorisent en particulier leur égal accès aux mandats électifs et publics. »

La première phrase de l'article 11 serait modifiée comme suit : « La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination, en particulier entres femmes et hommes. »

Un commissaire critique la succession des dispositions proposées. L'article 10, alinéa 4, proposé établit le fondement juridique permettant de prendre des mesures de discrimination positive. Il fait ainsi exception à l'interdiction de discrimination qui est inscrite à l'article 11. La logique commande donc d'inscrire à l'article 11, sous la forme d'un alinéa 2, la disposition selon laquelle la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 favorise notamment l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs et publics.

Dans ce cas, l'article 10 serait uniquement complété par un alinéa 3 garantissant l'égalité entre les femmes et les hommes.

La ministre et plusieurs membres marquent leur accord, à la condition que la disposition qui permet la discrimination positive soit insérée à l'article 11 non en tant qu'alinéa 2, mais après la première phrase.

Un autre membre fait observer que cette dernière disposition perturbe complètement la cohérence de l'article 11.

En effet, l'article 11 serait libellé comme suit : « La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 garantissent aux femmes et aux hommes l'égal exercice de leurs droits et libertés et favorisent notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics. À cette fin, la loi et le décret garantissent notamment les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques. »

On s'expose ainsi à la critique de mettre les femmes sur le même plan que les minorités idéologiques et philosophiques, ce qu'il faut précisément éviter.

Le président fait observer que la première phrase de l'article 11 a une portée générale et concerne toutes les catégories de Belges, et pas exclusivement les minorités idéologiques et philosophiques.

À titre de variante, l'intervenante suivante propose de ne pas toucher à l'article 11 et de s'inspirer des articles 22, 22bis et 23 pour formuler l'alinéa 4 proposé de l'article 10 comme suit : « La loi, le décret et la règle visée à l'article 134 garantissent cette égalité et favorisent notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics. »

La ministre estime que la garantie de l'égal exercice de leurs droits et libertés suppose des conditions plus strictes que la garantie de l'égalité des femmes et des hommes. La première formule offre dès lors une base plus solide pour mener une politique d'action positive.

Le président, pour sa part, propose de ne maintenir à l'article 10 que l'alinéa 3 proposé et d'insérer l'alinéa 4 proposé ainsi que l'article 10bis proposé dans un article 11bis nouveau.

La ministre et plusieurs membres se rallient à cette proposition, parce qu'elle laisse intact le lien entre les articles 10 et 11.

b. Portée de la déclaration de révision de la Constitution

Un membre désire savoir si la modification proposée par le président peut encore s'inscrire dans le cadre de la déclaration de révision de la Constitution (Moniteur belge, 5 mai 1999), laquelle dispose notamment qu'il y a lieu à révision du titre II de la Constitution en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité. L'insertion d'un article 11bis ne pose donc pas de problème, mais la question est de savoir si l'on peut en dire autant de l'insertion d'un alinéa 3 à l'article 10, car la même déclaration prévoit qu'il y a lieu à révision de l'article 10, alinéa 2, deuxième membre de phrase, de la Constitution.

L'intervenant suivant estime qu'une modification de l'article 10 de la Constitution s'inscrit parfaitement dans le cadre de la déclaration de révision du titre II de la Constitution en vue d'y insérer un article nouveau relatif au droit des femmes et des hommes à l'égalité. Qui peut le plus peut le moins. Si l'on peut insérer un nouvel article au titre II, on peut a fortiori modifier un article existant figurant sous le même titre.

Une autre sénatrice peut se rallier à l'esprit de la proposition faite par le président, mais elle reste d'avis qu'il n'est juridiquement pas correct, au travers de l'article 11bis proposé, de modifier implicitement des dispositions du titre III de la Constitution relatives à la composition du Conseil des ministres. De plus, le Conseil des ministres devrait être soumis au principe de la représentation égale.

Par ailleurs, la composition des gouvernements de communauté et de région doit être réglée non pas dans la Constitution, mais par la loi spéciale. On pourrait déposer à cette fin une proposition de loi spéciale qui serait adoptée conjointement avec la présente proposition de révision de la Constitution.

Enfin, l'intervenante considère que les alinéas 2 et 3 de l'article 10bis proposé n'ont guère de sens, dès lors qu'ils chargent les législateurs fédéral, décrétal et régional bruxellois d'une mission qui est déjà contenue à l'article 10, alinéa 4, proposé. Ces dispositions n'apporteront une plus-value que si elles imposent des quotas aux divers législateurs.

Le préopinant revient sur les deux premières observations de cette sénatrice, parce qu'elles abordent la question de la modification implicite de la Constitution. À son avis, le projet d'amendement du groupe de travail ad hoc est inconstitutionnel dans la mesure où il tend à modifier les dispositions relatives à la composition du Conseil des ministres et des gouvernements de communauté et de région dans un article 10bis ou 11bis.

­ La composition du Conseil des ministres est régie par l'article 99 de la Constitution qui n'a pas été soumis à révision. L'obligation inscrite dans l'article 10bis ou 11bis proposé, en vertu de laquelle le Conseil des ministres doit comporter des personnes de sexe différent, implique dès lors un ajout implicite à cet article. Si l'on met l'argument de l'interprétation stricte de l'article 195 de la Constitution en balance avec une interprétation large de la déclaration de révision de la Constitution, pareille modification implicite peut, à la rigueur, être admissible.

­ La composition des gouvernements de communauté et de région, par contre, n'est pas réglée par la Constitution. L'article 123, § 1er, de la Constitution dispose que la loi règle la composition et le fonctionnement des gouvernements de communauté et de région. Sauf pour ce qui concerne le gouvernement de la Communauté germanophone, cette loi est adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa (voir aussi l'article 122). Du point de vue de la technique législative, il est donc incorrect de régler dans la Constitution elle-même une matière qui doit l'être par la loi spéciale. De plus, l'article 10bis ou 11bis proposé, contient une modification implicite des articles 122 et 123 de la Constitution, qui n'ont pas non plus été soumis à révision. En conséquence, la question de la présence de personnes de sexe différent dans les gouvernements de communauté et de région doit être réglée non pas dans la Constitution, mais dans la loi spéciale. La modification à deux degrés contenue dans l'article 10bis ou 11bis n'est dès lors pas admissible.

L'intervenant souligne que tant le professeur Lemmens (voir ses avis, nº 28) que le professeur Velaers (voir son avis, nºs 19-24) ont émis des objections de constitutionnalité concernant cette partie de l'article 10bis proposé par le gouvernement.

Il rappelle que lors de la mise en oeuvre des accords de la Saint-Michel en 1993, on a débattu de manière circonstanciée sur la modification « par ricochet » d'articles de la Constitution non soumis à révision.

Le président de groupe de l'époque d'un parti de l'opposition qui fait aujourd'hui partie du gouvernement, avait alors tenu un long exposé dans lequel il se livrait à une critique virulente des propositions de l'accord de la Saint-Michel, auxquelles il reprochait de modifier implicitement la Constitution.

Il est donc surprenant de voir avec quelle légèreté on balaie à présent les mêmes objections.

Un membre comprend les arguments du préopinant. Lorsque la Constituante a inséré dans la Constitution la disposition contenue à l'article 123, le problème de l'égalité entre les femmes et les hommes suscitait moins d'intérêt sur le plan politique. La règle selon laquelle la composition des gouvernements de communauté et de région doit être réglée par la loi spéciale n'empêche toutefois pas, selon lui, d'insérer un principe général consacrant la présence de personnes de sexe différent au sein des gouvernements. On aura ainsi la garantie de voir figurer effectivement ce principe dans les lois spéciales concernées.

Une autre membre observe que les avis des quatre constitutionnalistes consultés divergent au sujet de l'admissibilité de la modification implicite proposée de la Constitution. Il n'est donc pas possible de se prononcer unanimement sur cette question.

Se prévalant de l'adage « Qui peut le plus, peut le moins », elle estime que si l'article 10bis ou 11bis proposé peut modifier implicitement l'article 99 de la Constitution relatif à la composition du Conseil des ministres, il peut également modifier implicitement les lois spéciales concernées puisque la Constitution est la norme suprême dans la hiérarchie juridique.

L'intervenant suivant propose de répondre aux objections de constitutionnalité d'un préopinant en prévoyant à l'article 10bis ou 11bis proposé que, sans préjudice de l'article 123, § 1er, le Conseil des ministres et les gouvernements de communauté et de région comptent des membres de sexe différent.

Le président rappelle que le premier ministre précédent a déclaré que la portée de la déclaration de révision relative à l'instauration du droit à l'égalité entre les femmes et les hommes ne pouvait être interprétée de manière restrictive. La déclaration n'exclut donc pas que l'égale participation des femmes et des hommes au processus de décision politique soit également consacrée dans le cadre de la révision de la Constitution.

Un intervenant précédent réplique que les seuls éléments obligatoires sont ceux qui ont été soumis à révision, c'est-à-dire le titre II. Toutes les déclarations faites durant les travaux préparatoires concernant la motivation ou la portée de la révision ne lient pas la Constituante. Reste cependant la question des limites de la déclaration de révision à la lumière d'autres dispositions constitutionnelles qui n'ont pas été soumises à révision. On dispose à cet égard d'une certaine marge d'interprétation, ainsi qu'il ressort de la distinction qu'il a faite, selon que l'on modifie les règles de composition applicables au Conseil des ministres ou celles applicables aux gouvernements de communauté et de région.

c. Formulation

Un commissaire fait observer que conformément à l'article 41, alinéa 2, de la Constitution, tant à l'alinéa 2 qu'à l'alinéa 3 du texte néerlandais de l'article 10bis proposé, les mots « intracommunaal orgaan » doivent être remplacés par les mots « binnengemeentelijk territoriaal orgaan ».

En outre, à l'alinéa 3, la référence aux « membres du conseil de l'aide sociale » doit être supprimée, parce que ces membres sont élus directement.

S'agissant de cette dernière suggestion, la ministre n'est pas d'accord. En vertu de l'article 17bis de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, seuls les membres du conseil de l'aide sociale des six communes périphériques et des communes de Comines-Warneton et de Fourons sont élus directement. Dans toutes les autres communes, ils sont élus par le conseil communal. Par conséquent, l'hypothèse prévue à l'alinéa 3 doit être maintenue.

En ce qui concerne l'article 10bis, alinéa 3, proposé, un membre fait remarquer que le gouverneur de province est également membre de la députation permanente (cf. l'article 104, alinéa 3, de la loi provinciale). Il n'est toutefois pas député permanent (article 96 de la loi provinciale). C'est pourquoi il convient de disposer qu'il s'agit des membres élus de la députation permanente ou des députés permanents. On exclura ainsi le gouverneur de province, qui est nommé par le Roi.

La ministre marque son accord et propose d'utiliser les mots « députés permanents ».

Une autre membre critique la formulation de l'article 10bis, alinéa 3, proposé par le groupe de travail, qui contient l'exception à l'alinéa 2 de cet article. Elle souhaite dès lors que l'alinéa 3 soit intégré dans l'alinéa 2.

La ministre répond que pour des raisons de technique juridique, il est extrêmement difficile d'insérer à l'alinéa 2 une exception générale pour les élections directes organisées par la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134. Le collège des bourgmestre et échevins figure en effet dans l'énumération des organes pour lesquels la présence de personnes de sexe différent doit être organisée. Au sein du collège, il n'y a actuellement que les échevins des six communes périphériques et des communes de Comines-Warneton et de Fourons qui sont directement élus (article 15, § 2, de la nouvelle loi communale). C'est la raison pour laquelle l'énumération figurant à l'alinéa 2 a dû être répétée à l'alinéa 3, rien que pour couvrir l'hypothèse où des échevins sont élus directement.

Selon un sénateur, cette formulation ne satisfait pas à l'exigence de bonne lisibilité à laquelle doit répondre la loi fondamentale. Ne pourrait-on résoudre le problème en disposant à l'alinéa 3 que l'alinéa qui précède ne s'applique pas en cas d'élection directe des membres des organes mentionnés audit alinéa ?

C. RÉUNION DU 15 FÉVRIER 2001

1. Amendement nº 19

À la suite de la discussion lors de la réunion du 8 février 2001, les membres du groupe de travail ad hoc, sous la présidence des deux rapporteuses, ont déposé l'amendement nº 19, libellé comme suit (amendement nº 19 de Mme de Bethune et consorts, doc. Sénat, nº 2-465/3) :

« Article unique

Remplacer cet article par ce qui suit :

« Article 1er. ­ L'article 10 de la Constitution est complété par l'alinéa suivant :

« L'égalité des femmes et des hommes est garantie. »

Art. 2. ­ Un article 11bis, rédigé comme suit, est inséré dans la Constitution :

« Art. 11bis. ­ La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent aux femmes et aux hommes l'égal exercice de leurs droits et libertés, et favorisent notamment leur égal accès aux mandats électifs et publics.

Le Conseil des ministres et les Gouvernements de communauté et de région comptent des personnes de sexe différent.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 organisent la présence de personnes de sexe différent au sein des députations permanentes des conseils provinciaux, des collèges des bourgmestre et échevins, des conseils de l'aide sociale, des bureaux permanents des centres publics d'aide sociale et dans les exécutifs de tout autre organe territorial interprovincial, intercommunal ou intracommunal.

L'alinéa qui précède ne s'applique pas lorsque la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 organisent l'élection directe des députés permanents des conseils provinciaux, des échevins, des membres du conseil de l'aide sociale, des membres du bureau permanent des centres publics d'aide sociale ou des membres des exécutifs de tout autre organe territorial interprovincial, intercommunal ou intracommunal. »

2. Discussion

a. Article 10, alinéa 3

Une membre dit préférer à la formulation « égalité des femmes et des hommes », l'expression « égalité entre les femmes et les hommes ». Elle remarque toutefois que Mme Vogel-Polski, juriste et sociologue, a écrit un article justifiant l'emploi de l'expression « égalité des femmes et des hommes ».

Un autre membre partage la préférence pour le mot « entre ». La société étant constituée du groupe des hommes et du groupe des femmes, l'égalité des femmes et des hommes pourrait évoquer une égalité au sein de chacun des groupes et non entre les membres de ces deux groupes. Ce n'est évidemment pas le but poursuivi. Le membre aimerait savoir par quels textes internationaux est dictée une telle formulation et quelle est son utilité concrète.

La ministre signale que les auteurs du Traité instituant la Communauté européenne ont opté pour la formulation « égalité entre les hommes et les femmes » (76).

Selon le président, M. Goosse, grammairien, est d'avis que les deux formulations sont possibles, mais que « égalité des hommes et des femmes » est peut-être plus adéquat dans un texte à portée générale tel que la Constitution.

La commission se rallie à ce point de vue.

b. Article 11bis

b.1. Article 11bis, alinéa 2 : représentation égale des femmes et des hommes

Mme de Bethune introduit le sous-amendement nº 21 visant à imposer la parité au sein du Conseil des ministres et des gouvernements de communauté et de région, ainsi que l'amendement subsidiaire nº 22 visant à imposer une représentation de maximum deux tiers de membres du même sexe (doc. Sénat, nº 2-465/3).

b.2. Article 11bis, alinéa 2 : portée de la déclaration de révision de la Constitution

M. Vandenberghe introduit le sous-amendement nº 20 visant à supprimer la référence aux gouvernements de communauté et de région au second alinéa de l'article 11bis (doc. Sénat, nº 2-465/3). La justification de cet amendement a été exposée précédemment.

M. Lozie dépose le sous-amendement nº 23 visant à laisser la référence aux gouvernements de communauté et de région telle quelle à l'article 11bis, mais à commencer la phrase par « Sans préjudice de l'article 123 » (doc. Sénat, nº 2-465/3). Le raisonnement est le suivant : l'article 10 de la Constitution est ouvert à révision pour favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes et y consacrer le principe de base; implicitement, cette révision doit avoir des répercussions sur la composition des gouvernements. Mais comme la composition des gouvernements de communauté et de région doit être réglée par une loi à majorité spéciale en vertu de l'article 123 de la Constitution, il semble justifié de ne pas la régler à l'article 11bis. Avec le sous-amendement nº 23, la composition des gouvernements de communauté et de région continue à être réglée par la loi spéciale, à l'exception du principe de la présence de membres de sexe différent, contenu à l'article 11bis, l'introduction de ce principe dans la Constitution ne remettant pas en cause la procédure prévue à l'article 123.

Le président trouve le sous-amendement nº 20 trop radical. Même si la composition des gouvernements de communauté et de région est réglée par une loi à majorité spéciale, la Constitution peut prévoir un principe général.

Un membre remarque qu'il est facile de raisonner à partir du résultat que l'on veut atteindre et d'écarter dès lors tout obstacle juridique, quel qu'il soit. Il n'en demeure pas moins que l'article 123 de la Constitution confie au législateur spécial le soin de régler la composition des gouvernements de communauté et de région et n'est pas ouvert à révision. L'article 11bis proposé entraîne dès lors une modification de l'article 123 à un double niveau, ce qui est tout à fait inacceptable. Pourquoi ne pas adopter l'article 11bis complété par le sous-amendement nº 23, et, parallèlement, une loi spéciale disposant que les gouvernements de communauté et de région comptent des membres de sexe différent ? Cela s'inscrirait dans une certaine logique juridique.

La ministre rejette catégoriquement le sous-amendement nº 20. Le raisonnement qui le sous-tend revient à rejeter toute adaptation de la Constitution puisque le résultat peut être atteint pas le biais d'une loi spéciale. Mais le but est précisément de faire de l'instauration de la mixité dans les organes exécutifs une obligation constitutionnelle. Elle ne remet pas en cause l'article 123 de la Constitution pour le reste.

Un membre observe que l'adoption de l'article 11bis tel quel, sans retenir le sous-amendement nº 20, ni le sous-amendement nº 23, introduit une contradiction entre l'article 11bis et l'article 123 de la Constitution. En effet, le premier permettrait de régler la parité au sein des gouvernements de communauté et de région par une loi ordinaire, alors que l'article 123 impose une loi spéciale pour régler la composition de ces organes. Il y a deux manières de résoudre cette contradiction : soit mentionner explicitement que l'introduction du principe laisse intact l'article 123 ­ c'est l'objet du sous-amendement nº 23 ­, soit ne viser que le Conseil des ministres. Parallèlement, le membre est disposé à prendre immédiatement l'initiative de modifier la loi spéciale.

Une membre approuve la proposition consistant à suivre simultanément la piste de la révision de la Constitution et celle de la modification de la loi spéciale.

Le président ne voit aucune contradiction entre l'article 123, d'une part, et, d'autre part, l'article 11bis nouveau qui se bornerait à énoncer un principe général de mixité des gouvernements. Il revient ensuite à la loi spéciale de régler les questions de composition et fonctionnement.

La ministre partage cette vision.

Un membre estime que le raisonnement de la ministre est correct dans la hiérarchie des normes d'un État centralisé, mais pas dans le cadre d'un État fédéral. Dans ce dernier cas, le cadre organique de mise en oeuvre des principes est différent. Il est évident que la Constitution peut consacrer des principes tels que la liberté l'association, liberté de culte, etc. Mais lorsque la Constitution confie au législateur spécial la compétence d'organiser certaines choses, elle désigne en fait un autre organe compétent pour se prononcer dans ces matières, notamment la composition des gouvernements de communauté et de région. Le fait que la Constitution soit la norme de base ne signifie pas que l'on puisse modifier l'article 123, non ouvert à révision, à un double niveau, celui du contenu de l'article 123 et celui qui confie au législateur spécial le soin de régler cette matière. Le professeur Lemmens partageait cette opinion. Quant au professeur Velaers, il ne s'est pas exprimé précisément sur l'article 123, mais il s'est prononcé contre une révision implicite de la Constitution.

La ministre réplique que seul le professeur Lemmens a avancé ces objections. Le professeur Velaers s'est prononcé sur une question différente, à savoir la possibilité d'insérer dans le titre III certaines dispositions de l'article 10bis initialement proposé.

Une membre trouve que le raisonnement qui sous-tend le sous-amendement nº 20 n'autorise plus la moindre adaptation de la Constitution. Elle rappelle que, sous la législature précédente, la modification de l'article 103 concernant la responsabilité pénale des ministres s'est accompagnée de la modification de l'article 125 de la Constitution pour les ministres des communautés et des régions. De la même manière, le principe général de mixité doit s'appliquer tant au gouvernement fédéral qu'aux gouvernements des entités fédérées.

Selon un intervenant précédent, il est évident que l'on peut inscrire dans la Constitution le principe de la mixité des gouvernements. Par contre, l'on ne peut permettre, par l'article 11bis, que la composition des gouvernements des communautés et régions soit réglée par loi ordinaire. C'est là le problème posé par l'article 11bis, deuxième alinéa. L'exigence d'une loi spéciale permet d'éviter que les conseils de communauté et de région ne décident de leur composition par un décret adopté à la simple majorité des membres du conseil.

Un autre membre partage l'opinion de la ministre. L'article 11bis, alinéa 2, consacrant le principe de la mixité dans les gouvernements est directement applicable. De plus, les communautés ne sont pas égales sur le plan du règlement de la composition de leur gouvernement puisque la loi spéciale n'est requise que pour les communautés flamande et française, et la loi ordinaire pour la communauté germanophone.

Une membre ajoute que l'article 11 bis fixe également un principe applicable aux organes des communes et provinces, alors que l'article 162 de la Constitution dispose que les institutions communales et provinciales sont réglées par la loi. Si l'on accepte que la Constitution fixe un principe lorsque la matière est réglée par le législateur ordinaire, pourquoi ne pas l'accepter lorsque la matière est du ressort du législateur spécial ?

Un membre estime que l'adoption du texte sans le sous-amendement nº 23 ne peut en aucun cas signifier qu'une loi ordinaire pourrait fixer la proportion d'hommes et de femmes exigée au sein des gouvernements de communauté et de région. Par contre, il est prêt à retirer ce sous-amendement si l'on estime que ce dernier n'est pas nécessaire parce que l'article 11bis se contente de fixer un principe, qui sera mis en oeuvre conformément aux règles prévues ailleurs dans la Constitution. Néanmoins, il faudra sans tarder proposer une loi spéciale pour mettre en oeuvre ce principe.

La ministre confirme cette interprétation. L'obligation de mixité découlera directement de la Constitution. Par contre, il faudra recourir à la loi spéciale sur base de l'article 123 de la Constitution pour imposer une exigence plus précise telle qu'une proportion d'un tiers-deux tiers, ou la parité.

b.3. Article 11bis, alinéas 3 et 4 : formulation

Le président pose la question de savoir s'il est possible d'alléger le texte en fusionnant les deux alinéas ?

La ministre propose de commencer l'alinéa 3 par « Sauf lorsqu'ils organisent l'élection directe de leurs membres, ... »

Mme Willame-Boonen dépose un sous-amendement nº 24 en ce sens (doc. Sénat, nº 2-465/3).

Un sénateur est d'avis que ce sous-amendement ne va pas dans le sens de la précision. Les membres des collèges échevinaux sont éventuellement élus de manière directe, mais non les collèges. Il préfère que l'on précise les cas dans lesquels il y a élection directe.

La ministre prend l'exemple d'une commune dans laquelle les échevins sont élus directement, mais pas le bourgmestre. Le membre constate que la règle ne pouvant s'appliquer aux échevins, c'est le bourgmestre qui devra éventuellement être du sexe opposé à celui des échevins. Une solution consisterait à exclure la règle dès lors que tout ou partie des membres des collèges seraient élus directement.

Le sénateur réplique qu'une telle formule répond certes au problème des communes à facilités, mais qu'elle aurait pour conséquence d'exclure l'application de la règle pour un collège échevinal, si le bourgmestre était élu directement. Si le mode de désignation des bourgmestres est modifié par une région dans le sens de l'élection directe, cela privera les collèges échevinaux de toutes les communes de cette région du bénéfice de la règle de mixité. Le texte de l'amendement nº 19 est peut-être lourd, mais il permet de rencontrer les deux problèmes.

Le président observe que l'on pourrait pousser les exigences plus loin. Pourquoi ne pas admettre l'application du principe, y compris dans les communes où les échevins sont élus directement ? Le décret ou l'ordonnance pourrait prévoir qu'en cas de collège unisexe, le dernier membre élu devrait être remplacé par le candidat de sexe différent ayant obtenu le plus de voix.

Une sénatrice, quant à elle, propose de simplifier en disposant simplement que la règle n'est pas d'application aux communes à statut spécial.

Une membre trouve que le sous-amendement nº 24 était clair et qu'il rencontrait les deux préoccupations évoquées précédemment.

Un autre membre soutient le texte de l'amendement nº 19. Même s'il est un peu compliqué, il permet de répondre à la situation des communes à facilités où il faut trouver le moyen de respecter la volonté de l'électeur.

b.4. Effets de l'entrée en vigueur de la révision de la Constitution et compétence de la Cour d'arbitrage

Une membre demande quand la révision de la Constitution entrera en vigueur. Le gouvernement actuel de la Région de Bruxelles-Capitale ne compte en effet aucune femme.

Un autre membre estime que la mise en application du principe doit se faire de manière raisonnable. En 1993, la moitié des membres du Sénat n'ont pas dû démissionner le lendemain du vote de la révision de la Constitution réduisant le nombre de sénateurs à septante et un. La règle doit s'appliquer à partir de la formation des prochains gouvernements.

L'intervenant suivant admet que le principe de mixité inscrit dans la Constitution soit directement applicable et, partant, qu'un Conseil des ministres ou un gouvernement de communauté ou de région composé uniquement d'hommes soit inconstitutionnel. Il reste qu'en l'absence de loi spéciale réglant expressément la question, aucune sanction ne permet d'empêcher une telle composition.

Une membre observe que les décisions prises par un tel gouvernement pourraient être annulées en raison du vice affectant la composition de l'organe, mais le gouvernement en soi ne pourrait être remis en cause.

Selon un autre membre, ce n'est pas si simple, car la Cour d'arbitrage serait de toute façon confrontée au problème de l'absence d'une loi spéciale alors que celle-ci est requise par ailleurs dans la Constitution pour régler la composition du gouvernement de région ou de communauté.

Un membre estime qu'il ne faut pas écarter l'argumentation au sujet du sous-amendement nº 20, au motif qu'il s'agirait de juridisme. La ministre affirme que la Constitution consacre uniquement un principe général de mixité, mais qu'une loi spéciale serait requise pour exiger une proportion particulière dans la composition, telle que un tiers ou la moitié de personnes du sexe opposé. Or, prenons l'exemple du gouvernement flamand qui compte onze membres : imposer la mixité revient à imposer qu'au moins un onzième des membres soit de sexe différent. C'est aussi une proportion précise !

L'orateur précédent estime qu'exprimer le principe général de façon numérique, même si ce n'est qu'une exigence d'au moins un membre de l'autre sexe, revient à une question de composition. Selon lui, il est impossible de mettre en oeuvre l'article 11bis, par exemple à Bruxelles, si une loi spéciale ne précise pas ce qu'il advient lorsque les francophones et les néerlandophones ne peuvent s'accorder sur le groupe linguistique auquel il revient de présenter un membre de l'autre sexe. Une loi spéciale est donc indispensable pour rendre le principe opérationnel dans un cas comme celui du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.

La ministre reconnaît que le contrôle du respect du principe peut poser problème. Il y a toutefois des moyens de pression. Ainsi, l'on imagine difficilement le Roi accueillir le serment des chefs d'exécutifs si ceux-ci ne sont pas composés conformément à la Constitution. D'autre part, la ministre s'engage à déposer un projet de loi spéciale organisant plus concrètement le contrôle de l'application du principe.

Une sénatrice rappelle qu'il faut décider si l'article 11bis tombe sous le contrôle de la Cour d'arbitrage. En cas de réponse négative, l'insertion dans la Constitution d'une obligation de mixité dans les organes exécutifs a peu de sens. C'est pourquoi elle plaide aussi pour que la modification de la Constitution soit rapidement suivie par l'adoption d'une loi spéciale donnant un effet concret à la règle.

Une membre est d'avis que la Cour d'arbitrage sera compétente pour veiller au respect d'une règle qui est une application particulière du principe général d'égalité. Cependant, la Cour n'est de toute façon pas compétente pour annuler la composition d'un organe.

Une autre membre partage l'opinion de l'intervenante précédente au sujet de l'extension de la compétence de la Cour d'arbitrage au respect de l'article 11bis. Actuellement, la Cour étend déjà son contrôle à l'article 162 en matière d'impôts.

Un membre se dit de plus en plus étonné par l'impact que l'on veut donner à l'insertion de l'article 11bis dans la Constitution : il modifierait également l'article 1er de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage déterminant les articles de la Constitution au regard desquels la Cour d'arbitrage exerce son contrôle.

Un membre est d'avis que la querelle consistant à savoir si l'article 11bis nouveau se contente de poser un principe ou s'il interfère avec la question de la composition des gouvernements des communautés et régions qui doit être réglée par loi spéciale provient de l'utilisation des termes « compte des personnes de sexe différent ». On en déduit qu'il faut au moins une personne de sexe différent, ou qu'il faut une loi spéciale pour imposer une proportion d'un tiers, etc. Pourquoi ne pas écrire plus simplement « compte des hommes et des femmes » ? La formule s'inscrirait dans la logique du premier alinéa et ne serait plus source d'équivoque par rapport à l'idée de composition des gouvernements.

Un sénateur observe que la modification de la Constitution entrera en principe en vigueur dès sa publication au Moniteur belge. Cela signifiera-t-il donc que le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale qui ne compte que des hommes sera déclaré inconstitutionnel ? Ne faudrait-il pas prévoir une mesure transitoire reportant aux prochaines élections l'entrée en vigueur de la règle ?

Même si elle trouve plutôt injuste que des organes exécutifs demeurent composés uniquement d'hommes, Mme Van Riet juge préférable de ne pas pas mettre tous ces organes en difficulté. Elle sait que c'est notamment le cas de certains collèges échevinaux. C'est pourquoi elle introduit, avec d'autres membres, un sous-amendement nº 25 reportant l'entrée en vigueur de l'article 11bis au jour suivant les prochaines élections concernant lesdits organes (doc. Sénat, nº 2-465/6).

La ministre répond que le problème ne se pose pas pour les organes communaux et provinciaux car, dans leur cas, une loi est requise pour appliquer le principe de mixité.

Un membre se demande pourquoi un principe que la ministre affirme directement applicable en ce qui concerne les gouvernements, nécessite, par contre, une loi, un décret ou une ordonnance, pour s'appliquer aux organes des communes et provinces.

Un membre est d'avis qu'on peut faire l'économie d'une disposition transitoire dans la Constitution en réglant la question de l'entrée en vigueur dans la loi spéciale, la loi ordinaire, le décret ou l'ordonnance selon les cas.

Une sénatrice fait remarquer que la proposition de loi qu'elle a elle-même déposée, se contentait de fixer le principe et renvoyait à la loi, le décret ou l'ordonnance pour l'application du principe à tous les organes.

La ministre estime que le principe ne devrait de toute façon entrer en vigueur que lors de la prochaine constitution d'exécutifs.

Une sénatrice se dit persuadée qu'une fois le principe constitutionnel voté, il y a peu de chance qu'un gouvernement qui ne satisferait pas à la règle, ne modifie pas immédiatement sa composition. C'est une question politique.

Le président ne pense pas que les gouvernements vont changer leur composition du jour au lendemain. Par contre, il n'imagine pas que de nouveaux gouvernements se constitueraient sans respecter le principe constitutionnel.

Un sénateur aimerait savoir si le projet de loi spéciale que la ministre de l'Égalité des Chances s'est engagée à déposer concernerait uniquement les compétences de la Cour d'arbitrage ou si l'on réglerait aussi la problématique des gouvernements de communauté et de région en application de l'article 123 de la Constitution.

La ministre répond que le projet de loi dont elle a parlé, réglerait la compétence de la Cour d'arbitrage et l'application pratique du principe constitutionnel pour certains exécutifs.

Une membre n'est pas satisfaite par les réponses apportées jusqu'à présent à la question de l'entrée en vigueur de l'article 11bis. La règle s'appliquera-t-elle en cas de remaniement ministériel avant les élections suivantes ? Et quand la ministre envisage-t-elle de déposer un projet de loi spéciale ?

Un membre estime que la composition des gouvernements existants était jusqu'à présent conforme à la Constitution et qu'il ne convient pas de leur appliquer le principe dès sa publication. Toutefois, il s'interroge aussi au sujet de l'application de la règle lors d'une modification d'un gouvernement qui interviendrait avant les élections suivantes. L'ajout d'une disposition transitoire éviterait toute équivoque en écartant explicitement l'application du principe en cas de remaniement de gouvernement.

VI. VOTES

1. Les amendements nºs 1 à 18 sont retirés.

2. L'amendement nº 19 de Mme de Bethune et consorts visant à remplacer l'article unique par deux nouveaux articles, visant respectivement à ajouter un troisième alinéa à l'article 10 de la Constitution et à insérer un article 11bis nouveau, la commission décide de voter séparément sur chaque disposition proposée et les sous-amendements y ayant trait.

2.1. Article 1er

L'article 1er est adopté à l'unanimité des 11 membres présents.

2.2. Article 2

2.2.1. Article 11bis, alinéa 1er

L'alinéa 1er est adopté par 10 voix et 1 abstention.

2.2.2. Article 11bis, alinéa 2

Le sous-amendement nº 20 de M. Vandenberghe visant à supprimer les mots « des Gouvernements de communauté et de région » est retiré.

Le sous-amendement nº 21 de Mme de Bethune visant à introduire le principe d'une représentation égale de chaque sexe, est rejeté par 9 voix contre 1 et 1 abstention.

L'amendement subsidiaire nº 22 de Mme de Bethune visant à introduire le principe d'une représentation d'au moins un tiers de membres du sexe opposé est rejeté par 8 voix contre 2 et 1 abstention.

Le sous-amendement nº 23 de M. Lozie faisant référence à l'article 123 de la Constitution est retiré par son auteur en raison de l'interprétation donnée à l'article 11bis et de l'engagement de la ministre de l'Égalité des Chances de déposer rapidement un projet de loi spéciale.

Le sous-amendement nº 23 est réintroduit par M. Vandenberghe. Il est rejeté par 8 voix contre 2 et 1 abstention.

L'alinéa 2 est adopté par 9 voix et 2 abstentions.

2.2.3. Article 11bis, alinéa 3

Le sous-amendement nº 24 de Mme Willame-Boonen et consorts visant à insérer les mots « Sauf lorsqu'ils organisent l'élection directe de leurs membres » est rejeté par 7 voix contre 2 et 2 abstentions.

L'alinéa 3 est adopté par 9 voix et 2 abstentions.

2.2.4. Article 11bis, alinéa 4

L'alinéa 4 est adopté par 8 voix et 3 abstentions.

2.2.5. Article 11bis, alinéa 5 (nouveau)

Le sous-amendement nº 25 de Mme Van Riet et consorts visant à insérer un cinquième alinéa contenant une disposition transitoire est retiré par son auteur.

L'article 2 dans son ensemble est adopté par 10 voix et 1 abstention.

L'amendement nº 19 de Mme de Bethune et consorts est adopté par 10 voix et 1 abstention.


Par suite de ce vote, la proposition de révision de la Constitution déposée par Mme de Bethune et consorts (doc. Sénat, nº 2-483/1), qui a été examinée conjointement avec la proposition du gouvernement nº 2-465/1, devient sans objet.


Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 8 membres présents.

Les rapporteuses,
Iris VAN RIET.
Nathalie de T' SERCLAES.
Le président,
Armand DE DECKER.

ANNEXE


Vue d'ensemble des avis donnés par les quatre constitutionnalistes

Points controversés

Tableau comparatif
des points de vue des professeurs
Lemmens, Uyttendaele, Velaers et Verdussen

Professor Lemmens
­
Professeur Lemmens
Professor Velaers
­
Professeur Velaers
Professor Verdussen
­
Professeur Verdussen
Professor Uyttendaele
­
Professeur Uyttendaele
1. Draagwijdte van de verklaring tot herziening van de Grondwet. ­ Portée de la déclaration de révision :
· Toegang tot door verkiezing verkregen mandaten en overheidsmandaten. ­ Accès aux mandats électifs et publics Op grond van de herzieningsverklaring en het internationaal recht kan « de paritaire democratie bij de politieke besluitvorming » worden ingevoerd (evenwichtige vertegenwoordiging van mannen en vrouwen op kiezerslijsten) (nrs. 17 en 19). ­ Sur la base de la déclaration de révision et du droit international, la démocratie paritaire peut être introduite dans le processus de décision politique (représentation équilibrée des hommes et des femmes sur les listes électorales) (nºs 17 et 19). Grondwettelijke grondslag en verplichting om maatregelen te nemen ter bevordering/waarborging van de gelijke uitoefening van rechten door vrouwen zowel t.a.v. de overheid als t.a.v. medeburgers (dus ook politieke rechten) (nrs. 3 en 10). ­ Fondement constitutionnel et obligation de prendre des mesures afin de favoriser/garantir l'égal exercice des droits par les femmes aussi bien en ce qui concerne l'autorité que les concitoyens (donc aussi droits politiques) (nºs 3 et 10). Toegestaan door de erg ruime formulering van de verklaring tot herziening van de Grondwet en bevestigd door de eerste minister. ­ Autorisé par le libellé très large de la déclaration de révision et confirmé par les propos du premier ministre. Conform de verklaring tot herziening van de Grondwet en de internationale verdragen. ­ Conforme à la déclaration de révision, et aux instruments internationaux.
· Mogelijkheid tot splitsing van het artikel en tot wijziging van titel III. ­ Si scission de l'article : possibilité de modifier le titre III Neen. Strikte interpretatie van de verklaring tot herziening van de Grondwet. ­ Non. Interprétation stricte de la déclaration de révision de la Constitution : Neen. Strikte interpretatie van de verklaring tot herziening van de Grondwet. ­ Non. Interprétation stricte de la déclaration de révision de la Constitution : Ja. De verklaring tot herziening van de Grondwet dient met een zekere soepelheid te worden geïnterpreteerd. ­ Oui, il faut une certaine souplesse dans l'interprétation de la déclaration de révision. Ja. De constituante kan de rechtsnorm herzien, vervat in de bepaling die voor herziening vatbaar is verklaard. Zij is daarbij niet gebonden door de nummering van de artikelen die voor herziening vatbaar zijn verklaard. ­ Oui. Le constituant peut réviser la règle juridique contenue par la disposition soumise à révision, mais n'est pas tenu par la numérotation des articles soumis à révision.
­ Artikel 10bis, tweede lid. ­ Article 10bis, deuxième alinéa :
1. samenstelling federale regering : artikelen 99 en 104 niet voor herziening vatbaar verklaard. ­ composition du gouvernement fédéral : articles 99 et 104 non ouverts à révision;
2. samenstelling gemeenschaps- en gewestregeringen wordt geregeld bij bijzondere wet (cf. artikel 123, § 1, niet voor herziening vatbaar). ­ composition des gouvernements de communauté et de région réglée par loi spéciale (cf. article 123, § 1er, non ouvert à révision).
­ Artikel 10bis, tweede lid, houdt een impliciete wijziging in van de artikelen 96, 99, 104 en 122. D.i. strijdig met artikel 195 dat uitsluitend expliciete herzieningen toestaat (nrs. 19 tot 24). ­ Article 10bis, deuxième alinéa, contient une modification implicite des articles 96, 99, 104 et 122. Ceci est en contradiction avec l'article 195 qui ne permet que des révisions explicites (nºs 19 à 24).
Conclusie : tweede lid weglaten (nr. 28). ­ Conclusion : supprimer le deuxième alinéa (nº 28).
­ Artikel 10bis, derde lid : beleidsorganen op lokaal vlak : eveneens overbodig (nr. 30). ­ L'article 10bis, troisième alinéa : organes politiques sur le plan local : également superflu (nº 30). ­ Artikel 10bis, derde lid, beter opnemen in artikel 162. Niet voor herziening vatbaar. Nochtans geen impliciete herziening omdat dit artikel geen bepalingen inhoudt over de samenstelling van de uitvoerende organen op lokaal niveau (nrs. 26 en 27). ­ Préférable d'insérer l'article 10bis, troisième alinéa, à l'article 162. Non ouvert à révision. Néanmoins, pas de révision implicite parce que cet article ne contient pas de disposition sur la composition des organes exécutifs au niveau local (nºs 26 et 27).
Bijgevolg : amendementen nrs. 2 en 9 zijn doelloos. ­ Conséquence : amendements nºs 2 et 9 sans objet.
· Zin van artikel 10bis, tweede en derde lid, in het licht van de opdracht opgenomen in het eerste lid, tweede volzin. ­ Sens de l'article 10bis, alinéas 2 et 3, à la lumière du premier alinéa, deuxième phrase. De in het eerste lid bedoelde opdracht volstaat voor de onderscheiden wetgevers om maatregelen te nemen ten aanzien van de in het tweede en derde lid bedoelde beleidsniveaus (nr. 30) (cf. supra). ­ La mission contenue dans le premier alinéa suffit à permettre aux différents législateurs de prendre des mesures à l'égard des niveaux de pouvoirs visés aux deuxième et troisième alinéas (nº 30) (cf. supra).
2. Plaats van het artikel. ­ Place de l'article Artikel 10bis verbreekt het logisch verband tussen de artikelen 10 en 11 (twee zijden van een zelfde medaille). ­ L'article 10bis rompt le lien logique entre les articles 10 et 11 (deux faces d'une même médaille). Artikel 10bis verbreekt de onlosmakelijke band tussen de artikelen 10 en 11. ­ L'article 10bis rompt le lien symbiotique entre les articles 10 et 11. Artikel 10bis privilegieert een bijzondere gelijkheid, nl. die tussen vrouwen en mannen, hetgeen een ongelijkheid creëert in de bevestiging van de gelijkheid. ­ L'article 10bis privilégie une égalité particulière, celle entre femmes et hommes --> crée une inégalité dans l'affirmation de l'égalité.
Voorstel : artikel 10bis, eerste lid, opnemen als artikel 11bis (nr. 20). ­ Proposition : faire de l'article 10bis, premier alinéa, un article 11bis (nº 20).
Inzake splitsing : cf supra. ­ Scission : cf. supra. Inzake splitsing : cf. supra. ­ Scission : cf. supra. Stelt de splitsing voor. ­ Propose scission : Stelt de splitsing voor. ­ Propose scission :
­ het eerste lid wordt ofwel artikel 11, § 2, ofwel artikel 11bis. ­ alinéa 1er devient soit article 11, § 2, soit article 11bis; ­ het eerste lid wordt aan artikel 11 toegevoegd ­ aangezien deze kwestie veeleer betrekking heeft op het in vraag stellen van een discriminatie ­, hetzij als artikel 11bis, hetzij als artikel 11, § 2, hetgeen de controle door het Arbitragehof mogelijk maakt. ­ alinéa 1er rattaché à l'article 11 : car la question relève plus d'une remise en cause d'une discrimination --> soit l'article 11bis, soit l'article 11, § 2. L'article 11, § 2, permet le contrôle par la Cour d'arbitrage.
­ tweede en derde lid in titel III aangezien deze bepalingen de inrichting van de machten betreffen. ­ alinéas 2 et 3 dans titre III car ces règles relèvent de l'organisation des pouvoirs. ­ tweede en derde lid in titel III. ­ Alinéas 2 et 3 dans titre III : Artikelen 99 en 122 voor de regeringen, artikel 162 voor de gemeenten en provincies. ­ les articles 99 et 122 pour les gouvernements, l'article 162 pour les communes et provinces
+ de gemeenschapscommissies (Brussels Hoofdstedelijk Gewest) (zie infra). ­ + commissions communautaires (Région de Bruxelles-Capitale) (voir infra).
3. Formulering. ­ Formulation
· Het recht op gelijkheid is gewaarborgd of de gelijkheid is gewaarborgd. ­ L'égalité ou le droit à l'égalité De gelijkheid is gewaarborgd of vrouwen en mannen zijn gelijk (nr. 22). ­ L'égalité est garantie ou les femmes et les hommes sont égaux (nº 22). Het recht op gelijkheid toont aan dat het om een werkelijk subjectief recht handelt, dat voor de hoven en rechtbanken kan worden aangevoerd. ­ « Droit à l'égalité » montre qu'il s'agit d'un véritable droit subjectif, pouvant être invoqué devant les cours et tribunaux. Gelijkheid (de andere formulering is overtollig). ­ L'égalité (l'autre formulation est redondante).
· Mannen en vrouwen of femmes et hommes. ­ Mannen en vrouwen ou femmes et hommes Vrouwen eerst (nr. 23). ­ Femmes d'abord (nº 23). De grondwetgever moet beslissen. ­ Le constituant doit décider.
· Tweede volzin afsplitsen als nieuw lid. ­ Deuxième phrase --> nouvel alinéa ­ Eerste volzin van het eerste lid afsplitsen als afzonderlijk eerste lid (cf. artikelen 22, 22bis en 23) (nr. 24). ­ Faire de la première phrase du premier alinéa un premier alinéa séparé (cf. articles 22, 22bis et 23) (nº 24).
­ Kritiek op amendement nr. 1 : komt niet tegemoet aan de verplichting opgelegd door het Vrouwenverdrag (nr. 39). ­ Critique de l'amendement nº 1 : ne rencontre pas l'obligation imposée par la Convention sur les femmes (nº 39).
· Bevorderen of waarborgen. ­ Favoriser ou garantir Bevorderen verdient de voorkeur, maar in de artikelen 11, 22, 22bis, 23 en 24 wordt waarborgen gebruikt. ­ Favoriser est préférable, mais garantir est utilisé dans les articles 11, 22, 22bis, 23 et 24. Bevorderen lijkt minder sterk dan waarborgen. Te relativeren nuanceverschil (cf. artikel 23 : waarborgen, artikel 3 van de Franse Grondwet : favorise) (nrs. 16 en 17). ­ Favoriser semble moins fort que garantir. Nuance à relativiser (cf. article 23, Constitution : garantir, article 3 de la Constitution française : favoriser) (nºs 16 et 17). Bevorderen verdient de voorkeur aangezien het niet realistisch is een resultaatsverbintenis op te leggen. ­ « Favoriser » est préférable car il est irréaliste d'imposer une obligation de résultat.
Voorstel : als in het eerste lid, eerste zin, « gewaarborgd » blijft, dan « bevorderen » behouden in de tweede zin (nr. 31). ­ Proposition : si « garanti » est conservé au premier alinéa, première phrase, conserver « favoriser » dans la deuxième phrase (nº 31).
· Rechten en vrijheden of rechten. ­ Droits ou droits et libertés Rechten dekt « alle rechten » (nr. 10). ­ Droits couvre « tous les droits » (nº 10).
· Door verkiezing verkregen mandaten en overheidsmandaten ? ­ Mandats électifs et publics ? Overheidsmandaten : openbare mandaten : gaat verder dan strikt vereist : « door verkiezing verkregen mandaten » volstaat (cf. Franse Grondwet) (nr. 27). ­ Mandats publics : va au-delà de ce qui est strictement exigé : « mandats électifs » (cf. Constitution française) nº 27). « Overheidsmandaten » betreft alle « betrekkingen bij de overheid » (nrs. 12 en 13). ­ « Mandats publics » concerne « toutes les fonctions qui se rapportent à l'autorité » (nºs 12 et 13). Zeer ruim ! Het voorstel 2-483/1 schijnt zich te beperken tot de politieke mandaten, hetgeen een betere omschrijving is. ­ Très large ! La proposition 2-283/1 semble se limiter aux mandats politiques, ce qui est mieux circonscrit. Alle mandaten die direct of indirect worden verleend op grond van een uitoefening van het algemeen kiesrecht en, in het algemeen, alle publieke organen samengesteld uit benoemde, zelfs verkozen leden. ­ Tous les mandats relevant directement ou indirectement d'une manifestation du suffrage universel et de manière générale, tous les organes publics constitués de membres nommés, voire élus.
· Toegang tot door verkiezing verkregen mandaten en overheidsmandaten of deelname aan de politieke besluitvorming. ­ Accès aux mandats électifs et publics ou participation au processus de décision politique ­ Passage « en meer bepaald ... » : omvormen tot een afzonderlijke volzin of zelfs tot een afzonderlijk lid (cf. artikel 3 Franse Grondwet) (nr. 27). ­ Transformer le passage « et notamment .... » : en une phrase séparée ou même en un alinéa séparé (cf. article 3 de la Constitution française) (nº 27).
­ Kritiek op amendement nr. 8 (nr. 35). ­ Critique de l'amendement nº 8 (nº 35).
­ « Gelijke toegang tot ambten » is enger dan « gelijke deelname aan de politieke besluitvorming », dat niet alleen de toegangsvoorwaarden (verkiezing/benoeming), maar ook de uitoefeningsvoorwaarden betreft. ­ « Égal accès aux fonctions » est plus restreint que « participation égale au processus de décision politique », qui ne vise pas seulement les conditions d'accès (élection/nomination), mais aussi les conditions d'exercice. ­ Politieke besluitvorming is te onbepaald. ­ « Processus de décision politique » est trop largement indéterminé ­ Politieke besluitvorming : vage omtrekken en te verregaand : houdt het risico van een schending van het proportionaliteitsbeginsel in (bijvoorbeeld sociale partners die deelnemen aan de politieke besluitvorming). ­ « Processus de décision politique » : contours flous --> va trop loin --> risque de violation du principe de proportionnalité (exemple : les partenaires sociaux concourent au processus de décision politique).
­ Onnodig melding te maken van het ruimere begrip deelname aan de politieke besluitvorming. Nochtans geen echt grondwettelijke bezwaren (nrs. 17 en 33). ­ Inutile de mentionner le concept plus large de participation au processus de décision politique. Néanmoins pas vraiment d'objections constitutionnelles (nºs 17 et 33). ­ « Door verkiezing verkregen mandaten en overheidsmandaten » is ruimer dan politieke besluitvorming tenzij men dit laatste zeer ruim interpreteert (cf. sociale verkiezingen). ­ « Mandats électifs et publics » est plus large que « processus de décision politique » sauf si on interprète ce dernier concept très largement (cf. élections sociales). ­ Een quotum opleggen aan de Ministerraad, voor elke taalgroep, en niet aan de regering. ­ Imposer le quota au Conseil des ministres, pour chaque groupe linguistique, et non au gouvernement. ­ Ministerraad : idem als Verdussen. ­ Conseil des ministres : idem Verdussen.
­ Ook de parlementen viseren : in de Grondwet de pariteit op de kandidatenlijsten opleggen. ­ Viser aussi les parlements --> imposer dans la Constitution la parité sur les listes électorales. ­ Vraag naar de toepasbaarheid op de colleges van de gemeenschapscommissies regelen (Brussels Hoofdstedelijk Gewest) : dit zijn geen regeringsorganen van de gewesten (oplossing : splitsing en wijziging van titel III, artikel 136 van de Grondwet). ­ Régler la question de l'applicabilité aux collèges des commissions communautaires (Région de Bruxelles-Capitale) : ne sont pas des organes gouvernementaux des régions (solution : scission et modification du titre III, article 136, de la Constitution).
· Minimumvertegenwoordiging : een vertegenwoordiger of lid van elk geslacht. ­ Représentation minimale : un représentant ou membre de chaque sexe Een lid van elk geslacht. ­ Un membre de chaque sexe. Betere formulering : personen van verschillende sekse (men « vertegenwoordigt » geen sekse). ­ Meilleure formulation : « personnes de sexe différent » (on ne « représente » pas un sexe).
· Impact van de quota naargelang van de omvang van het orgaan. ­ Impact du quota selon la taille de l'organe Vereiste van één lid van elk geslacht. ­ Exigence d'un membre de chaque sexe :
­ relatief grote regeringen : biedt geen waarborg. ­ dans les gouvernements relativement
grands : n'offre aucune garantie

­ relatief kleine regeringen : groter zichtbaar effect. ­ dans les gouvernements relativement petits : plus grand effet visible.
Vergelijking tussen de federale regering (1 op 15 ministers en x staatssecretarissen : averechts signaal) en de regering van de Duitstalige Gemeenschap (1 op 3 : ernstige beperking van de vrijheid van de raad om regeringsleden te kiezen) (nr. 25). ­ Comparaison entre le gouvernement fédéral (1 sur 15 ministres et x secrétaires d'État : effet inverse) et le gouvernement de la Communauté germanophone ( 1 sur 3 : limitation sérieuse de la liberté du conseil de choisir les membres du gouvernement) (nº 25). Impact van het quotum « ten minste een » : bijvoorbeeld Vlaamse regering : 1 op 11 (= 9 %) en regering van de Duitstalige Gemeenschap : 1 op 3 (= 33 %). ­ Impact du quota « au moins un » : exemple : gouvernement flamand : 1 sur 11 (= 9 %); gouvernement de la Communauté germanophone : 1 sur 3 (= 33 %).
Voorstel : deze kwestie overlaten aan de wetgever die geval per geval een beslissing kan nemen (nr. 29). ­ Proposition : laisser cette question au législateur qui prendra une décision au cas par cas (nº 29).
4. Faciliteitengemeenten. ­ Problème des communes à facilitiés Wijziging van de gewone wet van 9 augustus 1980 tot hervorming der instellingen. ­ Modification de la loi ordinaire de réformes institutionnelles du 9 août 1980.

(1) Voir, en ce qui concerne la limitation du droit de séjour d'un étranger marié à une femme qui est citoyenne du pays, alors que cette limitation ne vaut pas pour la femme étrangère mariée à un homme citoyen du pays, les constatations du Comité des droits de l'homme (ci-après : CDH) du 9 avril 1981. Aumeeruddy-Cziffra c/Mauritius, nº 35/1978, §§ 9.2 (b) 2 (i) 5 et 9.2 (b) 2 (i) 6.

(2) Voir ainsi en matière de discrimination à l'encontre des femmes, CDH, 9 avril 1987, Broecks c/Pays-Bas, nº 172/1984, §§ 14-15, et Zwaan-de Vries c/Pays-Bas, nº 182/1984, §§ 14-15. Voir également, en ce qui concerne les discriminations à l'encontre des hommes, CDH, 26 avril 1992, Pauger c/Autriche, nº 716/1996, § 10.2; CDH, 26 juillet 1999, Vos c/Pays-Bas, nº 786/1997, §§ 7.1-7.6.

(3) Voir, notamment, M. Buquicchio-de Boer, Equality between the sexes and the European Convention on Human Rights, Human Rights Files, nº 14, Presse du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1995; Chr. Petiti, « La discrimination en raison du sexe au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dans la jurisprudence de la Cour européenne », note sous Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : CEDH), 18 juillet 1994, Schmidt, Rev. Trim. Dr. H., 1995, 87-95.

(4) Voir, en ce qui concerne la discrimination à l'encontre des femmes, CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz Cabales et Balkandali, Publ. Court, série A, vol. 94, p. 38, § 78; CEDH, 24 juin 1993, Schuler-Zgraggen, o.c., vol. 263, p. 22, § 67; CEDH, 22 février 1994, Burghartz, o.c., vol. 280-B, p. 29, § 27. Voir également, en ce qui concerne la discrimination à l'égard des hommes, CEDH, 18 juillet 1994, Schmidt, o.c., vol. 291-B, pp. 32-33, § 24; CEDH, 21 février 1997, Van Raalte, Rep., 1997-I, p. 186, § 39; CEDH, 27 mars 1998, Petrovic, Rep., 1998-II, p. 587, § 37.

(5) La CSE modifiée n'a pas encore été ratifiée par la Belgique.

(6) Voir, par exemple, Cour d'arbitrage, 20 janvier 1999, nº 6/99; Cour d'arbitrage, 10 novembre 1999, nº 116/99.

(7) Voir, par exemple, CDH, 28 octobre 1998, Ato del Avellanal, nº 202/1986, § 10.2, à propos d'une disposition du Code civil qui avait pour effet de priver les femmes de la qualité nécessaire pour pouvoir ester en justice en ce qui concerne des biens faisant partie du patrimoine commun des époux.

(8) CDH, remarque générale nº 28 du 29 mars 2000 sur l'égalité des droits entre les hommes et les femmes (article 3 PIDCP), § 3.

(9) Voir à ce sujet, notamment : M. Coene, « Een nieuwe UNO-Conventie : het Verdrag tot afschaffing van de discriminatie ten aanzien van de vrouw », R.W., 1979-80, 2739-2752; F. Talhaoui, « De VN-Conventie inzake de uitbanning van alle vormen van discriminatie ten aanzien van vrouwen : een slapend verdrag ontwaakt », Jaarboek Mensenrechten, 1994, 47-66.

(10) Le 7e Protocole n'a pas encore été ratifié par la Belgique.

(11) « Equality between women and men in the European Social Charter », Social Charter Monographs, nº 2, Council of Europe Publishing, Strasbourg, 1999, p. 14, nº 4.

(12) « Report of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women, Twenty-second Session » (2000), A/55/38 (Part I), § 45 (Indië), (§ 257 (Burkina Faso) et § 298 (Allemagne).

(13) Ibidem, §§ 168-169 (Jordanie) et §§ 400-401 (Luxembourg).

(14) Voir P. Lemmens et A. Vandaele, Avis concernant la révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer des dispositions nouvelles permettant d'assurer la protection des droits de l'enfant à l'intégrité morale, physique, mentale et sexuelle, doc. Sénat, 1999-2000, nº 2-21/4, (59), p. 64, nº 9.

(15) Consulter F. Talhaoui, o.c., 49.

(16) Voir, pour plus de détails sur cette différence d'accentuation entre le principe d'égalité et l'interdiction de discrimination, notre contribution « Gelijkheid en non-discriminatie in het internationaal recht : synthese », in Gelijkheid en non-discriminatie. Égalité et non-discrimination, (A. Alen et P. Lemmens, eds.), Deurne, 1991, (85), pp. 89-90, nº 7).

(17) Voir, à ce sujet, M. Bossuyt, « Het discriminatieverbod en `positieve actie' », R.W., 1998-1999, pp. 241-246. Ce texte constitue la base du rapport préparatoire rédigé par le même auteur en l'an 2000 en tant que rapporteur spécial de la sous-commission de l'ONU pour la promotion et la protection des droits de l'homme, sur The concept and practice of affirmative action, E/CN4/Sub.2/2000/11.

(18) C.J., 17 octobre 1995, Kalanke, Jur., 1995, I-3051.

(19) C.J., 11 novembre 1997, Marshall, Jur., 1997, I-6363.

(20) C.J., 28 mars 2000, Badeck, provisoirement non encore publié dans Jur.; C.J., 6 juillet 2000, Abrahamsson et Anderson, provisoirement non encore publié dans Jur.

(21) Le comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a recommandé aux États en 1988 de faire davantage usage de mesures spéciales temporaires telles que l'action positive, le traitement préférentiel et les systèmes de quotas, en vue de favoriser l'intégration des femmes dans l'enseignement, l'économie, la politique et le marché du travail. Voir « General Comment No 5 », « Temporary special measures », A/43/38 (1988).

(22) « Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. »

(23) CEDH, 23 juillet 1968, affaire linguistique belge, Publ. Court, série A, vol. 6, p. 34, § 10.

(24) Cour d'arbitrage, 27 janvier 1994, nº 9/94, consid. B.6.2; Cour d'arbitrage, 14 juillet 1997, nº 42/97, consid. B.20.

(25) Voir, par exemple, l'article 6, alinéa 1er, de la loi du 7 mai 1999 sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail, l'accès à l'emploi et aux possibilités de promotion, l'accès à une profession indépendante et les régimes complémentaires de sécurité sociale : « Les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l'égalité de chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes ... ». Cette disposition n'est pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution [avis L.28.197/1 du Conseil d'État du 16 février 1999, doc. Chambre, 1998-1999, nº 2057/1, (33), 38-39).

(26) Consulter, en ce qui concerne la Convention sur les femmes, Conseil d'État, 30 décembre 1993, De Wispelaere, nº 45.552. Cet arrêt refuse tout effet direct aux dispositions de la convention.

(27) À comparer au droit à la protection d'un environnement sain, garanti par l'article 23, alinéa 3, 4º, de la Constitution. En principe, ce droit s'oppose à un assouplissement des normes environnementales existantes. Une mesure qui prévoit malgré tout un assouplissement sans que des raisons contraignantes puissent pour autant être invoquées, peut être annulée à la demande d'un intéressé (Conseil d'État, 29 avril 1999, Jacobs, nº 80.018).

(28) Consulter, en ce qui concerne l'abstention d'une autorité administrative, Cass., 23 avril 1971, avec conclusion de l'avocat général F. Dumon, Arr. Cass., 1971, 787; avec note F. Delpérée, R.C.J.B., 1975, 9.

(29) Avis L. 22.885/2 du 17 novembre 1993 sur un projet qui a abouti à la loi du 24 mai 1994 visant à promouvoir une répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes de candidatures aux élections, doc. Chambre, 1993-1994, nº 1316/1, (18), 20.

(30) Avis L. 29.910/2 du 3 avril 2000 sur un projet qui a abouti à la loi du 26 juin 2000 visant à réduire de moitié l'effet dévolutif des votes exprimés en case de tête et à supprimer la distinction entre candidats titulaires et candidats suppléants pour l'élection des conseils provinciaux et communaux et du Parlement européen, doc. Chambre, nº 50-0666/001, 26. Voir également, dans le même sens, l'avis L. 30.125/VR du 13 juin 2000 sur une proposition qui a abouti au décret de la Communauté germanophone du 23 novembre 2000 « zur Abänderung des Grundlagengesetzes über die öffentlichen Sozialhilfezentren vom 8. Juli 1976 », doc. Rat. D. Gem., 2000-2001, nº 35/2. Voir en outre, s'agissant de la nouvelle disposition de l'article 3, alinéa 5, de la Constitution française, infra, nº 27.

(31) Voir le rapport fait au nom de la commission de Révision de la Constitution et de la Réforme des institutions, doc. Chambre, 1998-1999, nº 2150/3, p. 18.

(32) C'est d'ailleurs aussi le cas pour la plupart des dispositions des conventions internationales qui souscrivent au principe de l'égalité dans les relations entre les femmes et les hommes (voir ci-avant, nºs 6, 8 et 9).

(33) Cette division des obligations des pouvoirs publics est utilisée actuellement de manière systématique par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Voir par exemple « General comment nº 14 » du 11 mai 2000 sur « The right to the highest attainable standard of health », E/C.12/2000/4, CDESC, § 33.

(34) Voir, pour la confirmation la plus récente, Cour d'arbitrage, 29 novembre 2000, nº 124/2000, consid. B.4.2.

(35) Conseil d'État, section de législation, avis L. 28.197/1 du 16 février 1999 sur un projet qui a mené à la loi du 7 mai 1999, mentionné en note 25, doc. Chambre, 1998-1999, nº 2057-1, (33), 34-36.

(36) La disposition concerne manifestement le gouvernement, à savoir les ministres et les secrétaires d'État, et pas seulement le Conseil des ministres. Il serait donc encore possible qu'il n'y ait que des hommes (ou des femmes) ministres.

(37) En ce qui concerne Bruxelles, l'on fait uniquement référence aux organes régionaux visés à l'article 39 (de la Constitution), c'est-à-dire les organes de la Région de Bruxelles-Capitale. L'alinéa 2 proposé n'est donc pas applicable aux collèges des commissions communautaires. Étant donné que les membres du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale font tous partie du Collège réuni, la condition de la représentation minimale d'une personne de chaque sexe sera toutefois automatiquement remplie pour ce collège.

(38) Pour le gouvernement flamand, le gouvernement de la Communauté française et le gouvernement de la Région wallonne, voir les articles 59 à 64 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980; pour le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, voir les articles 34 et 35 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises; pour le gouvernement de la Communauté germanophone, voir les articles 49 à 51 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone.

(39) Dans la recommandation 1413 (1999) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur la représentation paritaire dans la vie politique, on fait remarquer qu'un seuil de 30 % de participation des femmes dans les instances politiques constitue « une masse critique » : ce n'est qu'au-delà de ce niveau que les femmes peuvent se libérer du « modèle masculin » d'exercice du pouvoir.

(40) Comme l'explique à juste titre la justification de l'amendement nº 1 de Mme Van Riet et consorts, le texte de l'alinéa 3 présente un certain nombre de lacunes terminologiques.

(41) Dans son arrêt du 27 mai 1971, rendu dans l'affaire Le Ski, la Cour de cassation pose le principe selon lequel « Lorsque le conflit existe entre une norme de droit interne et une norme de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le Traité doit prévaloir; la prééminence de celle-ci résulte de la nature même du droit international conventionnel ». La Cour en déduit que le juge doit écarter l'application d'une norme législative interne ­ et ceci vaut a fortiori pour une norme réglementaire ­ si elle entre en contradiction avec une disposition de droit international qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne.

(42) M. Leroy, « Sur la frontière entre distinction admissible et discrimination prohibée » dans Mélanges offerts à Raymond Vander Elst, Tome II, Bruxelles, Nemesis, 1986, p. 569.

(43) L'égalité entre les femmes et les hommes exige « un volontarisme politique, dont le principal instrument est le droit, destiné à établir ou à rétablir une égalité contrariée notamment par le poids d'un privé restant profondément inégalitaire » (J. Commaille, « Les régimes de genre dans les politiques du droit », in Les femmes et le droit ­ constructions idéologiques et pratiques sociales, dir. A. Deville, et O. Paye, Bruxelles, Publications des facultés universitaires Saint-Louis, 1999, p. 263).

(44) Voir C. Autexier, Introduction au droit public allemand, Paris, Presses universitaires de France, 1997, pp. 119-121.

(45) Sur ce problème, voyez D. Ribes, « Existe-t-il un droit à la norme ? Contrôle de constitutionnalité et omission législative », Revue belge de droit constitutionnel, 1999, pp. 237-274.

(46) Voir B. Lombaert, « Le maintien des effets des normes censurées par la Cour d'arbitrage », Administration publique, 1998, p. 177.

(47) Loi constitutionnelle nº 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l'égalité entre les hommes et les femmes (Journal officiel, 9 juillet 1999, p. 10175). Voir la loi du 3 mai 2000 tendant à favoriser l'accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

(48) Il faut rappeler qu'en 1982, donc bien avant la modification de l'article 3 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a considéré que la Constitution s'oppose « à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles » (décision nº 82-146 du 18 novembre 1982, RJC, 1959-1993, p. 134). Des décisions comparables ont été rendues par la Cour constitutionnelle italienne (sentence nº 422 du 12 septembre 1995, Giur. cost., 1995, p. 3255) et par le tribunal fédéral suisse (arrêt du 19 mars 1997, BGE, 123, I, p. 152). En Belgique, la Cour d'arbitrage n'a été saisie d'aucun recours en annulation dirigé contre la loi du 24 mai 1994.

(49) Voir M. Verdussen, « La participation des femmes aux élections en Belgique », Revue française de droit constitutionnel, 1999, pp. 799-809.

(50) La Cour d'arbitrage reconnaît « que les actions positives ne sont pas, en soi, contraires aux articles 10 et 11 de la Constitution » (B. Renauld, « Revenu garanti aux personnes âgées et égalité des femmes et des hommes », JLMB, 1994, p. 1386). Voir également F. Mertens de Wilmars, « La promotion de la condition politique de la femme dans l'Union européenne à l'aune de la Convention européenne des droits de l'homme », Annales d'études européennes de l'UCL, 2000, p. 184.

(51) S. Agacinski, Politique des sexes, Paris, Seuil, 1998.

(52) Voir Cour d'abitrage, 27 janvier 1994, nº 9/94, Moniteur belge du 23 mars 1994; Cour d'arbitrage, 14 juillet 1997, nº 42/97, Moniteur belge du 3 septembre 1997.

(53) Voir le texte des développements de la proposition de Mme de Bethune : « Elle supprimerait tout obstacle constitutionnel à ce que l'on prenne des mesures conduisant à l'égalité de fait entre les femmes et les hommes, et il y aurait même une obligation constitutionnelle de prendre de telles mesures par la voie légale. », doc. Sénat, 1999-2000, nº 2-483/1, p. 9.

(54) Voir J. Velaers, De Grondwet en de Raad van State, Anvers, Maklu, 1999, pp. 74-76 et M. Uyttendaele et J. Sohier, « Les quotas féminins en droit électoral ou les paradoxes de l'égalité », JT, 1995, pp. 249-256.

(55) Approuvée par la loi du 19 mars 1964, Moniteur belge du 2 septembre 1964.

(56) Approuvée par la loi du 11 mai 1983, Moniteur belge du 5 novembre 1985.

(57) Voir, pour un aperçu, « Wat doet de wet voor een beter gender-evenwicht in de politiek. Initiatieven op Europees niveau », Vrouwenraad, 1999, nº 2, pp. 35-41.

(58) Une telle réglementation peut être inscrite dans le règlement de l'assemblée législative.

(59) On peut lire dans les développements une indication que c'est sans doute là le but poursuivi : « Les femmes sont toujours sous-représentées au sein des organes de décision politiques, économiques et sociaux », doc. Sénat, 1999-2000, nº 2-483/1, p. 3.

(60) Voir, pour un aperçu des propositions qui comportent des mesures de discrimination positive, doc. Sénat, 1998-1999, nº 584/2, pp. 16-48, 50-56.

(61) Voir, à ce sujet, l'exposé du professeur J. Miranda, doc. Sénat, 1999-2000, nº 1-584/3, pp. 9-10.

(62) Dans les développements, on peut lire : « La Constitution laisse au législateur ordinaire le choix des moyens, mais elle ne lui permet pas de ne pas prendre de mesures. » doc. Sénat, 1999-2000, nº 2-483/1, pp. 9-10.

(63) Les développements de la proposition comportent certes plusieurs références à cette démocratie paritaire, doc. Sénat, 1999-2000, nº 2-483/1, pp. 2, 5 et 7. La démocratie paritaire y est considérée comme une « mission constante » des autorités. Dans l'amendement nº 9 de Mme de Bethune, il est néanmoins question d'une « représentation égale ».

(64) Voir, par exemple, l'article 9 de la Constitution portugaise : « Les missions fondamentales de l'État consistent entre autres à favoriser l'égalité entre hommes et femmes » (traduction); l'article 5, dernier alinéa, de la Constitution finlandaise : « Equality of sexes shall be promoted in social activities and in working life, particularly in the determination of remuneration and other terms of service, in a manner more precisely by Act of Parliament. » Voir également l'article 2 du traité instituant la Communauté européenne : « promouvoir (... l'égalité entre les hommes et les femmes ».

(65) Loi nº 2000/493 du 6 juin tendant favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

(66) Conseil constitutionnel, Décision nº 2000-429 DC, van 30 mei 2000, JO, 7 juni 2000, blz. 8564 : « que le constituant a entendu permettre au législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives; qu'à cette fin, il est désormais loisible au législateur d'adopter des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant »; voir le commentaire de A. Zimmerman, « Gleicheit und politische Repräsentation von Frauen. Anmerkungen zur Entscheiding des französischen Conseil constitutionnel vom 30. Mai 2000, EuGrZ, 9 november 2000, 2. Jrg., Heft 14-16, blz. 431-436.

(67) Voir, à propos de la constatation d'une discrimination qui trouve son origine dans une lacune de la législation : Cour d'arbitrage, 15 mai 1996, nº 31/96, Moniteur belge du 25 juin 1996, JT, 1997, 2, note H. Simonart; Cour d'arbitrage, 6 juin 1996, nº 36/96, Moniteur belge du 10 juillet 1996. Voir P. Popelier, « De beoordeling door het Arbitragehof van het ontbreken van een wettelijke regeling », RW, 1996-1997, pp. 1249-1252. Voir également le doc. Sénat, 1998-1999, nº 1-584/3, p. 6, concernant la constatation d'inconstitutionnalité par omission au Portugal.

(68) Au cours de la précédente session, il y avait eu une proposition de déclaration de révision des articles 99 et 104 de la Constitution en vue d'insérer des dispositions nouvelles relatives à l'égalité de représentation des femmes et des hommes doc. Sénat, 1999-2000, nº 2-250/1 (déposée par Mme de Bethune) et une proposition de déclaration de révision des articles 9 et 104 de la Constitution en vue d'insérer des dispositions nouvelles visant à assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes, doc. Chambre, 99/00, nº 624/1 (déposée par Mme Herzet). En outre, la proposition de révision de la Constitution déposée par M. Bourgeois précisait les choses comme suit : « Il y a lieu de modifier le titre III afin d'insérer de nouveaux articles visant à assurer une participation raisonnablement équilibrée des hommes et des femmes à la prise de décision politique, ... », doc. Chambre, 99-00, nº 1932/1, p. 5; voir également doc. Sénat, 1998-1999, nº 1-1374/5 (amendements).

(69) Doc. Chambre, 91/92, nºs 16/1 et 16/5.

(70) Voir A. Alen et F. Meerschaut, « De « impliciete » herziening van de Grondwet », in Présence du droit public et des droits de l'homme, 1992, pp. 259-281 et J. Vande Lanotte, Overzicht van het publiek recht, Bruges, Die Keure, 1994, pp. 55 et 56.

(71) Voir, sur les trois types de « révisions implicites », J. Velaers, « De Grondwet en de Raad van State, afdeling wetgeving », o.c., pp. 662-664.

(72) Doc. Chambre, 98/99, nº 2150/3, p. 18.

(73) Voir à ce sujet l'arrêt de la Cour d'arbitrage nº 31/96 du 15 mai 1996 concernant l'absence de possibilité de recours en annulation devant le Conseil d'État pour les fonctionnaires des assemblées législatives contre les décisions relatives à leur statut.

(74) Doc Chambre, nº 2150/3, 98/99, p. 18.

(75) « Le pouvoir législatif fédéral a le droit de déclarer qu'il y a lieu à la révision de telle disposition constitutionnelle qu'il désigne.
Après cette déclaration, les deux Chambres sont dissoutes de plein droit.
Il en sera convoqué deux nouvelles, conformément à l'article 46.
Ces Chambres statuent, d'un commun accord avec le Roi, sur les points soumis à la révision.
Dans ce cas, les Chambres ne pourront délibérer si deux tiers au moins des membres qui composent chacune d'elles ne sont présents; et nul changement ne sera adopté s'il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages. »

(76) « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »