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Belgische Senaat

Handelingen

DONDERDAG 15 FEBRUARI 2001 - NAMIDDAGVERGADERING

(Vervolg)

Vraag om uitleg van de heer François Roelants du Vivier aan de minister van Consumentenzaken, Volksgezondheid en Leefmilieu en aan de minister van Sociale Zaken en Pensioenen over «de in aanmerking genomen leeftijdsgroep voor de stelselmatige algemene opsporing van borstkanker» (nr. 2-346)

De voorzitter. - De heer Frank Vandenbroucke, minister van Sociale Zaken en Pensioenen, antwoordt namens Mevrouw Magda Aelvoet, minister van Consumentenzaken, Volksgezondheid en Leefmilieu.

M. François Roelants du Vivier (PRL-FDF-MCC). - L'intention, exprimée le 25 octobre 2000 par toutes les autorités du pays compétentes en matière de politique de la santé et d'assurance maladie, d'organiser un dépistage massif du cancer du sein, constitue un pas très important en matière de prévention. Il fallait saisir le taureau par les cornes, ou le cancer par les pinces, et l'on ne peut que vous féliciter de cette avancée importante. Mais, et je n'ai pas été le seul à me poser la question, cette mesure, ciblant les femmes de 50 à 69 ans, ne risque-t-elle pas d'apporter un signal rassurant aux femmes de moins de 50 ans et un signal d'abandon aux femmes de plus de 69 ans ? En d'autres termes, le choix de la tranche d'âges effectué par le gouvernement est-il le plus pertinent ?

L'heure n'est plus à démontrer l'intérêt du dépistage, mais plutôt à savoir comment le mettre en oeuvre. Définir une politique de santé, c'est faire des choix qui ne sont pas techniques mais sociaux. Les questions ne sont pas simples. Qui dépister ? Sur quels critères ? A quel rythme ? C'est en tentant de répondre à ces questions que j'ai pu prendre connaissance des contacts avec un mouvement d'opinion dont je ne soupçonnais pas l'ampleur même si, par quelques observations, j'en avais eu l'intuition : à savoir une demande de dépistage systématique du cancer du sein pour les femmes à partir de 40 ans.

Le plus récent plaidoyer dans ce domaine date du congrès, début décembre 2000, de la société nord-américaine de radiologie à Chicago. Ses 60.000 participants ont entendu sur tous les tons le message selon lequel de nombreuses études ont montré que la mortalité par cancer du sein a baissé d'à peu près 30% chez les femmes de 40 ans et plus qui passent chaque année une mammographie. C'est pourquoi le monde entier peut lire sur le site de l'American Cancer Society la recommandation suivante « Women aged 40 and older should have a screening mammogram every year ». Quant au National Cancer Institute des États-Unis, il laisse le choix entre une mammographie par an ou tous les deux ans, mais il s'inscrit résolument dans une périodicité régulière des examens à partir de 40 ans.

Ces recommandations ont vu le jour sur base d'études très précises menées aux États-Unis, en Suède, aux Pays-Bas et en France, études qui ont évalué l'efficacité du dépistage systématique du cancer du sein en se fondant sur la réduction de la mortalité obtenue par des essais randomisés et des études de cas témoins. Je mets à votre disposition cette littérature scientifique publiée dans les meilleures revues médicales.

Je citerai toutefois les conclusions assez significatives d'un article des docteurs Tristant et Bokobsa, parues en 1998. « En France, le dépistage mammographique est recommandé pour les femmes de 50 à 69 ans... Son extension aux femmes âgées de 40 à 49 ans et de plus de 70 ans reste controversée. Les résultats significatifs de certains programmes randomisés et leurs méta-analyses remettent en question la validité des choix actuels. Il est maintenant certain que le dépistage est efficace chez la femme jeune ... Avec les méthodes modernes, l'efficacité du dépistage mammographique est pratiquement équivalente chez les quadragénaires et les quinquagénaires... Jusqu'à maintenant réservé aux femmes âgées de 50 à 65 ou 69 ans, le dépistage du cancer du sein est médicalement justifié de 40 à 74 ans ».

Ces conclusions me permettent de rebondir sur la réalité belge. Depuis 1992, une campagne de dépistage systématique du cancer du sein a été mise en place par les autorités de la province de Liège et vise chaque femme âgée de 40 à 69 ans. Nous disposons donc d'une expérience unique qui a fait l'objet d'un article des docteurs Gordenne, Parmentier et Delleuze, paru dans le Journal belge de radiologie en 2000. Cet article, intitulé « Dépistage systématique du cancer du sein en province de Liège. Bilan après 8 ans de fonctionnement. », tire les enseignements des 52.475 mammographies réalisées pendant cette période. En matière de fréquentation, une moyenne de 26% a été calculée dans le groupe 40-49 ans et, respectivement, de 24 à 25% dans les groupes 50-59 ans et 60-69 ans. 43 cas de cancer ont été trouvés chez les femmes du groupe d'âge de 40-49 ans, 60 dans le groupe 50-59 ans et 104 dans le groupe 60-69 ans. Dans ses conclusions, le docteur Gordenne précise : « Il est maintenant suffisamment démontré que le dépistage précoce du cancer du sein modifie le cours naturel de la survie avec, comme conséquence, une prolongation de la survie supérieure au temps d'anticipation sur le diagnostic médical habituel, soit un gain réel en années de vie. »

Pourquoi donc s'est-on limité, en Belgique, à la tranche d'âge de 50-69 ans pour le dépistage systématique du cancer du sein ? Apparemment, la base de cette décision se trouve dans le programme « L'Europe contre le cancer », datant de 1992, et qui recommandait de s'en tenir à la tranche 50-69 ans, essentiellement pour des motifs de lisibilité des clichés mammographiques, les femmes jeunes ayant une densité des seins plus importante.

Cet argument est balayé par les spécialistes que j'ai consultés, en particulier les radiologues, qui mettent en avant les progrès considérables de la technique mammographique. En outre, il existe plusieurs études sur la problématique de la densité du sein, notamment celle de Kolb, Lichy & Newhouse, en 1998. Cette dernière montre qu'il n'y a pas de modification de la densité mammaire dont on puisse tirer argument pour commencer le dépistage à l'âge de 50 ans plutôt qu'à 40 ans. En effet, avec les différents traitements hormonaux, la densité du sein reste importante même à l'âge de 55 ans et cet argument ne peut donc plus être soulevé.

Cela fait dire au docteur Mazy, professeur émérite à l'Université de Louvain, que la non prise en compte de la tranche d'âge 40-49 ans « paraît uniquement motivée par une argumentation financière qui ne veut pas dire son nom ou qui est basée sur des conceptions anciennes en voie de démantèlement ». Le docteur Gordenne, médecin radiologue et chef des travaux honoraires à l'Université de Liège, fait aussi remarquer que « les résultats d'un dépistage ne peuvent s'apprécier qu'après une dizaine d'années et que beaucoup de positions ont été prises en s'appuyant sur des résultats relativement anciens, lorsque la technique n'était pas ce qu'elle est actuellement. »

Je vous rappelle ici les éléments à prendre en compte pour un accès ouvert à la tranche d'âge des 40-49 ans, tels que je les ai énoncés dans la note justificative de ma demande d'explications.

L'incidence du cancer du sein est en croissance. Le nombre de nouveaux cas de cancers du sein aux États-Unis pour l'année 1995 était plus élevé dans le groupe 40-49 ans que dans les autres. En valeur relative, ce nombre ne serait que d'environ 8% inférieur au nombre de cancers décelés dans le groupe des 50-59 ans. La nécessité d'un contrôle annuel pour le groupe 40-49 s'impose donc, l'évolution de la maladie étant plus rapide. Par rapport à l'argument habituellement avancé selon lequel la densité des seins dans le groupe 40-49 ans rend la lecture des clichés plus hasardeuse, les progrès récents de la technique mammographique et les différentes études sur le sujet rendent cet argument obsolète.

L'efficacité sur la mortalité d'un dépistage systématique des 40-49 ans tend, d'après les données les plus récentes, à se rapprocher ou à égaler le chiffre des 30%, constaté pour la tranche 50-59 ans, pour autant que le rythme soit annuel.

Chaque année, 2600 femmes meurent en Belgique du cancer du sein, ce qui signifie, par exemple, deux cents de plus qu'il y a cinq ans, et ce chiffre ne cesse de croître. La maladie est d'autant plus fulgurante que les individus sont jeunes. Au-delà de votre décision, madame la ministre, une réflexion en vue de l'élargissement de la tranche d'âge actuellement considérée paraît indispensable aux yeux de nombreux scientifiques.

C'est donc dans cette perspective que je vous pose différentes questions. Tout d'abord, le choix de la tranche d'âge 50-69 ans a-t-il été dûment confronté aux données scientifiques et statistiques les plus récentes relatives au cancer du sein ainsi qu'aux techniques de prévention les plus adaptées et à leurs progrès ?

Ensuite, le choix de la tranche d'âge 50-69 ans a-t-il été dicté pour partie par des considérations financières ? Il est vrai que, selon les spécialistes, l'inclusion des tranches 40-49 voire 69-74 aurait un impact budgétaire beaucoup plus élevé, certains estimant même la dépense à cinq fois le budget que vous avez décidé de consacrer à cette campagne de dépistage.

Par ailleurs, un processus d'évaluation est prévu dans le cadre de la campagne de dépistage systématique. Est-il également prévu que le groupe de travail chargé de réaliser cette évaluation vous transmette des recommandations quant à l'inclusion d'autres tranches d'âge dans le dépistage ?

Enfin, l'information et la communication relatives à cette campagne sont confiées aux Communautés, ce qui correspond à leurs compétences. Y aura-t-il une coordination en ce qui concerne le message ? En d'autres termes, veillera-t-on, partout, à insister sur le caractère ravageur de la maladie et donc sur la nécessité pour les femmes d'être vigilantes entre 40 et 75 ans ?

J'attends beaucoup de vos réponses. Le cancer du sein est une réalité plus présente et nous savons qu'une bonne prévention permettra de réduire la mortalité de façon importante. Vous avez pris, je le répète, une décision utile le 25 octobre 2000. J'espère que vous continuerez dans la bonne direction en opérant de nouveaux choix courageux en matière de santé publique.

M. Frank Vandenbroucke, ministre des Affaires sociales et des Pensions. - En réponse à vos questions, Mme Aelvoet et moi-même pouvons vous communiquer les éléments suivants.

Tout d'abord, le groupe de travail interministériel « Dépistage du cancer du sein », qui avait préparé le protocole d'accord, signé le 25 octobre 2000, a estimé qu'il existait suffisamment d'éléments épidémiologiques concordants pour recommander un screening de masse visant les patientes âgées de 50 à 69 ans. En fait, le choix de la tranche d'âge des 50-69 ans est directement inspiré par les orientations européennes, en particulier par le document « Epidemiological Guidelines for Quality Assurance in Breast Cancer Screening », de mars 2000.

Ce choix de la tranche d'âge, opéré dans le cadre de ces orientations européennes, a été conditionné par des considérations épidémiologiques et d'efficience. En effet, c'est pour cette tranche d'âge que le dépistage de masse s'avère le plus porteur ; pour rappel, l'efficience représente le rapport efficacité/coût. C'est donc pour cette tranche d'âge que l'on retire le plus de bénéfices pour un moindre coût.

Il est admis - il ne faut pas perdre cet élément de vue - que les femmes âgées de plus de 70 ans courent moins de risques de connaître une issue fatale. En effet, le cancer du sein est nettement moins agressif chez les femmes postménopausées.

Cependant, il faut clairement distinguer le screening de masse, qui s'adresse à des groupes sans plaintes ou symptômes, de certaines autres mesures préventives, proposées à des groupes spécifiques qui présentent un risque accru et particulier en raison de certains symptômes et/ou antécédents personnels et/ou familiaux. Le screening de masse n'est donc pas destiné à remplacer ni à supprimer d'autres approches, telles la mammographie diagnostique ou le suivi mammographique des patientes, quel que soit leur âge, mais présentant un risque particulier.

Cet examen mammographique sera offert gratuitement, tous les deux ans, exclusivement aux femmes âgées de 50 à 69 ans, qui ne font pas encore l'objet d'un traitement pour cancer du sein, qui ne subissent pas de contrôle régulier du fait d'un risque élevé de cancer du sein et qui bénéficient de l'application de la législation de l'Institut national d'Assurance maladie-invalidité.

Il a été admis que cette mesure devait être considérée comme avantageuse. Par ailleurs, le budget annuel d'un dépistage gratuit du cancer du sein chez les femmes âgées entre 50 et 69 ans représente 480 millions, de sorte qu'il est difficile de l'étendre d'emblée à toutes les catégories d'âge sans disposer d'arguments très solides pour le faire. Il est évident que le comité de pilotage de ce projet reste et restera attentif aux consensus internationaux ainsi qu'aux données épidémiologiques.

M. François Roelants du Vivier (PRL-FDF-MCC). - Outre les réponses convenues et prévisibles du ministre des Affaires sociales, je suis tout de même sensible au fait qu'il va s'intéresser au consensus scientifique. Or, ce dernier évolue très vite dans ce domaine. Je voudrais lui rappeler ce qui m'a été dit tout récemment par le professeur Colin de l'université de Liège : plus tôt le cancer du sein est diagnostiqué, plus il y a de chances de le guérir. Toute la question est de savoir quelle est la plus grande efficacité, non seulement du point de vue du coût, mais aussi du point de vue social et de la santé publique en général. Je pense que ce débat doit rester ouvert.

Je le répète, la décision de départ me semble bonne. Ceci étant, dans ce domaine, les indications les plus récentes issues des sources les plus spécialisées qui se trouvent singulièrement aux États-Unis, indiquent que la tranche d'âge 40-49 ans devient une tranche prioritaire. Je demande au gouvernement d'être très attentif à cette évolution, même si je suis conscient que cela impliquera des choix budgétaires étant donné le coût. Je ne voudrais cependant pas que le choix du gouvernement ait été dicté uniquement par des considérations d'ordre budgétaire.

-Het incident is gesloten.