2-441/9

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2000-2001

8 FÉVRIER 2001


Projet de loi modifiant diverses dispositions en vue de créer une assemblée générale des juges de paix et des juges au tribunal de police


AVIS DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA JUSTICE


AVIS CONCERNANT L'ARTICLE 20 DU PROJET DE LOI « MODIFIANT DIVERSES DISPOSITIONS EN VUE DE CRÉER UNE ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES JUGES DE PAIX ET DES JUGES AU TRIBUNAL DE POLICE » (DOC. CHAMBRE, Nº 50-800/10, 2000-2001)

Approuvé par la Commission d'avis et d'enquête réunie lors de sa réunion du 31 janvier 2001

Approuvé par l'assemblée générale du Conseil supérieur de la justice du 7 février 2001

1. L'article 20 du projet de loi « modifiant diverses dispositions en vue de créer une assemblée générale des juges de paix et des juges au tribunal de police », insère un article 101bis dans la loi du 22 décembre 1998 modifiant certaines dispositions de la deuxième partie du Code judiciaire concernant le Conseil supérieur de la justice, la nomination et la désignation de magistrats et instaurant un système d'évaluation, libellé comme suit :

« Les procédures afin de pourvoir aux vacances de chefs de corps et de mandataire adjoint, entamées avant le 2 août 2000 et qui ne sont pas terminées le 1er février 2001 sont reprises ab initio conformément aux dispositions du Code judiciaire en vigueur à ce moment.

Les nominations ou les désignations sur toutes les places qui étaient vacantes avant le 2 août 2000 et qui sont, à défaut de candidats, à nouveau publiées au Moniteur belge après le 1er février 2001, interviendront conformément aux dispositions du Code judiciaire en vigueur à ce moment. »

2. De la technique législative utilisée

2.1. Il est surprenant de voir le gouvernement introduire un amendement à un projet de loi visant à créer une assemblée générale des juges de paix et des juges au tribunal de police, amendement par lequel il insère une disposition légale qui modifie les mesures transitoires de la loi du 22 décembre 1998 en profondeur ou qui, du moins, bouleverse l'application concrète de ces mesures transitoires (voir infra). Ces deux sujets n'ont aucun point commun.

La question peut se poser de savoir pourquoi cette disposition n'a pas été reprise dans « la loi du 17 juillet 2000 modifiant le Code judiciaire, la loi du 22 décembre 1998 modifiant certaines dispositions de la deuxième partie du Code judiciaire concernant le Conseil supérieur de la justice, la nomination et la désignation de magistrats et instituant un système d'évaluation et la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire » (Moniteur belge du 1er août 2000, p. 26343) ou dans la « deuxième loi de réparation » de la loi du 22 décembre 1998, actuellement envisagée.

2.2. L'insertion de l'article 101bis a pour conséquence que les nominations et désignations visées devront avoir lieu sur présentation par le Conseil supérieur de la justice. L'intervention de ce dernier est donc étendue à un grand nombre de nominations et de désignations.

Cependant, le ministre de la Justice n'a apparemment pas jugé utile de recueillir au préalable l'avis du Conseil supérieur de la justice, conformément à l'article 259bis-12 du Code judiciaire, de sorte que la commission d'avis et d'enquête du Conseil supérieur (CAER) a estimé devoir se saisir d'office de la question et rendre un avis.

2.3. La terminologie du texte proposé manque de clarté et s'écarte parfois de la terminologie utilisée dans la loi du 22 décembre 1998. En voici quelques exemples non exhaustifs.

2.3.1. L'article 101bis proposé, parle de « entamer » et « terminer » les « procédures afin de pourvoir aux vacances de chef de corps et de mandataire adjoint ».

Qu'entend-on par « entamer » ? Est-ce quand un mandat devient vacant (article 101 de la loi du 22 décembre 1998), quand la vacance est publiée au Moniteur belge ou quand des présentations sont effectuées, conformément à l'article 151 (ancien) de la Constitution ?

Quand une procédure de désignation n'est-elle « pas encore terminée » ? Peut-être faut-il l'entendre comme « quand aucune nomination n'est encore intervenue ».

2.3.2. Lorsque le législateur opte pour l'utilisation de la terminologie introduite par la loi du 22 décembre 1998 (notamment, « chef de corps », « mandat adjoint »), même quand il est question de vacances devenues vacantes avant l'entrée en vigueur de ladite loi, il doit continuer à l'utiliser de manière cohérente.

Par « procédures afin de pourvoir aux vacances de chefs de corps et de mandataire adjoint » il faut peut-être comprendre les « procédures de désignation aux mandats de chefs de corps ou de mandats adjoints », conformément au titre de la section II du chapitre Vter inséré suite à l'article 46 du Code judiciaire et aux articles 259quater et 259quinquies du Code judiciaire.

2.3.3. Que faut-il entendre par reprendre la procédure « ab initio » ? Faut-il alors procéder à une nouvelle publication de ces « places » vacantes ? Une telle publication semble nécessaire vu que les différents stades de la procédure en dépendent directement (article 259quater du Code judiciaire). Soulignons toutefois que la loi du 22 décembre 1998 ne prévoit, par contre, aucune publication pour les mandats adjoints (voir infra, point 4.2.1).

2.3.4. L'article 101bis, deuxième alinéa, proposé, parle de « places » vacantes et non de « mandats » vacants, tandis que plus loin il est question de « nomination ou désignation », alors que le mot « désignation » ne s'applique qu'aux mandats. Rappelons toutefois que la loi du 22 décembre 1998 ne prévoit pas de publication au Moniteur belge pour les mandats adjoints.

L'article 101bis proposé, ne s'applique probablement qu'aux premières nominations dans la magistrature (voir infra, point 4.2) et il convient alors d'adapter le texte en ce sens.

2.3.5. Quelle est la portée des termes « à défaut de candidats » ? Est-il ici uniquement question du cas où aucun candidat ne s'est présenté ou s'agit-il plutôt des cas où le nombre de candidats est jugé insuffisant pour faire un choix ? (Voir définition du mot « défaut » dans Le Nouveau Petit Robert, 1996 : « Absence de ce qui serait nécessaire ou désirable » et la définition de « gebrek aan » dans le dictionnaire van Dale, Groot Woordenboek der Nederlandse taal, 13º uitgave : « het niet of niet voldoende aanwezig zijn ».) Dans ce dernier cas, la question se pose de savoir qui va juger du caractère « insuffisant » des candidatures. Il serait peut-être indiqué de parler de « bij afwezigheid van kandidaten » et de « en l'absence de candidats ».

3. Des conséquences de l'insertion de l'article 101bis

3.1. L'application de l'article 101bis proposé provoquera la reprise intégrale de la procédure de nomination et de désignation pour certaines vacances restées longtemps vacantes (par définition, des places vacantes depuis le 2 août 2000 au moins).

L'application de la procédure de nomination visée à l'article 259ter, § 1er, du Code judiciaire et la procédure de désignation relative aux chefs de corps visée à l'article 259quater du Code judiciaire exige, lorsque tous les délais sont épuisés, 200 voire 240 jours entre la date de publication de la vacance et la nomination ou désignation. Ce dernier délai de 240 jours s'applique lorsqu'il faut recourir à la procédure particulière d'avis de l'article 259ter, § 3, du Code judiciaire.

De nombreuses vacances qui sont vacantes depuis déjà un certain temps, le resteront encore plusieurs mois. Il ne faut pas perdre de vue que lorsque l'article 101bis proposé deviendra loi, il faudra commencer par dresser l'inventaire de toutes les nominations et désignations auxquelles il s'applique. Ensuite, une nouvelle publication au Moniteur belge s'avèrera nécessaire. En effet, tant la procédure de nomination prévue à l'article 259ter du Code judiciaire que la procédure de désignation visée à l'article 259quater du Code judiciaire sont initiées dès publication de la vacance au Moniteur belge.

Continuer de remettre les nominations aux places qui sont vacantes depuis déjà un certain temps n'est certainement pas un moyen efficace de remédier au problème de l'arriéré judiciaire. Quand il s'agit d'un mandat de chef de corps, il n'est certainement pas souhaitable, pour le bon fonctionnement de la juridiction ou du corps concerné, que la désignation se fasse attendre longtemps. Dans certains cas, la situation qui en découle s'avère inquiétante. Liège le vit actuellement. La vacance du mandat de chef de corps du tribunal de première instance de Liège a été publiée au Moniteur belge du 20 septembre 1999. Le chef de corps a été nommé, sur présentation par le Conseil provincial de la province de Liège, par arrêté royal du 30 décembre 1999. Cette nomination a été annulée par arrêt du Conseil d'État du 6 mai 2000. Dans l'hypothèse où l'article 101bis devient loi, la nouvelle vacance de ce mandat devra être publiée et il faudra encore attendre 200 jours avant de pouvoir procéder à une désignation. En fin de compte, le tribunal de première instance de Liège se sera retrouvé deux ans sans chef de corps !

Dans le cas de la désignation de mandats adjoints, l'application de l'article 101bis proposé posera moins de problèmes puisque l'article 259quinquies du Code judiciaire prévoit une procédure de désignation assez souple.

3.2. L'application, en vertu de l'article 101bis des procédures de nomination et de désignation « conformément aux dispositions du Code judiciaire en vigueur à ce moment », à savoir les procédures visées aux articles 259ter, 259quater et 259quinquies du Code judiciaire, a nécessairement pour conséquence l'application des conditions de nomination modifiées par la loi du 22 décembre 1998.

Le texte proposé de l'article 101bis, alinéa premier, est ambigu, dans la mesure où il ne mentionne que « les procédures afin de pourvoir ... », sans même parler des conditions de nomination applicables. Le législateur se doit de clarifier ce point.

Exception faite des stagiaires judiciaires, les candidats à une nomination ou une désignation doivent, en principe, remplir les conditions de nomination ou de désignation au moment de leur candidature. À cela s'ajoute le fait qu'au moment de sa désignation à un mandat de chef de corps, conformément à l'article 259quater, § 3, deuxième alinéa, 3º, du Code judiciaire, le candidat doit être éloigné d'au moins cinq ans de la limite d'âge visée à l'article 383, § 1er, du même code (application réduite à trois ans par l'article 103 de la loi du 22 décembre 1998).

Dans le prolongement de ce qui précède, on ne peut pas éviter que des personnes qui s'étaient portées candidates dans le cadre d'une nomination ou d'une désignation à une fonction déclarée vacante avant le 1er août 2000 et qui, au moment de leur candidature, satisfaisaient aux conditions de nomination légales, ne remplissent plus les nouvelles conditions de nomination et de désignation lorsque cette même vacance est republiée.

Une désignation sous la nouvelle procédure peut également entraîner d'autres effets juridiques désavantageux au niveau, entre autres, de la durée du mandat pour le candidat choisi.

Cela crée évidemment une situation inique à l'égard des candidats qui ont introduit leur candidature de manière tout à fait régulière et qui, au cours de la procédure de nomination ou de désignation, voient subitement les règles du jeu se retourner contre eux pour des raisons qui leur sont totalement étrangères. Le présent texte est, dès lors, de nature à créer une réelle situation d'inégalité entre les candidats, de sorte qu'il fera éventuellement l'objet d'un recours auprès de la Cour d'arbitrage.

Il n'est guère exclu que dans des cas bien spécifiques, les candidats exclus invoquent la responsabilité civile du législateur devant les cours et tribunaux.

4. Quant au fond

4.1. L'article 101bis, premier alinéa, proposé, tente de régler le sort des mandats de chefs de corps et des mandats adjoints devenus vacants avant le 2 août 2000, mais dont la procédure de nomination n'est, à ce jour, pas encore terminée.

Les travaux préparatoires ne précisent pas pourquoi la solution proposée n'est pas étendue, d'une part, aux premières nominations dans la magistrature et, d'autre part, à tous les mandats, y compris les mandats spécifiques.

4.1.1. Constitutionnalité

La disposition légale proposée donne en fait un effet rétroactif aux dispositions relatives à la nomination et à la désignation à des mandats, telles qu'insérées dans le Code judiciaire par la loi du 22 décembre 1998, et ce sans aucune limitation dans le temps.

Cela suscite immanquablement la question de savoir si le texte proposé est conciliable avec les dispositions transitoires de l'article 151 de la Constitution, prévues par la modification de la Constitution du 20 novembre 1998 (Moniteur belge du 24 novembre 1998, erratum du 24 février 1999). Le législateur ne peut, par une simple loi, modifier l'application dans le temps d'une disposition constitutionnelle.

Suite aux dispositions transitoires mentionnées ci-dessus, l'article 151 (ancien) de la Constitution est applicable jusqu'au 1er janvier 2000. L'article 101bis proposé ne peut donc pas s'appliquer à une vacance devenue vacante avant ladite date.

4.1.2. Il convient ensuite de faire la différence selon que la nomination (actuellement désignation) à la fonction devait se dérouler ou non sous l'ancien système conformément à l'article 151 (ancien) de la Constitution, sur présentation de deux listes doubles.

Dans les cas où l'article 151 (ancien) ainsi que les mesures transitoires de l'article 151 (nouveau) de la Constitution prévoient la présentation préalable de candidats et que ces présentations ont effectivement eu lieu, le législateur ne peut, par une simple loi, enlever tout effet juridique à ces présentations.

Ceci se confirme par le fait que, lorsque le Conseil d'État annule une nomination intervenue sur présentation, conformément à l'article 151 (ancien) de la Constitution, les conséquences de cette annulation ne s'étendent pas aux présentations de candidats par les institutions mentionnées à l'article précité de la Constitution. Après l'annulation, le Roi est tenu, lors d'une nouvelle nomination, aux deux listes doubles proposées.

Tel que libellé, l'article 101bis, alinéa premier, proposé, est trop général et ne peut donc être maintenu.

4.2. L'article 101bis, deuxième alinéa, vise à régler le sort des vacances devenues vacantes avant le 2 août 2000 mais qui n'ont pas pu être pourvues à défaut de candidats, de sorte qu'une nouvelle publication était ou est nécessaire.

En réalité, ce problème touche exclusivement les premières nominations dans la magistrature et pas les désignations aux mandats de chef de corps ou aux mandats adjoints.

Le texte proposé parle donc à raison de « places » vacantes et non de « mandats », mais à tort de « nomination ou désignation ».

4.2.1. Il convient ici d'attirer plus particulièrement l'attention sur le fait que l'article 259quinquies du Code judiciaire, ne parle aucunement de « publication » d'une vacance de mandat adjoint. Et c'est logique. Il s'agit ici en principe d'une question purement interne, qui ne concerne que les magistrats de la propre juridiction ou du propre corps, de sorte que plus aucune publication au Moniteur belge n'est nécessaire. En outre, il n'est pas toujours requis de poser sa candidature pour être désigné à un mandat adjoint.

L'article 101bis, deuxième alinéa, proposé, ne peut en aucun cas, aux termes du présent texte, apporter de solution dans l'hypothèse où un mandat adjoint est déclaré vacant avant le 2 août 2000 et auquel il ne serait pourvu par manque de candidats.

4.2.2. Conformément à l'article 101 de la loi du 22 décembre 1998, c'est le moment où la place ou le mandat est devenu vacant qui est décisif pour déterminer la procédure applicable et non la publication de la vacance au Moniteur belge.

Toute dérogation à cet article est, partant, indispensable pour permettre une nomination ou désignation selon la nouvelle procédure dans le cas d'une place ou d'un mandat devenu vacant avant le 1er août 2000.

4.2.3. Lorsque certaines places ne peuvent être pourvues par manque de candidats et qu'il faut donc lancer un nouvel appel aux candidats, comme la pratique semble nous l'avoir démontré, il n'est pas souhaitable de voir s'opérer de nouvelles nominations selon l'ancienne procédure longtemps après l'entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 1998.

Il semble indiqué que tous les candidats à des fonctions similaires doivent remplir les mêmes conditions de nomination et soient soumis à la même procédure de nomination, qui offre toutes les garanties d'objectivité et d'impartialité et qui protège également leurs droits de manière optimale.

En l'espèce, il n'existe aucun risque de discrimination. L'article 101bis, deuxième alinéa, proposé, part de l'hypothèse qu'il n'y a aucun candidat. Ceux qui se portent candidats après la nouvelle publication sont soumis à la même procédure et aux mêmes conditions de nomination, sans discrimination aucune.

Certains considérations d'ordre pratique plaident également pour cette solution. En effet, il est possible que le même candidat fasse simultanément l'objet de deux procédures de nomination différentes. Dans ce cas, le Roi peut nommer un candidat en se basant sur l'ancienne procédure, alors que ce même candidat est simultanément présenté par le Conseil supérieur de la justice dans le cadre d'une nomination à une autre place sur la base de la nouvelle procédure. Dans ce cas de figure, les vacances à pourvoir connaissent un nouveau retard.

Sous réserve de ce qui a été développé ci-avant au sujet de la portée de l'article 101bis, deuxième alinéa, proposé, concernant la rétroactivité anticonstitutionnelle, (dont l'application est limitée aux nominations et au cas d'absence de candidats), la présente mesure proposée est opportune.