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Sénat de Belgique

Annales parlementaires

JEUDI 25 JANVIER 2001 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Philippe Monfils à la secrétaire d'État au Commerce extérieur sur «la visite de la secrétaire d'État à Chypre» (n° 2-464)

M. le président. - Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement, répondra au nom de Mme Annemie Neyts-Uyttebroeck, secrétaire d'État au Commerce extérieur.

M. Philippe Monfils (PRL-FDF-MCC). - Lors du déplacement officiel à Chypre de Mme Neyts, secrétaire d'État, certaines de ses déclarations ont fait l'effet d'une bombe tant à la radio que dans la presse écrite. Certains journaux ont parlé de « bombe belge » ou de « mine belge très dangereuse ». Les partis ont également protesté. Mme la secrétaire d'État aurait en effet déclaré à la radio chypriote « Sygma » : « Je crois, et c'est mon impression personnelle, pas celle de mon gouvernement, qu'une certaine forme de reconnaissance de l'existence de chacun est absolument fondamentale ». Cette déclaration a bien entendu été très mal reçue puisqu'elle semblait impliquer la reconnaissance du régime instauré dans la partie militairement occupée de l'île et jugé illégal par l'ONU et l'ensemble de la communauté internationale.

Invité à clarifier cette déclaration, le porte-parole de Mme Neyts a déclaré que « la position belge est de considérer la République de Chypre comme un seul État souverain en reconnaissant un statut égal aux parties dans une Chypre unifiée ».

Cette interprétation me semble toujours nébuleuse, voire dangereuse. Je croyais en effet que la position belge était celle définie par les résolutions de l'ONU, affirmant que la solution au problème chypriote doit se baser sur l'établissement d'une fédération bizonale et bicommunautaire, sans pour autant préjuger du statut dont bénéficieront les deux communautés.

Je rappelle à l'ensemble du gouvernement que le Sénat a adopté à l'unanimité une résolution sur Chypre qui reprend et affirme le principe d'une solution basée sur l'établissement d'une fédération bizonale et bicommunautaire, résolution qui a reçu tout récemment le soutien du gouvernement, le ministre des Finances s'exprimant, à cette occasion, au nom du ministre des Affaires étrangères.

Mme Aelvoet peut-elle me confirmer que la position de la Belgique à l'égard de Chypre n'est pas celle présentée par Mme Neyts ni celle émise par un porte-parole qui se trouvait manifestement dans des conditions difficiles, mais celle définie par la résolution du Sénat et approuvée par l'ensemble du gouvernement, position qui, en outre, est avalisée par une écrasante majorité du Parlement européen et, semble-t-il, par de nombreux pays européens, ainsi que par la Commission européenne ?

Cette volonté de clarification est d'autant plus importante que, dans le cadre de sa présidence de l'Union européenne, la Belgique pourrait utilement offrir ses bons offices concernant la problématique chypriote. Cependant, elle doit le faire sur une bonne base et non pas sur des déclarations de ce type qui ne font, bien entendu, d'une part, qu'envenimer les problèmes et, d'autre part, que soulever des cris d'indignation de la part de la presse et des partis chypriotes.

Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Mme Neyts-Uyttebroeck m'a communiqué les éléments de réponse que voici : « Vous savez fort bien que dans un contexte chypriote tendu, chaque déclaration de presse est très facilement manipulée par l'une ou l'autre partie. C'est consciente de cette habitude un peu compliquée que je me suis prononcée de façon très prudente et que j'ai parlé d'« une certaine forme de reconnaissance de l'existence de chacun ». Je me suis référée non pas au statut juridique du Nord mais à une réalité sous-jacente, à savoir une « communauté chypriote turque ».

La déclaration faite par mon porte-parole est la reproduction littérale d'une déclaration du Secrétaire général des Nations unies, prononcée à l'occasion de son passage, en novembre 2000 : « The equal status of the parties in a united Cyprus must and should be recognized explicitly in the comprehensive settlement. ». Il s'était exprimé en ces termes, le 8 novembre 2000, dans le cadre des « Proximity talks ».

En dernier lieu, je tiens à signaler que je me suis référée à plusieurs reprises à la position belge, qui se veut garante du respect des principes d'Helsinki ainsi que des termes du processus préconisé par les Nations unies. »

M. Philippe Monfils (PRL-FDF-MCC). - Je remercie Mme Aelvoet d'avoir lu la réponse communiquée par Mme Neyts. Mes inquiétudes ne sont toutefois pas entièrement dissipées.

En effet, à partir du moment où une situation se révèle particulièrement délicate, ce qui est le cas à Chypre, chaque point des déclarations est évidemment vérifié, raison supplémentaire de se montrer extrêmement prudent en la matière.

Mme Neyts se réfère aux déclarations de Kofi Annan. Il s'agit d'un autre problème, dans la mesure où il était précisément le maître d'oeuvre des Proximity talks entre MM. Denktash et Clerides. Il est normal, dans le cadre d'une négociation, d'avancer l'un ou l'autre point. Ces éléments sont, pour ainsi dire, « jetés dans la balance ».

Dans le cas qui nous occupe, il s'agissait d'une visite rendue par Mme Neyts à M. Denktash. Il est tout à fait légitime qu'un représentant du gouvernement rencontre les différentes parties, mais, en l'absence de mandat clair ou de volonté de négociation, il ne peut, de prime abord, donner l'impression d'épouser la thèse de l'« envahisseur ». La partie nord de Chypre est en effet occupée militairement depuis un certain nombre d'années. Il ne faut pas, avant même qu'une négociation soit engagée, donner raison à l'« occupant ».

Mon intention n'est pas de provoquer un incident, mais simplement de rappeler à l'ensemble du gouvernement - j'espère que vous serez mon interprète à cet égard, madame la ministre - qu'à l'échelon du parlement dans son ensemble - la Chambre défend en effet le même point de vue - et d'après les informations données par les ministres responsables, nous nous en tenons actuellement à la fédération bizonale et bicommunautaire, sans formuler un quelconque point de vue en ce qui concerne l'avenir des communautés. Si M. Denktash accepte la négociation, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle, il lui appartiendra, ainsi qu'à M. Clerides, d'entamer des discussions plus approfondies. La Belgique devra alors éventuellement offrir ses bons offices, mais nous espérons qu'elle le fera d'une manière acceptable par rapport aux résolutions de l'ONU, à celles du parlement belge et au sentiment manifestement partagé par une grande majorité des États et par l'ensemble du Parlement européen.