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Sénat de Belgique

Annales parlementaires

JEUDI 21 DÉCEMBRE 2000 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Jean-François Istasse au ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique sur «des produits qui ne peuvent être obtenus que sur réservation» (n° 2-430)

M. Jean-François Istasse (PS). - J'ai récemment voulu acquérir, dans un magasin appartenant à une chaîne bien connue, un GSM faisant l'objet d'une offre spéciale. Je me suis entendu dire au comptoir qu'il était difficile d'en obtenir un autrement que sur réservation.

Au-delà de l'anecdote personnelle, je me suis rendu compte que cette situation, posant un problème de fond, n'est pas unique. La pénurie s'est érigée ces dernières années en véritable système de marketing. Je voudrais attirer l'attention du ministre sur ce point.

Ces derniers mois, on a vu se développer ce phénomène autour de produits phares. Je citerai, à titre d'exemples, Pokémon, Playstation 2 et, surtout, le best-seller contant les aventures de Harry Potter.

La méthode est toujours la même : effet d'annonce plusieurs mois à l'avance, distribution sélective aux journalistes quelques semaines avant la sortie officielle et, enfin, rumeurs distillées au même moment selon lesquelles la demande ne pourrait sans doute pas être totalement satisfaite.

Le jour de la sortie, des dizaines de milliers d'acheteurs se précipitent dès lors dans les endroits de vente, font la file, se bousculent et s'arrachent les exemplaires disponibles, parfois effectivement en nombre insuffisant, et cela alors que les rayonnages - c'est programmé - sont regarnis dans les jours suivants.

Ce phénomène tout à fait irrationnel mais savamment provoqué a quelque chose d'inquiétant. Créer le manque pour faire vendre un produit n'est pas sain. Ce l'est encore moins quand le public cible est composé d'enfants ou de jeunes adolescents et qu'il s'agit de produits souvent très coûteux. La qualité d'un livre comme « Harry Potter », que je viens d'évoquer, n'excuse pas les opérations de ce genre qui entraînent l'enfant ou ses parents à acheter, voire à réserver longtemps à l'avance un produit sous le prétexte fallacieux qu'il n'y en aura pas pour tout le monde.

Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ? Pourrait-on envisager une réglementation ou un code de conduite pour éviter ces inquiétantes opérations de marketing ?

M. Charles Picqué, ministre de l'Économie et de la Recherche scientifique. - Ces questions sont d'ordre à la fois juridique et éthique. Il existe, en la matière, deux domaines bien distincts.

Les offres promotionnelles, tout d'abord, sont couvertes par la loi sur les pratiques commerciales. Une disposition particulière de cette loi protège le consommateur. Il s'agit de l'article 45, que je tiens à votre disposition pour consultation, si vous le souhaitez. Selon cet article, lorsqu'une réduction de prix est annoncée en dehors de l'établissement comme étant limitée dans le temps, le vendeur qui ne dispose plus des produits concernés est tenu de délivrer au consommateur un bon donnant droit à un achat dans un délai raisonnable et dans le respect des termes de l'offre initiale. Il s'agit de biens dont la valeur doit être supérieure à 1.000 francs. L'Inspection économique est chargée de vérifier l'application de ces dispositions. Il arrive que des plaintes soient déposées en ce sens. Voilà donc pour ce qui est des offres promotionnelles.

Il n'est donc pas question de jouer avec le consommateur : si l'article n'est pas disponible dans les conditions annoncées, le client doit pouvoir disposer d'un bon qui lui permette de bénéficier de l'offre dans un délai raisonnable.

En ce qui concerne le lancement de nouveaux produits se pose en effet la question de la publicité trompeuse. Si l'on annonce que les produits sont arrivés, mais qu'ils ne sont pas en quantité et en disponibilité suffisantes, on peut sans conteste considérer qu'il s'agit là d'une publicité trompeuse sur la base de l'article 23 de la loi sur les pratiques du commerce.

Reste l'aspect éthique de ces publicités qui font saliver les enfants, notamment par un marketing très sophistiqué, et qui empruntent à la science des besoins tous les leviers possibles en développant une sorte de réflexe de Pavlov.

Dans ce domaine, il faut plutôt se référer, comme vous l'avez suggéré, à l'adoption d'un code de bonne conduite, en tout cas dans un premier temps. Je ne sais pas si l'on pourra légiférer aisément dans ce domaine. L'imagination en matière de commerce va beaucoup plus vite que le législateur, mais je ne dis pas non plus qu'il faille renoncer à l'idée de légiférer sur la manière de concevoir une campagne de marketing. Mais il faut être prudent, car nous nous aventurons sur un terrain difficile.

Je préfère donc, dans un premier temps, l'adoption d'un code de bonne conduite. Les faits que vous dénoncez ont toujours existé, mais prennent aujourd'hui une ampleur incroyable. J'interrogerai donc les organisations professionnelles afin qu'elles suggèrent des pistes qui viseraient notamment à créer une certaine éthique. S'il apparaît que les réponses sont insuffisantes ou les garanties trop légères ou la pratique du code de bonne conduite insatisfaisante, on pourrait imaginer des mesures plus drastiques.

Je ferai en sorte de sensibiliser l'Inspection économique à cette question ; nous y avions déjà pensé à la suite d'autres annonces. Se fonder sur l'article 45 pour les promotions et sur l'article 23 pour le critère de disponibilité serait déjà une bonne chose.

M. Jean-François Istasse (PS). - Je remercie le ministre pour sa réponse tout à fait complète. Je partage tout à fait sa démarche ; je me réjouis qu'il se soit préoccupé de ce sujet. Je crois effectivement qu'il y a un déséquilibre entre le consommateur et les commerçants au sens large. Je remercie le ministre d'avoir rappelé les droits des consommateurs à certains égards, notamment à propos des ristournes. Le but n'est pas d'accuser les détaillants ; bon nombre d'entre eux sont de petits franchisés eux-mêmes victimes des campagnes de marketing des chaînes auxquelles ils sont liés par contrat.