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14 NOVEMBRE 2000
Après la mort tragique de 58 ressortissants chinois dans la nuit du 18 au 19 juin 2000, dans un conteneur faisant route de Zeebrugge vers Douvres, la commission de l'Intérieur et des Affaires administratives a organisé une série d'auditions en vue de déterminer les circonstances du drame.
Parallèlement à cela, Mme Thijs a déposé, le 21 juin 2000, une proposition de création d'une commission d'enquête parlementaire en vue d'élucider les circonstances du drame, de déterminer les responsabilités, de jauger l'efficacité des services et de formuler, à la lumière des enseignements qu'elle pourrait tirer de son travail, des recommandations en vue d'améliorer la prévention et le contrôle de la traite des êtres humains.
Au cours des auditions, qui ont eu lieu hors du cadre de la présente proposition, la commission a entendu :
le 20 juin 2000, M. Antoine Duquesne, ministre de l'Intérieur;
le 27 juin 2000, M. Marc Verwilghen, ministre de la Justice;
le 4 juillet 2000, M. Didier Reynders, ministre des Finances;
le 12 juillet 2000, M. Lamiroy, collaborateur de cabinet du ministre de la Justice.
En outre, la commission s'est rendue le 7 juillet dans les installations portuaires de Zeebrugge pour se rendre compte de visu de la manière dont s'effectuent les opérations d'embarquement pour ce qui est du transport des marchandises.
Pour déterminer s'il est utile de créer une commission d'enquête, la commission a bien sûr tenu compte des données qu'elle a recueillies au cours des auditions et de ce qu'elle a appris au cours de sa visite à Zeebrugge.
L'auteur principal de la proposition renvoie aux développements de celle-ci (doc. Sénat nº 2-481/1), dans lesquels elle mentionne plusieurs éléments qui indiquent clairement que ce qui s'est passé à Zeebrugge est dû à toute une série de faits graves et non pas à un simple concours de circonstances.
Les développements auxquels on a assisté dans cette affaire (auditions, visite à Zeebrugge, et articles parus dans la presse) indiquent que les problèmes relevés ne sont pas résolus et que de nouveaux points obscurs sont apparus, qui ne font que rendre plus nécessaire une enquête approfondie. En outre, comme ces problèmes sont de nature très nettement structurelle et qu'ils s'inscrivent en marge de l'instruction judiciaire en cours, on pourra éviter des interférences entre l'enquête parlementaire et l'instruction judiciaire. L'enquête parlementaire est donc un complément indispensable de l'instruction judiciaire et, qui plus est, l'existence d'une commission d'enquête est le seul élément qui permette d'obtenir des déclarations sincères, surtout de la part des firmes privées comme P & O.
Un des coauteurs de la proposition déclare que la nature des éléments dont il dispose à ce jour, c'est-à-dire ceux que l'on a recueillis au cours des auditions et ceux que l'on a recueillis au cours de la visite à Zeebrugge, le confortent dans sa conviction qu'ils ne peuvent qu'inciter les pouvoirs publics à s'attaquer au problème de manière plus fondamentale.
Indépendamment de la nécessité de créer une commission d'enquête sur le drame de Zeebrugge, il y a absolument lieu de prolonger le mandat de la sous-commission « Traite des êtres humains et prostitution » pour qu'elle puisse affiner l'enquête concernant l'aspect structurel de la traite des êtres humains, et ce dans le prolongement des travaux qu'elle a déjà menés.
En ce qui concerne plus particulièrement la nécessité de créer une commission d'enquête, il dit rester convaincu qu'il y a encore des zones d'ombre dans les exposés qui ont été faits.
Il faut noter tout d'abord que les agissements de P & O soulèvent toute une série de questions. La visite effectuée le vendredi 7 juillet 2000 au port de Zeebrugge a permis à la commission de faire une série de constatations sur le terrain. La compagnie P & O introduit les données relatives aux camions dans ses ordinateurs et elle les transmet vers Douvres, ce qui permet aux autorités britanniques d'organiser un contrôle sur la base de ces données. Cet enregistrement de données est en réalité le seul contrôle qui a lieu en Belgique.
Pour justifier l'absence de contrôle sérieux, l'on invoque souvent le principe de la liberté de circulation. On souligne également que dans le cadre du traité de Schengen, seule l'importation de marchandises doit être contrôlée. L'intervenant signale cependant que la liberté de circulation et de commerce n'enlève rien au fait que l'autorité a une obligation générale de garantir la sécurité. Il dit déjà avoir signalé que, si l'autorité n'a pas d'obligation de résultat en la matière, elle n'en est pas moins tenue de faire un effort proportionnel à la gravité de la situation. La question est donc de savoir, non pas s'il faut ou non effectuer un contrôle, mais si ce contrôle est proportionné à la gravité du problème auquel on est confronté (règle de la proportionnalité).
Vu le peu de disponibilité, sur le terrain, des services compétents, l'on peut sérieusement se demander si les autorités ont rempli leurs obligations dans ce domaine.
Lors de la visite à Zeebrugge, l'on a constaté également que deux armateurs sur trois y disposent de leur propre service de surveillance. P & O est la seule société à ne pas avoir un tel service. Lors de sa visite, la commission a pu prendre connaissance des documents des réunions qui ont eu lieu entre les armateurs et le gouverneur de la province de Flandre occidentale, dans le but d'examiner comment assurer la sécurité en faisant exercer un premier contrôle par les armateurs. P & O a effectué une analyse coûts-bénéfices des amendes à payer et de l'organisation d'un contrôle efficace. Comme il revient moins cher de payer des amendes, P & O a préféré celles-ci au contrôle. Ce raisonnement est assez scandaleux : où irions-nous si le transporteurs décidaient, dans notre pays, de ne plus respecter des limitations de vitesse parce qu'ils auraient constaté qu'il est plus rentable pour eux de payer les amendes et de pouvoir fournir « just in time » ?
Le Parlement ne saurait accepter que les actes des opérateurs économiques dans notre société soient dictés uniquement par les gains que ces opérateurs peuvent en tirer. L'intervenant estime pareil procédé moralement inacceptable. L'on ne peut jamais oublier l'aspect humain.
Abstraction faite de la perspective éthique, il estime également que P & O a l'obligation juridique d'effectuer des contrôles, sous réserve des dispositions de la loi britannique. Le contrat de transport de P & O contient une série d'obligations, notamment celle de contrôler que l'on ne fait pas passer de biens ni de personnes en fraude.
Sous réserve d'une enquête plus poussée, il serait particulièrement stupide d'affirmer que cette obligation étant contrôlée à Douvres, elle n'existe pas au départ. Il faut donc examiner de manière plus détaillée l'ensemble des obligations légales et contractuelles des sociétés d'armateurs. Selon l'intervenant, il ne fait aucun doute que ces sociétés sont tenues d'exercer un contrôle efficace. La preuve en est que si aucun contrôle n'a eu lieu, l'on inflige une amende à la société à l'arrivée à Douvres. Où ce contrôle pourrait-il être effectué si ce n'est au départ ?
P & O n'effectue donc elle-même aucun contrôle, en partie pour des raisons commerciales, et en partie parce qu'il n'est guère possible de contrôler six départs par jour. C'est la société ou les victimes de la traite des êtres humains qui supportent le dommage résultant de l'absence de contrôle. Il appartient aux pouvoirs publics de faire respecter cette obligation primaire de sécurité lors du transport.
La commission a constaté en outre que le contrôle policier, structurel ou réel, est inexistant dans les faits. L'intervenant fait référence aux circonstances particulières que le ministre de l'Intérieur a exposées dans son rapport devant la commission. La police maritime était présente 24 heures sur 24 à Zeebrugge jusqu'en novembre 1999. Depuis lors, elle se présente pour le contrôle 15 minutes avant l'embarquement. En outre, si contrôle il y a, il n'est que théorique. La commission a pu constater elle-même que l'absence de contrôle incite les chauffeurs à garer directement leur véhicule sur l'emplacement destiné aux camions qui ont déjà été contrôlés. La police présente ne contrôlait pas les camions mais uniquement les cartes informatiques de P & O pour voir si le chauffeur n'était pas fiché.
Ceci n'a évidemment rien d'un contrôle. Le camion ou le chauffeur ne sont absolument pas contrôlés.
La douane ne contrôle que les marchandises. Qui plus est, s'il s'agit d'un transport à l'intérieur de la Communauté européenne, ce contrôle ne doit pas être effectué de manière systématique. La police contrôle les chauffeurs et la douane contrôle éventuellement les marchandises, mais quand les marchandises sont des personnes, il y a clairement une lacune. En tout cas, il y a une carence structurelle dans l'organisation de la sécurité, vu que la ligne Zeebrugge-Douvres est connue pour être un axe de la traite des êtres humains.
L'intervenant ne pense pas que la police doive contrôler tous les camions, mais bien qu'il faut faire un minimum d'effort pour vérifier s'il y a des éléments suspects. Selon lui, c'est à juste titre que le ministre de la Justice a affirmé que l'approche intégrée est la seule correcte pour l'avenir. Elle implique notamment une collaboration entre les sociétés d'armateurs, la police et la douane, ainsi que le développement de critères permettant de déterminer s'il est nécessaire d'intervenir. Pour l'instant, ces instruments font défaut : il n'y a aucune directive écrite décrivant ce que sont les éléments suspects ni la manière d'y réagir et d'effectuer un contrôle adéquat.
Selon le ministre de la Justice, dans le cas du transport des Chinois, il ne s'agissait pas d'un envoi contrôlé. Il n'empêche que les déclarations des différents ministres ne concordent pas totalement en ce qui concerne l'appréciation de la nature du chargement. Le ministre de la Justice a déclaré que l'on pensait qu'il s'agissait d'un trafic de tabac et de cigarettes, en d'autres termes, d'un contournement des accises, qui serait constaté à Douvres. Le ministre des Finances a fait lui aussi une déclaration semblable.
Le vendredi 7 juillet 2000, la commission a pu constater sur place que la fiche informatique de Van der Spek mentionne qu'il s'agit de l'ouverture d'un compte au nom d'une société créée le 15 juin, à savoir trois jours avant la traversée, et que le paiement a été effectué au comptant. Quant à savoir si ces faits justifiaient à eux seuls un contrôle plus approfondi, on ne saurait l'affirmer de manière catégorique. Selon un porte-parole des douanes belges, interrogé le 7 juillet, pour la douane britannique, ces éléments sont suffisants pour considérer ce transport comme suspect sur la base des profils de fraude établis par elle. Les documents anglais relatifs aux transports à considérer comme suspects ont été montrés à la commission.
Cela signifie que P & O disposait de ces deux éléments et qu'à tort ou à raison, elle ne les a transmis ni à la douane ni à la police belges.
Le même intervenant souligne que les déclarations du préposé de P & O à la commission ne permettaient pas encore de se forger un jugement définitif. Cet employé a déclaré que deux ou trois paiements seulement par semaine sont effectués au comptant. Son supérieur hiérarchique a relativisé ces propos en indiquant qu'il y a plusieurs préposés. La question relative au nombre de paiements faits au comptant d'après la comptabilité est restée sans réponse. De plus, la question de savoir si l'on connaissait Van der Spek a reçu une réponse affirmative. Il est clair que la commission doit découvrir de quelle manière on connaissait Van der Spek, qui a ouvert un compte le 15 juin 2000 auprès d'un collaborateur de P & O à Eindhoven. Il paraît assez bizarre d'ouvrir un compte à Eindhoven pour une firme créée à Rotterdam. N'y a-t-il donc aucun bureau de P & O à Rotterdam ?
Tous ces éléments concrets mettent en évidence qu'il règne un certain laxisme chez P & O, qui n'effectue plus aucun contrôle de la légalité des opérations. Tout cela crée un climat général d'absence de légalité : on ne tient pas compte de la loi parce qu'un tel contrôle représente un coût pour l'armateur. Conséquence : ni la police ni la douane ne reçoivent les signaux leur permettant d'intervenir.
En ce qui concerne la douane, la commission a pu constater une nouvelle fois que le cadre des services publics n'est pas suffisamment fourni pour pouvoir s'acquitter correctement de leurs missions sur le site du port. De plus, la commission a appris qu'il n'y a qu'un seul douanier présent au port le dimanche, et encore se trouve-t-il dans l'arrière-port. Il n'y a aucun contrôle policier sur le vaste terrain où sont garés les camions. Ceux-ci ne passent le contrôle douanier que quinze minutes avant l'embarquement, ce qui rend tout contrôle parfaitement impossible compte tenu de la cadence à laquelle les départs se succèdent.
C'est pourquoi les camions sont rassemblés sur un terrain « fermé ». Et, chacun a pu constater comme il est facile de prendre place à bord des camions sur ce terrain. Il n'y a pas de surveillance policière permanente et le dimanche, aucun douanier n'est présent sur le terrain.
Il est exact que la règle de la libre circulation des marchandises est applicable et qu'il s'agit de transports intracommunautaires, mais cela ne veut pas dire que tout est permis.
Le terrain, qui permet, par sa nature, d'isoler les camions qui attendent et qui est en outre conçu pour des précontroles, n'est en réalité pas utilisé à cet effet. Il s'ensuit que tous les contrôles doivent avoir lieu au cours des quinze minutes précédant le départ, ce qui est tout à fait insuffisant pour pouvoir contrôler tous les véhicules avant l'embarquement.
Il est cruel de devoir faire cette constatation alors que l'on sait que Zeebrugge se trouve dans une des régions où le trafic des êtres humains est le plus intense.
Le contrôle des camions frigorifiques est un autre exemple d'aberration. Le douanier que l'on a interrogé sur place à propos des techniques de contrôle a répondu qu'il était facile d'évaluer s'il y a trafic sur la base du chargement. Chaque transport se fait à une température spécifique. Ainsi le transport du jambon, requiert une température de 4 ºC, tandis que celui des tomates peut se faire à 12 ºC.
Étant donné que l'on peut lire la température à l'extérieur, c'est vraiment l'enfance de l'art de déceler s'il y a fraude ou non.
Cela signifie que moyennant un effort minime, P & O aurait eu au moins un indice sur la nature suspecte du convoi où les Chinois avaient pris place.
En conclusion, toute cette histoire suscite des questions.
Il va de soi que la Belgique n'est pas la première responsable. Les premiers responsables sont en effet les trafiquants d'êtres humains.
Mais si des recommandations doivent voir le jour à la suite de ce drame, force sera certainement de conclure que de tels drames peuvent être évités moyennant un minimum de précautions.
Les douaniers ont signalé qu'il y a un an, il avait été convenu que l'armateur effectuerait un premier contrôle et pourrait à cet effet faire appel au système des petits boulots. Qu'est-il advenu de cette mesure ?
Un membre partage l'avis du préopinant jusqu'à un certain point.
Il prétend que l'on doit encore vérifier, d'une part, si les chiffres que l'on avance à propos des passagers clandestins ne sont valables que pour l'arrivée en Grande-Bretagne et, d'autre part, si le nombre avoué par la compagnie qui a le pouvoir et les moyens d'effectuer des contrôles est supérieur à celui des compagnies qui ne les ont pas.
On ne donne pas de données chiffrées en Belgique. Il n'empêche qu'il sera nécessaire d'en rassembler, ce qui nécessitera à coup sûr un suivi.
Les ministres compétents doivent, eux aussi, expliquer la politique qu'ils suivent en matière de migration.
Il souhaite que cette politique fasse l'objet d'un suivi et, si ce suivi devait échouer, il serait disposé à revoir sa position sur la question de la création d'une commission d'enquête. Toutefois, jusqu'à nouvel ordre, il ne lui semble pas nécessaire d'en créer une et il votera donc contre.
Un autre membre rappelle les explications des ministres : les marchandises sont contrôlées à l'entrée par les douanes, tandis que la gendarmerie est responsable du contrôle des personnes.
Avant qu'on n'incrime P & O en prétendant qu'elle recherche une solution purement économique en payant les amendes, plutôt que de contrôler dûment, il faudrait qu'on explique de quels moyens P & O dispose, et sur quelle base juridique, pour opérer des contrôles presque policiers.
P & O n'est-elle pas obligée à se limiter à payer des amendes, faute de disposer d'un pouvoir de contrôle ?
Un scanner mobile, promis par le ministre des Finances, pourrait offrir une solution.
En attendant la mise en place des mesures annoncées, il préfère que la commission temporise, quitte à voir plus tard si elle est satisfaite des résultats.
Une membre attire l'attention sur le fait que selon toute vraisemblance, le mandat de la sous-commission sera élargi à cet effet. Dans cette optique, elle ne voit pas non plus l'intérêt immédiat d'une commission d'enquête.
Le premier intervenant, qui reste partisan d'une commission d'enquête, se déclare toutefois prêt à proposer aux coauteurs de la proposition de la retirer, pour autant qu'on lui donne les assurances que la sous-commission aura un mandat qui permette de vérifier en détail les tenants et aboutissants du drame de la mort de 58 Chinois.
Il se réserve par ailleurs le droit de déposer des amendements à la proposition en discussion, en fonction du déroulement du débat.
Un membre souligne que le fait que la sous-commission soit chargée d'étudier le cas des Chinois lui semble un minimum minimorum. Rien que l'an dernier, 2 023 personnes, dont plusieurs mineurs, ont été interceptées sans papiers valables sur la route prise par les filières vers l'Angleterre. Ce n'est tout de même pas un phénomène anodin.
Le premier intervenant conclut des débats qui ont été consacrés jusqu'à présent à la prolongation du mandat de la sous-commission que la majorité craint une commission d'enquête. Elle a manifestement quelque chose à cacher; pourquoi, sinon, s'opposerait-elle à la création d'une telle commission ? L'opération « étouffoir » est un exemple d'ancienne culture politique. Le journal De Standaard n'a pas tort lorsqu'il dit que le Sénat actuel n'est plus que l'ombre de ce qu'il était au cours de la précédente législature. En effet, les commissions ne fournissent plus aucun travail de qualité.
Il faudra s'expliquer à ce sujet devant l'opinion publique, puisque l'on refuse, sur le plan interne, de débattre sur la base d'arguments objectifs. Pourquoi pourrait-on affirmer aujourd'hui que l'on ne peut pas créer de commission d'enquête, quand on sait que la mise sur pied de la commission Verwilghen a bel et bien été acceptée quant à elle, en son temps, alors qu'une instruction judiciaire était en cours ?
L'on a également accepté la mise sur pied de la commission d'enquête sur les crédits dans le secteur de la construction navale : ni l'instruction judiciaire en cours, ni même l'arrestation de la l'échevin Gantman n'ont pu empêcher le Conseil flamand d'organiser une enquête parlementaire.
L'intervenant déclare que son principal objectif est de faire en sorte que l'on ouvre un débat parlementaire sur le très grave problème de la mort des 58 personnes en question qui étaient de passage dans notre pays. Il entend favoriser ainsi l'avènement d'une culture de débats, qui n'existe pas ou à peine au Sénat.
Jamais encore, il n'avait vu le Sénat devoir encore expédier sept projets de loi en fin de session, alors que la Chambre était déjà en vacances.
C'est comme si l'on avait procédé à une sorte de modification tacite de la Constitution, qui aurait prévu que le droit d'amendement du Sénat est suspendu dès le moment où la Chambre est en vacances.
Un membre réplique que ce récit du coauteur n'est pas tout à fait correct. Il est vrai qu'il n'a pas été fait droit à sa demande de création d'une commission d'enquête parlementaire, mais il ne faut pas oublier, par ailleurs, que les travaux de la sous-commission ont continué et qu'ils ont pris en compte la problématique de l'immigration clandestine, dont l'événement de Douvres n'est que la résultante. À cet égard, les portes n'ont jamais été fermées.
Il ne refuse pas définitivement l'idée d'une commission d'enquête, mais il veut donner une chance à la sous-commission. La commission d'enquête va en effet trop limiter le champ d'investigation des sénateurs.
Un autre membre constate également que la sous-commission et la commission dont elle est issue prennent très au sérieux le problème de la traite des êtres humains, et particulièrement celui de la mort des 58 Chinois. Bien entendu, les portes restent ouvertes sur une commission d'enquête si la constitution de pareil instrument s'avérait nécessaire.
Un autre membre déclare qu'à son avis, l'incident de Douvres est la résultante d'un vaste ensemble d'éléments.
Cela ne l'empêche pas de souhaiter la plus grande clarté possible dans cette affaire. En fait, il est partisan d'un traitement distinct du problème de Douvres. Il devrait s'agir d'une activité spécifique et limitée dans le temps (par exemple jusqu'à l'automne).
Dans une seconde phase, la sous-commission pourrait alors enquêter sur le contexte élargi.
C'est la seule manière d'éviter que l'on oublie ce drame spécifique.
Un autre membre constate que, depuis la réforme de l'État, le Sénat est toujours en quête d'un profil qui lui soit propre. Il a déjà essayé plusieurs fois d'en définir les premiers contours, en particulier par la mise sur pied de la commission « Criminalité organisée » et de la sous-commission « Traite des êtres humains », dont les rapports ont connu un grand retentissement.
Rompre avec une évolution aussi favorable en refusant de créer une commission d'enquête, c'est faire preuve d'une agoraphobie manifeste.
Les 58 Chinois décédés méritent mieux qu'une sous-commission. L'instrument de la commission d'enquête a justement été créé par le législateur en vue de l'examen de ce genre de cas.
Le président du Sénat plaide pour que l'on réinstitue le bicaméralisme, de manière à valoriser l'image que l'on a du Senat à l'extérieur.
Il estime toutefois qu'il ne faut pas rester dans l'expectative, et que le meilleur moyen de promouvoir le retour au bicaméralisme est d'instituer la commission d'enquête proposée.
Une autre membre constate que tous les sénateurs intervenants s'accordent pour dire que l'événement de Douvres est un incident très grave.
Tous s'accordent également pour dire qu'il faut qu'un suivi parlementaire ait lieu au sein d'une commission spéciale.
Il se fait que la sous-commission est de fait une commission spéciale. On peut garder la commission d'enquête « en réserve ».
L'intervenante peut s'accommoder de pareille solution.
Une autre membre rappelle, qu'à l'époque, c'est le gouvernement Dehaene qui a lancé la réforme de l'État et que tous les mandataires des partis soutenant le gouvernement y ont adhéré, dont elle-même. Il s'avère de plus en plus que ce n'était peut-être pas la bonne formule. En ce qui concerne la nouvelle voie que doit se frayer le Sénat et qui est, selon un intervenant précédent, celle de la culture du débat, elle tient à rappeler, tout de même, qu'à l'époque, c'était entre autres ce même sénateur qui a freiné la création d'une commission d'enquête sur le Rwanda.
Elle estime que la sous-commission est un bon outil qui a montré son sérieux. Ce travail produira nécessairement des effets sur le terrain aux niveaux policier, judiciaire et politique. Le Sénat a intérêt à continuer le travail dans ce sens-là, sur l'ensemble des aspects de l'immigration clandestine forcée.
Lorsque la Belgique exercera la présidence de l'Union européenne en 2001, elle pourra mettre l'accent sur cette problématique.
En ce qui concerne l'incident à Douvres, il s'agit d'un problème qui aurait pu se produire n'importe où en Europe, et qu'on ne peut pas imputer à la Belgique seule.
Il suffit, pour s'en convaincre, de se rappeler les milliers de morts que l'on découvre lors de traversées infructueuses du détroit de Gibraltar.
Il reste enfin le suivi de Tampere, et le fameux tableau de bord, qui permettra au ministre de l'Intérieur, lorsqu'il aura la présidence, d'intervenir.
Un commissaire tient à souligner que la discussion relative à l'incident de Douvres est un débat politique ordinaire. La plupart des arguments des auteurs de la proposition manquent de pertinence parce qu'ils sont étrangers à la question qu'il faudrait aborder.
L'argumentation du CVP et du Vlaams Blok, selon laquelle la majorité ne veut pas entamer de débat, ne tient pas face aux interventions de la majorité, qui déclare unanimement qu'elle serait ouverte à toute initiative au cas où il s'avérerait que la sous-commission n'apporte pas la clarté souhaitée.
Une membre a écouté toutes les argumentations contre l'institution d'une commission d'enquête. Force lui est de constater que la mort de 58 personnes est un événement majeur. Au cours des visites sur place, elle n'a pas eu l'impression que le gouvernement prend vraiment le problème à coeur. Elle a même senti une « overdose » de présence du ministre des Finances, qui devait amener les agents subalternes à se taire. Elle considère ces pressions comme inutiles et s'abstiendra dès lors lorsqu'il s'agira de voter sur la proposition de Mme Thijs.
Elle se rappelle comment la commission d'enquête sur le Rwanda a pu être créée. À la base il y avait la mort de 10 paras, mais l'on savait qu'il y avait derrière cet incident tout un contexte malsain. En voulant cacher ce contexte, le gouvernement a suscité la demande de création d'une commission d'enquête. Le gouvernement actuel doit se rappeler ce précédent. Elle s'abstiendra en l'occurrence, parce qu'elle trouve l'attitude du gouvernement, et surtout du ministre des Finances, inadmissible. La qualité des travaux de la commission est d'un niveau tel, qu'il ne faut pas mettre en doute son objectivité par de telles manoeuvres.
Une autre membre conteste ce point de vue. Elle ne voit pas d'« overdose » dans l'attitude du ministre des Finances. Sa présence sur le terrain était une bonne chose, et témoignait de son intérêt pour les événements de Zeebrugge.
Intitulé
L'amendement nº 1 de M. Vandenberghe, tendant à modifier l'intitulé, est rejeté par 9 voix contre 3 et 2 abstentions.
Article 1er
L'amendement nº 2 de M. Vandenberghe est rejeté par 9 voix contre 3 et 2 abstentions.
L'article est rejeté par 9 voix contre 3 et 2 abstentions.
Articles 2 à 6
Vu le rejet du principe même de l'institution d'une commission spéciale ou d'enquête parlementaire, les articles 2 à 6 sont devenus sans objet.
L'ensemble de la proposition a été rejeté par 8 voix contre 3 et 3 abstentions.
Le présent rapport a été approuvé par 9 voix et 2 abstentions.
Le rapporteur, Chokri MAHASSINE. |
La présidente, Anne-Marie LIZIN. |