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Sénat de Belgique

Annales parlementaires

JEUDI 19 OCTOBRE 2000 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de Mme Clotilde Nyssens au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, à la ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement et au ministre de la Justice sur «les expérimentations en matière de clonage humain reproductif pratiquées par la société raëlienne CLONAID» (n° 2-219)

Mme Clotilde Nyssens (PSC). - Voici quelques semaines, la presse se faisait l'écho d'expérimentations actuellement pratiquées par une société raëlienne, Clonaid, qui serait installée au Canada ou aux Etats-Unis et pourrait avoir des ramifications en Europe. Ces expérimentations porteraient sur le clonage humain reproductif. De telles pratiques ont été dénoncées dans nombre de textes internationaux. En Belgique, le débat sur le clonage en général et sur le clonage reproductif en particulier n'a pas encore été entamé. J'évoque plus particulièrement les textes internationaux car j'ai l'impression que la secte en cause est davantage implantée dans des pays étrangers que chez nous.

Au niveau international, tant l'OMS que le Conseil de l'Europe, la récente résolution du Parlement européen ou la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui est en cours de négociation, sont très clairs en cette matière et interdisent formellement le clonage humain reproductif.

On attend d'autres textes, d'autres positions. Une réflexion éthique est entamée dans les milieux internationaux. Je crois savoir que M. Prodi a demandé au Conseil, organe consultatif près les instances européennes de la Commission, de se pencher sur le sujet. Je tiens à préciser que mon intervention ne porte pas sur le fond de la question du clonage humain reproductif aujourd'hui. En fait, je m'inquiète de savoir si la secte incriminée, bien connue, a des ancrages chez nous, en Belgique, et si les pratiques annoncées par la presse - et il conviendrait par ailleurs de vérifier aux Etats-Unis et au Canada ce qu'il en est -, pourraient avoir cours dans notre pays, à l'insu de tous et en l'absence de toute législation en la matière.

Mes questions sont les suivantes :

Sur le plan international, se penche-t-on sur ces pratiques ? La communauté internationale se soucie-t-elle de ce genre de société, telle cette secte raëlienne, qui apparemment, a des agissements illicites ?

Si la secte en question est implantée en Belgique, avons-nous les moyens de connaître ses agissements ?

Voici quelques années, nous avons voté une loi sur les sectes nuisibles. Nous avons prévu deux moyens de combattre les agissements préjudiciables des sectes. Il existe un Observatoire des sectes en Belgique. Par ailleurs, le ministère de la Justice comprend une cellule ad hoc destinée à contrôler les agissements illicites. Ces deux instances disposent-elles d'informations sur l'établissement de cette secte en Belgique et en particulier, sur les agissements qui seraient les siens en cette matière ? Il s'agit avant tout d'un problème de santé publique. A l'heure actuelle, je le répète, ma préoccupation n'est pas d'entamer un débat sur le clonage mais de savoir comment le gouvernement belge pourrait s'informer des activités de la secte en question et quels sont les moyens à sa disposition pour combattre les agissements illicites de cette dernière en Belgique.

M. Philippe Monfils (PRL-FDF-MCC). - Je n'ai aucune objection à formuler à la suite de la demande d'explications de ma collègue. Simplement, je voudrais poursuivre ce débat tout à fait intéressant. Si les questions posées sont légitimes, je ne pense pas qu'un quelconque danger puisse provenir de cette secte des Raéliens, dont le président, M. Morillon, se dit - j'ai consulté Internet - fils de Jahvé et frère de Jésus, et affirme que la vie sur terre a été créée scientifiquement en laboratoire par des extraterrestres ! Le seul point commun qui existe entre lui et moi est la passion que nous partageons pour le sport automobile ; sinon, d'après ses antécédents et ses activités, je puis vous assurer que nous n'avons rien en commun.

Par ailleurs, cette annonce de clonage à partir de personnes décédées ne me semble absolument pas crédible. Vous savez comme moi que de nombreux laboratoires réalisent des expériences dans ce domaine. Or, jusqu'à ce jour, personne n'est arrivé à un tel stade. Il s'agit, bien évidemment, d'une monstrueuse escroquerie. Ce personnage réclame en effet 50.000 dollars, soit 2 millions de francs belges, par famille. On me dit que 200 familles se seraient déjà laissées tenter. Si je calcule bien, une somme de quelque 400 millions aboutira donc dans la poche de ce « fils de Jahvé et frère de Jésus », qui ne l'utilisera évidemment pas pour faire le bonheur de ses compatriotes, mais pour son plaisir personnel.

Allons toutefois plus loin dans l'analyse. Cette secte pose une série de questions sur le plan international. Cet individu est fou, d'accord, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Des situations assez amusantes risquent, par contre, de se présenter ailleurs dans le monde. Si l'on prend, par exemple, le cas de Tuvalu, un petit État-membre de l'ONU, dont la surface est de 26 kilomètres carrés, et qui compte 10 838 habitants, que se passerait-il si un quelconque fou y installait un laboratoire ? Vu les milliards que nécessiterait une telle entreprise, je ne pense pas que le risque soit réel, mais on ne sait jamais...

Que peut-on faire sur les plans international, européen et national, pour affronter cette situation ? La question, qui mérite d'être posée, n'a guère été abordée dans la demande d'explications de Mme Nyssens. Nous pouvons faire appel à l'ONU, mais cette organisation n'a pas la possibilité d'imposer des sanctions en la matière sauf, peut-être, par l'intermédiaire du Comité et du Conseil économique et social, qui peut émettre un certain nombre de recommandations dans les secteurs ad hoc, c'est-à-dire ceux de la culture, de la santé, de l'éducation, etc. C'est une première possibilité, indépendamment des textes qui pourraient être votés sur le plan international.

Il existe une autre possibilité : le recours au G8, qui rassemble les pays les plus industrialisés du monde. Il pourrait, lui aussi, formuler des recommandations. Je signale qu'il l'a déjà fait en matière de crime organisé. S'il n'a pas de pouvoir d'injonction, il représente, néanmoins, un pouvoir énorme, ne serait-ce que par les moyens financiers dont il dispose. Il pourrait donc, par le biais d'un rappel à l'ordre, empêcher un pays - qui ne serait probablement pas européen, ni même industrialisé - de se laisser tenter par d'éventuels gains supplémentaires.

Je tiens aussi à affirmer de façon très nette que, dans l'état actuel des recherches et de la société, toute forme de clonage reproductif humain doit être interdit.

Le clonage peut être défini comme suit, soit la « production d'un individu ou d'une population d'individus possédant dans le noyau de leurs cellules un ensemble de gènes identiques à celui de l'organisme à partir duquel le clonage a été établi. » Il existe d'autres définitions du même ordre dans la directive sur les brevets en matière de biotechnologie. Donc, il s'agit bien du clonage reproductif humain, de la fabrication d'individus identiques, mais pas du clonage de cellules à des fins thérapeutiques, ce qui ouvre une possibilité énorme de guérir une série de maladies et de sauver des vies, notamment en permettant la constitution d'organes à partir de cellules souches embryonnaires de son propre corps. Ce débat est tout à fait différent. Dès lors, si dans les organismes internationaux, on développe cette interdiction que je crois actuellement indispensable, de clonage reproductif humain, il faut bien préciser qu'il s'agit de clonage reproductif et pas de clonage thérapeutique. D'ailleurs, l'Union européenne a opéré la distinction. Des difficultés se présenteront peut-être, mais je ne voudrais pas que l'on englobe le tout en disant que l'on arrête les progrès de la science dès qu'il s'agit de prélever une cellule sur quelqu'un. Ce serait évidemment inacceptable et la belle unanimité que l'on constate pour l'interdiction du clonage reproductif humain volerait, évidemment, en éclats.

Comme Mme Nyssens, je pense qu'il est temps de légiférer chez nous. Que diable, nous avons des directives, européennes entre autres, sur les brevets en matière de biotechnologie et des propositions de loi sont déposées, notamment en ce qui concerne les recherches sur les embryons. Ces propositions de loi émanent d'ailleurs de tous les horizons et de toutes les tendances philosophiques. Qu'attend-on pour enfin légiférer ? Je ne demande pas spécialement au gouvernement de « se mouiller », parce que, une fois de plus, nous sommes à la frontière de la liberté qui est laissée au Parlement dans le texte de la déclaration gouvernementale, notamment en ce qui concerne l'euthanasie et divers problèmes éthiques. Si le gouvernement estime ne pas devoir aller trop loin, il peut peut-être participer au débat qu'on pourrait lancer à partir des propositions qui ont été déposées et donner son avis pour nous aider à élaborer une législation acceptable. Il peut aussi, s'il estime que cela relève de sa responsabilité, déposer un projet de loi. Chaque parlementaire jouerait évidemment son rôle, à la Chambre, en déposant des amendements et en discutant et, au Sénat, par le biais de l'évocation, nous verrions s'il y a lieu de corriger le texte.

Mme Nyssens a indiqué qu'un certain nombre de législations étaient prises par des pays qui nous sont proches. Nous sommes prêts, nous avons les matériaux. Je vous avouerai que, pour être un des auteurs de propositions de loi sur le sujet, je comprends assez mal que ces propositions pourrissent. Je ne demande pas qu'elles soient prises pour argent comptant, mais qu'au moins elles servent de base à une discussion approfondie sur ce sujet que l'on connaît. Dix ans ont été nécessaires pour élaborer la directive sur les brevets qui est critiquée sur un seul point. Nous disposons donc d'une abondante jurisprudence, les comités d'éthique européens ayant fonctionné ainsi que le comité d'éthique belge. Comme dit la fameuse histoire : « Il m'aime, je l'aime, nos parents sont d'accord, que faire ? » C'est exactement la même chose. Qu'attendons-nous donc pour faire quelque chose ?

J'aimerais connaître assez rapidement la volonté du gouvernement. Souhaite-t-il participer avec le Parlement à l'élaboration d'une législation à partir de toutes les propositions qui sont ou seront déposées ? Ou a-t-il l'intention de prendre une initiative et de nous présenter un projet, non seulement en ce qui concerne la traduction de la directive sur les brevets en matière de biotechnologie, attendue par de nombreux scientifiques, mais aussi en matière de limites et de conditions de recherche sur le vivant. Ce point constitue un problème connexe mais pourtant essentiel : l'utilisation de l'embryon, comment, à quelles conditions, l'autorisation des personnes sur lesquelles on se livre aux recherches, avec leur consentement bien sûr. Tout cela peut être examiné. Nous ne partons pas de zéro ; nous disposons de nombreux documents. Je voudrais connaître, je le répète, la position du gouvernement à cet égard.

Mme Magda Aelvoet, ministre de la Protection de la consommation, de la Santé publique et de l'Environnement. - Je tiens d'abord à préciser que je répondrai dans la mesure où mes compétences sont concernées. C'est le Comité consultatif de bioéthique de Belgique qui est impliqué directement dans les débats européens relatifs aux expérimentations en matière de clonage humain reproductif. Ce comité y participe à plusieurs titres :

Le Comité consultatif entretient actuellement, à travers le groupe européen COMETH, des contacts avec les comités de bioéthique des autres États membres de la Communauté européenne. Des contacts structurés se développent donc entre les différents États membres de l'Union européenne. Actuellement, un groupe d'experts belges se penche sur le problème des cellules souches qui fait l'objet de discussions au niveau du Conseil des ministres européen. Nous attendons encore les résultats.

Le problème des expérimentations en matière de clonage humain reproductif est également débattu au niveau de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et sera intégré dans cette charte.

Par ailleurs, le Comité consultatif de bioéthique, à la demande du ministre de la Recherche et de la Politique scientifique du précédent gouvernement fédéral, a rendu un avis très clair concernant le clonage humain reproductif (avis n° 10 du 14 juin 1999). Il estime qu'il est exclu actuellement d'envisager de procéder au clonage humain reproductif et qu'étant donné les incertitudes scientifiques techniques et éthiques pesant sur la technique du clonage humain reproductif, une interdiction nette vis-à-vis de toute tentative visant à réaliser à plus ou moins brève échéance un clonage de ce type est à recommander. Le Comité consultatif de bioéthique souhaitait également que soient approfondies les études psychologiques, philosophiques, médicales et éthiques qui puissent aider les citoyens à se forger une opinion éclairée sur le phénomène du clonage. Il est à remarquer que cet avis portait uniquement sur le clonage humain reproductif mais non thérapeutique.

Pour ce qui concerne les moyens de contrôle des agissements d'une société privée dans notre pays, je rappelle deux éléments importants qui doivent être pris en compte :

Premièrement, actuellement, les expérimentations humaines doivent être pratiquées par des médecins ou des biologistes travaillant dans une structure de soins agréée par les communautés. Cela a fait l'objet de trois arrêtés royaux le 15 février 1999 : un arrêté royal fixant la liste des programmes de soins, visée à l'article 9ter de la loi sur les hôpitaux, l'arrêté royal fixant les critères de programmation applicables au programme de soins « médecine de la reproduction » et enfin, l'arrêté royal fixant les normes auxquelles les programmes de soins « médecine de la reproduction » doivent répondre pour être agréés.

Même si nous ne disposons pas encore de loi, il existe des dispositions réglementaires qui font en sorte qu'en Belgique, tout n'est pas possible. Dans notre pays, la constitution d'embryons ne peut ainsi se faire que dans les laboratoires des centres de fécondation in vitro agréés. Cela limite donc les endroits où de telles expérimentations pourraient être effectuées.

Deuxièmement, pour les universités et les hôpitaux, la situation est également très claire. Toute expérimentation portant sur des êtres humains doit faire l'objet d'un protocole qui doit être soumis à des comités d'éthique locaux. Ces comités se prononcent sur le bien-fondé de ces expérimentations et autorisent ou non le déroulement de celles-ci.

De toute manière, tout médecin qui voudrait réaliser une telle expérimentation a une obligation morale de soumettre le protocole à un comité d'éthique local. Le Conseil national de l'Ordre des médecins a en effet édicté et imposé des normes déontologiques dans ce sens aux médecins concernés.

Enfin, je crois utile de rappeler à l'honorable membre que la déclaration du gouvernement fédéral du 14 juillet 1999 confie au parlement un rôle central dans la recherche des réponses aux questions et défis éthiques.

En ce qui concerne la troisième partie de votre question, je puis vous indiquer que tant le Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles que la Cellule administrative de coordination de la lutte contre les organisations sectaires nuisibles sont opérationnels.

Bien que le centre soit chargé de récolter les informations disponibles, il faut considérer cette activité dans le cadre de sa mission qui est d'informer le public. Une enquête menée auprès du Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles a montré que le centre n'a pas encore été saisi d'une demande relative à la religion raëlienne et qu'aucun dossier n'a été ouvert à ce jour à ce propos, hormis la documentation générale qui est toutefois encore en voie de constitution.

C'est plus particulièrement à la Sûreté de l'État, dans le cadre de la loi organique des services de renseignement et de sécurité du 30 novembre 1998, qu'incombe la mission de récolter des informations sur les organisations sectaires nuisibles.

Je suis persuadée que si M. Verwilghen avait pu être parmi nous, il aurait été en mesure de vous communiquer des éléments dont mon administration ne dispose pas. Compte tenu du calendrier des travaux parlementaires, je n'ai vraiment pas eu l'occasion de lui en parler.

M. Monfils m'a demandé si le gouvernement comptait prendre une initiative. Etant donné que cette question ne m'avait pas été transmise préalablement, je n'ai pas pu avoir la moindre concertation avec mes collègues. Nous voulons que le Parlement joue un rôle central. Le Sénat est maître de ses travaux et il lui appartient de se décider. Le cas échéant, j'estime que le gouvernement devra participer de façon responsable aux travaux.

J'en arrive aux engagements que j'ai déjà pris et qui ont demandé un travail énorme. Je compte déposer un texte concernant les droits des patients qui devrait être suivi d'une loi. Les débats devraient avoir lieu au mois de novembre. Pour ce qui est de la question de l'Ordre des médecins, dont le Parlement veut débattre soit à la fin de l'année, soit au début de l'année prochaine, je prépare actuellement les textes nécessaires qui devraient se greffer sur des propositions existantes, à moins que je ne dépose le projet tel quel en m'appuyant sur les acquis. Je ne cherche nullement à renvoyer les choses aux calendes grecques mais je dispose pas encore d'un planning précis.

(M. Jean-Marie Happart, vice-président, prend place au fauteuil présidentiel.)

Mme Clotilde Nyssens (PSC). - Je remercie la ministre de ses explications. Je me permettrai éventuellement de demander à M. Verwilghen si la cellule au sein de son département dispose d'informations sur cette secte.

M. Philippe Monfils (PRL-FDF-MCC). - Je me réjouis également de la réponse de la ministre. Elle laisse la porte entrouverte pour les travaux d'initiative du Sénat. Je vais donc me précipiter et écrire immédiatement au président de la commission de la Justice pour lui demander, dans des délais acceptables, de commencer à réfléchir à cette problématique qui me paraît essentielle et au sujet de laquelle le gouvernement aura, bien sûr, son mot à dire.

-L'incident est clos.